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Marc-Emmanuel Privat
Guerre urbaine 2.0 : ne pas oublier les fondamentaux.
En 2000, Laurent Murawiec commettait La Guerre au XXIe siècle, livre dans lequel il prédisait,
pour les États occidentaux, une conduite de la guerre à distance, grâce à une technologie
dominatrice. Malgré quelques aficionados, des voix s'étaient élevées pour rappeler la prépondérance
du « brouillard de la guerre », en dénonçant un culte de la technologie trompeur1
.
Les combats récents menés en Irak et en Syrie pour reprendre des cités occupées soit par Daech,
soit par les opposants au régime d'Assad sont un nouveau contre-exemple et sont l'occasion de tirer
un enseignement plus général du recours à la technologie dans la guerre urbaine.
Afin de cadrer le développement qui suit, les mots « guerre » et « urbain » prendront le sens ci-
après.
La guerre est ici entendue comme un conflit asymétrique opposant une force de type conventionnel,
appuyée par une ou des puissances majeures, et une force armée de type révolutionnaire2
, dotée de
moyens terrestres conséquents, soutenue discrètement par un ou des États partageant son idéologie.
L'asymétrie est à la fois quantitative et qualitative, compte tenu de l'appui technique apporté par les
puissances marraines ; l'aspect qualitatif est un des nœuds du développement qui suit.
L'expression « guerre urbaine » a ici été préférée à celle de « guerre en ville », habituellement
retenue3
. La nuance peut sembler purement sémantique mais la notion de « ville » appartient
davantage au registre des perceptions et recouvre moult définitions variables d'ordre statistique
selon les auteurs et les disciplines. L'idée retenue ici est d'étudier la guerre qui se déroule dans un
environnement d'habitat regroupé, permettant d'embrasser tout l'éventail depuis l'ensemble urbain
historique au bâti bas et hétéroclite parcouru de ruelles au schéma improbable, jusqu'au centre de
commandement politico-financier aux constructions verticales à circulations au cordeau, en passant
par les ensembles d'habitations individuelles, quasi-homogènes et résidentiels, le quartier
administratif, les quartiers religio-scolaires (mosquées et madrassas), les quartiers commerciaux
regroupant les marchés, les zones artisanales ou industrielles. Cette définition permet de prendre en
compte les espaces indéfinis de transition (friches industrielles, quartier en mutation, habitat
précaire...) entre deux faits urbains clairement identifiables.
Il semble que la supériorité technologique, si elle peut apporter un avantage comparatif à un
moment de la bataille, n'exonère pas du recours aux unités au sol et a fortiori débarquées, afin de
conduire la bataille des « cent derniers mètres », le combat en zone urbaine restant au XXIe siècle
une lutte d'homme à homme, comme elle l'était à l'époque d’Énée le Tacticien.
Trois lignes d'action majeures successives ou concomitantes peuvent être retenues dans ce combat :
l'action à distance : il s'agit d'une projection de puissance directe dans la troisième dimension.
L'action dans le cyberespace : ce mode d'action indirect est destiné à annihiler ou surclasser les
moyens d'information et de communication de l'adversaire. Enfin l'action au contact, terrestre, qui
permet de prendre possession matériellement de l'objectif.
1 Dominique DAVID, dans le n° 2/2000 de Politique étrangère, écrit, dans la recension du livre : « la logique unique
est ici technolâtre. »
2 Le terme « terroriste » qui qualifie habituellement Daech, a été volontairement omis car trop connoté politiquement
et décrédibilisé dans le champ de l'analyse géopolitique.
3 cf. les ouvrages suivants : La Ville et la guerre, dirigé par Antoine Picon ; Villes en guerre et guerres en ville, dirigé
par François Grunewald ou La Guerre, la ville et le soldat de Jean-Louis Dufour.
1. Reconnaître et frapper l'adversaire à distance : recourir au ciel et à l'espace :
Dans cette phase, l'avance technologique des forces occidentales leur procure un avantage certain :
la maille satellitaire leur permet de disposer d'un outil de reconnaissance de grande précision
distancié, coûteux mais sans risque, dont les seules limites sont la couverture nuageuse et la
capacité des analystes à faire parler les images, même si les masques de l'urbanisation compliquent
le travail.
Cette phase de reconnaissance satellitaire peut être complétée par des reconnaissances aériennes au
moyen d'avions, d'hélicoptères et de drones ; ces modes permettent de préciser les objectifs et de
suivre les cibles, avec le choix d'une gamme large permettant de jouer sur la dichotomie
« précision/furtivité ».
Cette qualité dans la reconnaissance des objectifs permet d'appliquer des frappes précises, que ce
soit avec des aéronefs pilotés (bombardiers, avions d'attaque, hélicoptères), de plus en plus avec des
drones armés ou directement par des missiles tirés depuis un bateau positionné à distance de
sécurité.
De son côté, l'adversaire peut disposer de systèmes de défense aérienne : missiles légers sol-air mis
en œuvre par un binôme de type MANPAD4
ou canons bi-tubes ou à affûts quadruples. Il peut
également recourir à des drones du commerce et y apporter des modifications mineures et peu
coûteuses, pour en faire des outils d'observation à courte distance et surtout des instruments de
projection de guerre psychologique en les dotant de bombinettes, capables de la pire efficacité.
Pour autant, là encore, l'avantage des forces adossées aux puissances occidentales est certain,
permettant l'engagement à distance et/ou sans l'homme, gage de sécurité et d'économie de vies
humaines.
Une deuxième ligne d'action, appartenant à la dimension immatérielle, vient compléter ce
panorama.
2. la guerre dans le cyberespace ou la capacité potentielle à prendre l'ascendant.
Par cette expression sont entendues ici toutes les actions techniques de lutte informatique offensive
et défensive, visant d'une part à intercepter les échanges de voix, de données et d'images, à perturber
les communications de l'adversaire et d'autre part à se prémunir des actions du même type engagées
par celui-ci. Même si cela ressortit d'un domaine un peu différent, nous y incluons toutes les actions
psychologiques qui recourent à l'outil informatique pour tromper l'adversaire et jouer sur sa
détermination.
Dans ce domaine, l'asymétrie constatée est moindre. En effet, il s'agit ici de technologies au mieux
duales et au pire purement civiles, donc accessibles facilement et pour un coût relativement
modique, si nous le comparons à des satellites, des bombes guidées au laser ou à des drones de
haute altitude. Par ailleurs, propagande habile et capacité financière permettent de recruter nombre
d'ingénieurs et techniciens spécialisés dans le domaine ; cette compétence permet un saut qualitatif
par rapport au premier type de confrontation décrit supra.
Compte tenu de la très forte dépendance des armes de haute technologie à l'informatique, la lutte
informatique apparaît déterminante car prendre le contrôle à distance d'un satellite ou plus
simplement du système de guidage d'une bombe laser ou d'un drone permet d'effacer l'avantage
théorique énoncé plus haut.
Il y a enfin un troisième terrain qui a toutes les vertus égalisatrices : l'action terrestre.
4 Man-portable air defence system
3. L'action terrestre, caractère indépassable d'une lutte inhumaine.
Depuis que le surplus de l'agriculture a permis à l'homme d'inventer le phénomène urbain, la guerre
contre lui est une réalité, qu'il soit un refuge ou le centre de la puissance, et la phase dont le détail
suit se répète à l'envi.
Elle voit se succéder les préparations d'artillerie, qu'il s'agisse de feux grégeois, de boulets puis
d'obus et de roquettes. Cette projection de puissance vise à réduire les défenses de l'adversaire, tant
physiques que psychologiques, afin de faire tomber une cité par le siège ou pour faciliter ensuite la
saisie des quartiers et maisons.
Pendant les périodes médiévale et moderne pourtant, le fait urbain fait peur à l'homme de guerre qui
préfère « faire campagne » dans un « champ de bataille », plutôt que d'engager ses troupes dans les
dangers des rues.
Même si l'action est indirecte, elle est au sol et il est un moment où l'attaquant risque le contre-feu,
le fameux tir de contre-batterie appliqué par le défenseur et destiné à priver l’assaillant de cette
capacité. L'invention de la poudre est synonyme d'un surplus de puissance et d'allonge ; elle signe
l'arrêt de mort des fortifications devenues inutiles mais le rôle de l'artillerie demeure.
L'invention des blindés, combinaison du feu et du mouvement, apporte une révolution; elle permet
au fantassin ou au sapeur de progresser, protégé par la carapace du char. Mais cette formule
fonctionne tant que le char est en mouvement ; s'il vient à s'arrêter, il est mort, cible trop facile de
ceux qui défendent, tapis dans quelque ruine. Il y a donc une phase avec, puis une phase sans,
lorsque l'entrelacs des rebuts de bombardement vient à former une barrière que même la chenille ne
peut franchir.
Les armes individuelles ont certes évolué, offrant un choix étoffé au combattant de la rue et la
découverte de la poudre a permis la modernisation des armes de jet. Pourtant, depuis l'invention du
fusil à chargement par la culasse, nulle révolution en la matière n'a été constatée. Aux armes
longues, le combat à distance, celui des tireurs d'élite qui sèment la terreur dans les rangs de
l'ennemi. Aux armes courtes, le combat à vue, de part et d'autre de la rue, de bloc à bloc, de pièce à
pièce.
C'est également le terrain du jet à main : grenades ou bombes incendiaires ; le terrain des pièges :
mines, munitions et autres bricolages meurtriers.
C'est enfin le terrain des changements de perspective dans le déplacement : les pleins remplacent les
vides, le couvert le découvert, l'espace fermé le terrain libre. Il devient courant de percer murs,
plafonds et planchers pour circuler d'une maison à l'autre, plutôt que de traverser la rue. Il devient
habituel de tendre des masques de tissu pour cacher les déplacements : la toile protège mieux que la
brique mais gare aux ombres...
L'exposé, certes rapide et incomplet qui précède, permet de rappeler les fondamentaux : une force
aussi dotée de technologie soit-elle, ne doit jamais oublier les fondamentaux de la guerre au milieu
du fait urbain : il arrive toujours un moment, plus ou moins rapide, où ce type de terrain a une vertu
égalisatrice et où la guerre, d'asymétrique, redevient symétrique.
Dans la phase ultime du combat de rue, chacun retrouve son instinct de chasseur, les modes de
communication physiques remplacent le numérique, La connaissance du terrain, de ses habitants et
de leurs modes de vie, des systèmes constructifs, la technologie. La robustesse tant physique que
psychologique et la résilience prennent tout leur sens ; c'est la lutte des perceptions,
l'instrumentalisation de la peur, qu'un GPS ne permet pas d'effacer.
Les armées occidentales ont donc non seulement l'obligation de continuer à cultiver les valeurs de
base du soldat, fondées sur la rusticité, et les savoirs du fantassin et du sapeur, mais aussi de
développer l'étude de la guerre en zone urbaine, en s'appuyant sur l'étude de cas historique, sur les
retours d'expérience des armées récemment et/ou régulièrement engagées dans ce type
d'affrontement et surtout de réfléchir à l'adaptation des doctrines et en cours à l'évolution des villes :
évolution des matériaux et des techniques constructives, course à la verticalité, recours aux espaces
souterrains et prolifération de l'habitat précaire.

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Guerre urbaine 2.0 : ne pas oublier les fondamentaux.

  • 1. Marc-Emmanuel Privat Guerre urbaine 2.0 : ne pas oublier les fondamentaux. En 2000, Laurent Murawiec commettait La Guerre au XXIe siècle, livre dans lequel il prédisait, pour les États occidentaux, une conduite de la guerre à distance, grâce à une technologie dominatrice. Malgré quelques aficionados, des voix s'étaient élevées pour rappeler la prépondérance du « brouillard de la guerre », en dénonçant un culte de la technologie trompeur1 . Les combats récents menés en Irak et en Syrie pour reprendre des cités occupées soit par Daech, soit par les opposants au régime d'Assad sont un nouveau contre-exemple et sont l'occasion de tirer un enseignement plus général du recours à la technologie dans la guerre urbaine. Afin de cadrer le développement qui suit, les mots « guerre » et « urbain » prendront le sens ci- après. La guerre est ici entendue comme un conflit asymétrique opposant une force de type conventionnel, appuyée par une ou des puissances majeures, et une force armée de type révolutionnaire2 , dotée de moyens terrestres conséquents, soutenue discrètement par un ou des États partageant son idéologie. L'asymétrie est à la fois quantitative et qualitative, compte tenu de l'appui technique apporté par les puissances marraines ; l'aspect qualitatif est un des nœuds du développement qui suit. L'expression « guerre urbaine » a ici été préférée à celle de « guerre en ville », habituellement retenue3 . La nuance peut sembler purement sémantique mais la notion de « ville » appartient davantage au registre des perceptions et recouvre moult définitions variables d'ordre statistique selon les auteurs et les disciplines. L'idée retenue ici est d'étudier la guerre qui se déroule dans un environnement d'habitat regroupé, permettant d'embrasser tout l'éventail depuis l'ensemble urbain historique au bâti bas et hétéroclite parcouru de ruelles au schéma improbable, jusqu'au centre de commandement politico-financier aux constructions verticales à circulations au cordeau, en passant par les ensembles d'habitations individuelles, quasi-homogènes et résidentiels, le quartier administratif, les quartiers religio-scolaires (mosquées et madrassas), les quartiers commerciaux regroupant les marchés, les zones artisanales ou industrielles. Cette définition permet de prendre en compte les espaces indéfinis de transition (friches industrielles, quartier en mutation, habitat précaire...) entre deux faits urbains clairement identifiables. Il semble que la supériorité technologique, si elle peut apporter un avantage comparatif à un moment de la bataille, n'exonère pas du recours aux unités au sol et a fortiori débarquées, afin de conduire la bataille des « cent derniers mètres », le combat en zone urbaine restant au XXIe siècle une lutte d'homme à homme, comme elle l'était à l'époque d’Énée le Tacticien. Trois lignes d'action majeures successives ou concomitantes peuvent être retenues dans ce combat : l'action à distance : il s'agit d'une projection de puissance directe dans la troisième dimension. L'action dans le cyberespace : ce mode d'action indirect est destiné à annihiler ou surclasser les moyens d'information et de communication de l'adversaire. Enfin l'action au contact, terrestre, qui permet de prendre possession matériellement de l'objectif. 1 Dominique DAVID, dans le n° 2/2000 de Politique étrangère, écrit, dans la recension du livre : « la logique unique est ici technolâtre. » 2 Le terme « terroriste » qui qualifie habituellement Daech, a été volontairement omis car trop connoté politiquement et décrédibilisé dans le champ de l'analyse géopolitique. 3 cf. les ouvrages suivants : La Ville et la guerre, dirigé par Antoine Picon ; Villes en guerre et guerres en ville, dirigé par François Grunewald ou La Guerre, la ville et le soldat de Jean-Louis Dufour.
  • 2. 1. Reconnaître et frapper l'adversaire à distance : recourir au ciel et à l'espace : Dans cette phase, l'avance technologique des forces occidentales leur procure un avantage certain : la maille satellitaire leur permet de disposer d'un outil de reconnaissance de grande précision distancié, coûteux mais sans risque, dont les seules limites sont la couverture nuageuse et la capacité des analystes à faire parler les images, même si les masques de l'urbanisation compliquent le travail. Cette phase de reconnaissance satellitaire peut être complétée par des reconnaissances aériennes au moyen d'avions, d'hélicoptères et de drones ; ces modes permettent de préciser les objectifs et de suivre les cibles, avec le choix d'une gamme large permettant de jouer sur la dichotomie « précision/furtivité ». Cette qualité dans la reconnaissance des objectifs permet d'appliquer des frappes précises, que ce soit avec des aéronefs pilotés (bombardiers, avions d'attaque, hélicoptères), de plus en plus avec des drones armés ou directement par des missiles tirés depuis un bateau positionné à distance de sécurité. De son côté, l'adversaire peut disposer de systèmes de défense aérienne : missiles légers sol-air mis en œuvre par un binôme de type MANPAD4 ou canons bi-tubes ou à affûts quadruples. Il peut également recourir à des drones du commerce et y apporter des modifications mineures et peu coûteuses, pour en faire des outils d'observation à courte distance et surtout des instruments de projection de guerre psychologique en les dotant de bombinettes, capables de la pire efficacité. Pour autant, là encore, l'avantage des forces adossées aux puissances occidentales est certain, permettant l'engagement à distance et/ou sans l'homme, gage de sécurité et d'économie de vies humaines. Une deuxième ligne d'action, appartenant à la dimension immatérielle, vient compléter ce panorama. 2. la guerre dans le cyberespace ou la capacité potentielle à prendre l'ascendant. Par cette expression sont entendues ici toutes les actions techniques de lutte informatique offensive et défensive, visant d'une part à intercepter les échanges de voix, de données et d'images, à perturber les communications de l'adversaire et d'autre part à se prémunir des actions du même type engagées par celui-ci. Même si cela ressortit d'un domaine un peu différent, nous y incluons toutes les actions psychologiques qui recourent à l'outil informatique pour tromper l'adversaire et jouer sur sa détermination. Dans ce domaine, l'asymétrie constatée est moindre. En effet, il s'agit ici de technologies au mieux duales et au pire purement civiles, donc accessibles facilement et pour un coût relativement modique, si nous le comparons à des satellites, des bombes guidées au laser ou à des drones de haute altitude. Par ailleurs, propagande habile et capacité financière permettent de recruter nombre d'ingénieurs et techniciens spécialisés dans le domaine ; cette compétence permet un saut qualitatif par rapport au premier type de confrontation décrit supra. Compte tenu de la très forte dépendance des armes de haute technologie à l'informatique, la lutte informatique apparaît déterminante car prendre le contrôle à distance d'un satellite ou plus simplement du système de guidage d'une bombe laser ou d'un drone permet d'effacer l'avantage théorique énoncé plus haut. Il y a enfin un troisième terrain qui a toutes les vertus égalisatrices : l'action terrestre. 4 Man-portable air defence system
  • 3. 3. L'action terrestre, caractère indépassable d'une lutte inhumaine. Depuis que le surplus de l'agriculture a permis à l'homme d'inventer le phénomène urbain, la guerre contre lui est une réalité, qu'il soit un refuge ou le centre de la puissance, et la phase dont le détail suit se répète à l'envi. Elle voit se succéder les préparations d'artillerie, qu'il s'agisse de feux grégeois, de boulets puis d'obus et de roquettes. Cette projection de puissance vise à réduire les défenses de l'adversaire, tant physiques que psychologiques, afin de faire tomber une cité par le siège ou pour faciliter ensuite la saisie des quartiers et maisons. Pendant les périodes médiévale et moderne pourtant, le fait urbain fait peur à l'homme de guerre qui préfère « faire campagne » dans un « champ de bataille », plutôt que d'engager ses troupes dans les dangers des rues. Même si l'action est indirecte, elle est au sol et il est un moment où l'attaquant risque le contre-feu, le fameux tir de contre-batterie appliqué par le défenseur et destiné à priver l’assaillant de cette capacité. L'invention de la poudre est synonyme d'un surplus de puissance et d'allonge ; elle signe l'arrêt de mort des fortifications devenues inutiles mais le rôle de l'artillerie demeure. L'invention des blindés, combinaison du feu et du mouvement, apporte une révolution; elle permet au fantassin ou au sapeur de progresser, protégé par la carapace du char. Mais cette formule fonctionne tant que le char est en mouvement ; s'il vient à s'arrêter, il est mort, cible trop facile de ceux qui défendent, tapis dans quelque ruine. Il y a donc une phase avec, puis une phase sans, lorsque l'entrelacs des rebuts de bombardement vient à former une barrière que même la chenille ne peut franchir. Les armes individuelles ont certes évolué, offrant un choix étoffé au combattant de la rue et la découverte de la poudre a permis la modernisation des armes de jet. Pourtant, depuis l'invention du fusil à chargement par la culasse, nulle révolution en la matière n'a été constatée. Aux armes longues, le combat à distance, celui des tireurs d'élite qui sèment la terreur dans les rangs de l'ennemi. Aux armes courtes, le combat à vue, de part et d'autre de la rue, de bloc à bloc, de pièce à pièce. C'est également le terrain du jet à main : grenades ou bombes incendiaires ; le terrain des pièges : mines, munitions et autres bricolages meurtriers. C'est enfin le terrain des changements de perspective dans le déplacement : les pleins remplacent les vides, le couvert le découvert, l'espace fermé le terrain libre. Il devient courant de percer murs, plafonds et planchers pour circuler d'une maison à l'autre, plutôt que de traverser la rue. Il devient habituel de tendre des masques de tissu pour cacher les déplacements : la toile protège mieux que la brique mais gare aux ombres... L'exposé, certes rapide et incomplet qui précède, permet de rappeler les fondamentaux : une force aussi dotée de technologie soit-elle, ne doit jamais oublier les fondamentaux de la guerre au milieu du fait urbain : il arrive toujours un moment, plus ou moins rapide, où ce type de terrain a une vertu égalisatrice et où la guerre, d'asymétrique, redevient symétrique. Dans la phase ultime du combat de rue, chacun retrouve son instinct de chasseur, les modes de communication physiques remplacent le numérique, La connaissance du terrain, de ses habitants et de leurs modes de vie, des systèmes constructifs, la technologie. La robustesse tant physique que psychologique et la résilience prennent tout leur sens ; c'est la lutte des perceptions, l'instrumentalisation de la peur, qu'un GPS ne permet pas d'effacer. Les armées occidentales ont donc non seulement l'obligation de continuer à cultiver les valeurs de base du soldat, fondées sur la rusticité, et les savoirs du fantassin et du sapeur, mais aussi de développer l'étude de la guerre en zone urbaine, en s'appuyant sur l'étude de cas historique, sur les retours d'expérience des armées récemment et/ou régulièrement engagées dans ce type d'affrontement et surtout de réfléchir à l'adaptation des doctrines et en cours à l'évolution des villes : évolution des matériaux et des techniques constructives, course à la verticalité, recours aux espaces souterrains et prolifération de l'habitat précaire.