1. Le Commun et ses Problèmes
Entre état et marchés : la dynamique du Commun
Vers de nouveaux équilibres
Colloque international
Université de Paris-Sorbonne
Panthéon-Assas
8-9-10 juin
Sylvain Lavelle
sylvain.lavelle@icam.fr
2. Du Public au Commun
• Un ouvrage de John Dewey (1938) Le public et ses problèmes
‘La conscience claire de la vie commune, dans toutes ses implications, constitue l’idée de la démocratie… La
fraternité, la liberté et l’égalité restent des abstractions incurables si on les isole de la vie commune.…’ (John
Dewey, Le public et ses problèmes, pp. 156-160).
• Le public est la communauté qui se développe à l’interface du privé et de l’Etat à partir des individus qui se
trouvent affectés par l’impact indirect des activités sociales (par exemple, la pollution d’un fleuve par une usine).
• Le public chez Dewey partage certains aspects avec le commun, mais le commun est plus chez lui un principe
de vie, d’action et d’enquête qu’un principe d’organisation et de gouvernance à proprement parler.
• Néanmoins, dans une approche voisine de celle de Dewey à propos du public, le Commun est envisagé ici par
ses problèmes, ce qui permet d’éclairer le rapport avec les Communs.
3. Commun, Communs, Communauté, Communalité
• Le Commun (Dardot et Laval) : le commun est un principe politique qui impose de faire de la participation à une
même activité le fondement de l’obligation.
• Les Communs (Bollier) : les communs sont la combinaison d’une communauté déterminée et d’un ensemble de
pratiques, de valeurs et de normes sociales mises en œuvre pour gérer une ressource.
• La Communauté (des Communeurs) : la communauté des humains qui créent, gèrent et maintiennent un
Commun, qui peut s’étendre à des relations avec des non-humains.
• La Communalité : la propriété d'être commun, d'avoir en commun, mais aussi de faire en commun.
4. Points
1. Les problèmes du Commun
2. Le système Commun-Etat-Marché (CEM)
3. La politique du Commun
5. 1. Les problèmes du Commun
• Problèmes d’ordre I
- la syntonie (la concorde, le ‘parler-ensemble’)
- la synergie (la coopération, le ‘travailler-ensemble’)
- la symbiose (la coexistence, le ‘vivre-ensemble’)
• Problèmes d’ordre II
- la synthèse (la composition, homogène ou hétérogène)
- la dynamique (le changement, exogène ou endogène)
- le système (la gouvernance, hiérarchie, sous-systèmes)
• Problèmes d’ordre III
- l’auto-organisation (la capacité de s’organiser soi-même)
- l’autonomie (la capacité de se donner ses propres règles, ou lois)
- l’autarcie (le gouvernement de soi, par soi)
6. Le passage de la dynamique
à la systémique du commun
• La dynamique du Commun combine à des degrés plus ou moins poussés des aspects d’auto-organisation,
d’autonomie et d’autarcie.
• Une définition (possible) du Commun : un système dynamique d’acteurs, de relations, de règles et d'actions
qui se situe à l'interface de l'individu et du collectif, du privé et du public, du marché et l'état.
• Un système (du grec sustema, ensemble organisé) est un ensemble organisé d’éléments en relation plus ou
moins dynamique les uns avec les autres.
• Un système dans la perspective de la systémique suppose plusieurs critères :
- Une organisation
- Une régulation
- Une gouvernance
7. Le problème du passage
du dynamique au systémique
• La dynamique du commun se caractérise par :
- une auto-organisation (la capacité de s’organiser soi-même),
- une autonomie (la capacité de se donner ses propres règles, ou lois)
- une autarcie (le gouvernement de soi, par soi).
• Le passage au système (fut-il un ‘système dynamique’) modifie la dynamique du commun.
• Questions :
- Comment le commun peut-il maintenir cette dynamique s’il entre dans un système triadique Commun - Etat - Marché
(le système ‘CEM’) ?
- De quelle nature sont les ‘compromis systémiques’ que le Commun peut ou doit faire avec l’Etat et le Marché ?
8. Le problème des compromis systémiques
• La notion de ‘compromis systémiques’ : un compromis de l’un des partenaires du système dans ses relations
avec les autres partenaires.
• Les compromis du Commun sur l’auto-organisation : ‘exo-organisation’ relative
• Les compromis du Commun sur l’autonomie : hétéronomie relative
• Les compromis du Commun sur l’autarcie : hiérarchie relative
• Ne pas oublier : les compromis systémiques de l’Etat et du Marché…
9. 2. Le système Commun-Etat-Marché
• Le système dyadique : Etat et Marché.
• Le système triadique : Commun, Etat et Marché
• David Bollier : ‘Pratiquement tous les biens communs sont des hybrides qui dépendent dans une certaine
mesure de l'état et des marchés’.
11. Les relations entre systèmes
• La dynamique propre à chacun de ces système :
- l’Etat / l’administration
- le marché / l’entreprise
- le commun / la société
• Les zones d’interface entre ces dynamiques :
- l’interface Etat / marché
- l’interface Commun / Etat
- l’interface Commun / Marché
12. L’interface Commun / Marché
‘…Peu de communs peuvent fonctionner dans un isolement total par rapport au reste de la société et aux
marchés...Si les communs doivent entrer en interaction avec les marchés, ils doivent être capables de résister aux
enclosures, au consumérisme, à l'appât de l'accumulation et autres pathologies habituelles du capitalisme.
Parvenir à un rapprochement soutenable entre communs et marchés est un défi complexe. Il est utile de rappeler
que les marchés ne sont pas forcément réductibles au capitalisme. Ils peuvent très bien être locaux, équitables,
réactifs vis-à-vis des besoins des communautés et responsables vis-à-vis de ces dernières. Néanmoins, dans nos
sociétés contemporaines, ces marchés sont le plus souvent intégrés à de vastes marchés nationaux ou
internationaux et donc menés en dernière instance par le 'droit divin du capital'. Les marchés capitalistes tendent à
produire d'énormes disparités de pouvoir qui affectent les droits des consommateurs, des travailleurs et des
communautés. Ils pillent la nature sans se soucier des conséquences à long terme. ’
13. Suite
Heureusement, de nombreuses communautés parviennent aujourd’hui, de mieux en mieux, à renforcer le contrôle
sur la structure et le comportement des marchés. Le secret d’une articulation satisfaisante entre communs et
marchés est…l’aménagement de ‘frontières défendables’ autour des communs, afin de s’assurer qu’ils pourront
préserver leur autonomie de principe. A l’époque médiévale…, si quiconque avait essayé de clôturer le commun
avec une barrière ou une haie privée, ils détruisaient cette dernière pour rétablir l’intégrité de leur commun… Notre
tâche aujourd’hui est d’inventer des équivalents modernes de ce ‘battage de bornes’…(La protection des
communs) peut se faire à travers des règles légales qui empêchent toute appropriation ou intervention externe ; ou
bien à travers les pratiques et les normes sociales qui constituent la gouvernance de ce commun ; ou bien encore
grâce à l’éloignement géographique des marchés ou grâce à des barrières technologiques. Dans (des situations
d’appropriation capitaliste), le faire commun devient un facteur de production parmi d’autres, qui peut se retrouver
aliéné des communs et privatisé. Il est donc important que les commoneurs élaborent les moyens de protéger les
fruits de leur travail et de reproduire leur faire commun dans le temps’.
14. L’interface Commun / Etat
‘Historiquement, les Etats ont très peu à voir avec les communs, à part tolérer leur existence ou collaborer avec
les acteurs du marché (entreprises, investisseurs, industries) pour les enclore. Le problème fondamental est que,
dès lors que la croissance économique entraîne mécaniquement une croissance de son pouvoir et de ses revenus
fiscaux, l'Etat est structurellement encouragé à passer alliance avec les forces du marché pour poursuivre la
privatisation et la marchandisation des ressources publiques. Il faut donc reconceptualiser le rôle de l'Etat et le
réorienter vers la facilitation et le soutien des modes de subsistance fondés sur les communs... Avancer l'idée des
communs comme secteur indépendant, doté de sa propre autorité morale et de son identité politique autonome,
séparément de l'Etat, requiert donc une certaine dose d'imagination culturelle. L'Etat peut et doit faire davantage
pour reconnaître l'autorité des communs en tant que véhicule servant l'intérêt public. Mais il est crucial de bien
calibrer le niveau désirable d'implication de l'Etat.
15. Suite
Il ne faut surtout pas que l'Etat se trouve trop engagé dans la supervision des communs, pour ne pas étouffer la
volonté des commoneurs de gérer leurs affaires eux-mêmes, ce qui est précisément le but du jeu. Pour autant,
l'Etat ne doit pas simplement se défausser de ses propres responsabilités en les transférant unilatéralement aux
citoyens sans soutien ni financement adéquat...L'Etat devrait reconnaître ouvertement que les communs auto-
organisés peuvent assurer certaines fonctions plus efficacement que l'Etat et que le marché, et avec une plus
grande légitimité, une plus grande équité et une plus grande participation...Les communs ne sont pas
nécessairement tous équitables et inoffensifs, et l'Etat a sans doute un rôle important à jouer dans l'établissement
d'un cadre minimal de règles basiques et de critères de performance - pour ensuite laisser a 'créativité distribuée'
des commoneurs inventer les solutions les plus appropriées localement.’
16. Le système CEM chez Bollier
• Thèse I : le Commun n’existe pas sans
l’Etat et le Marché
• Thèse II : il peut y avoir un ‘marché
commun’, mais la tendance du marché
rend nécessaires des limites au contrôle et
à l’intervention.
• Thèse III : il peut y avoir un ‘état commun’,
mais la tendance de l’état rend
nécessaires des limites au contrôle et à
l’intervention.
18. 3. La politique du commun
• Ce que le Commun fait au Marché : marché ‘commun’, marché coopératif…
• Ce que le Commun fait à l’Etat : état ‘commun’, état coopératif
• La politique du commun est un programme politique proposé par Dardot et Laval dans Commun.
• On peut défendre l’idée qu’il s’agit en fait d’une politique de communalisation de l’Etat et du Marché.
• On peut arguer de la pluralité des voies possibles, au-delà de la communalisation, qui insistent sur la dynamique du
système CEM et sur les problèmes qu’elle rencontre.
- Les politiques de régulation
- Les politiques de coopération
- Les politiques d’intégration
19. La politique du commun
‘Le commun est une construction politique, mieux : une institution de la politique…il oblige à concevoir une
nouvelle institution des pouvoirs dans la société…Il conduit à introduire partout, de la façon la plus profonde et la
plus systématique, la forme institutionnelle de l’autogouvernement, que l’on prendra soin de distinguer
de…l’autogestion, laquelle…se limite à la dimension de l’organisation et ne concerne que l’administration des
choses. Le commun…s’entend avant tout du gouvernement des hommes, des institutions et des règles qu’ils se
donnent pour ordonner leurs rapports. Il s’enracine donc dans la tradition politique de la démocratie…Il donne à
entendre qu’il n’est de monde humain souhaitable que celui qui est fondé explicitement et consciemment sur l’agir
commun, source des droits et des obligations, lié intimement à ce que depuis les Grecs on appelle la justice et
l’amitié…L’agir commun, en dépit de sa régression et de son dévoiement, engendre, surtout dans les moments de
convulsion et de subversion, de nouvelles institutions, de nouvelles œuvres, de nouvelles relations, de nouvelles
pratiques.
20. La politique du commun
‘Une politique délibérée du commun visera donc à créer les institutions d’autogouvernement qui permettra le
déploiement le plus libre possible de cet agir commun, dans les limites que se donneront les sociétés, c’est-à-dire
selon les règles de justice qu’elles établiront et auxquelles elles consentiront. La politique du commun…concerne
toutes les sphères sociales, pas seulement les activités politiques, au sens parlementaire et partidaire du terme, et
pas non plu les seules activité économiques. La politique du commun est toujours transversale aux séparations
instituées, elle met en acte une exigence démocratique à la fois généralisée et cohérente : c’est littéralement
‘partout’, dans tous les domaines, que les hommes agissent ensemble et doivent avoir la possibilité de participer
aux règles qui les affectent, au gouvernement des institutions dans lesquelles ils vivent, oeuvrent, travaillent. Une
telle politique du commun n’est pas réservée uniquement à de petites unités de travail et de vie séparées les unes
des autres. Elle doit traverser tous les niveaux de l’espace social, depuis le local jusqu’au mondial en passant par
le national’.
21. Les propositions politiques
(1) Il faut construire une politique du commun
(2) Il faut opposer le droit d’usage à la propriété
(3) Le commun est le principe de l’émancipation du travail
(4) Il faut instituer l’entreprise commune
(5) L’association dans l’économie doit préparer la société du commun
(6) Le commun doit fonder la démocratie sociale
(7) Les services publics doivent devenir des institutions du commun
(8) Il faut instituer les communs mondiaux
(9) Il faut instituer une fédération des communs
22. Les politiques de communalisation
• Les relations fondées sur la communalisation entraînent un changement de l’Etat et du Marché dans le sens du
Commun :
(1) L’Etat développe en son sein une culture du Commun :
- Les agents de l’Etat acquièrent une compétence en matière de Commun
- Les agents de l’Etat modifient leur performance dans la visée du Commun
(2) Le Marché développe en son sein une culture du Commun :
- Les agents du Marché acquièrent une compétence en matière de Commun
- Les agents du Marché modifient leur performance dans la visée du Commun
• Questions : Jusqu’où l’Etat et le Marché peuvent-ils s’ajuster au Commun sans se renier ?
23. Les politiques d’étatisation / marchandisation
• Les relations fondées sur l’étatisation ou la marchandisation entraînent un changement du Commun dans le
sens respectivement de l’Etat ou du Marché :
(1) Le Commun développe en son sein une culture de l’Etat :
- Les acteurs du Commun acquièrent une compétence en matière d’Etat
- Les agents du Commun modifient leur performance au regard de l’Etat
(2) Le Commun développe en son sein une culture du Marché :
- Les acteurs du Commun acquièrent une compétence en matière de Marché
- Les agents du Commun modifient leur performance au regard du Marché
• Question : jusqu’où le Commun peut-il s’ajuster à l’Etat et au Marché sans se renier ?
24. Les politiques de régulation
• Les relations fondées sur la régulation entendue dans le sens d’une production et d’une application de règles
(plus ou moins formelles) :
(1) L’Etat crée un cadre (légal, fiscal…) qui favorise / défavorise le développement des activités du Commun :
- ces activités sont de ‘service commun’ pour la communauté du Commun
- ces activités se substituent à ou complètent celles de service public pour d’autres communautés
(2) Le Marché jouit d’un cadre (légal, fiscal…) qui favorise / défavorise le développement des activités du Commun
:
- ces activités sont de ‘service commun’ pour la communauté du Commun
- ces activités se substituent à ou complètent celles de service privé pour d’autres communautés
• Question : - La création d’un cadre de règles est-elle le produit d’une co-régulation (bi-partite ou tripartite) ?
- Quelles sont les conditions et les conséquences de l’auto-régulation (Commun) à la co-régulation ?
25. Les politiques de la coopération
• Les relations fondées sur la coopération entendue dans le sens d’une production d’actions qui, à la différence de la
simple coordination, nécessitent sens collectif, culture commune et rapport de confiance :
(1) L’Etat développe une coopération avec le Commun :
- La coopération se développe dans une action commune
- La coopération se développe dans une organisation commune
(2) Le Marché développe une coopération avec le Commun :
- La coopération se développe dans une action commune
- La coopération se développe dans une organisation commune
• Question : Le développement d’une coopération est-elle le produit d’une co-organisation ?
• Quelles sont les conditions et les conséquences d’un passage de l’auto-organisation (Commun) à la co-organisation ?
26. Les politiques d’intégration
• Les relations fondées sur l’intégration suppose le développent :
(1) L’Etat développe une intégration avec le Commun :
- L’intégration se développe dans une organisation commune
- L’intégration se développe dans une institution commune
(2) Le Marché développe une intégration avec le Commun :
- L’intégration se développe dans une organisation commune
- L’intégration se développe dans une institution commune
• Question : le développement d’une intégration entre Commun, Etat et Marché entraîne-elle une bureaucratisation qui
nuit à la dynamique ?
27. Le modèle des politiques d’intégration
ETAT COMMUN MARCHE
Local Local Local
National National National
Européen - Mondial Européen - Mondial Européen - Mondial
28. Remarques conclusives
• Le Commun peut être appréhendé sur la base des problèmes qu’il doit affronter et régler en vue de se
développer et de se maintenir.
• Ces problèmes sont notamment les mutations de la dynamique du Commun (auto-organisation, autonomie,
autarcie) sous l’effet d’une évolution vers un système du Commun, de l’Etat et du Marché (CEM).
• Il faut mettre en œuvre en vue de développer et de maintenir ce système CEM une politique du commun, ou
plutôt, des politiques du Commun, qui ne peuvent se réduire à une communalisation de l’Etat et du Marché
(régulation, coopération, intégration).
• Néanmoins, au-delà des règles, des normes ou des procédures de gouvernance du Commun, on peut se
demander si un certain esprit du commun n’est pas déterminant pour son développement et son maintien.
• C’est là tout un registre de questionnement philosophique et anthropologique sur l’homme du Commun, qui doit
sans cesse se poser la question, dans l’action, la régulation, l’organisation, ou l’institution qu’il met en place ec
d’autres : ‘Esprit du Commun, es-tu là ?’.
29. Le principe politique du Commun
• Arendt
OIKOS AGORA
• Castoriadis
OIKOS AGORA
EKKLESIA