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l’interview
Stephane PEILZ, VP Afrique chez B & Industries
“78 % des états
subsahariens ont
déréglementé leur cadre
législatif coutumier
en faveur de la libre
entreprise”
Monde Economique : Jusqu’à récemment, la simple
idée de voir le capital-investissement et les fonds
spéculatifs arriver en masse pour miser sur le conti-
nent africain paraissait presque incongrue. C’est
aujourd’hui une réalité. Qu’est-ce qui a changé ?
Stephane PEILZ : D’un point de vue microéconomique,
78 % des états subsahariens ont déréglementé leur cadre
législatif coutumier en faveur de la libre entreprise. D’un
point de vue macroéconomique, et selon les données de
la Banque Mondiale, non seulement le ROI en Afrique
prend le pas sur les marchés émergents traditionnels,
mais 35 pays ont, selon « The Economist Intelligence
Unit », un index démocratique supérieur à la Chine…
Cela laisse rêveur !
Monde Economique : Fait exceptionnel pour un
continent exportateur net de matières premières, la
croissance est toujours au rendez-vous en Afrique.
Or, on observe encore une certaine réticence de la
part des investisseurs à s’engager dans les marchés
africains. Qu’est-ce qui justifie ces réticences ?
Stephane PEILZ : La méconnaissance dont pâtit
l’Afrique dans l’opinion publique en Occident. Au-delà
des clichés d’une Afrique de la pauvreté, il y a un conti-
nent dont le taux de croissance moyen du PIB, au cours
de la dernière décennie, a oscillé entre 5 et 5,5 %. Sur
cette même période, des 10 pays ayant eu le plus grand
taux de croissance mondial, 7 étaient en Afrique subsaha-
rienne. C’est également la seule partie du monde qui bé-
néficie du dividende de sa population, c’est-à-dire que le
ratio des personnes actives est le plus élevé par rapport
aux personnes dépendantes. Débat sans fin au sein de
l’OCDE…
Monde Economique : L’Afrique a en stock un ca-
pital privé parmi les plus faibles des pays en dé-
veloppement, mais qui connaît une croissance plus
rapide qu’ailleurs. Comment les entreprises euro-
péennes et notamment suisses peuvent-elles profi-
ter du boom africain ?
Stephane PEILZ : En misant sur la croissance plutôt
que sur la réduction des coûts ou l’attentisme, néces-
saires mais stériles à terme. Quant aux entreprises qui
utilisent des distributeurs, la question à se poser est celle
de leurs marges et de leur image de marque. Ne perdons
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pas de vue la présence des entreprises étrangères, no-
tamment chinoises, habituées au standing suisse. Deux
autres atouts : la qualité, et notre neutralité face à des
appétits et ambitions féroces de certaines grandes ex- et
futures puissances coloniales.
Monde Economique : Parvenir à promouvoir une
marque d’un bout à l’autre d’un continent, mo-
saïque de plus de 50 pays marquée par la diversi-
té des langues et des cultures, n’est pas chose fa-
cile. Partant de votre expertise, dans quelle région
d’Afrique les entreprises devraient-elles se posi-
tionner en premier lieu ?
Stephane PEILZ : L’Afrique subsaharienne mais en
tenant compte justement de sa diversité. Cette balka-
nisation de l’Afrique subsaharienne, notamment lié au
système tribal, est aussi une immense opportunité en
termes commerciaux. Effectivement, cela permet de
mutualiser les risques sur diverses régions, alors qu’une
modification législative sur la Russie ou la Chine, pays
de prédilection relativement clos, impacte l’ensemble de
vos produits ou services. A titre d’exemple, l’interdit du
tabac en Russie entraina pertes et fracas. En conclusion,
les entreprises se doivent de cibler une dizaine de pays
simultanément.
Monde Economique : Quelle plus value votre struc-
ture peut-elle apporter dans l’accompagnement des
entreprises qui souhaitent se tourner vers l’Afrique ?
“Des 10 pays ayant
eu le plus grand taux
de croissance mondial,
7 étaient en Afrique
subsaharienne”
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l’interview
Stephane PEILZ, VP Afrique chez B & Industries
“Pour l’Afrique
subsaharienne,
les compétences requises
sont la négociation et la
diplomatie industrielle”
Stephane PEILZ : Traditionnellement, les entreprises
ont tendances à envoyer des spécialistes de la branche
industrielle concernée pour aborder un marché. J’abon-
derais dans ce sens hormis pour l’Afrique subsaharienne
où les compétences requises sont la négociation et la di-
plomatie industrielle.
Les compétences intrinsèques à une industrie, fut-elle
une longue expérience bancaire, horlogère ou les meil-
leurs MBA, est secondaire face aux compétences person-
nelles, en l’espèce celles de la négociation, du consensus,
de la gestion des réseaux… qui ne s’apprennent que sur
place, et se mesurent au nombre de cheveux gris.
J’ajouterais que ne pas appartenir à une tribu, sujet d’os-
tracisme ou de méfiance locale, peut se révéler être un
atout, d’autant si vous parlez le français, l’anglais et l’afri-
kaans. Enfin, les chefs d’états africains voguent entre les
eaux de sociétés secrètes et celles de l’omniprésence de
Dieu, deux mondes auxquels j’appartiens.
Monde Economique : L’implantation des entre-
prises suisses sur le continent africain peut-elle
s’avérer judicieuse pour leur croissance ?
Stephane PEILZ : Dans la mesure ou le service de la
dette des Etats ne doit pas dépasser les 50 % des PIB na-
tionaux, ceux-ci ont recours aux partenariats Public-Pri-
vé –panacée en termes de gestion des risques et de re-
tour sur investissements– et à une législation favorable
pour les présences étrangères locales et son corolaire
de dérèglementations. Tel était du moins un des mes-
sages du sommet Africa 2016 qui s’est tenu à Paris en
septembre.
L’histoire a démontré qu’être au bon moment au bon en-
droit appartient aux entreprises visionnaires...