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QUAND LE CANDOMBLÉ, RELIGION AFRO-BRÉSILIENNE, SE SAISIT
DES MÉDIAS
Patricia de Aquino
Nouveau Monde éditions | Le Temps des médias
2011/2 - n° 17
pages 100 à 110
ISSN 1764-2507
Article disponible en ligne à l'adresse:
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2011-2-page-100.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
de Aquino Patricia, « Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias »,
Le Temps des médias, 2011/2 n° 17, p. 100-110. DOI : 10.3917/tdm.017.0100
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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Entre 1532 et 1850,près de la moi-
tié des onze millions d’esclaves razziés
sur le continent africain vers le Nou-
veau Monde furent déportés au Brésil.
Au lendemain de l’indépendance
(1822),lapopulationbrésiliennecomp-
tait 75 % de Noirs et de métis. Appar-
tenant à différentes ethnies africaines,
ils apportèrent les cultes de leurs
ancêtres divinisés, autant de savoirs
rituelscomplexescomposésdemots,de
prières, de connaissances phytothéra-
peutiques,mais aussi musicales et culi-
naires,qui traversent aujourd’hui l’en-
semble de la langue et la culture brési-
liennes. Les rythmes musicaux de la
samba, les saveurs culinaires du xinxim
de galinha ou de l’acarajé trouvent leur
source dans les percussions et les mets
sacrificiels consacrés aux divinités afro-
brésiliennes.Ilsparticipentdésormaisde
l’identité métissée du pays.
Le terme candomblé, d’origine ban-
toue,désigne les cérémonies publiques
au cours desquelles les dieux viennent
danser et se mêler aux humains dans la
transe de possession. Candomblé fait
encore référence à la maison de culte,
où se déroulent les rites initiatiques,les
sacrifices, et souvent, les consultations
où le destin est interrogé à travers les
cauris manipulés par le devin.
Le processus de légitimation reli-
gieuse du candomblé couvre une pé-
riode historique relativement courte -
un siècle- liée à l’émergence de la presse
écrite,delaradio,delatélévisionjusqu’à
l’arrivée d’Internet.De ce point de vue,
le candomblé constitue un observatoire
pertinent pour saisir la manière dont les
acteurs religieux se sont appropriés les
supports de communication et conti-
nuent d’investir l’espace public. Ayant
fait l’objet de répression policière au
XIXe
siècleetdanslapremièremoitiédu
XXe , ces rites sacrificiels et de posses-
sion ont longtemps été stigmatisés par
la société brésilienne.Jusqu’aux années
1950,alors que la presse écrite véhicu-
lait l’image de coutumes primitives et
barbares des «féticheurs»,les membres
descultesafro-brésiliensontjouéunrôle
100
Quand le candomblé,
religion afro-brésilienne, se saisit des médias
Patricia de Aquino*
N°17 – Automne 2011 Le Temps des Médias
* Laboratoire d’anthropologie sociale - EHESS/CNRS/Collège de France.
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actif dans la divulgation de la samba,
forme musicale à matrice religieuse liée
au candomblé.
L’essor des médias visuels,par l’exhi-
bition mâtinée de voyeurisme de rites
tenus secrets, entraîne une prise de
conscience identitaire et une redéfini-
tion des stratégies des acteurs en ce qui
concerne les frontières cultuelles du
dicible et du visible. Religion initia-
tique,soumise à des règles de transmis-
sion et d’accès au savoir,le candomblé
suppose que ses rituels soient préservés
du regard profane.
La question sera modifiée au cours
des années 1980,marquées par la reven-
dication politique d’une identité cul-
turelle forte. Les significations des
images documentaires sont alors rééla-
borées à rebours d’une exploitation
sensationnaliste pour fonder le can-
domblé en tradition africaine.Il s’agit
de mettre en évidence,et aussi en scène,
les similitudes des rites entre les deux
continents. Cette appropriation des
supports de communication a visé l’in-
tégration du candomblé comme reli-
gion parmi les autres.
L’arrivée des blogs et des réseaux
sociaux introduit, à partir des années
2000,de nouvelles modalités de diffu-
sion avec cette particularité que les usa-
gers en sont presque exclusivement les
acteurs.Cette communication à usage
interne installe Internet comme lieu
privilégié de contrôle de la tradition et
d’organisation de la résistance aux
églises évangéliques qui développent
uneviolenteoppositionauxcultesafro-
brésiliens.
Jusqu’aux années 1950,
la réhabilitation des traditions
Entrel’abolitiondel’esclavage(1888)
et la première moitié du XXe
,l’héritage
africain n’a pas bonne presse.Les jour-
naux stigmatisent les rituels afro-brési-
liensendénigrantle«primitivisme»des
pratiques,les actes barbares (sacrifices)
ou obscènes (danses de possession).Les
gazettes rendent compte positivement
de la répression policière contre les pra-
tiques rituelles et des procès intentés
pour charlatanisme, fausse médecine,
extorsion de fonds,tapage nocturne.Le
«motif religieux», lui, n’est jamais
avancécar,dèslapremièrecharteconsti-
tutionnelle de 1824,la liberté de culte
est garantie1.En 1831,le premier code
pénal renforce ce principe en considé-
rant comme crime le fait d’«abuser ou
moquern’importequelculteétablidans
l’Empireàtraversdespapiersimprimés,
lithographiés ou gravés, qui se distri-
buent à plus de quinze personnes,ou à
traversdesdiscoursproférésenréunions
publiques, ou à l’occasion, et dans les
lieux où se déroule le culte»2
.
Ces dispositions légales ne freinent
pas le ton ironique et méprisant des
articles traitant de l’univers afro-brési-
lien.En 1904,pour la première fois,le
sujet quitte les pages des faits divers et
de la chronique policière.João do Rio
réalise une série de reportages sur les
cultesdelacapitale,publiésdanslequo-
tidienGazetadeNotícias,avantd’enfaire
un recueil,As religiões no Rio,«Les reli-
gions à Rio».«En lisant les grands quo-
tidiens, nous imaginons vivre dans un
101
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pays essentiellement catholique […].
Cependant, la ville grouille de reli-
gions».
Dès l’introduction,le journaliste dis-
qualifie son informateur: «Antônio
connaît très bien N.D.des Douleurs,est
familierdesorixálas[divinités]d’Afrique,
mais ne respecte que le papier-monnaie
et le Porto [le vin apéritif] ». Le devin
consulté est «un pauvre vieux rusé et
ingénu»; les initiations, «une des plus
barbares et inexplicables coutumes des
fétiches de Rio».La fin d’une cérémo-
nie ravive les fantasmes d’une sexualité
débridée:«toutes ces chairs hypermé-
tisséessedressaientvibrantespourlabac-
chanale».
Outre le répertoire relativement
informé de ces reportages,qui en font
l’une des premières ethnographies en
négatif des cultes afro-brésiliens,il est à
remarquer que les lecteurs de la Gazeta
de Notícias étaient suffisamment fami-
liers de la langue rituelle afro-brési-
lienne pour que l’auteur se dispense
d’en expliciter les termes.L’affirmation
de la distance vis à vis de cet univers par
son dénigrement devenait d’autant plus
nécessaire que la proximité géogra-
phique était réelle et qu’un monde par-
tagé, une nation républicaine, était en
voie de construction3.Paradoxalement,
la volonté politique d’union nationale
allaitouvrirunespaceauxformesmusi-
calesportéespardesacteursappartenant
auxtraditionsreligieusesd’originesafri-
caines.
Au cours des vingt premières décen-
nies du XXe
siècle,la samba,qui entre-
tient par ses rythmes et ses acteurs,un
lien organique avec les cultes,arrive sur
la scène nationale et devient un genre
musical à part entière.Cette «nationa-
lisation» de la samba renforce la pré-
sence des référents et du lexique rituel
du candomblé dans la culture et la
langue,à travers notamment les paroles
des morceaux diffusés à la radio.
Il est d’usage de considérer PeloTele-
phone comme la première samba enre-
gistrée (1917).Officiellement signé par
Donga et Mauro de Almeida,le mor-
ceau serait en réalité une composition
collective, émanant des réunions qui
animaientleMorrodaConceiçãoàRio
de Janeiro,quartier d’éminentes figures
de l’univers afro-brésilien.Tout comme
aujourd’hui,unefoislescélébrationsdes
divinités achevées,les adeptes prolon-
geaient les festivités autour d’improvi-
sations musicales profanes, sur fond
d’imprégnationreligieuse.«J’espèreque
tu en prendras une/Pour ne plus jamais
faire ça/Voler les amours appartenant à
d’autres/Et ensuite faire un“feitiço”»
disent les paroles de PeloTelephone. Le
dernierverspourraitêtretraduitpar«Et
ensuite faire des rites afro-brésiliens».
Le texte évoque ainsi sans détour,dans
un grand succès populaire,les pratiques
rituelles de matrice africaine.
Dans ces quartiers afro-brésiliens,
naquirentégalementlesranchos,cesasso-
ciations préfigurant les défilés du car-
naval.Hilário Jovino Ferreira,respon-
sable rituel du candomblé,a été l’un des
principauxartisansdelafêtequicontri-
bue aujourd’hui au renom internatio-
nal de Rio de Janeiro.En témoigne une
annonce,signée de son nom,parue le 2
102
DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ
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février1906,dansleJornaldoBrasil,invi-
tant l’ensemble des ranchos à se retrou-
ver dans le quartier dit de la petite
Afrique4
. Membre de la Garde natio-
nale,corps honorifique de l’armée,les
initiatives d’Hilário révèlent son intel-
ligence de l’époque. Initialement, les
ranchos défilaient lors de la fête des Rois
et détonnaient face à la circonspection
affichéeparlesfidèlescatholiques.Hilá-
rio décida donc de reporter la date de
défilé de son rancho à la période du car-
naval; les autres groupes festifs se ran-
gèrent au nouveau calendrier. «J’ai
fondé le Rei de Ouro qui a cessé de
défiler le jour approprié, le 6 janvier,
parce que les gens n’étaient pas habi-
tués à ça.J’ai donc décidé de transférer
ledéfiléauCarnaval»,déclare-t-ilauJor-
nal do Brasil,le 18 janvier 1913.Cela fai-
sait deux ans que le quotidien finançait
le défilé des ranchos, précurseurs des
actuelles écoles de samba, posant ainsi
les jalons des compétitions au cœur du
carnaval carioca contemporain.
L’arrivée au pouvoir de Getúlio Var-
gas, à la suite du coup d’État de 1930,
s’accompagne de la mise en place du
contrôle politique des moyens de com-
munication.Pour lui,il s’agit d’engager
le pays dans l’ère industrielle,avec une
«sociéténouvelle»,soudéeautourd’une
valeur majeure,le travail,et d’une cul-
ture nationale. Pendant que la répres-
sion policière5
se poursuit et que
résonne une samba édulcorée, le can-
domblé commence à se transformer en
objet d’études scientifiques6
, grâce en
particulier à un universitaire, membre
decandombléetauteurdeplusieursou-
vrages sur les cultes afro-brésiliens.
Paraissent alors les premiers articles de
presse non dépréciatifs sur les cultes
afro-brésiliens. En 1937, Edison Car-
neiro,organise à Salvador,le deuxième
Congrès afro-brésilien, et fonde une
première structure associative,l’Union
dessectesafro-brésiliennes.L’association
est présidée par Martiniano do Bonfim,
célèbre devin né de parents esclaves
affranchis qui figure aujourd’hui parmi
les grands ancêtres,rituellement salués
au début des cérémonies de candom-
blé. La création de l’association est
annoncée dans le journal O Estado da
Bahia, du 4 août 1937, qui y consacre
danslesjoursquisuiventplusieurssujets.
La plupart des journalistes de l’é-
poque continuent de s’illustrer dans le
rôledegardiensdel’ordreetdelamora-
lité. La police n’en fait pas assez: «Le
candombléallaitdisparaîtremaislesup-
pléant du commissaire a prévenu les
intéressés»,titrait O Estado da Bahia le
13février1937.«Nousavonsportél’af-
faire à la connaissance du […] Secré-
taire de la sûreté publique»,poursuit le
reporter,sefaisantleporte-paroled’une
société qui a, ainsi que l’écrit son
confrère,atteint un «degré de civilisa-
tion […] (qui) ne comporte plus la pra-
tiquedecertainsactes,propresauxindi-
vidus totalement ignorants […] origi-
naires d’Africains imbéciles»7.
À la radio,la samba,passée au tamis
des agences de censure gouvernemen-
tales, devient le genre musical emblé-
matique du carnaval et de la nation.
AquareladoBrasil,composépar AryBar-
roso en 1939,est révélateur de l’ambi-
103
Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias
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tiond’uneépoque:exalterl’uniténatio-
nale rassemblant la diversité culturelle
brésilienne. Les paroles retracent, dans
un style lyrique et ampoulé,le voyage
du poète ébaubi par les régions du pays.
«Etj’aiétéradieux/Quandjesuisarrivé
à Bahia/[…]/Des nuits de magie, du
candomblé».
La diffusion du candomblé gagne
l’Amérique du Nord avec une compo-
sition musicale de Dorival Caymmi.
Interprété par Carmen Miranda, dans
le film A banana da terra de Wallace
Downey,lemorceauOqueéqueabaiana
tem? «Quels sont les atouts de la Bahia-
naise? », popularise, avec sa diffusion
internationale,les tenues vestimentaires
des initiées au candomblé: turban,
jupons amidonnés, jupes et tuniques
brodées, colliers aux perles colorées
attribuées aux divinités.
Des années 1950 aux années
1980:vers la reconnaissance de la
mémoire historique des cultes
À la fin des années 1930,un nouveau
magazine hebdomadaire,O Cruzeiro,a
introduit le photo-reportage dans le
journalisme auriverde. Des actions de
publicité inédites ont orchestré son lan-
cement:quatre millions de prospectus
ont été lancés depuis le toit des
immeubles de la capitale, invitant son
milliond’habitantsàdécouvrirlapubli-
cation dite «contemporaine des gratte-
ciels».Lepremieréditorialannonceque
«la plus moderne des revues» est née,
circulant «depuis l’Amazonie jusqu’au
Rio Grande do Sul,s’infiltrant à travers
touteslesvilles».Le15septembre1951,
O Cruzeiro publie des photos d’initia-
tion rituelle. Le photo-reportage est
encore dans les mémoires d’initiées
anciennes «une honte! » ; comme en
témoigne aujourd’hui Mãe Beata,il est
jugé «très mauvais pour notre religion.
Premièrement, parce que ce sont des
choses qui ne se montrent pas. Même
pour beaucoup d’argent. Deuxième-
ment, parce que le sang, le sacrifice
impressionnent ceux qui ne compren-
nent pas le sens de nos rituels».«Dans
notre maison, il est interdit de photo-
graphierlescérémonies,affirmeRegina
d’Iemanjá.Même les fêtes ouvertes au
public.Si on veut voir les dieux,il faut
se déplacer.C’est notre tradition.».La
questiondel’enregistrementetdeladif-
fusiond’imagessoulèvedescontroverses
toujours actuelles.
Le reportage «Le dieu a soif de sang»
fait ainsi l’objet d’un lancement à grand
bruit,avec teasing8
.La veille,le quotidien
deBahiaODiáriodeNotíciasenannonce
la sortie par une photo:plan américain
sur le buste d’un novice dégoulinant du
sang d’une volaille aux ailes déployées,
que des mains, appartenant à des per-
sonnages hors-champ,maintiennent au
dessusdesoncrânerasé.Aupremierplan
de l’image, un amoncellement de
plumessuggèreunehécatombedevola-
tiles. Sensationnalistes, les pages de O
Cruzeiro voulaient concurrencer le
reportage «Les possédées de Bahia»
publié par Paris-Match quelques mois
auparavant,àpartird’«unextraordinaire
documentethnographique»collectépar
Henri-Georges Clouzot.Cependant,le
104
DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ
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texte du journaliste brésilien, Arlindo
Silva,accompagnant les photos de José
Medeiros, adopte un ton nouveau, de
neutralité descriptive.
L’impact du reportage dans les
milieux du candomblé de l’époque se
vérifie par l’annonce,dans le journal A
Tarde du 22 novembre 1951,de la tenue
d’une réunion à la Fédération bahia-
naise de culte afro-brésilien. À l’ordre
du jour,une discussion sur le caractère
«convenable [ou non] des publications
qui ont été faites dans les revues Paris
Match et O Cruzeiro au sujet du culte
africain à Bahia».Selon le témoignage
de José Medeiros,de nombreuses mai-
sons de culte s’étaient opposées aux cli-
chés qui avaient finalement pu être réa-
lisés en échange de rémunération.Mal-
gré l’anonymat préservé dans la revue,
la responsable du candomblé aurait été
ostracisée par ses pairs.Quant au pho-
tographe, il raconte qu’après la publi-
cation, il ne s’enregistre plus que sous
un faux nom dans les hôtels de Salva-
dor pour éviter les ebós - rites,sorts ou
maléfices-dontilpourraitêtrevictime.
À la même époque, Pierre Verger,
photographed’originefrançaiseinstallé
au Brésil et grand initié du candomblé,
aurait refusé de fournir des images de
cérémonies initiatiques à O Cruzeiro,
dontilétaitpourtantuncorrespondant.
En 1954,des clichés de transe de pos-
session,montrant des initiés aux cultes
des mêmes divinités de part et d’autre
de l’Atlantique, sont pourtant publiés
dans son ouvrage Dieux d’Afrique paru
chez Hartmann. La préface de Théo-
dore Monod éclaire les critères prési-
dant aux choix de l’auteur-photo-
graphe:«Cequinousarriveici,enplein
visage,à l’improviste,ce n’est pas l’ha-
bituellematièreàcuriosité–voire,hélas,
à sourire – de l’usuelle littérature de
magazine […] ce prestigieux butin, il
n’étaitpasàlaportéed’untouristeordi-
naire, ou même à un ethnologue du
modèle habituel,de le conquérir.[…]
Pierre Verger ne dit pas tout, et ne
montre pas tout. Car c’est, aussi, un
sage».
À partir des années 1950,se délimi-
tent,dans le monde du candomblé,les
champs de ce qui peut être divulgué,
médiatisé, porté à la connaissance des
profanes et du plus grand nombre,et ce
qui doit demeurer réservé aux initiés,
sacré,mis à l’écart du public.Le respect
de ces frontières continuellement redé-
finies par la communauté des adeptes
engendre une différenciation des mai-
sons de culte en plus ou moins «tradi-
tionnelles»,plusoumoinsrespectueuses
des interdits.
En1956,JoãozinhodaGoméia,jeune
responsable d’une maison de culte à Rio
deJaneiro,doitaffronterlesfoudresd’ini-
tiées plus anciennes,après s’être déguisé
en vedette pendant le carnaval.Danseur
talentueux, son spectacle présentant les
chorégraphies propres aux divinités fait
salle comble au Casino d’Urca,haut lieu
de la nuit carioca.Quand le journaliste
de O Cruzeiro lui demande si cette théâ-
tralisation n’est pas contraire aux règle-
ments du candomblé, il répond: «En
aucunemanière,monami.D’abord,parce
qu’avantdemedéguiser,j’enaidemandé
l’autorisationàmadivinité.Ensuite,parce
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quelefaitdemedéguiserenfemmen’est
pas un manquement de respect à l’égard
demoncultequiestuneSuisseentermes
de démocratie». Malgré les critiques
qu’ont pu susciter ses initiatives, João-
zinho da Goméia a été l’un des plus
grands promoteurs de la reconnaissance
sociale du candomblé.En 1967,il fait la
unedeOCruzeiroquiconsacrehuitpages
auxparuresrituellesdesdivinitésdupan-
théon.En1970,ilincarnesonproprerôle
dans le film Copacabana mon amour, de
Rogério Sganzerla,où on le voit réaliser
des rites purificatoires sur le personnage
interprété par Helena Ignez, muse du
cinéma expérimental brésilien.
Les années 1960 et 1970 sont des
décennies fertiles pour le développe-
ment de la musique populaire brési-
lienne. La télévision, arrivée en 1950,
s’installe dans les foyers,et promeut des
festivals musicaux qui,tous les ans,bat-
tent des records d’audience.De la Bossa
NovaàlaTropicália,lesréférentsducan-
domblé sont adoptés par les artistes et
intellectuels, qui se lancent dans la
contre-culture,et à travers eux,par les
classesmoyennes,accédantauxbiensde
consommation.
Les Afro-sambas (1966), de Baden
Powell et Vinícius de Moraes,vont bien
au-delàdesempruntsinstrumentauxou
rythmiques et des termes liturgiques
glissés dans les paroles,pour évoquer de
manière précise,les entités du candom-
blé dans leurs spécificités musicales,de
champs d’action,de caractère. Ainsi,au
début des années 1970,avec l’essor des
vidéoclips, Clara Nunes, chanteuse-
interprète,construitsacarrièresurl’uni-
vers des traditions afro-brésiliennes non
plus stylisées,comme Carmen Miranda
trente ans plus tôt, mais revendiquées
comme vécues. À chaque entretien
accordé à la presse,l’artiste souligne son
appartenance religieuse.Dans Conto de
areia,vidéoclip diffusé sur TV Globo en
1974, un dimanche à 20 heures, Clara
Nunes,en tenue rituelle,évolue entou-
rée de personnages,véritables vignettes
du culte, qui arborent les parures et
insignes de leur divinité.
En 1972,en hommage à la prêtresse
d’un célèbre lieu de culte de Salvador,
Dorival Caymmi compose Oração de
Mãe Menininha, devenue un hymne
populaire,reprispardeuxcélèbreschan-
teuses Maria Bethânia et Gal Costa,ini-
tiées du candomblé.En 1976,l’école de
samba Mocidade independente de Padre
Miguel choisit pour thème de son défilé,
le fil narratif de la vie de cette religieuse,
parmilespluspopulairesdel’histoire.La
bouclesemblebouclée.Néedespercus-
sions religieuses,la samba,devenue chef
d’orchestre de la plus grande fête natio-
nale - le carnaval - rend hommage à sa
source,le candomblé.
Aveclareconnaissancesociale,semet
en place un nouveau régime de visibi-
lité que l’on peut qualifier d’«histoire
de la mémoire»9.Il s’agit de fonder his-
toriquement les éléments transmis par
la mémoire orale du candomblé.Pierre
Verger en sera l’instigateur,entre autres
par la publication de sa thèse dans une
édition brésilienne en 1985, Flux et
reflux du trafic des esclaves entre le Golfe du
Bénin et la Baie de Tous les Saints, avec
l’appui de Fernand Braudel.
106
DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ
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Des années 1980 aux années
2000: le régime de
patrimonialisation des cultes
À l’aube des années 1980,l’émission
de télévision Globo repórter programme
un documentaire sur le candomblé,O
poder do machado de Xangô,Le pouvoir de
la double hache de Xangô,dieu de la foudre,
réalisé par Paulo Gil Soares.Pierre Ver-
ger,quiavaitrefusédefournirlesimages
pour O Cruzeiro,contribue activement
à l’élaboration du sujet qui a pour fil
rouge le voyage entrepris par un initié
brésilien au temple de sa divinité en
terresafricaines.Lessimilitudesentredes
ritesdesdeuxcontinentssontsoulignées
àtraverslesséquencesmontéesenparal-
lèle. Filmées dans leur contexte, les
transes ne font pas l’objet d’interpréta-
tionsmédicalesoupsychologiques.Elles
font plutôt vaciller la voix off,qui com-
mente, dans un mouvement d’empa-
thie:«lepuissanthéritage[…]surgitdevant
nous».Lecandomblédevientainsirémi-
niscenceculturelledontilseraitpossible
de retrouver les traces originelles.
LorsdelasecondeConférencemon-
diale sur la tradition et la culture des ori-
sas (divinités) en 1983, à Salvador, des
responsablesdemaisonsdecultesignent
une lettre ouverte, largement relayée
dans la presse: «Il est clair que notre
croyance est une religion et non une
secte syncrétique. […] Nous ne pou-
vons pas penser, ni nous laisser penser
comme folklore,secte,animisme,reli-
gion primitive».Il s’agit de contrer les
stéréotypes désignant le candomblé
comme «chose du Diable»,«pratiques
africaines primitives ou syncrétiques»,
oumoyende«propagandetouristique».
Le tournant politique de la revendica-
tion religieuse est amorcé.
L’affirmation du candomblé comme
religion trouve un écho dans la série
télévisée Mãe de santo,diffusée en 1990
sur TV Manchete.Les mythes des enti-
tésdivinessontjouésautraversdespéri-
péties vécues par les personnages à
chaque épisode.En général,un événe-
ment malheureux amène les protago-
nistes à s’adresser à une maison de can-
domblé qui prend rituellement en
charge leur sort. Ainsi le spectateur est
invité à opérer la relation symbolique
entre la vie quotidienne et les épopées
qui racontent les ancêtres divinisés.
Dix ans après la lettre ouverte de
1983,une de ses signataires,Mãe Stella,
publiel’ouvrageMeutempoéagora(Mon
temps est maintenant ).L’auteur explique
comment elle dirige la maison de culte
dont elle a la charge. Entre les lignes,
s’édictent des normes destinées à éviter
la «profanation» de la religion;la prin-
cipale étant le respect de la hiérarchie
initiatique qui préserve,du regard pro-
fane et donc des médias, les rites dits
internes. Les publications10
de Mãe
Beata, directrice d’une autre maison,
semblent affirmer qu’au-delà de ce qui
doit rester secret, les adeptes du can-
domblésontdétenteursd’unsavoirpar-
tagé qu’ils souhaitent diffuser: contes,
proverbes,récitstransmisparlesanciens,
uncorpusporteurd’ethostraduisantun
style,un mode de vie,d’être au monde.
Lieu de culte,lieu de culture,les can-
domblés,à partir des années 1980,sont
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pris dans le mouvement d’historicisa-
tion de la mémoire,symptomatique des
classificationsaupatrimoinehistorique.
Les plus anciennes maisons bénéficient
alors d’importantes subventions pour la
remise en état de leurs constructions,
souvent précaires. L’inauguration des
chantierssubventionnés,enprésencedu
ministre de la culture, est largement
reprise dans les médias, et sur le site
Internet du Ministère11
.
Avec Internet, les adeptes du can-
domblé se sont saisis de la toile.Désor-
mais,unepluralitéd’initiésnarrentleurs
expériences vécues sur leurs pages per-
sonnelles, diffusent des articles de
sciences sociales,postent sur leur blog
des documents d’archives sur leurs mai-
sons de culte.Le web est devenu aussi
un lieu de visionnement des fêtes pu-
bliques, souvent mises en ligne dès le
lendemain de leur célébration.Le pré-
sentisme induit par Youtube fait que ces
événements semblent immédiatement
transformés en objets que l’on pourrait
dire patrimoniaux, c’est-à-dire com-
mémorés12
, vus, revus, glosés, com-
mentés.
Cette fragmentation médiatique des
modes d’institution du religieux n’est
pourtantpasàconfondreavecunedéré-
gulation généralisée des formes tradi-
tionnelles car dans le même mouve-
ment, Internet a remis en tension la
question du partage entre ce qui peut
êtremontréetdit,etcequidoitêtrepré-
servé et tu.Orkut et Facebook consti-
tuent le salon privilégié de ces échanges
dont la teneur varie selon que les dis-
cussions se déroulent au sein des «com-
munautés»oudes«amis»-àl’accèsplus
ou moins sélectif.
Internet est également devenu un
lieudemilitancepolitiquepourlecom-
bat contre «l’intolérance religieuse».Le
développement d’églises évangéliques,
accompagnées de leur credo prosélyte,
se traduit par des campagnes de com-
municationoffensives.Achetéeparl’É-
glise universelle du règne de dieu en
2000,TV Record,deuxième chaîne du
paysaprèsTVGlobo,consacredenom-
breusesémissionsauxséancesdeprêche
et d’exorcisme où il s’agit d’expulser les
divinités afro-brésiliennes du corps de
ses adeptes. Les bulletins internes de
l’Église sont régulièrement condamnés
par les tribunaux pour utilisation abu-
sive d’images de membres de candom-
blé, présentés comme de dangereux
charlatans. Les blogueurs du candom-
blé dénoncent ces attaques évangé-
liques, relaient l’actualité thématique,
organisent et promeuvent des manifes-
tations d’envergure nationale, telle la
désormais traditionnelle marche contre
l’intolérance religieuse,le 21 janvier.
En décembre 2009, un fait divers
ayant provoqué une véritable commo-
tion nationale témoigne des nouveaux
enjeux présidant aux relations entre
candomblé et médias dans le contexte
contemporain. Au service d’urgence
d’un hôpital de Bahia, les médecins,
ayant réalisé des radiographies d’un
enfant de deux ans,découvrent que son
corps a été transpercé de plus de cin-
quanteaiguilles.Sonbeau-pèreenserait
le responsable,ayant accompli des rites
de «magie noire» pour se venger de la
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mère de l’enfant. Aussitôt,Mãe Stella,
prêtressedeSalvador,donneuneconfé-
rence de presse: «les aiguilles n’existent
pas dans le candomblé»13
.Sur Youtube et
lesblogs,cetteinterviewetsesdifférents
montages repris des journaux télévisés
sont immédiatement relayés.
Le Jour national de combat contre
l’intolérance religieuse,créé par le gou-
vernement en 2007,est célébré dans les
grandes villes du pays au cours d’une
marche œcuménique.L’investissement
des adeptes de candomblé dans l’orga-
nisation de cet événement fortement
médiatisé témoigne des nouvelles stra-
tégiesd’affirmationnonseulementreli-
gieuses,mais aussi politiques.À la veille
des élections de 2012, ces marches
constituent un terrain de choix pour
les campagnes électorales des différents
partis.
Le XXe
siècle a donc vu les acteurs
du candomblé modifier le regard et la
lecture portés sur leurs rituels en se sai-
sissant des médias. Ils ont opéré une
dynamiquedeconstructiondeleurvisi-
bilitéreligieuse,d’abordàtraverslaréha-
bilitation de leurs traditions, puis la
reconnaissance de leur mémoire histo-
rique.Sur le web aujourd’hui,ils mar-
quent la présence de leur identité col-
lective et se livrent à leur propre exé-
gèse.La grande fluidité d’Internet per-
met d’ouvrir l’éventail des ressources
identitaires en multipliant les réseaux
d’interaction à l’intérieur de l’hétéro-
généitédesmaisonsdeculte.Encesens,
la toile n’entraîne ni dissémination par-
ticularisante,ni homogénéisation glo-
balisée,elle ouvre plutôt sur le renfor-
cement des appartenances en tissant de
nouvelles relations inter-candomblés.
109
Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias
Notes
1
Elle l’est depuis la charte de 1824,qui pose
les fondements de la monarchie constitution-
nelle,deux ans après l’indépendance.Le texte
déclare dans son Titre 1,article 5:«La Reli-
gion Catholique Apostolique Romaine
continuera à être la Religion de l’Empire.
Toutes les autres Religions seront permises
avec leur culte domestique,ou particulier,en
maisons destinées à cela, sans aucune forme
extérieure de temple
www.planalto.gov.br/ccivil_03/constitui-
cao/constitui%C3%A7ao24.htm-accèsle31
janvier 2011.Traduction réalisée,comme les
suivantes,par l’auteur.
2
www.planalto.gov.br/ccivil_03/Leis/LIM
/LIM-16-12-1830.htm - accès le 31 janvier
2011.
3
La première constitution de la République
proclamée en 1889 est promulguée en 1891.
Lecatholicismecessed’êtrereligionofficielle.
La liberté de culte – public,cette fois-ci - est
réaffirmée;ledroitd’interventiondelapolice
en vue du maintien de l’ordre est souligné.
Unedispositionquiconcernedirectementles
cultes afro-brésiliens,dans leur usage de tam-
bours nécessaires à la célébration du culte.
Constitutionde1891: www.planalto.gov.br/
ccivil_03/Constituicao/Constitui%C3%A7ao
91.htm - accès le 4/2/2011
4
Tia Ciata e a pequenaAfrica no Rio de Janeiro,
Roberto Moura,éd.Funarte,Rio de Janeiro:
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1983 (p.93).
5
La rédaction de la constitution de 1934 fait
apparaître, dans le paragraphe consacré à la
liberté religieuse,l’expression,«bonnes cou-
tumes», absente des textes précédents: «La
liberté de conscience et de croyance sont
inviolables et le libre exercice des cultes reli-
gieux est garanti, dès lors qu’ils ne contre-
viennent pas à l’ordre public et aux bonnes
coutumes».
6
Arthur Ramos lui consacrera un grand
nombredepublicationsentre1932etledébut
des années 1960.
7
Júlio Braga,Na Gamela do feitiço,ed.UFBA,
Salvador:1995 (p.157).
8
Fernando de Tacca,«Candomblé – imagens
do sagrado» in Campos,Revista de antropologia
social,São Paulo,2003:147-164 (p.153).
9
François Hartog,Régimes d’historicité.Présen-
tisme et expériences du temps,Seuil,Paris:2002.
10
Caroço de Dendê:a sabedoria dos terreiros,Pal-
las,Rio de Janeiro:1997,Histórias que a minha
avócontava,TerceiraMargem,SãoPaulo:2004.
11
Pour un exemple récent, 11/02/2011:
www.cultura.gov.br/site/2011/02/11/ile-
axe-opo-afonja-2
12
Charles Péguy,«Clio.Dialogue de l’histoire
et de l’âme païenne» in Œuvres en prose com-
plète,Gallimard/Pléiade,Paris:1992.
13
www.youtube.com/watch?v=p13OekD
CFpk&NR=1
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Quand le candomblé se saisit des médias

  • 1. QUAND LE CANDOMBLÉ, RELIGION AFRO-BRÉSILIENNE, SE SAISIT DES MÉDIAS Patricia de Aquino Nouveau Monde éditions | Le Temps des médias 2011/2 - n° 17 pages 100 à 110 ISSN 1764-2507 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2011-2-page-100.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- de Aquino Patricia, « Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias », Le Temps des médias, 2011/2 n° 17, p. 100-110. DOI : 10.3917/tdm.017.0100 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Nouveau Monde éditions. © Nouveau Monde éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 2. Entre 1532 et 1850,près de la moi- tié des onze millions d’esclaves razziés sur le continent africain vers le Nou- veau Monde furent déportés au Brésil. Au lendemain de l’indépendance (1822),lapopulationbrésiliennecomp- tait 75 % de Noirs et de métis. Appar- tenant à différentes ethnies africaines, ils apportèrent les cultes de leurs ancêtres divinisés, autant de savoirs rituelscomplexescomposésdemots,de prières, de connaissances phytothéra- peutiques,mais aussi musicales et culi- naires,qui traversent aujourd’hui l’en- semble de la langue et la culture brési- liennes. Les rythmes musicaux de la samba, les saveurs culinaires du xinxim de galinha ou de l’acarajé trouvent leur source dans les percussions et les mets sacrificiels consacrés aux divinités afro- brésiliennes.Ilsparticipentdésormaisde l’identité métissée du pays. Le terme candomblé, d’origine ban- toue,désigne les cérémonies publiques au cours desquelles les dieux viennent danser et se mêler aux humains dans la transe de possession. Candomblé fait encore référence à la maison de culte, où se déroulent les rites initiatiques,les sacrifices, et souvent, les consultations où le destin est interrogé à travers les cauris manipulés par le devin. Le processus de légitimation reli- gieuse du candomblé couvre une pé- riode historique relativement courte - un siècle- liée à l’émergence de la presse écrite,delaradio,delatélévisionjusqu’à l’arrivée d’Internet.De ce point de vue, le candomblé constitue un observatoire pertinent pour saisir la manière dont les acteurs religieux se sont appropriés les supports de communication et conti- nuent d’investir l’espace public. Ayant fait l’objet de répression policière au XIXe siècleetdanslapremièremoitiédu XXe , ces rites sacrificiels et de posses- sion ont longtemps été stigmatisés par la société brésilienne.Jusqu’aux années 1950,alors que la presse écrite véhicu- lait l’image de coutumes primitives et barbares des «féticheurs»,les membres descultesafro-brésiliensontjouéunrôle 100 Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias Patricia de Aquino* N°17 – Automne 2011 Le Temps des Médias * Laboratoire d’anthropologie sociale - EHESS/CNRS/Collège de France. tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page100 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 3. actif dans la divulgation de la samba, forme musicale à matrice religieuse liée au candomblé. L’essor des médias visuels,par l’exhi- bition mâtinée de voyeurisme de rites tenus secrets, entraîne une prise de conscience identitaire et une redéfini- tion des stratégies des acteurs en ce qui concerne les frontières cultuelles du dicible et du visible. Religion initia- tique,soumise à des règles de transmis- sion et d’accès au savoir,le candomblé suppose que ses rituels soient préservés du regard profane. La question sera modifiée au cours des années 1980,marquées par la reven- dication politique d’une identité cul- turelle forte. Les significations des images documentaires sont alors rééla- borées à rebours d’une exploitation sensationnaliste pour fonder le can- domblé en tradition africaine.Il s’agit de mettre en évidence,et aussi en scène, les similitudes des rites entre les deux continents. Cette appropriation des supports de communication a visé l’in- tégration du candomblé comme reli- gion parmi les autres. L’arrivée des blogs et des réseaux sociaux introduit, à partir des années 2000,de nouvelles modalités de diffu- sion avec cette particularité que les usa- gers en sont presque exclusivement les acteurs.Cette communication à usage interne installe Internet comme lieu privilégié de contrôle de la tradition et d’organisation de la résistance aux églises évangéliques qui développent uneviolenteoppositionauxcultesafro- brésiliens. Jusqu’aux années 1950, la réhabilitation des traditions Entrel’abolitiondel’esclavage(1888) et la première moitié du XXe ,l’héritage africain n’a pas bonne presse.Les jour- naux stigmatisent les rituels afro-brési- liensendénigrantle«primitivisme»des pratiques,les actes barbares (sacrifices) ou obscènes (danses de possession).Les gazettes rendent compte positivement de la répression policière contre les pra- tiques rituelles et des procès intentés pour charlatanisme, fausse médecine, extorsion de fonds,tapage nocturne.Le «motif religieux», lui, n’est jamais avancécar,dèslapremièrecharteconsti- tutionnelle de 1824,la liberté de culte est garantie1.En 1831,le premier code pénal renforce ce principe en considé- rant comme crime le fait d’«abuser ou moquern’importequelculteétablidans l’Empireàtraversdespapiersimprimés, lithographiés ou gravés, qui se distri- buent à plus de quinze personnes,ou à traversdesdiscoursproférésenréunions publiques, ou à l’occasion, et dans les lieux où se déroule le culte»2 . Ces dispositions légales ne freinent pas le ton ironique et méprisant des articles traitant de l’univers afro-brési- lien.En 1904,pour la première fois,le sujet quitte les pages des faits divers et de la chronique policière.João do Rio réalise une série de reportages sur les cultesdelacapitale,publiésdanslequo- tidienGazetadeNotícias,avantd’enfaire un recueil,As religiões no Rio,«Les reli- gions à Rio».«En lisant les grands quo- tidiens, nous imaginons vivre dans un 101 Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page101 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 4. pays essentiellement catholique […]. Cependant, la ville grouille de reli- gions». Dès l’introduction,le journaliste dis- qualifie son informateur: «Antônio connaît très bien N.D.des Douleurs,est familierdesorixálas[divinités]d’Afrique, mais ne respecte que le papier-monnaie et le Porto [le vin apéritif] ». Le devin consulté est «un pauvre vieux rusé et ingénu»; les initiations, «une des plus barbares et inexplicables coutumes des fétiches de Rio».La fin d’une cérémo- nie ravive les fantasmes d’une sexualité débridée:«toutes ces chairs hypermé- tisséessedressaientvibrantespourlabac- chanale». Outre le répertoire relativement informé de ces reportages,qui en font l’une des premières ethnographies en négatif des cultes afro-brésiliens,il est à remarquer que les lecteurs de la Gazeta de Notícias étaient suffisamment fami- liers de la langue rituelle afro-brési- lienne pour que l’auteur se dispense d’en expliciter les termes.L’affirmation de la distance vis à vis de cet univers par son dénigrement devenait d’autant plus nécessaire que la proximité géogra- phique était réelle et qu’un monde par- tagé, une nation républicaine, était en voie de construction3.Paradoxalement, la volonté politique d’union nationale allaitouvrirunespaceauxformesmusi- calesportéespardesacteursappartenant auxtraditionsreligieusesd’originesafri- caines. Au cours des vingt premières décen- nies du XXe siècle,la samba,qui entre- tient par ses rythmes et ses acteurs,un lien organique avec les cultes,arrive sur la scène nationale et devient un genre musical à part entière.Cette «nationa- lisation» de la samba renforce la pré- sence des référents et du lexique rituel du candomblé dans la culture et la langue,à travers notamment les paroles des morceaux diffusés à la radio. Il est d’usage de considérer PeloTele- phone comme la première samba enre- gistrée (1917).Officiellement signé par Donga et Mauro de Almeida,le mor- ceau serait en réalité une composition collective, émanant des réunions qui animaientleMorrodaConceiçãoàRio de Janeiro,quartier d’éminentes figures de l’univers afro-brésilien.Tout comme aujourd’hui,unefoislescélébrationsdes divinités achevées,les adeptes prolon- geaient les festivités autour d’improvi- sations musicales profanes, sur fond d’imprégnationreligieuse.«J’espèreque tu en prendras une/Pour ne plus jamais faire ça/Voler les amours appartenant à d’autres/Et ensuite faire un“feitiço”» disent les paroles de PeloTelephone. Le dernierverspourraitêtretraduitpar«Et ensuite faire des rites afro-brésiliens». Le texte évoque ainsi sans détour,dans un grand succès populaire,les pratiques rituelles de matrice africaine. Dans ces quartiers afro-brésiliens, naquirentégalementlesranchos,cesasso- ciations préfigurant les défilés du car- naval.Hilário Jovino Ferreira,respon- sable rituel du candomblé,a été l’un des principauxartisansdelafêtequicontri- bue aujourd’hui au renom internatio- nal de Rio de Janeiro.En témoigne une annonce,signée de son nom,parue le 2 102 DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page102 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 5. février1906,dansleJornaldoBrasil,invi- tant l’ensemble des ranchos à se retrou- ver dans le quartier dit de la petite Afrique4 . Membre de la Garde natio- nale,corps honorifique de l’armée,les initiatives d’Hilário révèlent son intel- ligence de l’époque. Initialement, les ranchos défilaient lors de la fête des Rois et détonnaient face à la circonspection affichéeparlesfidèlescatholiques.Hilá- rio décida donc de reporter la date de défilé de son rancho à la période du car- naval; les autres groupes festifs se ran- gèrent au nouveau calendrier. «J’ai fondé le Rei de Ouro qui a cessé de défiler le jour approprié, le 6 janvier, parce que les gens n’étaient pas habi- tués à ça.J’ai donc décidé de transférer ledéfiléauCarnaval»,déclare-t-ilauJor- nal do Brasil,le 18 janvier 1913.Cela fai- sait deux ans que le quotidien finançait le défilé des ranchos, précurseurs des actuelles écoles de samba, posant ainsi les jalons des compétitions au cœur du carnaval carioca contemporain. L’arrivée au pouvoir de Getúlio Var- gas, à la suite du coup d’État de 1930, s’accompagne de la mise en place du contrôle politique des moyens de com- munication.Pour lui,il s’agit d’engager le pays dans l’ère industrielle,avec une «sociéténouvelle»,soudéeautourd’une valeur majeure,le travail,et d’une cul- ture nationale. Pendant que la répres- sion policière5 se poursuit et que résonne une samba édulcorée, le can- domblé commence à se transformer en objet d’études scientifiques6 , grâce en particulier à un universitaire, membre decandombléetauteurdeplusieursou- vrages sur les cultes afro-brésiliens. Paraissent alors les premiers articles de presse non dépréciatifs sur les cultes afro-brésiliens. En 1937, Edison Car- neiro,organise à Salvador,le deuxième Congrès afro-brésilien, et fonde une première structure associative,l’Union dessectesafro-brésiliennes.L’association est présidée par Martiniano do Bonfim, célèbre devin né de parents esclaves affranchis qui figure aujourd’hui parmi les grands ancêtres,rituellement salués au début des cérémonies de candom- blé. La création de l’association est annoncée dans le journal O Estado da Bahia, du 4 août 1937, qui y consacre danslesjoursquisuiventplusieurssujets. La plupart des journalistes de l’é- poque continuent de s’illustrer dans le rôledegardiensdel’ordreetdelamora- lité. La police n’en fait pas assez: «Le candombléallaitdisparaîtremaislesup- pléant du commissaire a prévenu les intéressés»,titrait O Estado da Bahia le 13février1937.«Nousavonsportél’af- faire à la connaissance du […] Secré- taire de la sûreté publique»,poursuit le reporter,sefaisantleporte-paroled’une société qui a, ainsi que l’écrit son confrère,atteint un «degré de civilisa- tion […] (qui) ne comporte plus la pra- tiquedecertainsactes,propresauxindi- vidus totalement ignorants […] origi- naires d’Africains imbéciles»7. À la radio,la samba,passée au tamis des agences de censure gouvernemen- tales, devient le genre musical emblé- matique du carnaval et de la nation. AquareladoBrasil,composépar AryBar- roso en 1939,est révélateur de l’ambi- 103 Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page103 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 6. tiond’uneépoque:exalterl’uniténatio- nale rassemblant la diversité culturelle brésilienne. Les paroles retracent, dans un style lyrique et ampoulé,le voyage du poète ébaubi par les régions du pays. «Etj’aiétéradieux/Quandjesuisarrivé à Bahia/[…]/Des nuits de magie, du candomblé». La diffusion du candomblé gagne l’Amérique du Nord avec une compo- sition musicale de Dorival Caymmi. Interprété par Carmen Miranda, dans le film A banana da terra de Wallace Downey,lemorceauOqueéqueabaiana tem? «Quels sont les atouts de la Bahia- naise? », popularise, avec sa diffusion internationale,les tenues vestimentaires des initiées au candomblé: turban, jupons amidonnés, jupes et tuniques brodées, colliers aux perles colorées attribuées aux divinités. Des années 1950 aux années 1980:vers la reconnaissance de la mémoire historique des cultes À la fin des années 1930,un nouveau magazine hebdomadaire,O Cruzeiro,a introduit le photo-reportage dans le journalisme auriverde. Des actions de publicité inédites ont orchestré son lan- cement:quatre millions de prospectus ont été lancés depuis le toit des immeubles de la capitale, invitant son milliond’habitantsàdécouvrirlapubli- cation dite «contemporaine des gratte- ciels».Lepremieréditorialannonceque «la plus moderne des revues» est née, circulant «depuis l’Amazonie jusqu’au Rio Grande do Sul,s’infiltrant à travers touteslesvilles».Le15septembre1951, O Cruzeiro publie des photos d’initia- tion rituelle. Le photo-reportage est encore dans les mémoires d’initiées anciennes «une honte! » ; comme en témoigne aujourd’hui Mãe Beata,il est jugé «très mauvais pour notre religion. Premièrement, parce que ce sont des choses qui ne se montrent pas. Même pour beaucoup d’argent. Deuxième- ment, parce que le sang, le sacrifice impressionnent ceux qui ne compren- nent pas le sens de nos rituels».«Dans notre maison, il est interdit de photo- graphierlescérémonies,affirmeRegina d’Iemanjá.Même les fêtes ouvertes au public.Si on veut voir les dieux,il faut se déplacer.C’est notre tradition.».La questiondel’enregistrementetdeladif- fusiond’imagessoulèvedescontroverses toujours actuelles. Le reportage «Le dieu a soif de sang» fait ainsi l’objet d’un lancement à grand bruit,avec teasing8 .La veille,le quotidien deBahiaODiáriodeNotíciasenannonce la sortie par une photo:plan américain sur le buste d’un novice dégoulinant du sang d’une volaille aux ailes déployées, que des mains, appartenant à des per- sonnages hors-champ,maintiennent au dessusdesoncrânerasé.Aupremierplan de l’image, un amoncellement de plumessuggèreunehécatombedevola- tiles. Sensationnalistes, les pages de O Cruzeiro voulaient concurrencer le reportage «Les possédées de Bahia» publié par Paris-Match quelques mois auparavant,àpartird’«unextraordinaire documentethnographique»collectépar Henri-Georges Clouzot.Cependant,le 104 DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page104 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 7. texte du journaliste brésilien, Arlindo Silva,accompagnant les photos de José Medeiros, adopte un ton nouveau, de neutralité descriptive. L’impact du reportage dans les milieux du candomblé de l’époque se vérifie par l’annonce,dans le journal A Tarde du 22 novembre 1951,de la tenue d’une réunion à la Fédération bahia- naise de culte afro-brésilien. À l’ordre du jour,une discussion sur le caractère «convenable [ou non] des publications qui ont été faites dans les revues Paris Match et O Cruzeiro au sujet du culte africain à Bahia».Selon le témoignage de José Medeiros,de nombreuses mai- sons de culte s’étaient opposées aux cli- chés qui avaient finalement pu être réa- lisés en échange de rémunération.Mal- gré l’anonymat préservé dans la revue, la responsable du candomblé aurait été ostracisée par ses pairs.Quant au pho- tographe, il raconte qu’après la publi- cation, il ne s’enregistre plus que sous un faux nom dans les hôtels de Salva- dor pour éviter les ebós - rites,sorts ou maléfices-dontilpourraitêtrevictime. À la même époque, Pierre Verger, photographed’originefrançaiseinstallé au Brésil et grand initié du candomblé, aurait refusé de fournir des images de cérémonies initiatiques à O Cruzeiro, dontilétaitpourtantuncorrespondant. En 1954,des clichés de transe de pos- session,montrant des initiés aux cultes des mêmes divinités de part et d’autre de l’Atlantique, sont pourtant publiés dans son ouvrage Dieux d’Afrique paru chez Hartmann. La préface de Théo- dore Monod éclaire les critères prési- dant aux choix de l’auteur-photo- graphe:«Cequinousarriveici,enplein visage,à l’improviste,ce n’est pas l’ha- bituellematièreàcuriosité–voire,hélas, à sourire – de l’usuelle littérature de magazine […] ce prestigieux butin, il n’étaitpasàlaportéed’untouristeordi- naire, ou même à un ethnologue du modèle habituel,de le conquérir.[…] Pierre Verger ne dit pas tout, et ne montre pas tout. Car c’est, aussi, un sage». À partir des années 1950,se délimi- tent,dans le monde du candomblé,les champs de ce qui peut être divulgué, médiatisé, porté à la connaissance des profanes et du plus grand nombre,et ce qui doit demeurer réservé aux initiés, sacré,mis à l’écart du public.Le respect de ces frontières continuellement redé- finies par la communauté des adeptes engendre une différenciation des mai- sons de culte en plus ou moins «tradi- tionnelles»,plusoumoinsrespectueuses des interdits. En1956,JoãozinhodaGoméia,jeune responsable d’une maison de culte à Rio deJaneiro,doitaffronterlesfoudresd’ini- tiées plus anciennes,après s’être déguisé en vedette pendant le carnaval.Danseur talentueux, son spectacle présentant les chorégraphies propres aux divinités fait salle comble au Casino d’Urca,haut lieu de la nuit carioca.Quand le journaliste de O Cruzeiro lui demande si cette théâ- tralisation n’est pas contraire aux règle- ments du candomblé, il répond: «En aucunemanière,monami.D’abord,parce qu’avantdemedéguiser,j’enaidemandé l’autorisationàmadivinité.Ensuite,parce 105 Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page105 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 8. quelefaitdemedéguiserenfemmen’est pas un manquement de respect à l’égard demoncultequiestuneSuisseentermes de démocratie». Malgré les critiques qu’ont pu susciter ses initiatives, João- zinho da Goméia a été l’un des plus grands promoteurs de la reconnaissance sociale du candomblé.En 1967,il fait la unedeOCruzeiroquiconsacrehuitpages auxparuresrituellesdesdivinitésdupan- théon.En1970,ilincarnesonproprerôle dans le film Copacabana mon amour, de Rogério Sganzerla,où on le voit réaliser des rites purificatoires sur le personnage interprété par Helena Ignez, muse du cinéma expérimental brésilien. Les années 1960 et 1970 sont des décennies fertiles pour le développe- ment de la musique populaire brési- lienne. La télévision, arrivée en 1950, s’installe dans les foyers,et promeut des festivals musicaux qui,tous les ans,bat- tent des records d’audience.De la Bossa NovaàlaTropicália,lesréférentsducan- domblé sont adoptés par les artistes et intellectuels, qui se lancent dans la contre-culture,et à travers eux,par les classesmoyennes,accédantauxbiensde consommation. Les Afro-sambas (1966), de Baden Powell et Vinícius de Moraes,vont bien au-delàdesempruntsinstrumentauxou rythmiques et des termes liturgiques glissés dans les paroles,pour évoquer de manière précise,les entités du candom- blé dans leurs spécificités musicales,de champs d’action,de caractère. Ainsi,au début des années 1970,avec l’essor des vidéoclips, Clara Nunes, chanteuse- interprète,construitsacarrièresurl’uni- vers des traditions afro-brésiliennes non plus stylisées,comme Carmen Miranda trente ans plus tôt, mais revendiquées comme vécues. À chaque entretien accordé à la presse,l’artiste souligne son appartenance religieuse.Dans Conto de areia,vidéoclip diffusé sur TV Globo en 1974, un dimanche à 20 heures, Clara Nunes,en tenue rituelle,évolue entou- rée de personnages,véritables vignettes du culte, qui arborent les parures et insignes de leur divinité. En 1972,en hommage à la prêtresse d’un célèbre lieu de culte de Salvador, Dorival Caymmi compose Oração de Mãe Menininha, devenue un hymne populaire,reprispardeuxcélèbreschan- teuses Maria Bethânia et Gal Costa,ini- tiées du candomblé.En 1976,l’école de samba Mocidade independente de Padre Miguel choisit pour thème de son défilé, le fil narratif de la vie de cette religieuse, parmilespluspopulairesdel’histoire.La bouclesemblebouclée.Néedespercus- sions religieuses,la samba,devenue chef d’orchestre de la plus grande fête natio- nale - le carnaval - rend hommage à sa source,le candomblé. Aveclareconnaissancesociale,semet en place un nouveau régime de visibi- lité que l’on peut qualifier d’«histoire de la mémoire»9.Il s’agit de fonder his- toriquement les éléments transmis par la mémoire orale du candomblé.Pierre Verger en sera l’instigateur,entre autres par la publication de sa thèse dans une édition brésilienne en 1985, Flux et reflux du trafic des esclaves entre le Golfe du Bénin et la Baie de Tous les Saints, avec l’appui de Fernand Braudel. 106 DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page106 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 9. Des années 1980 aux années 2000: le régime de patrimonialisation des cultes À l’aube des années 1980,l’émission de télévision Globo repórter programme un documentaire sur le candomblé,O poder do machado de Xangô,Le pouvoir de la double hache de Xangô,dieu de la foudre, réalisé par Paulo Gil Soares.Pierre Ver- ger,quiavaitrefusédefournirlesimages pour O Cruzeiro,contribue activement à l’élaboration du sujet qui a pour fil rouge le voyage entrepris par un initié brésilien au temple de sa divinité en terresafricaines.Lessimilitudesentredes ritesdesdeuxcontinentssontsoulignées àtraverslesséquencesmontéesenparal- lèle. Filmées dans leur contexte, les transes ne font pas l’objet d’interpréta- tionsmédicalesoupsychologiques.Elles font plutôt vaciller la voix off,qui com- mente, dans un mouvement d’empa- thie:«lepuissanthéritage[…]surgitdevant nous».Lecandomblédevientainsirémi- niscenceculturelledontilseraitpossible de retrouver les traces originelles. LorsdelasecondeConférencemon- diale sur la tradition et la culture des ori- sas (divinités) en 1983, à Salvador, des responsablesdemaisonsdecultesignent une lettre ouverte, largement relayée dans la presse: «Il est clair que notre croyance est une religion et non une secte syncrétique. […] Nous ne pou- vons pas penser, ni nous laisser penser comme folklore,secte,animisme,reli- gion primitive».Il s’agit de contrer les stéréotypes désignant le candomblé comme «chose du Diable»,«pratiques africaines primitives ou syncrétiques», oumoyende«propagandetouristique». Le tournant politique de la revendica- tion religieuse est amorcé. L’affirmation du candomblé comme religion trouve un écho dans la série télévisée Mãe de santo,diffusée en 1990 sur TV Manchete.Les mythes des enti- tésdivinessontjouésautraversdespéri- péties vécues par les personnages à chaque épisode.En général,un événe- ment malheureux amène les protago- nistes à s’adresser à une maison de can- domblé qui prend rituellement en charge leur sort. Ainsi le spectateur est invité à opérer la relation symbolique entre la vie quotidienne et les épopées qui racontent les ancêtres divinisés. Dix ans après la lettre ouverte de 1983,une de ses signataires,Mãe Stella, publiel’ouvrageMeutempoéagora(Mon temps est maintenant ).L’auteur explique comment elle dirige la maison de culte dont elle a la charge. Entre les lignes, s’édictent des normes destinées à éviter la «profanation» de la religion;la prin- cipale étant le respect de la hiérarchie initiatique qui préserve,du regard pro- fane et donc des médias, les rites dits internes. Les publications10 de Mãe Beata, directrice d’une autre maison, semblent affirmer qu’au-delà de ce qui doit rester secret, les adeptes du can- domblésontdétenteursd’unsavoirpar- tagé qu’ils souhaitent diffuser: contes, proverbes,récitstransmisparlesanciens, uncorpusporteurd’ethostraduisantun style,un mode de vie,d’être au monde. Lieu de culte,lieu de culture,les can- domblés,à partir des années 1980,sont 107 Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page107 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 10. pris dans le mouvement d’historicisa- tion de la mémoire,symptomatique des classificationsaupatrimoinehistorique. Les plus anciennes maisons bénéficient alors d’importantes subventions pour la remise en état de leurs constructions, souvent précaires. L’inauguration des chantierssubventionnés,enprésencedu ministre de la culture, est largement reprise dans les médias, et sur le site Internet du Ministère11 . Avec Internet, les adeptes du can- domblé se sont saisis de la toile.Désor- mais,unepluralitéd’initiésnarrentleurs expériences vécues sur leurs pages per- sonnelles, diffusent des articles de sciences sociales,postent sur leur blog des documents d’archives sur leurs mai- sons de culte.Le web est devenu aussi un lieu de visionnement des fêtes pu- bliques, souvent mises en ligne dès le lendemain de leur célébration.Le pré- sentisme induit par Youtube fait que ces événements semblent immédiatement transformés en objets que l’on pourrait dire patrimoniaux, c’est-à-dire com- mémorés12 , vus, revus, glosés, com- mentés. Cette fragmentation médiatique des modes d’institution du religieux n’est pourtantpasàconfondreavecunedéré- gulation généralisée des formes tradi- tionnelles car dans le même mouve- ment, Internet a remis en tension la question du partage entre ce qui peut êtremontréetdit,etcequidoitêtrepré- servé et tu.Orkut et Facebook consti- tuent le salon privilégié de ces échanges dont la teneur varie selon que les dis- cussions se déroulent au sein des «com- munautés»oudes«amis»-àl’accèsplus ou moins sélectif. Internet est également devenu un lieudemilitancepolitiquepourlecom- bat contre «l’intolérance religieuse».Le développement d’églises évangéliques, accompagnées de leur credo prosélyte, se traduit par des campagnes de com- municationoffensives.Achetéeparl’É- glise universelle du règne de dieu en 2000,TV Record,deuxième chaîne du paysaprèsTVGlobo,consacredenom- breusesémissionsauxséancesdeprêche et d’exorcisme où il s’agit d’expulser les divinités afro-brésiliennes du corps de ses adeptes. Les bulletins internes de l’Église sont régulièrement condamnés par les tribunaux pour utilisation abu- sive d’images de membres de candom- blé, présentés comme de dangereux charlatans. Les blogueurs du candom- blé dénoncent ces attaques évangé- liques, relaient l’actualité thématique, organisent et promeuvent des manifes- tations d’envergure nationale, telle la désormais traditionnelle marche contre l’intolérance religieuse,le 21 janvier. En décembre 2009, un fait divers ayant provoqué une véritable commo- tion nationale témoigne des nouveaux enjeux présidant aux relations entre candomblé et médias dans le contexte contemporain. Au service d’urgence d’un hôpital de Bahia, les médecins, ayant réalisé des radiographies d’un enfant de deux ans,découvrent que son corps a été transpercé de plus de cin- quanteaiguilles.Sonbeau-pèreenserait le responsable,ayant accompli des rites de «magie noire» pour se venger de la 108 DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page108 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 11. mère de l’enfant. Aussitôt,Mãe Stella, prêtressedeSalvador,donneuneconfé- rence de presse: «les aiguilles n’existent pas dans le candomblé»13 .Sur Youtube et lesblogs,cetteinterviewetsesdifférents montages repris des journaux télévisés sont immédiatement relayés. Le Jour national de combat contre l’intolérance religieuse,créé par le gou- vernement en 2007,est célébré dans les grandes villes du pays au cours d’une marche œcuménique.L’investissement des adeptes de candomblé dans l’orga- nisation de cet événement fortement médiatisé témoigne des nouvelles stra- tégiesd’affirmationnonseulementreli- gieuses,mais aussi politiques.À la veille des élections de 2012, ces marches constituent un terrain de choix pour les campagnes électorales des différents partis. Le XXe siècle a donc vu les acteurs du candomblé modifier le regard et la lecture portés sur leurs rituels en se sai- sissant des médias. Ils ont opéré une dynamiquedeconstructiondeleurvisi- bilitéreligieuse,d’abordàtraverslaréha- bilitation de leurs traditions, puis la reconnaissance de leur mémoire histo- rique.Sur le web aujourd’hui,ils mar- quent la présence de leur identité col- lective et se livrent à leur propre exé- gèse.La grande fluidité d’Internet per- met d’ouvrir l’éventail des ressources identitaires en multipliant les réseaux d’interaction à l’intérieur de l’hétéro- généitédesmaisonsdeculte.Encesens, la toile n’entraîne ni dissémination par- ticularisante,ni homogénéisation glo- balisée,elle ouvre plutôt sur le renfor- cement des appartenances en tissant de nouvelles relations inter-candomblés. 109 Quand le candomblé, religion afro-brésilienne, se saisit des médias Notes 1 Elle l’est depuis la charte de 1824,qui pose les fondements de la monarchie constitution- nelle,deux ans après l’indépendance.Le texte déclare dans son Titre 1,article 5:«La Reli- gion Catholique Apostolique Romaine continuera à être la Religion de l’Empire. Toutes les autres Religions seront permises avec leur culte domestique,ou particulier,en maisons destinées à cela, sans aucune forme extérieure de temple www.planalto.gov.br/ccivil_03/constitui- cao/constitui%C3%A7ao24.htm-accèsle31 janvier 2011.Traduction réalisée,comme les suivantes,par l’auteur. 2 www.planalto.gov.br/ccivil_03/Leis/LIM /LIM-16-12-1830.htm - accès le 31 janvier 2011. 3 La première constitution de la République proclamée en 1889 est promulguée en 1891. Lecatholicismecessed’êtrereligionofficielle. La liberté de culte – public,cette fois-ci - est réaffirmée;ledroitd’interventiondelapolice en vue du maintien de l’ordre est souligné. Unedispositionquiconcernedirectementles cultes afro-brésiliens,dans leur usage de tam- bours nécessaires à la célébration du culte. Constitutionde1891: www.planalto.gov.br/ ccivil_03/Constituicao/Constitui%C3%A7ao 91.htm - accès le 4/2/2011 4 Tia Ciata e a pequenaAfrica no Rio de Janeiro, Roberto Moura,éd.Funarte,Rio de Janeiro: tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page109 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions
  • 12. 1983 (p.93). 5 La rédaction de la constitution de 1934 fait apparaître, dans le paragraphe consacré à la liberté religieuse,l’expression,«bonnes cou- tumes», absente des textes précédents: «La liberté de conscience et de croyance sont inviolables et le libre exercice des cultes reli- gieux est garanti, dès lors qu’ils ne contre- viennent pas à l’ordre public et aux bonnes coutumes». 6 Arthur Ramos lui consacrera un grand nombredepublicationsentre1932etledébut des années 1960. 7 Júlio Braga,Na Gamela do feitiço,ed.UFBA, Salvador:1995 (p.157). 8 Fernando de Tacca,«Candomblé – imagens do sagrado» in Campos,Revista de antropologia social,São Paulo,2003:147-164 (p.153). 9 François Hartog,Régimes d’historicité.Présen- tisme et expériences du temps,Seuil,Paris:2002. 10 Caroço de Dendê:a sabedoria dos terreiros,Pal- las,Rio de Janeiro:1997,Histórias que a minha avócontava,TerceiraMargem,SãoPaulo:2004. 11 Pour un exemple récent, 11/02/2011: www.cultura.gov.br/site/2011/02/11/ile- axe-opo-afonja-2 12 Charles Péguy,«Clio.Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne» in Œuvres en prose com- plète,Gallimard/Pléiade,Paris:1992. 13 www.youtube.com/watch?v=p13OekD CFpk&NR=1 DOSSIER: COMMUNIQUER LE SACRÉ tdm17.qxd:MPTdM8 11/11/11 23:18 Page110 Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BiblioSHS--193.54.110.35-03/06/201413h56.©NouveauMondeéditions