1. Carré de Soie - L’esprit des lieux
Éléments de diagnostic territorial
Brice Dury
Octobre 2010
2.
3. Situé à l’Est de l’agglomération lyonnaise, à cheval sur les communes de Vaulx-en-Velin et
Villeurbanne, le territoire du Carré de Soie fait aujourd’hui l’objet d’un vaste projet urbain initié
par le Grand Lyon.
Ce carnet s’inscrit dans la démarche Carré de Soie - L’esprit des lieux, portée par deux ser-
vices du Grand Lyon : la Direction de la Prospective et du Dialogue Public et la Mission Carré
de Soie. Cette démarche a pour ambition d’enrichir et de singulariser le projet urbain du Carré
de Soie en s’appuyant sur l’histoire du territoire et sur ce qui fait son identité.
La sociologue Catherine Foret a conçu pour point de départ de cette démarche un document
intitulé Carré de Soie : l’esprit des lieux en 10 caractères qui propose, à partir d’un travail
documentaire, dix traits forts de l’identité de ce territoire. Parallèlement à ce travail, ce car-
net vient restituer une démarche d’observation et d’investigation de terrain sur le territoire
du Carré de Soie. Cette démarche vise, sans prétention à l’exhaustivité, à appréhender cet
esprit des lieux à partir du territoire et à voir comment les caractères décrits par Catherine
Foret sont aujourd’hui appréhendables sur le territoire et dans les premières réalisations du
projet du Carré de Soie. Ces éléments de diagnostic se veulent résolument tournés vers la
projection, et le propos est ici d’ouvrir des champs et pistes de réflexion sur les façons dont
ces caractères de l’esprit des lieux peuvent s’intégrer au projet de territoire et se réinventer
dans le contexte local et sociétal actuel.
4.
5. SOMMAIRE
1 Vivre au milieu des grands équipements........7
2 Des porosités entre l’habitat et les entreprises......17
3 Vacuité, errance : penser les marges ?......25
4 Se loger ou habiter ?......31
5 Centre commercial : quand l’agglo rencontre le quartier......37
6 Articuler passé, histoire récente et devenirs......45
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9. Le territoire du Carré de Soie est
constitué artificiellement de deux mor-
ceaux de communes : Vaulx-en-Velin,
dont il est séparé par le canal de Jo-
nage et Villeurbanne, qui s’étend de
l’autre côté du périphérique. Avant que
les lignes de transports en commun
ne le « rapproche » du centre-ville, sa
vaste superficie a suscité l’installation
de grands équipements (hippodrome,
installations sportives, infrastructures
de transport, ateliers du métro, etc.) et
d’entreprises. Les nouvelles construc-
tions comme le parking relais ou le
centre commercial s’inscrivent pleine-
ment dans cette tendance.
Ces grands volumes, qui sont
caractéristiques du lieu et contri-
buent à sa singularité, créent dans
le même temps des espaces diffi-
ciles à comprendre et à pratiquer à
l’échelle du piéton.
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La perspective d’une nouvelle urba-
nité du quartier doit être l’occasion
d’inventer de nouveaux liens et de
nouveaux passages, physiques et
symboliques, pour permettre aux
usagers du quartier de comprendre
et s’approprier ce territoire.
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11. À la manière des traboules typiques des vieux quartiers de Lyon, certains passages
permettent, à condition d’être connus et autorisés, des traversées du quartier. Pour que
le Carré de Soie s’affirme comme un quartier piéton et cycliste, il faut permettre ces traversées
car ces modes de déplacement ne se développent que dans des trajets « au plus court ». La
place du vélo pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une réflexion spécifique car, s’il constitue
un mode de déplacement particulièrement adapté à l’échelle du territoire, son fonction-
nement n’y sera sans doute pas le même qu’en centre ville.
Cette question des traversées est également liée à des aspects abordés plus loin dans
le document comme les formes d’habitat (résidences fermées vs passages entre les
habitations), et la question des liens entre les fonctions du territoire (cloisonnement vs
porosités). Sans opposer un modèle de développement à un autre, il faut noter que dans ses
formes actuelles, le « tout-privatisé » laisse peu de place à ces circulations. Tant en terme
d’espace public que sur les formes d’habitat, la collectivité a peut-être un rôle à jouer
dans le développement et l’incitation à des aménagements « perméables ».
Ces formes de traversées et leurs modalités sont à inventer. Dans ce registre des traversées
et à moins d’être pensés comme des lieux « habités », la passerelle et le souterrain sont bien
souvent les dernières options à envisager car c’est les pieds sur terre que le piéton marche...
Une réflexion pourrait également être engagée sur la frontière, et notamment sur celle
entre Villeurbanne et Vaulx-en-Velin, qui traverse le territoire du Carré de Soie du Nord
au Sud en son milieu. Ces morceaux de villes isolés bénéficient-ils des mêmes services
que leurs centres-villes ? Comment relier les deux villes sur le territoire ? Et pourquoi
pas un équipement culturel « bi-municipal » à cheval sur la frontière ? Une médiathèque
dotée d’espaces thématisés sur les caractères du quartier (industrie de la soie, grands
ensembles industriels, formes d’habitats) ? Etc.
11
15. Bien que peu mentionnés, le territoire du Carré de Soie
compte trois cimetières : l’ancien et le nouveau cimetière
de Villeurbanne, et le cimetière dit « Tase » de Vaulx-en-
Velin. Bien loin du « site exceptionnel » que le Carré de
Soie ambitionne de devenir, la présence de ces cime-
tières témoigne de ce qui fut un territoire de reléga-
tion, à la marge de Villeurbanne et Vaulx-en-Velin. Par
leurs importantes superficies, ils s’inscrivent également
dans la lignée des grands équipements du quartier. Ces
cimetières participent donc à l’identité de ce territoire,
et l’on y retrouve d’ailleurs certains de ses traits de
caractère comme par exemple la grande diversité des
origines et les différentes confessions (carrés musul-
mans, cimetière juif). En s’attardant dans le cimetière
«Tase » (cf. photos), on peut même réécrire l’esprit des
lieux à travers les plaques funéraires : militantismes,
sports et loisirs, ensemble Tase, etc. !
Ces cimetières s’inscrivent donc dans l’identité du
quartier, et pourraient à ce titre s’intégrer au projet du
Carré de Soie. En s’appuyant sur le concept de « parc
habité » porté par le projet et en tenant compte de
leur potentielle valeur paysagère, on peut les imagi-
ner comme des formes nouvelles de parc urbain, plus
ouverts sur la ville, traversés, visités...
Certes, un cimetière n’est pas vraiment le symbole d’un
« territoire idéal », mais après tout ces cimetières sont là.
N’aurait-on pas meilleur compte à les assumer et à
inventer pour eux une forme innovante d’intégration
au projet ? Après tout, c’est peut-être un peu ennuyeux
un « territoire idéal »...
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19. L’ensemble Tase affirme fortement, dès sa construction
dans les années 1920/1930, l’idée de mixité des fonc-
tions. La pénurie de main d’œuvre, notamment, conduit
la direction à construire autour de l’usine un ensemble
d’équipements incitant les travailleurs à s’établir dans le
quartier : habitations, stade, église, école (voir à ce pro-
pos le point 6 du document de Catherine Foret Carré de
Soie : l’esprit des lieux en 10 caractères)...
Les intentions de la direction n’étaient sans doute pas
simplement altruistes, mais cette cohabitation des fonc-
tions a contribué à la création d’une identité spécifique du
quartier, et à une identification et un certain attachement
des travailleurs à l’entreprise.
S’il n’est ni souhaitable ni envisageable de retrouver
telle quel ce type d’organisation paternaliste, il serait
intéressant de voir comment ces liens particuliers
entre l’entreprise et les habitants pourraient se renou-
veler à travers une réinterprétation de la question du
« vivre et travailler sur un même territoire ».
Les habitants du quartier travaillent aujourd’hui ail-
leurs. Quels liens peuvent-ils tisser avec les entre-
prises et industries présentes sur le territoire ? À
l’inverse, les évolutions du monde du travail comme
le télétravail ne peuvent-elle pas être une opportunité
pour imaginer des transpositions contemporaines de
cette notion de « vivre et travailler sur un même terri-
toire » ?
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21. L’idée de mener une réflexion sur la cohabitation des fonctions du territoire dans le
projet du Carré de Soie peut s’articuler autour de la notion de « porosités », dont on peut
trouver quelques illustrations intéressantes sur le terrain. Ce peut être le bar/restaurant La
Boule en Soie (ci-contre), ancienne cantine de l’usine Tase reprise par le fils de la patronne il y
a trente-sept ans, devenu aujourd’hui un haut lieu de convivialité où se côtoient le midi anciens
de la Tase, habitants, ouvriers de chantier et nouveaux employés du quartier en costume.
Ces porosités existent également de manière temporaire dans les parcours des journées du
patrimoine et notamment dans le succès des visites des Ateliers de la Poudrette (ateliers du
métro).
Or le premier réflexe des aménageurs pourrait être de cloisonner. Il paraît donc néces-
saire d’engager une réflexion en amont pour passer de cohabitations « forcées » à des coha-
bitations « pensées ». Loin d’être des contraintes pour les uns ou les autres, les porosi-
tés si elles sont originales et anticipées permettront au quartier de proposer des modes
d’habiter innovants et d’affirmer sa singularité et son attractivité.
Alors, d’une manière plus large, quelles porosités imaginer entre habitat, entreprises,
commerces et loisirs dans le projet du Carré de Soie ?
21
23. Un des aspects de la cohabitation des
fonctions sur le territoire du Carré de Soie
concerne les risques. Le canal et l’usine
hydroélectrique, le périphérique, la voie
ferrée tram/Rhônexpress, les pollutions
et risques industriels sont autant de dan-
gers dont la cohabitation avec l’habitat et
le développement de la vie de quartier n’a
rien d’évidente.
Les choix d’aménagement ne peuvent se
faire sans prendre en compte cet aspect,
et l’on ne peut évidemment pas faire tout et
n’importe quoi. Mais là aussi, la tentation
sera grande d’opter pour la facilité en cloi-
sonnant les fonctions. Or il faut bien se
poser la question de ce qu’on fait, et de
ce qu’on pourrait perdre dans cette sépa-
ration. Quel intérêt y aurait-il à trouver de
multiples fonctions sur le territoire si elles
ne sont pas reliées entre elles ? Si ces
fonctions ne sont que des boîtes fermées,
des obstacles, la cohabitation des fonctions
ne sera vécue que comme une contrainte.
Il ne faudrait pas qu’au nom d’une volonté
de tout sécuriser et parce que le quartier
se développe et accueille plus d’usagers
on se prive de frictions créatives et por-
teuses de sens. Des compromis sont sans
doute imaginables, et l’on pourrait faire
de cette question du « vivre avec le
risque » un sujet de réflexion. 23
27. Le Carré de Soie s’étend sur un vaste territoire, et ne fonctionne donc pas
comme un seul et même quartier, mais comme un ensemble de petits quar-
tiers, de lieux de vie et de « micro-centralités ». Ces différents lieux ne vivent
donc pas tous au même rythme et il convient pour décrire ce territoire de bien
en appréhender les nuances. On peut cependant relever des caractéristiques
récurrentes sur le territoire, et le vide en est une. Il ne s’agit pas de dire que
le quartier est vide, mais bien qu’il est « parcouru » de vides, que s’y alternent
des pleins et des vides.
Historiquement, cette notion de vide vient des grands espaces inoccu-
pés de ce territoire et de la place de la nature. S’y ajoutent aujourd’hui
les friches, et l’abandon du territoire pendant les dernières décennies
(un vide d’activité).
Le vide, les espaces libres ou à l’abandon jouent un rôle dans le fonc-
tionnement du quartier et les modes de vie qui s’y développent. On y
observe des pratiques d’« errance » en bord de canal, de longues marches à
travers le quartier et des lieux où l’on vient se mettre au calme.
Il ne s’agit pas là de faire un « plaidoyer pour le vide », mais plutôt d’un
appel à la vigilance sur le risque de surcharge. Comment s’appuyer sur
ce que cette vacuité confère au quartier pour poser la question de la
« place du vide » dans le projet ? Quelle alternance des pleins et des
vides ? Si l’on pose la question « que faire du vide ? », la réponse des pro-
moteurs sera de l’occuper et la tendance sera certainement de vouloir donner
une fonction à chaque partie du territoire. Or le vide n’est pas tout à fait la
même chose que l’« espace vert », et les pratiques autour de l’errance ne
sont pas tout à fait des « loisirs ». Pourraient-on inventer des lieux « dis-
ponibles », non pas dans une logique de « laisser faire » mais bien dans
l’idée de « laisser la place à » (des possibles, des appropriations...) ?
27
29. « Si l’on cesse de regarder le paysage comme l’objet d’une
industrie on découvre subitement - est-ce un oubli du cartographe,
une négligence du politique ? - une quantité d’espaces indécis,
dépourvus de fonction sur lesquels il est difficile de porter un nom.
Cet ensemble n’appartient ni au territoire de l’ombre ni à celui
de la lumière. Il se situe aux marges. En lisière des bois, le long
des routes et des rivières, dans les recoins oubliés de la culture,
là où les machines ne passent pas. Il couvre des surfaces de
dimensions modestes, dispersées comme les angles perdus d’un
champ ; unitaires et vastes comme les tourbières, les landes et
certaines friches issues d’une déprise récente.
Entre ces fragments de paysage aucune similitude de forme.
Un seul point commun : tous constituent un territoire de
refuge à la diversité. Partout ailleurs celle-ci est chassée.
Cela justifie de les rassembler sous un terme unique. Je propose
Tiers paysage. »
Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage.
Le propos de Gilles Clément s’intéresse bien sûr à la diversité
végétale, mais on pourrait facilement le transposer de ma-
nière plus large aux différentes formes de diversité, de créa-
tivité qui s’expriment et se développent dans ces « marges ».
Elles s’illustrent sur le territoire du Carré de Soie dans la qualité de
certains tags, dans les pratiques de « bidouille » et de récupération
dans les friches, ou dans ces déclarations enflammées inscrites...
sur une porte condamnée de l’ex-Célibatorium(!).
Comment préserver des espaces (physiques et symboliques)
d’expression et de créativité ? Comment réinterpréter la friche
dans le projet urbain ? Ne pourrait-on pas proposer des lieux
« sans fonction » mais conçus et proposés pour des appro-
priations temporaires par des associations, des habi-
tants, des entreprises ou la collectivité ? 29
33. Catherine Foret évoque dans Carré de Soie : l’esprit des lieux en
10 caractères un « laboratoire de l’habitat populaire », citant notam-
ment les cités Tase et les maisons « castors », construite selon un
système d’auto-construction. Elle précise - et c’est un point impor-
tant - que ces ensembles d’habitat sont fortement appropriés par
leurs occupants. Les habitants de la grande Cité Tase, et même les
plus jeunes, ont conscience de la spécificité de leur habitat puisque
lorsqu’on les interroge sur leur lieu de vie ils évoquent spontané-
ment la qualité de vie associée aux jardins mis à leur disposition.
Les habitants s’approprient non seulement leur forme d’habi-
tat, mais également l’espace public. En ce sens, l’« habiter » ne
s’arrête pas à la porte du foyer. C’est par exemple le cas lorsque
les pêcheurs créent leurs installations en bord de canal.
L’habitat peut être une entrée intéressante pour réinterpréter les
caractères de l’esprit des lieux dans le projet urbain. En s’appuyant
sur cette question des appropriations, on voit que l’innovation
en matière d’habitat doit se penser également dans le lien à
l’environnement et à l’espace public.
33
35. Si les constructions récentes du quartier ne sont pas encore des gated com-
munities, elles ne brillent pas par leur originalité et seraient plutôt de fidèles re-
productions de ce qui se fait partout ailleurs. L’ambition qui consiste à vouloir
imaginer une transposition contemporaine des habitats innovants du quartier
consiste justement à affirmer que ici, « on n’est pas comme partout »...
Dès lors, tout reste à inventer. On peut pour cela relever dans le quartier des
éléments qui pourraient être exploités dans l’invention de formes d’habitat in-
novantes. Ce peut être par exemple ces garages, omniprésents dans la petite
et la grande cité Tase. S’ils sont loin de rentrer dans les canons de l’archi-
tecture, ils possèdent en tant que lieu un potentiel intéressant. Il s’agit de
morceaux d’habitat extraits des logements et regroupés sur l’espace public, et
les multiples autres usages que d’y garer une voiture peuvent leur conférer un
rôle intéressant. En s’inspirant de ces lieux intermédiaires, quels espaces
de convivialité, de bricolage, d’échange de savoir-faire pourrait-on ima-
giner ? Quelles solidarités ? Pourquoi-pas des liens entre le système des
castors, l’appétence actuelle pour le bricolage et le magasin Castorama
établi dans le centre commercial ? Etc. La présence sur le territoire de
l’association des Castors Rhône-Alpes pourrait être une opportunité à saisir.
D’une manière plus générale, le regain d’intérêt que connaissent actuel-
lement les différentes formes d’habitat coopératif peuvent être l’occa-
sion d’en inventer des déclinaisons sur le territoire. Cette réflexion pour-
ra évidemment associer les acteurs du pôle de la coopération et de la
finance éthique.
On trouve également dans le périmètre du Carré de Soie de nombreux arti-
sans et petites entreprises imbriqués dans les zones résidentielles, qui pour-
raient être valorisés et mis en lien avec les nouveaux habitants du quartier.
35
39. Aux clients du centre commercial Carré de Soie s’ajoute un public de curieux qui par-
fois ont traversé l’agglomération en voiture ou en transports en commun, et qui sont
venus « pour voir », en famille ou par groupe d’amis. On observe, on déambule, on
commente, et à l’étrangeté de ce centre commercial parachuté sur le territoire s’ajoute
un tourisme non moins étonnant.
Dans le projet du Carré de Soie, le centre commercial est le premier signal envoyé à la
métropole. Il présente à la fois l’intérêt de montrer que quelque chose se passe sur le
territoire, et le risque de laisser à penser que le projet se limite à ça (l’un et l’autre portent
d’ailleurs le même nom). On peut ici faire un parallèle avec la Part-Dieu qui, dans les repré-
sentations de nombreux lyonnais, se limite à son centre commercial.
Dans ce fonctionnement se dessine le risque d’une rencontre ratée entre l’agglomé-
ration et le Carré de Soie, où l’on verrait deux quartiers (le centre commercial d’une
part et le quartier « hérité » d’autre part) cohabiter sans dialoguer. Il ne faut certes
pas penser naïvement que les deux puissent complètement se mélanger (ce qui n’est
sans doute pas souhaitable), mais l’un et l’autre auraient sans doute à y gagner si des
connexions se développaient.
Si l’on veut assumer le choix d’avoir commencé le projet urbain par ce centre commer-
cial, il faut aujourd’hui se tourner vers ses clients et profiter de leur curiosité pour créer
des ouvertures et de l’intérêt vers le quartier et le reste du projet.
39
41. Le projet du Carré de Soie doit être l’occasion de détermi-
ner et de développer les liens qui pourront se nouer entre
le centre commercial et le quartier.
Le centre commercial Carré de Soie parvient à trou-
ver son positionnement en cultivant ses différences
avec celui de la Part-Dieu (plus d’espace, à ciel ouvert,
au calme), auxquelles certains usagers sont effectivement
sensibles. Mais les réactions des visiteurs montrent
également qu’un certain nombre d’entre eux ont le
sentiment d’en avoir rapidement « fait le tour » (ren-
Ouvrir forcé par sa configuration en cul-de-sac). N’est-ce
pas l’occasion de leur donner envie de revenir en
leur montrant ce que le quartier recèle d’autre ? Com-
ment ? Et les « touristes », que leur donne-t-on à voir
et à faire ? Le centre commercial gagnerait sans doute
à renforcer sa spécificité en tissant des liens avec le
quartier.
À l’inverse, il est important de se questionner sur ce
qu’apporte le centre commercial aux habitants du
quartier. Il présente l’intérêt de créer une offre nouvelle,
certes imparfaite mais qu’il ne faut pas négliger, d’autant
que le quartier possède peu de commerces. Il crée éga-
lement un lieu de vie le soir (cinéma, restaurants). Que
pourrait-il apporter de plus aux habitants ? Il ne peut par
exemple pas accueillir de commerces alimentaires pour
des questions de concurrence. On pourrait néanmoins
jouer sur les temporalités, en s’appuyant sur le fait
que le centre commercial est bondé le week-end, mais
vide la semaine. Et si le centre commercial se tournait
plus vers le quartier la semaine ? Et pourquoi
pas un marché sur l’esplanade ?... 41
42. L’usine Tase comme passage entre le quartier
« hérité » et le nouveau quartier ?
43. Bâtiment emblématique du quartier, l’usine Tase marque
également une séparation physique entre le quartier qui se
construit (pôle multimodal, centre commercial, hippodrome) et
le quartier existant (Cités Tase, place Cavellini...). Il paraîtrait
particulièrement intéressant que cet objet symbolique s’ins-
crive dans ce travail de lien entre les « deux quartiers », en fai-
sant l’objet d’un traitement spécifique (architectural, mais aussi
pourquoi pas social).
Actuellement, l’usine est orientée vers la Petite Cité Tase et
« tourne le dos » au pôle multimodal, or ce qui était auparavant
l’arrière de l’usine est ce que voient aujourd’hui les nombreux
nouveaux usagers du quartier. En s’attachant à l’idée d’une
« double ouverture » de l’usine, on imaginerait bien une « rue »
(modes doux) qui traverserait l’usine pour rejoindre le pôle
multimodal ! Même symboliquement, le fait que les nouveaux
usagers du quartier comme les anciens de la Tase puissent
« passer par l’usine » semble une perspective assez stimulante.
Notons à ce propos que le projet proposé par l’association le Cercle
de la Soie Rayonne avec les Robins des Villes (www.libelyon.fr/
info/files/csr_presentation_250908_projet.pdf) va également dans
ce sens en dédiant le rez-de-chaussée de l’usine à des traversées
et des activités ouvertes au grand public. L’idée que les usagers
du quartier et notamment les anciens puissent accéder, même
temporairement, aux nouveaux espaces de la Tase est une forme
d’implication qui pourrait s’avérer pertinente. Le projet architectural
de la Cité du Design à Saint-Étienne, installée sur le site de
Manufrance, utilise ce type de traversées pour des bâtiments de
grande longeur (photo ci-contre).
Notons que cette idée de traversée de l’usine Tase n’est pas sans
questionner la forme des programmes d’habitation prévus à
Cité du Design l’arrière du bâtiment. 43
47. Entre septembre 2006 et août 2007,
plusieurs centaines de Roms ont vécu
sur le terrain ci-contre (www.flickr.com/
photos/vanderlick/399894981).Cet
épisode est symbolique d’un moment de
l’histoire du territoire finalement bien peu
évoqué.
Depuis la fermeture de l’usine Tase au
début des années 80 et avant que le
territoire ne soit désigné comme « site
exceptionnel » par la collectivité, la
grande histoire industrielle a laissé la
place à une période d’abandon et de
lente dégradation, de friche et de bâti-
ments condamnés.
Les plus jeunes habitants n’ont connu
que cette période, qui fait aujourd’hui
partie de l’histoire du quartier. Il ne s’agit
certes pas de l’épisode le plus glo-
rieux, mais celui-ci ne doit pas être
pour autant occulté car il a évidem-
ment influé sur les représentations
actuelles du quartier par les habitants
et sur l’oubli de son passé industriel
par l’agglomération.
Quel travail de mémoire envisager
pour cette période ? Quels impacts
sur le projet urbain et son lien avec les
habitants ?
47
49. Les différents moments de l’histoire du territoire du Carré
de Soie ont laissé des marques physiques, des codes es-
thétiques que l’on pourrait réutiliser ou transposer dans
le projet urbain. L’utilisation du verre dans l’enveloppe du
pôle multimodal n’est par exemple pas sans rappeler sa forte
présence dans le bâtiment de l’usine Tase voisine. Dans les
années à venir, un nombre important de constructions va voir le
jour sur le territoire, portées par différents promoteurs. Quelle
cohérence architecturale développer à l’échelle du quar-
tier ? Quelles utilisations des traces de l’histoire dans la
conception urbaine ?
On peut imaginer qu’un travail de collecte sur le territoire
donne lieu à une charte, à un cahier de préconisations ar-
chitecturales, et plus largement à une démarche qui crée
des liens et des interactions entre les concepteurs. Et si,
pour tendre vers une haute exigence architecturale et pro-
grammatique, on créait un centre de ressources collabora-
tif ? Il pourrait autant s’agir d’un lieu physique, comme un
atelier de travail in-situ pour les équipes d’architectes, que
de ressources et d’espaces de travail « en ligne ». On peut
également imaginer la mise en place d’une « banque de ma-
tériaux » qui permettraient de proposer la réutilisation de
matériaux et d’objets disponibles sur le territoire (comme
ci-contre ces lourdes plaques métalliques taguées), mais
aussi des données immatérielles (banque d’images, nuan-
cier, mais aussi des ressources historiques, artistiques,
sociologiques).
49
51. Les grands projets urbains sont immanquablement une source de fantasme pour les
élus, les urbanistes et les architectes. Mais même le projet le plus extraordinaire, le
mieux pensé et porteur de réelles améliorations pour un quartier, engendrera une forme
de violence pour les habitants et les modes de vie présents sur le territoire. Il faut sans
doute considérer que le résultat final justifie ces difficultés, mais sans oublier de toujours
repenser et réinventer la place donnée aux populations concernées, et de prendre en consi-
dération le fait que ces habitants vont vivre pendant de nombreuses années dans une « ville-
chantier » . On peut imaginer, et d’autant plus dans une démarche qui porte l’ambition
de transmettre le vécu du territoire dans le projet urbain, qu’au-delà d’un simple rôle de
commentateur du projet les habitants soient directement impliqués dans les processus
de transformation et de transmission.
Comme évoqué précédemment, la période d’abandon des dernières décennies a commencé
à effacer des mémoires et du territoire l’histoire de ce quartier. Ce risque d’oubli souligne
l’importance de l’invention de formes de transmission intergénérationnelle. Avec l’arri-
vée de nouvelles fonctions sur le territoire, et de nouveaux visiteurs, cette question de
la transmission doit également se poser sous l’angle des liens avec le « nouveau quar-
tier ». Les formes à imaginer peuvent aller du simple témoignage dans une école à des
applications en réalité augmentée pour téléphone mobile. Elles doivent avant tout se
positionner comme des moyens de mobiliser les vécus pour enrichir le territoire d’une
« coloration » originale et distinguante.
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