Quid de l’administration ?
P
our s’adapter à la crise sanitaire que nous traversons actuellement, les collégiens et lycéens
français ont vu leur environnement scolaire se transformer. La liste des mesures à mettre en
place afin d’assurer le bon fonctionnement des établissements est vaste et c’est à
l’administration que revient le rôle de garant de l’application du protocole sanitaire. Cependant,
toutes les adaptations à réaliser supposent que tous les établissements sont configurés de la même
façon, or, ce n’est pas le cas.
Prenons le cas d’un lycée du Val-de-Marne, Monsieur O., chef comptable du lycée nous a accordé
un entretien dans lequel il confie : « La règle de distanciation sociale n’est pas réalisable dans son
ensemble vu l’état actuel des bâtiments, ils n’ont pas été construits en tenant compte de l’arrivée
probable d’un tel virus ». En effet, la distanciation sociale, mesure phare du protocole sanitaire, se
trouve en réalité être assez compliquée à réaliser. Il a été recommandé de mettre 1m30 de distance
de gauche à droite ainsi qu’à l’avant et arrière de chaque élève afin que la mesure soit effective.
Cela signifie qu’il faudrait doubler voire tripler la taille des salles de classe. Mais comment pousser
des murs déjà construits ?
Le lycée de Monsieur O fait parti des lycées qui semblent avoir su gérer au mieux la situation : la
majorité des mesures ont pu être appliquées, et très peu de cas ont été détectés. Pourtant il explique
à plusieurs reprises au cours de l’entretien que le fait d’avoir reçu des directives aussi larges se
révèle être contraignant. « On ne peut pas faire deux sens de circulation dans les couloirs, ils sont
trop étroits, sur ce point on ne peut se fier qu’aux masques et espérer que ça aille ». Il pense qu’il
aurait été plus efficace de donner des règles claires et de les classer par ordre de grandeur
d’établissement par exemple.
Le virus a également permis de souligner le manque de moyens dont certains établissements sont
victimes. Si l’on se penche sur la problématique du lavage de main régulier, on s’aperçoit
rapidement que la plupart des établissements scolaires n’ont pas assez de point d’eau fonctionnel.
Pour ce qui est du reste des dispositifs sanitaires (masque, gel hydroalcoolique, gants, etc.) La
quasi-totalité de l’achat de ces équipements est à la charge de l’école. « On a beaucoup dépensé,
nous sommes arrivés à un total de plus de 30 000€ depuis le début de la crise sur la ligne (de
budget) COVID qui a été créé exprès » nous dit Monsieur O. Ces sommes très importantes ne sont
pourtant pas allouées à tous les établissements. Cela s’explique par le fait que les lycées dépendent
de la région qui possède beaucoup de moyens et s’en sortent donc mieux que les collèges, qui
dépendent eux des conseils départementaux qui font face à des inégalités en matière de dotation.
Outre le manque de moyen financier, c’est le manque de moyen humain qui se fait aussi ressentir.
« Il n’y a pas assez de personnel pour s’assurer que tout fonctionne. On nous a promis la possibilité
de faire des recrutements en intérim mais cela n’a jamais pu se faire. » Les syndicats de parents
d’élèves demandent l’embauche de plus de personnel afin de pouvoir organiser des classes à plus
petits effectifs pour permettre un meilleur respect des mesures ainsi que le retour de tous les élèves
en classe. Cette demande ne pourra pas aboutir car la suspension des recrutements de personnel par
l’Éducation Nationale ne semble pas se lever.
Pour le mois de septembre, d’après un article publié par le Parisien le 29 septembre 2020 et des
données issues de l’ARS, on dénombre que 75% des clusters détectés en Ile-de-France étaient des
établissements scolaires, de quoi inquiéter personnel éducatif, élèves et parents d’élèves. Des
manifestations contre les nouvelles mesures annoncées dans le protocole du 29 octobre 2020,
organisées le 10 novembre 2020 ont réuni 10% des effectifs enseignants du secondaire et près de
9% pour le primaire, qui souhaitent des mesures sanitaires plus strictes pour contenir la vague de
contaminations au covid dans les établissements scolaires.
Ces nombreux clusters sont le résultat d’un protocole sanitaire qui en plus de ne pas être adapté, n’a
pas pu être appréhendé par le corps enseignant et l’administration. « Les mesures nationales ne nous
sont pas annoncées avant, elles nous tombent dessus à travers les médias, et quand c’est le cas, les
syndicats, notamment celui des professeurs, nous demandent la marche à suivre mais on n’a pas la
réponse. On réfléchit à voix haute et ensemble » avoue Monsieur O.
Parmi les principales critiques émises, on note que le manque de clarté et de communication
reviennent à plusieurs reprises, ce qui peut mener à des situations telle que la suivante : « Le
premier confinement on était dans le flou, l’État nous demandait de télétravailler mais les logiciels
que nous utilisons ne sont disponible qu’au bureau. Il faut donc que je prenne le risque d’y aller
alors que rien n’est désinfecté mais on est obligé d’y aller pour payer la bourse de certains élèves
sinon les familles se retrouvent en difficultés ».
Au même niveau que la colère des élèves et du corps enseignant, le personnel administratif est lui
aussi sujet à une pression d’ordre psychologique : « C’est une situation assez anxiogène, parce que
mon travail c’est de répondre aux sollicitations du public, les commandes passent par moi donc s’il
manque de quelque chose c’est ma faute. Il y a une certaine peur de ne pas assurer, en cas de
débrayage je suis responsable. Ça m’oblige à passer des commandes même sur mon temps libre »
nous explique Monsieur O. En définitive, c’est la totalité de la structure scolaire qui subit les
conséquences du manque de précision de l’Éducation Nationale.
La crise sanitaire accentue-t-elle les inégalités socio-spatiales ? Là encore, les plus désavantagés
sont les établissements ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire) et ceux situés dans des zones urbaines
populaires démontrant ainsi un système à deux vitesse dans un système éducatif censé être
égalitaire.