Il s'agit d'une réponse personnelle rédigée dans le cadre d'un appel à projets lancé par Alter'incub (incubateur d'entreprises de l'économie sociale de la région Rhône-Alpes). Avec ce dossier, je concours depuis le 30 avril 2013 dans le but de trouver des soutiens et des crédits adaptés et j'aimerais aujourd'hui l'enrichir de vos avis, critiques, ajustements et remarques.
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Open,Free&Fairpublishing
J’ai relevé cette citation car elle illustre parfaitement les débats sur l’édition à l’heure du numé-
rique. Entre le «Digital Humanities Lab» de Frédéric Kaplan à l’EPFL, ses démonstrations sur
le futur de la lecture (Slideshare) et les appels d’une interprofession désorientée ou persuadée
que la technologie et la mondialisation ne peuvent que produire des tomates transgéniques et
insipides (Appel des 451), c’est peu dire que ces deux mondes ne parlent pas le même langage.
L’incompréhension traduit autant la crainte d’une transformation radicale que l’absence d’une
alternative possible. Pourtant, la situation en France apparaît très exotique au regard du reste
des pays développés. Pour l’heure, l’édition numérique représente tout juste 2,1 % du CA des
éditeurs (SNE), alors que le livre correspondait encore à 52 % des achats de biens culturels
(Le Motif, GFK) en 2011. Les craintes, les résistances et les préventions prévalent dans l’inter-
profession. L’inertie des comportements confortent le modèle en place et favorisent les intérêts
acquis. L’industrie du livre apparaît attentive mais peu pressée de goûter aux avancées techno-
logiques et de revoir le partage actuel des rémunérations. Pour autant, la dématérialisation des
informations, l’accessibilité des publications, le renouvellement des formes et la généralisation
de nouveaux modes de lecture ont apporté à chacun une liberté considérable dans l’accès à
l’information et à la culture au point de pouvoir dénir aujourd’hui de nouveaux modes de
création, de diffusion, d’appropriation.
Mon ambition consiste donc à proposer un ensemble complet de services d’édition, destinés dans
un premier temps aux auteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche et de structurer
cette activité en fonction de trois principes : «Open, Free and Fair». Mon expérience réunit de
nombreuses références dans le domaine de l’édition académique, plusieurs années de conseils
en communication pour des institutions d’enseignement supérieur et de recherche et une for-
mation intiale en économie sociale. Je vous soumets ce projet car je pense qu’aujourd’hui, il a
des chances d’aboutir en raison d’une conjonction d’éléments et de circonstances favorables.
La première est bien la demande insistante et claire des chercheurs et de leurs tutelles pour
l’accessibilité des connaissances. La deuxième tient à l’implication de plus en plus active des
auteurs dans l’achèvement de leur publication mais également dans l’ensemble du processus
éditorial. La troisième repose sur un ensemble d’outils libres ou non mais ables pour traiter des
publications structurées (Lodel). La quatrième tient à un réseau public susceptible d’assurer la
conservation et la diffusion ouverte de ces publications (Archives ouvertes, Openedition…). La
dernière tient à l’intérêt évident du chercheur à pouvoir consulter, conserver, traiter, croiser,
citer, échanger des contenus non verrouillés et non marchands. Ces conditions peuvent favoriser
la recherche d’un nouveau modèle économique autour du livre académique au format numéri-
que, nancé par des crédits publics, avec l’avantage de s’alléger des coûts liés à la fabrication,
à la diffusion, à la commercialisation soit environ jusqu’à 75% du prix de vente d’un livre, si
l’on ajoute encore les droits d’auteurs. Or, aujourd’hui les subventions directes et indirectes,
les aides, les souscriptions, les achats en volume ou les pré-achats couvrent très largement le
risque de l’éditeur dans ce secteur et nancent déjà la réalisation du livre. De plus, le travail
préparatoire est largement assumé par les auteurs ou leurs pairs. Le «manuscrit» est déjà nu-
mérique, relu, formaté, validé et corrigé. Les gains induits peuvent même servir à enrichir les
contenus, à valoriser non plus un catalogue mais une problématique et un centre de recherche
au-delà de son réseau spécialisé.
“Les limites de mon langage signient les limites de mon propre monde.”
Ludwig Wittgenstein
SYNTHÈSE
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Open,FreeFairpublishing
À rebours du reste de l’Europe et des pays anglos-saxons, l’édition numérique en France se
réduit aujourd’hui à quelques initiatives éparses et militantes. Son poids dans l’économie du
livre aussi bien en volume qu’en valeur est marginal (2,1 % du CA des éditeurs en 2011, SNE).
Les créations de livres numériques originaux sont réservées à quelques institutions presti-
gieuses qui peuvent s’abstraire de considérations de rentabilité (cf. L’application Monet pour
IPAD : résultats nanciers et campagne de promotion, in Digital thèse, mars 2011) et investir
ces nouveaux médias. Si les éditeurs ont très rapidement mis en ligne les versions pdf de leurs
éditions traditionnelles, les prix afchés autant que la facilité du procédé n’ont pas incité
les lecteurs à modier leurs achats (84% des usagers jugent les prix trop élevés, Le Motif +
Sciences Po Médialab, Pratiques de lecture et d’achat de livres numériques, février 2013). Pour
autant, les lecteurs se sont convertis progressivement à d’autres modes de lecture et plébisci-
tent l’accessibilité et la dématérialisation des contenus (ibid.). Dans le monde de l’édition, les
sentiments par rapport à cette révolution digitale sont rapidement excessifs, peu documentés
et expriment le plus souvent une crainte viscérale pour un avenir incertain qui renforcerait
inéluctablement la domination et l’emprise des industriels et des plates-formes d’échanges
mondialisées (Appstore, Googlebook, Amazon). En France, l’étatisation du marché du livre et
la multiplicité des politiques publiques de soutien à l’édition renforcent encore les réticences
au changement, conforté en cela par le Syndicat national de l’édition qui a largement réussi à
imposer sa manière de voir (Relire, Accord auteurs/éditeurs). Les éditeurs n’ont pour l’heure
aucun intérêt à voir leurs positions compromises et le partage des prots changé tant il est le
résultat d’un effort important depuis 30 ans pour absorber de nombreuses évolutions, tech-
nologiques y compris, et conserver leurs prérogatives. Pour autant, l’industrie du livre aura à
faire face à la modernité et les aides publiques à accroître sa compétitivité au lieu de renforcer
son isolement et de cloisonner davantage ses pratiques en surestimant ses incapacités. Le
projet de loi d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche (Dossier de presse,
avril 2013) donne quelques orientations cohérentes avec ce projet – cf. mesures 7 et 14 : faire
entrer l’Université dans l’ère du numérique […] ; inscrire dans la loi le transfert comme une des
missions de service public de l’enseignement supérieur et de la recherche […].
CONTEXTE
DESCRIPTIF
Dans un contexte attentiste, face à des stratégies orientées selon les variations des politiques
publiques, je propose un modèle économique radicalement différent, qui repose entièrement
sur les attentes du marché visé (open-access, gratuité, liberté, neutralité du web, pérennité), qui
reprend les souhaits des auteurs (subordination des droits limités ou droits entiers, transparence
et rémunération équitable), et qui donne un rôle élargi aux bibliothèques et au consortium pu-
blic (achats, diffusion, conservation) dans le but de favoriser une diffusion large, cohérente et
maîtrisée des contenus. Concrètement, il s’agit de proposer un ensemble de services d’édition,
qui associent à la fois toutes les étapes d’une publication classique (lecture critique, corrections,
validation éditoriale…), et tous les avantages de l’édition numérique (dématérialisation, désin-
termédiation, implication du lecteur) tout en conservant différentes possibilités de diffusion,
de conservation et d’impression. J’adopte les recommandations de la Bibliothèque scientique
numérique (Charte des bonnes pratiques de l’édition scientique numérique, avril 2013), comme
les principes de l’open-access (openaccess.inist.fr) qui m’a inspiré pour orienter l’ensemble de
cette activité. La rupture consiste dans l’absence d’appropriation ou d’embargo sur les droits
d’auteur. Ces orientations préalables peuvent contribuer à convaincre une clientèle consti-
tuée d’éditeurs publics, de centres de recherche et d’auteurs issus du monde universitaire et
scientique. Elles peuvent également attirer des auteurs à la recherche d’une rémunération
non accessoire.
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Open,FreeFairpublishing
De plus, en xant une grille de tarifs précise, en détaillant rigoureusement un ensemble de
prestations, en les évaluant et en rendant compte de leur réalisation, je pourrai apporter des
garanties complémentaires à mes commanditaires. Mon souhait est d’imaginer un nouveau
mode de collaboration, où la transparence, la preuve et la rigueur permettent un travail efcace
sur la base de principes communs. Au-delà, je suis convaincu de la nécessité d’imposer une
éthique à travers un nouveau contrat d’édition, pour rompre avec le modèle en place et orienter
durablement les publications à venir. Il s’agit d’organiser une structure éditoriale, autonome,
capable de prendre en charge efcacement l’ensemble du processus éditorial, jusqu’à la pro-
motion des contenus et de réunir toutes les compétences nécessaires à ces différentes étapes.
Les changements qui s’opérent grâce à la digitalisation des contenus nécessitent de maîtriser à
la fois les règles et les usages de l’édition classique mais également les possibilités et les limites
inhérentes à l’édition numérique. Les préventions sur la qualité, la légitimité ou la valeur ajoutée
des processus comme des structures peuvent constituer des blocages importants.
La Déclaration de Berlin sur le libre accès à la connaissance en sciences exactes, en sciences
de la vie, en sciences humaines et sociales (publiée le 12 juillet 2004) constitue une référence
initiale susceptible de guider ce travail. Le modèle traditionnel de diffusion des connaissances
et d’appropriation est aujourd’hui largement critiqué et remis en question (À qui appartient
le savoir? Le Monde, Science et techno, samedi 2 mars 2013) et le contrat d’édition classique
apparaît comme une appropriation indue des résultats de la recherche. Les solutions esquis-
sées par les éditeurs (embargo à durée limitée, vente à la coupe) sont très loin de satisfaire
les attentes de la communauté scientique et a fortiori de suivre la recommandation de la
Commission européenne (du 17 juillet 2012) d’aboutir à 100% d’accessibilité aux résultats de
la recherche nancée sur des fonds publics, dans les meilleurs délais et dans la perspective du
programme Horizon 2020. De plus, les possibilités induites et conjointes du numérique et de
l’open-access ouvrent des perspectives très larges pour les chercheurs, tout en apportant des
gains de productivité évidents. Sur ce dernier point, les éditeurs sont muets ou très discrets
tant l’avenir est incertain.
PERSPECTIVES
À la faveur d’éléments convergents, d’outils libres et ouverts et de nouveaux modes de lecture
liés à la culture du web, la nalité de ce projet est bien d’inventer un nouveau process éditorial.
Le but étant d’aboutir par une réelle transparence de la valeur ajoutée à un transfert de légiti-
mité, à un enrichissement fonctionnel des contenus et à des services appropriés à de nouveaux
usages. Si l’édition numérique tarde à émerger en France, le recours à internet en matière de
diffusion des connaissances s’est déjà largement imposé comme une évidence, tant l’accessibilité
correspond à la culture des usagers, tant les auteurs ne sont pas motivés par une rémunération
sous forme de droits d’auteur et tant la nalité de leur production ne peut s’accommoder de
conditions restrictives ou limitatives.
Les avantages de l’édition numérique et les modications de l’économie du livre peuvent aboutir
à un bouleversement considérable du paysage français et permettre l’émergence d’une nou-
velle vision du droit d’auteur, d’un nouveau mode de diffusion des connaissances et diminuer
considérablement l’inertie, les charges et les délais des fabrications traditionnelles.
Dans cette optique et pour peu que le domaine public (universitaires, bibiothèques, lecteurs…)
réussise à faire valoir davantage ses intérêts et la défense de l’intérêt général, on peut parier
que de nouvelles formes de partage des connaissances puissent voir le jour et permettre de
déplacer les frontières.
Convaincu que la révolution numérique de l’édition permettra de modier durablement notre
rapport à la connaissance, je choisis de m’engager dans la réalisation de nouveaux modes de
partage des œuvres, de participer à l’émergence d’un domaine public garant de nos libertés et
de nos intérêts collectifs.
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Open,FreeFairpublishing
L’innovation réside dans la capacité à imaginer un nouveau mode de rémunération tout en
répondant sans réserve à la demande des institutions publiques. Cela implique une vision
critique de l’économie du livre, une transparence réelle sur les étapes du processus éditorial
comme sur les contributions nancières et d’intégrer les gains et les coûts inhérents à cette
transformation. L’innovation réside également dans le contrat d’édition, en utilisant en partie
les licences «creatives commons» et les recommandations du domaine public. Les réalisations
commercialisées donneront lieu à un partage équitable (50/50), transparent et détaillé entre
l’auteur et l’éditeur, en veillant à limiter dans la durée les obligations des contractants et à ne
pas restreindre la liberté des lecteurs par des moyens de contrôle. Dans ce sens, il s’agit bien
d’une innovation sociale où les bénéces d’un changement technologique protent aux dif-
férents acteurs en fonction de la valeur «réelle» de l’échange et non de la capacité inégale à
mobiliser des capitaux. Ce projet est donc un pari, qui repose sur le renversement progressif
du modèle en place, qui implique un engagement et une résistance active des auteurs comme
des institutions publiques, qui suppose encore de promouvoir des idées (domaine public et
coopération) et des représentations qui peuvent avoir un impact considérable sur l’accessibilité
et le partage des connaissances dans la francophonie et également dans les pays du tiers-monde.
La recherche publique a les moyens de tirer les conclusions du fonctionnement actuel du sys-
tème, d’imposer sa volonté et d’instaurer un nouveau mode d’intermédiation à son avantage.
Au-delà de l’économie, l’accessibilité ouvre de nouveaux horizons aux chercheurs, facilite le
travail d’équipe, accroît la visibilité et permet de gagner un temps estimable. De plus, l’édition
numérique permet un lien direct entre l’auteur et le lecteur, introduit des possibilités inédites
d’enrichissement des contenus et ouvre un nouvel horizon pour tous les acteurs. Le milieu uni-
versitaire est sans conteste ouvert à l’expérimentation, capable d’une approche critique de ses
pratiques et très impliqué dans l’édition qui est pour lui, un élément déterminant d’évaluation
et de progression. Une offre privée avec un fonctionnement coopérativiste ou associatif clair et
transparent peut apporter une alternative pertinente par rapport à l’intégration de ce domaine
au sein des structures de recherche ou encore produire des transferts de compétences et de
valeurs inhabituels entre des structures privées et publiques non concurrentes.
INNOVATION
PARTENARIATS
À ce stade, j’ai référencé quelques personnalités impliquées dans la prospective et l’économie
du livre, l’open-access, les questions de droit liées au domaine public ou aux droits d’auteur, des
structures éditoriales purement numériques (Cleo, Frontiers, Bookapp), des acteurs publics
de référence (Consortium Couperin, Bibliothèque scientique numérique). Ce projet repose
également sur un réseau d’auteurs de l’enseignement supérieur et sur la connaissance des
différents intervenants dans la chaîne éditoriale. Enn, j’ai conservé le soutien de nombreux
professionnels indépendants, d’auteurs, de directeurs de recherche et d’une manufacture privée,
certains intéressés par une expérience originale, une prise de risque importante et l’avantage
d’un positionnement distinctif sur le marché.
http://www.linkedin.com/pub/jean-noël-moreira/52/a45/5a3
ANNEXE
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Open,FreeFairpublishing
Je travaille actuellement sur l’histoire d’une grande entreprise française dans le secteur pé-
trolier qui aboutira à une édition originale et luxueuse, sous la forme d’un coffret réunissant
un album photo et une monographie largement illustrée. Passionné par l’histoire, j’ai eu la
chance de réaliser plusieurs beaux livres pour des institutions privées ou publiques, de m’in-
vestir conjointement dans la valorisation du patrimoine et dans l’édition universitaire. Après
12 ans d’expérience à l’Université Stendhal, j’ai débuté un travail indépendant qui s’est partagé
entre l’édition de documents scientiques complexes (ouvrages, actes, thèses) et d’outils de
communication publique. Cette activité libérale m’a amené à travailler pour des clients variés
(enseignants, chercheurs, conservateurs, banquiers, dirigeants du secteur public, éditeurs,
élus…) et m’a permis d’apporter un regard critique et engagé sur leurs différentes demandes.
Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de rassembler dans une association typographique (A3) différents
professionnels autour de projets artistiques (60x80), destinés à réaliser des représentations
graphiques originales diffusées gratuitement. Je débute une initiative similaire ce mois-ci, avec
la réédition d’une œuvre du domaine public : Dictionnaire de l’argot des typographes d’Eugène
Boutmy (1883) avec le concours de plusieurs intervenants et dans le but de produire un objet
très différent de ce qu’il pourrait être dans les conditions habituelles du marché.
En raison de ce parcours singulier qui m’a permis de faire – en même temps – de l’édition
universitaire, de la valorisation de la recherche, de la communication publique pour des
commanditaires distincts, je cherche aujourd’hui à utiliser ces différentes expériences pour
construire un projet d’entreprise innovant et viable, qui implique des compétences multiples
et un regard plus large pour intégrer ce nouveau monde. Très opportunément, la recherche
publique a besoin de publier et de diffuser ses résultatscomme de juger de ses propres recom-
mandations. Elle peut favoriser des entreprises soucieuses de l’intérêt généralet influencer
cette transition technologique.
Aujourd’hui, j’ai envie de m’investir dans l’édition numérique parce que la technologie offre
des possibilités inexploitées par le marché, que l’économie sociale peut porter ce projet sans
restreindre son ambition, qu’il est urgent d’œuvrer au renforcement du domaine public face
aux prétentions des intérêts privés.
Enn, je crois que les changements en cours exigent bien plus qu’un simple ajustement technique
et que c’est une opportunité exceptionnelle pour repenser l’édition dans sa globalité et tenter
d’innover. J’ai eu la chance de découvrir des sujets et des auteurs captivants, j’ai pu mener à
bien des projets ambitieux et réunir des personnalités très différentes grâce à un enthousiasme
certain et à la volonté de faire les choses autrement. C’est cette idée qui m’avait incité en 1988 à
choisir la toute nouvelle section «économie et politique sociale» dirigée par Danièle Demoustier
à l’IEP de Grenoble et qui me conduit aujourd’hui à vous soumettre mon projet.
PRÉSENTATION