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Faits divers du Pays de Fouesnant - bmroy
1. Philippe RIVIERE
1897
UN ADJOINT REVOLUTIONNAIRE!
A CLOHARS-FOUESNANT
De nos jours, les conseils municipaux ont généralement lieu le soir, vers 20h30. Mais il n’y a
pas encore si longtemps (les années 1970) ils se tenaient le matin et même de bonne heure
(autour de 9h l’hiver et 8h l’été). Jusqu’au dernier tiers du 20ème siècle, en milieu rural, la
quasi-totalité des élus étaient issus des mêmes milieux sociaux professionnels, (nobles,
rentiers, agriculteurs, commerçants, professions libérales..) permettant ces réunions matinales
qui devaient arranger la plupart. Autres temps, autres gens, autres mœurs…
Le 15 juillet 1897, lendemain de fête nationale, il n’est pas 7 h lorsque prend place le conseil
municipal, dans la petite mairie de Clohars-Fouesnant. Soit 1h plutôt que lors de la dernière
séance, qui ne date que de quatre jours (deux conseils en moins d’une semaine, fait rare,
même aujourd’hui) en effet le conseil s’est déjà réuni le 11 juillet « extraordinairement au
lieu ordinaire de ses séances », comme l’a annoté le secrétaire désigné du jour, pour débattre
de deux affaires, somme toute mineures, que seul un impératif de calendrier pouvait justifier
ce traitement en urgence.
En premier lieu une demande écrite, émanant d’un agriculteur, d’appui du conseil pour
l’obtention d’une bourse d’étude permettant à son fils d’intégrer l’école pratique d’agriculture
du Lézardeau à Quimperlé. En deuxième lieu, l’assemblée doit autoriser son Président, à
traiter avec un entrepreneur de St-Evarzec pour effectuer les travaux de réparation du lavoir
du Drennec, (longue histoire, où la pression des riverains sur la mairie ne cessait de croître, de
façon inversement proportionnelle à celle de l’eau du lavoir) (1) sitôt autorisé M. le maire crée
une commission, comportant deux conseillers, « chargée de s’entendre avec le dit
entrepreneur », doit-on voir dans cette procédure un simple partage des taches ? un sens aigu
de la délégation ? ou, face à l’irritation de quelques concitoyens et surtout concitoyennes, une
certaine crainte du premier magistrat de la commune de pointer son nez du côté de la
chapelle ?
Notre paysan, quant à lui, se voit recevoir l’appui favorable du conseil à sa demande de
bourse, au vu « qu’il n’est propriétaire que de sa ferme et qu’il est le père de neuf enfants
vivants » !
Neuf c’est aussi le nombre de conseillers présents sur les douze élus (curieusement les
personnes excusées le 11 sont les mêmes que celles du 15). Le 14 juillet (proclamé fête
nationale depuis le 6 juillet 1880) tombait un mardi cette année là, alors nos trois absents
auraient-ils fait « le pont »? voir « le viaduc » pour « tirer » la semaine ? Ces notions de
« week-end », de « week-end prolongé» ou tout simplement de congés, ne concernaient
qu’une minorité aisée, plutôt citadine, (qui commençait à fréquenter Bénodet aux beaux
jours). Nul doute que même si parmi notre trio, un ou deux pouvait être considéré comme «
bourgeois » sur la commune de Clohars, ce genre de pratique n’était probablement pas à leur
portée et surtout pas en usage dans nos campagnes et c’est certainement ailleurs qu’il faut
chercher les raisons de leurs absences…
(1)
Foën Izella, bulletin N°15, janvier 2000.
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2. Cette séance du 15 juillet, présidée par le maire, Georges Nouët du Tailly, est dite
« ordinaire », pourtant, si elle n’a qu’un seul et unique sujet à son ordre du jour, celui ci n’est
pas banal !
Dans ce style laconique qui caractérise un compte-rendu de conseil municipal, voici ce que
l’on peut lire :
« Le conseil a choisi pour secrétaire M. Hamon Alexandre et a procédé à l’élection d’un
adjoint en remplacement de M. Michelet, révoqué. »
Voilà qui interpelle et donne envie d’en savoir plus ! Mais la suite n’est que l’énoncé des
résultats du dépouillement, où l’on apprend que, après un unique tour de scrutin, M. de
Jacquelot du Bois Rouvray Charles a été élu par cinq voix contre quatre à M. Bertholom
Yves, sur les neuf suffrages exprimés possibles.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que si la lutte fut brève entre les deux prétendants, elle
n’en fut pas moins serrée ! Une telle issue démontre-t-elle la présence de deux clivages, d’une
réelle opposition au sein du conseil ? ou ne doit-on y voir qu’une rivalité entre hommes d’une
même tendance ambitionnant simplement tous deux « la place » d’adjoint ? En tout cas une
chose est sûre, ni l’un ni l’autre ne pouvait se targuer de faire l’unanimité auprès de leurs
collègues ! Autre interrogation : face à l’importance que représente une telle élection et à la
vue de l’étroitesse du résultat évoqué plus haut, qu’en aurait-il été si les trois absents avaient
donné pouvoir, et surtout pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?
Aucune réclamation ou remarque ne venant entacher ce vote, M. le maire lève donc la séance,
après avoir « déclaré M. de Jacquelot du Bois Rouvray Charles installé en qualité d’adjoint ».
Un conseil municipal vite expédié à première vue ; pourtant juste avant que les deux tiers des
élus n’apposent leurs paraphes (trois « ont déclaré ne savoir signer ») une dernière
annotation, « Le conseil s’est séparé à huit heures et demie » montre qu’il y a eu certainement
débat (voir des explications) avant d’en arriver au vote.
Car enfin une révocation, à fortiori celle d’un adjoint, ce n’est tout de même pas à ranger dans
le domaine des affaires courantes ! Ici pourtant, à la lecture des registres, pas une once de
début d’explication n‘apparaît, ni en amont ni en aval de ce conseil du 15 juillet, le fait ne
semble pas avoir plus d’importance que le vote d’une ligne de crédit supplémentaire pour
l’acquisition d’une table pour l’école ou la révision de la liste électorale…
Ce sont les archives départementales qui vont nous aider à dissiper quelque peu le brouillard ;
voici le contenu d’une missive, datant du 29 mars 1897, émanant du Préfet de l’époque,
adressée à la gendarmerie de Fouesnant :
« Le sieur Hélias Pierre, fermier, demeurant au Drennec en Clohars-Fouesnant, m’a
adressé une demande en vue d’obtenir un secours sur les fonds du Ministère de
l’agriculture pour pertes depuis moins d’un an, par suite de maladie.
1. d’une vache estimée à 140 F
2. d’une autre vache d’une valeur de 171 F
3. d’un taureau estimé à 161 F
Or il résulte des renseignements qui me sont fournis, que la déclaration du sieur Hélias,
certifiée par l’adjoint au maire, serait fausse. Le sieur Hélias n’aurait perdu qu’une seule
vache d’une valeur de 61 F. Je vous prie de faire procéder d’urgence à une enquête à cet
égard et de m’en transmettre les résultats. »
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3. Et voilà donc l’explication, notre adjoint est au cœur d’une affaire d’escroquerie sur les
deniers publics ! Magnifique, non ? Et nous sommes bien en 1897 et non en 1997, nos édiles
contemporains avec leurs perpétuelles « affaires » n’ont décidément rien inventé …
Mais dans les « affaires » d’hier, comme dans celles d’aujourd’hui, il faut trier. Info, intox,
calomnie, manipulation ?
Toujours est-il qu’un matin de mai 1897, sur ordre du Préfet, le brigadier Jean-Marie Henri et
le gendarme Jean Berthau-Guédard, quittent Fouesnant pour Clohars afin d’y diligenter
l’enquête.
Un tel déplacement, à pieds, n’est probablement pas passé inaperçu et n’a pu que soulever
toutes les interrogations, voir pour les plus hardis, toutes les questions ! Et c’est bien le
diable, malgré une obligation de réserve, si nos deux sbires au hasard d’une rencontre avec
un paysan, à la croisée d’un chemin ou autour d’un verre offert par un autre dans sa cuisine,
n’ont pas lâché quelque chose sur le but de leur pérégrination !
La nouvelle de l’arrivée des gendarmes à l’entrée de la commune, a certainement fusé telle
une traînée de poudre ! On imagine bien, au moment où ils se sont annoncés au domicile des
deux « suspects », les voisins tapis derrière leurs rideaux épiant et commentant la scène, ainsi
qu’accourus des quatre coins du village, une ribambelle de gamins, cachés dans les arbres et
les fourrés alentours…
Sur le fermier, Pierre Hélias, nous n’avons rien trouvé qui puisse alimenter la suite des
événements, en revanche sur l’adjoint, Hervé Michelet, nous en savons un peu plus.
Hervé Michelet, ce n’est pas le premier venu sur la commune. Agriculteur propriétaire à
Nors-Vras, âgé de 59 ans au moment des faits, notre homme est à la mairie depuis déjà de
nombreuses années, étant, au gré des changements de municipalité, conseiller et souvent
adjoint au maire. Classé « réactionnaire » par la préfecture, c’est le bras droit de Nouët du
Tailly. L’homme, doté d’une forte personnalité, pas bravache (né le 1er mai 1838, c’est
même un taureau !) ne s’en laisse pas compter, la maré chaussée comme le Préfet ne
l’impressionnent guère !
Nul doute que nos deux représentants de l’ordre n’ont pas reçu un accueil des plus
chaleureux ; les explications ont du tourner court, peut-être même ont-elles été ponctuées par
quelques noms d’oiseaux, car le Préfet, sûrement suite au rapport de la gendarmerie, écrit au
ministre de l’intérieur le 20 mai 1897 :
« L’adjoint au maire de Clohars-Fouesnant est un révolutionnaire ! »
Les résultats de l’enquête ne nous sont pas connus, mais il est clair que la tentative
d’escroquerie est avérée pour le Préfet, car neuf jours plus tard, le 29 mai 1897 on peut lire :
« M. Michelet Hervé, adjoint au maire de la commune de Clohars-Fouesnant, est
suspendu de ses fonctions pour fausse déclaration. »
Ce dernier était-il de bonne foi ? était-ce un filou ? y avait-il connivence entre le fermier et
lui ? le métayer, sur l’état de ses bovins, aurait-il leurré le connétable ? foin de vérification
possible…
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4. Cette suspension était une première étape avant la sanction définitive, moins d’un mois après,
le 26 juin 1897, nouvel arrêté :
« Le Président de la République française, décrète M. Michelet Hervé, adjoint au maire de
la commune de Clohars-Fouesnant, révoqué. Signé Félix Faure. »
En arriver là montre toute la gravité et le sérieux avec lequel les hautes autorités ont traité
cette intrigue !
En ce qui concerne les poursuites pénales, dont ont certainement faits l’objet nos deux
« justiciables », nous ne savons rien à ce jour, mais les peines n’ont pas du aller très loin, tout
au plus une amende, en tout cas pas de prison ferme, car Hervé Michelet, s’il n’est plus
adjoint, n’en reste pas moins conseiller municipal et il ne manque pas un des cinq conseils
qui vont suivre celui du 15 juillet évoqué ici !
Ce qui nous mène au 29 juillet 1898 après la démission (le 12 juillet) de Charles De Jacquelot
du Bois Rouvray de son mandat d’adjoint. Par une confortable majorité (Michelet l’emporte
par huit voix contre deux à Hervé Jean sur les dix suffrages exprimés possibles). Ce qui
démontre qu’il n’a pas perdu la confiance de ses collègues malgré « l’affaire » (ou, désireux
de réhabiliter son lieutenant, une certaine pression du maire sur ces derniers aura payé ?) Il
retrouve son poste d’adjoint au maire… mais l’avait-il vraiment perdu ? La loi dit qu’un
maire ou un adjoint révoqué ne peut être réélu dans l’année qui suit sa révocation, sauf en cas
de renouvellement général des conseillers municipaux, ici on se retrouve dans le premier cas
de figure, De Jacquelot n’a fait qu’assurer l’intérim et encore sur papier ; dans la réalité,
Michelet n’a pas du changer grand chose à ses habitudes…
Il est permis de penser, que l’événement a du faire pas mal de bruit sur le plan local.
A l’époque il dut supplanter dans les conversations, à coup sûr, l’affaire Dreyfus (qui éclatait
au grand jour cette même année) et peut-être même, (à l’instar du célèbre Capitaine)
déclencher au sein des habitants, quelques mobilisations partisanes ? Ses détracteurs
politiques, qui ne pouvaient que se réjouir de sa mésaventure, durent crier au corrompu !
Mais en même temps, l’emprise « totalitaire » exercée par le maire (Nouët Du Tailly
(Bodinio) qui possédait la presque totalité de la commune et employait directement ou
indirectement tout le village !) et sa suite (dont faisait partie M. Michelet) sur les Cloharsiens
devait rendre discrète toute contestation ou commentaire subversif, les insolents risquant fort
de s’attirer les foudres «du Maître » et par la même, de mettre en péril leur avenir ainsi que
celui de leur famille…
Quant à Hervé Michelet, toute sa carrière à la mairie sera émaillée d’épisodes similaires, (qui
valent tous la peine d’être étudiés et contés) impulsif, frondeur jusqu’au-boutiste, même en
avançant dans l’âge (toujours adjoint, il a 81 ans, quant il se retire de la vie politique, en
1919, après 42 ans de mandat sans interruption !), rien ne semble l’assagir…
Personnage haut en couleur, aimé des uns, certainement craint, voir détesté des autres,
Michelet fait parti de ces gens qui ont façonné l’histoire de la commune.
Dans un prochain bulletin nous reviendrons sur ce Cloharsien original.
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