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Florian Brunner
Nicolas Sarkozy :
le Donald Trump
français

Les identités stratégiques
dans les Relations
Internationales
2
Florian Brunner
Nicolas Sarkozy :
le Donald Trump
français
Auteur
Président-Fondateur du Think Tank Europe et Démocratie,
Florian Brunner mène des travaux consacrés aux enjeux
européens, à l’analyse des questions internationales et de
gouvernance mondiale. Dans ce contexte, il organise et anime
de nombreuses Conférences, avec des organisations
partenaires, au Parlement Européen ou au Collège Doctoral
Européen à Strasbourg. Florian Brunner a réalisé de
nombreux Travaux d’étude et de prévision, dans le domaine
des Affaires Européennes et Internationales, à travers une
approche multidisciplinaire qui combine les niveaux local,
national et global.
SOMMAIRE
05 Un sarkozysme de politique
étrangère, un trumpisme à la française
06 Une politique étrangère opposée à
l’héritage chiraquien
07 Un alignement sur l’unilatéralisme
américain de George W. Bush
08 Le cadre atlantique comme seule
perspective multilatérale
10 La Libye, la satisfaction d’un
besoin de victoires immédiates
11 Le sarkozysme en politique
étrangère, un moment de malaise
stratégique
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
5
Nicolas Sarkozy, Président de la République française de 2007 à 2012, est
régulièrement au cœur de l’actualité, par la publication d’une série de livres
relatant sa vie politique et son exercice du pouvoir. A cette occasion, nous
pouvons analyser les éléments structurants de sa politique étrangère et la
manière dont ils ont organisé une tentative néo-conservatrice française, qui
rapproche solidement, même si il subsiste certaines nuances, son concepteur
de la réalité politique portée aujourd’hui par Donald Trump.
Un sarkozysme de politique étrangère, un
trumpisme à la française
L’ambition réformatrice de Nicolas Sarkozy ne s’articulait pas autour d’un
modèle établi et réfléchi. A force de vouloir s’appuyer sur la rapidité d’action et
des décisions véloces, à force de chercher l’obtention de wins fulgurants, à force
de tenter de frapper les esprits prématurément, Nicolas Sarkozy a laissé libre
cours à un exercice d’improvisation inadapté à un domaine extrêmement
sensible, qui exigeait une réelle et solide préparation. La politique étrangère
française s’inscrit dans un cadre hautement structuré et porte un héritage axé
sur une vision de long terme. La loi du court terme ne pouvait permettre la
genèse de la refondation affirmée par le sixième Président de la Vème
République. Il manquait au capitaine dans la tempête, une juste représentation
des enjeux, une vision claire des défis stratégiques du XXIème siècle et une
considération pour les grandes figures qui l’avaient précédé. Une contestation
quasi-systématique de la politique du prédécesseur, une diplomatie très
affairiste centrée sur les intérêts nationaux immédiats, une activité turbulente et
confuse sur la scène internationale, une absence de résultats solides et concrets,
une mise en scène excessivement personnalisée dérivant vers une politique
étrangère de téléréalité, une surabondance d’initiatives et d’incohérences,
représentent des particularités qui n’ont pas attendu Donald Trump, mais qui
étaient déjà à l’œuvre lors de la présidence Sarkozy. A bien des égards, Nicolas
Sarkozy peut se revendiquer comme étant un Trump français.
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
6
Avec le recul des années et l’expérience de la présidence Trump, nous pouvons
considérer que le sarkozysme de politique étrangère consistait en un trumpisme
à la française, prenant racines dans le néo-conservatisme américain. La volonté
initiale qu’avait eu Nicolas Sarkozy de confier les Affaires Etrangères et
européennes à Hubert Védrine, qui se situe à l’opposé des conceptions qui
seront mises en œuvre de 2007 à 2012, ne fait qu’illustrer une précipitation
opportuniste structurelle au sarkozysme qui ne s’inscrit pas dans un projet
politique de long terme, mais privilégie une action de mise en scène, favorisant
les brefs et minimes coups d’éclat, quitte à plonger dans une sérieuse confusion
stratégique.
Une politique étrangère opposée à l’héritage
chiraquien
La politique étrangère du Président français Nicolas Sarkozy fut marquée par
son imprévisibilité et a caractérisé une tentation néo-conservatrice française.
Comme Donald Trump qui était animé par la volonté de défaire l’héritage des
dirigeants qui l’avaient devancé, Nicolas Sarkozy se mettait en opposition par
rapport à un ordre considéré comme ancien, dans une posture de « rupture »
par rapport à son prédécesseur direct, Jacques Chirac, qui avait la particularité
d’être de la même famille politique. La « rupture » sarkozienne s’inscrivait donc
dans un exercice de mise en œuvre d’orientations inverses à la politique
antérieure, notamment dans le domaine de la politique étrangère. Jacques Chirac
s’était opposé à la guerre en Irak en 2003. Nicolas Sarkozy engagera un
rapprochement avec Washington et George W. Bush, tout en réintégrant la
France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009, en défiant ainsi le
socle gaullien, ce qui entraînera un long moment de perplexité stratégique
française, qui n’est toujours pas achevé. A l’heure d’une OTAN affaiblie et
déclinante, il est en effet particulièrement complexe de concevoir des
perspectives dans le cadre de cette alliance.
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
7
Nicolas Sarkozy fera le choix de la guerre en 2011 face à la Libye et son dictateur
Mouammar Kadhafi, en totale contradiction avec sa politique initiale de
rapprochement, qui s’était notamment caractérisée par la réception du despote
à Paris, en 2007, avec comme aboutissement espéré, la signature de nouveaux
contrats et donc d’un deal très trumpien. Nicolas Sarkozy par sa volonté d’initier
des actes de « rupture », y compris par rapport à lui-même, a rendu sa politique
étrangère prisonnière de ses incohérences, illisible et peu efficiente.
Paradoxalement, malgré les ambitions qui l’animait, le bilan en politique
étrangère de Nicolas Sarkozy apparaît comme dérisoire et sur certains aspects,
assez encombrant.
Un alignement sur l’unilatéralisme américain de
George W. Bush
Même si Nicolas Sarkozy affichait son volontarisme lors d’amples processus de
négociation, réalisés à l’échelle planétaire, il s’est également montré
extrêmement conciliant avec la mutation de la politique étrangère américaine,
opérée par George W. Bush qui avait notamment entraîné un démantèlement du
multilatéralisme, aujourd’hui pleinement assumé par Donald Trump. Ainsi le
Président français, par sa volonté d’un retour au sein de la « famille
occidentale », s’est totalement aligné sur l’unilatéralisme américain de George
W. Bush. L’intégration de la France de Nicolas Sarkozy, dans le système
multilatéral est donc ambivalente. Le Président français ne semble apprécier les
bienfaits du multilatéralisme que lorsqu’ils servent sa mise en scène personnelle
et l’affirmation d’une France First. En revanche, il ne porte aucune vision sur ce
sujet, aucune proposition de transformation et se replie dans une stratégie de
non contestation systématique de l’unilatéralisme de George W. Bush, auquel il
ne trouvera rien à redire et qu’il cautionnera avec la décision d’un retour de la
France dans le commandement intégré de l’OTAN.
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
8
Nicolas Sarkozy a associé un multilatéralisme sélectif situant la France aux avant-
postes illustres des Relations Internationales1, s’inscrivant pleinement dans un
héritage gaullien, avec une adhésion sans réserve à l’unilatéralisme américain,
en scission avec la politique du Général De Gaulle, s’imaginant sans doute que
ces deux approches se complèteraient et se renforceraient mutuellement. Mais
le leadership international de la France se nourrissait justement de sa marge
d’autonomie par rapport aux Etats-Unis. Si la France avait suivi cette évolution
dans la durée, elle serait aujourd’hui complètement rangée derrière les Etats-
Unis de Donald Trump, sans possibilité de réellement s’affirmer sur la scène
internationale, dans un étrange exercice d’hybridation entre participation au jeu
multilatéral et soumission aux injonctions du Président américain, notamment
par rapport à la Chine. En finalité, Nicolas Sarkozy en souhaitant rompre avec
l’héritage chiraquien, s’est révélé excessivement opportuniste et n’a pas été un
acteur résolu du multilatéralisme, mais davantage un activiste intéressé de la
suprématie américaine et de son expression unilatérale, ne se refusant pas non
plus à mettre en œuvre lui-même des pratiques de nature plus arbitraires. En
opérant des choix aussi avancés, Nicolas Sarkozy s’est positionné dans une
vision trumpiste des Relations Internationales.
Le cadre atlantique comme seule perspective
multilatérale
L’arrivée de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis en 2009, allait
désarçonner la stratégie de Nicolas Sarkozy, qui devait faire face à une figure
redoutablement charismatique, puissante et principalement habile dans la
mécanique multilatérale. Il reste donc une tentative de « rupture » néo-
conservatrice, qui sera écartée en fin de mandat par une stratégie de retour
partiel aux fondamentaux, à partir de février 2011, avec notamment l’arrivée
d’Alain Juppé au Quai d’Orsay.
1 CHARILLON Frédéric, La politique étrangère de la France, France, La Documentation française, 22/06/2011
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
9
La politique sarkozienne restera celle d’une proximité affirmée avec le monde
anglo-saxon et notamment le Royaume-Uni dans le cadre de l’intervention
militaire, sous égide de l’OTAN, en Libye, délaissant le partenaire historique
allemand et toute ambition pour une politique étrangère européenne. Le cadre
atlantique comme seule perspective multilatérale. Une représentation très
restreinte de la dynamique des Relations Internationales qui commençait alors à
s’amorcer, déterminée par l’achèvement d’un monde atlantico-centré. De tous
les Présidents de la Vème République, Nicolas Sarkozy est celui qui prendra le
plus de distance avec le socle gaullien, sous prétexte d’une meilleure
considération de l’efficacité et des résultats de la politique étrangère française.
Donald Trump manifestera la même focalisation sur l’efficience de la politique
étrangère américaine, sensée se démontrer par l’obtention de good deals et une
défense acharnée des intérêts des Etats-Unis, notamment économiques, ce qui se
traduira par le slogan America First. Nicolas Sarkozy ne doutait pas de l’America
First, il croyait en cette réalité et la défendait, tout en soutenant une stratégie de
France First dès que l’opportunité se présentait, ce qui porta atteinte à la
dynamique d’un projet européen alors nettement en panne, malgré la signature
du Traité de Lisbonne en 2007. Si nous pouvons évoquer un « gaullo-
mitterrandisme » en politique étrangère française et même un axe « De Gaulle -
Mitterrand - Chirac », du fait de l’existence de constantes, nous ne pouvons
associer le nom de Sarkozy à cette équation spécifique. Le sixième Président de
la Vème République aurait davantage sa place dans un circuit de pensée
stratégique « Bush - Sarkozy - Trump ». Alors qu’en 2020, l’Europe est
clairement en rupture à son tour avec le monde anglo-saxon, consécutivement à
l’expression de l’unilatéralisme maximal de Donald Trump et au départ du
Royaume-Uni de l’Union, cette parenthèse sarkozienne révèle ses principaux
points de faiblesse : définie à court terme, dans un rapport d’alliances hérité de
la guerre froide, la politique étrangère de Nicolas Sarkozy ne répondait pas aux
défis stratégiques du XXIème siècle. Une « rupture » vaine et inopérante, qui
aurait placé la France à contre-courant des grandes évolutions des Relations
Internationales, si elle avait été maintenue.
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
10
La Libye, la satisfaction d’un besoin de victoires
immédiates
Nicolas Sarkozy adhère à un rôle de gendarme du monde tenu par les Etats-Unis
et l’élargit au cercle atlantique. Il va même s’en servir, avec opportunisme et
empressement, pour obtenir ce qu’il considérait comme une victoire, qui
marquerait enfin un bilan qui était loin de présenter les résultats décisifs tant
annoncés. Cette tendance sarkozienne structurelle à la précipitation allait
conduire à la réalisation d’une intervention militaire qui aboutira à un regime
change et qui constituera une opération délégitimée, par l’apparition et le
maintien d’un contexte chaotique. Nicolas Sarkozy avait, comme George W.
Bush, oublié les préceptes de Clausewitz qui jugeait qu’il ne fallait pas
continuellement considérer l’issue générale d’une guerre comme un absolu2.
L’intervention initiale, sur la base de la résolution 1973 des Nations Unies et
pour protéger les populations civiles de la ville de Benghazi alors menacée de
représailles par le colonel Kadhafi, était parfaitement justifiée. Mais
l’impréparation stratégique, l’empressement général et l’absence d’une fin
politique clairement identifiée et négociée au-delà du cadre atlantique, ont
conduit les trois puissances occidentales (Etats-Unis, France, Royaume-Uni) à
franchir les limites de la mission première et à provoquer un changement de
régime, causé par la destitution puis la mort du colonel Kadhafi. La chute totale
d’un régime historiquement proche de la Russie, après la Serbie et l’Irak,
accomplie par le camp occidental, aura comme répercussion une résolution
affirmée de Moscou et Pékin à mettre fin aux interventions militaires, fondées
sur la rhétorique de la « guerre juste », ne servant, selon leur point de vue, qu’à
favoriser le renforcement des intérêts du camp occidental. La vision très
atlantiste du multilatéralisme portée par Nicolas Sarkozy se montrera
totalement inopérante dans le dossier libyen, engendrera un cycle de tensions et
même de compétition entre le pôle occidental et d’autres puissances comme la
Russie ou la Chine, ce qui affaiblira les processus diplomatiques et empêchera le
règlement de conflits majeurs, comme en Syrie et au Moyen-Orient.
2 « En définitive, il ne faut pas toujours considérer l’issue générale d’une guerre comme un absolu », Carl von
Clausewitz, De la Guerre, Livre Premier, Chapitre I
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
11
Le rôle d’une France restée fidèle au socle gaullien, aurait été de suivre sa
vocation stabilisatrice, de faire entendre une perception stratégique spécifique
et affinée, ainsi que de mener une action diplomatique permettant d’associer
tous les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, avec la Russie et
la Chine, pour ouvrir des perspectives politiques en Libye, dès lors que la
protection des populations civiles était assurée. Nicolas Sarkozy se contentera
d’afficher une victoire militaire, de surhausser son statut de « Chef de guerre »,
avant l’élection présidentielle de 2012. Une stratégie politique personnelle,
ajustée en fonction de la politique intérieure, comme aurait pu le faire Donald
Trump. Barack Obama regrettera en 2016, l’improvisation stratégique
occidentale et la déficience d’une vision de long terme, qui ont été à l’œuvre lors
de cette opération. Les conflits en Irak, en Afghanistan et en Libye sont
désormais considérés comme des fiascos ruineux. Cette perception largement
partagée dans les opinions publiques a persuadé Donald Trump de refuser le
principe même d’interventions militaires longues. Mais le Président des Etats-
Unis reste convaincu par le regime change. C’est ce qui a motivé sa politique de
pression maximale sur l’Iran, en espérant une victoire totale. Finalement cette
stratégie néo-conservatrice n’a pas atteint son objectif de faire tomber le régime
iranien et n’a fait que favoriser un risque de guerre permanent, particulièrement
périlleux, dans un contexte moyen-oriental considérablement troublé.
Le sarkozysme en politique étrangère, un moment
de malaise stratégique
Nicolas Sarkozy a conduit sa politique étrangère, comme un Président néo-
conservateur américain. Mais la confirmation depuis 1958 du principe de
« gaullo-mitterrandisme », c’est-à-dire d’une politique étrangère française
particulière, indépendante et donc émancipée, autant que possible, des États-
Unis, inscrivait la politique étrangère française dans une opposition affirmée au
néo-conservatisme. L’entreprise sarkozienne d’un néo-conservatisme à la
française, a dénaturé l’action de la France dans le monde et a ouvert un moment
de malaise stratégique.
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
12
La France n’avait pas comme vocation de reproduire la politique étrangère du
Royaume-Uni et c’est pourtant sur cette voie, que Nicolas Sarkozy a entraîné son
pays, de manière unilatérale, sans paraître accorder une grande attention aux
critiques formulées à l’encontre de ses orientations. Après 2012 et la défaite de
Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, son approche ne sera pas poursuivie
et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, consacrera le retour d’une
ligne plus gaullo-mitterrandienne. Le huitième Président de la Vème République
française tentera d’affirmer une action internationale autonome par rapport à
Washington sur l’Accord de Paris ou le nucléaire iranien, évoquera pour l’OTAN
un état de « mort cérébrale »3 et déclarera sur la situation libyenne : « Nous
avons collectivement plongé la Libye, depuis ces années, dans l’anomie, sans
pouvoir régler la situation » ou encore « l’idée qu’on règle la situation d’un pays
de façon unilatérale et militaire est une fausse idée »4. Donald Trump s’est établi
dans une mouvance néo-conservatrice américaine, fortement ancrée dans son
pays et en a personnalisé certains aspects. Le Président des Etats-Unis aura fait
entrer sa nation dans une période d’affrontement direct avec la Chine, ce qui
restera comme un choix stratégique fondamental, pour la politique étrangère
américaine5. Nicolas Sarkozy en se trompant sur la résilience d’un modèle
diplomatique français, s’est égaré dans un excédent d’initiatives et dans une
ambition réformatrice tout aussi excessive qu’insuffisamment pensée. Il en a
résulté une vaine tentative de copie de la politique néo-conservatrice
américaine, dont les Etats-Unis avaient connu une mise en œuvre avancée sous
la présidence de George W. Bush, ainsi qu’un engagement militaire en Libye qui
s’est révélé être une erreur stratégique sur le long terme. Aucune orientation
majeure ou aucun accomplissement fondateur.
3 « Emmanuel Macron warns Europe : NATO is becoming brain-dead », The Economist, Londres, 7 novembre
2019.
4 1er février 2018, Emmanuel Macron, à Tunis : « Nous avons collectivement plongé la Libye, depuis ces années,
dans l’anomie, sans pouvoir régler la situation ».
5 QUENCEZ Martin, « Le « trumpisme » en politique étrangère : vision et pratique », Politique étrangère, vol. 85,
n° 2, Eté 2020, p.73
NARDON Laurence, « Quelle politique étrangère américaine après 2020 ? », Politique étrangère, vol. 85, n° 2, Eté
2020, p.87
Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
13
Ce bilan contraste fortement avec celui de son prédécesseur, Jacques Chirac, qui
en restant dans la construction gaullo-mitterrandienne aura marqué avec force
son second mandat et se sera rapproché de la « suprême excellence » au sens où
l’entendait Sun Tzu6, en s’opposant à la guerre en Irak et au néo-conservatisme
de George W. Bush.
6 « Des victoires manifestes qui ne dépassent pas l’entendement humain ne dénotent pas la suprême excellence.
Triompher au combat et mériter les applaudissements de la foule, ce n’est pas l’art suprême. », Sun Tzu, L’Art de
la Guerre, Chapitre IV
14

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  • 1. 1 Florian Brunner Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français  Les identités stratégiques dans les Relations Internationales
  • 2. 2
  • 3. Florian Brunner Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français
  • 4. Auteur Président-Fondateur du Think Tank Europe et Démocratie, Florian Brunner mène des travaux consacrés aux enjeux européens, à l’analyse des questions internationales et de gouvernance mondiale. Dans ce contexte, il organise et anime de nombreuses Conférences, avec des organisations partenaires, au Parlement Européen ou au Collège Doctoral Européen à Strasbourg. Florian Brunner a réalisé de nombreux Travaux d’étude et de prévision, dans le domaine des Affaires Européennes et Internationales, à travers une approche multidisciplinaire qui combine les niveaux local, national et global.
  • 5. SOMMAIRE 05 Un sarkozysme de politique étrangère, un trumpisme à la française 06 Une politique étrangère opposée à l’héritage chiraquien 07 Un alignement sur l’unilatéralisme américain de George W. Bush 08 Le cadre atlantique comme seule perspective multilatérale 10 La Libye, la satisfaction d’un besoin de victoires immédiates 11 Le sarkozysme en politique étrangère, un moment de malaise stratégique
  • 6.
  • 7. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 5 Nicolas Sarkozy, Président de la République française de 2007 à 2012, est régulièrement au cœur de l’actualité, par la publication d’une série de livres relatant sa vie politique et son exercice du pouvoir. A cette occasion, nous pouvons analyser les éléments structurants de sa politique étrangère et la manière dont ils ont organisé une tentative néo-conservatrice française, qui rapproche solidement, même si il subsiste certaines nuances, son concepteur de la réalité politique portée aujourd’hui par Donald Trump. Un sarkozysme de politique étrangère, un trumpisme à la française L’ambition réformatrice de Nicolas Sarkozy ne s’articulait pas autour d’un modèle établi et réfléchi. A force de vouloir s’appuyer sur la rapidité d’action et des décisions véloces, à force de chercher l’obtention de wins fulgurants, à force de tenter de frapper les esprits prématurément, Nicolas Sarkozy a laissé libre cours à un exercice d’improvisation inadapté à un domaine extrêmement sensible, qui exigeait une réelle et solide préparation. La politique étrangère française s’inscrit dans un cadre hautement structuré et porte un héritage axé sur une vision de long terme. La loi du court terme ne pouvait permettre la genèse de la refondation affirmée par le sixième Président de la Vème République. Il manquait au capitaine dans la tempête, une juste représentation des enjeux, une vision claire des défis stratégiques du XXIème siècle et une considération pour les grandes figures qui l’avaient précédé. Une contestation quasi-systématique de la politique du prédécesseur, une diplomatie très affairiste centrée sur les intérêts nationaux immédiats, une activité turbulente et confuse sur la scène internationale, une absence de résultats solides et concrets, une mise en scène excessivement personnalisée dérivant vers une politique étrangère de téléréalité, une surabondance d’initiatives et d’incohérences, représentent des particularités qui n’ont pas attendu Donald Trump, mais qui étaient déjà à l’œuvre lors de la présidence Sarkozy. A bien des égards, Nicolas Sarkozy peut se revendiquer comme étant un Trump français.
  • 8. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 6 Avec le recul des années et l’expérience de la présidence Trump, nous pouvons considérer que le sarkozysme de politique étrangère consistait en un trumpisme à la française, prenant racines dans le néo-conservatisme américain. La volonté initiale qu’avait eu Nicolas Sarkozy de confier les Affaires Etrangères et européennes à Hubert Védrine, qui se situe à l’opposé des conceptions qui seront mises en œuvre de 2007 à 2012, ne fait qu’illustrer une précipitation opportuniste structurelle au sarkozysme qui ne s’inscrit pas dans un projet politique de long terme, mais privilégie une action de mise en scène, favorisant les brefs et minimes coups d’éclat, quitte à plonger dans une sérieuse confusion stratégique. Une politique étrangère opposée à l’héritage chiraquien La politique étrangère du Président français Nicolas Sarkozy fut marquée par son imprévisibilité et a caractérisé une tentation néo-conservatrice française. Comme Donald Trump qui était animé par la volonté de défaire l’héritage des dirigeants qui l’avaient devancé, Nicolas Sarkozy se mettait en opposition par rapport à un ordre considéré comme ancien, dans une posture de « rupture » par rapport à son prédécesseur direct, Jacques Chirac, qui avait la particularité d’être de la même famille politique. La « rupture » sarkozienne s’inscrivait donc dans un exercice de mise en œuvre d’orientations inverses à la politique antérieure, notamment dans le domaine de la politique étrangère. Jacques Chirac s’était opposé à la guerre en Irak en 2003. Nicolas Sarkozy engagera un rapprochement avec Washington et George W. Bush, tout en réintégrant la France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009, en défiant ainsi le socle gaullien, ce qui entraînera un long moment de perplexité stratégique française, qui n’est toujours pas achevé. A l’heure d’une OTAN affaiblie et déclinante, il est en effet particulièrement complexe de concevoir des perspectives dans le cadre de cette alliance.
  • 9. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 7 Nicolas Sarkozy fera le choix de la guerre en 2011 face à la Libye et son dictateur Mouammar Kadhafi, en totale contradiction avec sa politique initiale de rapprochement, qui s’était notamment caractérisée par la réception du despote à Paris, en 2007, avec comme aboutissement espéré, la signature de nouveaux contrats et donc d’un deal très trumpien. Nicolas Sarkozy par sa volonté d’initier des actes de « rupture », y compris par rapport à lui-même, a rendu sa politique étrangère prisonnière de ses incohérences, illisible et peu efficiente. Paradoxalement, malgré les ambitions qui l’animait, le bilan en politique étrangère de Nicolas Sarkozy apparaît comme dérisoire et sur certains aspects, assez encombrant. Un alignement sur l’unilatéralisme américain de George W. Bush Même si Nicolas Sarkozy affichait son volontarisme lors d’amples processus de négociation, réalisés à l’échelle planétaire, il s’est également montré extrêmement conciliant avec la mutation de la politique étrangère américaine, opérée par George W. Bush qui avait notamment entraîné un démantèlement du multilatéralisme, aujourd’hui pleinement assumé par Donald Trump. Ainsi le Président français, par sa volonté d’un retour au sein de la « famille occidentale », s’est totalement aligné sur l’unilatéralisme américain de George W. Bush. L’intégration de la France de Nicolas Sarkozy, dans le système multilatéral est donc ambivalente. Le Président français ne semble apprécier les bienfaits du multilatéralisme que lorsqu’ils servent sa mise en scène personnelle et l’affirmation d’une France First. En revanche, il ne porte aucune vision sur ce sujet, aucune proposition de transformation et se replie dans une stratégie de non contestation systématique de l’unilatéralisme de George W. Bush, auquel il ne trouvera rien à redire et qu’il cautionnera avec la décision d’un retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
  • 10. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 8 Nicolas Sarkozy a associé un multilatéralisme sélectif situant la France aux avant- postes illustres des Relations Internationales1, s’inscrivant pleinement dans un héritage gaullien, avec une adhésion sans réserve à l’unilatéralisme américain, en scission avec la politique du Général De Gaulle, s’imaginant sans doute que ces deux approches se complèteraient et se renforceraient mutuellement. Mais le leadership international de la France se nourrissait justement de sa marge d’autonomie par rapport aux Etats-Unis. Si la France avait suivi cette évolution dans la durée, elle serait aujourd’hui complètement rangée derrière les Etats- Unis de Donald Trump, sans possibilité de réellement s’affirmer sur la scène internationale, dans un étrange exercice d’hybridation entre participation au jeu multilatéral et soumission aux injonctions du Président américain, notamment par rapport à la Chine. En finalité, Nicolas Sarkozy en souhaitant rompre avec l’héritage chiraquien, s’est révélé excessivement opportuniste et n’a pas été un acteur résolu du multilatéralisme, mais davantage un activiste intéressé de la suprématie américaine et de son expression unilatérale, ne se refusant pas non plus à mettre en œuvre lui-même des pratiques de nature plus arbitraires. En opérant des choix aussi avancés, Nicolas Sarkozy s’est positionné dans une vision trumpiste des Relations Internationales. Le cadre atlantique comme seule perspective multilatérale L’arrivée de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis en 2009, allait désarçonner la stratégie de Nicolas Sarkozy, qui devait faire face à une figure redoutablement charismatique, puissante et principalement habile dans la mécanique multilatérale. Il reste donc une tentative de « rupture » néo- conservatrice, qui sera écartée en fin de mandat par une stratégie de retour partiel aux fondamentaux, à partir de février 2011, avec notamment l’arrivée d’Alain Juppé au Quai d’Orsay. 1 CHARILLON Frédéric, La politique étrangère de la France, France, La Documentation française, 22/06/2011
  • 11. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 9 La politique sarkozienne restera celle d’une proximité affirmée avec le monde anglo-saxon et notamment le Royaume-Uni dans le cadre de l’intervention militaire, sous égide de l’OTAN, en Libye, délaissant le partenaire historique allemand et toute ambition pour une politique étrangère européenne. Le cadre atlantique comme seule perspective multilatérale. Une représentation très restreinte de la dynamique des Relations Internationales qui commençait alors à s’amorcer, déterminée par l’achèvement d’un monde atlantico-centré. De tous les Présidents de la Vème République, Nicolas Sarkozy est celui qui prendra le plus de distance avec le socle gaullien, sous prétexte d’une meilleure considération de l’efficacité et des résultats de la politique étrangère française. Donald Trump manifestera la même focalisation sur l’efficience de la politique étrangère américaine, sensée se démontrer par l’obtention de good deals et une défense acharnée des intérêts des Etats-Unis, notamment économiques, ce qui se traduira par le slogan America First. Nicolas Sarkozy ne doutait pas de l’America First, il croyait en cette réalité et la défendait, tout en soutenant une stratégie de France First dès que l’opportunité se présentait, ce qui porta atteinte à la dynamique d’un projet européen alors nettement en panne, malgré la signature du Traité de Lisbonne en 2007. Si nous pouvons évoquer un « gaullo- mitterrandisme » en politique étrangère française et même un axe « De Gaulle - Mitterrand - Chirac », du fait de l’existence de constantes, nous ne pouvons associer le nom de Sarkozy à cette équation spécifique. Le sixième Président de la Vème République aurait davantage sa place dans un circuit de pensée stratégique « Bush - Sarkozy - Trump ». Alors qu’en 2020, l’Europe est clairement en rupture à son tour avec le monde anglo-saxon, consécutivement à l’expression de l’unilatéralisme maximal de Donald Trump et au départ du Royaume-Uni de l’Union, cette parenthèse sarkozienne révèle ses principaux points de faiblesse : définie à court terme, dans un rapport d’alliances hérité de la guerre froide, la politique étrangère de Nicolas Sarkozy ne répondait pas aux défis stratégiques du XXIème siècle. Une « rupture » vaine et inopérante, qui aurait placé la France à contre-courant des grandes évolutions des Relations Internationales, si elle avait été maintenue.
  • 12. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 10 La Libye, la satisfaction d’un besoin de victoires immédiates Nicolas Sarkozy adhère à un rôle de gendarme du monde tenu par les Etats-Unis et l’élargit au cercle atlantique. Il va même s’en servir, avec opportunisme et empressement, pour obtenir ce qu’il considérait comme une victoire, qui marquerait enfin un bilan qui était loin de présenter les résultats décisifs tant annoncés. Cette tendance sarkozienne structurelle à la précipitation allait conduire à la réalisation d’une intervention militaire qui aboutira à un regime change et qui constituera une opération délégitimée, par l’apparition et le maintien d’un contexte chaotique. Nicolas Sarkozy avait, comme George W. Bush, oublié les préceptes de Clausewitz qui jugeait qu’il ne fallait pas continuellement considérer l’issue générale d’une guerre comme un absolu2. L’intervention initiale, sur la base de la résolution 1973 des Nations Unies et pour protéger les populations civiles de la ville de Benghazi alors menacée de représailles par le colonel Kadhafi, était parfaitement justifiée. Mais l’impréparation stratégique, l’empressement général et l’absence d’une fin politique clairement identifiée et négociée au-delà du cadre atlantique, ont conduit les trois puissances occidentales (Etats-Unis, France, Royaume-Uni) à franchir les limites de la mission première et à provoquer un changement de régime, causé par la destitution puis la mort du colonel Kadhafi. La chute totale d’un régime historiquement proche de la Russie, après la Serbie et l’Irak, accomplie par le camp occidental, aura comme répercussion une résolution affirmée de Moscou et Pékin à mettre fin aux interventions militaires, fondées sur la rhétorique de la « guerre juste », ne servant, selon leur point de vue, qu’à favoriser le renforcement des intérêts du camp occidental. La vision très atlantiste du multilatéralisme portée par Nicolas Sarkozy se montrera totalement inopérante dans le dossier libyen, engendrera un cycle de tensions et même de compétition entre le pôle occidental et d’autres puissances comme la Russie ou la Chine, ce qui affaiblira les processus diplomatiques et empêchera le règlement de conflits majeurs, comme en Syrie et au Moyen-Orient. 2 « En définitive, il ne faut pas toujours considérer l’issue générale d’une guerre comme un absolu », Carl von Clausewitz, De la Guerre, Livre Premier, Chapitre I
  • 13. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 11 Le rôle d’une France restée fidèle au socle gaullien, aurait été de suivre sa vocation stabilisatrice, de faire entendre une perception stratégique spécifique et affinée, ainsi que de mener une action diplomatique permettant d’associer tous les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, avec la Russie et la Chine, pour ouvrir des perspectives politiques en Libye, dès lors que la protection des populations civiles était assurée. Nicolas Sarkozy se contentera d’afficher une victoire militaire, de surhausser son statut de « Chef de guerre », avant l’élection présidentielle de 2012. Une stratégie politique personnelle, ajustée en fonction de la politique intérieure, comme aurait pu le faire Donald Trump. Barack Obama regrettera en 2016, l’improvisation stratégique occidentale et la déficience d’une vision de long terme, qui ont été à l’œuvre lors de cette opération. Les conflits en Irak, en Afghanistan et en Libye sont désormais considérés comme des fiascos ruineux. Cette perception largement partagée dans les opinions publiques a persuadé Donald Trump de refuser le principe même d’interventions militaires longues. Mais le Président des Etats- Unis reste convaincu par le regime change. C’est ce qui a motivé sa politique de pression maximale sur l’Iran, en espérant une victoire totale. Finalement cette stratégie néo-conservatrice n’a pas atteint son objectif de faire tomber le régime iranien et n’a fait que favoriser un risque de guerre permanent, particulièrement périlleux, dans un contexte moyen-oriental considérablement troublé. Le sarkozysme en politique étrangère, un moment de malaise stratégique Nicolas Sarkozy a conduit sa politique étrangère, comme un Président néo- conservateur américain. Mais la confirmation depuis 1958 du principe de « gaullo-mitterrandisme », c’est-à-dire d’une politique étrangère française particulière, indépendante et donc émancipée, autant que possible, des États- Unis, inscrivait la politique étrangère française dans une opposition affirmée au néo-conservatisme. L’entreprise sarkozienne d’un néo-conservatisme à la française, a dénaturé l’action de la France dans le monde et a ouvert un moment de malaise stratégique.
  • 14. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 12 La France n’avait pas comme vocation de reproduire la politique étrangère du Royaume-Uni et c’est pourtant sur cette voie, que Nicolas Sarkozy a entraîné son pays, de manière unilatérale, sans paraître accorder une grande attention aux critiques formulées à l’encontre de ses orientations. Après 2012 et la défaite de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, son approche ne sera pas poursuivie et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, consacrera le retour d’une ligne plus gaullo-mitterrandienne. Le huitième Président de la Vème République française tentera d’affirmer une action internationale autonome par rapport à Washington sur l’Accord de Paris ou le nucléaire iranien, évoquera pour l’OTAN un état de « mort cérébrale »3 et déclarera sur la situation libyenne : « Nous avons collectivement plongé la Libye, depuis ces années, dans l’anomie, sans pouvoir régler la situation » ou encore « l’idée qu’on règle la situation d’un pays de façon unilatérale et militaire est une fausse idée »4. Donald Trump s’est établi dans une mouvance néo-conservatrice américaine, fortement ancrée dans son pays et en a personnalisé certains aspects. Le Président des Etats-Unis aura fait entrer sa nation dans une période d’affrontement direct avec la Chine, ce qui restera comme un choix stratégique fondamental, pour la politique étrangère américaine5. Nicolas Sarkozy en se trompant sur la résilience d’un modèle diplomatique français, s’est égaré dans un excédent d’initiatives et dans une ambition réformatrice tout aussi excessive qu’insuffisamment pensée. Il en a résulté une vaine tentative de copie de la politique néo-conservatrice américaine, dont les Etats-Unis avaient connu une mise en œuvre avancée sous la présidence de George W. Bush, ainsi qu’un engagement militaire en Libye qui s’est révélé être une erreur stratégique sur le long terme. Aucune orientation majeure ou aucun accomplissement fondateur. 3 « Emmanuel Macron warns Europe : NATO is becoming brain-dead », The Economist, Londres, 7 novembre 2019. 4 1er février 2018, Emmanuel Macron, à Tunis : « Nous avons collectivement plongé la Libye, depuis ces années, dans l’anomie, sans pouvoir régler la situation ». 5 QUENCEZ Martin, « Le « trumpisme » en politique étrangère : vision et pratique », Politique étrangère, vol. 85, n° 2, Eté 2020, p.73 NARDON Laurence, « Quelle politique étrangère américaine après 2020 ? », Politique étrangère, vol. 85, n° 2, Eté 2020, p.87
  • 15. Nicolas Sarkozy : le Donald Trump français 13 Ce bilan contraste fortement avec celui de son prédécesseur, Jacques Chirac, qui en restant dans la construction gaullo-mitterrandienne aura marqué avec force son second mandat et se sera rapproché de la « suprême excellence » au sens où l’entendait Sun Tzu6, en s’opposant à la guerre en Irak et au néo-conservatisme de George W. Bush. 6 « Des victoires manifestes qui ne dépassent pas l’entendement humain ne dénotent pas la suprême excellence. Triompher au combat et mériter les applaudissements de la foule, ce n’est pas l’art suprême. », Sun Tzu, L’Art de la Guerre, Chapitre IV
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