1. Un appareil photo La ruée sur Tissint, Des combustions humaines
en forme de ballon météorite martienne pas si spontanées
Il fait moins de 20 centimètres de Découvert, en octobre 2011, au sud du Sahara Ce phénomène exceptionnel, où certaines
diamètre et, lorsqu’on le lance en l’air, marocain, trois mois après sa chute, ce parties d’un cadavre sont retrouvées
il réalise des vues panoramiques grâce spécimen « frais » de 7 à 10 kg fait le bonheur réduites en cendres alors que d’autres
à ses 36 capteurs photographiques des collectionneurs et des chercheurs. restent préservées, est désormais mieux
répartis sur la surface. P A G E 8 Qui sera le premier à le faire parler ? P A G E 2 compris par les scientifiques. P A G E 3
Aux sciences, citoyens!
Les technologies du Web et des téléphones portables facilitent la participation du public à des expériences scientifiques et des contre-expertises.
L’émergence de ces sciences citoyennes promet de bouleverser la recherche, l’éducation et la société
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SAMUEL GUIGUES POUR « LE MONDE »
Tous connectés ?
L
e 7 février à 19 heures, les ingénieurs aux manet- de l’Ouest, causant l’arrêt des éoliennes; le continent parti des Smartgrids, ces « réseaux intelligents» qui
tes de la distribution d’électricité française retien- entier faillit plonger dans l’obscurité ! permettront bientôt d’influer en temps réel sur le com-
nent leur souffle: pour la première fois dans l’his- Dans ces conditions, il ne faut pas seulement penser portement des consommateurs…
toire du pays, on passe le cap symbolique des à la capacité globale, mais aussi planifier prix et flux Les algorithmes innovants cohabitent avec les recet-
100 000 millions de watts. En ce soir de froid glacial, on électriques selon les horaires et les régions – à court, tes éprouvées comme la programmation linéaire, déve-
frôle la limite de capacité du réseau. moyen et long terme – et tenir compte d’innombrables loppée par les mathématiciens Dantzig, Kantorovich
Une loi implacable gouverne la distribution d’électri- paramètres sur la panoplie d’énergies disponibles, et Koopmans dans les années 1940, avec un succès stu-
carte blanche cité: cette énergie ne peut guère se stocker; alors pour leurs contraintes et aléas (ne pas compter sur l’énergie péfiant. Faire des mathématiques, c’est donner le
ne pas la gaspiller il faut la distribuer aussitôt produite, solaire un soir pluvieux !). même nom à deux choses différentes, disait Poincaré ;
partout où elle peut être utile : une ville proche, un et ces mêmes outils théoriques sont précieux pour
Cédric pays voisin…
Chaque jour, la France aide l’Allemagne à passer son
Progrès des algorithmes
Rien d’étonnant à ce que la distribution électrique
aborder les énormes calculs requis par le contrôle du
trafic urbain : calculs qui s’effectuent 10 millions de
Villani pic de 18 heures, et l’Allemagne rend la pareille pour le
pic français de 19 heures. Toute l’Europe fait désormais
soit un consommateur effréné de mathématiques de
la planification, sujet sur lequel EDF collabore non seu-
fois plus vite qu’il y a quinze ans, grâce à la montée en
puissance des ordinateurs, mais plus encore aux pro-
partie d’un gigantesque réseau, qui bientôt fera le tour lement avec des écoles d’ingénieurs comme les Ponts grès des algorithmes.
Mathématicien, professeur de la Méditerranée! et Chaussées ou Polytechnique, mais aussi avec l’uni- Ces méthodes ont permis aux ingénieurs d’IBM de
à l’université de Lyon-I, Le spectaculaire incident du 30 novembre 2006 versité Pierre-et-Marie-Curie ou celle d’Orsay. développer pour Singapour un système de péages, éga-
directeur de l’Institut démontra cette interconnexion: un problème techni- En la matière, les problèmes non résolus sont lement modifié en temps réel pour influer sur les usa-
Henri-Poincaré (CNRS/UPMC), que sur une ligne haute tension allemande se fit sentir légion: inventer des techniques d’optimisation robus- gers, réduisant les embouteillages et diminuant la pol-
Médaille Fields 2010 de la pointe de l’Espagne jusqu’en Ukraine; en une frac- tes aux aléas climatiques de plus en plus aigus, gérer lution. Nouvelles technologies, nouveaux défis théori-
(PHOTO : MARC CHAUMEIL) tion de seconde, la fréquence chuta dans toute l’Europe au mieux les énergies renouvelables, ou encore tirer ques, pour des enjeux considérables. p
Cahier du « Monde » N˚ 20876 daté Samedi 3 mars 2012 - Ne peut être vendu séparément
2. 2 0123
Samedi 3 mars 2012 SCIENCE & TECHNO actualité
Tissint, la martienne qui fascine
exobiologie | Collectionneurs et laboratoiresde recherche se sont rués surles débrisde la météorite trouvée,
en octobre 2011, dans le sud du Sahara marocain.Les précieuxéchantillonsdevraient bientôt révéler leurs mystères
Vahé Ter Minassian désert, il ne reste plus rien d’apparent, de météorites Luc Labenne a donné, trace des isotopes de l’atmosphère de s’intéressentà lagéochimie,à lapétro-
sauf des poussières», constate Hasnaa dès décembre2011, un petit fragment la Planète rouge qui y ont été piégés. logie et à la minéralogie de la pierre
Q
Chennaoui Aoudjehane, professeur au Muséum d’histoire naturelle de Au Centre de recherche et d’enseigne- céleste. Ils y recherchent des « isoto-
ui donc révélera les de l’université Hassan-II à Casablanca Paris. « Ce spécimen ne pèse que ment des géosciences de l’environne- pes cosmogéniques de courte pério-
secrets de la météorite et unique scientifique à s’être rendue 1,8 gramme mais il nous a permis de ment,à Marseille,PierreRochetteétu- de » qui pourraient les renseigner sur
martienne de Tissint ? sur le lieu de l’impact. Bien que des commencer, très tôt, les analyses », die le magnétisme de la roche dans le temps – de l’ordre de trois millions
Depuis que ses débris ont témoins aient entendu la double note Brigitte Zanda, la directrice de la l’espoir de dater la disparition du d’années – que la météorite a passé
été découverts, en octo- explosion produite par la fractura- collection de météorites du Muséum. champ magnétique de Mars, un phé- dans l’espace. Les chercheurs français
bre 2011, non loin de la ville de Tata, tion du bolide, lors de son entrée dans Plusieurs laboratoires français nomène qui serait responsable de la atteindront-ils leur but avant leurs
dans le sud du Sahara marocain, la l’atmosphère, puis aient vu une lueur sont ainsi mobilisés. Au Centre de perte de son atmosphère. confrères d’autres pays ?
compétition est ouverte dans le petit jaune-verdâtre éclairer le ciel, le lieu recherches pétrographiques et géo- Enfin, à l’Institut des sciences de la Réponse à Houston, en mars, lors
monde des spécialistes des objets où le corps céleste s’est écrasé n’a pas chimiques de Nancy, Bernard Marty TerredeParisetà l’universitédeBreta- delaLunarandPlanetarySpaceConfe-
célestes.Aux Etats-Unis,auRoyaume- été connu immédiatement. tente de retrouver dans des inclu- gne occidentale, à Brest, Albert Jam- rence, ou, au plus tard, en août à
Uni, en France et ailleurs, des équipes C’est trois mois plus tard, après sions vitreuses, formées lors de l’éjec- bon et Jean Alix Barrat, qui travaillent Cairns (Australie), au cours de la réu-
travaillentd’arrache-piedpour analy- d’importantes recherches, que celui- tion de la météorite hors de Mars, la avec Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, nion de la Meteoritical Society. p
ser le plus rapidement possible les ci a été localisé par des nomades puis
échantillonsqu’ellesont réussià sous- par des groupes spécialisés dans la
traire à l’appétit des collectionneurs « chasse » aux météorites, une activi-
privés. Avec un espoir : être les pre- té commerciale bien organisée au
miers à publier des résultats sur ce Maroc. Dès lors, la zone a été ratissée
corps rocheux exceptionnel, dont des et la plupart des échantillons de cette
nomades avaient observé la chute « achondrite de type shergottite» (en
dans la nuit du 18 juillet. référence à Shergotty, une météorite
L’enthousiasme suscité à travers le martienne dont la chute a été obser-
monde par l’apparition de ces sept à vée en Inde) ont très vite rejoint, dans
dix kilos de débris noirâtres s’expli- la discrétion, des circuits de vente où
que par la rareté de l’objet dont ils ils se négocient aujourd’hui entre
furent issus. Sur les 41 000 météori- 500et 1 000 euros le gramme.
Bien trop cher pour la majorité des
institutions publiques, dont certai-
nes ne disposent pas de budget pour
La plupart effectuer ce genre de transaction et
qui ont dû y renoncer. Si le Muséum
des échantillons d’histoire naturelle de Londres a
annoncé, le 8 février, s’être vu offrir
se négocient une pierre de 1,1 kg (qui ne serait pas la
plus grosse en circulation), celui de
aujourd’hui entre Paris, pourtant doté d’une des plus
belles collections du monde, n’a pas
500 et 1 000 euros encore trouvé le mécène qui l’aiderait
à acquérir une pierre d’un tel prix.
le gramme La météorite de Tissint est-elle per-
due pour la science ? Tant s’en faut !
Grâce aux contacts dont ils disposent,
tes trouvées sur Terre et connues de la la plupart des grands laboratoires du
science, 61 à peine sont, en effet, d’ori- mondeont, eneffet, déjà récupérédes
gines martiennes. Et sur ce total cinq échantillons. Aux Etats-Unis, les uni-
seulement, en comptant Tissint, ont versités du Nouveau-Mexique puis
été récupérées juste après qu’elles d’Arizona ont annoncé les premières Un fragment de la météorite martienne de Tissint, tombée dans le sud du Sahara marocain, en juillet 2011.
sont tombées. La première, en 1815 à avoir réussi. Et, en France, le chasseur KEVIN WEBB/NATURAL HISTORY MUSEUM/AFP
Chassigny en France, la dernière, en
1962 à Zagami, au Niger !
Ces chutes intéressentau plus haut
point les scientifiques. En procédant
à l’analyse des pierres dès qu’elles ont Le Maroc, «paradis» des collectionneurs
été trouvées, les chercheurs peuvent,
S
en effet, espérer travailler sur un i la météorite martienne de Tissint porte vendent. Mais aussi à une législation plus libé- de la météorite de Tissint, que celle-ci est pro-
matériau « frais », non encore conta- un nom, c’est à elle qu’on le doit. Hasnaa rale que celle d’autres Etats du Sahara. mise à devenir un spécimen mondial de réfé-
minéou érodé par un séjourterrestre. Chennaoui Aoudjehane est la scientifi- Or, tient à rappeler Mme Chennaoui Aoudjeha- rence qui sera étudié durant des décennies,
Et ainsi, si ce n’est y découvrir d’éven- que qui a déclaré l’objet céleste auprès de la ne, le dynamisme de cette activité commercia- comment se fait-il que les scientifiques maro-
tuelles traces de vie martienne, du Meteoritical Society. Début janvier, cette pro- le fait de son pays un grand contributeur à la cains n’en possèdent aucun morceau, excep-
moins répondre, mieux que ne peu- fesseur de pétrographie et de géochimie de science des corps célestes. « La moitié des publi- tés les quelques grammes de débris achetés
vent faire les missions spatiales, à des l’université Hassan-II à Casablanca se rend sur cations dans le monde sur les météorites concer- sur leurs deniers personnels?
questions sur l’histoire de l’at- le lieu d’impact pour recueillir des témoigna- nent les NWA, explique-t-elle. Et le Maroc est Même si elle déplore cette situation, la cher-
mosphère de la Planète rouge, et celle ges et prendre une photo à l’endroit où le boli- l’un des rares endroits où l’observation d’un boli- cheuse préfère temporiser. « Une fausse bonne
de son magnétisme et de sa géologie. de est tombé. Elle y découvre une situation de dans le ciel donne lieu à des recherches pour idée serait de durcir la législation marocaine,
Autre possibilité : étudier les condi- «incroyable». « Des centaines de personnes localiser l’endroit de sa chute.» estime-t-elle. Si celle-ci est mal adaptée, les
tions dans lesquelles ces objets ont occupées à rechercher des fragments, en plein gens vont arrêter de chercher des météorites ou
été éjectés de Mars à la suite de l’im- désert, au milieu de nulle part.» Spécimen mondial de référence cela favorisera le trafic. » Et Mme Chennaoui
pact d’une grosse météorite, puis ont Le Maroc est l’un des principaux pour- Sans l’obstination des « chasseurs» maro- Aoudjehane de préconiser la création d’une
voyagé dans l’espace. voyeurs en météorites du marché des collec- cains de météorites, jamais Tissint n’aurait pu institution marocaine « de type muséum
Avec de tels enjeux, on comprend tionneurs. La majeure partie des 7700 « NWA » être mise au jour. Et, sans celle de Mme Chen- d’histoire naturelle».
mieux pourquoi les débris de Tissint (North West Africa) – le terme par lequel sont naoui Aoudjehane, on ne saurait rien des cir- Dans cette structure à même de recevoir
ont fait l’objet d’une course à l’achat désignées les pierres provenant du Nord-Ouest constances dans lesquelles cet objet a été trou- des spécimens, les spécialistes des minéraux,
entre les collectionneurs et les labora- africain et dont le lieu d’impact n’est pas connu vé : il ne serait connu que sous l’appellation des fossiles et des météorites pourraient faire
toires. Car, signe, peut-être, d’une avec précision – y ont été découvertes ou y ont NWA. Dès lors, est-il normal que le Maroc ne de la recherche, entretenir un musée et enri-
mondialisationquia étendusestenta- transité. La faute à ses déserts où les roches noi- conserve presque aucun témoignage de ces chir une collection. Au besoin, pour acquérir
cules jusqu’aux recoins les plus recu- res se distinguent facilement sur le sol rouge et découvertes? Alors qu’ailleurs, les laboratoi- les pièces exceptionnelles, en faisant appel au
lés de la planète, « sur place, dans le jaunâtre. A ses nomades qui les collectent et les res se disputent, mécénat à l’appui, les restes mécénat. p V. T. M.
C’est prouvé, sombrer dans le chaos n’est pas impossible
Après plusde quinze ans d’efforts, des mathématiciensont démontréune conjecture vieilled’un siècle
David Larousserie re sourire. En réalité, sa forme tangulaire,cen’estpaslecas:lestra- de l’espace. Entre ces deux extrê-
mathématique rigoureuse n’était jectoires sont prévisibles. Les ara- mes, on trouve des points qui tra-
E
pas si simple à obtenir. Le chaos besques étudiées par les deux Tou- centunefrontièreàpartirdelaquel-
n mathématiques, il faut désignedessituationsdanslesquel- lousains ne sont pas celles de bou- le les trajectoires sont imprévisi-
savoir être patient. Presque les les trajectoires d’un système en les, mais les positions successives bles. Cette limite crée de beaux
sept ans entre le point final évolutionsontsensiblesauxcondi- de points d’un plan subissant des espaces, variables en fonction de la
d’une démonstration et sa tions initiales. Plus précisément, transformations géométriques. Au constante appliquée.
parution dans les Annals of Mathe- même une très faible différence au lieu de lancer en ligne droite les Mais, pour la plupart de ces
matics de mars. Et près de dix ans départ dans la position, la vitesse points ou de les faire tourner, ils les ensembles, la probabilité de trou-
de travail, en amont. L’attente en ou l’angle conduit à des écarts infi- multiplient une fois par eux- verauhasardun pointdelafrontiè-
valait la peine car le résultat de nis à l’arrivée. mêmes (puis y ajoutent une re est nulle. Beaucoup pensaient
Xavier Buff et Arnaud Chéritat, de Ainsi deux boules de billard lan- constante) et ainsi de suite, comme même que c’était le cas pour tous.
l’Institut mathématiques de Tou- cées presque à l’identique sur un l’ont proposé, en 1917, Pierre Fatou « Non », ont démontré les deux
louse, tranche une question cente- plateau en forme de stade ne reste- et Gaston Julia. mathématiciens : il existe des
naire : le chaos n’est pas impossi- ront pas longtemps sur le même Un ensemble dit « de Julia », Selon le point de départ, cela des- exemples pour lesquels on tombe
ble, du moins dans certains cas. tracé, ce qui rend impossible toute caractéristique des systèmes sine des courbes dont certaines sur des situations chaotiques. Mais
Résuméainsi,encestempsdecri- prédiction. Fort heureusement étudiés par les mathématiciens. filent à l’infini tandis que d’autres la procédure ne dit pas lesquelles.
se économique, le constat peut fai- pourlesjoueurs,surunplateaurec- XAVIER BUFF ET ARNAUD CHÉRITAT restent confinées dans une région Le travail n’est donc pas terminé! p
3. actualité SCIENCE & TECHNO 0123
Samedi 3 mars 2012 3
«Il faut forer dans la calotte antarctique»
télescope
Médecine
Thérapie virtuelle contre le
syndrome de fatigue chronique
C’est une nouvelle option pour les
glaciologie| Jérôme Chappellaz et son équipe ont parcouru 1400km de territoire individus atteints de fatigue chronique,
syndrome qui se caractérise, outre
pour anticiper l’évolution du niveau des mers et retracer l’histoire climatique de la Terre l’asthénie, par des douleurs musculaires,
des troubles de mémoire et de la
concentration… Selon une étude
hollandaise portant sur 135 adolescents
Propos recueillis par Ce n’est pas pour battre un souffrant de cette pathologie depuis
Stéphane Foucart record! Les enregistrementsclimati- deux ans, une prise en charge fondée sur
C
ques des carottes sédimentaires des consultations en ligne obtient de bien
marines permettent de reconsti- meilleurs résultats qu’une thérapie
hercheur au Labora- tuer, sur plusieurs millions d’an- comportementale et cognitive classique.
toire de glaciologie nées,les variationsduvolumede gla- Après six mois de traitement, la
et géophysique de ce à la surface de la Terre. Cela per- disparition de la fatigue a été obtenue
l’environnement met de reconstruire, au premier chez 85 % des jeunes bénéficiant de
(CNRS, université ordre, les alternances entre périodes consultations virtuelles (27 % dans l’autre
Joseph-Fourier de froides (glaciaires) et chaudes (inter- groupe). Le taux de retour à une
Grenoble), le glaciologue Jérôme glaciaires). scolarisation normale était également
Chappellaz revient d’un raid scienti- Or, il y a environ un million d’an- plus élevé dans le premier groupe, 75 %
fique de plusieurs semaines en nées, il s’est passé quelque chose versus 16 %. Ce succès s’explique sans
Antarctique. Grâce aux moyens dont nous ignorons encore la natu- doute par plusieurs facteurs: flexibilité
logistiques de l’Institut polaire fran- re. Au cours du dernier million d’an- de l’approche en ligne (accessible
çais Paul-Emile-Victor (IPEV), huit nées écoulées, les transitions entre 24 heures sur 24, sans déplacement…) et
scientifiques et techniciens ont par- périodes glaciaires et interglaciaires attrait des adolescents pour Internet et
couru 1 400 km de territoire jamais interviennent tous les 100 000 ans les relations virtuelles.
foulé par l’homme, entre les sta- environ. Mais avant ce million d’an- > Nijhof Sanne et al., « The Lancet»
tions de Concordia et de Vostok – nées, la périodicité dominante était 28février.
avec un détour par le « point Barno- de 40 000 ans et les périodes froides
la », déterminé au cours du raid et étaient beaucoup moins sévères… Transplantation
nommé en hommage au glaciolo- Le don de rein
gue Jean-MarcBarnola, mort préma- Ne peut-il s’agir d’un changement sans danger pour le cœur
turément en 2009. de l’orbite terrestre, sous l’effet C’est une bonne nouvelle pour ceux qui
de conjonctions des grandes pla- sont prêts à donner un rein de leur vivant
Quelle était l’utilité du raid ? nètes du système solaire ? pour sauver un proche, atteint
Plusieurs choses. D’abord, le pro- Les calculs de mécanique céleste, d’insuffisance rénale terminale. Une
jet de Michel Fily [professeur à l’uni- qui permettent de reconstruire les vaste étude canadienne, portant sur
versité Joseph-Fourier de Grenoble] trajectoires des planètes sur plu- environ 2 000 donneurs de rein et
qui vise à documenter le « bilan de sieurs dizaines de millions d’an- 20000 témoins, confirme que ce don
masse » de surface, c’est-à-dire la nées, montrent que les paramètres d’organe n’induit pas d’excès de risque
quantité de neige qui s’accumule orbitauxdela Terre n’ont pas signifi- d’accidents cardio-vasculaires, et ce avec
sur le plateau antarctique au cours cativement changé il y a un million six à dix années de recul. Une étude
du temps. Sur le secteur entre d’années. précédente, en Suède, avait montré que
Concordiaet Vostok,ce bilanest tota- C’est donc un changement inter- l’espérance de vie des donneurs de rein
lement inconnu. Emmanuel Le ne au système climatique qui est était même légèrement supérieure à celle
Meur [enseignant-chercheur à l’uni- responsable de cette transition, il y de la population globale, un résultat sans
versité Joseph-Fourier de Grenoble] a Le glaciologue Jérôme Chappellaz. a un million d’années. L’une des doute lié à la sélection de donneurs en
donc effectué des mesures avec un LUCIA SIMION hypothèses est un effet de seuil lié à excellent état général. En France, à peine
radar-neige, pour obtenir une carto- la quantité de dioxyde de carbone 10 % des greffes de rein sont réalisées à
graphie de l’accumulation de la nei- te de glace du Groenland et à la fon- ce, topographie du lit rocheux, taux présent dans l’atmosphère… Mais partir d’un donneur vivant.
ge en profondeur le long du trajet du te des glaciers de type alpin. d’accumulation de la neige… Tout pour avoir cette information, il faut > Garg Amit et al., « British Medical
raid. Il y a cependant une incertitude au long du raid, le radar fixé sur l’un accéder à la glace qui s’est formée à journal», 2 mars.
considérable sur ce phénomène a de nos véhicules a acquis des don- cette époque. Il faut donc forer très
Quel est l’enjeu scientifique de tel- priori capable de contrecarrer par- nées en temps réel. C’est ainsi que le profondément dans la calotte Zoologie
les mesures ? tiellement l’élévation du niveau choix du point Barnola a été fait. antarctique. Les sonars dérangent
L’enjeu concerne l’évolution du marin: il estdoncabsolumentnéces- On ne peut pas encore conclure les baleines
niveau des mers. Lorsqu’onconsidè- saire de mesurer in situ, sur le pla- que ce site est parfaitementadéquat Outre les traces des évolutions de
re les simulations produites sur le teau antarctique, le rythme auquel et qu’il sera en définitive choisi la composition de l’atmosphère,
XXIe siècle par les modèles utilisés la neige s’accumule, aujourd’hui et pour un tel projet de carottage, très que trouve-t-on dans la glace de
dans le cadre du GIEC [Groupe d’ex- au cours des dernières décennies. ambitieux. Il faut désormais acqué- l’Antarctique?
perts intergouvernementalsur l’évo- rir des données sur la carotte de Bien d’autres choses. A partir du
lution du climat], on voit que toutes Qu’est-ce que le « point Barnola » ? 110 mètres obtenue sur site lors du moment ou nous ouvrions un sec-
s’accordent pour dire que les taux Jusqu’à présent, le plus long enre- raid. Mais nos mesures nous suggè- teur qui n’avait jamais été exploré,
d’accumulation devraient augmen- gistrement donné par une carotte rent déjà qu’au point Barnola, le nous en avons bien évidemment
ter sur le plateau antarctique. de glace permet de reconstruire taux d’accumulation de la neige profitépour collecterun grand nom-
La raison en est simple : l’éléva- 800 000 ans d’histoire climatique serait jusqu’à 10 % plus faible qu’à bre d’échantillons. Ils pourront par
tion des températures permet à l’at- de la Terre. Un autre objectif du raid Concordia : ce qui veut dire qu’une exemple permettre de mesurer
mosphère de contenir plus de était de déterminer un site sur carotte de même longueur pourrait l’abondance de béryllium 10, qui
vapeur d’eau et, ainsi, de produire lequel nous pourrions espérer forer permettre de remonter plus loin varie en fonction de l’activité solai-
plus de précipitations aux pôles. Si et extraire une carotte de glace dont dans le temps. re… D’autres mesures géochimi-
les modèles ne se trompent pas, ce l’analyse pourrait nous permettre ques seront menées sur ces échan-
phénomène pourrait compenser de de remonter en deçà de cet horizon. Pourquoi vouloir absolument tillons, touchant d’autres discipli-
manière significative l’augmenta- Plusieurs paramètres entrent en remonter en deçà de 800 000 ans nes, comme la chimie de l’at-
tion du niveau des mers due à la per- ligne de compte: épaisseur de la gla- d’histoire climatique de la Terre ? mosphère. p Il est maintenant reconnu que les bruits
sous-marins d’origine humaine (hélices
de navires, explosions diverses, forages…)
perturbent le comportement des
baleines. Mais une équipe de l’université
La combustion humaine spontanée, sujet brûlant de Californie a découvert, en outre, que
des sons, de fréquences différentes de
celles émises par les mammifères pour
communiquer, sont aussi sources de
Les rares cas décrits dans la littératuremédicale ont été réanalyséspar des médecins finnois désagrément. En particulier, l’espèce
menacée de baleines bleues Balaenoptera
musculus diminue par deux ses appels de
Marc Gozlan signe d’agression ou de mise en scène victime était de 3,2 g/l. L’absence de suie mentsenflammés etimbibés de graisse ser- 100 hertz en présence de sonars émettant
d’un acte criminel. dans les bronches à l’autopsie indique que vent de mèche. Ayant pris feu, les vête- à des fréquences plus élevées
L
Les docteurs Virve Koljonen et Nicolas l’homme n’avait pas inhalé de fumée, mentsbrûlent la peauqui, une fois carboni- (supérieures à 1 000 hertz) et même de
a lecture d’articles médicaux peut Kluger, de l’université d’Helsinki ont donc qu’il était déjà mort quand la com- sée, se fissure. La graisse sous-cutanée faible intensité. Cela pourrait nuire à sa
parfois susciter le même senti- recensé les articles parus ces onze derniè- bustion s’est déclarée. s’écoule alors, entretenant le long proces- survie, car ce type de chants est émis
ment d’étrangeté et d’épouvante res années sur la combustion humaine De plus, contrairement à ce que l’on sus de combustion. Elle ne brûle que lors- lorsque la baleine part en quête de
qu’un épisode de « X-Files », de spontanée. Ils ont sélectionné et analysé observe en cas d’intoxication par inhala- que sa température atteint au moins nourriture.
« Bones » ou des « Experts». Des médecins cinq publications relatant 12 cas dont la tion de fumée dans un incendie, aucune 250 ˚C ». Les parties du corps les plus calci- (PHOTO : FRANÇOIS GOHIER/BIOSPHOTO)
finnois signent dans le Journal of Burn majorité en France. Les victimes, souvent trace de carboxyhémoglobinedans le sang nées sont celles qui renferment d’abon- > M. Melcon et al., « Plos One », 29 février.
Care & Research une troublante publica- des fumeurs et des alcooliques, étaient n’a été mise en évidence. « Le processus dantes quantités de graisse.
tion, mise en ligne le 22 janvier, intitulée : âgées de 44 à 74 ans. Huit d’entre elles d’autocombustion survient généralement En définitive, la combustion humaine Technologie
« La combustion humaine spontanée à la étaient des femmes. Un des 12 cas, surve- après le décès. Plus rarement, il débute lors- ne frappe pas au hasard et surtout n’a rien Le corps, source d’électricité
lumière du XXIe siècle ». nu en Auvergne, a été publié dans le Jour- quela victimeestencorevivante.On retrou- de spontané. Elle suppose l’existence Une équipe internationale conduite par
Ce phénomène rare, abordé par Dic- nal of Forensic Sciences, en septem- ve alors de la suie dans la trachée à l’autop- d’une source de chaleur extérieure, même l’université Wake Forest, aux Etats-Unis,
kens (Bleak House, 1853) et Zola (Le Doc- bre 2011, par le professeur Gérald Quatre- sie,etuneconcentrationsanguinesignifica- si cette dernière, dans le cas d’une cigaret- a mis au point une membrane
teur Pascal, 1893) bien avant les scénaris- homme, responsable du laboratoire de tive de carboxyhémoglobine et de cyanu- te ou d’un cigare, peut disparaître lors de transformant les écarts de température
tes des séries américaines, est évoqué lors- médecine légale et d’anthropologie re », ajoute le professeur Quatrehomme. la carbonisation du corps, ce qui ajoute un en courant électrique. Cet effet
que certainesparties du corps sont retrou- médico-légale de l’université de Nice. Dans ce cas, « un handicap ou une alcoolé- peu plus au mystère. C’est l’extinction de thermoélectrique, bien connu, est même
vées réduites en cendres alors que mie élevée empêche la personne de fuir, la combustion qui survient de manière déjà utilisé mais avec des matériaux
d’autres sont préservées. Malgré l’absen- « Comme une bougie » d’appeler les secours ou d’éteindre le feu ». spontanée, au moment où la graisse vient comme le tellure de bismuth, assez
ce d’une source de chaleur évidente à Il s’agissait d’un homme de 57 ans, L’autopsie ou les antécédents médicaux à manquer. coûteux. Le nouveau matériau est un
proximité du cadavre, il ne reste souvent vivantseul, fumeuret alcoolique,se chauf- dela victimeconduisentlelégisteà conclu- A ce jour, reconnaît le professeur Qua- sandwich de couches plastiques
rien du thorax, de l’abdomen et du bassin, fant avec un poêle à bois. Ce qui restait du re, sans certitude, que la mort est due à une trehomme, « il est encore difficile d’expli- contenant des nanotubes de carbone qui
tandis que la tête, les bras, les mains, la corps gisait près d’une pile de journaux à crise cardiaque, une crise d’épilepsie ou quer comment se produit l’ouverture cuta- présente l’avantage d’être souple et sept
partie basse des jambes et les pieds sont peine jaunis, d’une chaise de paille en par- encore à un accident vasculaire cérébral. née par laquelle s’écoule la graisse humai- fois moins cher. Les chercheurs estiment
largement indemnes, les chaussettes et fait état et de bouteilles en plastique légè- Selon le docteur Cristian Palmiere, du ne. Nous manquons peut-être de travaux qu’en multipliant les couches, ils
les chaussures pouvant rester en parfait rement déformées. Les murs et le mobi- Centre universitaire romand de médecine expérimentaux pour démontrer la théorie pourraient prolonger de 20 % la charge
état ! Curieusement, l’environnement lier étaient recouverts de suie. De la grais- légale de Genève, « tout se passe comme si de l’“effet mèche” ». Sans doute aussi de d’une batterie de téléphone portable rien
immédiat de la victime calcinée est quasi- se humaine liquide se trouvait près du le corps brûlaitcomme unebougie, la grais- volontaires pour donner leur corps à la qu’avec la chaleur du corps.
ment intact. Surtout, il n’existe aucun corps calciné. Le taux d’alcoolémie de la se humaine étant la cire tandis que les vête- science. p > C. Hewitt et al., « Nano Letters », 8 février.
4. 4 0123
Samedi 3 mars 2012 SCIENCE & TECHNO événement
Lessciencescitoyennes
Les profanes jouent avec les experts
innovation
Physique,biologie ou encore environnement,l’implicationde citoyens curieux
dans de véritables projets scientifiquesaccélère les découvertes
David Larousserie siquelquesprojetsoùl’intelligencedu visi-
L
teur est requise. Recherche d’exoplanètes,
analysede la surfacelunaire, identification
a science est une activité trop de galaxies, décodage du chant des balei-
importante pour être laissée nes, reconstruction de températures du
aux seuls scientifiques. » Le passé… sont autant d’activités nécessitant
ton de la seconde conférence descapacitésd’analyse,devisualisation,de
internationale consacrée à la mémoire dans lesquelles l’humain sup-
«cyberscience citoyenne» est plantelamachine.Souventunephased’en-
donné ce jeudi 16 février, à Londres, dans traînement ou de tests précède l’explora-
un amphithéâtre d’une vénérable institu- tion réelle des données. Un système de
tionscientifique,l’Académieroyalede géo- points ajoute aussi parfois une dimension
graphie. La phrase, un brin provocante, a compétitive à l’expérience.
été prononcée par François Grey, un cher- Ainsi, le projet de reconstruction des
cheur globe-trotter ayant un pied à Genè- températures anciennes du globe deman-
ve, au CERN (Organisation européenne de aux internautes d’extraire des carnets
pour la recherche nucléaire), et un autre en de bord de la marine anglaise les informa-
Chine à l’université de Tsinghua. tions de type météorologique (températu-
En 200 9, il a contribué à créer le Centre re, vent, pression…) qui entreront ensuite
citoyen de cyberscience avec l’appui du dans une base de données. Les plus actifs
CERN, de l’université de Genève et des deviendront capitaine de ce navire.
Nationsunies.Ilest aussil’undes coorgani- « Le caractère ludique est important.
sateurs, avec l’University College de Lon- Pour un projet en astronomie, au bout de
dres, de cette manifestation qui a réuni dix images à analyser, je me suis ennuyé. A
plus de 100 personnes pendant trois jours la cinquantième, j’ai arrêté», témoigne un
et qui promet de chambouler la science, des participants à la conférence. Parfois la
l’éducation voire la société. récompense est plus concrète. Le projet de Vue tirée du jeu Foldit de repliement de protéines (ici d’origine bactérienne).
Mais que sont ces sciences citoyennes? recherche d’exoplanètes, Planet Hunters, FOLDIT
Le terme désigne un ensemble d’initiati- qui propose déjà une trentaine de candida-
ves, de projets qui transforment de sim- tes exoplanètes, fait des participants les mée du projet et de ces chercheurs en her- Aujourd’hui, changement d’échelle.
ples profanes, un tantinet curieux, en coauteurs de l’article scientifique relatant be. « Avec Foldit, les gens font plus qu’analy- Avec Evolution MegaLab, Jonathan Silver-
acteurs de la recherche dans des domaines ser des données. Ils proposent, explorent et town a réuni, grâce à des dizaines de mil-
aussi variés que l’astronomie, la botani- collaborent entre eux. Je n’aurais pas parié liers de bénévoles, les observations sur
que, la climatologie, la biologie moléculai- que ça marcherait. C’est un nouveau para- 3 000 escargots à bandes de la famille
re, les mathématiques, la chimie… Les citoyens retrouvent là les gestes digme», constate François Taddei, de l’uni- Cepaea nemoralis dont les couleurs peu-
Le mouvement a été lancé, en 1999, avec versité Paris-Descartes, orateur à Londres. vent trahir un changement de températu-
le projet Seti@home de recherche des tra- familiers des précurseurs «Foldit est aussi un excellent outil pour les re locale. Là aussi, cela a donné lieu à publi-
ces de communications extraterrestres étudiants, à condition de le modifier un cations. La chaîne de télévision Arte vient
dans des signaux radio. Le public donnedu des sciences participatives, peu. Ce jeu évite certains mots spécialisés, de lancer sur le Web, pour trois mois, le site
temps de calcul de son ordinateur pour quenousdevonsréintroduire, ajouteAntoi- Missionsprintemps,invitantà compterles
l’analyse des enregistrements. Même si les botanistes ou entomologistes ne Taly, de l’université de Strasbourg. versdeterre,débusquerleslézards,enregis-
pourl’instantlaquêteaétévaine,elleadon- D’autres notions pourraient bénéficier de trer le chant du coucou… En fait, c’est le
né des idées à d’autres. Les projets de calcul amateurs des XVIIIe et XIXe siècles cette pédagogie, bien différente des classi- domaine le plus bouillonnant de ces scien-
distribuéfourmillentpour trouverde nou- ques travaux pratiques où les élèves savent ces citoyennes. En anglais, on ne compte
veaux nombres premiers, découvrir la for- ce qu’ils doivent trouver.» plus les sites se terminant en « XXX wat-
me de molécules, simuler la circulation de ces découvertes (deux articles sont en sou- Une nouvelle catégorie de sciences cher» pour observer les chauves-souris,les
l’eau dans de minuscules tubes, compren- mission à des comités de lecture). citoyennes est également en plein essor. moineaux,lespapillons…Lavaleurajoutée
dre la forme de la Voie lactée… Les citoyens, En matière de production scientifique Elle utilise toutes les facilités apportées par citoyenne est évidente. Seuls, les cher-
en apportant, même passivement, leur réelle, l’exemple le plus connu est sans le Web ou les téléphones portables pour cheurs ne parviendraient pas à recueillir
pierre à l’édifice peuvent ainsi toucher à de conteste Foldit. Le but de ce jeu sérieux est échanger, collaborer ou visualiser des don- autant de données sur des espèces aussi
la science de haute volée. de comprendre le repliement des protéi- nées, mais tientà garderun pied dans lavie variées et sur des territoires aussi étendus.
L’engagement peut aller beaucoup plus nes dans l’espace, un problème capital réelle. Il s’agit de tous les projets dans les- Mais, depuis quelque temps, les petites
loingrâceauWeb,quifournitdessolutions pour saisir les fonctions de ces molécules quels les citoyens collectent des données mains veulent aller plus loin et faire leurs
de partage et de collaboration ergonomi- biologiques. En déplaçant des portions de ou font des mesures dans l’environne- propres mesures et statistiques. A la réu-
ques et peu chères. Le public peut doréna- la molécule, en ajoutant ou détruisant des ment. Ils retrouvent là les gestes familiers nion de Londres, un groupe a ainsi annon-
vant mettre aussi son cerveau réel, et pas liaisons, les participants essaient de résou- des précurseurs des sciences participati- célelancementd’uneapplicationdemesu-
seulement informatique, à disposition de dre ces casse-tête. Trois articles, dont l’un ves, les botanistes ou entomologistes ama- re du bruit ambiant pour téléphone porta-
lascience.LeportailZooniverserecenseain- dans la revue Nature, ont assis la renom- teurs des XVIIIe et XIXe siècles. ble. Comme un « concurrent» belge, le pro-
Un laboratoire de l’extrême
O
uah, je n’avais jamais vu évoquant un arbre, est « participa- fines.«Audébut,cessystèmesparal- phone avec GPS, émission des don-
un projet comme cela ! », tif » et toujours en évolution. lèles de mesure irritent les institu- nées et interface intuitive pour
se souvient Andrew « Il s’agit d’impliquer toujours tionslocales.Maisquandondémon- aider les populations à cartogra-
Clark,directeurdelapla- plus demonde et danstoujoursplus tre qu’on fait aussi bien que les phier leur environnement. Notam-
nification de la recherche de l’Uni- d’endroits. Le but n’est plus seule- experts, les rapports changent. ment pour situer les lieux sacrés,
versity College de Londres, en évo- ment d’utiliser les ressources J’adore ça! », sourit Muki Haklay. les ressources en eau, bois, nourri-
quant sa réaction lorsque Muki citoyennes pour collecter des don- ture…Lesystèmeestunoutildelut-
Haklay lui a présenté son idée de nées, mais aussi pour les analyser et « Conflits d’intérêts » te contre le braconnage car il per-
« laboratoire extrême de science développer de réelles synergies au Sa collègue, Louise Francis, a met de repérer les pièges ou les
citoyenne ». Quelques mois plus sein des communautés», explique contribué au lancement d’une arbres coupés illégalement. « Il y a
tard, devant la centaine de partici- Muki Haklay, le directeur d’une application pour smartphone ou parfoisdesconflitsd’intérêtscarcer-
pants au deuxième Congrès de équipe d’une quinzaine de person- tablette(AndroidouApple)permet- tains utilisateurs du système sont
cyberscience de Londres, ce der- nes, très interdisciplinaire (anthro- tantdemesureretlocaliserlesdéci- eux-mêmes des braconniers », a
nier est fier de montrer la vidéo de pologue, géographe, ingénieur, bels environnants ainsi que d’en expliqué Jerome Lewis lors de sa
son directeur pour le lancement informaticien…).«Lesjeunesbache- donneruneinterprétationsubjecti- présentation à la conférence.
officiel de ce laboratoire un peu liers d’aujourd’hui connaissent vesur la gêneoccasionnée.Ellediri- A la pratique, le groupe ajoute la
particulier. autantdemathématiquesetdephy- ge également une start-up associa- théorie.« Nousmettons au pointles
Malgré un intitulé ronflant, les sique que Newton! », clame ce cher- tive dont le but est d’aider quicon- méthodes et les outils pour permet-
chercheurs de ce groupe ne sont cheur enthousiaste. que à visualiser des données sur treàdescollectifsdefairedelascien-
pas des casse-cou ou des risque- A la parole, il peut déjà joindre des cartes. ce, y compris pour les non-experts.
tout de la science. Pour eux, les gestes. Pour impliquer les Jerome Lewis a, lui, été plus Nous travaillons aussi à définir les
« extrême » signifie un change- citoyens, il a lancé des campagnes « extrême». Cet anthropologue est méthodes pour évaluer ces projets. Mesure du bruit
ment d’échelle et d’ambition dans de mesure participative de bruit parti sur le terrain au Congo et au Et enfin nous espérons bâtir une avec l’application
le projet de science collaborative près d’un aéroport, puis dans des Cameroun. Avec les villageois, et science de la science participative», Widenoise.
qu’ils explorent en réalité depuis quartiers. Mais aussi pour la pollu- des équipementsélectroniques,il a égrène Muki Haklay. La boucle est LOUISE FRANCIS/EVERYAWARE
plusieurs années. Même le logo, tion à l’ozone ou aux particules mis au point une sorte de smart- bouclée. p D. L.
5. événement SCIENCE & TECHNO 0123
Samedi 3 mars 2012 5
Dispositif bricolé
de prises de vue aériennes
par ballon, à l’initiative
du groupe américain
Public Laboratory for Open
Technology and Science.
ZACH DENFELD/STEWART LONG
« L’“amatorat” peut
changer les relations
entre science et société »
D
ans nos mondes de plus participatives ou de critique de
en plus spécialisés, une sciences. Le philosophe Bernard
figureimprobableémer- Stiegler propose le terme d’« ama-
ge, l’amateur de science. torat » scientifique, pour éviter la
Jean-Marc Lévy-Leblond, profes- connotation dépréciative du mot
seur émérite de l’université de amateurisme. Cette notion, plus
Nice, revient sur ce phénomène positive,ouvrelavoie àune recons-
dans le dernier numéro de la revue truction de meilleurs rapports de
Alliage (culture-science-technique) la science et de la technologie avec
qu’il a coordonné autour de cette les profanes.
question. Mais, suivant les domaines, la
participation des amateurs à la
jet avait en fait commencé à l’invitation
d’associations de riverains d’aéroport ou
coup de logiciels proposés, mais certains
sont vraiment mauvais », explique Ellie Des idées Quelles sont les racines de ce
mouvement d’amateurs de
rechercheporteune certaineambi-
guïté. S’agit-il d’une implication
d’autoroute soucieux d’avoir des argu- D’Hondt,de l’Universitélibrede Bruxelles, science ? pluspousséedes citoyensdansl’ac-
ments à objecter aux experts officiels. Cela qui a passé beaucoup de temps à calibrer Jusqu’au XIXe siècle, cette ques- tivité scientifique ou d’un moyen
n’est pas sans rappeler la création, en Fran- son système. A la conférence, M. Silver- Boinc.berkeley.edu Logi- tion ne se posait pas ainsi puisque, de recruter à moindre frais des col-
ce, de la Criirad, pour proposer des mesu- town a insisté sur l’importance des tests ciel permettant de participer à d’une part, la science n’était pas laborateurs bénévoles?
res indépendantes de radioactivité dans d’identification sur ses escargots: un tiers une cinquantaine de projets en encore professionnalisée, et que,
l’environnement. La panoplie de capteurs des participants se trompent d’espèce ! calcul distribué. Environ d’autre part, les gens cultivés Qu’est-ce que cela peut apporter
faitsmainestdéjàbienrempliepourlapol- Même si les sciences citoyennes ne font 500000 ordinateurs concernés. étaient curieux de science, de aux sciences ou à la société ?
lution de l’air, le sulfure d’hydrogène, les pas progresser directement la recherche, musique, littérature ou peinture… La philosophe Isabelle Stengers
champs électromagnétiques, la radioacti- elles risquent de secouer le monde des Scistarter.com Un portail On pourrait même considérer verrait bien ces citoyens devenir
vité, les perturbateurs endocriniens… expertsetdel’éducation.«Lorsquel’onpré- recensant, en anglais, des dizai- comme des amateurs des savants alliés des chercheurs dans leur
Que ce soit pour prêter bénévolement sente des cartes géographiques avec des nes de projets dans une vingtai- tels que Lavoisier, collecteur des combat contre les marchands de
son ordinateur ou ses petites mains, ou données précises, on est pris au sérieux », ne de domaines. Une mine impôts qui monte son laboratoire doutesqui soutiennentle création-
bien pour s’impliquer dans des processus témoigne l’anthropologue Jerome Lewis à d’idées. de chimie personnel, le rentier nismeou la négationdu réchauffe-
plus collaboratifs de réflexions et d’ac- partir de son expérience en Afrique. Darwin ou le moine Mendel. ment climatique, par exemple. A
tions, toutes ces initiatives sont très inspi- Augmenter le niveau de connaissance www.xtribe.eu Une plate- Mais aujourd’hui que la recher- condition, comme je le pense éga-
rées par la philosophie des pionniers du et d’implication des citoyens ne peut que forme de jeux sociaux en ligne che scientifique est un métier à lement, que les chercheurs sortent
Web et de l’informatique, autour du parta- renforcer la qualité des échanges entre pour aider les sciences sociales. part entière, y a-t-il des amateurs plus de leur laboratoire. Cela sup-
ge, de la transparence ou de la collabora- scientifiquesprofessionnels,experts,pou- Fait partie d’un projet euro- en (et pas seulement de) science ? pose qu’ils commencent par
tion. D’une certaine manière, l’encyclopé- voirs publics ou privés. Les changements péen, Everyaware.eu, de recher- Le problème est celui de la relation mieux connaître la société, ce qui
die Wikipédia incarne aussi ces idéaux. En seront encore plus évidents pour l’éduca- che sur les sciences citoyennes. entre scienceet société: une activi- nécessite de profonds change-
anglais, on parle de « crowdsourcing », tion.« La technologieva très vite. La science té peut être considérée comme ments dans leur formation.
pour intelligence des foules. Autrement aussi. Mais l’éducation évolue plus lente- www.emsc-csem.org Sys- culturelle dès lors qu’il existe un Si le mouvement de science
dit, l’ensemble représente plus que la som- ment.Commepourles sciencesettechnolo- tème d’information sur les spectre continu de participants citoyenne peut avoir des vertus
medes parties. Tom Igoe,de l’universitéde gies, il devrait être possible de travailler en tremblements de terre auquel entre experts et profanes. Comme pédagogiques, ce n’est pas seule-
New York, a ainsi joliment résumé la cho- synergie et en collaboration dans l’éduca- les citoyens peuvent participer. en musique, où ce spectre s’étend mentau sens classique,des profes-
se : « Ce que l’on fait est moins important tion. L’intelligence collective bien canalisée Les connexions au site servent depuis les compositeurs d’avant- sionnels vers les profanes. Mais
que les relations que l’on crée.» peut nous faire progresser», estime Fran- aussi d’indicateur de séisme. gardejusqu’auxgratteursde guita- aussi dans l’autre sens : les pre-
Mais le succès de ces initiatives s’accom- çois Taddei, adepte des méthodes pédago- re. En science, en tout cas dans les miers doivent apprendre des
pagne également de quelques critiques. Le giques innovantes. www.edgeofexisten- sciences « lourdes», tel n’est pas le seconds. Les profanes ne sont pas
côté citoyen ferait presque oublier que, Les deux derniers jours de la conféren- ce.org/instantwild Site cas! Pourtant, l’apparition des ini- ignorants et incultes, des têtes
dans la plupart des cas, les idées viennent ce, les participants, comme pour montrer Web et application pour télé- tiatives de sciences citoyennes vides qu’il s’agirait de remplir.
d’en haut, des chercheurs eux-mêmes. La que les choses changent, sont descendus phone permettant d’aider à change la donne. Enfin, on peut espérer que ces
co-construction est pour l’instant rare. des estrades pour des remue-méninges identifier des espèces mena- Un exemple probant est le mouvements citoyens aident à
Dans le domaine médical, les associations autour d’une dizaine de défis. « Sauver les cées au Kenya, au Sri Lanka ou domaine de la recherche biomédi- répondre à la crise démocratique
de malades, notamment contre le sida ou hippocampes», « Hacker les mobiles pour en Mongolie, prises en photo cale, où les associations de mala- que nous vivons, en ouvrant large-
les myopathies, en sont cependant un l’école », « Mesurer la pollution avec un dans leur environnement. des du sida ou de myopathies ment au-delà des seuls experts le
exemple.Maisàl’inverse,àLondres,dejeu- œuf», « Combien y a-t-il de citoyens cher- jouent un rôle dans l’orientation choix des priorités, de l’organisa-
nes Allemands, bénévoles et adeptes du cheurs ? »… Dans un couloir, un partici- www.ispot.org.uk et le financement des recherches. tion et du financement de la scien-
calcul distribué, se sont fait signifier une pant interroge : « Est-ce qu’on pourrait Outil communautaire d’identi- ce. Instaurer des formes plus
fin de non-recevoir de la représentante de mesurer l’histoire d’un arbre en direct avec fication de poissons, champi- Que sont ces sciences citoyen- ouvertesde délibérationet de déci-
l’Unioneuropéennequantàl’accèsauxres- un capteur sans fil incrusté dans son écor- gnons, plantes, oiseaux… Le nes ? sion sur le développement de la
sources académiques de calcul pour ces ce ? » et ajoute : « Quelle batterie faudrait- site permet d’échanger sur ces La définition est encore floue, science est essentiel. L’« amato-
non-professionnels… il?» «Demandeàunastrophysicienspécia- sujets et de gagner des points caractéristique d’un mouvement rat » peut y aider. p
La qualité aussi est source d’interroga- liste ! », lui répond-on. A défaut d’arbre, de réputation pour devenir en émergence. On peut parler de Propos recueillis par
tions. « Dans la mesure du bruit, il y a beau- une graine est déjà plantée. p « expert». sciences citoyennes, de recherches D. L.