Mairies communes du Pays de Fouesnant --phpcd5 ll5
La mer au Pays de Fouesnant - rprdq
1. Louis OGES
Le port de Bénodet
N.D.L.R. : Ce texte de Louis Ogès a été écrit avant la dernière guerre de 1939-45, et nous a
été communiqué en 1941. Ce qui explique que sa conclusion ne soit plus d'actualité... mais
n'enlève rien à son intérêt historique. Louis NICOLAS.
Le port de Bénodet a eu autrefois
une importance considérable. Un manuscrit
du XIII ème siècle conservé à la
Bibliothèque Nationale, intitulé "Grand
routier ou Pilotage" lui accorde un
développement supérieur à celui des autres
ports bas-bretons.
A l'époque gallo-romaine, le port
n'occupait sans doute pas l’emplacement
actuel. L'anse du Poulker et peut-être celle
du Groasguen devaient servir de refuges
aux bateaux. Des voies romaines
aboutissaient en effet à ces lieux, et il est
probable que les dunes qui ferment la
grève du Groasguen et celles qui longent la
"Mer blanche" n'existaient pas à cette
époque.
Quoi qu'il en soit, le port même de
Bénodet doit remonter à l'époque qui suivit
l'émigration bretonne en Armorique, c'està-dire au
VI ème siècle. Les premiers
émigrants venus dans notre région
construisirent l'église de Perguet à une
certaine distance de la côte, dans la crainte
probablement des pirates normands qui
déjà infestaient nos côtes. Peu à peu, des
pêcheurs construisirent leurs chaumières à
l'endroit où s'élève aujourd'hui le bourg.
Leurs bateaux s'abritaient dans l'anse qui
alors venait jusqu'au pied de l'actuelle
église.
La construction de la chapelle de
Saint- Thomas par Eudon de Fouesnant en
1232 donna lieu à des pèlerinages très
fréquentés et augmenta rapidement
l'importance de Bénodet: l'agglomération
s'étendit à flanc de coteau, dominée par un
moulin à vent qui tournait ses ailes à peu
de distance de l'emplacement actuel du
grand phare.
Eudon de Fouesnant fit don de sa
nouvelle fondation religieuse à l'évêque de
Quimper Raynaud. En même temps, il
donnait le port de Bénodet à l'abbaye de
Locmaria-Quimper. Le port prit le nom de
Port Saint- Thomas, et à dater de ce
moment devint lieu d'asile : tout homme
"criminel ou autre", ou tout navire qui
pouvait s 'y réfugier, se trouvait placé sous
la protection du couvent. Il était interdit à
qui que ce soit de le poursuivre sous peine
d'excommunication.
A cette époque, l'autorité des
monastères était reconnue de tous, et
l'excommunication était crainte à l'égal de
la hache du bourreau. Cependant, en 1233,
le sénéchal de Cornouaille, Henry Bernard,
fort de son prestige, fit arrêter dans
Bénodet des marins et des navires
justiciables de ses tribunaux. Le sénéchal
était à cette époque un seigneur puissant
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2. dont l'autorité s'étendait sur toute la
Cornouaille. Il semblait que le Prieur de
Locmaria n'oserait pas défendre son
privilège contre un tel personnage. Mais si
forte et si crainte était l'autorité religieuse à
cette époque que, par acte du 4 février
1233, le pauvre sénéchal fut contraint de
transiger piteusement pour avoir enfreint
les privilèges du prieuré. L'affaire fut
portée devant le tribunal de Tours. Pendant
les débats, le sénéchal se vit défendre
l'approche des sacrements. Dans la
transaction qui intervint avant le prononcé
du jugement, il est dit :
" Le Prieur de la Bienheureuse
Marie, sous Kemper-Corentin (LocmariaKemper) d'une part, et Henry Bernard,
Sénéchal de Cornouaille, d'autre part,
après beaucoup de discussions et
d'allégations au sujet de / 'arrestation de
navires et de leurs marins faite par /e
sénéchal dans l 'asile du
Bienheureux
Thomas-martyr, à Bénodet, se sont mis
enfin d'accord pour arriver par devant
nous à cette forme de paix, à savoir que le
sénéchal cessera de retenir marins et
navires, et les rendant quittes et libres,
réparera, à /a taxation du Prieuré et
d'Eudon fils, homme d'armes de Gradlon,
/es dommages causés aux navires et aux
matelots.
Le Sénéchal reconnaît les droits du
Prier et pour ce fait se voit accorder par
l'évêque de Kemper le bénéfice de
l’absolution. Le Sénéchal s'engage à
défendrela personne et /es biens de l’Abbé
et de ses hommes, de bonne foi et où qu’ils
soient, les droits du Comte partout
réservés.
Il versera au Prieur la somme de
quarante Livres qu'il a dépensées pour se
rendre au tribunal de Tours.
Le Prieur et /e Sénécha/ jurent sur
les Évangiles sacrés d'observer de bonne
foi et inviolablement cette transaction.
Fait publiquement à KemperCorentin, l'an de grâce 1232, le vendredi
après /a Purification de la Bienheureuse
Vierge Marie."
Au XIII ème siècle, le port de
Bénodet était assez important. Il armait au
moins dix navires appartenant à des
négociants de Quimper. Ces navires se
rendaient à Nantes et surtout à Royan pour
y envoyer des poissons séchés ou salés, des
congres et surtout des rougets et merlus qui
entraient dans la fabrication d'un pâté très
estimé des bordelais. Ils en revenaient avec
des cargaisons de sel, de raisin et surtout
de vin. Les comptes de sortie de Royan et
de Nantes aux XIV ème, XV ème et XVI ème
siècles prouvent la prospérité du port de
Bénodet.
Malheureusement,
les
habitudes de piraterie étaient tellement
établies sur nos côtes aux XV ème et XVI
ème
siècles que des navires de commerce
appartenant à de riches marchands bretons
n’hésitaient pas à s'emparer d'une barque
dont la cargaison leur convenait.
D'autre part, équipages et capitaines se
volaient ou volaient l’armateur. Témoin le
document suivant datant du XVI ème
(traduit en français actuel) :
"La barque "La Marie", de Bénodet,
chargée de sel et de blé au compte de
Gratien Carrière, de Quimper, était au
havre de Saint-Morand ²
1- Cette charte, écrite en latin, a été publiée dans le
Bulletin de la Société archéologique du Finistère,
Tome XXIII, 1897, par Mr Laborderie, membre de
l'Institut, qui la découvrit dans les archives de l'llleet-Vilaine. A l'époque, l'année commençait à Pâques:
Il s'agit donc de 1233.
2- Saint-Moran est le véritable nom du village situé
en face de Bénodet, rive droite, et non Sainte-Marine.
Saint Moran, chef de clan venu d'Irlande, établit son
ermitage à proximité de la chapelle élevée plus tard
en son honneur.
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3. Extrait de « l’histoire de Bretagne » de « Skol vreizh »
L'équipage se composait du maître de
barque Jacques Cochon dit "Gall", de
Combrit ; Michel Le Lay, Guillaume
Reznou. Noël Le Guerranic, mariniers; et
Jean Le Denic, mousse, tous de Bénodet.
Avant de quitter Saint Moran, le maître de
barque Jacques Cochon dit Gall enleva
nuitamment une "pipe" de blé et un grand
sac de sel qui devaient servir à
l'approvisionnement de sa famille pendant
son absence. Puis "La Marie" leva l’ancre
et s'en fut "à trente lieues par delà le plus
lointain havre de Normandie" où la
cargaison, du moins ce qui en restait fut
vendue.
Il avait été convenu avec l'armateur
que l'argent de la vente servirait à l'achat
d'autres
marchandises.
Mais,
de
connivence avec Michel Le Lay, principal
marinier, Gall cacha cet argent dans le
sable qui servait de lest au navire. Son but
était de s'approprier cet argent, se réservant
de raconter à l'armateur quelque histoire de
pirate pour expliquer la perte de la
cargaison.
"La Marie" reprit le large pour
retourner à vide à Bénodet. A peine la terre
était-elle perdue de vue qu'un pirate, vrai
celui-là, l'aborde et enlève de force le
capitaine "pour intimider l'équipage par
menaces, et avoir rançon par ce moyen".
Toutefois, le pirate n'y gagna rien "car les
dits Gall et Le Lay nièrent fort et ferme
qu'ils n’avaient point aucune somme
d'argent qui fut notable, disant que leur
marchand avait tout gardé, et après avoir
été un jour prisonniers, ils furent
relâchés".
Pendant cette captivité, d'autres
événements se passaient sur "La Marie".
Le mousse Jean Le Denic, "curieux comme
un singe", avait surpris Gall et Le Lay
cachant leur trésor à fond de cale. Quand
ces derniers furent enlevés par les pirates,
il dévoila la cachette à l'équipage qui
trouva dans le sable "un sac plein d'or de
la grosseur du poing", et n'eut rien de plus
pressé que de se partager le magot. Chacun
eut vingt écus d'or et Le Danic vingt-cinq,
"pour sa peine d’avoir enseigné l’or".
Après que Le Lay et Gall
furent
relâchés, ils retournèrent à leur barque et
ne s'aperçurent du vol qu'à leur arrivée à
Bénodet. Ils tempêtèrent contre "la
malhonnêteté des équipages" et firent un
vacarme de tous les diables.
Cependant, ils n'avaient pas tout
perdu,
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4. car l'équipage stupéfait les vit retirer du
sable des draps de laine, des vaisselles
d'étain et d'argent et beaucoup d'autres
marchandises achetées par eux, "qu'ils
emportèrent de leur navire sans en rien
perdre". Après quoi Jacques Cochon s'en
va raconter au pauvre armateur Gratien
Carrière que "La Marie" avait été
arraisonnée par un pirate qui avait enlevé
toute la cargaison.
Malheureusement pour l’équipage,
il y eut dans la bande un bavard à qui
quelques rasades d'alcool délièrent la
langue: l'armateur mis au courant des faits
intenta un procès aux mariniers .3
On ignore l'issue de ce procès, mais
on peut présumer que selon les lois sévères
de l’époque, les coupables furent "'pendus
par leur pauvre cou" aux fourches
patibulaires de Kréac'h ar Soner.4
Le port de Bénodet devint en 1596,
à l'époque de la Ligue, le repaire d'un
brigand, aventurier du genre La Fontenelle:
le baron de Camors, de son vrai nom
Christophe d ' Arradon.5
Le baron de Camors était l'un des
rares chefs protestants de la région. Il
s'empara des ports d'Audierne et de PontCroix, dont il pilla les magasins et
terrorisa, les habitants. Un chef royaliste, le
baron de Mollac, l'ayant chassé de ces
deux endroits, Camors vint s'établir à
Bénodet. A partir de ce moment, le
commerce dans ce port devint impossible :
Camors et sa bande pillaient sur terre et sur
mer. Aucun navire ne pouvait remonter
jusqu à Quimper. Les riches marchands de
cette ville, ainsi que ceux de Pont-l'Abbé et
de l'Ile-Tudy furent rançonnés. Le
commerce maritime ne put reprendre que
quand les troupes royales envoyées contre
Camors réussirent enfin à le chasser de son
nouveau repaire.
Cependant, malgré la disparition de
Camors, ce commerce ne se faisait pas
toujours sans risques: en 1648, neuf ou dix
pirates espagnols infestaient nos côtes. Ils
avaient établi leur base aux Glénan, d’où
ils menaçaient Concarneau et Bénodet,
s'emparant des navires qui s'y rendaient ou
en sortaient.
En 1722, le sieur de Kersalaün,
mousquetaire de la 2ème Compagnie des
Gardes du Roi, habitant le château du
Cosquer, en Combrit, est nommé
commandant du port de Bénodet6, et
chargé de veiller à l'exécution des mesures
prescrites pour empêcher l'entrée en France
des marins atteints de maladies contagieuses.
Il existait au port de Bénodet un
bureau de Recettes placé sous l'autorité
d'un Lieutenant royal des Douanes. Ce
bureau était chargé de percevoir au compte
de l'Amirauté de Quimper les droits qui lui
étaient dus: ancrage, dixième, amendes,
etc... Il avait été créé au XVII ème siècle, et
il était nécessité par le fait que le port de
Quimper,
3- D'après une note de Mr Le Men, Bulletin de
la Société Archéologique du Finistère, Tome
IV, page 75.
4- N.D.L.R. : Les potences et carcans
dépendant de la juridiction de Bodinio, puis
Cheffontaines, s'élevaient à l'emplacement de
l'actuel château d'eau, au lieu dit "Kréac'h ar
Soner, la colline du sonneur». (Les jugements,
sentences, exécutions... y étaient annoncés à
son
de
trompe).
Le
nom
s'est
malencontreusement transformé en "Créac'h
Conard"...
Il faut signaler par ailleurs que les procès pour
crimes commis sur le domaine maritime étaient
du ressort des tribunaux de l'Amirauté, et non
des justices seigneuriales.
5 - Pour plus de détails sur cet aventurier, voir
"La Ligue" par le chanoine Moreau et l'Étude
sur les comptes des Miseurs de la ville de
Quimper, par Mr Faty.
6 - N.D.L.R. : A cette époque, l'expression
"Port de Bénodet (ou plus souvent Bénaudet)
employée dans les documents de l'Amirauté
de Cornouaille, s'applique à l'estuaire et ses
mouillages. Pour désigner les agglomérations
riveraines, il est précisé "côté Saint- Thomas"
ou "côté Sainte-Marine".
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5. par suite de l'ensablement de la rivière, n'était plus accessible qu'aux navires de faible
tonnage: les gros navires s'arrêtaient à Bénodet et y transbordaient leurs marchandises.
Le port de Bénodet, étant donné sa situation et son tirant d'eau, attira l'attention de la
fameuse Compagnie des Indes. Celle-ci songea à y construire l'important établissement qu'elle
fonda ensuite à Lorient (ou plus exactement "Orient"). Ce projet dut être abandonné, par suite
de l'intervention de personnages puissants" et aucun des travaux projetés ne fut accompli.
L’entrée du port de Bénodet, carte marine ancienne : en 1879, à part quelques modestes installations,
(quai, cales, phares…) le port n’avait guère évolué depuis les siècles précédents. Et pas davantage les
agglomérations, rive droite ou gauche. L’heure du tourisme triomphant n’avait pas encore sonné …
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6. Plus tard le Contre-amiral Yves de
Kerguelen7, frappé lui aussi des avantages
qu'offrait Bénodet, essaya d'attirer sur le
port l'attention de Louis XV. Dans un
manuscrit intitulé "L'État de mes Services
"8, il raconte que Mr de Kergos lui ayant
prêté les plans de l'Odet, il eut l'idée de
refaire ce travail.
"Je levai, écrit-il, le plan de la 1a
rade de Bénodet et de la rivière de
Quimper. Je vis avec plaisir que cette
rivière très peu connue peut recevoir la
plus belle armée navale, et qu'en temps de
guerre on pourrait par cette rivière
approvisionner Brest, fut-il bloqué par des
forces supérieures.
Je fis sur cela un mémoire que
j'envoyai à Monsieur le duc de Choiseul
qui me témoigna sa satisfaction."
• Voici l'analyse de ce mémoire. Le
plan d'eau de l'Odet offre un excellent port
et de nombreuses ressources en temps de
guerre. Les plus gros vaisseaux de ligne
peuvent entrer à Bénodet et même
s'enfoncer à deux lieues dans la rivière où
il y a partout un excellent mouillage de
sable vaseux et 26 pieds d'eau aux plus
basses mers.
Des flottes de 500 bateaux contrariés par
les vents ou pourchassés par des vaisseaux
ennemis y trouveraient un asile assuré, car
Bénodet ne peut être bloqué à cause des
Glénan et des rochers de Penmarc 'h dont
les dangers ne permettent pas de tenir
longtemps la mer dans ces parages.
• Mais la plus grande utilité de ce
port
serait
encore
de
pouvoir
approvisionner le port de Brest, si ce
dernier était bloqué par l'ennemi. Les
munitions et les vivres pourraient arriver à
Bénodet d'où ils passeraient à Quimper par
l'Odet, puis à Châteaulin par terre et à
Brest par l’Aulne. 9
• Le port de Bénodet a un autre
avantage: il est facile à fortifier. Pour le
mettre à l’abri de l’ennemi, il suffirait
d'établir 10 pièces de canons a la pointe de
Combrit, 10 à la pointe Saint-Gildas, et 10
autres près de la plage. Des balises établies
aux bons endroits indiqueraient les trois
passes permettant d'accéder au port : on
utilise l'une ou l'autre de ces trois passes
7 - Yves Joseph de Kerguelen- Trémarec
naquit à Landudal (Finistère) le 13 février
1734. Il dirigea un voyage d'exploration
dans les mers australes, où il découvrit les
îles qui portent son nom. Mort en 1797;
8 - Écrit par Yves de Kerguelen en 1768.
Publié par Mr Bourde de la Rogerie en
1907.
9 - C'est dans le même but que Napoléon a
fait creuser le canal de Nantes à Brest. Le
projet de Y. de Kerguelen est plus
ingénieux et de réalisation plus facile.
Le plan d’eau de l’Odet, vu par l’artiste peintre André Douchez, depuis sa propriété de Kergaït.
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7. suivant les vents, le chenal étant toujours
accessible.
Tel était le mémoire présenté par le
grand navigateur, qui retint un moment
l'attention de Choiseul. Mais de Kergllelen
qui était en faveur à la Cour vit subitement
cette popularité disparaître par suite d'une
cabale de seigneurs ligués contre lui. Le
pauvre de Kerguelen subit une disgrâce
aussi retentissante que sa faveur avait été
marquée, et du port de Bénodet il ne fut
plus question.
Quand, en 1772, Kerguelen
découvrit les îles qui portent son nom, il
donna aux sites de ces îles plusieurs noms
inspirés par les souvenirs du pays natal:
c'est ainsi que sur la carte qu'il en dressa il
y eut les îles, la baie, et la rivière de
Bénodet. La rivière est devenue ShotBay,
mais on marque toujours vers le 49 ème
degré de latitude sud les îles de Bénodet.
Nous arrivons en 1746 : un combat
naval a lieu au large des Glénan. La frégate
"Marquise de Toumy" commandée par le
lieutenant Jacques de Mary a pris à
l'abordage
la
frégate
anglaise
"Benjamin". Pour mettre sa prise en sûreté,
le lieutenant la conduit à Bénodet dont
les mouillages en eau profonde sont cachés
aux navires du large. Le 25 novembre, le
"Benjamin" quitte le port pour rejoindre un
convoi allant de Brest à Bordeaux où les
prises sont rassemblées.
Cette période de la Guerre de Sept
Ans est fertile en aventures relatées par les
rapports de l'Amirauté de Quimper où il est
question de Bénodet. Ainsi, le 16 avril
1746, Pierre Pineau, maître de la barque
"La Françoise", de Noirmoutier, jaugeant
26 tonneaux et chargée de vin, naviguait de
conserve avec quatre autres navires se
rendant aussi à Bénodet. Tout à-coup
apparaît à l’horizon un fin voilier gréé en
corsaire qui, poussé par un vent favorable,
se dirige rapidement vers la flottille marchande. La flamme aux couleurs anglaises
flotte à son grand mât. C'est un corsaire, un
écumeur des mers, armé de deux canons,
poursuivant les navires de faible tonnage
qui se hasardent au large sans escorte.
Les barques françaises ne possèdent
que quelques arquebuses à faible portée: le
parti le plus sage est donc de fuir.
Impossible de gagner Bénodet, le
corsaire barre la
route. Toutes voiles
dehors, nos navires s'éloignent et cherchent
à gagner un refuge dans quelque crique de
la côte où le corsaire, de plus fort tonnage,
ne pourra le rejoindre. Mais le voilier
anglais est rapide: une des barques est
bientôt prise, et les autres serrées de près.
Le capitaine de Françoise", plutôt
que de laisser son bateau tomber aux mains
des anglais, l'échoue dans
l'anse
du
Lorc'h, en Névez. Le corsaire met ses
chaloupes à l'eau et veut s'en emparer.
Mais déjà les gens du pays, spectateurs de
la poursuite, se sont massés sur le rivage et
tirent sur l'ennemi qui est contraint de se
retirer.
Cependant, Maître Pineau n'est pas
au bout de ses peines. Pour sauver son
navire échoué, il faut l'alléger et pour cela
débarquer sa cargaison de vin. Hélas! Nous
sommes en 1746, le "Droit de bris" existe
encore. Nos braves populations du littoral
risquent aisément leur vie pour sauver celle
des marins en péril, mais ne leur demandez
pas le respect de leurs biens: tout navire ou
toute épave jetés à la côte deviennent la
propriété des riverains.
Aussi bien la cargaison de Maître
Pineau, par son contenu, attire tout
particulièrement
la
convoitise
des
névéziens.
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8. Le navire va être pillé quand Pineau a
l'ingénieuse idée de mettre en perce une
barrique et d'en distribuer le contenu aux
assistants. Ceux-ci ne se font pas prier: le
vin coule à flots et la barrique n'est pas
vide que tous sont ivres à en rester sur
place. Sans être inquiété, l'équipage peut
alors déséchouer le navire et le recharger
sans que les riverains puissent s'emparer de
la cargaison !
L'aventure de "La Françoise" n'était
pas un cas isolé dans nos parages. Le 20
mai 1748, un caboteur appartenant à jean
Divanac'h de Pont-l’Abbé est poursuivi à
la hauteur des Îles aux Moutons par un
pirate anglais qui ne craint pas de le
poursuivre jusque sous les feux de la
batterie de Bénodet. Pour sauver son
navire, Oivanac'h en est réduit à l'échouer à
la Grève Blanche, en face de la batterie, où
le corsaire n'ose venir le prendre.
Si l'ennemi poursuivait nos
bateaux, de leur côté nos corsaires capturaient de nombreux navires et taisaient
grand tort au commerce britannique.
De nombreuses prises ont été dans
ces conditions amenées au port de Bénodet
d'où elles repartaient en flottilles escortées
par nos navires de guerre. Le commerce
maritime était donc très difficile à cette
époque troublée. La crainte des corsaires
retenait au port un grand nombre de nos
bateaux. S'il leur arrivait de faire naufrage,
leur sort non plus n'était guère enviable:
nous avons déjà dit que les populations
côtières pillaient incontinent tout navire
.jeté à la côte. Elles n'étaient jamais
inquiétées par la justice: aussi ces moeurs
barbares ont subsisté jusqu'à la Révolution.
De nombreux pillages ont ainsi eu
lieu sur les côtes de Bénodet :
•Le 7 novembre 1761, "La Marie
julienne", de Quimper, fait naufrage près
du Groasguen : les agrès et la cargaison
sont totalement pillés pendant la nuit
suivante.
• Le 6 mars 1767, la "Sainte-Anne",
du Pouliguen" jaugeant 40 tonneaux,
échoue au même endroit. Tout l'équipage
est noyé, et des marins de Bénodet pillent
le navire.
Le port de Quimper : Les quais du "Cap Hom", les allées de Loclllalia et à l’arrière-plan la cathédrale
(les flèches ne datent que de 1856.) gravure extraite de "Skol Vreiz."
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9. •Le 16 février 1777, "La MarieGabrielle", chargée de vin, est pillée. Les
tonneaux qui ne peuvent être emportés sont
défoncés, et on boit à en rester sur place.
Arrive la Révolution: des peines
très sévères sont édictées contre les pilleurs
d'épaves. Les communes de Perguet et de
Fouesnant dont les habitants ont pillé un
navire le 21 pluviôse An II sont
condamnées à payer solidairement 4.500
Francs de dommages intérêts et 4.500
Francs d'amende.
De nos jours lO, l'importance de
Bénodet comme port de commerce a
beaucoup décliné. Bénodet n'est plus guère
que l'avant-port de Quimper. Les navires y
attendent les vives-eaux pour remonter
l'Odet. Ce rôle d'avant-port a du reste
beaucoup perdu de son intérêt depuis la
construction des chemins de fer qui
approvisionnent Quimper et ses environs.
Autrefois, cet approvisionnement se faisait
par mer: en 1722, 152 navires remontèrent
à Quimper ; en 1738, il en vint 209. Ceux
de trop gros tonnage s'arrêtaient à Bénodet
et y étaient déchargés,
En 1854, le port n'a plus
d'importance que pour le commerce des
engrais marins et du bois. Ce commerce
alimente cependant un trafic assez actif.
En 1882, le conseil municipal
appela l'attention du Gouvernement sur la
situation du port dont la municipalité aurait
voulu accroître l'importance en procédant à
l'élargissement du quai d'une vingtaine de
mètres vers le niveau des basses mers, de
façon à rendre ce quai accessible aux
navires d'un certain tonnage. Une bonne
organisation aurait pu, en effet, drainer le
commerce du canton de Fouesnant qui
produit en abondance pommes à cidre,
cidre, fruits, blé, bois de mine et de
construction, et autres denrées susceptibles
d’être commercialisées.
Le projet de 1882 ne fut exécuté
qu'en 1905. Encore les travaux effectués ne
permettent-ils que l'accostage de navires de
faible tonnage: le quai a une longueur de
53 mètres sur 32 de large. La cale
perpendiculaire au quai a 66 mètres de
long sur 5 de large.
TRAFIC DU PORT DE QUIMPER DE 1716 A 1781
(total des entrées et sorties en tonneaux de jauge)
Tonneaux
guerre de succession d’Autriche
guerre de sept ans
guerre d’indépendance
Américaine 1778-1783
15 000
10 000
5 000
Extrait de J' "Histoire de Bretabrne ", de "Skol Vreizh"
10 - N.D.L.R. : C'est-à-dire dans les années 1930, époque où ce texte a été rédigé. (Voir page
de titre)
9/10
10. Pendant la guerre de 1914-18" des
torpilleurs et des chalutiers armés y ont
presque constamment stationné" et y ont
trouvé des mouillages et des abris surs par
tous les temps: on trouve en effet à certains
endroits de la rivière 10 mètres d’eau aux
plus basses mers. 11
Un jour viendra peut-être ou l’on
tirera parti des avantages réels du port de
Bénodet" et où ce port prendra
l"importance à laquelle sa situation, sa
profondeur d'eau et l"excellence de ses
mouillages semblaient le destiner.
11- N.D.L.R. : Pendant la dernière guerre, la marine de guerre allemande a bien compris l'intérêt que
présentaient pour ses flottilles de dragueurs les possibilités du port de Bénodet. Mais ceci est une autre
histoire...
Surveillance et défense du littoral
L'article de Louis Ogès que nous venons de citer met l'accent sur l'état d'insécurité de la
navigation dans nos parages au cours du XVIII ème siècle : Insécurité découlant
essentiellement des guerres qui ont presque continuellement opposé la France à l'Angleterre
de 1715 à 1815, une période que les historiens ont pu désigner sous le nom de "Seconde
Guerre de Cent Ans".
Au danger que présentaient les escadres anglaises croisant au large de nos côtes, et
menant même des opérations de débarquement, s'ajoutaient celui des corsaires, également
anglais, et celui de pirates de diverses nationalités.
Pour tenter de remédier à cette situation, les régimes successifs ( Royauté, République,
Empire) ont institué le long des côtes de notre façade atlantique un réseau dense de postes de
surveillance et de défense destinés à prévenir nos navires d'un risque éventuel, et au besoin à
les protéger. Ces établissements, placés sous l'autorité de l'Amirauté, étaient régulièrement
inspectés par des officiers en mission. Nous citons ci-dessous deux extraits de rapports
rédigés en ces circonstances. Nous verrons qu'ils font état non seulement de l'état des
ouvrages côtiers, mais aussi de la configuration de l’arrière-pays.
Nous conservons l'orthographe des originaux: elle ne manque pas de saveur,
particulièrement en ce qui concerne certains noms de lieux.
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