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                                          Quoi de neuf sur l’autisme ?
                                                  coordonné par Yves Tillet et le Comité de rédaction
DOSSIER




                                               On parle beaucoup des maladies du vieillissement, mais on parle moins de celles qui surviennent à
                                               l'autre bout de la vie, au cours du développement, comme l'autisme. Plusieurs résultats récents
                                               apportent des éclairages nouveaux sur cette pathologie et il nous a semblé nécessaire de faire le
                                               point sur ce sujet.

                                         INTRODUCTION                                                           PHYSIOPATHOLOGIE DE L’AUTISME :
                                                                                                                DU SYNDROME COMPORTEMENTAL À LA SYNAPSE
                                         L'autisme de l'enfant                                                  Catherine Barthélémy (INSERM U.930, Tours)

                                            L'autisme de l'enfant a désormais réintégré la médecine                D’abord décrit comme une forme précoce de psycho-
                                         qu'il n'aurait jamais dû quitter. Léo Kanner qui, en 1943,             se schizophrénique, l’autisme est maintenant inscrit au
                                         en a individualisé les principaux signes(1), pensait qu'il             chapitre des troubles globaux du neurodéveloppement
                                         s'agissait d'une “incapacité innée à établir des contacts              affectant, dès le début de la vie, la communication sociale
                                         avec les personnes, biologiquement prévue…”                            et l’adaptation à l’environnement humain. Les hypothèses
                                                                                                                orientant vers un désordre de nature biologique altérant
                                            Hélas à partir des années 1960, une formidable vague d’obs-         les réseaux et fonctionnements synaptiques du cerveau
                                         curantisme a déferlé sur ce trouble pour l’arracher à la médeci-       dit “social” sont maintenant avancées.
                                         ne, encore perceptible aujourd’hui. L’épilepsie, mal sacré, a failli      L’autisme qui, par définition, apparaît avant l’âge de trois
                                         connaître le même sort. Mais, il y a près de 2500 ans, Hippocrate      ans, se caractérise par des troubles dans trois secteurs du
                                         a redressé la barre: “La maladie dite sacrée ne paraît rien avoir      comportement :
                                         de plus divin et de plus sacrée que les autres…”.                      - la socialisation : l’enfant avec autisme semble solitaire dans
                                                                                                                   son monde. Il joue seul, on pourrait penser qu’il est sourd.
                                            De la même façon, on a assisté à la sacralisation de                   Il réagit avec les personnes comme si elles étaient des
                                         l’enfant autiste, tandis que la mère était diabolisée. Marcel             objets. Son contact oculaire est particulier. Sa mimique est
                                         Proust, dans “La Recherche”, a bien prévu de telles situa-                pauvre. Le partage émotionnel lui est difficile.
                                         tions en écrivant : “les faits ne pénètrent pas dans le                - la communication : il ne parle pas ou, si son langage exis-
                                         monde où vivent nos croyances”.                                           te, il s’inscrit rarement dans un échange d’informations,
                                                                                                                   un dialogue avec autrui.
                                            Ce dossier vient à point pour dresser un état des lieux             - l’adaptation : l’enfant avec autisme est attaché à
                                         de la recherche sur l’autisme. On ne peut que remercier le                “l’immuabilité dans son environnement”. Le moindre
                                         Comité de Rédaction de la Lettre des Neurosciences de contri-             changement, les événements imprévisibles peuvent
                                         buer à privilégier ces faits. Il a fait de bons choix en donnant          provoquer chez lui angoisse et agressivité. Le répertoire
                                         la parole aux meilleurs spécialistes du domaine. Catherine                de ses activités est réduit, répétitif. Lorsqu’il est seul ou
                                         Barthélémy, physiologiste, psychiatre et pédiatre est le                  avec les autres, l’enfant est animé de mouvements
                                         numéro 1 de l’autisme, car elle associe recherche clinique,               stéréotypés, battements, rotations ou balancements
                                         biologique et thérapeutique(2). Frédérique Bonnet-Brilhaut,               d’une partie ou de l’ensemble du corps.
                                         également polyvalente, prend le même chemin. Thomas                       Ces traits sont partagés par des personnes très
                                         Bourgeron et Richard Delorme sont des spécialistes de la               différentes et ils persistent à l’âge adulte. La variabilité de
                                         génétique, ils présentent ici la contribution des facteurs             l’expression clinique résulte non seulement du degré d’autis-
                                         génétiques aux troubles du spectre autistique. Deux nou-               me mais aussi de son association à d’autres troubles (retard
                                         velles voies de recherches sont également abordées par                 mental, troubles moteurs, sensoriels et perceptifs, épilepsie...).
                                         Nouchine Hadjikhani sur le rôle des neurones miroirs et
                                         par Elissar Andari à propos de l’ocytocine. Enfin, Bérengère           Origines de l’autisme, évolution des conceptions
                                         Guillery-Girard et Francis Eustache présentent l’étonnant                 L’autisme occupe encore une position cruciale dans les
                                         fonctionnement mnésique dans l’autisme, sans oublier les               interrogations et débats sur l’origine de la vie intellec-
                                         travaux de mon ami Y. Ben-Ari réalisés avec E. Lemonnier               tuelle, affective et de la relation interpersonnelle. Il est
                                         sur le rôle du GABA.                                                   banal d’évoquer “l’énigme de l’autisme”. Toutefois, les
                                            Bien sûr, ce sont encore de petits pas, mais plusieurs              efforts conjugués des cliniciens et neurobiologistes
                                         petits pas peuvent aboutir à un grand pas(3). C’est ce                 suscitent des hypothèses explicatives neurofonctionnelles
                                         qu’espèrent “professionnels”, enfants et parents. ■                    de plus en plus consistantes et ouvrent des pistes pour
                                            Références page 21.                                                 l’identification de déterminants génétiques majeurs.
                                                                                           Gilbert Lelord          Les premières descriptions de l’autisme chez l’enfant ont
                                                                             (Faculté de médecine de Tours)     été publiées par Kanner(1) et Asperger(2) en empruntant
                                                 C I E N
                                           R O S         C
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           le terme autisme aux neuropsychiatres d’adulte qui l’utili-          La combinaison des approches cliniques, de neuroima-
           saient pour décrire chez les schizophrènes l’évasion de la        gerie et de génétique moléculaire va permettre d’identi-
           réalité, le repli sur soi. Ainsi, l’autisme infantile s’est-il    fier des périodes critiques du développement cérébral et
           retrouvé, en référence à la schizophrénie, inscrit au             des fonctionnements neuronaux cibles.
           chapitre des “psychoses de l’enfant” avec un modèle
           explicatif psychogénétique suggérant le rôle implicite de la      Hypothèses synaptiques
           pathogénicité maternelle dans la distorsion relationnelle            Les hypothèses neuro-développementales de l’autisme
           précoce. Dans les années 1970, les hypothèses neurobio-           se sont progressivement élaborées à partir d’observations
           logiques ont commencé à contrebalancer fortement les              cliniques, notamment sur la croissance cérébrale et à
           conceptions psychodynamiques.                                     partir d’études anatomiques, cellulaires et génétiques.
              Des modèles neurologiques innovants ont été propo-             Toutes les étapes du développement cérébral sont consi-
           sés, notamment par Damasio et Maurer(3) avec des inci-            dérées comme candidates dans la physiopathologie de ce
           dences physiopathologiques et thérapeutiques. Les pre-            syndrome. Mais un intérêt croissant (renforcé par les
           miers résultats de neuropathologie, de neurochimie et             résultats des études génétiques) est porté sur le dévelop-
           d’imagerie cérébrale, statique et dynamique, ont été dif-         pement et le maintien des connexions synaptiques de
           fusés, notamment ceux de Bauman et Kemper(4) et                   même que sur la croissance axonale et la mise en place des
           Courchesne et al.(5). L’hypothèse d’une “insuffisance             tractus reliant les différentes aires cérébrales entre elles.
           modulatrice cérébrale” dans l’autisme a été posée par                L’un des résultats les plus robustes dans le domaine de
           Lelord(6), les caractéristiques de l’autisme étant, à partir de   la neuro-anatomie de l’autisme est l’augmentation du volume
           ces travaux, considérées comme liées à des anomalies du           cérébral. Un pattern particulier de croissance cérébrale
           filtrage et de la modulation sensorielle, émotionnelle et         pendant les deux premières années de la vie a été mis en
           posturo-motrice. Une méthode originale de thérapie                évidence. Les techniques de neuro-imagerie comme le
           psychophysiologique a été simultanément développée                DTI (Diffusion Tensor Imaging) vont permettre une analy-
           par Barthélémy et al.(7).                                         se fine de la structure cérébrale et vont apporter des
              De larges études épidémiologiques internationales ont          précisions sur les anomalies suspectées dans l’autisme.
           été mises en œuvre. Des cohortes et des banques de                   Les études anatomo-pathologiques fournissent des des-
           données se sont constituées aux États-Unis et en Europe.          criptions de l’organisation cyto-architecturale du tissu
           Les progrès technologiques en vidéo du comportement,              cérébral : des modifications de la structure en micro-
           en biologie moléculaire et en imagerie cérébrale                  colonnes du cortex cérébral ont été signalées impliquant
           fonctionnelle ont permis des avancées considérables.              notamment les systèmes GABAergiques. L’hypothèse
              Les publications les plus récentes mettent en évidence         d’une hyper-connectivité locale, aux dépens de la connec-
           des altérations du fonctionnement de systèmes cérébraux           tivité à longue distance reliant les différentes aires céré-
           impliqués dans le décodage de l’information sensorielle           brales entre elles, est proposée dans l’autisme.
           motrice et émotionnelle. Ainsi, dans la continuité                   Certains processus inflammatoires, pouvant affecter le
           d’études bien antérieures sur des fonctions neurophysio-          développement synaptique et l’apoptose, ont été récem-
           logiques à la base des interactions sociales, certains résul-     ment évoqués.
           tats très récents confirment les liens possibles entre :             La neuro-transmission synaptique, en particulier
           - défaut de réciprocité sociale et activation atypique des        sérotoninergique et GABAergique, a fait l’objet de nom-
              “systèmes miroirs”(8,9).                                       breuses études. L’intérêt ne se porte pas seulement sur la
           - trouble de la communication et anomalie du traitement           transmission synaptique mais sur l’implication de ces
              cortical de l’information auditive(10,11).                     systèmes dans le neuro-développement.
           - intolérance au changement et réactivité anormale du                Enfin, depuis les années 2000, plusieurs études ont mis
              cortex cingulaire aux événements inhabituels(12).              en évidence des mutations génétiques qui seraient à
              Ces anomalies du fonctionnement de réseaux neuro-              l’origine d’anomalies du fonctionnement des synapses
           naux ont une importance majeure dans le trouble de la             glutamatergiques dans l’autisme.
           perception des autres, de leurs intentions, de leurs émo-            En conclusion, l’hypothèse d’un défaut de développe-
           tions et de leurs réactions. Les hypothèses “neuronales”          ment et du fonctionnement synaptique est actuellement
           de l’autisme rejoignent les modèles proposés par les              au premier plan dans la recherche sur les mécanismes
           psychologues décrivant les particularités du fonctionne-          impliqués dans l’autisme. Les résultats prometteurs
           ment intellectuel et relationnel dans ce syndrome. Ainsi,         ouvrent des voies nouvelles pour la mise au point de
           nombre de travaux concernent-ils actuellement la mise en          thérapeutiques futures. ■
           évidence des correlats cérébraux des déficits de l’empa-             Références page 21.
           thie(13), de la théorie de l’esprit (Theory of Mind ou ToM)
           de la fonction exécutive, de la cohérence centrale.                                             catherine.barthelemy@chu-tours.fr
                                                                                                                                                                        C I E N
                                                                                                                                                                  R O S         C
                                                                                                                                                              E U                 E

                                                                                                                                                  E
                                                                                                                                                      S
                                                                                                                                                          N                         S
                                                                                                                                                                                          11
                                                                                                                                              D
                                                                                                                                          É
                                                                                                                                                              LA LETTRE - N°41
                                                                                                                                      T
                                                                                                                                     É
                                                                                                                                  I
                                                                                                                                 C
                                                                                                                              O
                                                                                                                             S
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                                          Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite)
DOSSIER



                                         VULNÉRABILITÉ GÉNÉTIQUE AUX TROUBLES DU                                               d’adhérence synaptique(5). Basé sur l’identification de
                                         SPECTRE AUTISTIQUE                                                                    délétions récurrentes dans le chromosome X chez des
                                         Thomas Bourgeron (Université Paris Diderot, Lab. de génétique                         patients atteints, notre laboratoire a en particulier identi-
                                         humaine                 et   fonctions   cognitives,   Institut   Pasteur,   Paris)   fié une mutation délétère dans le gène NGLN4X qui
                                         et Richard Delorme (Centre expert autisme de haut niveau,                             tronquait la protéine. Cette mutation, de novo chez la
                                         Hôpital Robert Debré, Paris)                                                          mère non atteinte, a été transmise à ses deux enfants
                                                                                                                               atteints, l’un avec un syndrome d’Asperger, l’autre avec
                                            Les troubles du spectre autistique (TSA) se caractéri-                             un autisme typique associé à une déficience intellectuelle.
                                         sent par des troubles majeurs de la communication socia-                              Peu après, une équipe indépendante a identifié une muta-
                                         le, du développement du langage, accompagnés par des                                  tion similaire dans une famille multiplexe, la mutation
                                         intérêts restreints et des comportements stéréotypés.                                 ségrégeant chez les garçons ayant un DI ou/et un TSA(6).
                                         La présentation canonique est définie par un déficit dans                             L’implication des gènes synaptiques dans le déterminisme
                                         les trois domaines émergeant avant l’âge de 36 mois(1).                               des TSA a ensuite été confirmée par l’identification de
                                         Les preuves de la contribution des facteurs génétiques                                plusieurs patients ayant des mutations de novo du gène
                                         dans les TSA sont nombreuses, basées sur les études                                   SHANK3, une protéine d’échafaudage postsynaptique. Ce
                                         familiales et de jumeaux(2), le chevauchement entre les                               gène localisé au sein de la microdélétion 22q13.3, synthé-
                                         TSA avec de nombreux syndromes génétiques connus(3),                                  tise une protéine qui forme un complexe avec les neuro-
                                         et les résultats des études de biologie moléculaire.                                  ligines(7). Plus récemment encore, des mutations récur-
                                         Les efforts réalisés ces dernières années pour identifier                             rentes de novo ont été identifiées dans d’autres protéines
                                         les gènes de vulnérabilité aux TSA ont permis la caracté-                             interagissant avec ce complexe protéique, incluant les
                                         risation de nombreux gènes ou de loci conférant soit un                               gènes NRXN1(8) et SHANK2(9,10). Fonctionnellement, les
                                         risque élevé, soit faible, d’avoir un TSA. La liste de candi-                         neuroligines ont un rôle majeur dans l’établissement des
                                         dats potentiels prolifère de manière exponentielle (219                               synapses glutamatergiques excitatrices et inhibitrices(11).
                                         gènes à ce jour répertoriés à http://www.mindspec.
                                         org/auTSb.html), mais seuls quelques-uns ont été répliqués                            Variation du nombre de copies (CNV)
                                         par des études indépendantes. L’absence de marqueurs                                     Depuis l’avènement des puces de génotypage à haut
                                         biologiques sensibles et spécifiques de TSA nécessite de                              débit et leur capacité à identifier des variations chromo-
                                         baser son diagnostic sur des évaluations subjectives, ce qui                          somiques inframicroscopiques, de multiples anomalies
                                         est vrai pour l’ensemble des troubles psychiatriques. De                              chromosomiques récurrentes ont été identifiées chez les
                                         plus, le rôle de certains gènes associés au déficit intellectuel                      patients TSA. Les CNVs les plus fréquentes et dont la
                                         (DI) dans l’autisme pose un problème phénoménologique                                 pénétrance est élevée, sont les duplications 15q11-q13,
                                         majeur sur l’interprétation des résultats génétiques. En                              d’origine maternelle(12). D’autres délétions récurrentes
                                         effet, un déficit intellectuel est diagnostiqué chez 70 %                             rares et localisées en 2q37, 1q21, 22q11, et 22q13, ont été
                                         environ des patients avec autisme(3), et chez 45 à 50 % des                           identifiées (parmi d’autres) chez les patients TSA(13).
                                         patients si l’on considère l’ensemble du spectre.                                     L’importance des CNVs submicroscopiques a été rappor-
                                                                                                                               tée pour la première fois par le laboratoire de Michael
                                         Résultats princeps : implications des variants rares                                  Wigler qui a identifié un excès de CNV de novo chez des
                                         dans les TSA                                                                          sujets atteints issus de familles simplexes (un seul cas
                                            De nombreux syndromes génétiques (plus d’une cen-                                  affecté) (10 %) en comparaison avec des sujets atteints
                                         taine) sont fréquemment identifiés chez des patients                                  issus de familles multiplexes (3 %) ou des sujets contrôles
                                         ayant un TSA et à l’inverse, les patients ayant ces syn-                              (1 %)(14). Une analyse génome-entier à la recherche de
                                         dromes ont fréquemment des symptômes autistiques(4).                                  CNVs(15) a confirmé une augmentation de ces événements
                                         Parmi ces syndromes, le plus fréquent est le syndrome de                              et suggère une fréquence cumulative de CNVs chez 5 à 10
                                         l’X fragile pour lequel il est fréquent de trouver une                                % dans les familles multiplexes. Cependant, une étude plus
                                         mutation du gène FMR1 chez les patients TSA ayant un                                  récente, de grande taille, a identifié des variations de novo
                                         trouble d’apparence idiopathique. De la même manière,                                 chez 5,5 % des patients TSA issus de familles multiplexes
                                         le chevauchement entre les caractéristiques cliniques des                             mais également à une prévalence équivalente chez les pro-
                                         patients ayant un syndrome d’Angelman ou un syndrome                                  posants de famille simplexe (5,6 %)(10). Les raisons de la
                                         de Rett par exemple, avec ceux ayant un TSA, permet                                   variabilité des résultats obtenus dans cette troisième
                                         aussi de comprendre certains mécanismes biologiques                                   étude n’ont pas encore été clairement identifiées, mais il
                                         augmentant le risque de l’autisme. Les premières muta-                                semble que l’augmentation de la résolution des puces de
                                         tions identifiées chez les patients ayant un TSA idiopa-                              génotypages, pourrait être l’une d’entre elles. De grandes
                                         thique ont été montrées dans le gène Neuroligin 4X                                    délétions(14) seraient plus fréquentes chez les proposants
                                         (NLGN4X), impliqué dans la synthèse de molécule                                       issus de familles simplexes versus multiplexes, ce qui ne
                                                 C I E N
                                           R O S         C
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                               LA LETTRE - N°41
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           serait pas le cas pour des délétions de tailles plus réduites.    Conclusion et perspectives
           Les études de CNVs ont également confirmé les résultats              Les résultats de la génétique ont permis d’identifier
           des études de séquençage ou de cytogénétique et confir-           deux voies biologiques associées à l’autisme. La première
           mé l’implication d’un certain nombre de loci ou de gènes          concerne la synapse et la deuxième la synthèse /dégrada-
           déjà identifiés. Par exemple, Glessner et al.(16) ont confir-     tion des protéines (y compris les protéines synaptiques).
           mé l’implication des régions 15q11–13 et 22q11.21 dans            L’hypothèse que nous avons suggérée est qu’une voie
           les TSA, ainsi que des gènes NRXN1 et CNTN4. L’étude              commune est l’altération de l’homéostasie synaptique
           de l’ontologie des gènes a montré en particulier un enri-         dans l’autisme(17). L'amélioration des technologies géno-
           chissement de CNVs dans les gènes synaptiques. Pinto et           miques comme le séquençage du génome entier, va
           al.(10) ont ainsi souligné l’implication des gènes impliqués      permettre de découvrir de nouveaux gènes ou voies bio-
           dans la prolifération, la migration et la mobilité neuronale      logiques associées aux TSA. De plus, l’accession aux cel-
           ainsi que ceux participant à la signalisation GTPase/Ras.         lules souches des patients va permettre d’aborder deux
           Outre l’implication du gène SHANK2, Pinto et al. ont éga-         questions complexes qui concernent les anomalies épigé-
           lement montré l’implication de délétions héritées liées à         nétiques et les conséquences neuronales des mutations
           l’X, de DDX53-PTCHD1.                                             identifiées chez les patients. Au-delà de la technologie,
                                                                             seule une étroite collaboration entre les cliniciens, les
           Variants fréquents                                                neurobiologistes et les généticiens moléculaires va nous
              Comme dans les autres maladies psychiatriques                  permettre de comprendre la complexité des relations
           de l’enfant, les premières études essayant d’identifier des       génotype-phénotype dans les TSA. ■
           variants fréquents associés aux TSA se sont avérées vaines.          Références page 21.
           L’hypothèse de “variants fréquents pour les maladies                                                          thomasb@pasteur.fr
           fréquentes” a été privilégiée initialement jusqu’au début des                                        richard.delorme@rdb.aphp.fr
           années 2000 où l’identification des premières mutations           DES DIURÉTIQUES POUR TRAITER L’AUTISME : L’HIS-
           rares dans l’autisme idiopathique a conduit à privilégier         TOIRE RICHE D’ENSEIGNEMENT D’UNE DÉCOUVERTE
           l’hypothèse “rares variants –maladies rares”. La plupart des      Eric Lemonnier (CRA, Brest) & Yehezkel Ben-Ari (INMED,
           études de liaison ou d’association ont conduit à des résul-       INSERM U. 901, Marseille)
           tats pour la plupart négatifs ou non répliqués. Cependant,
           on peut retenir les études ayant montré l’implication du             S’il arrive que des traitements soient découverts un peu
           gène EN2, l’oncogène MET et de CNTNAP2. Les résultats             par hasard, l’approche reine reste celle qui consiste à se
           d’association ont été repliqués pour ces trois gènes, mais        poser une question intéressante, de développer à partir
           leur implication dans les TSA reste sujette à débat. En par-      des résultats obtenus un concept nouveau et quand tout
           ticulier les études les plus récentes et de grandes tailles       cela marche, il arrive que l’on se trouve dans la situation
           n’ont pas trouvé d’association avec ces gènes, jetant une         enviable d’avoir à la fois le concept et un traitement ! À ce
           large incertitude sur la validité de ces résultats et de l’im-    stade, la recherche nous rend bien les efforts que nous y
           plication de ces gènes dans les TSA. À l’heure actuelle, trois    mettons.
           études ont été réalisées sur de larges cohortes de patients          Le point de départ est la question centrale de la neu-
           et de contrôles (>1000). La première a inclus 780 familles        robiologie : comment interagit le programme génétique
           et un groupe additionnel de 1 204 probants, et a identifié        avec l’environnement lors de la construction du cerveau
           une association significatives entre le TSA et la région chro-    ? Quels sont les rôles respectifs de ces deux facteurs
           mosomique intergénétique 5p14.1 entre les gènes Cadherin          essentiels ? Au cours d’un travail de description des acti-
           9 et Cadherin 10, impliqués dans l’adhésion cellulaire (Wang      vités cérébrales des neurones immatures, nous avons
           et al., 2 009). La seconde, qui a inclus une cohorte de 1 031     découvert que le GABA – acteur principal de l’inhibition
           familles, a montré une association avec des polymorphismes        cérébrale et cible des benzodiazépines ou des barbitu-
           proches du gène Semaphorin5A (Weiss et al., 2 009) ; et une       riques – excite les neurones en développement et ce,
           troisième, incluant 1558 patients a retrouvé une association      dans un grand nombre de structures cérébrales et d’es-
           avec le locus incluant le gène MACROD2 (Anney et al.,             pèces animales, suggérant que cette propriété a été pré-
           2010). Comme une probable réflexion de l’hétérogénéité            servée au cours de l’évolution(1,2). Cette action est due à
           phénotypique des patients ayant un TSA et les difficultés à       des taux intracellulaires plus élevés de chlore dans les
           identifier des allèles de vulnérabilité à effet modestes, aucu-   neurones immatures que les matures, différences résul-
           ne de ces études n’a répliqué les résultats des deux autres.      tant elle-même d’une maturation séquentielle de co-
                                                                             transporteurs de chlore, l’importateur étant opératif plus
                                                                             tôt que l’exportateur. Cette différence majeure entre les
                                                                             neurones au cours du développement est un des signes
                                                                             de cette règle générale car, quasiment tous les courants
                                                                                                                                                                       C I E N
                                                                                                                                                                 R O S         C
                                                                                                                                                             E U                 E

                                                                                                                                                 E
                                                                                                                                                     S
                                                                                                                                                         N                         S
                                                                                                                                                                                        13
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                                                                                                                                         É
                                                                                                                                                             LA LETTRE - N°41
                                                                                                                                     T
                                                                                                                                    É
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                                                                                                                             O
                                                                                                                            S
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                                          Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite)
 DOSSIER



                                         ioniques immatures diffèrent de ceux matures : le cerveau      aussi des effets paradoxaux chez les enfants autistes sug-
                                         immature n’est pas un petit cerveau adulte. De plus, avec      gérant des taux élevés de chlore. D’où, bien entendu,
                                         nos collègues de l’INMED, nous avons pu décrire une            l’idée de tester un diurétique pour les soigner. Nous
                                         séquence de maturation des patrons d’activités corticales      avons donc entrepris de tester cette hypothèse d’abord
                                         avec des courants calciques au départ, puis des plateaux       avec un test pilote sur 5 enfants autistes(11) puis une fois
                                         calciques et enfin seulement des activités synaptiques de      l’essai réussi, sur 60 enfants en double aveugle avec un
                                         réseau – les Potentiels Dépolarisants Géants – PDGs .          essai randomisé se basant sur une dose de 1mg par jour
                                         Cette séquence, également observée dans de nom-                pendant 3 mois. Les résultats sont fort encourageants
                                         breuses autres structures cérébrales, semble être une          sachant que le test classique de la Childhood Autism
                                         propriété générale des réseaux immatures(3,4,5). Depuis,       Rating Scale (CARS) montre un bénéfice avec une diffé-
                                         on sait que la plus forte concentration de chlore intracel-    rence significative de 0,004 et la Clinical Global
                                         lulaire est due à une maturation précoce de l’importateur      Impressions (CGI), autre test d’efficacité, une différence
                                         de chlore – le NKCC1 – et une maturation plus tardive          de 0,017. Nous n’avons observé aucun effet secondaire
                                         de l’exportateur de chlore : le KCC2(6).                       significatif, une augmentation de la diurèse était fréquem-
                                            Evidemment, si le GABA excite les neurones, cela aura       ment rapportée sans déshydratation ni perte de poids, et
                                         de nombreuses conséquences sur l’activité cérébrale, et        dans un quart des cas, nous avons dû donner du sirop de
                                         donc sur les pathologies du cerveau en développement.          potassium. Certains enfants sont sous traitement quoti-
                                         Tel est le cas avec notamment une plus grande incidence        dien depuis plus d’un an. Souvent, après deux mois de
                                         d’épilepsies et d’autres maladies neurologiques.               traitement, les parents repèrent une “plus grande pré-
                                            En effet, il s’est avéré que la polarité des actions du     sence” de l’enfant, les échanges de regards sont facilités
                                         GABA était labile et que des activités accrues, même de        et surtout il parvient à mieux saisir les propositions qui lui
                                         façon transitoire, pouvaient réinstaller des taux de chlore    sont faites, facilitant ainsi les échanges sociaux. Pour
                                         élevés et une action excitatrice du GABA. Ceci est le cas      autant, d’autres aspects de la symptomatologie autistique
                                         dans certaines épilepsies(7,8) mais aussi dans de nom-         ne semblent pas modifiés (l’incapacité anticipatrice
                                         breuses lésions et maladies neurologiques. Tout se passe       notamment).
                                         comme si, dans ces situations, le cerveau retournait à la         Ces observations ouvrent d’importantes possibilités de
                                         situation ante et ceci avec les mêmes mécanismes car l’ex-     compréhension et de traitement de la maladie, sachant
                                         portateur du chlore (le KCC2) qui apparaît tard pendant        qu’il n’y a pas de traitement disponible autre que des neu-
                                         le développement, disparaît après des crises. Le mécanis-      roleptiques qui agissent sur l’agitation mais pas sur les
                                         me commence à être déchiffré : une déphosphorylation           aspects fondamentaux de l’autisme et notamment la com-
                                         suivie d’une internalisation du KCC2(9).                       munication.
                                            Cette découverte nous a amenés à suggérer l’idée que           Sur le plan fondamental, nous avançons avec des études
                                         l’épileptogenèse récapitule l’ontogenèse. L’importance de      détaillées des mécanismes sous jacents et sur le plan cli-
                                         cette observation et de ses applications cliniques et          nique, nous allons entreprendre d’utiliser des tests d’ima-
                                         thérapeutiques est que, dans un tissu épileptique, le GABA     gerie cérébrale afin de voir les effets de la molécule sur le
                                         va exciter les neurones et surtout, des agents dont les        cerveau. Enfin, tâche particulièrement importante, nous
                                         actions sont médiées par une potentialisation des inhibi-      devons développer de nouvelles formes galéniques per-
                                         tions GABAergiques et ainsi produire des effets para-          mettant une plus grande disponibilité de la molécule dans
                                         doxaux de type excitateur. Et en effet, nous avons pu          le cerveau sachant qu’elle a une durée de vie avant dégra-
                                         confirmer cela en montrant que dans un tissu épileptique       dation assez courte et donc il faut améliorer d’urgence le
                                         produit dans les chambres à trois compartiments que nous       traitement sur ce plan, afin d’en assurer une plus grande
                                         avons développées, le GABA excite bien les neurones épi-       efficacité. Des contacts sont pris afin de financer cette
                                         leptiques et le valium comme le phénobarbital font de          dernière sachant que son coût est élevé.
                                         même (10). Un diurétique qui réduit les taux de chlore            Sur le plan conceptuel enfin, ces travaux ouvrent de
                                         peut réduire aussi ces effets surtout quand il est adminis-    nombreuses perspectives de révision de la relation qu’il y
                                         tré de façon précoce avant que le KCC2 ne soit interna-        a entre maturation cérébrale et maladies neurologiques.
                                         lisé. Ces travaux se sont traduits par des essais cliniques    Un concept général serait que l’activité cérébrale imma-
                                         en cours sur l’utilisation de diurétiques dans le traitement   ture sert de “checkpoint” permettant de confirmer la
                                         de crises chez des bébés de 2 jours souffrant d’encépha-       bonne réalisation du programme génétique(12). Sur le plan
                                         lopathies épileptiques (http://www.nemo-europe.com/).          pathologique, une des notions qui semble la plus promet-
                                            Et l’autisme dans tout cela ? L’idée de tester des diuré-   teuse est que de nombreuses maladies neurologiques et
                                         tiques pour soigner l’autisme résulte d’une rencontre          psychiatriques “naissent” in utéro et que l’absence de shift
                                         entre un chercheur (YBA) et un clinicien spécialisé dans       de la polarité du GABA serait un des signes de cette
                                         le traitement des enfants autistes (EL). Car le valium a       séquence maturative inadéquate. Dans une revue
                                                 C I E N
                                           R O S         C
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           détaillée de ces données(13), nous avons suggéré que pen-           fonctionnel. En effet, le défaut de connectivité de longue
           dant la maturation, les neurones qui ne réalisent pas cor-          distance, ou sous connectivité antéro-postérieure,
           rectement leur développement et sont, par exemple,                  participerait à ces difficultés de mémoire épisodique entravant
           stoppés dans leur migration à cause d’une mutation géné-            l’élaboration d’un souvenir multimodal. En revanche, une
           tique ou à des drogues demeurent figés dans leur situa-             augmentation de la connectivité locale dans des régions
           tion immature et ne gravissent pas les étapes suivantes. Le         postérieures participerait au surfonctionnement d’une
           concept de “neuro-archéologie” développé à partir de                compétence perceptive donnée (“un ilot d’habileté”).
           ces observations a d’importantes implications cliniques
           basées sur l’utilisation de bloquants sélectifs des courants        Perturbation de la mémoire épisodique
           immatures dans un cerveau adulte. L’absence de shift de                La mémoire épisodique est la mémoire propre à chaque
           la polarité du GABA est une des signatures de cet échec ;           individu : elle comprend l’ensemble des souvenirs des
           il y en a bien d’autres sachant que tous les courants               épisodes autobiographiques situés dans un contexte donné,
           ioniques, qu’ils soient voltage dépendants ou activés par           intimement liés à la représentation de soi et assurant un
           des transmetteurs, subissent la même séquence maturative.           sentiment d’identité et de continuité. Ce système renvoie à
           Ces données devraient permettre de revoir la datation des           la conscience autonoétique qui traduit cette capacité intros-
           maladies neurologiques et d’insister sur l’importance des           pective, de prendre conscience de nous-mêmes au travers
           travaux centrés sur la maturation cérébrale, sachant que la         d’un temps subjectif s’étendant du passé au futur. Ainsi, la
           neurobiologie du développement va jouer un rôle central             mémoire épisodique implique des processus discutés dans
           dans la compréhension du fonctionnement du cerveau et le            les trois théories cognitives majeures de l’autisme : la théo-
           développement de nouveaux traitements.                              rie de défaut de théorie de l’esprit, l’hypothèse de dysfonc-
              En résumé, on part d’une question générale avec en               tionnement exécutif et les théories perceptives.
           principe peu ou pas d’applications prévisibles et on se                La mémoire épisodique, dans ses composantes rétros-
           retrouve avec des concepts riches de perspectives et en             pective et prospective, est affectée dans l’autisme. Les pre-
           sus, un traitement qui doit permettre de réduire la souf-           mières études de Boucher et Warrington en 1970(1), rap-
           france des patients autistes et de leurs familles. Dommage          portant un déficit de rappel chez les personnes autistes,
           que les politiques n’arrivent pas à comprendre que le pilotage      ont même conduit à faire un parallèle entre l’autisme et le
           thématique de la recherche ne sert pas à grand-chose et la          syndrome amnésique. Au-delà du rappel, il semble que,
           traduction – termes particulièrement à la mode – des                dans l’autisme, ce soient les stratégies de mémorisation qui
           découvertes en brevets potentiellement riches en                    fassent défaut. Cette hypothèse fut évoquée dès 1970 par
           développement n’est pas sans rappeler que pour traduire             Hermelin et O'Connor(2) à partir de l’incapacité des
           une langue, il faut commencer par la comprendre ! ■                 personnes autistes à bénéficier d’un encodage profond, et
              Références page 21.                                              largement documentée depuis, donnant lieux à différentes
                                                 eric.lemonnier@chu-brest.fr   théories telles que l’hypothèse du support de la tâche de
                                                  ben-ari@inmed.univ-mrs.fr    Dermot Bowler ou le modèle de traitement des informa-
                                                                               tions complexes de Nancy Minshew (voir Marcaggi et al.,
           FONCTIONNEMENT MNÉSIQUE DANS L’AUTISME :                            2010(3) pour revue). La première postule qu’en l’absence
           UN PARADOXE                                                         de support, les personnes autistes seront en difficulté alors
           Bérengère Guillery-Girard, Francis Eustache                         que si un support est fourni, les performances se normali-
           (Inserm-EPHE-Université de Caen/Basse-Normandie, Unité U923,        sent. Ce support peut être proposé lors de la restitution
           GIP Cyceron, Caen).                                                 mais aussi dès l’encodage, lorsque des consignes explicites
             Le fonctionnement cognitif dans l’autisme est extrême-            sont proposées (regroupement sémantique par exemple).
           ment hétérogène, caractérisé à la fois par un retard dans           Ainsi, c’est la capacité à utiliser spontanément des straté-
           certains domaines, un fonctionnement normal dans d’autres,          gies adéquates qui fait défaut dans l’autisme. Le second
           voire même un surfonctionnement dans des domaines très              modèle renvoie également aux stratégies de traitement en
           spécifiques tels que le calcul, la musique ou le graphisme.         fonction de la complexité du matériel. Ce modèle postule
           La mémoire n’échappe pas à cette hétérogénité. Après                que les performances à différentes tâches sont altérées dès
           environ 40 ans de travaux sur le fonctionnement mnésique            lors que les stimuli, y compris des stimuli sociaux tels que
           dans l’autisme, il apparaît que les systèmes de mémoire             des visages, gagnent en complexité. Ce modèle dépasse
           complexes, intégratifs et tournés vers soi, telle la mémoire        largement le cadre des troubles de la mémoire épisodique
           épisodique, sont très sensibles à cette pathologie contrairement    et permet de rendre compte des difficultés, notamment en
           à l’apprentissage implicite qui pourrait rendre compte de           mémoire de travail.
           capacités de calcul calendaire extraordinaires. Ce paradoxe            Plus récemment, des études se sont intéressées aux
           est tout à fait compatible avec certaines anomalies céré-           différentes composantes de la mémoire épisodique : la
           brales d’apparences contradictoires, notamment au niveau            mémoire de la source, l’implication de soi ou du self dans
                                                                                                                                                                          C I E N
                                                                                                                                                                    R O S         C
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                                                                                                                                        T
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                                                                                                                                    C
                                                                                                                                O
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                                          Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite)
 DOSSIER



                                         la construction des souvenirs et les capacités de recollec-       nouveau multifactorielle, impliquant des troubles au niveau
                                         tion. La mémoire de la source renvoie à l’origine de l’in-        des ressources exécutives, tant la flexibilité que l’associa-
                                         formation : externe (“est-ce X ou Y qui l’a dit ?”), interne      tion multimodale, des capacités d’imagination et du senti-
                                         (“l’ai-je dit ou l’ai-je pensé ?”) ou interne/externe (“l’ai-je   ment de continuité du soi. En revanche, certaines de ces
                                         dit ou quelqu’un d’autre l’a-t-il dit ?”). Les données obte-      anomalies, tel que l’attrait pour le détail au détriment de
                                         nues sont hétérogènes et soulignent l’importance du critè-        l’appréhension globale de l’information, peuvent également
                                         re “social”. Des difficultés peuvent être observées lorsque       avoir un effet bénéfique sur le fonctionnement mnésique.
                                         les personnes autistes ont à reconnaître la source à partir
                                         d’un visage par rapport à un détail vestimentaire. Le sou-        Importance de la mémoire implicite
                                         venir épisodique implique à la fois une composante objec-            Les capacités extraordinaires de certaines personnes
                                         tive, comme la source, mais aussi subjective, c’est-à-dire la     autistes sont interprétées principalement au regard des
                                         conscience de soi au travers du temps. Bowler et Lind(5)          théories perceptives, de faiblesse de cohérence centrale(6)
                                         évoquent les liens possibles entre cette altération de la         et de surfonctionnement perceptif(7). Cette dernière théo-
                                         mémoire épisodique et une éventuelle construction                 rie insiste sur l’existence de capacités de discrimination per-
                                         incomplète du self et plus précisément, du self psycholo-         ceptive, visuelle et auditive, plus développées chez la per-
                                         gique, indispensable à la création de l’identité et du senti-     sonne autiste avec une relative indépendance par rapport au
                                         ment de continuité du sujet(4). Ainsi, les personnes autistes     contrôle top-down. Ces compétences extraordinaires
                                         présentent un effet de référence à soi réduit, c’est-à-dire       concernent principalement un matériel structuré, que ce
                                         que les adjectifs pour lesquels la personne a effectué un         soit la musique, le calcul ou le dessin. Ces séquences struc-
                                         jugement en référence à soi (“cet adjectif vous caractérise-      turées sont formées d’unités définies, regroupées en
                                         t-il ?“) versus un personnage inconnu (cet adjectif caracté-      patterns qui se répètent. Les personnes autistes détectent
                                         rise-t-il Harry Potter ?) ne sont pas significativement mieux     ces régularités pour se former un lexique spécifique. Par la
                                         mémorisés. Cette absence d’effet semble être notée prin-          suite, ces connaissances ou représentations pourront être
                                         cipalement chez les enfants ce qui suggère que le dévelop-        activées à la présentation d’un indice. Même si ces per-
                                         pement du self est affecté. La préservation de l’effet de l’ac-   sonnes ont une mémoire prodigieuse, c’est l’appréhension
                                         tion sur la mémorisation est également discutée. En effet,        de l’information et la structuration même de leurs connais-
                                         les informations, mots ou images, mémorisées en tant              sances qui est particulière. Ces capacités, associées à une
                                         qu’acteur, sont souvent mieux restituées que les informa-         exposition massive aux informations liées à leur domaine
                                         tions mémorisées en tant qu’observateur, les résultats            d’intérêt restreint, font émerger ces compétences extraor-
                                         concernant des événements autobiographiques sont moins            dinaires. L’apprentissage implicite ou “mémoire des habi-
                                         clairs. De plus, les personnes autistes se décentrent de          tudes”, et notamment des régularités, joue donc un rôle
                                         leurs souvenirs en employant plus facilement une perspec-         crucial, ce qui explique que, dans la majorité des cas, ces
                                         tive d’observateur dans leur narration qu’une perspective         compétences demeurent limitées au domaine d’intérêt.
                                         d’acteur. Ces différences entre effet de référence à soi et       En effet plusieurs études ont tenté de généraliser à la
                                         effet de l’action renvoient à deux dimensions du self, le self    mémorisation d’autres matériels mais sans succès
                                         psychologique (trait de personnalité) et le self physique         (Neumann et al., 2010(8) pour exemple). La mémoire impli-
                                         (caractéristiques objectivables basées sur l’action). Selon       cite intervient donc lors de l’encodage, c’est-à-dire lors de
                                         Lind, la première dimension reposant sur des facteurs             la formation de ces compétences et lors de la restitution
                                         sociaux serait déficitaire contrairement à la seconde.            par un mécanisme d’amorçage à partir d’un indice. En effet,
                                         Ces difficultés de mémoire de la source associées au self         les rares études sur les effets d’amorçage testés par des
                                         ont des répercussions sur les capacités de récollection ou        tâches de laboratoire consistant à compléter des mots ou
                                         de reviviscence évaluées par des tâches de laboratoire,           des dessins, rapportent des performances normales. De
                                         telle que la mémorisation d’une liste de mots, ou des             même, l’apprentissage procédural, par exemple des habiletés
                                         tâches plus écologiques centrées sur la mémoire autobio-          perceptivo-motrices, est possible dans l’autisme mais n’est
                                         graphique. En effet, une dissociation est fréquemment             pas sous-tendu par les mêmes mécanismes que chez des
                                         observée au sein de la mémoire autobiographique, entre            contrôles neurotypiques. La répétition de la tâche, notam-
                                         les connaissances et les souvenirs ou entre la composante         ment, semble insuffisante pour aboutir à une automatisation
                                         sémantique et épisodique. Cette dernière est largement            de la procédure. Toutefois, les travaux sur le sujet de la
                                         affectée dans l’autisme, se traduisant par des souvenirs à la     mémoire restent encore trop peu nombreux pour rendre
                                         fois moins détaillés et exempts de sentiment de revivis-          compte pleinement de ces capacités extraordinaires. ■
                                         cence. Tout récemment, Lind et Bowler (2010)(5) se sont              Références page 22.
                                         intéressés à la mémoire ou pensée future, démontrant que
                                         les personnes autistes avaient également des difficultés à se                                            neuropsycho@chu-caen.fr
                                         projeter dans le futur. L’origine de ces difficultés est de                                                    guillery@cyceron.fr
                                                 C I E N
                                           R O S         C
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           MÉCANISMES MIROIR ET AUTISME : L’ŒUF, LA                               Plusieurs études ont mis en évidence des anomalies des
           POULE, OU LES EFFETS COLLATÉRAUX ?                                  mécanismes miroirs ou de leur substrat chez les personnes
           Nouchine Hadjikhani       (Brain Mind Institute (EPFL), Lausanne,   atteintes d’autisme. Tout d’abord, des expériences com-
           Suisse)                                                             portementales ont démontré une absence de contagion au
                                                                               bâillement(4), ainsi qu’une absence de mimique automatique
              La découverte des mécanismes miroir par l’équipe de              en présence de visages exprimant des émotions. Des enre-
           Giacomo Rizzolatti à Parme dans les années 90(1) pourrait           gistrements en magnétoencéphalographie et en électroen-
           être qualifiée de fruit du hasard : c’est alors qu’un expéri-       céphalographie ont mis en évidence des différences de
           mentateur pensait enregistrer des neurones purement                 modulation de signaux neurophysiologiques entre sujets
           moteurs qui déchargeaient lorsqu’un singe attrapait des             témoins (ou neurotypiques) et autistes dans des tâches
           cacahuètes posées devant lui, qu’il se rendit compte tan-           d’observation de mouvement et d’émotion.
           dis que son collègue venait pour ramasser les cacahuètes               Des différences anatomiques ont également été consta-
           restantes à la fin de l’expérience, que ces neurones                tées entre des personnes atteintes d’autisme et des sujets
           déchargeaient également alors que le singe était immobile           témoins de même âge et intelligence : un amoindrissement
           et ne faisait que regarder l’action de l’expérimentateur :          de l’épaisseur corticale dans les aires liées aux mécanismes
           ces neurones étaient donc activés, “en miroir”, lors de la          miroirs a été rapporté par plusieurs groupes(5,6,7).
           réalisation d’une action et lors de l’observation de la                Finalement, des études en IRM fonctionnelle ont
           même action par quelqu’un d’autre.                                  démontré l’absence d’un engagement spontané des méca-
              Depuis cette découverte chez le singe, un grand                  nismes miroirs lors de la perception de visages chez des
           nombre d’études menées en imagerie cérébrale ont pu                 personnes atteintes d’autisme, alors que des stimuli simi-
           démontrer l’activation chez l’humain de zones homo-                 laires activent ces zones chez des neurotypiques, aussi
           logues à celles du singe lors d’activités telles que l’imita-       bien enfants qu’adultes(8,9).
           tion, l’observation d’action et l’observation d’émotions.
           Comme ce sont généralement des évidences tirées non                 Que peut-on tirer de ces constatations ?
           pas d’enregistrements cellulaires, mais de mesures indi-               Premièrement, il faut se garder de vouloir tisser un lien
           rectes du métabolisme cérébral, on parle chez l’homme               de causalité entre les observations effectuées et les
           de mécanismes miroirs. Ceux-ci ont été mis en évidence              symptômes : la plupart, sinon toutes ces études sont des
           dans les zones homologues de celles où l’on a mesuré des            observations uniques, et non le suivi d’une évolution au
           neurones miroirs chez le singe, c’est-à-dire dans le cortex         cours du temps. Il est donc pour le moment impossible
           frontal inférieur, dans le cortex pariétal supérieur, dans le       de dire si, par exemple, les différences anatomiques
           sulcus temporal supérieur et dans l’insula. Cependant,              observées sont la cause des symptômes, ou la consé-
           récemment, une équipe travaillant avec des patients opé-            quence d’une sous-utilisation de ces fonctions. On sait
           rés en neurochirurgie pour des épilepsies intraitables a pu         que le système des mécanismes miroirs est déjà normale-
           démontrer directement par enregistrement électrophy-                ment présent à la naissance, comme le démontre l’imita-
           siologique la présence de neurones miroirs chez l’humain,           tion automatique d’actions faciales telles que tirer la
           ainsi que le fait que ces neurones étaient distribués dans          langue par le nouveau né. On peut imaginer dans le futur
           des régions du cerveau jusqu'alors peu considérées telles           que des études prospectives, par exemple dans des
           que le cortex cingulaire, l’aire motrice supplémentaire, ou         familles à risque, pourraient nous éclairer sur la présence
           le lobe temporal médian(2).                                         d’un déficit précoce de ces fonctions chez le jeune enfant.
              Ces mécanismes miroirs sont importants dans l’appren-               Deuxièmement, le mécanisme de couplage perception-
           tissage par imitation, dans la compréhension de l’action            action, même s'il est déjà présent à la naissance, doit être
           d’autrui, ainsi que dans l’empathie, définie comme la               développé et maintenu, et l’on sait qu’il est sujet à une
           capacité à percevoir et reconnaître les émotions d’autrui.          grande plasticité, comme le démontre par exemple la
              Le groupe de Rita Hari a été le premier à avancer                différence d’engagement du système miroir dans une
           l’hypothèse qu’une partie des symptômes présentés par               étude chez des danseurs spécialisés observant leur
           les personnes atteintes d’autisme pourrait être due à un            propre style de danse ou celui d’une autre qu’ils ne
           dysfonctionnement des mécanismes miroirs(3). Depuis,                pratiquent pas(10). Il est possible que chez l’enfant autiste,
           plusieurs études tendant à valider ces hypothèses, ont été          un autre mécanisme tel qu’une anomalie du système de
           effectuées.                                                         récompense, ou une anomalie de la voie visuelle
              Parmi les symptômes présentés par les personnes                  sous-corticale menant à une anomalie de la perception
           atteintes d’autisme, les difficultés d’imitation, l’absence de      des visages entraîne un manque d’intérêt pour les stimuli
           contagion émotionnelle, les difficultés à comprendre les            sociaux voire une aversion, et qu’en conséquence la mise
           émotions exprimées par autrui, peuvent tous être reliées            en place des mécanismes miroirs sociaux ne se fasse pas
           directement aux fonctions des mécanismes miroirs.                   normalement.
                                                                                                                                                                          C I E N
                                                                                                                                                                    R O S         C
                                                                                                                                                                E U                 E

                                                                                                                                                    E
                                                                                                                                                        S
                                                                                                                                                            N                         S
                                                                                                                                                                                            17
                                                                                                                                                D
                                                                                                                                            É
                                                                                                                                                                LA LETTRE - N°41
                                                                                                                                        T
                                                                                                                                       É
                                                                                                                                    I
                                                                                                                                   C
                                                                                                                                O
                                                                                                                               S
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                                          Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite)
 DOSSIER



                                            Des études récentes(11) ont pu démontrer une amélio-               syndrome d’Asperger et celui d'Autisme de Haut-niveau
                                         ration de la fonction de certaines zones miroirs avec l’âge           de Fonctionnement (HFA), deux formes d’autisme,
                                         chez les personnes autistes, liée à une amélioration du               présentent surtout des difficultés pour élaborer des juge-
                                         comportement social, démontrant par là qu’on est pro-                 ments intuitifs sur leurs propres expériences, leurs
                                         bablement non seulement en présence d’un délai de                     propres émotions et sur les signaux implicites non
                                         maturation plutôt que d’un système irrévocablement                    verbaux exprimés par les autres. Ces sujets évitent le
                                         perdu, mais encore qu’une certaine plasticité cérébrale               regard et ont des difficultés à agir d’une façon intuitive et
                                         continue au cours du développement chez les adoles-                   spontanée. À ce jour, les causes d’autisme ne sont pas
                                         cents et les adultes. On peut donc imaginer qu’une prise              identifiées et aucun traitement de ce désordre n’est
                                         en charge précoce associée à un entraînement des fonc-                connu. Parmi les nombreuses avancées dans ce domaine
                                         tions d’imitation, y compris des expressions émotion-                 de recherche, le rôle d’un neuropeptide, l’ocytocine, dans
                                         nelles, puisse permettre d’améliorer plus tôt ces fonc-               l’autisme, a beaucoup attiré l’attention dans le secteur des
                                         tions chez le jeune enfant et lui permettre d’acquérir de             neurosciences cognitives.
                                         meilleures compétences sociales.                                         L’ocytocine est un neuropeptide bien connu pour son
                                            Finalement, il faut garder en mémoire que si un modè-              rôle physiologique dans la reproduction et la lactation(2).
                                         le postulant le dysfonctionnement des mécanismes                      Elle est synthétisée dans les noyaux paraventriculaires et
                                         miroirs peut, dans une certaine mesure, nous aider à                  supraoptiques de l’hypothalamus et elle joue un double
                                         comprendre les aspects sociaux et de communication                    rôle en tant que neurotransmetteur et hormone.
                                         dans l’autisme, il ne nous aide pas vraiment à expliquer le           L’ocytocine est libérée dans le sang où elle agit comme
                                         troisième pilier de la triade autistique qu’est la présence           une hormone sur les organes de la reproduction.
                                         d’intérêts restreints et de comportements répétitifs. ■               Cependant, l’ocytocine joue également un rôle important
                                            Références page 22.                                                dans la régulation des émotions et des comportements en
                                                                                 nouchine.hadjikhani@epfl.ch   tant que neurotransmetteur. En effet, l’ocytocine estlibé-
                                                                                                               rée dans le cerveau au niveau des terminaisons axonales
                                         IMPLICATION DE L’OCYTOCINE, HORMONE DE                                et dendritiques, en particulier dans les régions du système
                                         L’ATTACHEMENT, DANS L’AUTISME                                         limbique et des systèmes de récompense(3). L’ocytocine
                                         Elissar Andari (Emory University, Yerkes National Primate Center,     initialise le comportement maternel chez le rat et l’atta-
                                         Center for Translational Social Neuroscience, Atlanta Georgia, USA)   chement sélectif mère-jeune chez la brebis. Ainsi, il semble
                                                                                                               donc qu'après son rôle dans la reproduction, elle joue éga-
                                            Notre vie, un volcan continu d’émotions, est submergée             lement un rôle primordial dans la formation du lien affec-
                                         par des interactions sociales, de mutuelles coopérations et           tif entre l’enfant et sa mère(4,5). De même, il a été mon-
                                         l’amour. Sans amour et sans passion, la vie peut passer               tré que cette hormone est à la base de l'attachement
                                         inaperçue, sans joie et sans traces. L’amour est toujours             social entre les individus (liens entre les partenaires
                                         décrit dans les romans les plus beaux, les chansons les plus          sexuels et liens mère-jeune). En effet, des recherches
                                         belles et les poèmes les plus célèbres. “Deux amants sont             élégantes sur l’ocytocine ont été effectuées chez les
                                         devenus des arbres… La pluie ni le vent ni le gel ne pourront         campagnols de prairie (des animaux sociaux qui établis-
                                         pas les séparer… Ils ne forment qu’un seul tronc…et leurs             sent des liens exclusifs avec le partenaire sexuel après
                                         bouches réunies. Le Chèvrefeuille a fait son nid”(1). Ainsi, l’at-    la copulation) et les campagnols de montagne (espèce
                                         tachement, la passion, la confiance, la reproduction,                 solitaire qui ne forme aucun lien d’attachement).
                                         l’amour maternel, forment l’essence de la continuité de               L’administration d’ocytocine chez les campagnols
                                         l’espèce. Cependant, cette capacité à élaborer des rela-              sociaux a renforcé la sélection et la préférence du par-
                                         tions sociales réciproques varie d’un sujet à l’autre.                tenaire par rapport à l’étranger. Récemment, des
                                         Certaines personnes sourient et interagissent avec affec-             études sur l’Homme ont montré que l’ocytocine aug-
                                         tion, et d’autres détournent leurs regards et préfèrent               mente la confiance en autrui lors d’un jeu interactif,
                                         être seules. L’étude des fondements neurobiologiques de               augmente le temps de fixation visuel sur la région des
                                         cette variabilité interindividuelle est cruciale afin de mieux        yeux du visage d’autrui et augmente l’empathie et la
                                         comprendre les désordres neuro-développementaux                       générosité(6,7,8).
                                         associés à des déficits sociaux, tels que l’autisme.                     Ainsi, étant donné le rôle de l'ocytocine dans la recon-
                                            Les individus présentant des symptômes autistiques                 naissance et l’attachement social et le fait que le déficit
                                         révèlent très précocement (avant l’âge de trois ans) une              majeur des patients autistes concerne la réciprocité sociale,
                                         réduction de la réciprocité sociale (aversion du regard,              la question clé était de savoir si ces patients présentaient
                                         difficultés à exprimer les sentiments et à les comprendre             un déficit de cette hormone et si l’administration de cette
                                         chez autrui), un retard de langage et la présence de com-             dernière pouvait améliorer la qualité des interactions
                                         portements répétitifs restreints. Les patients présentant le          sociales chez ces patients.
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              En administrant de l’ocytocine par voie intranasale, j’ai         La question subséquente qui se pose est : comment
           étudié, au sein du laboratoire CNRS/ CNC (Centre de               l’ocytocine améliore-t-elle les capacités sociales de ces
           Neuroscience Cognitive)/ UMR 5229, l’effet de cette               patients atteints d’autisme ? Àu travers de quels méca-
           hormone sur les capacités des patients HFA et Asperger            nismes ? Étant donné le rôle de l’ocytocine dans la réduc-
           adultes, à comprendre de façon intuitive les intentions des       tion du stress et l’anxiété, et dans l’inhibition de l'activité
           joueurs, et d’agir en conséquence au cours d'un jeu de            des neurones de l’amygdale, il est très probable que l’ocy-
           balle (expérience 1). L’étude était contrôlée par l’adminis-      tocine renforce les liens sociaux en diminuant la peur.
           tration d'un placebo dans un schéma expérimental où               Des études en imagerie cérébrale confirment le lien entre
           chaque sujet était son propre témoin. La première expé-           cette hormone et les régions cérébrales impliquées dans
           rience consistait en un jeu d’interaction sociale durant          la peur et l’anxiété chez l’homme telles que l’amygdale et
           lequel le participant jouait en face d’un écran tactile avec      l’hippocampe. Il est probable qu’en diminuant la peur
           trois partenaires fictifs. Le participant gagnait deux euros      d'être déçu ou d’exclusion sociale, l’ocytocine renforce la
           après chaque réception de balle. La probabilité de récep-         confiance en soi et augmente par conséquent l’attention
           tion de la balle par le participant, de la part de chacun des     du sujet aux stimuli sociaux importants pour la saisie des
           trois partenaires, était prédéterminée, de façon à avoir          informations implicites et non-verbales. Il se peut que
           trois profils différents de partenaires (bon, méchant,            l’ocytocine stimule l’engagement social qui est, en soi,
           neutre). Je voulais créer un contexte intuitif indéterminé        récompensant. Il est bien connu que le système ocytoci-
           qui s’approche de la vie courante de tous les jours.              nergique est en lien avec le système dopaminergique qui
           Avec le placebo, les patients Asperger envoyaient la balle        est lui-même relié à la motivation sociale et à la récom-
           de façon randomisée à chacun des trois partenaires sans           pense. Ainsi, par le biais d’interactions entre ces deux
           tenir compte des différents profils sociaux attribués à           systèmes, la motivation sociale pourrait être renforcée,
           chacun d’eux. Cependant, avec l'ocytocine, les patients,          menant les sujets à augmenter leur attention vis-à-vis des
           comme les sujets normaux, ont envoyé la balle significati-        stimuli sociaux et de reconnaissance sociale. La réduction
           vement plus souvent au bon partenaire, par rapport au             du stress, l’augmentation de la saillance des stimuli sociaux
           méchant et au neutre. Ainsi, les patients sous ocytocine          et le renforcement de la motivation à établir des liens
           ont pu comprendre des indices sociaux clés et ont pu agir         sociaux peuvent donc être les mécanismes potentiels à
           en fonction du comportement de chacun des partenaires             travers lesquels l’ocytocine agit sur le comportement de
           de manière adéquate(9).                                           l’Homme.
              De plus, la trajectoire des yeux des patients a été               Des études supplémentaires sont nécessaires pour
           étudiée pendant qu'ils observaient les visages affichés sur       mieux cerner les mécanismes d’actions de cette hormone.
           l’ordinateur (expérience 2). Alors que sous placebo, les          Il est également crucial d’étudier les interactions entre
           patients regardaient beaucoup moins longtemps les                 différentes hormones impliquées dans la régulation des
           visages par rapport aux sujets sains, ces mêmes patients          émotions telles que l’ocytocine, la dopamine, la sérotoni-
           ont augmenté leur temps de fixation visuelle sur les              ne et d'autres encore...
           visages et en particulier, sur la région des yeux, après inha-       En étudiant le domaine du syndrome d’Asperger, j’ai eu
           lation d’ocytocine.                                               la chance d’apprendre et de découvrir combien ces gens
              Les effets comportementaux étaient également contrôlés         peuvent être talentueux dans différents domaines, comme
           en mesurant les concentrations d’ocytocine plasmatique            le calcul, la comptabilité, le dessin, la musique, etc.
           dans le sang avant et après administration du spray nasal.        Ces talents ne sont pas souvent abordés. J’ai également
           La concentration d’ocytocine dans le plasma des patients à        observé les difficultés de ces sujets à communiquer avec
           l’état basal était significativement inférieure aux valeurs des   les autres, à s’intégrer en société, à trouver du travail et à
           sujets normaux (patients : 1.08 pg/ml ± 1.04 ; sujets sains :     être autonome. J’ai remarqué le degré de fatigue psy-
           7.28 pg/ml ± 4.49). Le taux d’ocytocine est significativement     chique et physique des parents qui tentent tout leur pos-
           augmenté (2.66 pg/ml ± 2.20) après inhalation d’ocytocine.        sible pour aider leur enfant. Certains sont forts et déter-
              Ainsi, l’ocytocine semble être bien déficitaire chez ces       minés mais épuisés, et d’autres souffrent de dépression et
           patients et son administration intranasale module le com-         de mélancolie.
           portement de reconnaissance sociale et d’intuition. Ceci,            Ainsi, la question de l’autisme doit être abordée avec
           confirme les études précédentes chez l’Homme et l’animal          priorité et il est crucial d’effectuer des recherches dans le
           sur le rôle de l’ocytocine dans l’attachement, la préféren-       but d'établir un diagnostic précoce, de déterminer les
           ce du partenaire et la reconnaissance sociale. Ces résul-         causes de ce désordre et de proposer des traitements et
           tats sont certes prometteurs, mais nécessitent des études         de l’aide aux familles. ■
           supplémentaires sur l’ocytocine en impliquant un plus                Références page 22.
           grand nombre de patients Asperger ainsi que d’autres                                                           eandari@gmail.com
           formes d’autisme.
                                                                                                                                                                        C I E N
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Lettre neurosciences autisme

  • 1. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page10 Quoi de neuf sur l’autisme ? coordonné par Yves Tillet et le Comité de rédaction DOSSIER On parle beaucoup des maladies du vieillissement, mais on parle moins de celles qui surviennent à l'autre bout de la vie, au cours du développement, comme l'autisme. Plusieurs résultats récents apportent des éclairages nouveaux sur cette pathologie et il nous a semblé nécessaire de faire le point sur ce sujet. INTRODUCTION PHYSIOPATHOLOGIE DE L’AUTISME : DU SYNDROME COMPORTEMENTAL À LA SYNAPSE L'autisme de l'enfant Catherine Barthélémy (INSERM U.930, Tours) L'autisme de l'enfant a désormais réintégré la médecine D’abord décrit comme une forme précoce de psycho- qu'il n'aurait jamais dû quitter. Léo Kanner qui, en 1943, se schizophrénique, l’autisme est maintenant inscrit au en a individualisé les principaux signes(1), pensait qu'il chapitre des troubles globaux du neurodéveloppement s'agissait d'une “incapacité innée à établir des contacts affectant, dès le début de la vie, la communication sociale avec les personnes, biologiquement prévue…” et l’adaptation à l’environnement humain. Les hypothèses orientant vers un désordre de nature biologique altérant Hélas à partir des années 1960, une formidable vague d’obs- les réseaux et fonctionnements synaptiques du cerveau curantisme a déferlé sur ce trouble pour l’arracher à la médeci- dit “social” sont maintenant avancées. ne, encore perceptible aujourd’hui. L’épilepsie, mal sacré, a failli L’autisme qui, par définition, apparaît avant l’âge de trois connaître le même sort. Mais, il y a près de 2500 ans, Hippocrate ans, se caractérise par des troubles dans trois secteurs du a redressé la barre: “La maladie dite sacrée ne paraît rien avoir comportement : de plus divin et de plus sacrée que les autres…”. - la socialisation : l’enfant avec autisme semble solitaire dans son monde. Il joue seul, on pourrait penser qu’il est sourd. De la même façon, on a assisté à la sacralisation de Il réagit avec les personnes comme si elles étaient des l’enfant autiste, tandis que la mère était diabolisée. Marcel objets. Son contact oculaire est particulier. Sa mimique est Proust, dans “La Recherche”, a bien prévu de telles situa- pauvre. Le partage émotionnel lui est difficile. tions en écrivant : “les faits ne pénètrent pas dans le - la communication : il ne parle pas ou, si son langage exis- monde où vivent nos croyances”. te, il s’inscrit rarement dans un échange d’informations, un dialogue avec autrui. Ce dossier vient à point pour dresser un état des lieux - l’adaptation : l’enfant avec autisme est attaché à de la recherche sur l’autisme. On ne peut que remercier le “l’immuabilité dans son environnement”. Le moindre Comité de Rédaction de la Lettre des Neurosciences de contri- changement, les événements imprévisibles peuvent buer à privilégier ces faits. Il a fait de bons choix en donnant provoquer chez lui angoisse et agressivité. Le répertoire la parole aux meilleurs spécialistes du domaine. Catherine de ses activités est réduit, répétitif. Lorsqu’il est seul ou Barthélémy, physiologiste, psychiatre et pédiatre est le avec les autres, l’enfant est animé de mouvements numéro 1 de l’autisme, car elle associe recherche clinique, stéréotypés, battements, rotations ou balancements biologique et thérapeutique(2). Frédérique Bonnet-Brilhaut, d’une partie ou de l’ensemble du corps. également polyvalente, prend le même chemin. Thomas Ces traits sont partagés par des personnes très Bourgeron et Richard Delorme sont des spécialistes de la différentes et ils persistent à l’âge adulte. La variabilité de génétique, ils présentent ici la contribution des facteurs l’expression clinique résulte non seulement du degré d’autis- génétiques aux troubles du spectre autistique. Deux nou- me mais aussi de son association à d’autres troubles (retard velles voies de recherches sont également abordées par mental, troubles moteurs, sensoriels et perceptifs, épilepsie...). Nouchine Hadjikhani sur le rôle des neurones miroirs et par Elissar Andari à propos de l’ocytocine. Enfin, Bérengère Origines de l’autisme, évolution des conceptions Guillery-Girard et Francis Eustache présentent l’étonnant L’autisme occupe encore une position cruciale dans les fonctionnement mnésique dans l’autisme, sans oublier les interrogations et débats sur l’origine de la vie intellec- travaux de mon ami Y. Ben-Ari réalisés avec E. Lemonnier tuelle, affective et de la relation interpersonnelle. Il est sur le rôle du GABA. banal d’évoquer “l’énigme de l’autisme”. Toutefois, les Bien sûr, ce sont encore de petits pas, mais plusieurs efforts conjugués des cliniciens et neurobiologistes petits pas peuvent aboutir à un grand pas(3). C’est ce suscitent des hypothèses explicatives neurofonctionnelles qu’espèrent “professionnels”, enfants et parents. ■ de plus en plus consistantes et ouvrent des pistes pour Références page 21. l’identification de déterminants génétiques majeurs. Gilbert Lelord Les premières descriptions de l’autisme chez l’enfant ont (Faculté de médecine de Tours) été publiées par Kanner(1) et Asperger(2) en empruntant C I E N R O S C E U E 10 D E S N S É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 2. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page11 DOSSIER le terme autisme aux neuropsychiatres d’adulte qui l’utili- La combinaison des approches cliniques, de neuroima- saient pour décrire chez les schizophrènes l’évasion de la gerie et de génétique moléculaire va permettre d’identi- réalité, le repli sur soi. Ainsi, l’autisme infantile s’est-il fier des périodes critiques du développement cérébral et retrouvé, en référence à la schizophrénie, inscrit au des fonctionnements neuronaux cibles. chapitre des “psychoses de l’enfant” avec un modèle explicatif psychogénétique suggérant le rôle implicite de la Hypothèses synaptiques pathogénicité maternelle dans la distorsion relationnelle Les hypothèses neuro-développementales de l’autisme précoce. Dans les années 1970, les hypothèses neurobio- se sont progressivement élaborées à partir d’observations logiques ont commencé à contrebalancer fortement les cliniques, notamment sur la croissance cérébrale et à conceptions psychodynamiques. partir d’études anatomiques, cellulaires et génétiques. Des modèles neurologiques innovants ont été propo- Toutes les étapes du développement cérébral sont consi- sés, notamment par Damasio et Maurer(3) avec des inci- dérées comme candidates dans la physiopathologie de ce dences physiopathologiques et thérapeutiques. Les pre- syndrome. Mais un intérêt croissant (renforcé par les miers résultats de neuropathologie, de neurochimie et résultats des études génétiques) est porté sur le dévelop- d’imagerie cérébrale, statique et dynamique, ont été dif- pement et le maintien des connexions synaptiques de fusés, notamment ceux de Bauman et Kemper(4) et même que sur la croissance axonale et la mise en place des Courchesne et al.(5). L’hypothèse d’une “insuffisance tractus reliant les différentes aires cérébrales entre elles. modulatrice cérébrale” dans l’autisme a été posée par L’un des résultats les plus robustes dans le domaine de Lelord(6), les caractéristiques de l’autisme étant, à partir de la neuro-anatomie de l’autisme est l’augmentation du volume ces travaux, considérées comme liées à des anomalies du cérébral. Un pattern particulier de croissance cérébrale filtrage et de la modulation sensorielle, émotionnelle et pendant les deux premières années de la vie a été mis en posturo-motrice. Une méthode originale de thérapie évidence. Les techniques de neuro-imagerie comme le psychophysiologique a été simultanément développée DTI (Diffusion Tensor Imaging) vont permettre une analy- par Barthélémy et al.(7). se fine de la structure cérébrale et vont apporter des De larges études épidémiologiques internationales ont précisions sur les anomalies suspectées dans l’autisme. été mises en œuvre. Des cohortes et des banques de Les études anatomo-pathologiques fournissent des des- données se sont constituées aux États-Unis et en Europe. criptions de l’organisation cyto-architecturale du tissu Les progrès technologiques en vidéo du comportement, cérébral : des modifications de la structure en micro- en biologie moléculaire et en imagerie cérébrale colonnes du cortex cérébral ont été signalées impliquant fonctionnelle ont permis des avancées considérables. notamment les systèmes GABAergiques. L’hypothèse Les publications les plus récentes mettent en évidence d’une hyper-connectivité locale, aux dépens de la connec- des altérations du fonctionnement de systèmes cérébraux tivité à longue distance reliant les différentes aires céré- impliqués dans le décodage de l’information sensorielle brales entre elles, est proposée dans l’autisme. motrice et émotionnelle. Ainsi, dans la continuité Certains processus inflammatoires, pouvant affecter le d’études bien antérieures sur des fonctions neurophysio- développement synaptique et l’apoptose, ont été récem- logiques à la base des interactions sociales, certains résul- ment évoqués. tats très récents confirment les liens possibles entre : La neuro-transmission synaptique, en particulier - défaut de réciprocité sociale et activation atypique des sérotoninergique et GABAergique, a fait l’objet de nom- “systèmes miroirs”(8,9). breuses études. L’intérêt ne se porte pas seulement sur la - trouble de la communication et anomalie du traitement transmission synaptique mais sur l’implication de ces cortical de l’information auditive(10,11). systèmes dans le neuro-développement. - intolérance au changement et réactivité anormale du Enfin, depuis les années 2000, plusieurs études ont mis cortex cingulaire aux événements inhabituels(12). en évidence des mutations génétiques qui seraient à Ces anomalies du fonctionnement de réseaux neuro- l’origine d’anomalies du fonctionnement des synapses naux ont une importance majeure dans le trouble de la glutamatergiques dans l’autisme. perception des autres, de leurs intentions, de leurs émo- En conclusion, l’hypothèse d’un défaut de développe- tions et de leurs réactions. Les hypothèses “neuronales” ment et du fonctionnement synaptique est actuellement de l’autisme rejoignent les modèles proposés par les au premier plan dans la recherche sur les mécanismes psychologues décrivant les particularités du fonctionne- impliqués dans l’autisme. Les résultats prometteurs ment intellectuel et relationnel dans ce syndrome. Ainsi, ouvrent des voies nouvelles pour la mise au point de nombre de travaux concernent-ils actuellement la mise en thérapeutiques futures. ■ évidence des correlats cérébraux des déficits de l’empa- Références page 21. thie(13), de la théorie de l’esprit (Theory of Mind ou ToM) de la fonction exécutive, de la cohérence centrale. catherine.barthelemy@chu-tours.fr C I E N R O S C E U E E S N S 11 D É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 3. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page12 Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite) DOSSIER VULNÉRABILITÉ GÉNÉTIQUE AUX TROUBLES DU d’adhérence synaptique(5). Basé sur l’identification de SPECTRE AUTISTIQUE délétions récurrentes dans le chromosome X chez des Thomas Bourgeron (Université Paris Diderot, Lab. de génétique patients atteints, notre laboratoire a en particulier identi- humaine et fonctions cognitives, Institut Pasteur, Paris) fié une mutation délétère dans le gène NGLN4X qui et Richard Delorme (Centre expert autisme de haut niveau, tronquait la protéine. Cette mutation, de novo chez la Hôpital Robert Debré, Paris) mère non atteinte, a été transmise à ses deux enfants atteints, l’un avec un syndrome d’Asperger, l’autre avec Les troubles du spectre autistique (TSA) se caractéri- un autisme typique associé à une déficience intellectuelle. sent par des troubles majeurs de la communication socia- Peu après, une équipe indépendante a identifié une muta- le, du développement du langage, accompagnés par des tion similaire dans une famille multiplexe, la mutation intérêts restreints et des comportements stéréotypés. ségrégeant chez les garçons ayant un DI ou/et un TSA(6). La présentation canonique est définie par un déficit dans L’implication des gènes synaptiques dans le déterminisme les trois domaines émergeant avant l’âge de 36 mois(1). des TSA a ensuite été confirmée par l’identification de Les preuves de la contribution des facteurs génétiques plusieurs patients ayant des mutations de novo du gène dans les TSA sont nombreuses, basées sur les études SHANK3, une protéine d’échafaudage postsynaptique. Ce familiales et de jumeaux(2), le chevauchement entre les gène localisé au sein de la microdélétion 22q13.3, synthé- TSA avec de nombreux syndromes génétiques connus(3), tise une protéine qui forme un complexe avec les neuro- et les résultats des études de biologie moléculaire. ligines(7). Plus récemment encore, des mutations récur- Les efforts réalisés ces dernières années pour identifier rentes de novo ont été identifiées dans d’autres protéines les gènes de vulnérabilité aux TSA ont permis la caracté- interagissant avec ce complexe protéique, incluant les risation de nombreux gènes ou de loci conférant soit un gènes NRXN1(8) et SHANK2(9,10). Fonctionnellement, les risque élevé, soit faible, d’avoir un TSA. La liste de candi- neuroligines ont un rôle majeur dans l’établissement des dats potentiels prolifère de manière exponentielle (219 synapses glutamatergiques excitatrices et inhibitrices(11). gènes à ce jour répertoriés à http://www.mindspec. org/auTSb.html), mais seuls quelques-uns ont été répliqués Variation du nombre de copies (CNV) par des études indépendantes. L’absence de marqueurs Depuis l’avènement des puces de génotypage à haut biologiques sensibles et spécifiques de TSA nécessite de débit et leur capacité à identifier des variations chromo- baser son diagnostic sur des évaluations subjectives, ce qui somiques inframicroscopiques, de multiples anomalies est vrai pour l’ensemble des troubles psychiatriques. De chromosomiques récurrentes ont été identifiées chez les plus, le rôle de certains gènes associés au déficit intellectuel patients TSA. Les CNVs les plus fréquentes et dont la (DI) dans l’autisme pose un problème phénoménologique pénétrance est élevée, sont les duplications 15q11-q13, majeur sur l’interprétation des résultats génétiques. En d’origine maternelle(12). D’autres délétions récurrentes effet, un déficit intellectuel est diagnostiqué chez 70 % rares et localisées en 2q37, 1q21, 22q11, et 22q13, ont été environ des patients avec autisme(3), et chez 45 à 50 % des identifiées (parmi d’autres) chez les patients TSA(13). patients si l’on considère l’ensemble du spectre. L’importance des CNVs submicroscopiques a été rappor- tée pour la première fois par le laboratoire de Michael Résultats princeps : implications des variants rares Wigler qui a identifié un excès de CNV de novo chez des dans les TSA sujets atteints issus de familles simplexes (un seul cas De nombreux syndromes génétiques (plus d’une cen- affecté) (10 %) en comparaison avec des sujets atteints taine) sont fréquemment identifiés chez des patients issus de familles multiplexes (3 %) ou des sujets contrôles ayant un TSA et à l’inverse, les patients ayant ces syn- (1 %)(14). Une analyse génome-entier à la recherche de dromes ont fréquemment des symptômes autistiques(4). CNVs(15) a confirmé une augmentation de ces événements Parmi ces syndromes, le plus fréquent est le syndrome de et suggère une fréquence cumulative de CNVs chez 5 à 10 l’X fragile pour lequel il est fréquent de trouver une % dans les familles multiplexes. Cependant, une étude plus mutation du gène FMR1 chez les patients TSA ayant un récente, de grande taille, a identifié des variations de novo trouble d’apparence idiopathique. De la même manière, chez 5,5 % des patients TSA issus de familles multiplexes le chevauchement entre les caractéristiques cliniques des mais également à une prévalence équivalente chez les pro- patients ayant un syndrome d’Angelman ou un syndrome posants de famille simplexe (5,6 %)(10). Les raisons de la de Rett par exemple, avec ceux ayant un TSA, permet variabilité des résultats obtenus dans cette troisième aussi de comprendre certains mécanismes biologiques étude n’ont pas encore été clairement identifiées, mais il augmentant le risque de l’autisme. Les premières muta- semble que l’augmentation de la résolution des puces de tions identifiées chez les patients ayant un TSA idiopa- génotypages, pourrait être l’une d’entre elles. De grandes thique ont été montrées dans le gène Neuroligin 4X délétions(14) seraient plus fréquentes chez les proposants (NLGN4X), impliqué dans la synthèse de molécule issus de familles simplexes versus multiplexes, ce qui ne C I E N R O S C E U E 12 D E S N S É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 4. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page13 DOSSIER serait pas le cas pour des délétions de tailles plus réduites. Conclusion et perspectives Les études de CNVs ont également confirmé les résultats Les résultats de la génétique ont permis d’identifier des études de séquençage ou de cytogénétique et confir- deux voies biologiques associées à l’autisme. La première mé l’implication d’un certain nombre de loci ou de gènes concerne la synapse et la deuxième la synthèse /dégrada- déjà identifiés. Par exemple, Glessner et al.(16) ont confir- tion des protéines (y compris les protéines synaptiques). mé l’implication des régions 15q11–13 et 22q11.21 dans L’hypothèse que nous avons suggérée est qu’une voie les TSA, ainsi que des gènes NRXN1 et CNTN4. L’étude commune est l’altération de l’homéostasie synaptique de l’ontologie des gènes a montré en particulier un enri- dans l’autisme(17). L'amélioration des technologies géno- chissement de CNVs dans les gènes synaptiques. Pinto et miques comme le séquençage du génome entier, va al.(10) ont ainsi souligné l’implication des gènes impliqués permettre de découvrir de nouveaux gènes ou voies bio- dans la prolifération, la migration et la mobilité neuronale logiques associées aux TSA. De plus, l’accession aux cel- ainsi que ceux participant à la signalisation GTPase/Ras. lules souches des patients va permettre d’aborder deux Outre l’implication du gène SHANK2, Pinto et al. ont éga- questions complexes qui concernent les anomalies épigé- lement montré l’implication de délétions héritées liées à nétiques et les conséquences neuronales des mutations l’X, de DDX53-PTCHD1. identifiées chez les patients. Au-delà de la technologie, seule une étroite collaboration entre les cliniciens, les Variants fréquents neurobiologistes et les généticiens moléculaires va nous Comme dans les autres maladies psychiatriques permettre de comprendre la complexité des relations de l’enfant, les premières études essayant d’identifier des génotype-phénotype dans les TSA. ■ variants fréquents associés aux TSA se sont avérées vaines. Références page 21. L’hypothèse de “variants fréquents pour les maladies thomasb@pasteur.fr fréquentes” a été privilégiée initialement jusqu’au début des richard.delorme@rdb.aphp.fr années 2000 où l’identification des premières mutations DES DIURÉTIQUES POUR TRAITER L’AUTISME : L’HIS- rares dans l’autisme idiopathique a conduit à privilégier TOIRE RICHE D’ENSEIGNEMENT D’UNE DÉCOUVERTE l’hypothèse “rares variants –maladies rares”. La plupart des Eric Lemonnier (CRA, Brest) & Yehezkel Ben-Ari (INMED, études de liaison ou d’association ont conduit à des résul- INSERM U. 901, Marseille) tats pour la plupart négatifs ou non répliqués. Cependant, on peut retenir les études ayant montré l’implication du S’il arrive que des traitements soient découverts un peu gène EN2, l’oncogène MET et de CNTNAP2. Les résultats par hasard, l’approche reine reste celle qui consiste à se d’association ont été repliqués pour ces trois gènes, mais poser une question intéressante, de développer à partir leur implication dans les TSA reste sujette à débat. En par- des résultats obtenus un concept nouveau et quand tout ticulier les études les plus récentes et de grandes tailles cela marche, il arrive que l’on se trouve dans la situation n’ont pas trouvé d’association avec ces gènes, jetant une enviable d’avoir à la fois le concept et un traitement ! À ce large incertitude sur la validité de ces résultats et de l’im- stade, la recherche nous rend bien les efforts que nous y plication de ces gènes dans les TSA. À l’heure actuelle, trois mettons. études ont été réalisées sur de larges cohortes de patients Le point de départ est la question centrale de la neu- et de contrôles (>1000). La première a inclus 780 familles robiologie : comment interagit le programme génétique et un groupe additionnel de 1 204 probants, et a identifié avec l’environnement lors de la construction du cerveau une association significatives entre le TSA et la région chro- ? Quels sont les rôles respectifs de ces deux facteurs mosomique intergénétique 5p14.1 entre les gènes Cadherin essentiels ? Au cours d’un travail de description des acti- 9 et Cadherin 10, impliqués dans l’adhésion cellulaire (Wang vités cérébrales des neurones immatures, nous avons et al., 2 009). La seconde, qui a inclus une cohorte de 1 031 découvert que le GABA – acteur principal de l’inhibition familles, a montré une association avec des polymorphismes cérébrale et cible des benzodiazépines ou des barbitu- proches du gène Semaphorin5A (Weiss et al., 2 009) ; et une riques – excite les neurones en développement et ce, troisième, incluant 1558 patients a retrouvé une association dans un grand nombre de structures cérébrales et d’es- avec le locus incluant le gène MACROD2 (Anney et al., pèces animales, suggérant que cette propriété a été pré- 2010). Comme une probable réflexion de l’hétérogénéité servée au cours de l’évolution(1,2). Cette action est due à phénotypique des patients ayant un TSA et les difficultés à des taux intracellulaires plus élevés de chlore dans les identifier des allèles de vulnérabilité à effet modestes, aucu- neurones immatures que les matures, différences résul- ne de ces études n’a répliqué les résultats des deux autres. tant elle-même d’une maturation séquentielle de co- transporteurs de chlore, l’importateur étant opératif plus tôt que l’exportateur. Cette différence majeure entre les neurones au cours du développement est un des signes de cette règle générale car, quasiment tous les courants C I E N R O S C E U E E S N S 13 D É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 5. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page14 Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite) DOSSIER ioniques immatures diffèrent de ceux matures : le cerveau aussi des effets paradoxaux chez les enfants autistes sug- immature n’est pas un petit cerveau adulte. De plus, avec gérant des taux élevés de chlore. D’où, bien entendu, nos collègues de l’INMED, nous avons pu décrire une l’idée de tester un diurétique pour les soigner. Nous séquence de maturation des patrons d’activités corticales avons donc entrepris de tester cette hypothèse d’abord avec des courants calciques au départ, puis des plateaux avec un test pilote sur 5 enfants autistes(11) puis une fois calciques et enfin seulement des activités synaptiques de l’essai réussi, sur 60 enfants en double aveugle avec un réseau – les Potentiels Dépolarisants Géants – PDGs . essai randomisé se basant sur une dose de 1mg par jour Cette séquence, également observée dans de nom- pendant 3 mois. Les résultats sont fort encourageants breuses autres structures cérébrales, semble être une sachant que le test classique de la Childhood Autism propriété générale des réseaux immatures(3,4,5). Depuis, Rating Scale (CARS) montre un bénéfice avec une diffé- on sait que la plus forte concentration de chlore intracel- rence significative de 0,004 et la Clinical Global lulaire est due à une maturation précoce de l’importateur Impressions (CGI), autre test d’efficacité, une différence de chlore – le NKCC1 – et une maturation plus tardive de 0,017. Nous n’avons observé aucun effet secondaire de l’exportateur de chlore : le KCC2(6). significatif, une augmentation de la diurèse était fréquem- Evidemment, si le GABA excite les neurones, cela aura ment rapportée sans déshydratation ni perte de poids, et de nombreuses conséquences sur l’activité cérébrale, et dans un quart des cas, nous avons dû donner du sirop de donc sur les pathologies du cerveau en développement. potassium. Certains enfants sont sous traitement quoti- Tel est le cas avec notamment une plus grande incidence dien depuis plus d’un an. Souvent, après deux mois de d’épilepsies et d’autres maladies neurologiques. traitement, les parents repèrent une “plus grande pré- En effet, il s’est avéré que la polarité des actions du sence” de l’enfant, les échanges de regards sont facilités GABA était labile et que des activités accrues, même de et surtout il parvient à mieux saisir les propositions qui lui façon transitoire, pouvaient réinstaller des taux de chlore sont faites, facilitant ainsi les échanges sociaux. Pour élevés et une action excitatrice du GABA. Ceci est le cas autant, d’autres aspects de la symptomatologie autistique dans certaines épilepsies(7,8) mais aussi dans de nom- ne semblent pas modifiés (l’incapacité anticipatrice breuses lésions et maladies neurologiques. Tout se passe notamment). comme si, dans ces situations, le cerveau retournait à la Ces observations ouvrent d’importantes possibilités de situation ante et ceci avec les mêmes mécanismes car l’ex- compréhension et de traitement de la maladie, sachant portateur du chlore (le KCC2) qui apparaît tard pendant qu’il n’y a pas de traitement disponible autre que des neu- le développement, disparaît après des crises. Le mécanis- roleptiques qui agissent sur l’agitation mais pas sur les me commence à être déchiffré : une déphosphorylation aspects fondamentaux de l’autisme et notamment la com- suivie d’une internalisation du KCC2(9). munication. Cette découverte nous a amenés à suggérer l’idée que Sur le plan fondamental, nous avançons avec des études l’épileptogenèse récapitule l’ontogenèse. L’importance de détaillées des mécanismes sous jacents et sur le plan cli- cette observation et de ses applications cliniques et nique, nous allons entreprendre d’utiliser des tests d’ima- thérapeutiques est que, dans un tissu épileptique, le GABA gerie cérébrale afin de voir les effets de la molécule sur le va exciter les neurones et surtout, des agents dont les cerveau. Enfin, tâche particulièrement importante, nous actions sont médiées par une potentialisation des inhibi- devons développer de nouvelles formes galéniques per- tions GABAergiques et ainsi produire des effets para- mettant une plus grande disponibilité de la molécule dans doxaux de type excitateur. Et en effet, nous avons pu le cerveau sachant qu’elle a une durée de vie avant dégra- confirmer cela en montrant que dans un tissu épileptique dation assez courte et donc il faut améliorer d’urgence le produit dans les chambres à trois compartiments que nous traitement sur ce plan, afin d’en assurer une plus grande avons développées, le GABA excite bien les neurones épi- efficacité. Des contacts sont pris afin de financer cette leptiques et le valium comme le phénobarbital font de dernière sachant que son coût est élevé. même (10). Un diurétique qui réduit les taux de chlore Sur le plan conceptuel enfin, ces travaux ouvrent de peut réduire aussi ces effets surtout quand il est adminis- nombreuses perspectives de révision de la relation qu’il y tré de façon précoce avant que le KCC2 ne soit interna- a entre maturation cérébrale et maladies neurologiques. lisé. Ces travaux se sont traduits par des essais cliniques Un concept général serait que l’activité cérébrale imma- en cours sur l’utilisation de diurétiques dans le traitement ture sert de “checkpoint” permettant de confirmer la de crises chez des bébés de 2 jours souffrant d’encépha- bonne réalisation du programme génétique(12). Sur le plan lopathies épileptiques (http://www.nemo-europe.com/). pathologique, une des notions qui semble la plus promet- Et l’autisme dans tout cela ? L’idée de tester des diuré- teuse est que de nombreuses maladies neurologiques et tiques pour soigner l’autisme résulte d’une rencontre psychiatriques “naissent” in utéro et que l’absence de shift entre un chercheur (YBA) et un clinicien spécialisé dans de la polarité du GABA serait un des signes de cette le traitement des enfants autistes (EL). Car le valium a séquence maturative inadéquate. Dans une revue C I E N R O S C E U E 14 D E S N S É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 6. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page15 DOSSIER détaillée de ces données(13), nous avons suggéré que pen- fonctionnel. En effet, le défaut de connectivité de longue dant la maturation, les neurones qui ne réalisent pas cor- distance, ou sous connectivité antéro-postérieure, rectement leur développement et sont, par exemple, participerait à ces difficultés de mémoire épisodique entravant stoppés dans leur migration à cause d’une mutation géné- l’élaboration d’un souvenir multimodal. En revanche, une tique ou à des drogues demeurent figés dans leur situa- augmentation de la connectivité locale dans des régions tion immature et ne gravissent pas les étapes suivantes. Le postérieures participerait au surfonctionnement d’une concept de “neuro-archéologie” développé à partir de compétence perceptive donnée (“un ilot d’habileté”). ces observations a d’importantes implications cliniques basées sur l’utilisation de bloquants sélectifs des courants Perturbation de la mémoire épisodique immatures dans un cerveau adulte. L’absence de shift de La mémoire épisodique est la mémoire propre à chaque la polarité du GABA est une des signatures de cet échec ; individu : elle comprend l’ensemble des souvenirs des il y en a bien d’autres sachant que tous les courants épisodes autobiographiques situés dans un contexte donné, ioniques, qu’ils soient voltage dépendants ou activés par intimement liés à la représentation de soi et assurant un des transmetteurs, subissent la même séquence maturative. sentiment d’identité et de continuité. Ce système renvoie à Ces données devraient permettre de revoir la datation des la conscience autonoétique qui traduit cette capacité intros- maladies neurologiques et d’insister sur l’importance des pective, de prendre conscience de nous-mêmes au travers travaux centrés sur la maturation cérébrale, sachant que la d’un temps subjectif s’étendant du passé au futur. Ainsi, la neurobiologie du développement va jouer un rôle central mémoire épisodique implique des processus discutés dans dans la compréhension du fonctionnement du cerveau et le les trois théories cognitives majeures de l’autisme : la théo- développement de nouveaux traitements. rie de défaut de théorie de l’esprit, l’hypothèse de dysfonc- En résumé, on part d’une question générale avec en tionnement exécutif et les théories perceptives. principe peu ou pas d’applications prévisibles et on se La mémoire épisodique, dans ses composantes rétros- retrouve avec des concepts riches de perspectives et en pective et prospective, est affectée dans l’autisme. Les pre- sus, un traitement qui doit permettre de réduire la souf- mières études de Boucher et Warrington en 1970(1), rap- france des patients autistes et de leurs familles. Dommage portant un déficit de rappel chez les personnes autistes, que les politiques n’arrivent pas à comprendre que le pilotage ont même conduit à faire un parallèle entre l’autisme et le thématique de la recherche ne sert pas à grand-chose et la syndrome amnésique. Au-delà du rappel, il semble que, traduction – termes particulièrement à la mode – des dans l’autisme, ce soient les stratégies de mémorisation qui découvertes en brevets potentiellement riches en fassent défaut. Cette hypothèse fut évoquée dès 1970 par développement n’est pas sans rappeler que pour traduire Hermelin et O'Connor(2) à partir de l’incapacité des une langue, il faut commencer par la comprendre ! ■ personnes autistes à bénéficier d’un encodage profond, et Références page 21. largement documentée depuis, donnant lieux à différentes eric.lemonnier@chu-brest.fr théories telles que l’hypothèse du support de la tâche de ben-ari@inmed.univ-mrs.fr Dermot Bowler ou le modèle de traitement des informa- tions complexes de Nancy Minshew (voir Marcaggi et al., FONCTIONNEMENT MNÉSIQUE DANS L’AUTISME : 2010(3) pour revue). La première postule qu’en l’absence UN PARADOXE de support, les personnes autistes seront en difficulté alors Bérengère Guillery-Girard, Francis Eustache que si un support est fourni, les performances se normali- (Inserm-EPHE-Université de Caen/Basse-Normandie, Unité U923, sent. Ce support peut être proposé lors de la restitution GIP Cyceron, Caen). mais aussi dès l’encodage, lorsque des consignes explicites Le fonctionnement cognitif dans l’autisme est extrême- sont proposées (regroupement sémantique par exemple). ment hétérogène, caractérisé à la fois par un retard dans Ainsi, c’est la capacité à utiliser spontanément des straté- certains domaines, un fonctionnement normal dans d’autres, gies adéquates qui fait défaut dans l’autisme. Le second voire même un surfonctionnement dans des domaines très modèle renvoie également aux stratégies de traitement en spécifiques tels que le calcul, la musique ou le graphisme. fonction de la complexité du matériel. Ce modèle postule La mémoire n’échappe pas à cette hétérogénité. Après que les performances à différentes tâches sont altérées dès environ 40 ans de travaux sur le fonctionnement mnésique lors que les stimuli, y compris des stimuli sociaux tels que dans l’autisme, il apparaît que les systèmes de mémoire des visages, gagnent en complexité. Ce modèle dépasse complexes, intégratifs et tournés vers soi, telle la mémoire largement le cadre des troubles de la mémoire épisodique épisodique, sont très sensibles à cette pathologie contrairement et permet de rendre compte des difficultés, notamment en à l’apprentissage implicite qui pourrait rendre compte de mémoire de travail. capacités de calcul calendaire extraordinaires. Ce paradoxe Plus récemment, des études se sont intéressées aux est tout à fait compatible avec certaines anomalies céré- différentes composantes de la mémoire épisodique : la brales d’apparences contradictoires, notamment au niveau mémoire de la source, l’implication de soi ou du self dans C I E N R O S C E U E E S N S 15 D É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 7. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page16 Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite) DOSSIER la construction des souvenirs et les capacités de recollec- nouveau multifactorielle, impliquant des troubles au niveau tion. La mémoire de la source renvoie à l’origine de l’in- des ressources exécutives, tant la flexibilité que l’associa- formation : externe (“est-ce X ou Y qui l’a dit ?”), interne tion multimodale, des capacités d’imagination et du senti- (“l’ai-je dit ou l’ai-je pensé ?”) ou interne/externe (“l’ai-je ment de continuité du soi. En revanche, certaines de ces dit ou quelqu’un d’autre l’a-t-il dit ?”). Les données obte- anomalies, tel que l’attrait pour le détail au détriment de nues sont hétérogènes et soulignent l’importance du critè- l’appréhension globale de l’information, peuvent également re “social”. Des difficultés peuvent être observées lorsque avoir un effet bénéfique sur le fonctionnement mnésique. les personnes autistes ont à reconnaître la source à partir d’un visage par rapport à un détail vestimentaire. Le sou- Importance de la mémoire implicite venir épisodique implique à la fois une composante objec- Les capacités extraordinaires de certaines personnes tive, comme la source, mais aussi subjective, c’est-à-dire la autistes sont interprétées principalement au regard des conscience de soi au travers du temps. Bowler et Lind(5) théories perceptives, de faiblesse de cohérence centrale(6) évoquent les liens possibles entre cette altération de la et de surfonctionnement perceptif(7). Cette dernière théo- mémoire épisodique et une éventuelle construction rie insiste sur l’existence de capacités de discrimination per- incomplète du self et plus précisément, du self psycholo- ceptive, visuelle et auditive, plus développées chez la per- gique, indispensable à la création de l’identité et du senti- sonne autiste avec une relative indépendance par rapport au ment de continuité du sujet(4). Ainsi, les personnes autistes contrôle top-down. Ces compétences extraordinaires présentent un effet de référence à soi réduit, c’est-à-dire concernent principalement un matériel structuré, que ce que les adjectifs pour lesquels la personne a effectué un soit la musique, le calcul ou le dessin. Ces séquences struc- jugement en référence à soi (“cet adjectif vous caractérise- turées sont formées d’unités définies, regroupées en t-il ?“) versus un personnage inconnu (cet adjectif caracté- patterns qui se répètent. Les personnes autistes détectent rise-t-il Harry Potter ?) ne sont pas significativement mieux ces régularités pour se former un lexique spécifique. Par la mémorisés. Cette absence d’effet semble être notée prin- suite, ces connaissances ou représentations pourront être cipalement chez les enfants ce qui suggère que le dévelop- activées à la présentation d’un indice. Même si ces per- pement du self est affecté. La préservation de l’effet de l’ac- sonnes ont une mémoire prodigieuse, c’est l’appréhension tion sur la mémorisation est également discutée. En effet, de l’information et la structuration même de leurs connais- les informations, mots ou images, mémorisées en tant sances qui est particulière. Ces capacités, associées à une qu’acteur, sont souvent mieux restituées que les informa- exposition massive aux informations liées à leur domaine tions mémorisées en tant qu’observateur, les résultats d’intérêt restreint, font émerger ces compétences extraor- concernant des événements autobiographiques sont moins dinaires. L’apprentissage implicite ou “mémoire des habi- clairs. De plus, les personnes autistes se décentrent de tudes”, et notamment des régularités, joue donc un rôle leurs souvenirs en employant plus facilement une perspec- crucial, ce qui explique que, dans la majorité des cas, ces tive d’observateur dans leur narration qu’une perspective compétences demeurent limitées au domaine d’intérêt. d’acteur. Ces différences entre effet de référence à soi et En effet plusieurs études ont tenté de généraliser à la effet de l’action renvoient à deux dimensions du self, le self mémorisation d’autres matériels mais sans succès psychologique (trait de personnalité) et le self physique (Neumann et al., 2010(8) pour exemple). La mémoire impli- (caractéristiques objectivables basées sur l’action). Selon cite intervient donc lors de l’encodage, c’est-à-dire lors de Lind, la première dimension reposant sur des facteurs la formation de ces compétences et lors de la restitution sociaux serait déficitaire contrairement à la seconde. par un mécanisme d’amorçage à partir d’un indice. En effet, Ces difficultés de mémoire de la source associées au self les rares études sur les effets d’amorçage testés par des ont des répercussions sur les capacités de récollection ou tâches de laboratoire consistant à compléter des mots ou de reviviscence évaluées par des tâches de laboratoire, des dessins, rapportent des performances normales. De telle que la mémorisation d’une liste de mots, ou des même, l’apprentissage procédural, par exemple des habiletés tâches plus écologiques centrées sur la mémoire autobio- perceptivo-motrices, est possible dans l’autisme mais n’est graphique. En effet, une dissociation est fréquemment pas sous-tendu par les mêmes mécanismes que chez des observée au sein de la mémoire autobiographique, entre contrôles neurotypiques. La répétition de la tâche, notam- les connaissances et les souvenirs ou entre la composante ment, semble insuffisante pour aboutir à une automatisation sémantique et épisodique. Cette dernière est largement de la procédure. Toutefois, les travaux sur le sujet de la affectée dans l’autisme, se traduisant par des souvenirs à la mémoire restent encore trop peu nombreux pour rendre fois moins détaillés et exempts de sentiment de revivis- compte pleinement de ces capacités extraordinaires. ■ cence. Tout récemment, Lind et Bowler (2010)(5) se sont Références page 22. intéressés à la mémoire ou pensée future, démontrant que les personnes autistes avaient également des difficultés à se neuropsycho@chu-caen.fr projeter dans le futur. L’origine de ces difficultés est de guillery@cyceron.fr C I E N R O S C E U E 16 D E S N S É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 8. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page17 DOSSIER MÉCANISMES MIROIR ET AUTISME : L’ŒUF, LA Plusieurs études ont mis en évidence des anomalies des POULE, OU LES EFFETS COLLATÉRAUX ? mécanismes miroirs ou de leur substrat chez les personnes Nouchine Hadjikhani (Brain Mind Institute (EPFL), Lausanne, atteintes d’autisme. Tout d’abord, des expériences com- Suisse) portementales ont démontré une absence de contagion au bâillement(4), ainsi qu’une absence de mimique automatique La découverte des mécanismes miroir par l’équipe de en présence de visages exprimant des émotions. Des enre- Giacomo Rizzolatti à Parme dans les années 90(1) pourrait gistrements en magnétoencéphalographie et en électroen- être qualifiée de fruit du hasard : c’est alors qu’un expéri- céphalographie ont mis en évidence des différences de mentateur pensait enregistrer des neurones purement modulation de signaux neurophysiologiques entre sujets moteurs qui déchargeaient lorsqu’un singe attrapait des témoins (ou neurotypiques) et autistes dans des tâches cacahuètes posées devant lui, qu’il se rendit compte tan- d’observation de mouvement et d’émotion. dis que son collègue venait pour ramasser les cacahuètes Des différences anatomiques ont également été consta- restantes à la fin de l’expérience, que ces neurones tées entre des personnes atteintes d’autisme et des sujets déchargeaient également alors que le singe était immobile témoins de même âge et intelligence : un amoindrissement et ne faisait que regarder l’action de l’expérimentateur : de l’épaisseur corticale dans les aires liées aux mécanismes ces neurones étaient donc activés, “en miroir”, lors de la miroirs a été rapporté par plusieurs groupes(5,6,7). réalisation d’une action et lors de l’observation de la Finalement, des études en IRM fonctionnelle ont même action par quelqu’un d’autre. démontré l’absence d’un engagement spontané des méca- Depuis cette découverte chez le singe, un grand nismes miroirs lors de la perception de visages chez des nombre d’études menées en imagerie cérébrale ont pu personnes atteintes d’autisme, alors que des stimuli simi- démontrer l’activation chez l’humain de zones homo- laires activent ces zones chez des neurotypiques, aussi logues à celles du singe lors d’activités telles que l’imita- bien enfants qu’adultes(8,9). tion, l’observation d’action et l’observation d’émotions. Comme ce sont généralement des évidences tirées non Que peut-on tirer de ces constatations ? pas d’enregistrements cellulaires, mais de mesures indi- Premièrement, il faut se garder de vouloir tisser un lien rectes du métabolisme cérébral, on parle chez l’homme de causalité entre les observations effectuées et les de mécanismes miroirs. Ceux-ci ont été mis en évidence symptômes : la plupart, sinon toutes ces études sont des dans les zones homologues de celles où l’on a mesuré des observations uniques, et non le suivi d’une évolution au neurones miroirs chez le singe, c’est-à-dire dans le cortex cours du temps. Il est donc pour le moment impossible frontal inférieur, dans le cortex pariétal supérieur, dans le de dire si, par exemple, les différences anatomiques sulcus temporal supérieur et dans l’insula. Cependant, observées sont la cause des symptômes, ou la consé- récemment, une équipe travaillant avec des patients opé- quence d’une sous-utilisation de ces fonctions. On sait rés en neurochirurgie pour des épilepsies intraitables a pu que le système des mécanismes miroirs est déjà normale- démontrer directement par enregistrement électrophy- ment présent à la naissance, comme le démontre l’imita- siologique la présence de neurones miroirs chez l’humain, tion automatique d’actions faciales telles que tirer la ainsi que le fait que ces neurones étaient distribués dans langue par le nouveau né. On peut imaginer dans le futur des régions du cerveau jusqu'alors peu considérées telles que des études prospectives, par exemple dans des que le cortex cingulaire, l’aire motrice supplémentaire, ou familles à risque, pourraient nous éclairer sur la présence le lobe temporal médian(2). d’un déficit précoce de ces fonctions chez le jeune enfant. Ces mécanismes miroirs sont importants dans l’appren- Deuxièmement, le mécanisme de couplage perception- tissage par imitation, dans la compréhension de l’action action, même s'il est déjà présent à la naissance, doit être d’autrui, ainsi que dans l’empathie, définie comme la développé et maintenu, et l’on sait qu’il est sujet à une capacité à percevoir et reconnaître les émotions d’autrui. grande plasticité, comme le démontre par exemple la Le groupe de Rita Hari a été le premier à avancer différence d’engagement du système miroir dans une l’hypothèse qu’une partie des symptômes présentés par étude chez des danseurs spécialisés observant leur les personnes atteintes d’autisme pourrait être due à un propre style de danse ou celui d’une autre qu’ils ne dysfonctionnement des mécanismes miroirs(3). Depuis, pratiquent pas(10). Il est possible que chez l’enfant autiste, plusieurs études tendant à valider ces hypothèses, ont été un autre mécanisme tel qu’une anomalie du système de effectuées. récompense, ou une anomalie de la voie visuelle Parmi les symptômes présentés par les personnes sous-corticale menant à une anomalie de la perception atteintes d’autisme, les difficultés d’imitation, l’absence de des visages entraîne un manque d’intérêt pour les stimuli contagion émotionnelle, les difficultés à comprendre les sociaux voire une aversion, et qu’en conséquence la mise émotions exprimées par autrui, peuvent tous être reliées en place des mécanismes miroirs sociaux ne se fasse pas directement aux fonctions des mécanismes miroirs. normalement. C I E N R O S C E U E E S N S 17 D É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 9. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page18 Quoi de neuf sur l’autisme ? (suite) DOSSIER Des études récentes(11) ont pu démontrer une amélio- syndrome d’Asperger et celui d'Autisme de Haut-niveau ration de la fonction de certaines zones miroirs avec l’âge de Fonctionnement (HFA), deux formes d’autisme, chez les personnes autistes, liée à une amélioration du présentent surtout des difficultés pour élaborer des juge- comportement social, démontrant par là qu’on est pro- ments intuitifs sur leurs propres expériences, leurs bablement non seulement en présence d’un délai de propres émotions et sur les signaux implicites non maturation plutôt que d’un système irrévocablement verbaux exprimés par les autres. Ces sujets évitent le perdu, mais encore qu’une certaine plasticité cérébrale regard et ont des difficultés à agir d’une façon intuitive et continue au cours du développement chez les adoles- spontanée. À ce jour, les causes d’autisme ne sont pas cents et les adultes. On peut donc imaginer qu’une prise identifiées et aucun traitement de ce désordre n’est en charge précoce associée à un entraînement des fonc- connu. Parmi les nombreuses avancées dans ce domaine tions d’imitation, y compris des expressions émotion- de recherche, le rôle d’un neuropeptide, l’ocytocine, dans nelles, puisse permettre d’améliorer plus tôt ces fonc- l’autisme, a beaucoup attiré l’attention dans le secteur des tions chez le jeune enfant et lui permettre d’acquérir de neurosciences cognitives. meilleures compétences sociales. L’ocytocine est un neuropeptide bien connu pour son Finalement, il faut garder en mémoire que si un modè- rôle physiologique dans la reproduction et la lactation(2). le postulant le dysfonctionnement des mécanismes Elle est synthétisée dans les noyaux paraventriculaires et miroirs peut, dans une certaine mesure, nous aider à supraoptiques de l’hypothalamus et elle joue un double comprendre les aspects sociaux et de communication rôle en tant que neurotransmetteur et hormone. dans l’autisme, il ne nous aide pas vraiment à expliquer le L’ocytocine est libérée dans le sang où elle agit comme troisième pilier de la triade autistique qu’est la présence une hormone sur les organes de la reproduction. d’intérêts restreints et de comportements répétitifs. ■ Cependant, l’ocytocine joue également un rôle important Références page 22. dans la régulation des émotions et des comportements en nouchine.hadjikhani@epfl.ch tant que neurotransmetteur. En effet, l’ocytocine estlibé- rée dans le cerveau au niveau des terminaisons axonales IMPLICATION DE L’OCYTOCINE, HORMONE DE et dendritiques, en particulier dans les régions du système L’ATTACHEMENT, DANS L’AUTISME limbique et des systèmes de récompense(3). L’ocytocine Elissar Andari (Emory University, Yerkes National Primate Center, initialise le comportement maternel chez le rat et l’atta- Center for Translational Social Neuroscience, Atlanta Georgia, USA) chement sélectif mère-jeune chez la brebis. Ainsi, il semble donc qu'après son rôle dans la reproduction, elle joue éga- Notre vie, un volcan continu d’émotions, est submergée lement un rôle primordial dans la formation du lien affec- par des interactions sociales, de mutuelles coopérations et tif entre l’enfant et sa mère(4,5). De même, il a été mon- l’amour. Sans amour et sans passion, la vie peut passer tré que cette hormone est à la base de l'attachement inaperçue, sans joie et sans traces. L’amour est toujours social entre les individus (liens entre les partenaires décrit dans les romans les plus beaux, les chansons les plus sexuels et liens mère-jeune). En effet, des recherches belles et les poèmes les plus célèbres. “Deux amants sont élégantes sur l’ocytocine ont été effectuées chez les devenus des arbres… La pluie ni le vent ni le gel ne pourront campagnols de prairie (des animaux sociaux qui établis- pas les séparer… Ils ne forment qu’un seul tronc…et leurs sent des liens exclusifs avec le partenaire sexuel après bouches réunies. Le Chèvrefeuille a fait son nid”(1). Ainsi, l’at- la copulation) et les campagnols de montagne (espèce tachement, la passion, la confiance, la reproduction, solitaire qui ne forme aucun lien d’attachement). l’amour maternel, forment l’essence de la continuité de L’administration d’ocytocine chez les campagnols l’espèce. Cependant, cette capacité à élaborer des rela- sociaux a renforcé la sélection et la préférence du par- tions sociales réciproques varie d’un sujet à l’autre. tenaire par rapport à l’étranger. Récemment, des Certaines personnes sourient et interagissent avec affec- études sur l’Homme ont montré que l’ocytocine aug- tion, et d’autres détournent leurs regards et préfèrent mente la confiance en autrui lors d’un jeu interactif, être seules. L’étude des fondements neurobiologiques de augmente le temps de fixation visuel sur la région des cette variabilité interindividuelle est cruciale afin de mieux yeux du visage d’autrui et augmente l’empathie et la comprendre les désordres neuro-développementaux générosité(6,7,8). associés à des déficits sociaux, tels que l’autisme. Ainsi, étant donné le rôle de l'ocytocine dans la recon- Les individus présentant des symptômes autistiques naissance et l’attachement social et le fait que le déficit révèlent très précocement (avant l’âge de trois ans) une majeur des patients autistes concerne la réciprocité sociale, réduction de la réciprocité sociale (aversion du regard, la question clé était de savoir si ces patients présentaient difficultés à exprimer les sentiments et à les comprendre un déficit de cette hormone et si l’administration de cette chez autrui), un retard de langage et la présence de com- dernière pouvait améliorer la qualité des interactions portements répétitifs restreints. Les patients présentant le sociales chez ces patients. C I E N R O S C E U E 18 D E S N S É LA LETTRE - N°41 T É I C O S
  • 10. Let41 V8-7_Let25 28/11/11 15:54 Page19 DOSSIER En administrant de l’ocytocine par voie intranasale, j’ai La question subséquente qui se pose est : comment étudié, au sein du laboratoire CNRS/ CNC (Centre de l’ocytocine améliore-t-elle les capacités sociales de ces Neuroscience Cognitive)/ UMR 5229, l’effet de cette patients atteints d’autisme ? Àu travers de quels méca- hormone sur les capacités des patients HFA et Asperger nismes ? Étant donné le rôle de l’ocytocine dans la réduc- adultes, à comprendre de façon intuitive les intentions des tion du stress et l’anxiété, et dans l’inhibition de l'activité joueurs, et d’agir en conséquence au cours d'un jeu de des neurones de l’amygdale, il est très probable que l’ocy- balle (expérience 1). L’étude était contrôlée par l’adminis- tocine renforce les liens sociaux en diminuant la peur. tration d'un placebo dans un schéma expérimental où Des études en imagerie cérébrale confirment le lien entre chaque sujet était son propre témoin. La première expé- cette hormone et les régions cérébrales impliquées dans rience consistait en un jeu d’interaction sociale durant la peur et l’anxiété chez l’homme telles que l’amygdale et lequel le participant jouait en face d’un écran tactile avec l’hippocampe. Il est probable qu’en diminuant la peur trois partenaires fictifs. Le participant gagnait deux euros d'être déçu ou d’exclusion sociale, l’ocytocine renforce la après chaque réception de balle. La probabilité de récep- confiance en soi et augmente par conséquent l’attention tion de la balle par le participant, de la part de chacun des du sujet aux stimuli sociaux importants pour la saisie des trois partenaires, était prédéterminée, de façon à avoir informations implicites et non-verbales. Il se peut que trois profils différents de partenaires (bon, méchant, l’ocytocine stimule l’engagement social qui est, en soi, neutre). Je voulais créer un contexte intuitif indéterminé récompensant. Il est bien connu que le système ocytoci- qui s’approche de la vie courante de tous les jours. nergique est en lien avec le système dopaminergique qui Avec le placebo, les patients Asperger envoyaient la balle est lui-même relié à la motivation sociale et à la récom- de façon randomisée à chacun des trois partenaires sans pense. Ainsi, par le biais d’interactions entre ces deux tenir compte des différents profils sociaux attribués à systèmes, la motivation sociale pourrait être renforcée, chacun d’eux. Cependant, avec l'ocytocine, les patients, menant les sujets à augmenter leur attention vis-à-vis des comme les sujets normaux, ont envoyé la balle significati- stimuli sociaux et de reconnaissance sociale. La réduction vement plus souvent au bon partenaire, par rapport au du stress, l’augmentation de la saillance des stimuli sociaux méchant et au neutre. Ainsi, les patients sous ocytocine et le renforcement de la motivation à établir des liens ont pu comprendre des indices sociaux clés et ont pu agir sociaux peuvent donc être les mécanismes potentiels à en fonction du comportement de chacun des partenaires travers lesquels l’ocytocine agit sur le comportement de de manière adéquate(9). l’Homme. De plus, la trajectoire des yeux des patients a été Des études supplémentaires sont nécessaires pour étudiée pendant qu'ils observaient les visages affichés sur mieux cerner les mécanismes d’actions de cette hormone. l’ordinateur (expérience 2). Alors que sous placebo, les Il est également crucial d’étudier les interactions entre patients regardaient beaucoup moins longtemps les différentes hormones impliquées dans la régulation des visages par rapport aux sujets sains, ces mêmes patients émotions telles que l’ocytocine, la dopamine, la sérotoni- ont augmenté leur temps de fixation visuelle sur les ne et d'autres encore... visages et en particulier, sur la région des yeux, après inha- En étudiant le domaine du syndrome d’Asperger, j’ai eu lation d’ocytocine. la chance d’apprendre et de découvrir combien ces gens Les effets comportementaux étaient également contrôlés peuvent être talentueux dans différents domaines, comme en mesurant les concentrations d’ocytocine plasmatique le calcul, la comptabilité, le dessin, la musique, etc. dans le sang avant et après administration du spray nasal. Ces talents ne sont pas souvent abordés. J’ai également La concentration d’ocytocine dans le plasma des patients à observé les difficultés de ces sujets à communiquer avec l’état basal était significativement inférieure aux valeurs des les autres, à s’intégrer en société, à trouver du travail et à sujets normaux (patients : 1.08 pg/ml ± 1.04 ; sujets sains : être autonome. J’ai remarqué le degré de fatigue psy- 7.28 pg/ml ± 4.49). Le taux d’ocytocine est significativement chique et physique des parents qui tentent tout leur pos- augmenté (2.66 pg/ml ± 2.20) après inhalation d’ocytocine. sible pour aider leur enfant. Certains sont forts et déter- Ainsi, l’ocytocine semble être bien déficitaire chez ces minés mais épuisés, et d’autres souffrent de dépression et patients et son administration intranasale module le com- de mélancolie. portement de reconnaissance sociale et d’intuition. Ceci, Ainsi, la question de l’autisme doit être abordée avec confirme les études précédentes chez l’Homme et l’animal priorité et il est crucial d’effectuer des recherches dans le sur le rôle de l’ocytocine dans l’attachement, la préféren- but d'établir un diagnostic précoce, de déterminer les ce du partenaire et la reconnaissance sociale. Ces résul- causes de ce désordre et de proposer des traitements et tats sont certes prometteurs, mais nécessitent des études de l’aide aux familles. ■ supplémentaires sur l’ocytocine en impliquant un plus Références page 22. grand nombre de patients Asperger ainsi que d’autres eandari@gmail.com formes d’autisme. C I E N R O S C E U E E S N S 19 D É LA LETTRE - N°41 T É I C O S