Mony Elkaïm est neuropsychiatre et professeur honoraire à l’université de Bruxelles. Il est l’un des fondateurs de l’association européenne de thérapie familiale qu’il a longtemps présidé, et préside désormais la Chambre des Instituts et Formations de cette association. Il est aussi l’auteur de nombreux livres dont « Si tu m’aimes, ne m’aime pas » et dirige la collection « Couleur psy » aux éditions du Seuil et forme des psychothérapeutes systémiques à Paris et à Genève.
AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des internes sont insatisfaits par leur formation en psychothérapie. Avez-vous une explication ?
M. Elkaïm : La formation en psychothérapie est quelque chose de distinct et qui, d’après moi, doit se surajouter à la formation en psychiatrie. Cela demande un travail sur soi, des supervisions et, en plus, un travail théorique et technique par rapport au domaine que l’on a choisi (psychanalytique, systémique ou autre). Cela demande du temps. Par exemple, dans le domaine des thérapies familiales, l’association européenne des thérapies familiales propose une formation qui dure au moins 4 ans. Il y a aussi un processus qui se passe pour l’étudiant qui évolue dans le travail de formation.
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Démographie médicale des anesthésistes réanimateurs proposition d'actions s...
Interview du pr elkaïm
1. Interview du Pr Elkaïm
Mony Elkaïm est neuropsychiatre et professeur honoraire à l’université de
Bruxelles. Il est l’un des fondateurs de l’association européenne de théra-pie
familiale qu’il a longtemps présidé, et préside désormais la Chambre
des Instituts et Formations de cette association. Il est aussi l’auteur de
nombreux livres dont « Si tu m’aimes, ne m’aime pas » et dirige la collec-tion
« Couleur psy » aux éditions du Seuil et forme des psychothérapeutes
systémiques à Paris et à Genève.
La chambre d’écoute
AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des
internes sont insatisfaits par leur formation en psychothérapie.
Avez-vous une explication ?
M. Elkaïm : La formation en psychothérapie est quelque
chose de distinct et qui, d’après moi, doit se surajouter à
la formation en psychiatrie. Cela demande un travail sur soi,
des supervisions et, en plus, un travail théorique et technique
par rapport au domaine que l’on a choisi (psychanalytique,
systémique ou autre). Cela demande du temps. Par exemple,
dans le domaine des thérapies familiales, l’association euro-péenne
des thérapies familiales propose une formation qui
dure au moins 4 ans. Il y a aussi un processus qui se passe
pour l’étudiant qui évolue dans le travail de formation.
AFFEP : Nous avons pourtant tous le titre de psychothé-rapeute
à la "n de notre internat. Quels conseils pouvez-vous
nous donner pour être formés au mieux durant notre
internat ?
M. Elkaïm : C’est intéressant car le décret du 20 mai 2010,
relatif à votre formation, parle surtout de la formation en psy-chopathologie
a!n de vous enseigner les critères de discer-nement
des grandes pathologies de la psychiatrie et ses
différentes théories et puis quand il aborde les différents cou-rants
en psychothérapie, c’est vraiment très léger. Ce n’est
pas en 6 mois de stage que les internes vont apprendre à
faire un travail sur eux. Dans l’état actuel, on forme des gens
qui seront de bons psychiatres certes, mais qui n’ont pas
d’approche véritable à la psychothérapie. Ce qui serait très
intéressant, ce serait de créer un tronc commun à tous les
internes avec l’apprentissage de, par exemple, 3 grands cou-rants
comme les approches psychanalytique, systémique
et comportementale. Puis, à partir de ces connaissances
solides de ce tronc commun, ils pourraient choisir une for-mation
en psychothérapie en plus de celle en psychiatrie.
Mais il est indispensable d’avoir ce tronc commun sérieux.
Pas seulement des lectures, mais aussi des conférences des
écoles des différents champs qui donnent des idées sur leur
méthode de travail. D’ailleurs, il y a aussi des approches
humanistes qui, même si elles n’ont pas fait de grandes
recherches démontrant leur efficacité, sont aussi
intéressantes.
AFFEP : Près de 25% des internes de 4ème année se forment
dans des instituts extra-universitaires. Qu’en pensez-vous ?
M. Elkaïm : Le problème avec les psychothérapies, c’est
que, d’après moi, on ne peut pas s’inscrire sans entretien
préalable sélectif. Par exemple, dans la formation que je
propose tant en France, qu’en Suisse ou en Belgique, je ne
garde qu’un tiers des gens qui se présentent car le psycho-thérapeute
n’est pas seulement quelqu’un qui veut apprendre
quelque chose, c’est aussi quelqu’un qui a des qualités
personnelles qui vont lui permettre de s’épanouir dans un
domaine spéci!que et être un bon psychothérapeute. Pour
moi, cette sélection est donc importante. Nous insistons sur
le travail fait sur le thérapeute car son vécu est, non seule-ment
quelque chose qui le renvoie à sa propre histoire, mais il
est aussi fonction du contexte dans lequel il vit. Le thérapeute
doit être quelqu’un qui se rend compte qu’il transforme les
contextes dans lesquels il travaille. Pour cela, il faut donc que
le futur thérapeute accepte cette ouverture, accepte d’être
aidé. Cela demande de la #exibilité. Et ce n’est pas tout le
monde qui a cette envie et qui peut le faire. Ceci explique
pourquoi il y a aussi peu de gens qui font une formation. Ce
n’est pas lié à la psychothérapie.
AFFEP : Pouvez-vous nous dire comment et pourquoi vous avez
choisi d’être psychothérapeute ?
M. Elkaïm : J’ai !ni mes études de médecine dans les an-nées
60. Quand j’ai commencé la psychiatrie, ce qui m’a
choqué est que l’on m’avait appris à faire des diagnostics,
à prescrire des médicaments mais on ne s’intéressait pas
vraiment à la thématique délirante. Ce qui m’intéressait était
de rechercher l’humanité du patient, de voir où est ce que
le patient puise ses forces et de découvrir si la thématique
Interview du Pr Widlöcher
L’autre question, qui est sans !n, était de savoir si la psycha-nalyse
devait faire partie de cela ou pas. Ceci dit, il y a deux
choses : on reconnaît que des psychologues peuvent être
considérés comme des psychothérapeutes, à condition que
l’on ne dise pas que la psychothérapie est l’affaire des psy-chologues
et pas des médecins. Parce que l’autre possibilité
serait de dire que la psychothérapie revient aux psychologues
à bas niveau de salaire, et les médecins prescrivent, voient
un patient toutes les dix minutes, et que l’on n’a pas besoin
de tant de psychiatres. Ce serait une catastrophe. Ce n’est
pas dans les textes, mais cela peut entrer dans la pratique.
La psychiatrie reste le fer de lance de la psychothérapie.
AFFEP : Est-ce que l’on ne risque pas d’aboutir à deux types de
psychiatrie, l’une avec des médecins psychothérapeutes, l’autre
avec des médecins prescripteurs ?
D. Widlöcher : Je ne sais pas parce que derrière il n’y a pas
d’actes de psychothérapie, donc le psychiatre quand il agit
appelle cela un acte, même s’il fait une psychothérapie. Ces
questions sont à surveiller dans les années à venir, car il va y
avoir une tentation très forte des pouvoirs publics, qui veulent
limiter les frais de la médecine, à encourager un petit nombre
de psychiatres prescripteurs et à laisser faire de la psycho-thérapie
ceux qui le veulent, car ce n’est pas remboursé.
AFFEP : Quels conseils donneriez-vous à des internes qui veulent
se former à la psychanalyse ?
D. Widlöcher : Un de ces jours, il faudra aller voir un psycha-nalyste
bon, compétent, honnête. Ensuite, dans le service,
trouver un bon clinicien qui vous aide, et puis lancez vous
dans une certaine pratique, suivez l’enseignement de notre
module dans le DES ; cette année, en première année de
notre module, on a deux ou trois internes inscrits. On aimerait
en avoir davantage.
AFFEP : Souhaiteriez-vous ajouter un dernier mot ?
D. Widlöcher : Une question qui ne concerne pas la forma-tion
aux psychothérapies. Une des objections qui est faite
par les psychanalystes est que la thérapie devrait être faite
par quelqu’un qui a la pratique de la psychanalyse. Certains
de mes collègues me reprochent de faire de la psychanalyse
à bon marché. Il faut expliquer que cette pratique-là n’est pas
une pratique à prix réduits, mais que c’est une autre pratique
que la psychanalyse proprement dite, tout en restant inspirée
fondamentalement par l’esprit psychanalytique. C’est notre
travail sur le plan théorique de faire respecter cette position.
L’Association Psychanalyse Et Psychothérapies (APEP) est
une association loi 1901, indépendante des institutions psy-chanalytiques
et des universités, fondée par D. Widlöcher et
présidée actuellement par J.-F. Allilaire, son secrétaire général
est le docteur A. Braconnier (Centre de santé mentale Phi-lippe
Paumelle 75013). L’Association organise un cycle de
formation pour les jeunes praticiens psychiatres qui désirent
approfondir une pratique en psychothérapie psychanaly-tique,
la condition qui leur est demandée est d’avoir pour
eux-mêmes une certaine expérience de la psychanalyse.
Des renseignements complémentaires peuvent être donnés
(écrire au Dr Braconnier).
Propos recueillis par
Ilan Attyasse et Aude van Effenterre
14 15
2. Interview du Pr Elkaïm Interview du Pr Elkaïm
« Quel est le lien entre mon histoire et mon
irritation ? », l’approche systémique va dire : « Quelle
est l’utilité pour ces personnes que je sois irrité contre
elles ? Dans quelle mesure, ceci ne renforce-t-il pas leurs
croyances ? ». Pour ce travail, il faut que l’étudiant soit
capable d’analyser son vécu, accepte de s’ouvrir, de
s’exposer. On peut être psychiatre, faire de la recherche et
être brillant sans forcément se diriger vers la psychothérapie.
Il faut avoir la ‚bre pour cela.
AFFEP : En même temps, est-ce que toute relation médecin-ma-lade
ou tout entretien avec un patient n’est pas d’une certaine
façon psychothérapeutique ?
M. Elkaïm : Oui, absolument. Il est clair qu’à partir du mo-ment
où il y a une rencontre avec l’autre, que je ne répète
pas avec le patient ce qu’il connaît déjà, que je lui propose
quelque chose de différent pour le faire avancer, c’est psy-chothérapeutique.
Le généraliste qui aide l’autre à chan-ger
dans ce qu’il lui propose et est respectueux et ouvert,
même sans formation particulière est en train d’appliquer
une approche psychothérapeutique. On peut d’ailleurs
imaginer que tout médecin peut faire un travail de formation
de soi pour mieux se rendre compte des enjeux dans les-quels
il est fréquemment plongé.
AFFEP : Donc même si l’interne a ces qualités nécessaires, il
faut une formation pratique aux entretiens ?
M. Elkaïm : Oui, c’est là que ça devient important d’être
capable de s’ouvrir à un groupe, d’oser dire des choses qui
peuvent être douloureuses. C’est pour cela que la sélection
du groupe est très importante. Chacun doit offrir au groupe
quelque chose qui doit servir aux autres. Il m’arrive de ren-contrer
des étudiants brillants mais qui n’ont pas assez la
capacité d’appartenir à un groupe de soutien où l’on peut
s’ouvrir en sécurité.
AFFEP : Vous accordez donc une place importante à la
supervision ?
M. Elkaïm : Pour moi, la supervision ce n’est pas seulement
l’aspect technique mais c’est aussi être vigilant à la victime
du psychiatre dans une thérapie et à ce qui peut le bloquer.
Le jeune psychiatre va rarement proposer à la supervision
quelque chose qui marche bien. L’art du formateur est
d’accepter que l’étudiant ne peut pas trouver les liens entre
son histoire et sa situation clinique avec le patient tout en
l’aidant à le découvrir. Il faut également trouver ce qui fait
que ce patient, ce couple, cette famille a ampli‚é ces
éléments chez le thérapeute. Il y a un tableau « La chambre
d’écoute » de Magritte où l’on voit une pomme qui est
tellement grande qu’elle occupe toute une chambre.
Selon moi, le vécu du thérapeute est comme une petite
pomme mais, dans le contexte « thérapie », cette pomme
s’ampli‚e jusqu’à occuper la chambre entière. Ce qui veut
dire que ce qui bloque n’est pas réductible au thérapeute,
c’est lié à sa sensibilité qui a été ampli‚ée par la fonction que
ce vécu a pour le patient, le vécu du thérapeute non analysé
va alors permettre à la famille de ne pas avoir à changer ses
convictions, de ne pas avoir à s’exposer, de maintenir ses
croyances.
La base de mon approche est que le chat échaudé craint
l’eau froide et que les êtres humains, à partir d’un certain
nombre d’expériences négatives, ont créé des sortes de
croyances. « Mes parents ne m’ont pas écouté, je ne peux
pas être écouté ». La conséquence est que ces personnes
vont demander du changement tout en essayant de démon-trer
que ce n’est pas possible.
Dans les thérapies de couple, c’est vraiment clair : les
personnes sont divisées. Elles sollicitent du partenaire
quelque chose qu’elles n’arrivent pas à croire en même
temps. Lorsque l’autre ne répond pas à cette attente, il
protège de fait la conviction du partenaire que ce n’était pas
possible.
Donc le travail de la supervision est important pour que le
thérapeute se comprenne mais aussi pour qu’il comprenne
comment son vécu va faire fonction d’outil thérapeutique en
modi‚ant le système thérapeutique.
Je préfère enseigner les principales approches en thérapie
familiale pour que l’étudiant ait un bagage conséquent. Cela
lui permet de créer sa propre à approche plus aisément et de
réagir en fonction de la situation clinique plutôt que de plaquer
la grille explicative d’une école spéci‚que sur le cas présenté.
AFFEP : quels conseils donneriez-vous aux internes qui
souhaitent se former à la psychothérapie ?
M. Elkaïm : Ils doivent choisir l’approche la plus proche
de leur coeur. Il faut donc un minimum de notions pour voir
de laquelle ils se rapprochent le plus. Qu’est-ce qui les
fait vibrer le plus ? Par ailleurs, il est nécessaire qu’ils aient
délirante ne peut pas être une défense dans certains
contextes. Je me suis donc intéressé à la famille des psy-chotiques,
qui est le premier système de cet individu.
J’ai donc découvert que souvent la thématique délirante
était une métaphore de ce qui se passe dans le système
familial. Quand j’étais en pédopsychiatrie et que je voyais
l’enfant avec sa famille, il pouvait se passer plusieurs choses.
S’il allait mieux, autour de lui, on pouvait aller mieux ou, au
contraire, son frère pouvait aller moins bien. Quand le frère
allait moins bien, c’était peut-être que les parents se dispu-taient.
Et ce qui m’intéressait était ce vase communicant. Petit
à petit, j’ai été amené à voir des familles et à théoriser sur les
familles avant d’aller aux Etats-Unis où j’ai fait une sub-spécia-lité
en psychiatrie sociale et communautaire au collège Albert
Einstein à New York. Là-bas, les thérapies familiales avaient
commencé à se développer. C’est à ce moment là que j’ai
été plongé dans ces thérapies et que j’ai commencé à en
voir les limites. Ces limites sont que ces thérapies portaient
sur des systèmes stables homéostatiques qui se référaient
au niveau thérapeutique aux théories de Ludwing Von Ber-talanffy.
Je me suis alors intéressé aux travaux d’Ilya Prigo-gine,
prix Nobel de chimie, sur les systèmes ouverts à l’écart
de l’équilibre. Ceci nous a permis d’élargir la perspective
systémique aux processus de changement en cours dans les
systèmes ouverts. Ensuite j’ai participé à la création du mou-vement
constructionniste en thérapie familiale (ce que nous
voyons est construit par nous plutôt que le re)et d’une réalité
objective). J’ai été de ceux qui ont élaboré un mobile pour
les thérapies de couple : nous demandons quelque chose
à l’autre que nous ne croyons pas possible et l’autre nous
aide à confronter nos constructions grâce aux reproches que
nous lui faisons. Ceci nous permet de coexister avec nos
avis personnels : je ne suis plus prisonnier et geôlier, je ne
suis plus que prisonnier. Donc en fait, j’ai été happé par la
psychothérapie et j’y ai pris du plaisir.
AFFEP : Que pensez-vous de la formation en psychothérapie
délivrée par les universités en France ?
M. Elkaïm : Malheureusement, je ne suis pas très au cou-rant
de cette formation. Pour moi, ce qui est important, c’est
la grande différence entre enseignement et formation. Dans
l’enseignement, on nous apprend beaucoup de théorie avec
quelques outils techniques alors que la formation commence
au moment où l’on entame un travail sur soi, puis il y a une
supervision et une pratique clinique. C’est un processus
qui prend du temps. Donc si les universités en France ont
intégré cette formation particulière aux étudiants avec des
supervisons régulières, ça devient intéressant. Mais il faut du
temps, 4 ans par exemple pour notre formation en thérapie
familiale car c’est un processus évolutif personnel. Et puis, il
faut avoir suivi toute une série de situations cliniques que l’on
doit avoir vu en thérapie supervisée. La formation doit être
très rigoureuse. En revanche, ce que l’on pourrait organiser
serait une association entre l’université qui enseigne la théo-rie
et un contexte autre où se feront le travail sur soi et les
supervisions. Pour faire un travail sur soi, il faut être dans la
con‚ance, dans la sécurité avec la personne qui nous forme.
Je ne rejette pas l’idée d’une collaboration entre les universi-tés
et les écoles de formation.
AFFEP : Comment se passe la formation en Belgique ?
M. Elkaïm : En Belgique, certains hôpitaux universitaires
essaient de créer des formations dans le style des écoles
privées. Pour le moment, les étudiants s’inscrivent sur 3
ans et ils font un travail sur eux, reçoivent des supervisions
et un enseignement théorique. Ceci est un mouvement
relativement récent.
AFFEP : Se pose alors la question du problème #nancier…
M. Elkaïm : Oui tout à fait, les universités ont des profs qui
sont déjà payés mais les écoles ont des enseignants payés
par les étudiants ; ce qui peut couter cher ! C’est pour cela
que je tente de faire en sorte que les universitaires puissent
jouer un rôle. En collaboration avec les écoles privées.
AFFEP : Donc, selon vous, la formation en psychothérapie ne
peut pas être exclusivement universitaire ?
M. Elkaïm : L’université fonctionne sur le mode de l’ensei-gnement,
c’est différent de la formation. Il faut donc imagi-ner
une université qui propose une véritable formation avec
des étudiants qui postulent, qui sont sélectionnés, suivis et
supervisés avec un travail sur leur propre personne. C’est
ce qu’est en train de tenter les hôpitaux universitaires de
Bruxelles. Je pense que la personnalité du thérapeute est
très importante et qu’il doit apprendre à s’utiliser comme
outil thérapeutique. Dans le cas des thérapies systémiques,
c’est son intervention qui va changer le système. Il doit
se dire « Comment je peux m’utiliser pour faire en sorte
que ce système qui m’inclus va changer. Ce que je vis
est plus large que moi et je dois apprendre à analyser ce
que je vis ». Par exemple, « je suis irrité par quelqu’un » :
il y a l’approche psychodynamique qui se demande :
16 17
3. Interview du Dr André
Christophe André est psychiatre dans le Service Hospitalo-Universitaire de l’hôpital Sainte-Anne,
à Paris. Il est spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs et s’est orienté
depuis plusieurs années vers la prévention des récurrences de ces troubles émotionnels. À ce titre,
il travaille avec ses patients sur toutes les dimensions de nature à renforcer leurs capacités d’équi-libre
personnel : estime de soi, équilibre émotionnel, capacités à savourer les moments agréables,
thèmes qu’il a abordé dans les ouvrages destinés au grand public et qu’il a publié notamment aux
éditions Odile Jacob. Il est une des „gures historiques des TCC en France, et s’intéresse depuis
plusieurs années à ce que l’on nomme la « troisième vague » des TCC : les approches basées sur
la méditation de pleine conscience, l’acceptation et la régulation émotionnelle, la psychologie posi-tive...
Pour plus d’informations sur son travail, voir son site personnel : http://christopheandre.com/
AFFEP : Dans l’enquête menée par l’AFFEP, entre 75 et 80% des
internes sont insatisfaits de leur formation en psychothérapie.
Avez-vous une explication ?
C. André : Sans doute pour des raisons quantitatives (pas
assez de temps d’enseignement consacré aux psychothé-rapies)
et qualitatives (les différents courants ne sont pas
assez abordés, cela dépend trop souvent des orientations
des enseignants).
AFFEP : Et que peut-on faire pour y remédier ?
C. André : Accorder en!n à la psychothérapie une place
en tant qu’outil de soin, et non seulement un strapontin, aux
côtés des approches chimiothérapiques ou institutionnelles.
AFFEP : Nous avons proposé aux internes une formation en 2
temps : le 1er, obligatoire, serait un temps d’initiation aux prin-cipes
généraux de la psychothérapie et aux différents courants
et aurait lieu durant les 2 premières années d’internat ; le 2ème
serait facultatif et permettrait à l’interne de se former, en 2ème
partie d’internat, au courant psychothérapique de son choix.
Qu’en pensez-vous ?
C. André : Du bien ! C’est une solution logique qui permet-trait
aux praticiens de ne plus opposer les courants de ma-nière
idéologique mais d’en percevoir avec un oeil clinique les
forces et les limites, en se centrant sur l’intérêt des patients et
non seulement le confort idéologique des thérapeutes.
AFFEP : Pourriez-vous nous dire comment et pourquoi vous avez
choisi de devenir psychothérapeute ?
C. André : Parce que c’était plus intéressant à mes yeux que
la seule approche médicamenteuse. Et aussi parce qu’il me
semblait que les béné!ces, s’ils étaient plus longs à venir,
plus laborieux à obtenir, étaient plus durables et plus grati-
!ants pour le patient. Les médicaments me semblaient soit
une facilité, soit une nécessité, mais pas un choix valorisant.
Avec le recul, j’ai modulé ma position : l’art de la prescription
et de son suivi peut aussi être passionnant, pour peu qu’on
s’intéresse de près - et qu’on intéresse aussi le patient – à
l’observation des effets subtils des traitements, de quelle ma-nière
ils font évoluer la vision du monde des patients. C’est ce
qu’on retrouve par exemple dans les études sur la modi!ca-tion
discrète de la reconnaissance des expressions faciales
après administration brève d’antidépresseurs (nous repérons
plus vite les sourires et moins vite les visages renfrognés), du
rappel facilité des souvenirs agréables ou freiné des désa-gréables,
tant chez les déprimés que chez les non déprimés.
AFFEP : Et comment avez-vous été formé ?
C. André : « De mon temps » comme disent les anciens,
la norme était la psychanalyse, notamment lacanienne. J’y
étais vraiment allergique, malgré tous mes efforts ; ça ne pas-sait
pas... Du coup, j’ai failli abandonner la psychiatrie et me
tourner vers l’obstétrique (une autre forme de maïeutique !)
mais j’y suis !nalement revenu en me disant que j’allais me
résoudre à ne pas être analyste, ce que je regrettais puisque
c’est la lecture de Freud qui m’avait attiré vers la psychiatrie.
Je me suis formé à l’hypnose, aux thérapies systémiques.
Puis, un peu par hasard, aux thérapies comportementales.
Je m’y suis trouvé totalement à l’aise : évaluer ses résultats,
expliquer, impliquer le patient, tout ça correspondait à ma
Interview du Pr Elkaïm
des connaissances suf!santes des autres approches pour
mieux servir leurs patients et pouvoir mieux dialoguer avec
leurs confrères et consoeurs.
AFFEP : Au #nal, que pensez-vous du décret réglementant le
statut de psychothérapeute?
M. Elkaïm : Il y a différents facteurs qui jouent dont
l’ignorance de ce qu’est la psychothérapie n’est pas
le moindre. Beaucoup de personnes, parlementaires
notamment, confondent psychothérapie et charlatanisme et,
pour eux, il n’y a de sérieux que la médecine et la psychia-trie.
Alors que les psychothérapies ont démontré leur ef!ca-cité.
J’ai publié aux éditions du Seuil un livre « Comprendre
et traiter la souffrance psychique » où je demande aux psy-chanalystes,
aux systémiciens et aux comportementalistes
de décrire quelles pathologies ils traitent, comment, ainsi
que leurs résultats, et on voit bien que chaque courant est
ef!cace pour un certain type de pathologies. Par exemple, la
psychanalyse a des résultats intéressants pour les troubles
de la personnalité. La systémie à de très bons résultats dans
certains troubles comme l’anorexie. D’après moi, ceux qui ont
voulu la loi ne voulaient pas rentrer dans les détails et pour
garantir à la population qu’ils auront des soins convenables,
ils pensent que ce qui compte, c’est la psychiatrie. Pour ces
gens-là, il est encore dif!cile de différencier les psychothé-rapies
qui ont fait leurs preuves, des autres. Ce qui compte
pour eux, soutenant la psychiatrie, c’est que le psychothé-rapeute
puisse faire un diagnostic correct, et si nécessaire,
envoyer son patient au psychiatre. Mais la psychothérapie ne
peut pas être le parent pauvre de la psychiatrie. La psychiatrie
et la psychothérapie devraient marcher main dans la main.
Propos recueillis par
Elodie del Valle et Aude van Effenterre
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