1. Articles et études
:
Les clauses relatives à la compétence internationale dans les
connaissements : consensusalisme ou formalisme ?
par Olivier CACHARD sous la direction de Madame le Professeur Hélène GAUDEMET-
TALLON
Mémoire de DEA, soutenu à l Université Panthéon - Assas Paris II en septembre 1997
Introduction
1.- Aujourd'hui comme hier, la navigation en haute mer comporte bien des
périls : les marchandises chargées à bord des navires sont parfois perdues
ou subissent des avaries. Le transport maritime de marchandises demeure
pourtant au coeur des opérations du commerce international et permet
l'acheminement de marchandises à destination ou en provenance de contrées
lointaines. Ainsi, les pays extérieurs à l'Europe représentent 57 % des
tonnages sur les lignes régulières et 58 % des tonnages du tramping au
départ ou à l'arrivée des ports français (1). Face à ces risques inhérents au
transport maritime, les opérateurs du commerce international cherchent à
organiser leur responsabilité et à préparer le contentieux qui pourrait
s'élever à l'occasion du transport : ils stipulent des clauses relatives à la
compétence internationale dans les connaissements.
Les marchandises importées chaque année en France font l'objet d'un transport maritime
au sens économique du terme, c'est à dire sont transportées entre deux points du globe à
bord d'un navire. A cette réalité économique, correspondent plusieurs instruments
juridiques qui permettent d'organiser le «transport» des marchandises. On oppose ainsi le
contrat de transport proprement dit au contrat d'affrètement. Le contrat d'affrètement est
celui par lequel «le fréteur s'engage, moyennant rémunération, à mettre un navire à la
disposition de l'affréteur» qui pourra utiliser le navire pour transporter ses propres
marchandises ou l'exploiter, directement ou indirectement. L'affrètement porte donc sur le
navire, c'est à dire sur le contenant. Le contrat de transport porte lui sur les marchandises
c'est à dire sur le contenu. Le Bâtonnier Scapel définit le contrat de transport comme «la
convention par laquelle une personne dénommée chargeur remet à un transporteur
maritime une certaine quantité de marchandises qui, moyennant le paiement d'un fret doit
être délivrée au réceptionnaire au lieu de destination prévue par le contrat» (2).
L'instrument du contrat est en règle générale le connaissement au point que pour désigner
le contrat de transport maritime on emploie souvent l'expression de transport sous
connaissement.
2.- Le transport maritime est un domaine dans lequel l'insertion de clauses relatives à la
compétence internationale est systématique. Les connaissements contiennent ainsi souvent
des clauses attributives de juridiction ou une référence à une convention d'arbitrage. Nous
parlerons de «clause relative à la compétence internationale» (3) ou encore de clause
attributive de compétence car ces expressions ont le mérite d'englober à la fois les clause
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2. attributives de juridiction et les clauses compromissoires. Par les premières les parties
conviennent par avance de soumettre tout différend qui pourrait les opposer à un tribunal
qu'elles désignent tandis que par les secondes, les parties «s'engagent à soumettre à
l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce contrat» (4). L'étude des
clauses figurant dans les connaissements semblait ne devoir porter que sur les clauses
attributives de juridiction, l'insertion de clauses compromissoires étant surtout pratiquée
dans les chartes-parties. Pourtant, s'il est certain que les contrats de transport et les
contrats d'affrètement sont distincts (5), on ne doit pas méconnaître l'articulation des deux
types de contrats. Ainsi l'affréteur peut assumer les fonctions de transporteur vis-à -vis du
chargeur. Le connaissement de charte-partie peut ainsi contenir une référence à la charte-
partie et donc à la clause compromissoire qu'elle contient. Ces clauses présentent (6) à la
fois un caractère contractuel marqué et un caractère processuel puisqu'elles aboutissent à
priver un tribunal compétent de sa juridiction sur l'accord des parties. La législation ou la
jurisprudence élaborée dans les divers États au sujet de ces clauses est ainsi confrontée à
une aporie qui oppose le souci de donner plein effet aux stipulations contractuelles et le
désir d'encadrer fermement des clauses exorbitantes du droit commun.
3.- Le débat classique qui oppose les tenants du formalisme à ceux du
consensualisme retrouve une certaine vigueur en matière de transport sous
connaissement, spécialement au sujet des clauses relatives à la compétence
internationale. Les contrats internationaux sont en effet présentés comme le
«royaume» de l'autonomie de la volonté. «A priori, l'autonomie de la volonté,
accompagnée du satellite de la liberté contractuelle, porte vers le
consensualisme» (7), c'est à dire vers la libre expression du consentement
sans qu'il soit nécessaire de satisfaire à des formalités préétablies.
Cependant, «le consensualisme peut rapidement devenir un piège : la gravité
des effets s'accomode très mal de la légèreté des formes.» (8) De fait, les
clauses relatives à la compétence sont exorbitantes et peuvent produire de
graves effets vis à vis d'une partie, contrainte de plaider à l'étranger
devant un tribunal qui pourrait méconnaître ses droits. Dans une
perspective de méfiance, de «campanilisme judiciaire»(9), le recours au
formalisme est tout naturel car il est à la fois source d'information et de
réflexion.
4.- La question présente un intérêt tout particulier parce que l'on se trouve à la croisée des
différentes branches du droit, qu'il s'agisse du droit international privé, du droit du
commerce international, du droit commercial et bien sûr du droit maritime. L'intérêt
pratique est manifeste car le connaissement n'est pas un instrument connu du seul Droit
français : les pays de Common Law connaissent le Bill of Lading, et parmi les pays
continentaux, les allemands parlent de Konnossement. Cet instrument destiné à régir des
opérations internationales est donc largement répandu parmi les grandes nations
maritimes. Mais c'est surtout sur un plan théorique que l'étude des clauses relatives à la
compétence internationale dans les connaissements est prometteuse en raison des
controverses qui entourent le contrat de transport maritime. Ce n'est donc pas tant la
rédaction de la clause attributive de compétence qui soulève des difficultés que son
insertion dans un contrat de transport.
5.- Le connaissement est souvent défini comme «un document de transport»(10). Il
convient de mettre en évidence son rôle et ses fonctions pour en saisir la nature. Délivré
par le transporteur au chargeur, il remplit une triple fonction de preuve . Il fait d'abord
preuve du contrat de transport au même titre qu'une charte-partie fait preuve du contrat
d'affrètement. Sont reproduites au verso les conditions générales (11), préimprimées et, au
recto, les mentions particulières comme la description des marchandises, le port de
chargement ou de déchargement. Parmi les conditions générales, on trouve souvent une
clause attributive de juridiction et une clause de choix de loi applicable. Ensuite, il fait
preuve de la réception des marchandises par le transporteur et enfin, il fait preuve, contre
le transporteur, des caractéristiques et de l'état des marchandises.
6.- Le connaissement remis au chargeur par le transporteur est expédié à un
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3. tiers, le destinataire. Celui-ci, porteur du connaissement, pourra réclamer la
marchandise à l'arrivée. Le connaissement est un titre conférant des droits
sur la marchandise transportée : il permet au porteur ou au titulaire d'entrer
en possession de la marchandise. C'est pourquoi il circule beaucoup et fait
l'objet de nombreuses opérations de transaction pendant que la marchandise
est acheminée vers le port de déchargement. Le destinataire initial peut en
effet céder ses droits durant le voyage. La négociabilité caractérise donc le
connaissement. Ce n'est toutefois pas un titre cambiaire (12). Le mode de
cession des droits sur la marchandise constatés par le connaissement varie
selon le type de connaissement. Parmi les connaissements négociables, on
distingue le connaissement au porteur du connaissement à ordre. Alors que
le connaissement au porteur se transmet par simple tradition, c'est
l'endossement qui transfère la propriété du titre pour les connaissements à
ordre.
7.- Si de nombreux transports sous connaissement sont internationaux, l'émission d'un
connaissement à l'occasion d'un contrat de transport maritime ou fluvial n'est pas le signe
d'un contrat de transport international. Il faut donc déterminer quel est le critère de
l'internationalité du transport. De nombreux éléments matériels ont a priori vocation à
conférer un caractère international au contrat (13). La Cour de cassation a relevé qu'un
transport s'effectuant entre deux pays différents était de caractère international (14). C'est
donc la localisation des ports de chargement et de déchargement qui a été retenue pour
qualifier le transport de transport international. Un tel critère est également retenu par
d'autres systèmes juridiques. Un auteur espagnol note ainsi que l'internationalité ne peut
pas être définie en fonction du champ d'application des conventions internationales
régissant la matière (15). L'enjeu de la distinction entre contrat de transport «interne» et
contrat de transport «international» tient à la différence de régime juridique. La norme
applicable est ainsi une norme de pur droit interne pour le contrat de transport se déroulant
entre deux points du territoire français tandis qu'elle est «internationale» par son objet et
par sa source pour un contrat de transport impliquant un flux par dessus les frontières.
8.- Le transport de marchandises sous connaissement est aujourd'hui encore régi par une
convention internationale adoptée le 25 Août 1924, «La Convention de Bruxelles pour
l'unification de certaines règles en matière de connaissements». Adoptée dans la foulée de
la mise en oeuvre du Harter Act aux États-Unis, elle correspond à la prise en
considération des intérêts des chargeurs face à l'hégémonie des transporteurs. La
Convention n'opère pas uniquement dans les rapports internationaux mais couvre, selon
les termes de l'article 10, les transports maritimes sous connaissement émis dans un État
contractant (16). Les dispositions de la Convention de 1924 reçoivent parfois chez les
auteurs anglo-saxons l'appellation de Règles de la Haye, par confusion avec un projet de
1921 qui n'a jamais vu le jour. Pour corriger les ambiguïtés de l'article 10 et préciser le
champ d'application de la Convention, un protocole dénommé Règles de Visby fut adopté
en 1968 (Entrée en vigueur le 23 juin 1977). Il précise que la Convention ne peut opérer
que pour un transport entre ports relevant de deux États différents.
9.- En droit interne, le contrat de transport est défini par l'article 15 de la
loi du 18 juin 1966. Les règles relatives à la responsabilité du transporteur
sont d'ordre public. Alors que les règles relatives au contrat d'affrètement
laissent une large part à la liberté contractuelle, le régime du contrat de
transport est quant à lui plutôt orienté vers la protection du chargeur. Au fil
des réformes successives, le droit interne s'est rapproché en de nombreux
points du texte de la Convention de Bruxelles de 1924 : la loi du maximum de
différences des lois internes et des traités diplomatiques énoncée par
Niboyet (17) se vérifie ainsi en matière maritime. Les distorsions importantes
entre le droit interne et les conventions internationales ne persistent pas et
un alignement sur les conventions finit souvent par se produire. Quoiqu'il en
soit, aucune disposition spécifique ne régit l'aménagement de la compétence
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4. des juridictions. En l'état du droit positif, c'est donc dans le droit
international privé ordinaire ou dans d'autres instruments conventionnels
qu'il faut chercher la solution à la question des clauses relatives à la
compétence internationale dans les connaissements.
10.- Tel ne sera plus le cas le jour où les Règles de Hambourg seront ratifiées par la
France. En effet, cette convention élaborée sous les auspices de la CNUDCI contient des
dispositions relatives à l'aménagement de la compétence internationale. Cette convention,
entrée en vigueur le 1er novembre 1992, est beaucoup plus ambitieuse. Elle vise non
seulement les contrats de transport sous connaissement mais aussi tous les contrats de
transport maritime internationaux.
11.- Pour l'heure, les clauses attributives de juridiction stipulées dans les connaissements
relèvent du droit des conflits de juridiction, notamment du principe de transposition des
règles de compétence territoriales dans l'ordre international et, pour le droit
conventionnel, de la «Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des
décisions en matière civile et commerciale» (Bruxelles, 27 septembre 1968). Le texte
initial a fait l'objet de modifications à l'occasion de l'adhésion de nouveaux États à la
Communauté Européenne et la dernière modification résulte de l'adhésion de l'Espagne et
du Portugal au système de la Convention de Bruxelles par une Convention de San
Sebastian. Une Convention parallèle, la Convention de Lugano, régit les rapports entre les
États membres de la C.E. et les États de l'AELE. Les conventions d'arbitrage relèvent
quant à elles de la Convention de New-York du 10 juin 1958 portant sur «la
reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères». L'article II de cette
convention universelle pose un principe général de reconnaissance de la clause
compromissoire. En France, c'est par un décret du 12 mai 1981 que la réforme de
l'arbitrage international fut achevée et que les titres V et VI furent intégrés dans le
nouveau Code de procédure civile (18).
12.- Que l'aménagement de la compétence internationale par des clauses attributives de
juridiction ou des clauses compromissoires en matière contractuelle soit conforme aux
besoins du commerce international, nul ne le conteste. Les conventions dont on a fait
l'inventaire illustrent d'ailleurs qu'elles entrent dans les prévisions des États. Toutefois, ce
qui compte aux yeux des professionnels d'une branche, c'est que ces clauses puissent
produire leurs effets avec un maximum de sécurité et de prévisibilité. Ainsi une étude
consacrée à une branche homogène comme celle du transport maritime permet de
mesurer l'incidence d'éléments matériels concrets et de structures juridiques déterminées
sur des principes établis comme la validité de la clause attributive de juridiction ou de la
clause compromissoire en matière patrimoniale.
13.- Le contrat de transport est conclu à l'occasion d'une opération qui
implique au moins trois personnes : le chargeur, le transporteur et les
endossataires successifs. L'appréciation du consentement aux clauses
attributives de compétence figurant dans les connaissements doit s'appuyer
sur l'évaluation des conditions de négociation du contrat entre le chargeur et
le transporteur. La qualification de contrat de gré à gré ou de contrat
d'adhésion est donc nécessaire pour savoir si la clause a fait l'objet d'une
négociation. Les connaissements étant utilisés sur les différentes places
maritimes, accèdent-ils à la qualification de formules-type ? Il faut ensuite
déterminer si les dispositions du contrat de transport étendent leurs effets
au destinataire. Ce dernier est-il une partie au contrat de transport ? L'enjeu
de cette question controversée en doctrine apparaît alors en matière
d'aménagement de la compétence internationale si l'on rappelle que les
clauses attributives de compétence sont avant tout de nature contractuelle.
Les effets des clauses relatives à la compétence internationale dépendent
donc de la qualification de la position du destinataire. Enfin, l'intégration des
contrats de transport dans des ensembles contractuels complexes n'est pas
sans répercussion sur l'opposabilité des clauses relatives à la compétence
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