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Portraits de la France qui se lève tôt (1)
« J’y vais chérie ! »
« Déjà ?! Mais il est 5 heures ! Le magasin n’ouvre qu’à 9 heures et d’habitude tu
pars plus tard… »
« Ben aujourd’hui, c’est le jour des poubelles ! Et Josy m’a demandé d’être là. Elle dit
que qu’elle ne veut plus le faire toute seule, qu’elle a la trouille. »
« La trouille ?! Mais de quoi ? »
« Justement, c’est pour ça qu’il faut que j’y sois. Moi non plus je ne comprends pas :
ça fait 10 ans qu’elle sort les poubelles avant l’ouverture, mais là elle ne veut plus.
Elle menace même de s’en aller ! Donc j’y vais. »
« Bonne journée quand même ! » cria Justine, mais déjà les pas de Christian
faisaient crisser le gravier de l’allée. Elle entendit la portière claquer, le moteur
démarrer puis plus rien. Il était 5 heures 5 et du coup elle était complètement
réveillée.
En prenant le chemin de « l’As des As » Christian se demandait toujours ce qui
pouvait entrainer une telle peur de sortir les poubelles chez Josy. Il y a quelques
mois, elle lui avait demandé l’autorisation de garder « propres », c’est à dire en
dehors des conteneurs, quelques invendus pour les distribuer aux quelques SDF qui
attendaient l’heure avec patience. Mais depuis peu, elle ne le faisait plus. Elle lui
avait même demandé pourquoi le magasin n’était pas équipé d’un broyeur ou d’un
compacteur à déchets. Surpris de ce changement chez Josy, il lui avait demandé ce
qu’il se passait. Elle lui avait répondu simplement qu’« ils » étaient de plus en plus
nombreux à guetter la sorite des poubelles le matin et qu’elle ne pouvait pas
distribuer à tout le monde des invendus. Et puis, samedi soir, Josy lui avait dit que ce
n’était plus possible. Les larmes aux yeux elle lui avait annoncé qu’elle ne pouvait
plus sortir les poubelles toutes seule. Il l’avait calmée, et lui avait promis d’être là
lundi matin pour voir de quoi il retournait exactement.
Franchement, maintenant qu’il était en route, il se demandait ce qu’« ils » pouvaient
avoir de si terrible pour effaroucher Josy. Cette employée modèle depuis une dizaine
d’années n’avait pas son pareil pourtant. Calme mais déterminée, elle était souvent
appelée à la rescousse par les étudiant(e)s embauchés pour combler les trous de
son planning, en cas de « clients chiants » (ce terme étant exclusivement réservé à
l’usage interne, bien entendu !).
« Bon encore 50 bornes et je serai fixé… J’espère que ça vaut le coup que je me
déplace en personne quand même ! ». Christian alluma la radio et tomba sur France
Info, plus précisément sur la chronique de David Abiker. Celui-ci détaillait la façon
dont les z’influents blogs politiques de gauche souhaitaient un bon 3ème
anniversaire
au Président Sarkozy. « Ah là là ! déjà 3 ans ! Encore 2 à tirer ! Pourtant quand il a
été élu, on y croyait ! Mais là ça devient vraiment plus possible, même sa réforme sur
la liberté de négocier s’est finalement retournée contre nous. Au début, pendant un
an, on a pu pressuriser les producteurs et l’Industrie Agroalimentaire : même en
pleine crise sur les céréales ils n’avaient pas le choix : soit ils acceptaient nos
conditions, soit ils étaient remplacés par d’autres ! Mais justement ils ont été
tellement pressés que les petits producteurs locaux ont dû jeter l’éponge et que
l’I.A.A. a dû délocaliser. Résultat des chômeurs de plus et des produits plus chers du
fait des coûts de transport ! Et tout est comme ça… Du coup les prix ont
recommencé à augmenter dans nos rayons et les hard-discounteurs nous bouffent à
nouveau nos parts de marché. »
« Bon encore deux feux et on y est. Ça y est voilà le parking. Mais … Qu’est-ce que c’est que
ce bordel ?! »
Source Image
Portraits de la France qui se lève tôt (2)
Le même jour,5 heures, dépôt de collecte ouest
« Bon les gars ! En route ! » Comme tous les matins de la semaine, Bernard le
contre-maître était assez rapide sur les consignes de départ. Après tout les gars
connaissaient leur boulot, ramasser tout ce qui traînait afin que la ville oublie ce
qu’elle avait jeté à la poubelle la veille. Ça faisait des années qu’ils faisaient ce
boulot et qu’ils le faisaient bien. Oh bien sûr il y avait toujours un grincheux qui faisait
retentir le standard parce que sa poubelle n’avait pas été ramassée à la même heure
que la semaine précédente, mais dans l’ensemble les rapports avec les usagers
étaient cordiaux (bon d’accord sauf ceux qui étaient bloqués en bagnole derrière une
benne…).
Les camions commençaient à vrombrir dans la cour. Ça tu-tutait à tout rompre
pendant les manœuvres des bennes qui allaient arpenter toute la ville à la recherche
de ces sacs poubelles emplis de merdes pour leurs derniers propriétaires mais de
trésors pour d’autres. C’était ainsi depuis toujours, mais le nombre de gens
intéressés par les poubelles et surtout leur contenu ne cessait de croître depuis
quelques temps.
Bernard vit s’approcher de son bureau Polo et « Biceps », tous deux membres du
même équipage.
« Qu’est-ce que vous foutez encore là les gars ? Il y a un problème ? »
- Ben, commença Polo, c’est à propos de l’ « As des As » du croisement Gambetta-
Blum, euh … Poutine-Khadafi, j’veux dire (depuis peu la grande mode était le
renommage des rues à l’emporte-pièce). »
- Celui dont ils ont refait la déco ? Ouais, hé ben ?
- Ben on t’en a déjà causé, « ils » sont de plus en plus nombreux. Ils fouillent
presque dans la benne elle-même maintenant et on est obligé de râler pour pouvoir
vider les bacs. Ça peut plus durer. Bernard, faut qu’tu fasses quelque chose ! »
Bernard connaissait bien Polo et « Biceps », quelques SDF ne pouvaient pas les
emmerder dans leur travail. Il y avait autre chose.
« Bon, les gars, quand vous arrivez sur site, vous m’appelez et je viens voir par moi-
même où est le problème.
- OK d’accord ! bon on y va » (cette réplique est assez inutile, je sais. Et encore avez-vous
échappé à « opinèrent-ils du chef »)
Le début de tournée fut tranquille pour l’équipage de Polo et « Biceps ». Le week-
end avait été beau, la moitié seulement des poubelles était présentée. La plupart des
gens de leur secteur de collecte avait encore les moyens de partir quelques jours à la
campagne ou à la mer. Ça arrangeait bien l’équipe car comme ils étaient à la quitte,
ils pourraient rentrer plus tôt du boulot. Sur leur marche-pied, lors des passages à
vide, ils se racontaient qui leur dimanche au foot pour Polo, qui leur week-end
bricolage chez le beau-frère pour « Biceps ». Son beau-frère avait en effet acheté
une gentille maisonnette pas trop loin de son boulot mais avec les prix pratiqués
actuellement, il avait dû se résigner à acheter en sachant qu’il faudrait tout refaire. Et
pour ça il comptait sur « Biceps », après tout ce qu’il faisait au black parfois pour
arrondir ses fins de mois, il accepterait peut-être de le faire dans le nid d’amour de sa
sœur.
Enfin, l’As des As , fin de la tournée fut-il en vue. Ce supermarché était en fin de
tournée car il présentait environ 6 gros bacs à 4 roues à chaque collecte. Le volume
de déchets étant donc important, il fallait parfois prévoir du renfort apporté par une
autre benne d’un secteur voisin, elle aussi normalement en fin de tournée.
« Hé merde ! « Ils » sont encore plus nombreux que jeudi matin ! Bon ! « Biceps »,
appelle Bernard ! »
Source image
Portraits de la France qui se lève tôt (3)
Josy regarda encore par l’œilleton de la porte de service. Sur le parking, laissé dans
la pénombre parce qu’il ne fallait quand même pas tenter le diable, elle devinait «
leur » présence. Elle se demanda si ceux de la semaine dernière étaient revenus ou
si ce n’étaient que des nouveaux. De là où elle était, elle ne discernait que des
ombres, assises pour la plupart, immobiles dans leur grande majorité.
Parfois, une voiture passait dans la rue longeant le parking. La radio à fond, pour
réveiller son occupant avant d’arriver au boulot. Le boulot ! Ce sacro-saint boulot !
Celui sans lequel tu n’étais plus rien mais aussi celui avec lequel tu avais maintenant
tout juste de quoi te loger et te nourrir. Elle le voyait bien avec sa fille Sandrine.
Malgré son travail de coiffeuse, elle habitait encore chez eux avec son fils. Alors,
avec le mari de Josy ils avaient aménagé une chambre dans le salon du T2. Bon
c’était pas Byzance, mais au moins, Sandrine n’était pas comme « eux ».
« Eux », justement, elle les connaissait un peu. Il y a quelques temps encore, elle
leur gardait des invendus au propres pour leur donner sans qu’ « ils » aient à fouiller
les conteneurs. Les invendus ce sont tous ces produits presque périmés ou bien
dont l’emballage est abîmé pendant le transport ou la mise en rayon. Mais depuis
quelques temps les invendus c’était aussi les produits commencés par des clients
dans les rayons. Samedi dernier, les vigiles avaient attrapé une mère en train de
donner à ses enfants du fromage. Elle n’avait pas de quoi payer et ça c’était fini au
Poste… Le problème, c’était que ça devenait de plus en plus fréquent. Les pertes de
l’« As des As » due à ce type de comportement ne cessaient d’augmenter. On était
ainsi passer d’une perte de 15 % à une perte de 30 % en 2 ou 3 ans sur la totalité de
la marchandise du supermarché. Certains clients venaient acheter les strict minimum
et mangeaient discrètement, qui une pomme, qui un bout de charcuterie. Josy le
voyait bien : les gens n’avaient plus les moyens.
Ce n’était pourtant pas ce qu’avait promis le Président en 2007 ! Avec lui on allait voir
ce qu’on allait voir, claironnait-il ! Même des journaux de gauche le disait que c’était
le seul candidat valable ! Alors, Josy, comme son mari et sa fille avaient voté pour lui.
Et puis tout était allé très vite… Certains disaient que c’était de sa faute, d’autres que
la crise était mondiale, mais tout ça, Josy elle s’en moquait un peu. Ce qu’elle voyait
c’est qu’ « ils » étaient toujours plus nombreux le jour des poubelles.
Source Image
Portraits de la France qui se lève tôt (4)
Christian gara sa voiture loin du groupe d’ombres. Il marcha rapidement vers l’entrée
de service, là d’où sortiraient les poubelles lorsque la benne à ordures ménagères
arriverait sur le parking. Josy venait de le voir. Elle lui ouvrit la porte et la referma
aussitôt après qu’il se fut engouffré à l’intérieur.
« Mais qui sont tous ces gens ?
- Ben, ce sont ceux dont je vous avais parlé, lui répondit Josy.
- Mais ils sont au moins 30 là ! Je comprends que vous m’ayez demandé de
venir… Cela fait longtemps que cela dure ? Je veux dire, à chaque ramassage
des poubelles ils sont aussi nombreux ? Si c’est le cas il va falloir faire
quelque chose. Appeler la police, demander aux boueux de passer à un autre
moment… Je sais pas moi, mais c’est quand même pas rassurant tous ces
gens dehors ! Vous les connaissez… Je veux dire ils vous ont déjà parlé ?
Christian était dans tous ses états. Josy se demandait si c’était à cause de l’image
que pourrait avoir le magasin si des clients arrivaient trop tôt ou s’il y avait autre
chose derrière son malaise. Elle savait bien qu’il ne faisait pas partie de ses
directeurs de supermarché qui n’hésitaient pas à javelliser leurs poubelles pour faire
fuir le crêve-la-faim.
« Vous savez, j’en ai connu quelques-uns de ceux qui attendent là, dehors.
C’était quand je gardais des invendus pour eux. Du coup on parlait un peu. Bhô, pas
de grand-chose hein ?! la pluie le beau temps…. Et puis de temps en temps il y en
avait un qui restait un peu plus longtemps et qui me parlait de son avant. Ah ça j’en
ai appris sur ce parking… Tiens, il y en avait un qui s’appelait Manuel. Il devait avoir
pas loin de 60 ans. Il avait bossé toute sa vie chez Renault, avait même réussi à ne
pas faire l’objet de plan social ou de délocalisation. Hé ben même avec tout ça, on lui
avait demandé de chercher un nouvel emploi s’il voulait continuer à toucher sa
retraite ! Mais vous vous en connaissez beaucoup des boîtes qui ont besoin d’un vieil
ouvrier ? Résultat on ne lui a proposé qu’un poste de gardien de parking. A
l’extérieur… Il ne pouvait pas refuser, sinon on lui sucrait sa pension ! Et puis il est
tombé malade : pneumonie, et là ça a été la dégringolade : viré à cause de ses
absences maladies, il n’a bientôt plus eu droit qu’à une pension de misère, sur
laquelle étaient ponctionnées les franchises médicales pour sa pneumonie… Du
coup, pour manger il venait là, avec les autres.
- Mais c’est terrifiant…
- Oh ben ça, à qui l’dites-vous ! Rendez-vous compte on est bientôt en 2010 et on
voit des trucs des comme ça en France… Et encore, je ne vous raconte pas
tout… Ah attendez ! Je vois la benne à l’entrée du parking ! Oui ce sont bien
eux les gyrophares sont oranges, ouf !
- Comment ça ouf ?
Portraits de la France qui se lève tôt (5)
« Bon alors, il répond ou quoi ?
- ben non pas pour l’instant… Ca sonne dans le vide… Ah ! attends ! Ca y est ! Ouais Bernard
? c’est Biceps là ! Bon dis, « ils » sont super nombreux encore ! Comment ? Non non non !
Tu viens ! et pas d’histoire de bagnoles hein ?! Nous de toute façon on ne bouge pas tant que
t’es pas là !
- Il voulait pas venir, hein ? »
Polo fixait l’abri à vélo du parking en parlant à Biceps. C’est là qu’ « ils » étaient le plus
nombreux. Ils étaient à l’abri de la rosée qui finissait de se déposer.
« Dis, Biceps…
- Ouais ?
- On fait quoi alors ?
- Ben on attend Bernard ! Il est hors de question qu’on soit encore tous seuls comme la
dernière fois !
- Dis, Biceps ?
- Ouais ! Quoi encore ?
- Tu le vois, lui là-bas ?
- Qui ça ?
- Ben là-bas… à côté de l’abri vélo…
- Ouais hé ben ?
- Non rien laisse tomber, on aurait dit Thomas, mais je dois me gourer. »
Thomas, c’était un ancien collègue de Biceps et Polo. Il avait fini par se baiser le dos à vider à
la main les conteneurs plutôt que d’utiliser le lève-conteneur. C’est vrai qu’on gagnait du
temps, mais surtout on se retrouvait vite avec un dos en compote. Résultat, à 45 ans, Thomas
s’était retrouvé remercié par le patron. Bof, Polo et Biceps se faisaient pas trop de mourron
pour lui, à la télé, ils n’arrêtaient pas de dire que le chômage baissait. Alors, normalement,
Thomas, il avait dû trouver un nouveau boulot.
Enfin, Bernard daigna arriver. Il avait une drôle de tête. Comme si on venait de lui apprendre
une bien triste nouvelle…
« Bon les gars ! La Direction vient de m’appeler. Je ne sais pas ce qu’il se passe avec ce
supermarché, mais on m’a donné l’ordre de collecter QUOI QU’IL ARRIVE ! Et la Direction
a bien insisté là-dessus : QUOI QU’IL ARRIVE ! Alors on y va, vous rentrez sur le parking et
fissa ! »
Depuis son œilleton Josy vit la benne reprendre sa route et pénétrer sur le parking.
« Ca y est ils arrivent, on va pouvoir sortir les poubelles. »
Portraits de la France qui se lève tôt (6, enfin !)
La benne s’immobilisa en bas la rampe menant à la porte de service. Elle avait été
escortée en silence par les ombres du parking. « Ils » étaient maintenant assez prêts
pour toucher le camion qui toussait de plus en plus fort, comme pour se préparer à
avaler ces conteneurs pleins de bouffe à peine avariée pour la grande majorité. La
Twingo de Bernard suivait de près. « Ils » n’avaient pas tenté de séparer les deux
véhicules.
« Bon ouvrez la porte ! On va essayer de faire au plus vite ! » Josy s’exécuta et le
premier conteneur montra le bout de son nez sur la rampe. Déjà, Polo et Biceps
montaient vers lui pour le saisir et le faire rouler le plus rapidement possible vers le
lève-conteneur. Une ombre se saisit délicatement du couvercle et le souleva ! Un
soupir d’approbation monta de la foule de plus en plus compacte autour de la benne
à ordures ménagères. Bernard sortit de sa voiture et se précipita vers le lève-
conteneur afin de réceptionner le bac et le positionner correctement.
Polo se trouva nez-à-nez avec celui qu’il avait pris pour Thomas tout à l’heure. Il le
reconnut aussitôt. Thomas lui dit :
« Bon, Polo sois sympa, laisse nous ce conteneur pendant que vous videz les
autres. On laissera tout propre, et même on vous aidera à vider s’il le faut.
-P’tain mais Thomas, qu’est-ce que tu fous là ? T’as pas retrouvé de boulot ?
- Ben non. Enfin si on m’en a proposé un mais il était à 40 bornes et franchement
vu la salaire de misère qu’on me proposait j’aurai tout dépensé en essence…
Du coup j’ai essayé de leur expliquer mais ils n’ont rien voulu savoir : résultat
plus d’ASSEDIC, juste ma pension pour mon dos…
- Ben merde alors… Ecoute là y’a Bernard, j’suis pas sûr qu’il apprécie que je
vous laisse le conteneur. Il vient de nous dire qu’on devait dégager le plus
rapidement les poubelles et que la consigne venait de trés haut apparemment
!
Pendant ce temps, Biceps était aussi arrêté dans sa progression par une jeune
femme. Elle avait une dégaine d’étudiante. Biceps ne comprenait pas trop ce qu’elle
foutait là avec « eux ». Il lui demanda :
« Vous faites partie d’une association humanitaire et vous êtes là pour « les »
accompagner ?
-Non, je suis étudiante, je suis là pour tenter de récupérer de quoi manger pour la
fin du mois. Ça vous étonne ? Franchement je préfère ça plutôt que faire le
tapin dans ma Cité U !
Biceps n’eut pas le temps de répondre quoi que ce soit. Le parking s’illumina comme
en plein jour. 5 véhicules 4x4, comme ceux de l’armée américaine dans les téléfilms
de M6 venaient de braquer des projecteurs dignes de ceux d’un concert de Geonnie
Halliday sur la benne et la rampe. Les jeeps dégueulèrent rapidement leur contenu,
c’est-à-dire des espèces de ninjas toutes armes dehors et qui gueulaient « POLICE !
ON BOUGE PLUS ! TOI LA-BAS TU BOUGES PLUS ! » Les premiers lacrymos
commencèrent à tomber de part et d’autre ! Les ombres essayaient de se faufiler le
plus vite possible mais toute issue était rendue impossible par un malabar habillé
comme pour la guerre des étoiles. Un hélicoptère arriva en trombe au-dessus du
parking et commença à braquer son projecteur vers une ombre qui courrait vers la
rue.
Christian saisit le bras de Josy pour la faire rentrer dans le supermarché. Elle hurlait
de terreur et de dégoût devant le spectacle des ombres pourchassées par des
Robocop !
La chasse aux pauvres était vraiment ouverte !
Puis tout se calma. Le silence était assourdissant. Lorsque Christian osa rouvrir la
porte, le parking était désert. Propre. Les clients allaient pouvoir arriver.

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  • 1. Portraits de la France qui se lève tôt (1) « J’y vais chérie ! » « Déjà ?! Mais il est 5 heures ! Le magasin n’ouvre qu’à 9 heures et d’habitude tu pars plus tard… » « Ben aujourd’hui, c’est le jour des poubelles ! Et Josy m’a demandé d’être là. Elle dit que qu’elle ne veut plus le faire toute seule, qu’elle a la trouille. » « La trouille ?! Mais de quoi ? » « Justement, c’est pour ça qu’il faut que j’y sois. Moi non plus je ne comprends pas : ça fait 10 ans qu’elle sort les poubelles avant l’ouverture, mais là elle ne veut plus. Elle menace même de s’en aller ! Donc j’y vais. » « Bonne journée quand même ! » cria Justine, mais déjà les pas de Christian faisaient crisser le gravier de l’allée. Elle entendit la portière claquer, le moteur démarrer puis plus rien. Il était 5 heures 5 et du coup elle était complètement réveillée. En prenant le chemin de « l’As des As » Christian se demandait toujours ce qui pouvait entrainer une telle peur de sortir les poubelles chez Josy. Il y a quelques mois, elle lui avait demandé l’autorisation de garder « propres », c’est à dire en dehors des conteneurs, quelques invendus pour les distribuer aux quelques SDF qui attendaient l’heure avec patience. Mais depuis peu, elle ne le faisait plus. Elle lui avait même demandé pourquoi le magasin n’était pas équipé d’un broyeur ou d’un compacteur à déchets. Surpris de ce changement chez Josy, il lui avait demandé ce qu’il se passait. Elle lui avait répondu simplement qu’« ils » étaient de plus en plus nombreux à guetter la sorite des poubelles le matin et qu’elle ne pouvait pas distribuer à tout le monde des invendus. Et puis, samedi soir, Josy lui avait dit que ce n’était plus possible. Les larmes aux yeux elle lui avait annoncé qu’elle ne pouvait plus sortir les poubelles toutes seule. Il l’avait calmée, et lui avait promis d’être là lundi matin pour voir de quoi il retournait exactement.
  • 2. Franchement, maintenant qu’il était en route, il se demandait ce qu’« ils » pouvaient avoir de si terrible pour effaroucher Josy. Cette employée modèle depuis une dizaine d’années n’avait pas son pareil pourtant. Calme mais déterminée, elle était souvent appelée à la rescousse par les étudiant(e)s embauchés pour combler les trous de son planning, en cas de « clients chiants » (ce terme étant exclusivement réservé à l’usage interne, bien entendu !). « Bon encore 50 bornes et je serai fixé… J’espère que ça vaut le coup que je me déplace en personne quand même ! ». Christian alluma la radio et tomba sur France Info, plus précisément sur la chronique de David Abiker. Celui-ci détaillait la façon dont les z’influents blogs politiques de gauche souhaitaient un bon 3ème anniversaire au Président Sarkozy. « Ah là là ! déjà 3 ans ! Encore 2 à tirer ! Pourtant quand il a été élu, on y croyait ! Mais là ça devient vraiment plus possible, même sa réforme sur la liberté de négocier s’est finalement retournée contre nous. Au début, pendant un an, on a pu pressuriser les producteurs et l’Industrie Agroalimentaire : même en pleine crise sur les céréales ils n’avaient pas le choix : soit ils acceptaient nos conditions, soit ils étaient remplacés par d’autres ! Mais justement ils ont été tellement pressés que les petits producteurs locaux ont dû jeter l’éponge et que l’I.A.A. a dû délocaliser. Résultat des chômeurs de plus et des produits plus chers du fait des coûts de transport ! Et tout est comme ça… Du coup les prix ont recommencé à augmenter dans nos rayons et les hard-discounteurs nous bouffent à nouveau nos parts de marché. » « Bon encore deux feux et on y est. Ça y est voilà le parking. Mais … Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?! » Source Image
  • 3. Portraits de la France qui se lève tôt (2) Le même jour,5 heures, dépôt de collecte ouest « Bon les gars ! En route ! » Comme tous les matins de la semaine, Bernard le contre-maître était assez rapide sur les consignes de départ. Après tout les gars connaissaient leur boulot, ramasser tout ce qui traînait afin que la ville oublie ce qu’elle avait jeté à la poubelle la veille. Ça faisait des années qu’ils faisaient ce boulot et qu’ils le faisaient bien. Oh bien sûr il y avait toujours un grincheux qui faisait retentir le standard parce que sa poubelle n’avait pas été ramassée à la même heure que la semaine précédente, mais dans l’ensemble les rapports avec les usagers étaient cordiaux (bon d’accord sauf ceux qui étaient bloqués en bagnole derrière une benne…). Les camions commençaient à vrombrir dans la cour. Ça tu-tutait à tout rompre pendant les manœuvres des bennes qui allaient arpenter toute la ville à la recherche de ces sacs poubelles emplis de merdes pour leurs derniers propriétaires mais de trésors pour d’autres. C’était ainsi depuis toujours, mais le nombre de gens intéressés par les poubelles et surtout leur contenu ne cessait de croître depuis quelques temps. Bernard vit s’approcher de son bureau Polo et « Biceps », tous deux membres du même équipage. « Qu’est-ce que vous foutez encore là les gars ? Il y a un problème ? » - Ben, commença Polo, c’est à propos de l’ « As des As » du croisement Gambetta- Blum, euh … Poutine-Khadafi, j’veux dire (depuis peu la grande mode était le renommage des rues à l’emporte-pièce). » - Celui dont ils ont refait la déco ? Ouais, hé ben ? - Ben on t’en a déjà causé, « ils » sont de plus en plus nombreux. Ils fouillent presque dans la benne elle-même maintenant et on est obligé de râler pour pouvoir vider les bacs. Ça peut plus durer. Bernard, faut qu’tu fasses quelque chose ! » Bernard connaissait bien Polo et « Biceps », quelques SDF ne pouvaient pas les emmerder dans leur travail. Il y avait autre chose. « Bon, les gars, quand vous arrivez sur site, vous m’appelez et je viens voir par moi- même où est le problème. - OK d’accord ! bon on y va » (cette réplique est assez inutile, je sais. Et encore avez-vous échappé à « opinèrent-ils du chef »)
  • 4. Le début de tournée fut tranquille pour l’équipage de Polo et « Biceps ». Le week- end avait été beau, la moitié seulement des poubelles était présentée. La plupart des gens de leur secteur de collecte avait encore les moyens de partir quelques jours à la campagne ou à la mer. Ça arrangeait bien l’équipe car comme ils étaient à la quitte, ils pourraient rentrer plus tôt du boulot. Sur leur marche-pied, lors des passages à vide, ils se racontaient qui leur dimanche au foot pour Polo, qui leur week-end bricolage chez le beau-frère pour « Biceps ». Son beau-frère avait en effet acheté une gentille maisonnette pas trop loin de son boulot mais avec les prix pratiqués actuellement, il avait dû se résigner à acheter en sachant qu’il faudrait tout refaire. Et pour ça il comptait sur « Biceps », après tout ce qu’il faisait au black parfois pour arrondir ses fins de mois, il accepterait peut-être de le faire dans le nid d’amour de sa sœur. Enfin, l’As des As , fin de la tournée fut-il en vue. Ce supermarché était en fin de tournée car il présentait environ 6 gros bacs à 4 roues à chaque collecte. Le volume de déchets étant donc important, il fallait parfois prévoir du renfort apporté par une autre benne d’un secteur voisin, elle aussi normalement en fin de tournée. « Hé merde ! « Ils » sont encore plus nombreux que jeudi matin ! Bon ! « Biceps », appelle Bernard ! » Source image
  • 5. Portraits de la France qui se lève tôt (3) Josy regarda encore par l’œilleton de la porte de service. Sur le parking, laissé dans la pénombre parce qu’il ne fallait quand même pas tenter le diable, elle devinait « leur » présence. Elle se demanda si ceux de la semaine dernière étaient revenus ou si ce n’étaient que des nouveaux. De là où elle était, elle ne discernait que des ombres, assises pour la plupart, immobiles dans leur grande majorité. Parfois, une voiture passait dans la rue longeant le parking. La radio à fond, pour réveiller son occupant avant d’arriver au boulot. Le boulot ! Ce sacro-saint boulot ! Celui sans lequel tu n’étais plus rien mais aussi celui avec lequel tu avais maintenant tout juste de quoi te loger et te nourrir. Elle le voyait bien avec sa fille Sandrine. Malgré son travail de coiffeuse, elle habitait encore chez eux avec son fils. Alors, avec le mari de Josy ils avaient aménagé une chambre dans le salon du T2. Bon c’était pas Byzance, mais au moins, Sandrine n’était pas comme « eux ». « Eux », justement, elle les connaissait un peu. Il y a quelques temps encore, elle leur gardait des invendus au propres pour leur donner sans qu’ « ils » aient à fouiller les conteneurs. Les invendus ce sont tous ces produits presque périmés ou bien dont l’emballage est abîmé pendant le transport ou la mise en rayon. Mais depuis quelques temps les invendus c’était aussi les produits commencés par des clients dans les rayons. Samedi dernier, les vigiles avaient attrapé une mère en train de donner à ses enfants du fromage. Elle n’avait pas de quoi payer et ça c’était fini au Poste… Le problème, c’était que ça devenait de plus en plus fréquent. Les pertes de l’« As des As » due à ce type de comportement ne cessaient d’augmenter. On était ainsi passer d’une perte de 15 % à une perte de 30 % en 2 ou 3 ans sur la totalité de la marchandise du supermarché. Certains clients venaient acheter les strict minimum et mangeaient discrètement, qui une pomme, qui un bout de charcuterie. Josy le voyait bien : les gens n’avaient plus les moyens. Ce n’était pourtant pas ce qu’avait promis le Président en 2007 ! Avec lui on allait voir ce qu’on allait voir, claironnait-il ! Même des journaux de gauche le disait que c’était le seul candidat valable ! Alors, Josy, comme son mari et sa fille avaient voté pour lui. Et puis tout était allé très vite… Certains disaient que c’était de sa faute, d’autres que la crise était mondiale, mais tout ça, Josy elle s’en moquait un peu. Ce qu’elle voyait c’est qu’ « ils » étaient toujours plus nombreux le jour des poubelles. Source Image
  • 6. Portraits de la France qui se lève tôt (4) Christian gara sa voiture loin du groupe d’ombres. Il marcha rapidement vers l’entrée de service, là d’où sortiraient les poubelles lorsque la benne à ordures ménagères arriverait sur le parking. Josy venait de le voir. Elle lui ouvrit la porte et la referma aussitôt après qu’il se fut engouffré à l’intérieur. « Mais qui sont tous ces gens ? - Ben, ce sont ceux dont je vous avais parlé, lui répondit Josy. - Mais ils sont au moins 30 là ! Je comprends que vous m’ayez demandé de venir… Cela fait longtemps que cela dure ? Je veux dire, à chaque ramassage des poubelles ils sont aussi nombreux ? Si c’est le cas il va falloir faire quelque chose. Appeler la police, demander aux boueux de passer à un autre moment… Je sais pas moi, mais c’est quand même pas rassurant tous ces gens dehors ! Vous les connaissez… Je veux dire ils vous ont déjà parlé ? Christian était dans tous ses états. Josy se demandait si c’était à cause de l’image que pourrait avoir le magasin si des clients arrivaient trop tôt ou s’il y avait autre chose derrière son malaise. Elle savait bien qu’il ne faisait pas partie de ses directeurs de supermarché qui n’hésitaient pas à javelliser leurs poubelles pour faire fuir le crêve-la-faim. « Vous savez, j’en ai connu quelques-uns de ceux qui attendent là, dehors. C’était quand je gardais des invendus pour eux. Du coup on parlait un peu. Bhô, pas de grand-chose hein ?! la pluie le beau temps…. Et puis de temps en temps il y en avait un qui restait un peu plus longtemps et qui me parlait de son avant. Ah ça j’en ai appris sur ce parking… Tiens, il y en avait un qui s’appelait Manuel. Il devait avoir pas loin de 60 ans. Il avait bossé toute sa vie chez Renault, avait même réussi à ne pas faire l’objet de plan social ou de délocalisation. Hé ben même avec tout ça, on lui avait demandé de chercher un nouvel emploi s’il voulait continuer à toucher sa retraite ! Mais vous vous en connaissez beaucoup des boîtes qui ont besoin d’un vieil ouvrier ? Résultat on ne lui a proposé qu’un poste de gardien de parking. A l’extérieur… Il ne pouvait pas refuser, sinon on lui sucrait sa pension ! Et puis il est tombé malade : pneumonie, et là ça a été la dégringolade : viré à cause de ses absences maladies, il n’a bientôt plus eu droit qu’à une pension de misère, sur laquelle étaient ponctionnées les franchises médicales pour sa pneumonie… Du coup, pour manger il venait là, avec les autres. - Mais c’est terrifiant… - Oh ben ça, à qui l’dites-vous ! Rendez-vous compte on est bientôt en 2010 et on voit des trucs des comme ça en France… Et encore, je ne vous raconte pas tout… Ah attendez ! Je vois la benne à l’entrée du parking ! Oui ce sont bien eux les gyrophares sont oranges, ouf ! - Comment ça ouf ?
  • 7. Portraits de la France qui se lève tôt (5) « Bon alors, il répond ou quoi ? - ben non pas pour l’instant… Ca sonne dans le vide… Ah ! attends ! Ca y est ! Ouais Bernard ? c’est Biceps là ! Bon dis, « ils » sont super nombreux encore ! Comment ? Non non non ! Tu viens ! et pas d’histoire de bagnoles hein ?! Nous de toute façon on ne bouge pas tant que t’es pas là ! - Il voulait pas venir, hein ? » Polo fixait l’abri à vélo du parking en parlant à Biceps. C’est là qu’ « ils » étaient le plus nombreux. Ils étaient à l’abri de la rosée qui finissait de se déposer. « Dis, Biceps… - Ouais ? - On fait quoi alors ? - Ben on attend Bernard ! Il est hors de question qu’on soit encore tous seuls comme la dernière fois ! - Dis, Biceps ? - Ouais ! Quoi encore ? - Tu le vois, lui là-bas ? - Qui ça ? - Ben là-bas… à côté de l’abri vélo… - Ouais hé ben ? - Non rien laisse tomber, on aurait dit Thomas, mais je dois me gourer. » Thomas, c’était un ancien collègue de Biceps et Polo. Il avait fini par se baiser le dos à vider à la main les conteneurs plutôt que d’utiliser le lève-conteneur. C’est vrai qu’on gagnait du temps, mais surtout on se retrouvait vite avec un dos en compote. Résultat, à 45 ans, Thomas s’était retrouvé remercié par le patron. Bof, Polo et Biceps se faisaient pas trop de mourron pour lui, à la télé, ils n’arrêtaient pas de dire que le chômage baissait. Alors, normalement, Thomas, il avait dû trouver un nouveau boulot. Enfin, Bernard daigna arriver. Il avait une drôle de tête. Comme si on venait de lui apprendre une bien triste nouvelle… « Bon les gars ! La Direction vient de m’appeler. Je ne sais pas ce qu’il se passe avec ce supermarché, mais on m’a donné l’ordre de collecter QUOI QU’IL ARRIVE ! Et la Direction a bien insisté là-dessus : QUOI QU’IL ARRIVE ! Alors on y va, vous rentrez sur le parking et fissa ! » Depuis son œilleton Josy vit la benne reprendre sa route et pénétrer sur le parking. « Ca y est ils arrivent, on va pouvoir sortir les poubelles. »
  • 8. Portraits de la France qui se lève tôt (6, enfin !) La benne s’immobilisa en bas la rampe menant à la porte de service. Elle avait été escortée en silence par les ombres du parking. « Ils » étaient maintenant assez prêts pour toucher le camion qui toussait de plus en plus fort, comme pour se préparer à avaler ces conteneurs pleins de bouffe à peine avariée pour la grande majorité. La Twingo de Bernard suivait de près. « Ils » n’avaient pas tenté de séparer les deux véhicules. « Bon ouvrez la porte ! On va essayer de faire au plus vite ! » Josy s’exécuta et le premier conteneur montra le bout de son nez sur la rampe. Déjà, Polo et Biceps montaient vers lui pour le saisir et le faire rouler le plus rapidement possible vers le lève-conteneur. Une ombre se saisit délicatement du couvercle et le souleva ! Un soupir d’approbation monta de la foule de plus en plus compacte autour de la benne à ordures ménagères. Bernard sortit de sa voiture et se précipita vers le lève- conteneur afin de réceptionner le bac et le positionner correctement. Polo se trouva nez-à-nez avec celui qu’il avait pris pour Thomas tout à l’heure. Il le reconnut aussitôt. Thomas lui dit : « Bon, Polo sois sympa, laisse nous ce conteneur pendant que vous videz les autres. On laissera tout propre, et même on vous aidera à vider s’il le faut. -P’tain mais Thomas, qu’est-ce que tu fous là ? T’as pas retrouvé de boulot ? - Ben non. Enfin si on m’en a proposé un mais il était à 40 bornes et franchement vu la salaire de misère qu’on me proposait j’aurai tout dépensé en essence… Du coup j’ai essayé de leur expliquer mais ils n’ont rien voulu savoir : résultat plus d’ASSEDIC, juste ma pension pour mon dos… - Ben merde alors… Ecoute là y’a Bernard, j’suis pas sûr qu’il apprécie que je vous laisse le conteneur. Il vient de nous dire qu’on devait dégager le plus rapidement les poubelles et que la consigne venait de trés haut apparemment ! Pendant ce temps, Biceps était aussi arrêté dans sa progression par une jeune femme. Elle avait une dégaine d’étudiante. Biceps ne comprenait pas trop ce qu’elle foutait là avec « eux ». Il lui demanda : « Vous faites partie d’une association humanitaire et vous êtes là pour « les » accompagner ? -Non, je suis étudiante, je suis là pour tenter de récupérer de quoi manger pour la fin du mois. Ça vous étonne ? Franchement je préfère ça plutôt que faire le tapin dans ma Cité U ! Biceps n’eut pas le temps de répondre quoi que ce soit. Le parking s’illumina comme en plein jour. 5 véhicules 4x4, comme ceux de l’armée américaine dans les téléfilms
  • 9. de M6 venaient de braquer des projecteurs dignes de ceux d’un concert de Geonnie Halliday sur la benne et la rampe. Les jeeps dégueulèrent rapidement leur contenu, c’est-à-dire des espèces de ninjas toutes armes dehors et qui gueulaient « POLICE ! ON BOUGE PLUS ! TOI LA-BAS TU BOUGES PLUS ! » Les premiers lacrymos commencèrent à tomber de part et d’autre ! Les ombres essayaient de se faufiler le plus vite possible mais toute issue était rendue impossible par un malabar habillé comme pour la guerre des étoiles. Un hélicoptère arriva en trombe au-dessus du parking et commença à braquer son projecteur vers une ombre qui courrait vers la rue. Christian saisit le bras de Josy pour la faire rentrer dans le supermarché. Elle hurlait de terreur et de dégoût devant le spectacle des ombres pourchassées par des Robocop ! La chasse aux pauvres était vraiment ouverte ! Puis tout se calma. Le silence était assourdissant. Lorsque Christian osa rouvrir la porte, le parking était désert. Propre. Les clients allaient pouvoir arriver.