1. Patrice Cannone, Psychologue clinicien
Service d’Oncologie Multidisciplinaire et
Innovations Thérapeutiques
Pr. F. Barlesi, CHU Hôpital Nord, Marseille
2. « Un état de choses est pensable signifie :
nous pouvons nous en faire une image »
L. Wittgenstein.
3. Vers le milieu du VIIIème siècle
avant notre ère, un homme quitte
Téqoa, son village natal de la région
de Bethléem, abandonne le métier
de berger et de pinceur de
sycomores pour se diriger vers le
nord. Il s’appelle Amos.
3
4. Le « livre » qui porte son nom se
présente comme le recueil des
« Paroles d’Amos » qui fut l’un des
bergers de Téqoa.
Après l’avoir rapidement situé ainsi
sous le règne de Jéroboam II, soit
entre 785 et 743 avant notre ère,
son livre commence par donner le
« la » de son message, rien moins
que la colère de son Dieu face à la
cupidité et la vanité des Hommes.
4
5. Solitude : Amos témoigne à sa
façon de la solitude de toutes
les grandes figures
prophétiques…
Savoir : connaissance de/en soi
implique une certaine
dangerosité, d’être retirer du
monde, une solitude dans sa
propre Vérité, confronté à ses
vicissitudes.
L’intime et le mystère de ce qui
dépasse l’Homme… 5
6. L’histoire d’Amos,
anagramme de SOMA, est
l’histoire de nos patients ainsi
sommés par la vie que de
tenir le secret le plus terrible
de tous : la connaissance de
leur mort.
Amos évoque une parole
sacré de cette connaissance
intime
7. L’histoire d’Amos, simple berger,
devenu Prophète (voyant), c’est
l’histoire de tout à chacun qui
renvoyé à sa solitude, plonge son
regard dans le manque innommable
qui fait l’humain… aux creux des
draps blancs d’un hôpital : Amos a
un cancer.
Celui-ci est parole de Vérité, parole
de colère qui demande à l’autre et à
lui-même un lieu habitable pour un
instant face à ce « comment j’en suis
arrivé là ! ».
7
8. Créer un théâtre de mots et d’images
pour se figurer la douleur, la souffrance,
la solitude, la connaissance et l’intime
existentiel.
Amos, c’est vous et moi, à se
questionner sur l’identité, le corps, la
mise en mots du corps pour un corps
parlé, ou les maux du corps pour un
corps parlant.
Ambivalence : renvoie aux limites de
l’insupportable et en même temps une
voie d’accès vers le bonheur… « Cette
saloperie de cancer et en même temps un
cadeau » idem chimio !
Les héros Mythologiques n’échappent
pas à cette loi d’ambivalence 8
9. Le mythe nous ouvre les yeux sur la nature
de l’homme, par des tableaux, des histoires,
qui donnent matière à penser.
L’enfance est bercé pour par des raconteurs
d’histoires… « Laisse moi te dire à nouveau les
mots par où commençaient nos histoires. Elles
parlaient de géants et de fées, de pirates et d’Indiens,
de lièvres et de lutins, de loups et de fillettes. La vrai
vie est douce aux ogres plus qu’aux enfants. Notre
histoire est un conte semblable de terreur et de
tendresse qui se lit à l’envers et commence par la fin
: ils étaient mariés, ils vivaient heureux, ils avaient
un enfant. Et tout commence, encore, écoute-moi
puisqu’il était une fois ».
Philippe Forest. L’enfant éternel. 1977.
9
Mise en scène d’animaux, de
personnages où l’on se
raconte soi-même, où l’on
rencontre l’autre sexe , où
l’on rencontre l’altérité et
Autre.
10. L’identité est indéfinissable, notion
abstraite, difficulté intrinsèque à la
saisir sur les plans les plus divers –
logique, métaphysique,
psychologique, anthropologique.
« Pareil », « même », « autre »,
« différent » ou « soi », « je »,
« toi »…
Comment se définit-on, pensons-
nous être… ça passe par le langage,
le discours, la parole (logos)…
11. « Qui suis-je ? D’où est-
ce que je viens ?
Pourquoi suis-je né ici et
maintenant ? Quelle sera
ma vie ? Quelle sera ma
fin ? »
12. Qui suis-je ? Qui sommes-nous ?
Réflexion individuelle et collective
qui cherche une forme
d’harmonie, de cohérence et
pourtant si souvent en
contradiction !
Qui suis-je dans le regard de
l’autre (stade du miroir), qu’est-ce
que je représente pour l’autre
Donner une définition de soi-
même pour les systémiciens car
on ne parle que de soi à la hauteur
de qui nous sommes…
13. Toute définition paraît
réductrice, infidèle ou
exclusive et amène à une
impasse.
A coup sûr, l'identité est
soit trahie, soit néfaste
quand on tente de
l'identifier.
Ce qui nous agite, ce moi
profond, sentiment
d’appartenance si évident
et si intime est en réalité
opaque et inconnu. Est-ce
une illusion ? Mais
comment pourrais-je y
renoncer ?
14. Cet état de tension que nous
connaissons tous implique un
mouvement de recherche de
soi-même.
« Je me suis cherché moi-même »,
écrivait Héraclite, avant le
fameux « Connais-toi toi-même
» socratique et l'interpellation
inquiète de Saint Augustin dans
ses « Confessions » :
« Que suis-je, mon Dieu ? »
Nous sommes des nains juchés sur
des épaules de géants ! St Augustin
15. Etre soi-même, Etre à soi-
même sa propre vérité, adage
cher aux existentialistes,
implique un chemin, une
méthode (odologie) pour y
parvenir.
La notion d'identité narrative
que thématise Paul Ricoeur
représente une solution
élégante et réellement profonde
à cette cruciale perplexité.
On peut la résumer en une
formule :
« Je suis ce que je me raconte ».
16. Sortir d'une conception fixe ou
figée de l'identité, ni totalement à
découvrir (comme une chose pré-
donnée), ni seulement à inventer
(comme un artifice), l’identité réside
dans un mélange de détermination,
de hasard et de choix, de mémoire,
de rencontres et de projets…
Le récit a cette vertu de remettre
tous ces éléments en mouvement et
en relation afin d'en faire une
trame. Ensuite, un récit ne se
contente pas en réalité de raconter
des faits. Il les interprète, les
argumente, les reconstruit. Il
sélectionne et travaille les moments
pour en faire une histoire qui a un
sens et une efficacité.
17. Parce que la parole n’est pas
un simple moyen de
communication ni de
verbalisation. Elle est le lieu
de la construction de notre
identité
Ainsi, « La compréhension
de soi est une interprétation
de soi » P. Ricoeur
18. « Confronté à autrui, je ne suis plus un simple spectateur
du monde. Dans cette rencontre de l’autre, toujours
singulière, dans cette présentation d’un visage,
désarmé et désarmant, se joue l’essentiel, l’absolu. Je
dois apprendre à chaque fois que je suis pas seul au
monde, et cela, seul autrui peut me l’apprendre. Je ne
suis pas seul au monde, cela signifie que le monde
n’est pas tout simplement mien, mon monde, ou qu’il
ne l’est que dans la mesure où je peux l’offrir, le
partager avec l’autre. On ne peut aborder le visage de
l’autre, soutenir son regard, les mains vides ».
E. Levinas. De l’existence à l’existant.
C’est l’écho que tu produis en moi qui fait que je suis…
Que puis-je lire dans tes yeux ?
La subjectivité est structurée comme « autre dans le
même ».
19. D’être vrai-ment,
authentiquement humain …
Notre capacité à dire la vérité
meurt à travers les mensonges
que nous racontons aux autres...
Autant que je puisse en juger le seul but
de l’existence humaine est d’allumer une
lumière dans l’obscurité de l’être ».
C. G. JUNG.
« Je suis à la fois unique à
tel point que je mérite d’être
qualifié d’extraordinaire? »
20. La rencontre du visage du semblable…:
s’identifier.
De l’individuel au collectif, du pluriel au
singulier.
Domaine privé – Domaine public
S’autoriser à rendre public quelque chose
de privé sous la forme, la figuration de
l’intime
21. Le singulier s’engage dans le voir
Il est « visage » , il « s’en visage » pour se
parler…
Par cela , il devient parole , il se
symbolise…
Il se fait en référence a, en lien avec …
C’EST NOS VIES !
22. • Parle-t-on de malade, de client,
d’usagé ou de sujet ?
• Quelle reconnaissance de
l’humain ?
• La rencontre, la logique et le
sens : une ignorance, un manque
qui ravage la parole
• Que nous demande l’autre
hospitalisé par son récit… quelle
place pour son désir !
23. La parole est une parole en réponse,
« La parole s’inscrit dans la fonction de
reconnaissance. On parle pour un autre
sujet ». Lacan.
Le dedans ne s’entend que du dehors
par la Parole
La langue prend un caractère
fasciste quand elle oblige à
dire.
R. Barthes.
24. « Vous aurez bientôt connaissance d’articles montrant
la nécessite de rassurer et de réconforter les patients
en phase terminale, en leur servant des fables qui
servent d’antidote à leur certitude d’être sur le point
de mourir. Je me demande quel sort serait réservé à la
vérité face à des forces
d’une telle nature »
W.R Bion
Mouvement post-moderne qui ouvre aux thérapies narratives
(Les narracteurs de S Mory & G Rouan)
25. Ne laissez pas les mots penser à votre
place, ayez une Parole habitée.
Le « sens », on peut dire « qu’il est », mais
on ne sait pas « ce qu’il est ».
Les mots restent et se font échos,
répétitions...
"les mots qui vont surgir savent de nous
ce que nous ignorons d’eux" R. Char
L’homme se sent déchiré, séparé des
autres et de lui-même car il en est
intimement attaché. Il interroge le monde,
l’humain, le sacré.
26. La clinique du singulier s'affranchit du
jugement de valeur, permet un accès à et par
l'autre au travers du langage, du regard, du
désir… même s'il persiste une étrangeté.
Le singulier ouvre les portes de l'intime, fait
rupture, fêlure pour permettre la création de
sens, qui ne peut surgir que de l'inattendu,
jaillir là où nous ne l'attendions pas.
Toute singularité s'inscrit dans la parole afin de
donner corps à la trame d'une existence ; ce
qui est nommé, de fait, en vient à exister
comme l'expression d'un fantasme.
27. Les yeux fermés, je serai
toujours en contact avec vous, si
et seulement si, vous
reconnaissez mon existence...
Vous, l’Autre, Autrui...
De quoi sommes-nous assurés ?
De rien si ce n’est de sa propre
subjectivité…
Alors osons notre créativité avant
de dormir… mourir...
28. « Un jour, j’ai vu le soleil se coucher
44 fois…Tu sais quand on est
tellement triste on aime les couchers
de soleil… »
Nous utilisons les voies du rêve
et de la parole pour qu’advienne
un langage d’accomplissement,
une parole qui résonne, qui
fasse écho, qui soit habitable…
29. 29
Il y a du merveilleux dans les rencontres, il y a
de l’illogique, il y a des constructions et des
reconstructions qui nous poussent et nous
entraînent aux racines mêmes de l’être.
« C’est parce que la souffrance est abrasive que
l’art soignant est de permettre de faire du Lien
afin de redonner aux cendres de mots qui se
déposent dans ce corps abîmé, tout leur
pouvoir vital. »
30. Si je me tais maintenant,
c’est dans l’espoir que
vous puissiez vous mettre
à l’écoute de vos propres
pensées,
aussi sauvages soient-elles,
car il y a toujours un individu
qui peut écouter ce que
vous pensez ,
et cet individu,
c’est VOUS.