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Juriste de formation et diplômé en psychologie, Sébastien Dathané
travaille depuis de nombreuses années sur le problème de la décision.
Cadre dirigeant pendant quinze ans dans différentes structures
(organisation professionnelle, start-up, association), il est aujourd’hui
consultant, formateur et conférencier. Il intervient dans de nombreuses
écoles et universités et s’investit dans plusieurs structures en relation avec
le monde des PME/TPE.
Il peut être contacté à l’adresse : sebastien.dathane@maxima.fr
www.maxima.fr
Suivez-nous sur twitter@maximaediteur
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8, rue Pasquier, 75008 Paris.
Tél : + 33 1 44 39 74 00 – Fax : + 33 1 45 48 46 88
© Maxima, Paris, 2015.
EAN Epub : 978 2 81880 588 6
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour
tous pays.
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Sommaire
Sommaire
PRÉALABLE(S)
Ces si mystérieuses décisions…
Une brève incursion dans l’histoire de la décision
L’Homme, un décideur comme les autres ?
L’IMPORTANCE DU CONTEXTE
Sans contexte, pas de décision
Percevoir, c’est déjà décider
Attention à l’attention
Les règles du je(u) social
Vers une décision 2.0
Faire face à la complexité
LE DÉCIDEUR
La personnalité, facteur surestimé de la prise de décision
Est-il si libre, notre arbitre ?
À la recherche du bon scénario
Des décisions sous influence(s)
Naviguer sur un océan d’informations
Pourquoi ne pas perdre est mieux que gagner ?
Trop de choix tue le choix
Raison et émotion, la nécessaire cohabitation
L’intuition, puissant outil à destination des décideurs
L’esprit de corps du... corps et de l’esprit
Décider en mode Tribu
LA DÉCISION
La phase clé de la préparation
La boucle action-réaction
J’ai décidé, et après ?
Une mauvaise décision ?
Mieux décider demain
Remerciements
Ouvrages de référence
Citations
« Quand l’idée vient à l’esprit d’une décision à prendre, redoutable et
redoutée, les raisons aussitôt répondent aux raisons, et l’imagination
travaille dans le corps, en mouvements contrariés qui font un beau
tumulte. »1
Émile Chartier dit ALAIN
« Les natures actives et couronnées de succès n’agissent pas selon l’axiome
“connais-toi toi-même”, mais comme si elles voyaient se dessiner devant
elles le commandement : “Veuille être toi-même et tu seras toi-même.” –
La destinée semble toujours leur avoir laissé le choix ; tandis que les
inactifs et les contemplatifs réfléchissent, pour savoir comment ils ont fait
pour choisir une fois, le jour où ils sont entrés dans le monde. »2
Friedrich NIETZSCHE
1 Alain : Mars ou la guerre jugée. Les Passions et la Sagesse, Bibliothèque de
la Pléiade, Gallimard, 1960.
2 Friedrich NIETZSCHE : Humain, trop humain (1878-1879), Robert Laffont,
coll. Bouquins, 1990.
PRÉALABLE(S)
D
1.
Ces si mystérieuses décisions…
écider ! À la seule évocation de ce mot, une large palette d’émotions
remonte probablement à la surface. Une rapide plongée dans nos
souvenirs suffit à nous rappeler combien les moments marquants de notre
existence sont conditionnés par une décision originelle. Dans certains cas,
ce furent un saut vers l’inconnu, un choix à contre-courant ou l’opposition à
une figure d’autorité. Plus simplement, un court détour vers le joli petit
village en contrebas de la route principale a pu se révéler une magnifique
inspiration et a contribué à un complet changement de vie.
Les décisions forment en quelque sorte des branches sur lesquelles nous
bondissons au fur et à mesure de notre évolution personnelle. Certaines se
tiennent à quelques centimètres et s’attrapent sans le moindre effort ni la
moindre attention, quand d’autres obligent à plonger dans le vide et à vivre
cet instant à la fois attirant et effrayant où plus rien ne sera comme avant.
Qu’elles soient chevaleresques ou égoïstes, les décisions importantes ont
cela de spécial qu’elles se figent dans notre mémoire et creusent des
empreintes comme autant de reliefs qui façonnent ce que nous sommes
aujourd’hui. Plus que le résultat de nos actions, décider (ou ne pas décider)
est tout simplement l’acte qui nous définit en tant qu’individu. Décider,
c’est adhérer, se conformer ou bien s’opposer, s’insurger, se révolter...
C’est être ou ne pas...
C
2.
Une brève incursion
dans l’histoire de la décision
es dernières années, la prise de décision est devenue un thème à la
mode, notamment chez les Anglo-Saxons. Pour autant, cette question a
toujours fait l’objet d’intenses recherches6.
Accordons au Chinois Lao Tseu (-600 av. J.-C.) les premières réflexions
significatives sur le processus de décision, particulièrement dans son
approche du « non-agir ».
Un siècle plus tard, le Grec Aristote s’affirme comme le théoricien moderne
de la décision en développant une vision empirique de la connaissance
ainsi que le raisonnement déductif, encore très populaire de nos jours.
Vers -300 av. J.-C., Alexandre le Grand utilise la symbolique du nœud
gordien qu’il tranche avec son épée pour prouver la pertinence des coups
audacieux pour la résolution de problèmes difficiles. En franchissant le
fleuve Rubicon, Jules César (-49 av. J.-C.) nous confronte avec le risque dans
la prise de décision et son fameux alea jacta est – le sort en est...
« L
3.
L’Homme,
un décideur comme les autres ?
a différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux
supérieurs, aussi grande soit-elle, est certainement une différence
de degré et non de nature. »7 Rédigée en 1871, cette célèbre
formule de Charles Darwin provoque toujours d’intenses débats dans les
milieux scientifiques. Elle pose la question préliminaire de savoir si
l’Homme se positionne comme un décideur à part. Pour apporter une
réponse à cette intrigue chargée de polémiques, nous devons nous
entendre sur la conception qu’implique l’acte de décider.
• Décider : une action utilitariste
ou conditionnée par la morale ?
Au fond, décider relève t-il d’un processus de nature utilitariste ou faut-il y
voir la résultante d’une démarche morale ? Si la première approche est
retenue, les décisions prennent naissance dans l’action et tous les êtres
vivants sont concernés, tel un tournesol qui se tourne vers le soleil, un
arbre qui pousse plus haut que son voisin pour absorber la photosynthèse,
ou un serpent qui mord pour se défendre. La notion de vie suppose une
adaptation à un environnement donné, et des prises de décision. En
revanche, considérer la dimension morale ou déontologique comme
constitutive de l’acte de décider exclut de facto la totalité des espèces
vivantes à l’exception de l’Homme, seul représentant animal doté d’une
conscience suffisamment développée.
L’approche de type morale se révèle séduisante. Après tout, comme le
rappelle Blaise Pascal : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la
nature ; mais c’est un roseau pensant. »8 Grâce à une capacité sans
équivalent à acquérir de la connaissance (autrement appelée culture),
l’Homme se serait affranchi de sa nature animale et des lois universelles
qui en découlent, ce qui en ferait un décideur hors-norme. Là où les
animaux seraient pilotés par des comportements innés, l’Homme partirait
d’une page blanche et se construirait depuis sa petite enfance par le biais
d’un long processus d’apprentissage. Là, enfin, où les animaux...
L’IMPORTANCE DU CONTEXTE
L
4.
Sans contexte, pas de décision
Trois ans avant la naissance de Marc, Jacques, son futur père, se trouve au
restaurant avec ses amis rugbymans. De discussions enflammées en
tournées générales, il ne prête guère attention à Françoise, la jolie serveuse
en charge de sa table ce soir-là. De son côté, elle a bien repéré ce grand
gaillard qui ne pense qu’à revivre le match, forcément épique, auquel il vient
de participer. Jacques poursuit la soirée jusqu’à la fermeture du bar. Dehors,
en attendant son tramway, il retrouve Françoise et son visage vaguement
familier. Seul avec elle, sur le banc, son charme lui paraît soudainement
incroyable ; il décide d’engager la conversation. Est-elle devenue plus
séduisante depuis son service ou Jacques a-t-il évolué en cours de soirée ? Le
changement de contexte ressort clairement comme le principal responsable
de ces deux comportements sensiblement différents.
orsque vient le moment d’agir, décideur et environnement se partagent
les rôles : au premier le soin d’actionner le levier de la décision, au
second celui d’influer sur leurs résultats. Avec son sens de la formule
définitive, le dialoguiste et metteur en scène Michel Audiard poussait le
raisonnement encore plus loin : « Ce sont les événements qui décident, pas
les hommes. »15
• À la découverte
de la prise de décision naturaliste Placer le contexte au cœur du
processus de décision relève d’une démarche peu évidente ; elle est
pourtant très sérieusement étudiée par certains courants de recherche,
comme l’approche du « naturalistic decision making »16 qui nous invite à
relativiser notre influence sur les délibérations prises et positionne
l’écosystème comme un facteur-clé. Que l’on évoque le milieu ou ses
synonymes, il s’agit d’aborder ce que l’Encyclopédie Universalis définit
comme « (…) l’ensemble des conditions extérieures dans lequel se
développe et vit un être vivant ». Ces conditions extérieures ont trait à
l’espace-temps, aux paramètres matériels et humains, et à toutes les
forces cachées, plus ou moins incorporelles. Tous ces facteurs forment un
écosystème dans lequel est plongé le décideur. Ils l’influencent si
fortement qu’il peut être poussé à agir en dépit de ses intérêts, voire du
bon sens le plus basique. L’interaction fonctionne dans les deux
directions : le décideur influe en retour sur son environnement, jusqu’à
le modifier par ses initiatives, même les plus insignifiantes, telle
l’histoire-gag de cette peau de banane, négligemment jetée par la
fenêtre d’un véhicule, qui rencontrera dans quelques minutes la
trajectoire d’un malheureux cycliste.
Pendant une très longue partie de notre évolution, nos ancêtres bipèdes
n’avaient d’autres choix que de se conformer aux défis permanents
proposés par leur biotope. Depuis, nous avons produit et produisons
encore tant d’efforts pour nous extraire des contraintes
environnementales que nous pouvons jusqu’à en oublier leurs existences
et leurs rôles sur nos comportements. Décider sans tenir compte du
contexte revient à prendre la route de la plage sans consulter la météo qui
prévoit orage et gros coups de vent, ou à se garer sous un...
L
5.
Percevoir, c’est déjà décider
Marc a tout juste 3 mois. Il joue dans son lit avec un fascinant objet plein de
couleurs qui semble danser au-dessus de lui. Observons-le utiliser tous ces
sens pour interagir avec ce jouet ; l’ensemble de son corps participe : ses
yeux, impossibles à détacher de ce mouvement ; ses bras, ses jambes et sa
bouche tentent de saisir la marionnette folle pour donner à son ressenti une
dimension tactile. Le son de la cloche produit l’effet d’une symphonie
fantastique sur ce petit cerveau en construction. Pour Marc, cette babiole
représente la plus incroyable expérience polysensorielle du moment. Il ignore
simplement que cet objet, à l’apparence si réelle et attractive, sort
directement de la fabrique de son esprit.
Plus tard, après une mauvaise décision faisant suite à un jugement erroné,
Marc comprendra les mots du psychologue anglais, Chris Frith : « ma
perception n’est pas le monde mais le modèle du monde créé par mon
cerveau. »23
a question de la perception constitue un point essentiel dans la prise de
décision mais difficile à aborder. Imaginez que près de 500 pages se
révèlent nécessaires pour introduire une psychologie des perceptions24
aux multiples références en chimie, électricité, biologie, neurosciences,
etc. Le thème est complexe mais si incontournable que les cinq prochains
chapitres y sont consacrés, sous différents angles. La façon de percevoir
résulte de sept millions d’années d’évolution, depuis les premiers
hominidés jusqu’à l’Homme moderne. Pour l’essentiel de la communauté
scientifique, l’appareillage perceptif est resté, peu ou prou, bloqué au
stade de nos ancêtres cueilleurs-chasseurs. L’archaïsme de ce dispositif ne
l’empêche pas de figurer comme un acteur majeur dans le processus de
décision, à un point généralement sous-estimé. Devant une situation, ce
que nous percevons – ou pas – peut conduire à des choix aux antipodes les
uns des autres.
• Un système de perception extraordinaire, mais imparfait
Partons à la découverte de ce système de perception et de ses six capteurs
sensoriels. Une mission l’occupe à plein temps : transmettre les
informations délivrées par l’environnement. La vision, l’ouïe, le goût...
P
6.
Attention à l’attention
Marc a 3 ans. Il s’amuse dans le jardin, sous l’œil maternel de Françoise. Ses
premiers pas le poussent à partir à la conquête de ce nouveau monde. Tout
dans l’environnement semble propice à la quiétude ce matin ; le labrador
dort sagement sur la terrasse et la grille est fermée. Soudain, un coup de vent
fait voler le ballon jaune et rouge, jusqu’à présent immobile. Surpris, Marc
déplace son attention, alors concentrée sur sa peluche. Sans plus de
réflexion, il décide d’aller à la rencontre de ce ballon fou, et dans son élan,
marche sur la queue du chien endormi. Par un réflexe bien compréhensible, le
labrador sort de sa torpeur et se prépare immédiatement à se défendre en
mordant le malheureux. « Ce petit bonhomme est plutôt familier », se
souvient l’animal qui abandonne aussitôt l’idée de commettre l’irréparable.
Françoise assiste à la scène et se sent soulagée devant l’heureux
dénouement. Bien refroidie par cette fausse alerte, elle se promet de prêter
plus d’attention, à l’avenir.
ercevoir se rapporte à ces activités naturelles qui s’effectuent sans
effort d’attention particulier ; rares sont les occasions de s’en soucier.
Grave erreur ! La source de nombreux choix hasardeux provient d’une
mauvaise perception de l’environnement : « Je n’ai pas vu », « je n’ai pas
fait attention », « je n’ai pas entendu », « je n’ai pas senti le coup venir »,
etc. Qui ne s’est pas trouvé récemment à l’origine de ces explications,
faisant suite à un choix inapproprié. Dans le processus de décision,
l’attention jouit d’une place spécifique. Si elle intervient clairement en
amont, son influence reste tout à fait significative dans le résultat final ; en
fonction de l’attention portée sur tel aspect d’un problème, des solutions
très différentes pourraient survenir. Avec une règle de base relativement
simple sur le papier : les décisions importantes exigent une attention
accrue.
• Les secrets cachés
des « maîtres de l’attention »
Tout serait plus facile sans l’archaïsme de notre système d’allocation de
ressources cognitives. Doté d’une faible capacité, il nous oblige à
sélectionner avec soin les moments où nous devons faire preuve de
vigilance. Le cerveau arrive rapidement à un point de saturation lorsque
nous lui demandons d’accorder de la concentration à plusieurs stimuli à la
fois ou à une seule tâche pendant une durée conséquente. Pour la plupart
d’entre nous, la gestion de l’attention fait partie de ces défis quotidiens,
bien délicats à relever. Dès lors, nous observons avec une certaine
curiosité, et disons-le, avec une légère jalousie, ces individus pourvus
d’une excellente capacité de concentration. Tout leur semble plus facile et
résoudre une tâche un peu ardue s’apparente à une plaisante distraction. À
les voir évoluer avec une telle facilité devant des problèmes parfois
complexes, on comprend que la capacité d’attention figure comme une
composante clé dans la mesure de l’intelligence générale.
Illustrons le fonctionnement de ces maîtres de l’attention en suivant les
traces de Sherlock Holmes. Inventé par sir Conan Doyle, le célèbre
détective privé...
A
7.
Les règles du je(u) social
Marc a 6 ans. Il joue dans un bac à sable avec tout l’équipement récemment
offert par sa grand-mère. Absorbée par un roman, elle ne voit pas
s’approcher deux grands garçons de 8 ans qui, en un rien de temps,
embarquent le matériel tout neuf. À peine remis de ses émotions, Marc
comprend qu’il devra se renforcer physiquement à l’avenir pour éviter une
telle mésaventure.
Plusieurs années plus tard, Marc, devenu adulte, figure en bonne position
dans la « short list » pour prendre la place de son supérieur hiérarchique, en
partance pour une entreprise concurrente. Sur le papier, Marc connaît la
mission et a produit d’excellentes impressions dans tous ses postes
précédents. Son concurrent est, certes, moins compétent, physiquement plus
chétif aussi, il affiche néanmoins l’assurance des ambitieux assumés et un
sens inné du réseautage. À l’occasion d’un apéritif dînatoire, il réussit le tour
de force d’inviter le responsable des ressources humaines, pourtant rétif à
fréquenter personnellement ses équipes. En bon rationnel, Marc juge les
basses manœuvres de son concurrent comme un moyen grossier de gommer
la faiblesse « technique » de sa candidature. Marc pourrait bien déchanter ;
les règles du jeu social diffèrent du bac à sable : le plus « costaud » ne
triomphe pas toujours !
vec sept milliards d’habitants sur la planète et une urbanisation
supérieure à 50 %, la plupart des décisions produisent un effet direct ou
indirect au-delà de notre propre personne. De fait, nos vies sont tellement
imbriquées avec celles d’autres individus, familiers ou non, que nos actes
sont moins jugés sur leur efficacité en matière de survie que sur leur
compatibilité avec les règles spécifiques du milieu social. Pour autant, vivre
en société relève bien de ces aptitudes profondément ancrées dans l’ADN
de notre espèce. Au fil de leur lente évolution, nos ancêtres se sont
attachés à développer une vie sociale d’une extrême richesse, érigée tel un
rempart contre l’inhospitalité de l’environnement sauvage.
• La prise de pouvoir du « verbal »
sur le « corporel »
Pendant ces centaines de milliers d’années, la vie sociale s’appuyait sur un
certain nombre de prérequis, parfois oubliés aujourd’hui. Jadis, il était par
exemple impossible de communiquer et d’établir des liens sociaux sans se
trouver en présence physique des individus concernés. Les interactions
portaient moins sur le langage lui-même, comme les mots ou les
onomatopées, que sur sa dimension sensorielle. En d’autres termes, le «
verbal » ne constituait qu’un étage de la communication tout autant
construit sur le « paraverbal » (intonation et rythme de la parole) et le «
non verbal », communiqué par le corps. Le rôle de ce dernier se révélait
décisif : il contribuait à...
C
8.
Vers une décision 2.0
Marc se souvient très clairement des sorties familiales de son adolescence.
Son père emmenait régulièrement tout son petit monde à la découverte d’un
nouvel endroit à visiter. Dans les années 1970, il fallait être parfaitement
organisé lorsqu’on partait, avec toute la famille, dans une ville inconnue. À
l’époque, la technologie n’avait pas encore pénétré nos quotidiens ; le
premier téléphone portable à destination du grand public sortira des usines
de Motorala 12 ans plus tard. Pour cette raison, Jacques, le père de Marc,
convenait avec chacun d’une heure et d’un lieu de rendez-vous facile à
mémoriser quoi qu’il arrivât dans la journée.
Nous sommes maintenant en 2015. Marc décide de se rendre avec Sandra, sa
femme, dans une jolie station balnéaire. Sandra se trouve au volant, à la
recherche d’une hypothétique place de parking, quand une place se libère
dans une rue qu’il faudrait prendre en sens interdit. Marc suggère de
descendre pour la garder, le temps que Sandra le rejoigne. Devant une
situation d’une rare banalité, aucun des deux n’envisage un plan B, comme
le prévoyait naturellement son père à l’époque. Après tout, chacun dispose
de son propre téléphone portable et notre couple s’estime relié par ce fil
numérique, aussi discret qu’efficace. Tellement discret, ce compagnon, que
Marc oublie de le prendre en sortant de la voiture, ainsi que ses papiers ! Dix
minutes s’écoulent, bientôt vingt, Marc passe progressivement du statut de
citoyen recommandable, à celui de sans-papier. Finalement, après quarante-
cinq minutes, Sandra trouve le moyen de retrouver son chemin dans cette
ville aux sens uniques tortueux. Marc en est quitte pour une belle frayeur et
une réflexion à garder en mémoire : la technologie se révèle bien pratique... si
nous savons nous en passer.
omme Marc, beaucoup s’interrogent sur la place prise par la technologie
dans nos vies. Alors que pour nos lointains ancêtres, les considérations
de survie prenaient la forme de problématiques physiologiques
(s’alimenter, se protéger), le stress du quotidien de nombreux habitants de
la planète concerne plus le niveau de batterie du téléphone portable ou
l’accès à un réseau wifi. Plus généralement, cette saynète introductive
montre à quel point nous avons tendance à transférer différentes missions
sur la technologie, comme nous aider à nous mouvoir dans un
environnement inconnu.
• L’Homme et ses outils,
une (très) longue histoire d’amour
Historiquement, notre espèce a toujours développé une fascination pour
les outils de toutes sortes, considérés comme le prolongement du corps.
Grâce à eux, l’Homme a pu gommer une faiblesse physique manifeste pour
se défendre avec de plus en plus d’efficacité, puis attaquer, se loger,
s’habiller, etc. La manière dont l’Homme a façonné, siècle après siècle, des
bifaces de plus en plus spécifiques montre que, contrairement aux autres
animaux, il ne s’est jamais contenté de fabriquer un outil simplement
fonctionnel : il a cherché, sans relâche, à l’améliorer...
N
9.
Faire face à la complexité
Marc vient de fêter ses 13 ans. Il se prépare à suivre un cours de Sciences de
la Vie et de la Terre. La semaine précédente, l’enseignant avait annoncé
qu’une dissection de souris serait au programme. Cette perspective ne plaît
guère à Marc. S’il aime passer du temps à monter et démonter ses
maquettes d’avion ; un rongeur, c’est une autre histoire. Mis à part le fait de
travailler sur un être encore vivant quelques jours auparavant, notre
collégien s’inquiète de la procédure à adopter pour « remonter » le corps de
ce petit animal, une fois disséqué. Il imagine la tâche bien plus ardue que
celle de remplacer une aile d’un de ses avions de modélisme. Sans le savoir,
Marc s’initie à la complexité. Elle irradie tout, de la vie microscopique du plus
petit des rongeurs, jusqu’au fonctionnement de l’univers, et elle rend difficile
la compréhension de certaines situations.
Bien des années plus tard, Marc sera confronté directement aux effets de
cette complexité lorsqu’il sera sommé de trouver un autre travail et de
déménager de cette ville où il se sentait si bien ; conséquence inattendue,
mais bien réelle, d’une réorganisation de sa société australienne en passe
d’intégrer un conglomérat japonais. De retour à la maison, un peu dépité, il
peinera à expliquer à ses enfants comment un événement si éloigné de leur
quotidien peut, à ce point, générer de tels bouleversements dans leurs vies.
ous terminons ici notre première longue étape sur l’importance du
contexte dans la prise de décision. Tout au long des escales
précédentes, nous avons pu mesurer les changements d’environnement
auxquels l’Homme a dû faire face au cours de son évolution et leur
influence sur sa façon de décider. Le monde d’aujourd’hui impose ce
constat sans appel : il est mû par une incroyable complexité, avec laquelle
nous devons composer au quotidien.
• De la complication à définir la complexité
Complexité ? Ce terme est généralement confondu avec « compliqué » dont
il partage uniquement la première syllabe. Le compliqué renvoie à tout ce
qui peut se monter et démonter, et ce quel que soit le nombre d’éléments
en jeu. Construire un Airbus A380 est compliqué ; imprimer un journal,
aussi. Si une pièce se trouve défectueuse, la remplacer n’affecte en rien le
comportement de l’avion ou de la presse à imprimer. Avec la méthode, on
s’accommode sans trop de tracas de situations compliquées.
La complexité relève d’une autre typologie : elle « comporte des éléments
divers qu’il est difficile de démêler », précise le Larousse, insinuant que les
éléments eux-mêmes importent moins que les...
LE DÉCIDEUR
A
10.
La personnalité, facteur surestimé
de la prise de décision
Marc croise Vincent, un de ses amis d’enfance. Il a eu un mal fou à le
reconnaître, tant ce dernier semblait emprunté et, pour ainsi dire, éteint. Au
cours de leur rencontre, ils discutent de tout et de rien et se remémorent
l’époque où ils avaient tous les deux 7 ans. Ils formaient alors un duo
inséparable. Marc se souvient particulièrement de cette belle journée d’été
où les deux amis s’amusent près d’un chêne centenaire et se lancent le défi
de savoir qui arrivera le premier au sommet. Rapidement, Marc prend
l’ascendant et atteint le haut de l’arbre, fier de sa réussite. Nettement moins
à l’aise, Vincent abandonne et redescend la tête basse. Derrière l’assurance
de façade de Marc se cachait une appréhension peut-être plus forte encore
que celle de Vincent, mais celui-ci n’en a jamais rien su. Simplement, ce jour-
là, seul Marc prend la décision d’aller au bout. Quels sont ses ressorts
intérieurs ? Une figure familiale, adepte de la prise de risques ? La volonté
d’impressionner son compère ? Une ambition naissante ? Peu importe, Marc
aura grimpé jusqu’à la plus haute branche et seul ce résultat compte à cet
instant. La confiance aidant, il se dira plus tard qu’essayer au risque de
tomber vaudra toujours mieux que ne pas tenter l’expérience. Avec des
priorités divergentes, les deux amis d’enfance vont progressivement se
perdre de vue. Tout est parti de ce jour d’été ? La dynamique a peut-être été
alimentée par cette décision comme il est tout aussi probable que les
personnalités naissantes ont joué un rôle dans cette première décision.
u moment de délibérer, la personnalité du décideur est souvent jugée
déterminante ; parfois à tort car les influences diverses qui affectent le
processus décisionnel sont largement ignorées. Selon le contexte, un
individu au comportement habituellement à risque peut soudainement
agir avec d’infinies précautions, pendant qu’un pleutre patenté, entraîné
malgré lui dans une catastrophe, se révèle d’un héroïsme extraordinaire.
Ainsi sont assemblées nos person​nalités : une tendance marquée s’associe
avec son caractère opposé et l’ensemble forme un équipage paré à
provoquer de surprenantes décisions.
• Décision et personnalité : le paradoxe
de l’œuf et de la poule
Quiconque évoque la personnalité prend le risque d’affronter un concept
flottant avec une réalité à plusieurs visages. Il est assez rare de tomber sur
un individu doté d’une constitution claire et limpide. La plupart d’entre
nous expriment différents aspects de notre tempérament selon les
circonstances, et cela influe sur nos décisions. Néanmoins, nous disposons
d’une base assez stable dans le temps qui rend nos comportements
généralement cohérents et relativement prédictibles.
Si la personnalité influence sur la décision, le contraire se révèle tout aussi
exact. Les décisions vont contribuer à façonner la personnalité, dès le plus
jeune âge, comme dans le cas de la scène introductive avec Marc. On peut
penser que les choix...
D
11
Est-il si libre, notre arbitre ?
Marc vient d’avoir 17 ans et son baccalauréat scientifique avec mention. Il
doit décider de son orientation. Son diplôme et son cursus scolaire lui ouvrent
toutes les portes possibles, du commerce à l’ingénierie, en passant par les
sciences humaines. Comme son père et son grand-père maternel, Marc est
pourvu de la bosse des mathématiques, depuis sa plus tendre enfance. De
son propre avis, il y voit une part de génétique associée à l’influence de son
environnement familial à forte dominante scientifique. Partant de ce
présupposé, Marc se pose la question de sa future orientation ; décision
stratégique, surtout à un âge où une partie du cerveau n’est pas tout à fait
optimisée pour piloter les projets à long terme.
Après avoir pesé le pour et le contre, pris différents avis, il se dit que la
décision la plus rationnelle consisterait à suivre des études d’ingénieur. Le
choix de la raison, mais pas seulement. En agissant de la sorte, il prend la
même direction que son père et son grand-père, tous les deux brillants
ingénieurs. Marc poursuit l’héritage paternel et alimente les puissantes
influences familiales, pourtant généralement sous-estimées.
ans la prise de décision, la question posée par le libre arbitre dépasse
le simple cadre philosophique. Nous en sommes rarement conscients
mais décider et procéder à des choix totalement libres relèvent le plus
souvent d’une douce utopie. Le libre arbitre fait partie de ces concepts
insaisissables pour lesquels les définitions nous sont d’une aide toute
relative. Le Larousse, par exemple, définit le libre arbitre comme
l’aboutissement d’une « volonté non contrainte », évoquant l’idée d’un
choix, et surtout d’un choix fait en pleine conscience.
• Un concept exclusivement humain ?
Nous avons longtemps jugé cette inclinaison à choisir comme le propre de
l’Homme, raison pour laquelle nous y sommes très attachés pour justifier
de notre nature exceptionnelle. Pourtant, comme pour de nombreux
aspects, les frontières apparaissent floues et la différence entre le libre
arbitre « humain » et celui d’autres espèces vivantes est probablement de
l’ordre du degré, pour paraphraser la formule de Ch. Darwin. Peu
contestent l’idée que certains animaux s’appuient sur une conscience
relativement développée et, par conséquent, d’un libre arbitre minimum
quant à leurs décisions. Il suffit d’observer les organisations animales les
plus socialement complexes pour comprendre que les stratégies d’alliance
ou d’affrontement s’éloignent du seul déterminisme biologique. Chaque
animal paraît relativement libre de trouver des alliés ou d’affronter des
ennemis, et même de changer de camp en fonction des circonstances.
L’animal agit un peu...
« À
12.
À la recherche du bon scénario
Marc effectue un stage dans le cadre de sa première année d’ingénieur.
Récemment, il a commis une erreur dans l’application d’une procédure qui
aurait pu coûter cher à l’entreprise, comme le lui a fait remarquer Jean, son
maître de stage. Les jours suivants, Marc a constaté un changement de
comportement de son supérieur. Il est apparu moins souriant et plus
soucieux. Pour Marc, une seule certitude : Jean lui fait payer sa bévue. Afin
de finir son stage sur une bonne note, il se décide à redoubler d’efforts pour
effacer cette mauvaise impression.
Marc ignore que le changement de comportement de Jean est sans rapport
avec son erreur, largement digérée depuis. Jean a appris son licenciement et
il a voulu éviter de montrer son désarroi à ses collègues, et plus encore à son
stagiaire. Marc était loin d’imaginer un tel coup de tonnerre : il s’était arrêté
sur l’explication la plus probable qui, en l’occurrence, se révélait fausse.
vendre : chaussures bébé, jamais portées. »55 Ce bloc de six mots,
attribués (à tort) à Ernest Hemingway, démontre le pouvoir de
l’imaginaire dans la prise de décision. Six mots, que certains
qualifient de « roman le plus court du monde », pour déclencher une
avalanche de scénarios possibles, du plus rationnel au plus délirant. Les
chaussures étaient-elles trop petites ? Pas assez jolies ? En double ?
L’enfant décédé ? Handicapé ? Chez un de ces parents ? Enlevé par un
extra-terrestre ? On voit agir là ce mécanisme associatif qui, d’une simple
phrase, peut conduire à élaborer une histoire cohérente, à défaut d’être
exacte, comme le fait Marc dans la scène de départ. Des scénarios comme
celui-ci, nous en construisons en permanence pour comprendre le présent,
réécrire le passé ou imaginer l’avenir. Loin d’être une lubie, modéliser le
monde comme une histoire relève d’un besoin physiologique irrépressible
pour lequel chaque événement, chaque action, chaque stimulus qui arrive
à la conscience doit trouver une explication ou une attribution, si possible
simple et évidente.
• Un effet, une cause (ou peut-être plusieurs) Cette Loi universelle se
matérialise par le principe de causalité que l’on peut résumer ainsi : tout
effet demeure nécessairement le résultat d’une (ou plusieurs) cause (s)
et une même cause (ou groupe de causes) entraîne un même effet.
Connu depuis longtemps, les psychologues appellent ce mode de pensée
attribution causale, ou biais d’attribution. Son expérimentation la plus
évocatrice prend la forme d’une vieille vidéo de 1944, bricolée par deux
psychologues, Fritz Heider et Marianne Simmel56.
Heider and Simmel – An experimental study of apparent behaviour, 1944
https://www.youtube.com/watch?v=n9TWwG4SFWQ
Ce film nous entraîne dans une histoire où un méchant triangle poursuit un
cercle, manifestement apeuré. Si ces formes évoluent bel et bien devant
cet écran, elles le font de manière totalement aléatoire, appliquant un
comportement somme toute logique pour des objets sans âme ni
conscience. Pour autant, beaucoup d’entre nous se trouvent dans
l’incapacité de ne pas attribuer des émotions à ces formes de nature inerte.
Cette aptitude un peu incongrue figure en réalité comme un des plus
importants avantages sélectionnés par l’évolution pour faire face à un
milieu physique. L’attribution causale permet en effet de comprendre
l’environnement et de lire les intentions des uns et des autres – humains
ou pas. Une célèbre enseigne d’ameublement suédoise avait d’ailleurs
utilisé cette mécanique dans un film publicitaire racontant l’histoire d’une
lampe abandonnée sur le trottoir.
http://www.koreus.com/video/pub-ikea-lampe.html
L’habile mise en scène rend extrêmement difficile de ne pas ressentir de la
tristesse pour cet objet pourtant inerte57.
Sans cette manie à systématiquement attribuer une cause à un effet,
l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps. Combien de nos
ancêtres ont été sauvés en faisant le lien entre la plante qu’ils avaient
ingérée et la soudaine dégradation de leur état de santé ? Et combien de
nos aïeuls ont pu bénéficier de ce retour d’expérience par l’exceptionnelle
capacité de transmission de l’espèce ? Pourtant, appliqué dans le monde
d’aujourd’hui, en partie invisible et immense, ce module d’attribution
causale s’exprime de manière biaisée puisqu’il nous est simplement
impossible...
C
13.
Des décisions sous influence(s)
Marc a 23 ans. Il vient d’être élu président du bureau des élèves de son école
et doit constituer son équipe pour animer l’année universitaire à venir. Marc
apprécie beaucoup Clarisse, et pas seulement pour son dynamisme et sa
bonne humeur. Elle souffre cependant d’une réputation individualiste. Marc
voudrait l’intégrer, et il se demande si ce choix est commandé par ses
sentiments naissants, ou si Clarisse présente toutes les garanties pour
animer une telle association. Il s’interroge sur la meilleure façon de prendre
cette décision, sans être accusé d’avoir été influencé.
haque seconde, nous sommes sous l’influence de quelque chose :
l’humeur du moment, la sonnerie du téléphone chez le voisin, le week-
end passé, la température de la pièce, la présence de notre supérieur
hiérarchique, l’ordre de présentation des données... Ces quelques
exemples comptent parmi ces infinies petites et grandes variations
internes ou externes qui vont jouer sur le processus de décision. Même les
motivations sont source de confusion comme lorsque nous cédons à l’appât
d’une magnifique gourmandise tout en pensant à conserver notre ligne.
Depuis fort longtemps, personne ne fait plus grand cas du mythe du
décideur rationnel, 100 % objectif quant à ses choix. Au début du XXe
siècle, le spécialiste du comportement des foules, Gustave Le Bon, assurait
déjà « qu’une des sources les plus fréquentes d’erreur est de prétendre
expliquer par la raison des actes dictés par des influences affectives ou
mystiques. »73 En clair, nous agirions avec une volonté malléable en
fonction des circonstances. Parfois, seulement, nous pouvons faire fi des
influences. Le reste du temps, nous nous comportons telles des
marionnettes sous la coupe de puissants aimants (les influences),
incapables d’avancer dans le sens de notre projet initial.
• Le proche et le visible, facteurs d’emprises considérables sur le décideur
Prenons un facteur externe tout à fait commun comme le climat. Des
études ont démontré son influence sur la vente de certains types de
véhicules74. Au moment de se rendre chez le concessionnaire, si un
magnifique ciel bleu les accompagne sur le trajet, les acheteurs se
tourneraient plus naturellement vers les cabriolets. Le même trajet, sous
des conditions climatiques pluvieuses ou neigeuses, et voilà ces clients
plus attirés par les 4x4. Logique ? Sauf à considérer que ces achats portent
sur plusieurs années et que le beau ou mauvais temps du jour de
l’acquisition n’augure en rien de sa permanence. Que cette étude
s’appuie sur le climat s’avère anecdotique et il paraît assez facile de s’en
prémunir avec un minimum de précautions. Cependant, à bien y
regarder, les conditions météorologiques, et notamment la luminosité,
jouent sur l’activité de certains neurotransmetteurs comme la sérotonine
et, par voie de conséquence, sur le moral, lui-même acteur des décisions.
Le climat constitue un phénomène parmi d’autres sur un spectre plus large,
englobant ce qui relève du proche et du visible. De fait, nous décidons
beaucoup plus en fonction de la perception de l’environnement direct que
sur des informations plus...
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Décider dans un monde complexe - Sébastien Dathané

  • 1.
  • 2.
  • 3.
  • 4. Juriste de formation et diplômé en psychologie, Sébastien Dathané travaille depuis de nombreuses années sur le problème de la décision. Cadre dirigeant pendant quinze ans dans différentes structures (organisation professionnelle, start-up, association), il est aujourd’hui consultant, formateur et conférencier. Il intervient dans de nombreuses écoles et universités et s’investit dans plusieurs structures en relation avec le monde des PME/TPE. Il peut être contacté à l’adresse : sebastien.dathane@maxima.fr www.maxima.fr Suivez-nous sur twitter@maximaediteur Rejoignez-nous sur facebook.com/EditionsMaxima 8, rue Pasquier, 75008 Paris. Tél : + 33 1 44 39 74 00 – Fax : + 33 1 45 48 46 88 © Maxima, Paris, 2015. EAN Epub : 978 2 81880 588 6 Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Dessins de l’intérieur : Treety – fotolia.com
  • 5. Sommaire Sommaire PRÉALABLE(S) Ces si mystérieuses décisions… Une brève incursion dans l’histoire de la décision L’Homme, un décideur comme les autres ? L’IMPORTANCE DU CONTEXTE Sans contexte, pas de décision Percevoir, c’est déjà décider Attention à l’attention Les règles du je(u) social Vers une décision 2.0 Faire face à la complexité LE DÉCIDEUR La personnalité, facteur surestimé de la prise de décision Est-il si libre, notre arbitre ? À la recherche du bon scénario Des décisions sous influence(s) Naviguer sur un océan d’informations Pourquoi ne pas perdre est mieux que gagner ? Trop de choix tue le choix Raison et émotion, la nécessaire cohabitation L’intuition, puissant outil à destination des décideurs L’esprit de corps du... corps et de l’esprit Décider en mode Tribu LA DÉCISION La phase clé de la préparation La boucle action-réaction J’ai décidé, et après ? Une mauvaise décision ? Mieux décider demain Remerciements Ouvrages de référence
  • 6. Citations « Quand l’idée vient à l’esprit d’une décision à prendre, redoutable et redoutée, les raisons aussitôt répondent aux raisons, et l’imagination travaille dans le corps, en mouvements contrariés qui font un beau tumulte. »1 Émile Chartier dit ALAIN « Les natures actives et couronnées de succès n’agissent pas selon l’axiome “connais-toi toi-même”, mais comme si elles voyaient se dessiner devant elles le commandement : “Veuille être toi-même et tu seras toi-même.” – La destinée semble toujours leur avoir laissé le choix ; tandis que les inactifs et les contemplatifs réfléchissent, pour savoir comment ils ont fait pour choisir une fois, le jour où ils sont entrés dans le monde. »2 Friedrich NIETZSCHE 1 Alain : Mars ou la guerre jugée. Les Passions et la Sagesse, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1960. 2 Friedrich NIETZSCHE : Humain, trop humain (1878-1879), Robert Laffont, coll. Bouquins, 1990.
  • 8. D 1. Ces si mystérieuses décisions… écider ! À la seule évocation de ce mot, une large palette d’émotions remonte probablement à la surface. Une rapide plongée dans nos souvenirs suffit à nous rappeler combien les moments marquants de notre existence sont conditionnés par une décision originelle. Dans certains cas, ce furent un saut vers l’inconnu, un choix à contre-courant ou l’opposition à une figure d’autorité. Plus simplement, un court détour vers le joli petit village en contrebas de la route principale a pu se révéler une magnifique inspiration et a contribué à un complet changement de vie. Les décisions forment en quelque sorte des branches sur lesquelles nous bondissons au fur et à mesure de notre évolution personnelle. Certaines se tiennent à quelques centimètres et s’attrapent sans le moindre effort ni la moindre attention, quand d’autres obligent à plonger dans le vide et à vivre cet instant à la fois attirant et effrayant où plus rien ne sera comme avant. Qu’elles soient chevaleresques ou égoïstes, les décisions importantes ont cela de spécial qu’elles se figent dans notre mémoire et creusent des empreintes comme autant de reliefs qui façonnent ce que nous sommes aujourd’hui. Plus que le résultat de nos actions, décider (ou ne pas décider) est tout simplement l’acte qui nous définit en tant qu’individu. Décider, c’est adhérer, se conformer ou bien s’opposer, s’insurger, se révolter... C’est être ou ne pas...
  • 9. C 2. Une brève incursion dans l’histoire de la décision es dernières années, la prise de décision est devenue un thème à la mode, notamment chez les Anglo-Saxons. Pour autant, cette question a toujours fait l’objet d’intenses recherches6. Accordons au Chinois Lao Tseu (-600 av. J.-C.) les premières réflexions significatives sur le processus de décision, particulièrement dans son approche du « non-agir ». Un siècle plus tard, le Grec Aristote s’affirme comme le théoricien moderne de la décision en développant une vision empirique de la connaissance ainsi que le raisonnement déductif, encore très populaire de nos jours. Vers -300 av. J.-C., Alexandre le Grand utilise la symbolique du nœud gordien qu’il tranche avec son épée pour prouver la pertinence des coups audacieux pour la résolution de problèmes difficiles. En franchissant le fleuve Rubicon, Jules César (-49 av. J.-C.) nous confronte avec le risque dans la prise de décision et son fameux alea jacta est – le sort en est...
  • 10. « L 3. L’Homme, un décideur comme les autres ? a différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux supérieurs, aussi grande soit-elle, est certainement une différence de degré et non de nature. »7 Rédigée en 1871, cette célèbre formule de Charles Darwin provoque toujours d’intenses débats dans les milieux scientifiques. Elle pose la question préliminaire de savoir si l’Homme se positionne comme un décideur à part. Pour apporter une réponse à cette intrigue chargée de polémiques, nous devons nous entendre sur la conception qu’implique l’acte de décider. • Décider : une action utilitariste ou conditionnée par la morale ? Au fond, décider relève t-il d’un processus de nature utilitariste ou faut-il y voir la résultante d’une démarche morale ? Si la première approche est retenue, les décisions prennent naissance dans l’action et tous les êtres vivants sont concernés, tel un tournesol qui se tourne vers le soleil, un arbre qui pousse plus haut que son voisin pour absorber la photosynthèse, ou un serpent qui mord pour se défendre. La notion de vie suppose une adaptation à un environnement donné, et des prises de décision. En revanche, considérer la dimension morale ou déontologique comme constitutive de l’acte de décider exclut de facto la totalité des espèces vivantes à l’exception de l’Homme, seul représentant animal doté d’une conscience suffisamment développée. L’approche de type morale se révèle séduisante. Après tout, comme le rappelle Blaise Pascal : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. »8 Grâce à une capacité sans
  • 11. équivalent à acquérir de la connaissance (autrement appelée culture), l’Homme se serait affranchi de sa nature animale et des lois universelles qui en découlent, ce qui en ferait un décideur hors-norme. Là où les animaux seraient pilotés par des comportements innés, l’Homme partirait d’une page blanche et se construirait depuis sa petite enfance par le biais d’un long processus d’apprentissage. Là, enfin, où les animaux...
  • 13. L 4. Sans contexte, pas de décision Trois ans avant la naissance de Marc, Jacques, son futur père, se trouve au restaurant avec ses amis rugbymans. De discussions enflammées en tournées générales, il ne prête guère attention à Françoise, la jolie serveuse en charge de sa table ce soir-là. De son côté, elle a bien repéré ce grand gaillard qui ne pense qu’à revivre le match, forcément épique, auquel il vient de participer. Jacques poursuit la soirée jusqu’à la fermeture du bar. Dehors, en attendant son tramway, il retrouve Françoise et son visage vaguement familier. Seul avec elle, sur le banc, son charme lui paraît soudainement incroyable ; il décide d’engager la conversation. Est-elle devenue plus séduisante depuis son service ou Jacques a-t-il évolué en cours de soirée ? Le changement de contexte ressort clairement comme le principal responsable de ces deux comportements sensiblement différents. orsque vient le moment d’agir, décideur et environnement se partagent les rôles : au premier le soin d’actionner le levier de la décision, au second celui d’influer sur leurs résultats. Avec son sens de la formule définitive, le dialoguiste et metteur en scène Michel Audiard poussait le raisonnement encore plus loin : « Ce sont les événements qui décident, pas les hommes. »15 • À la découverte de la prise de décision naturaliste Placer le contexte au cœur du processus de décision relève d’une démarche peu évidente ; elle est pourtant très sérieusement étudiée par certains courants de recherche, comme l’approche du « naturalistic decision making »16 qui nous invite à relativiser notre influence sur les délibérations prises et positionne l’écosystème comme un facteur-clé. Que l’on évoque le milieu ou ses synonymes, il s’agit d’aborder ce que l’Encyclopédie Universalis définit
  • 14. comme « (…) l’ensemble des conditions extérieures dans lequel se développe et vit un être vivant ». Ces conditions extérieures ont trait à l’espace-temps, aux paramètres matériels et humains, et à toutes les forces cachées, plus ou moins incorporelles. Tous ces facteurs forment un écosystème dans lequel est plongé le décideur. Ils l’influencent si fortement qu’il peut être poussé à agir en dépit de ses intérêts, voire du bon sens le plus basique. L’interaction fonctionne dans les deux directions : le décideur influe en retour sur son environnement, jusqu’à le modifier par ses initiatives, même les plus insignifiantes, telle l’histoire-gag de cette peau de banane, négligemment jetée par la fenêtre d’un véhicule, qui rencontrera dans quelques minutes la trajectoire d’un malheureux cycliste. Pendant une très longue partie de notre évolution, nos ancêtres bipèdes n’avaient d’autres choix que de se conformer aux défis permanents proposés par leur biotope. Depuis, nous avons produit et produisons encore tant d’efforts pour nous extraire des contraintes environnementales que nous pouvons jusqu’à en oublier leurs existences et leurs rôles sur nos comportements. Décider sans tenir compte du contexte revient à prendre la route de la plage sans consulter la météo qui prévoit orage et gros coups de vent, ou à se garer sous un...
  • 15. L 5. Percevoir, c’est déjà décider Marc a tout juste 3 mois. Il joue dans son lit avec un fascinant objet plein de couleurs qui semble danser au-dessus de lui. Observons-le utiliser tous ces sens pour interagir avec ce jouet ; l’ensemble de son corps participe : ses yeux, impossibles à détacher de ce mouvement ; ses bras, ses jambes et sa bouche tentent de saisir la marionnette folle pour donner à son ressenti une dimension tactile. Le son de la cloche produit l’effet d’une symphonie fantastique sur ce petit cerveau en construction. Pour Marc, cette babiole représente la plus incroyable expérience polysensorielle du moment. Il ignore simplement que cet objet, à l’apparence si réelle et attractive, sort directement de la fabrique de son esprit. Plus tard, après une mauvaise décision faisant suite à un jugement erroné, Marc comprendra les mots du psychologue anglais, Chris Frith : « ma perception n’est pas le monde mais le modèle du monde créé par mon cerveau. »23 a question de la perception constitue un point essentiel dans la prise de décision mais difficile à aborder. Imaginez que près de 500 pages se révèlent nécessaires pour introduire une psychologie des perceptions24 aux multiples références en chimie, électricité, biologie, neurosciences, etc. Le thème est complexe mais si incontournable que les cinq prochains chapitres y sont consacrés, sous différents angles. La façon de percevoir résulte de sept millions d’années d’évolution, depuis les premiers hominidés jusqu’à l’Homme moderne. Pour l’essentiel de la communauté scientifique, l’appareillage perceptif est resté, peu ou prou, bloqué au stade de nos ancêtres cueilleurs-chasseurs. L’archaïsme de ce dispositif ne l’empêche pas de figurer comme un acteur majeur dans le processus de décision, à un point généralement sous-estimé. Devant une situation, ce que nous percevons – ou pas – peut conduire à des choix aux antipodes les uns des autres.
  • 16. • Un système de perception extraordinaire, mais imparfait Partons à la découverte de ce système de perception et de ses six capteurs sensoriels. Une mission l’occupe à plein temps : transmettre les informations délivrées par l’environnement. La vision, l’ouïe, le goût...
  • 17. P 6. Attention à l’attention Marc a 3 ans. Il s’amuse dans le jardin, sous l’œil maternel de Françoise. Ses premiers pas le poussent à partir à la conquête de ce nouveau monde. Tout dans l’environnement semble propice à la quiétude ce matin ; le labrador dort sagement sur la terrasse et la grille est fermée. Soudain, un coup de vent fait voler le ballon jaune et rouge, jusqu’à présent immobile. Surpris, Marc déplace son attention, alors concentrée sur sa peluche. Sans plus de réflexion, il décide d’aller à la rencontre de ce ballon fou, et dans son élan, marche sur la queue du chien endormi. Par un réflexe bien compréhensible, le labrador sort de sa torpeur et se prépare immédiatement à se défendre en mordant le malheureux. « Ce petit bonhomme est plutôt familier », se souvient l’animal qui abandonne aussitôt l’idée de commettre l’irréparable. Françoise assiste à la scène et se sent soulagée devant l’heureux dénouement. Bien refroidie par cette fausse alerte, elle se promet de prêter plus d’attention, à l’avenir. ercevoir se rapporte à ces activités naturelles qui s’effectuent sans effort d’attention particulier ; rares sont les occasions de s’en soucier. Grave erreur ! La source de nombreux choix hasardeux provient d’une mauvaise perception de l’environnement : « Je n’ai pas vu », « je n’ai pas fait attention », « je n’ai pas entendu », « je n’ai pas senti le coup venir », etc. Qui ne s’est pas trouvé récemment à l’origine de ces explications, faisant suite à un choix inapproprié. Dans le processus de décision, l’attention jouit d’une place spécifique. Si elle intervient clairement en amont, son influence reste tout à fait significative dans le résultat final ; en fonction de l’attention portée sur tel aspect d’un problème, des solutions très différentes pourraient survenir. Avec une règle de base relativement simple sur le papier : les décisions importantes exigent une attention accrue.
  • 18. • Les secrets cachés des « maîtres de l’attention » Tout serait plus facile sans l’archaïsme de notre système d’allocation de ressources cognitives. Doté d’une faible capacité, il nous oblige à sélectionner avec soin les moments où nous devons faire preuve de vigilance. Le cerveau arrive rapidement à un point de saturation lorsque nous lui demandons d’accorder de la concentration à plusieurs stimuli à la fois ou à une seule tâche pendant une durée conséquente. Pour la plupart d’entre nous, la gestion de l’attention fait partie de ces défis quotidiens, bien délicats à relever. Dès lors, nous observons avec une certaine curiosité, et disons-le, avec une légère jalousie, ces individus pourvus d’une excellente capacité de concentration. Tout leur semble plus facile et résoudre une tâche un peu ardue s’apparente à une plaisante distraction. À les voir évoluer avec une telle facilité devant des problèmes parfois complexes, on comprend que la capacité d’attention figure comme une composante clé dans la mesure de l’intelligence générale. Illustrons le fonctionnement de ces maîtres de l’attention en suivant les traces de Sherlock Holmes. Inventé par sir Conan Doyle, le célèbre détective privé...
  • 19. A 7. Les règles du je(u) social Marc a 6 ans. Il joue dans un bac à sable avec tout l’équipement récemment offert par sa grand-mère. Absorbée par un roman, elle ne voit pas s’approcher deux grands garçons de 8 ans qui, en un rien de temps, embarquent le matériel tout neuf. À peine remis de ses émotions, Marc comprend qu’il devra se renforcer physiquement à l’avenir pour éviter une telle mésaventure. Plusieurs années plus tard, Marc, devenu adulte, figure en bonne position dans la « short list » pour prendre la place de son supérieur hiérarchique, en partance pour une entreprise concurrente. Sur le papier, Marc connaît la mission et a produit d’excellentes impressions dans tous ses postes précédents. Son concurrent est, certes, moins compétent, physiquement plus chétif aussi, il affiche néanmoins l’assurance des ambitieux assumés et un sens inné du réseautage. À l’occasion d’un apéritif dînatoire, il réussit le tour de force d’inviter le responsable des ressources humaines, pourtant rétif à fréquenter personnellement ses équipes. En bon rationnel, Marc juge les basses manœuvres de son concurrent comme un moyen grossier de gommer la faiblesse « technique » de sa candidature. Marc pourrait bien déchanter ; les règles du jeu social diffèrent du bac à sable : le plus « costaud » ne triomphe pas toujours ! vec sept milliards d’habitants sur la planète et une urbanisation supérieure à 50 %, la plupart des décisions produisent un effet direct ou indirect au-delà de notre propre personne. De fait, nos vies sont tellement imbriquées avec celles d’autres individus, familiers ou non, que nos actes sont moins jugés sur leur efficacité en matière de survie que sur leur compatibilité avec les règles spécifiques du milieu social. Pour autant, vivre en société relève bien de ces aptitudes profondément ancrées dans l’ADN de notre espèce. Au fil de leur lente évolution, nos ancêtres se sont attachés à développer une vie sociale d’une extrême richesse, érigée tel un
  • 20. rempart contre l’inhospitalité de l’environnement sauvage. • La prise de pouvoir du « verbal » sur le « corporel » Pendant ces centaines de milliers d’années, la vie sociale s’appuyait sur un certain nombre de prérequis, parfois oubliés aujourd’hui. Jadis, il était par exemple impossible de communiquer et d’établir des liens sociaux sans se trouver en présence physique des individus concernés. Les interactions portaient moins sur le langage lui-même, comme les mots ou les onomatopées, que sur sa dimension sensorielle. En d’autres termes, le « verbal » ne constituait qu’un étage de la communication tout autant construit sur le « paraverbal » (intonation et rythme de la parole) et le « non verbal », communiqué par le corps. Le rôle de ce dernier se révélait décisif : il contribuait à...
  • 21. C 8. Vers une décision 2.0 Marc se souvient très clairement des sorties familiales de son adolescence. Son père emmenait régulièrement tout son petit monde à la découverte d’un nouvel endroit à visiter. Dans les années 1970, il fallait être parfaitement organisé lorsqu’on partait, avec toute la famille, dans une ville inconnue. À l’époque, la technologie n’avait pas encore pénétré nos quotidiens ; le premier téléphone portable à destination du grand public sortira des usines de Motorala 12 ans plus tard. Pour cette raison, Jacques, le père de Marc, convenait avec chacun d’une heure et d’un lieu de rendez-vous facile à mémoriser quoi qu’il arrivât dans la journée. Nous sommes maintenant en 2015. Marc décide de se rendre avec Sandra, sa femme, dans une jolie station balnéaire. Sandra se trouve au volant, à la recherche d’une hypothétique place de parking, quand une place se libère dans une rue qu’il faudrait prendre en sens interdit. Marc suggère de descendre pour la garder, le temps que Sandra le rejoigne. Devant une situation d’une rare banalité, aucun des deux n’envisage un plan B, comme le prévoyait naturellement son père à l’époque. Après tout, chacun dispose de son propre téléphone portable et notre couple s’estime relié par ce fil numérique, aussi discret qu’efficace. Tellement discret, ce compagnon, que Marc oublie de le prendre en sortant de la voiture, ainsi que ses papiers ! Dix minutes s’écoulent, bientôt vingt, Marc passe progressivement du statut de citoyen recommandable, à celui de sans-papier. Finalement, après quarante- cinq minutes, Sandra trouve le moyen de retrouver son chemin dans cette ville aux sens uniques tortueux. Marc en est quitte pour une belle frayeur et une réflexion à garder en mémoire : la technologie se révèle bien pratique... si nous savons nous en passer. omme Marc, beaucoup s’interrogent sur la place prise par la technologie dans nos vies. Alors que pour nos lointains ancêtres, les considérations de survie prenaient la forme de problématiques physiologiques
  • 22. (s’alimenter, se protéger), le stress du quotidien de nombreux habitants de la planète concerne plus le niveau de batterie du téléphone portable ou l’accès à un réseau wifi. Plus généralement, cette saynète introductive montre à quel point nous avons tendance à transférer différentes missions sur la technologie, comme nous aider à nous mouvoir dans un environnement inconnu. • L’Homme et ses outils, une (très) longue histoire d’amour Historiquement, notre espèce a toujours développé une fascination pour les outils de toutes sortes, considérés comme le prolongement du corps. Grâce à eux, l’Homme a pu gommer une faiblesse physique manifeste pour se défendre avec de plus en plus d’efficacité, puis attaquer, se loger, s’habiller, etc. La manière dont l’Homme a façonné, siècle après siècle, des bifaces de plus en plus spécifiques montre que, contrairement aux autres animaux, il ne s’est jamais contenté de fabriquer un outil simplement fonctionnel : il a cherché, sans relâche, à l’améliorer...
  • 23. N 9. Faire face à la complexité Marc vient de fêter ses 13 ans. Il se prépare à suivre un cours de Sciences de la Vie et de la Terre. La semaine précédente, l’enseignant avait annoncé qu’une dissection de souris serait au programme. Cette perspective ne plaît guère à Marc. S’il aime passer du temps à monter et démonter ses maquettes d’avion ; un rongeur, c’est une autre histoire. Mis à part le fait de travailler sur un être encore vivant quelques jours auparavant, notre collégien s’inquiète de la procédure à adopter pour « remonter » le corps de ce petit animal, une fois disséqué. Il imagine la tâche bien plus ardue que celle de remplacer une aile d’un de ses avions de modélisme. Sans le savoir, Marc s’initie à la complexité. Elle irradie tout, de la vie microscopique du plus petit des rongeurs, jusqu’au fonctionnement de l’univers, et elle rend difficile la compréhension de certaines situations. Bien des années plus tard, Marc sera confronté directement aux effets de cette complexité lorsqu’il sera sommé de trouver un autre travail et de déménager de cette ville où il se sentait si bien ; conséquence inattendue, mais bien réelle, d’une réorganisation de sa société australienne en passe d’intégrer un conglomérat japonais. De retour à la maison, un peu dépité, il peinera à expliquer à ses enfants comment un événement si éloigné de leur quotidien peut, à ce point, générer de tels bouleversements dans leurs vies. ous terminons ici notre première longue étape sur l’importance du contexte dans la prise de décision. Tout au long des escales précédentes, nous avons pu mesurer les changements d’environnement auxquels l’Homme a dû faire face au cours de son évolution et leur influence sur sa façon de décider. Le monde d’aujourd’hui impose ce constat sans appel : il est mû par une incroyable complexité, avec laquelle nous devons composer au quotidien. • De la complication à définir la complexité
  • 24. Complexité ? Ce terme est généralement confondu avec « compliqué » dont il partage uniquement la première syllabe. Le compliqué renvoie à tout ce qui peut se monter et démonter, et ce quel que soit le nombre d’éléments en jeu. Construire un Airbus A380 est compliqué ; imprimer un journal, aussi. Si une pièce se trouve défectueuse, la remplacer n’affecte en rien le comportement de l’avion ou de la presse à imprimer. Avec la méthode, on s’accommode sans trop de tracas de situations compliquées. La complexité relève d’une autre typologie : elle « comporte des éléments divers qu’il est difficile de démêler », précise le Larousse, insinuant que les éléments eux-mêmes importent moins que les...
  • 26. A 10. La personnalité, facteur surestimé de la prise de décision Marc croise Vincent, un de ses amis d’enfance. Il a eu un mal fou à le reconnaître, tant ce dernier semblait emprunté et, pour ainsi dire, éteint. Au cours de leur rencontre, ils discutent de tout et de rien et se remémorent l’époque où ils avaient tous les deux 7 ans. Ils formaient alors un duo inséparable. Marc se souvient particulièrement de cette belle journée d’été où les deux amis s’amusent près d’un chêne centenaire et se lancent le défi de savoir qui arrivera le premier au sommet. Rapidement, Marc prend l’ascendant et atteint le haut de l’arbre, fier de sa réussite. Nettement moins à l’aise, Vincent abandonne et redescend la tête basse. Derrière l’assurance de façade de Marc se cachait une appréhension peut-être plus forte encore que celle de Vincent, mais celui-ci n’en a jamais rien su. Simplement, ce jour- là, seul Marc prend la décision d’aller au bout. Quels sont ses ressorts intérieurs ? Une figure familiale, adepte de la prise de risques ? La volonté d’impressionner son compère ? Une ambition naissante ? Peu importe, Marc aura grimpé jusqu’à la plus haute branche et seul ce résultat compte à cet instant. La confiance aidant, il se dira plus tard qu’essayer au risque de tomber vaudra toujours mieux que ne pas tenter l’expérience. Avec des priorités divergentes, les deux amis d’enfance vont progressivement se perdre de vue. Tout est parti de ce jour d’été ? La dynamique a peut-être été alimentée par cette décision comme il est tout aussi probable que les personnalités naissantes ont joué un rôle dans cette première décision. u moment de délibérer, la personnalité du décideur est souvent jugée déterminante ; parfois à tort car les influences diverses qui affectent le processus décisionnel sont largement ignorées. Selon le contexte, un individu au comportement habituellement à risque peut soudainement agir avec d’infinies précautions, pendant qu’un pleutre patenté, entraîné malgré lui dans une catastrophe, se révèle d’un héroïsme extraordinaire.
  • 27. Ainsi sont assemblées nos person​nalités : une tendance marquée s’associe avec son caractère opposé et l’ensemble forme un équipage paré à provoquer de surprenantes décisions. • Décision et personnalité : le paradoxe de l’œuf et de la poule Quiconque évoque la personnalité prend le risque d’affronter un concept flottant avec une réalité à plusieurs visages. Il est assez rare de tomber sur un individu doté d’une constitution claire et limpide. La plupart d’entre nous expriment différents aspects de notre tempérament selon les circonstances, et cela influe sur nos décisions. Néanmoins, nous disposons d’une base assez stable dans le temps qui rend nos comportements généralement cohérents et relativement prédictibles. Si la personnalité influence sur la décision, le contraire se révèle tout aussi exact. Les décisions vont contribuer à façonner la personnalité, dès le plus jeune âge, comme dans le cas de la scène introductive avec Marc. On peut penser que les choix...
  • 28. D 11 Est-il si libre, notre arbitre ? Marc vient d’avoir 17 ans et son baccalauréat scientifique avec mention. Il doit décider de son orientation. Son diplôme et son cursus scolaire lui ouvrent toutes les portes possibles, du commerce à l’ingénierie, en passant par les sciences humaines. Comme son père et son grand-père maternel, Marc est pourvu de la bosse des mathématiques, depuis sa plus tendre enfance. De son propre avis, il y voit une part de génétique associée à l’influence de son environnement familial à forte dominante scientifique. Partant de ce présupposé, Marc se pose la question de sa future orientation ; décision stratégique, surtout à un âge où une partie du cerveau n’est pas tout à fait optimisée pour piloter les projets à long terme. Après avoir pesé le pour et le contre, pris différents avis, il se dit que la décision la plus rationnelle consisterait à suivre des études d’ingénieur. Le choix de la raison, mais pas seulement. En agissant de la sorte, il prend la même direction que son père et son grand-père, tous les deux brillants ingénieurs. Marc poursuit l’héritage paternel et alimente les puissantes influences familiales, pourtant généralement sous-estimées. ans la prise de décision, la question posée par le libre arbitre dépasse le simple cadre philosophique. Nous en sommes rarement conscients mais décider et procéder à des choix totalement libres relèvent le plus souvent d’une douce utopie. Le libre arbitre fait partie de ces concepts insaisissables pour lesquels les définitions nous sont d’une aide toute relative. Le Larousse, par exemple, définit le libre arbitre comme l’aboutissement d’une « volonté non contrainte », évoquant l’idée d’un choix, et surtout d’un choix fait en pleine conscience. • Un concept exclusivement humain ? Nous avons longtemps jugé cette inclinaison à choisir comme le propre de
  • 29. l’Homme, raison pour laquelle nous y sommes très attachés pour justifier de notre nature exceptionnelle. Pourtant, comme pour de nombreux aspects, les frontières apparaissent floues et la différence entre le libre arbitre « humain » et celui d’autres espèces vivantes est probablement de l’ordre du degré, pour paraphraser la formule de Ch. Darwin. Peu contestent l’idée que certains animaux s’appuient sur une conscience relativement développée et, par conséquent, d’un libre arbitre minimum quant à leurs décisions. Il suffit d’observer les organisations animales les plus socialement complexes pour comprendre que les stratégies d’alliance ou d’affrontement s’éloignent du seul déterminisme biologique. Chaque animal paraît relativement libre de trouver des alliés ou d’affronter des ennemis, et même de changer de camp en fonction des circonstances. L’animal agit un peu...
  • 30. « À 12. À la recherche du bon scénario Marc effectue un stage dans le cadre de sa première année d’ingénieur. Récemment, il a commis une erreur dans l’application d’une procédure qui aurait pu coûter cher à l’entreprise, comme le lui a fait remarquer Jean, son maître de stage. Les jours suivants, Marc a constaté un changement de comportement de son supérieur. Il est apparu moins souriant et plus soucieux. Pour Marc, une seule certitude : Jean lui fait payer sa bévue. Afin de finir son stage sur une bonne note, il se décide à redoubler d’efforts pour effacer cette mauvaise impression. Marc ignore que le changement de comportement de Jean est sans rapport avec son erreur, largement digérée depuis. Jean a appris son licenciement et il a voulu éviter de montrer son désarroi à ses collègues, et plus encore à son stagiaire. Marc était loin d’imaginer un tel coup de tonnerre : il s’était arrêté sur l’explication la plus probable qui, en l’occurrence, se révélait fausse. vendre : chaussures bébé, jamais portées. »55 Ce bloc de six mots, attribués (à tort) à Ernest Hemingway, démontre le pouvoir de l’imaginaire dans la prise de décision. Six mots, que certains qualifient de « roman le plus court du monde », pour déclencher une avalanche de scénarios possibles, du plus rationnel au plus délirant. Les chaussures étaient-elles trop petites ? Pas assez jolies ? En double ? L’enfant décédé ? Handicapé ? Chez un de ces parents ? Enlevé par un extra-terrestre ? On voit agir là ce mécanisme associatif qui, d’une simple phrase, peut conduire à élaborer une histoire cohérente, à défaut d’être exacte, comme le fait Marc dans la scène de départ. Des scénarios comme celui-ci, nous en construisons en permanence pour comprendre le présent, réécrire le passé ou imaginer l’avenir. Loin d’être une lubie, modéliser le monde comme une histoire relève d’un besoin physiologique irrépressible pour lequel chaque événement, chaque action, chaque stimulus qui arrive à la conscience doit trouver une explication ou une attribution, si possible
  • 31. simple et évidente. • Un effet, une cause (ou peut-être plusieurs) Cette Loi universelle se matérialise par le principe de causalité que l’on peut résumer ainsi : tout effet demeure nécessairement le résultat d’une (ou plusieurs) cause (s) et une même cause (ou groupe de causes) entraîne un même effet. Connu depuis longtemps, les psychologues appellent ce mode de pensée attribution causale, ou biais d’attribution. Son expérimentation la plus évocatrice prend la forme d’une vieille vidéo de 1944, bricolée par deux psychologues, Fritz Heider et Marianne Simmel56. Heider and Simmel – An experimental study of apparent behaviour, 1944 https://www.youtube.com/watch?v=n9TWwG4SFWQ Ce film nous entraîne dans une histoire où un méchant triangle poursuit un cercle, manifestement apeuré. Si ces formes évoluent bel et bien devant cet écran, elles le font de manière totalement aléatoire, appliquant un comportement somme toute logique pour des objets sans âme ni conscience. Pour autant, beaucoup d’entre nous se trouvent dans l’incapacité de ne pas attribuer des émotions à ces formes de nature inerte. Cette aptitude un peu incongrue figure en réalité comme un des plus importants avantages sélectionnés par l’évolution pour faire face à un milieu physique. L’attribution causale permet en effet de comprendre l’environnement et de lire les intentions des uns et des autres – humains ou pas. Une célèbre enseigne d’ameublement suédoise avait d’ailleurs utilisé cette mécanique dans un film publicitaire racontant l’histoire d’une lampe abandonnée sur le trottoir.
  • 32. http://www.koreus.com/video/pub-ikea-lampe.html L’habile mise en scène rend extrêmement difficile de ne pas ressentir de la tristesse pour cet objet pourtant inerte57. Sans cette manie à systématiquement attribuer une cause à un effet, l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps. Combien de nos ancêtres ont été sauvés en faisant le lien entre la plante qu’ils avaient ingérée et la soudaine dégradation de leur état de santé ? Et combien de nos aïeuls ont pu bénéficier de ce retour d’expérience par l’exceptionnelle capacité de transmission de l’espèce ? Pourtant, appliqué dans le monde d’aujourd’hui, en partie invisible et immense, ce module d’attribution causale s’exprime de manière biaisée puisqu’il nous est simplement impossible...
  • 33. C 13. Des décisions sous influence(s) Marc a 23 ans. Il vient d’être élu président du bureau des élèves de son école et doit constituer son équipe pour animer l’année universitaire à venir. Marc apprécie beaucoup Clarisse, et pas seulement pour son dynamisme et sa bonne humeur. Elle souffre cependant d’une réputation individualiste. Marc voudrait l’intégrer, et il se demande si ce choix est commandé par ses sentiments naissants, ou si Clarisse présente toutes les garanties pour animer une telle association. Il s’interroge sur la meilleure façon de prendre cette décision, sans être accusé d’avoir été influencé. haque seconde, nous sommes sous l’influence de quelque chose : l’humeur du moment, la sonnerie du téléphone chez le voisin, le week- end passé, la température de la pièce, la présence de notre supérieur hiérarchique, l’ordre de présentation des données... Ces quelques exemples comptent parmi ces infinies petites et grandes variations internes ou externes qui vont jouer sur le processus de décision. Même les motivations sont source de confusion comme lorsque nous cédons à l’appât d’une magnifique gourmandise tout en pensant à conserver notre ligne. Depuis fort longtemps, personne ne fait plus grand cas du mythe du décideur rationnel, 100 % objectif quant à ses choix. Au début du XXe siècle, le spécialiste du comportement des foules, Gustave Le Bon, assurait déjà « qu’une des sources les plus fréquentes d’erreur est de prétendre expliquer par la raison des actes dictés par des influences affectives ou mystiques. »73 En clair, nous agirions avec une volonté malléable en fonction des circonstances. Parfois, seulement, nous pouvons faire fi des influences. Le reste du temps, nous nous comportons telles des marionnettes sous la coupe de puissants aimants (les influences), incapables d’avancer dans le sens de notre projet initial. • Le proche et le visible, facteurs d’emprises considérables sur le décideur
  • 34. Prenons un facteur externe tout à fait commun comme le climat. Des études ont démontré son influence sur la vente de certains types de véhicules74. Au moment de se rendre chez le concessionnaire, si un magnifique ciel bleu les accompagne sur le trajet, les acheteurs se tourneraient plus naturellement vers les cabriolets. Le même trajet, sous des conditions climatiques pluvieuses ou neigeuses, et voilà ces clients plus attirés par les 4x4. Logique ? Sauf à considérer que ces achats portent sur plusieurs années et que le beau ou mauvais temps du jour de l’acquisition n’augure en rien de sa permanence. Que cette étude s’appuie sur le climat s’avère anecdotique et il paraît assez facile de s’en prémunir avec un minimum de précautions. Cependant, à bien y regarder, les conditions météorologiques, et notamment la luminosité, jouent sur l’activité de certains neurotransmetteurs comme la sérotonine et, par voie de conséquence, sur le moral, lui-même acteur des décisions. Le climat constitue un phénomène parmi d’autres sur un spectre plus large, englobant ce qui relève du proche et du visible. De fait, nous décidons beaucoup plus en fonction de la perception de l’environnement direct que sur des informations plus...