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Le Renouveau de la France viendra de son industrie, non des services, et d’une
approche nouvelle de l’industrie existante. Cette approche, c’est créer la valeur sur
place. Pour la culture française, c’est une révolution et une opportunité.
LE RENOUVEAU DE L’INDUSTRIE
FRANÇAISE
CRÉER LA VALEUR SUR PLACE
PAR BILL BELT
AVEC LA COLLABORATION DE
CHRISTOPHE FAURIE ET BERTRAND DELAGE
INSTITUT DU RENOUVEAU DE L’INDUSTRIE (IRI)
Renouveau de l’Industrie Française
DEDICACE
A la mémoire d’Alain Vaury, qui a eu l’initiative de ce travail, auquel il a contribué en
lui fournissant des exemples et des conseils, et qui nous a quittés prématurément.
Bill Belt
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Renouveau de l’Industrie Française
Table des matières
Table des matières................................................................................................................................3
1 Points principaux.................................................................................................................................6
2 Introduction.......................................................................................................................................... 8
3 L’idéologie qui FIT BASCULER le monde.........................................................................................10
3.1 Le déclin de l’Occident..............................................................................................................10
3.2 Les fondements idéologiques d’une crise sans précédents......................................................10
3.3 La fortune de la « supply chain »..............................................................................................11
3.4 L’effondrement d’un mythe.......................................................................................................12
3.5 Tempête parfaite et Axe du Mal................................................................................................13
3.6 L’Amérique redécouvre l’industrie fondamentale......................................................................13
4 Le monde après la tempête...............................................................................................................16
4.1 Deux grands pays dévastés par une idéologie commune........................................................16
4.1.1 USA : battus en brèche mais combatifs.............................................................................16
4.1.2 Angleterre : chronique d’une mort industrielle annoncée...................................................17
4.2 Les résistants au changement, champions de l’industrie..........................................................17
4.2.1 La locomotive allemande...................................................................................................17
4.2.2 Le Japon : Allemagne asiatique.........................................................................................18
4.3 Les pays émergents : guerre economique à l’Occident............................................................18
4.3.1 La Chine : l’ennemi qui aurait préféré nous ignorer ..........................................................19
4.3.2 L’Inde : énigme bouillonnante............................................................................................19
4.4 Pays de l’Est : interrogation......................................................................................................19
4.4.1 Que dire de l’Europe de l’Est ?..........................................................................................20
4.4.2 Russie : grand ours malade...............................................................................................20
4.5 La France au milieu du gué......................................................................................................20
4.5.1 La désindustrialisation de la France ................................................................................20
4.5.2 L’avis ce cet Américain en France : les Français sont d’excellents industriels..................21
4.5.3 La culture industrielle de la France....................................................................................21
4.5.4 La France possède des atouts décisifs..............................................................................22
5 Créer la valeur sur place....................................................................................................................23
5.1 Le Renouveau de l’Industrie c’est Créer la valeur sur place.....................................................23
5.2 créer la valeur sur place : un cas.............................................................................................23
5.3 Créer de la valeur sur place, c’est utiliser le capital social de l’entreprise................................24
5.4 Les techniques de gestion de production modernes veulent créer la valeur sur place.............25
5.5 Les techniques de gestion de production modernes sont utilisées à contre-emplOI................26
5.6 Pour créer la valeur sur place, il faut considérer l’employé comme UNE source de valeur......28
6 Conclusion.........................................................................................................................................30
a. nord et sud..................................................................................................................................30
b. ancien et moderne, ....................................................................................................................30
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c. membre fondateur de l’Occident et pilier de la communauté internationale................................30
7 Bill Belt : Note biographique..............................................................................................................31
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1 POINTS PRINCIPAUX
Le Renouveau de la France viendra du renouveau de son industrie, non des
services, et davantage par une approche nouvelle de l’industrie existante que par la
création d’une nouvelle industrie. Cette approche, c’est « la création de valeur sur
place ». Pour la culture française, c’est une révolution et une opportunité.
Depuis 20 ans, le monde a été envahi par une idéologie de trois absolus à la mode :
l’informatique + l’argent + la supply chain. Du coup, le savoir-faire occidental a été
délocalisé et éparpillé sur la surface de la planète. Cette idéologie a laissé
l’économie de l’Occident dévastée. L’Orient, lui, a profité massivement de transferts
de technologies, et souhaite mettre un terme définitif à l’hégémonie occidentale.
L’Occident doit reconnaître et corriger ses erreurs. Cela signifie surtout créer la
valeur sur place, là où se trouvent clients, savoir-faire et capitaux – ce qui est la
fondation-même des techniques modernes d’innovation et de gestion industrielle. En
exploitant sciemment son massif savoir-faire pour l’innovation et la production,
l’industrie française prendra à contre-pied les courants de pensée actuellement en
selle et engendra un nouvel essor.
Mais les français semblent ignorer que la France possède des atouts majeurs pour
réussir cette transformation. Ils ignorent, ou pire ne veulent pas savoir, que son tissu
industriel est exceptionnellement riche, sa culture est un avantage concurrentiel
décisif, sa capacité d’innover est reconnue.
Créer de la valeur sur place implique que toute entreprise a un savoir-faire qui ne
demande qu’à être exploité, que c’est son personnel qui le possède et que c’est à la
Direction de le mettre en valeur et le développer. Un tel discours peut-il être entendu
dans un pays où trop souvent l’affrontement, non la collaboration, est de rigueur ?
* * *
Dans les pages qui suivent, voilà la vision pragmatique d’un Américain, spécialiste
de gestion industrielle, qui a travaillé avec beaucoup d’entreprises dans beaucoup de
pays depuis trois décennies, mais qui connaît bien la France et souhaite voir le
renouvellement de sa puissance économique et politique à travers de son industrie
pour aider l’Occident à trouver son salut face aux défis redoutables du 21ème
siècle.
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2 INTRODUCTION
Comme disait Tocqueville, la France est souvent trop intellectuelle et trop peu
pratique. Elle se grise de grandes idées et ne voit pas qu’il lui en faudrait en réalité
fort peu pour accroître sa puissance économique et son influence.
J’espère pouvoir verser un peu du bon sens pragmatique américain au débat, d’où le
présent manifeste. Il a 3 parties :
1. La première rappelle que c’est une confluence d’idéologies de prédilection anglo-
saxonne qui a causé la crise actuelle. La France les a avalées. Aujourd’hui le
monde, les Etats-Unis en tête, reconnaît lentement l’erreur et tâche de réagir en
prenant le contre-pied. La France ayant évité le pire de l’engouement idéologique
initial, peut maintenant réagir plus vite.
2. La seconde partie de ce manifeste fait un état des forces mondiales en présence.
Contrairement aux idées reçues, la France a des atouts industriels exceptionnels.
3. La troisième partie montre comment susciter le renouveau de l’industrie française
en « créant la valeur sur place », en transformant en avantage concurrentiel, le
savoir-faire présent dans chaque entreprise. Pas besoin d’État ni de capitaux
pour cela : le sort du Renouveau de l’industrie française est entre les mains… des
français !
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3 L’IDÉOLOGIE QUI FIT BASCULER LE MONDE
Être un Américain, c’est voir naître et épanouir les idéologies économiques et
industrielles à leur source. Car les choses vont vite aux USA, et l’idéologie des trois
absolus--l’informatique + l’argent + la supply chain--a pris pied d’abord aux USA.
Selon cette idéologie : (1) la marche de l’histoire allait de l’industrie aux services ; (2)
les pays occidentaux doivent abandonner la première, pour se spécialiser dans les
seconds ; et (3) la nouvelle ère « postindustrielle » allait être bénéfique pour tous
grâce à une connectivité sans bornes.
3.1 LE DÉCLIN DE L’OCCIDENT
A l’évidence, la France, les USA et l’Occident dans son ensemble, perdent de leur
pouvoir économique et de leur influence diplomatique dans ce début du 21ème
siècle.
Le déclin est-il inévitable et irréversible ?
Pour répondre à cette question, relisons l’histoire de ces dernières décennies.
L’actuelle crise économique a pour origine, paradoxalement, la victoire de la Guerre
Froide par l’Occident, la victoire du « capitalisme » sur le « communisme ».
L’Union Soviétique, minée par ses contradictions, s’est effondrée de l’intérieur
comme l’avait prévu George Kennan, auteur de la doctrine du « Containment1
»
Mais de là l’Amérique a cru à une victoire définitive du modèle capitaliste défendu
alors par Alan Greenspan, Ronald Reagan et Margaret Thatcher, modèle vulgarisé
précédemment par le philosophe et écrivain russo-américain Ayn Rand dans les
années 40 et 50.
C’est ce modèle d’extrême capitalisme, poussé à l’absurde, souhaitant tout régler par
le « marché », plus la disparition du contrepoids soviétique, qui explique l’état
déboussolé et les crises que connaissent l’Occident et le monde depuis bientôt trois
décennies.
3.2 LES FONDEMENTS IDÉOLOGIQUES D’UNE CRISE SANS PRÉCÉDENTS
Ce modèle affirmait qu’étant arrivés à l’ère postindustrielle, les pays les plus avancés
économiquement devaient se spécialiser dans des services et des tâches
intellectuelles de conception, laissant la production à des pays émergents. Etayé par
un système de calcul de coût standard désuet et impropre au 21ème
siècle, le modèle
à conduit à la délocalisation de l’industrie occidentale dans des pays à faible coût de
main d’œuvre.
A cause de la primauté donnée à la « main invisible » du marché, idée forte dans la
culture des Etats-Unis, le « laissez-faire » y a joué un rôle central. L’idée a été
rationnalisée par Adam Smith, le père de l’économie moderne, et le théoricien de la
1
Doctrine selon laquelle, les USA devaient empêcher l’expansionnisme soviétique, réel moteur du
régime.
Bill Belt
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globalisation. Leo Rosten dit de lui : « il a virtuellement fondé une religion séculière –
l’individualisme – et « La Richesse des Nations » est devenue sa bible ».
La Richesse des Nations (1776) affirme que l’homme, laissé à ses instincts
primaires, fait le bonheur de la société : « en suivant son propre intérêt (l’individu)
favorise généralement celui de la société avec plus d’efficacité que lorsqu’il veut
effectivement le faire », il est « conduit par une main invisible à favoriser une fin qui
ne faisait pas partie de ses intentions ». L’égoïsme est donc revendiqué comme une
vertu cardinale dans les écrits d’Ayn Rand, qui fut, en particulier, le gourou d’Alan
Greenspan, directeur de la Réserve Fédérale américaine de 1986 à 20072
.
Le laissez-faire débridé a dominé l’Amérique et le monde : les marchés financiers ont
été laissés à eux-mêmes et les entreprises ont branché leur écoute sur Wall Street.
Les universitaires du management les plus admirés et les cabinets de conseils les
plus influents les y encourageaient en leur donnant pour modèle… Enron !
Le triomphe du laissez-faire et de l’argent s’est combiné avec deux autres idées —
les nouvelles technologies de l’information et de la communication (le « e-
business ») ; puis la supply chain mondiale, pour donner naissance à cette idéologie
néfaste qui faisait croire que l’on touchait au Nirvana3
.
3.3 LA FORTUNE DE LA « SUPPLY CHAIN »
Le concept de la supply chain, ou chaîne logistique, est né en 1991. Les travaux
initiaux, du cabinet Kurt Salmon Associates, visaient la réduction des stocks
(importants) des chaînes d’approvisionnement des primeurs américains.
Selon le point de vue des globalistes ou de la Nouvelle Economie, point de vue dont
les champions furent entre autres les dirigeants d’Enron, la valeur d’une supply chain
est dans l’échange lui-même, pas dans la production. Cette idée fait écho au constat
de Marshall McLuhan, le pape du monde connecté : « Le monde est devenu un
village global ; le moyen de communication EST le message. »
Voici un exemple pas si caricatural du concept de supply chain. Un poulet élevé en
Amérique latine, où il est congelé, est expédié en Chine, où il est découpé, puis
envoyé ensuite Amérique, où il est consommé. Des exemples kilométriques
similaires existent avec le haddock, les citrons, les petits pois, le kiwi, les gaufres et
l’eau en bouteille.
Comme le poulet, le savoir-faire industriel occidental a été démembré, les gains de
productivité occidentaux avalés dans un tourbillon de conditionnement, de transports
et de stockages, répété à l’envi.
2
Cependant le capitalisme innovateur prôné par Ayn Rand n’a rien à voir avec l’essor des marchés
financiers et leur rupture avec l’économie réelle, du fait de la combinaison informatique / outils
complexes (que même leurs créateurs ne comprenaient pas, selon l’avis de Warren Buffett).
3
Beaucoup d’observateurs ont jugé la Nouvelle Economie comme un mouvement millénariste.
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3.4 L’EFFONDREMENT D’UN MYTHE
Quelle est donc la logique économique de la « supply chain » ? En réponse à cette
question, le cabinet Deloitte a publié en 2009, une étude qui montre que la
délocalisation de l’industrie, la création de supply chains mondiales, et la logistique
à-tout-va, ne rapportent rien, au contraire.
Ainsi, le Retour sur Actif des entreprises américaines dans 15 secteurs industriels a
diminué régulièrement depuis 20 ans pour atteindre 25% de son niveau de 1965 (!).
Les gains de productivité obtenus dans cette période auraient été absorbés par la
concurrence.
L’exemple de Boeing. Une gestion exclusivement financière l’a amené à confier à
ses sous-traitants le maximum de risques financiers. Boeing a sous-traité jusqu’à la
conception et la réalisation de pièces critiques du 787 « Dreamliner » (la conception
des ailes et de leur attachement au fuselage). Résultat : les retards pris par les
fournisseurs, non préparés à ce nouveau métier, s’élèvent à 2 ans et ont coûté une
fortune à Boeing, qui a dû supprimer 10 000 emplois, soit 6% de son personnel. Pour
parer à ce désastre, Boeing commence à racheter ses sous-traitants et a ré-
centraliser la conception et la réalisation de certaines pièces.
S’il y a une logique dans cette idéologie, elle doit être cherchée du côté du poulet !
Les bénéfices que celui-ci tirait de ses voyages étaient d’éviter les conséquences
des droits de l’homme : en particulier les normes de sécurité et d’hygiène
occidentales, d’où un coût de main d’œuvre directe dérisoire.
C’est cette supposée économie que toutes les supply chains ont cherché à
récupérer. Ce faisant, elles ont réalisé ce que les financiers appellent un
« arbitrage », l’élimination d’une irrationalité du marché. Comme à la bourse,
l’arbitrage fut un feu de paille. Il n’a profité qu’à une petite élite.
Et c’est bien ce que l’on découvre aujourd’hui. Le monde anglo-saxon se réveille de
ses illusions. Sa vision des pays émergents se transforme brutalement : le Far West,
« land of opportunity », c’est fini. Le mythe d’un Occident concepteur et d’un Orient
producteur a fait long feu. L’Orient est capable d’innover aussi bien que l’Occident, et
sans romantisme. On découvre soudainement que les pays émergents ont toujours
refusé la logique du marché (l’échange) pour en faire le champ de bataille d’une
guerre à outrance.
« Leurs champions réécrivent les règles du jeu en se battant sur l’innovation, la carte
maîtresse qui était supposée permettre aux entreprises européennes et américaines
de rester concurrentielles en dépit de coûts élevés, du poids énorme des retraites
futures, et de contrats sociaux douillets. » dit Peter Williamson professeur à
l’Université de Cambridge. L’enthousiasme béat fait place à l’inquiétude. « Ceux qui
affrontent la concurrence directe (ou indirecte) du (…) grand nombre de diplômés
que produisent la Chine et l’Inde, souffrent. » Or, on découvre soudainement qu’ils
étaient déjà les perdants de ce que l’on a cru une période bénie « les personnes qui
sont dans les 40% du bas de la distribution des revenus aux USA n’ont vu aucune
amélioration de leurs conditions de vie réelles en 20 ans – en dépit de la plus longue
période de croissance économique connue en un siècle. »
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Le laissez-faire débridé n’a pas bénéficié aux personnes dans la bosse de la
distribution gaussienne.
3.5 TEMPÊTE PARFAITE ET AXE DU MAL
L’idéologie postindustrielle n’aurait pu avoir l’effet dévastateur que nous lui
connaissons sans l’avènement concomitant d’une informatique surpuissante et de
l’Internet. Ce premier absolu se joignant à l’argent et à la supply chain dans
l’idéologie infernale actuelle, est devenu l’outil de travail privilégié des acheteurs,
étant dorénavant mandatés comme prêtres de la religion de la supply chain. L’Axe
du Mal composé de la supply chain + l’informatique + l’argent était complet.
En permettant un divorce entre services financiers et réalités physiques des produits
et des services industriels sous-jacents, l’Axe du Mal a provoqué la bulle Internet, les
scandales d’Enron, Tyco, et Worldcom, la chute de Lehman Brothers et de plusieurs
banques nationales et internationales, la crise financière de 2008, l’endettement
massif de l’Occident, et des bouleversements sociaux, économiques et humains
d’une échelle inconnue depuis la Grande Dépression de 1929.
3.6 L’AMÉRIQUE REDÉCOUVRE L’INDUSTRIE FONDAMENTALE
Si l’Amérique est susceptible à l’idéologie, elle est aussi pragmatique. La crise lui a
fait comprendre qu’elle s’était trompée. Que la valeur n’était pas, ou minoritairement,
dans l’échange mais qu’elle était essentiellement dans la production du bien
matériel. Elle veut maintenant se réindustrialiser.
D’ailleurs, comme toujours dans mon pays, cette prise de conscience a été préparée
par une poignée de résistants, plus ou moins bien connu. Par exemple, Eamonn
Fingleton, d’origine irlandaise, a tout du héros d’Hollywood qui lutte contre le courant
dominant. Grand journaliste (il a été éditeur du Financial Times et de Forbes), grand
connaisseur du Japon où il a longuement habité, il a attaqué méthodiquement les
idées reçues de la nouvelle idéologie néfaste. Il les a démontées, une à une, par
des livres d’enquête impressionnants par la réalité des exemples présentés.
Il a dénoncé, tour à tour, la bulle immobilière japonaise, l’idéologie
« postindustrielle », la stratégie économique suicidaire de l’Amérique à l’égard de la
Chine, la stupidité de la guerre d’Irak. Voici ce qu’il disait, il y a plus de 10 ans, de
l’illusion postindustrielle4
.
Une économie de services a 3 caractéristiques principales :
1. montée de chômage structurelle pour tous sauf pour des élites ;
2. croissance de revenus faible ; et
3. faiblesse des exportations.
4
“In Praise of Hard Industries: Why Manufacturing, Not the Information Economy, Is the Key to Future
Prosperity”, Houghton Mifflin Harcourt (1999).
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Face à cela, l’industrie offre :
1. un emploi pour tous, y compris les moins qualifiés – exigence fondamentale de
l’équilibre social ;
2. une création de valeur, donc des salaires, sans commune mesure avec celle des
services ; et
3. l’accroissement continu de l’avantage concurrentiel initial, du fait d’une double
capitalisation financière et en savoir-faire. Autrement dit une fois une industrie
installée, elle jouit d’une pérennité forte.
En conséquence, les USA se doivent de :
1. Augmenter le taux d’épargne de la population.
2. Allouer une grosse part de cette épargne à l’innovation et à la production.
3. Assurer la rentabilité des entreprises industrielles, en termes de retour sur
investissement.
4. Améliorer la qualification des employés.
5. Arrêter la fuite de technologies de production à l’étranger
Bill Belt
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Bill Belt
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4 LE MONDE APRÈS LA TEMPÊTE
Où en sont les grandes nations et blocs mondiaux après cette tempête ?
1. Les USA et surtout le Royaume-Uni sont durablement affaiblis.
2. Le Japon et l’Allemagne, qui n’ont pas cédé aux sirènes du service, sont des pays
vieillissants et dont l’innovation est handicapée par une chute de population liée à
une xénophobie endémique.
3. Les pays émergents ont formidablement profité de transferts de compétences des
pays occidentaux, et les battent maintenant à leur propre jeu : l’innovation. Mais,
ils sont fragiles.
4. La France a été dévastée. Mais elle conserve des atouts uniques. Son tissu
économique est exceptionnellement riche et diversifié, ses aptitudes culturelles de
grands innovateurs / industriels, ignorées de la plupart des Français, lui ouvrent
des marchés inaccessibles aux champions allemands et japonais.
4.1 DEUX GRANDS PAYS DÉVASTÉS PAR UNE IDÉOLOGIE COMMUNE
Les pays anglo-saxons payent le prix de leur erreur idéologique.
4.1.1 USA : battus en brèche mais combatifs
L’engouement logistico-informatico-financier a eu des effets dévastateurs pour
l’industrie. Elle n’emploie plus que 12 millions de personnes. Sa production vise
surtout la consommation intérieure du pays (voitures, BTP), et encore, elle importe
37% de ses besoins (cf. l’électronique). Des 15 principales économies industrielles
mondiales c’est celle qui est la moins tournée vers l’exportation.
L’Amérique a commencé à rapatrier les emplois délocalisés, et devient de plus en
plus protectionniste. Mais, si la crise a fait prendre conscience aux Américains que la
« vraie valeur » est dans « l’économie réelle » :
1. 25 ans de délocalisations ont fait perdre énormément de savoir-faire, et
2. le niveau de qualification moyen, qui a toujours été médiocre, a été encore réduit
par la télévision, la drogue et les armes.
Cependant les USA accueillent toujours un nombre important d’immigrés de partout
dans le monde, d’Amérique du Sud et d’Asie en particulier. Ils veulent apprendre,
entreprendre, et gagner de l’argent. La culture américaine du 21ème
siècle se
transforme en une mosaïque de cultures, tout en conservant des valeurs fédératrices
communes.
J’aurais tendance à parier que, comme Barack Obama, l’Amérique n’est jamais aussi
intelligente, sympathique, et dangereuse, que quand elle est dos au mur.
Bill Belt
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4.1.2 Angleterre : chronique d’une mort industrielle annoncée
L’Angleterre s’est sabordée sciemment sur le plan industriel, au profit d’une
« industrie » financière qu’elle voulait première au monde. La vraie industrie anglaise
manufacturière n’est que l’ombre de ce qu’elle était. De grandes entreprises telles
que BT, Royal Mail, British Airways sont maintenant dans un état désastreux.
L’industrie de l’énergie, totalement déréglementée, a été vidée de sa substance par
ses propriétaires, à tel point que l’Angleterre se demande si l’électricité ne manquera
pas aux Jeux Olympiques. Ses champions industriels (Cadbury récemment) sont
achetés les uns après les autres, et leurs emplois délocalisés…
Comme les USA, l’Angleterre connaît une immigration importante. Mais elle en
souffre. D’ailleurs, le système de classes/castes existe toujours en Angleterre, ce qui
nuit au dynamisme du pays.
Je ne la vois pas se relever dans un proche avenir. Ce sera une grande perte pour
l’Occident.
4.2 LES RÉSISTANTS AU CHANGEMENT, CHAMPIONS DE L’INDUSTRIE
Si le Japon et l’Allemagne ont aussi bien résisté à la vague idéologique anglo-
saxonne, c’est qu’elle contredisait une idéologie qui leur était propre.
4.2.1 La locomotive allemande
Depuis les origines de l’ère industrielle, l’Allemagne a été une puissance technique et
industrielle. La notion d’industrie forte est indissociable de l’idée même de nation
allemande. Celle-ci a toujours entretenu une vision stratégique et une politique
industrielle à long terme.
Conscient de son savoir-faire industriel, le pays est protectionniste et se méfie de
tout ce qui n’est pas issu de sa propre pensée industrielle. La mainmise des
Prussiens et de l’Allemagne du nord sur le pays n’a fait que renforcer son amour de
l’industrie lourde et des gros investissements.
D’une certaine façon l’excellence industrielle allemande a longtemps été un
contrepoids à l’immaturité démocratique du pays, qui s’est constitué en nation très
tardivement.
Ces facteurs culturels expliquent la résistance allemande à l’idéologie supply chain +
informatique + argent. L’Allemagne a sauvé son industrie et considère aujourd’hui
que la crise n’est pas la sienne.
Elle apparaît plus que jamais comme la locomotive industrielle de l’Europe. Au cœur
de ce succès, se trouve son système éducatif, qui devrait être une source
d’inspiration pour la France. Ses forces sont l’importance donnée aux disciplines
techniques et d’ingénierie (par opposition aux mathématiques) et à l’apprentissage
comme partie intégrante de l’éducation. Cependant, il connaît un passage à vide
depuis quelques années.
Bill Belt
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Renouveau de l’Industrie Française
Le revers de la médaille est une certaine xénophobie industrielle et une rigidité des
processus et de la pensée allemande. Tout y est toujours présenté en termes ultra-
compliqués avec 4 ou 5 dimensions et des raccordements dans tous les sens. Ce
qui va très bien pour la philosophie, va moins bien pour les systèmes de gestion
industrielle, qui doivent être robustes et s’appuyer sur une logique transparente.
Après deux guerres qu’elle a déclenchées (ou une guerre en deux phases
sanglantes), l’Allemagne et sa politique semblent s’être assagies. Mais la
réunification (appelée par certains « nettoyage économique ») a pesé lourdement sur
ses performances. À quoi s’ajoute un problème préoccupant de dénatalité. Chose
inimaginable lors de la réunification, d’ici quelques années la France sera plus
peuplée que l’Allemagne, donc plus jeune.
4.2.2 Le Japon : Allemagne asiatique
Le Japon ressemble à l’Allemagne sur certains points : reconnaissance de
l’importance de l’innovation et de l’industrie, politique nationaliste, une certaine
xénophobie. L’Américain se rappelle aussi qu’il a fallu deux bombes atomiques coup
sur coup pour mettre un terme à l’expansionnisme japonais (rappelons également
que la reddition de l’Allemagne a coûté 24 millions de morts, dont 12 millions de
Russes).
Le Japon continue à investir lourdement dans l’innovation et dans l’industrie et à
exporter énormément.
Sa faiblesse majeure est sa dénatalité : comme la Russie et l’Allemagne, le Japon
est en train de « fondre ». À cela s’ajoutent sa xénophobie, son insularité et aussi
une certaine démotivation de ses jeunes générations peut-être découragées par un
mode de vie rude. (Le taux de suicide des jeunes japonais est le plus important du
monde.) Le pays donne l’impression de se replier doucement sur lui-même.
4.3 LES PAYS ÉMERGENTS : GUERRE ECONOMIQUE À L’OCCIDENT
Quelques mots sur deux pays émergents importants : la Chine et l’Inde.
La France perçoit mal la menace qu’ils présentent, contrairement à l’Amérique qui
est leur premier champ de conquête.
Avec des démarches et des cultures très différentes, la Chine et l’Inde se rejoignent
dans une sorte de mise en coupe réglée systématique de secteurs économiques
stratégiques : sidérurgie, pharmacie, automobile, et bientôt aéronautique.
Ils auront parfait leur œuvre lorsqu’ils auront dépassé l’Occident en termes
d’innovation, alimentée par les transferts technologiques et par d’autres façons
d’acquérir le savoir-faire.
Mais la Chine et l’Inde ils se ressemblent aussi par la fragilité inquiétante de leur
édifice social.
Bill Belt
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4.3.1 La Chine : l’ennemi qui aurait préféré nous ignorer
La Chine se voit toujours comme le centre du monde et n’a rien à faire de l’Occident,
qu’elle perçoit comme un ennemi culturel et économique.
Dans l’avenir proche, la Chine et les USA vont constituer les deux colosses qui
domineront la planète. Malgré l’opposition congénitale entre la Chine et l’Occident,
le danger de guerre autre qu’économique est à mon avis nul. La guerre se fera sur
les plans économique, culturel, sportif et politique.
Comme l’Inde, la Chine a assimilé les technologies qu’elle a reçues de l’Ouest. Elle
parie maintenant sur l’innovation pour le dépasser. La menace est donc redoutable.
Mais le pays est un volcan que le Parti Communiste a beaucoup de mal à empêcher
d’exploser.
4.3.2 L’Inde : énigme bouillonnante
Le phénomène indien, si présent et si préoccupant pour les États-Unis, est inconnu
de la France, qui est protégée par sa langue.
L’Inde, avec sensiblement le même nombre d’habitants que la Chine, a des atouts
différents. Elle parle anglais et possède une classe moyenne embryonnaire.
Beaucoup d’Indiens ont été éduqués aux États-Unis. L’Inde n’est pas un vrai allié de
l’Occident pour autant, sa place culturelle historique reste en Orient.
Ce qui pousse son développement économique est son invasion du marché des
services. L’Inde concurrence les USA aujourd’hui non seulement en termes de main
d’œuvre directe, mais aussi en termes d’ingénieurs, chercheurs et médecins, tous
beaucoup moins chers qu’aux USA.
Par exemple, l’Inde a inventé des traitements médicaux révolutionnaires, accessibles
aux couches les plus pauvres de la société. Les interventions chirurgicales, même
les plus délicates (cataractes, remplacements d’organes), sont conçues pour tous,
pas seulement pour les riches. Cette approche dite « du bas de la pyramide »
caractérise tout ce que fait l’Inde : concevoir ce qu’il y a de mieux pour le plus grand
nombre, ce qui était à l’origine une devise américaine.
Les faiblesses de l’Inde sont aussi différentes de celles de la Chine. Corruption
rampante, inefficacité légendaire du gouvernement indien, système de castes… sont
autant de freins.
L’équilibre du pays est un miracle difficile à expliquer. J’en suis arrivé à croire que ce
qui aidera à sauver l’Inde d’elle-même sera (à part l’existence de l’anglais comme
langue nationale qui fait la jonction parmi les 450 langues indiennes), c’est le cricket !
Ce sport anglais crée des liens insolites parmi l’Inde et le Pakistan, le Bangladesh,
l’Australie, l’Afrique du Sud et… la Jamaïque !
4.4 PAYS DE L’EST : INTERROGATION
La Russie et l’Est de l’Europe ont adopté avec enthousiasme l’idéologie américaine.
Mal leur en a pris.
Bill Belt
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4.4.1 Que dire de l’Europe de l’Est ?
Les pays de l’est sont disparates, et les généralités n’ont pas de sens en ce qui les
concerne.
Ils sont parvenus à traverser la crise, qui aurait pu leur être fatale, mais au prix de
cures de rigueur qui risquent de les laisser affaiblis. Difficile de savoir ce qu’il en
résultera.
4.4.2 Russie : grand ours malade
Peuple impressionnant, avec une grande tradition littéraire et intellectuelle, partagée
entre l’Occident et l’Orient, son développement historique a été arrêté et abîmé par
70 ans de régime totalitaire.
De loin on peut regretter l’état pitoyable de la Russie, qui se dépeuple au même
rythme que le Japon. Mais de près, la Russie est un pays difficile, pétrie de crime,
ses lointaines racines occidentales demeurant malheureusement de plus en plus
impossibles à distinguer.
En partie, sa situation actuelle — corruption, misère, avenir bouché — est due à la
contamination des idées capitalistes (formulées en grande partie par l’émigrée russe
qu’était Ayn Rand) qui ont envahi la Russie lors de la chute du communisme.
Personne n’a rien pu faire pour structurer tant soit peu la transition, en supposant
que cela ait été possible. La doctrine du « laissez-faire » a autorisé tout, même les
pires abus, aux noms d’un « capitalisme » et des « marchés libres » retrouvés.
4.5 LA FRANCE AU MILIEU DU GUÉ
Comme d’habitude, la France a une position unique à elle. Tout en absorbant
l’idéologie de la supply chain + l’informatique + l’argent sans énormément de
discernement, la France doit remercier son inertie naturelle de l’avoir sauvée d’un
naufrage définitif. Malheureusement cette même inertie fait que le renouveau peut
être trop long pour saisir l’opportunité.
4.5.1 La désindustrialisation de la France
La France n’a pas évité la désindustrialisation. Le textile, la machine-outil,
l’électroménager, les télécoms… et même Peugeot et Renault en ont été les
champions, en :
1. sous-traitant le maximum de compétences à leurs fournisseurs et
2. en soumettant ces sous-traitants, sans préparation, à une concurrence
destructrice.
Une stratégie qui ne se préoccupe que de réduire des coûts au lieu de créer la
valeur.
Bill Belt
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Heureusement les multiples amortisseurs français ont évité une totale déroute. Mais
la situation continue à se dégrader. Or, si les Présidents Chirac et Sarkozy se sont
inquiétés de la perspective d’une France sans usines, si Nicolas Baverez a sonné
l’alarme en disant « La France est en Faillite », sans solution concrète la situation
continue à se dégrader. Le Titanic national s’approche de l’iceberg avec résignation.
Dommage, car la France a des atouts exceptionnels.
4.5.2 L’avis ce cet Américain en France : les Français sont d’excellents industriels
Des décennies d’expérience principalement dans l’industrie américaine et française
mais aussi dans d’autres pays (Suisse, Belgique, Angleterre, Irlande, Allemagne,
Autriche, Ukraine, Japon et Maroc) m’ont convaincu que les Français sont
d’excellents industriels. Mais peu de Français sont prêts à me croire.
L’idée répandue, celle du Français dilettante, amateur, brillant concepteur mais peu
enclin à la rigueur, à l’image de Gaston Lagaffe, n’est pas confirmée par l’histoire.
De nos jours, la France est toujours le 5ème
pays industriel du monde, après les USA,
la Chine, le Japon et l’Allemagne. Et la France a une histoire industrielle aussi
longue que celle de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la Hollande.
Et beaucoup de ses entreprises sont durables. Chose inconcevable pour un
Américain, j’ai connu une entreprise française qui a fêté son tricentenaire : De
Dietrich, en 1984. L’entreprise a donc été fondée en 1684 sous… Louis XIV, qui à
l’époque n’avait que 46 ans ! Et ce n’est pas le seul exemple de la longue histoire
industrielle de la France.
A mon avis, les français sont d’excellents industriels, mais doivent se le rappeler !
4.5.3 La culture industrielle de la France
La France en tant que pays a tenu la route depuis 987et même avant, constituant un
ensemble national précédant les autres pays occidentaux. La France a défendu les
valeurs de l’Occident à plusieurs reprises : citons seulement les batailles de Poitiers
en 732 et Verdun en 1916 et bien entendu la présence française dans la Guerre du
Golfe en 1991 et en Afghanistan aujourd’hui.
La logique de la désindustrialisation a néanmoins fait perdre aux Français jusqu’au
sentiment d’être de grands industriels avec une grande industrie. Bien des secteurs
cités ci-dessus, ont disparu en partie ou totalement. Depuis qu’Alcatel s’est défait
volontairement de ses usines pour s’orienter vers les services purs, cette société a
perdu en quelque sorte son âme et ses profits.
La législation réduisant le temps de travail à 35 heures a énormément pénalisé
l’industrie française ainsi que les Français, en introduisant le stress dans l’économie
et dans la vie professionnelle, rendant le travail dans l’industrie encore moins
attrayante. Au lieu de vivre pour faire un travail intéressant et épanouissant et
élever une famille, on se préoccupe beaucoup de ses loisirs et de « réussir ses
vacances ».
Bill Belt
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Renouveau de l’Industrie Française
Mais les fondations plus sérieuses sont toujours là ; dans une étude/enquête réalisée
en février 2010, l’Usine Nouvelle juge que 9 secteurs de pointe sur 15 sont
« compétitifs » par rapport à 6 sur 15 « menacés ».
4.5.4 La France possède des atouts décisifs
Les Français sont de bons industriels pour au moins trois raisons :
1. Une longue histoire industrielle et une culture nationale d’une solidité et d’une
homogénéité uniques ;
2. Une capacité de communication « horizontale5
», dans l’entreprise, par opposition
à la communication allemande et même américaine, qui est plus « verticale » ou
« top-down » ; et
3. une flexibilité et une débrouillardise face aux problèmes quotidiens qui donne à la
France une grande capacité d’innovation et de production et d’innovation.
Ces trois caractéristiques se marient remarquablement bien avec les exigences
industrielles modernes.
1. Pour réussir aujourd’hui, il faut avoir d’abord un savoir-faire considérable et un
système éducatif performant. En outre, les défis sont tellement complexes qu’il
faut s’appuyer sur les ressources partagées d’un groupe pour les surmonter. On
ne peut plus simplement donner des ordres ; il faut créer une vision et savoir
mobiliser les équipes de l’entreprise pour réaliser cette vision. D’où l’importance
de la communication horizontale.
2. Bien que la mise en œuvre programmatique existe toujours (dérouler une
procédure standard pour faire de la Qualité « bon du premier coup » par
exemple), la création de ces mêmes procédures et l’identification et la résolution
de problèmes incombent aux groupes de personnes travaillant au sein-même des
processus de l’entreprise. C’est le cœur des techniques de management
industriel moderne.
5
Cette observation surprend tous les Français à qui je la fais. Le Français se croit un Gaulois du
village d’Astérix, incapable de s’entendre avec son voisin (mais dont l’histoire finit par un grand festin
en commun !). En fait, si les rapports sont parfois conflictuels en France, l’expérience montre que,
lorsqu’elle le veut, l’entreprise française à une capacité innée à échanger horizontalement, et à se
coordonner. Les meilleurs exemples pionniers de Lean Production ont vu le jour en France. Pour
réussir, Lean exige une communication « horizontale ».
Bill Belt
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5 CRÉER LA VALEUR SUR PLACE
Comment donner à l’industrie française le destin qu’elle mérite ?
1. Il faut « Créer la valeur sur place ».
2. Pour cela il suffit d’utiliser correctement les techniques d’innovation et de
production connues.
3. Chaque entreprise doit prendre connaissances de ces forces qui lui sont
disponibles pour optimiser l’utilisation de ses ressources afin de se pérenniser.
5.1 LE RENOUVEAU DE L’INDUSTRIE C’EST CRÉER LA VALEUR SUR PLACE
L’antithèse du mythe de création de la valeur par la « supply chain », c’est « créer la
valeur sur place ». Près des clients, près des marchés, près des sources de savoir-
faire industriel et de capitaux. Avec un système comptable qui montre les vrais coûts
et qui permette une prise de décision efficace.
« Créer de la valeur sur place » met l’industrie au cœur des préoccupations de la
nation, à savoir : l’éducation, l’innovation, la production, la distribution. Elle recentre
la valeur sur la production, qui en est le cœur, pas sur l’échange, qui est secondaire.
L’industrie n’est pas tout, bien évidemment : régimes de santé, politique
d’investissement, recherche fondamentale, démographie, services sociaux, banques
et assurances, conseil dans tout domaine, sont aussi critiques, mais les activités
industrielles sont fondamentales.
« Créer la valeur sur place » signifie surtout que le Renouveau de l’Industrie en
France ne demande pas de politique industrielle, pas de plan Calcul, pas de
subventions de l’État, même pas de réduction des charges sociales, mais seulement
que l’entreprise prenne son sort en main, et veuille avoir de l’ambition.
5.2 CRÉER LA VALEUR SUR PLACE : UN CAS
J’ai rencontré il y a peu Alain Vaury, qui m’a raconté l’histoire suivante.
Il y a quelques années il était P-DG d’une filiale d’un fournisseur de la fonderie,
propriété d’un fonds d’investissement. Son unité avait été constituée par dix ans
d’acquisitions externes catastrophiques suivies de plans sociaux brutaux. Les
personnels rescapés n’avaient pas d’avenir : leur marché n’était-il pas promis à la
délocalisation ? (Rappelons que des fonderies française font faillite chaque année.)
Paradoxalement, en les écoutant parler de leur métier et de leurs clients, Alain Vaury
voit apparaître un potentiel de développement. Il découvre qu’il peut doubler son
Bill Belt
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chiffre d’affaires. On lui explique les erreurs qui ont fait capoter la politique
d’acquisition de la société et pourquoi elle passe à côté de 20% du marché (on n’a
pas demandé à ses commerciaux de le prospecter !)…
Mais il découvre aussi que les processus internes sont dysfonctionnels : l’entreprise
et ses usines ne pourront résister à une augmentation de production. Ses équipes lui
indiquent alors ce qui ne va pas, et comment le réparer. En particulier pourquoi
l’entreprise n’arrive pas à livrer ses clients dans les temps (une erreur de
programmation du logiciel de commande !).
Ce changement de cap a un effet inattendu. La fonderie, pour réduire ses coûts, a
licencié les personnels qui possédaient son savoir-faire. Or, les équipes techniques
d’Alain Vaury, en amont de la fonderie, ont ce savoir-faire. Non seulement
l’entreprise est un fournisseur incontournable, mais il y a donc un marché pour un
« service industriel » à forte valeur ajoutée. L’entreprise apparaît désormais comme
le seul acteur solide de son secteur, ce qui lui vaut des partenariats avec des
groupes industriels qui cherchent à éliminer leur réseau de distribution (30% de
chiffre d’affaires en plus en deux ans)…
Dernier exemple de « création de valeur sur place ». Il envisage de développer la
capacité de production d’une de ses usines. Pour cela, il compte demander 4M€ à
son groupe et au distributeur de ses produits.
Mais, en étudiant le dossier avec son équipe, il comprend 1) qu’elle est capable de
faire croître sa capacité de production sur fonds propres ; 2) que le marché est
énorme et que l’entreprise a tout intérêt à vendre le produit sans distributeur.
5.3 CRÉER DE LA VALEUR SUR PLACE, C’EST UTILISER LE CAPITAL
SOCIAL DE L’ENTREPRISE
L’intérêt économique de « créer de la valeur sur place », et l’erreur de l’idéologie de
la « supply chain », s’expliquent en un raisonnement étonnamment simple :
Parmi les 16 secteurs économiques français examinés par l’Usine Nouvelle, aucun
n’avait un coût de main d’œuvre directe supérieur à 35% du coût de revient, et
seulement deux étaient au-dessus de 25%. Pour le secteur typique, ce chiffre oscille
entre 5% et 12%.
Diviser ce coût par 50 (même si cela était possible) ne change pas grand-chose. Car
le coût résiduel (95% à 88%) n’est pas touché. Maintenant, supposez que la
réduction d’effectifs ait ne serait-ce qu’un effet marginal (10% ?) d’augmentation de
ce coût résiduel… vos bénéfices se sont évaporés.
Or, toute la logique de la « supply chain » visait à réduire ces 5 à 12% représentant
le coût de la main d’œuvre directe ! Voilà qui explique que les gains que l’on
attendait des supply chains ne se sont pas matérialisés. Par contre les savoir-faire,
ce qui faisait l’avantage concurrentiel durable des entreprises, eux, ont disparu !
Bill Belt
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« Créer la valeur sur place », par contraste, s’intéresse aux coûts non humains. Il
s’agit, d’une part, de les réduire, et, surtout, d’en tirer le maximum de profit pour
l’entreprise, de maximiser la valeur que ses clients trouvent dans son savoir-faire. Et
l’homme, les 5%, est le levier de la transformation. Un levier irremplaçable, et qui a
un coût négligeable par rapport aux bénéfices attendus.
Ce raisonnement est au cœur de la révolution qui a transformé les techniques de
gestion de production modernes.
5.4 LES TECHNIQUES DE GESTION DE PRODUCTION MODERNES VEULENT
CRÉER LA VALEUR SUR PLACE
L’exemple précédent de « créer de la valeur sur place », revient à demander à ceux
qui sont au cœur des processus critiques de l’entreprise, comment les améliorer. La
Direction Générale, consciente des problèmes « macro » de l’entreprise, l’est
beaucoup moins des problèmes « micro », qui lui sont invisibles.
Cette idée révolutionnaire est au cœur de ce que l’on appelle « Lean ». A l fin
des années 70, suite au deuxième choc pétrolier, le MIT (Massachusetts Institute of
Technology), General Electric, et d’autres industriels, remarquant que TOYOTA se
tire plutôt bien de la crise, découvre qu’une révolution est en cours dans les
techniques de gestion industrielle. C’est la troisième étape dans notre histoire
industrielle récente :
1. « Craft production », production artisanale, qui caractérise notamment l’industrie
française du début du siècle, époque où la France domine l’aéronautique et
l’automobile, en particulier.
2. « Mass production », méthode fordiste, qui fait la fortune de l’industrie américaine
et est imitée par l’Occident.
3. Quelque chose qui apparaît au Japon et qui répond à une logique nouvelle.
L’approche, qui sera formalisée par les chercheurs occidentaux (et qui n’a donc
rien de japonais, contrairement à ce que l’on pense en France), est baptisée
« Lean production », par opposition à « Mass production ».
Progressivement l’industrie mondiale adopte tout ou partie de ce nouveau mode de
production, créée par Toyota pour apprendre à gagner de l’argent avec la petite
série. « Lean production » ne signifie pas « maigre », mais « sans gaspillage6
» ou
encore « au plus juste » en termes de consommation de ressources. Fini les grands
lots ou séries de production dits « économiques ».
« Lean utilise moins de tout en comparaison avec la production de masse – il faut
moitié moins d’effort humain dans l’usine, moitié moins d’espace de fabrication,
6
Les citations qui suivent sont tirées de The Machine That Changed the World, de James P. Womack,
Daniel T. Jones, Daniel Roos (Rawson Associates, 1990), résultat d’une étude financée par MIT.
Bill Belt
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moitié moins d’investissement dans les outils, moitié moins d’heures d’études pour
développer un produit en moitié moins de temps. Aussi, elle demande de conserver
bien moins que la moitié des stocks sur place et résulte en beaucoup moins de
défauts, et produit une plus grande, et grandissante, variété de produits ».
Comment y parvenir ? « Un des objectifs-clé de Lean Production est de placer la
responsabilité très bas dans l’échelle organisationnelle », de « transférer le
maximum de tâches et de responsabilités à ceux des employés qui apportent de la
valeur (…) sur la ligne de production », « responsabilité signifie la liberté de contrôler
son travail ».
Les employés doivent être des « spécialistes de la résolution de problèmes », mais
ils ne consacreront à leur travail leur talent que s’ils ont confiance en leur
management « si le management ne donne pas l’exemple et si les employés ont
l’impression qu’il n’existe pas d’obligation réciproque, il est prévisible que Lean
Production redeviendra de la mass production ».
Ce qui signifie la stabilité, sinon la garantie, de l’emploi. On est loin de l’image qu’ont
beaucoup de Français, et notamment les dirigeants, des techniques de production
Lean : licenciements, cadences infernales et suicides.
5.5 LES TECHNIQUES DE GESTION DE PRODUCTION MODERNES SONT
UTILISÉES À CONTRE-EMPLOI
Les techniques de management industrielles et logistiques s’organisent selon 4
dimensions, que j’appelle « les 4 maisons technologiques ». En voici un bref aperçu :
1. La première maison, pour la direction, se place au-dessus des autres, au
niveau stratégique de l’entreprise et de la supply chain (par opposition au niveau
opérationnel). La technologie de management qui la soutient s’appelle
« Planification Industrielle et Commerciale » (PIC) / « Sales and Operations
Planning » (S&OP).
Elle abrite la planification financière, la réconciliation du volume de la demande
avec le volume de capacité, la gestion des stocks globaux, et l’innovation
stratégique. Elle permet de déployer « top-down » la stratégie de l l’entreprise et
de sa supply chain et de recouper « bottom-up » les résultats opérationnels avec
leurs objectifs et avec le budget.
2. La deuxième maison anticipe la demande et la production. Elle abrite les
prévisions, la gestion de la commande client, la planification des composants et
des capacités, et le bouclage de l’exécution sur les plans. Elle aide les
responsables à assurer la cohérence des dates de livraison à tous les niveaux par
rapport aux engagements client.
Bill Belt
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La technologie de management qui la soutient dans la Production, et dans la
partie Développement de la Conception, est « Management des Ressources de la
Production » (MRP-2). NB : Le « 2 » signifie que c’est la deuxième génération de cette
technologie.
La technologie de management qui soutient l’anticipation dans la Distribution, est
« Planification des Ressources de la Distribution » (DRP), évoluant actuellement
en « Flowcasting » pour les supply chains de distribution de détail.
3. La troisième maison technologique, pour l’accélération des flux, aide
l’entreprise à construire de nouveaux processus techniques et administratifs
moins gaspilleurs en ressources, en identifiant et en supprimant les gaspillages
dans les processus actuels. La technologie de management qui la soutient est
Lean.
Cette maison technologique abrite la cartographie des flux, les techniques de
Qualité Totale, les outils de résolution de problèmes par les petits groupes, la
production « tirée », le Changement Rapide (ou « SMED », pour Single Minute Exchange
of Die, changement d’outil dans un nombre de minutes mesuré en un seul chiffre). Elle traverse
tous les domaines de l’entreprise et de sa supply chain : Conception, Production
et Distribution, dans le sens du flux physique comme dans le sens du flux
informationnel.
4. La quatrième maison s’occupe de valorisation des flux et des produits,
supportée par la technologie appelée « Lean Costing », qui est nettement
supérieure aux « coûts standards » traditionnels.
Dans cette maison technologiques sont abrités la prise de décision valorisée,
l’analyse des coûts, l’analyse des activités, le calcul des coûts de revient, le calcul
de la rentabilité. Au lieu de répartir les coûts le personnel direct—ce qui conduit à
éliminer le personnel pour éliminer les coûts (ou à le remplacer par du personnel
« low cost »)—Lean Costing calcule les coûts par activité, que le personnel soit
direct ou indirect.
Voici comment ceci est appliqué en France :
1. Au lieu de réconcilier volume de demande et volume de capacité à moyen et long
terme, le Plan Industriel et Commercial est souvent confondu avec le budget soit
assimilé aux seules prévisions de ventes. Parfois le PIC est réduit à une banale
comparaison charge-capacité, qui exclut les commerciaux.
Du coup, ces aberrations éliminent le forum de discussion dont la Direction
Générale a besoin pour mettre en œuvre sa stratégie, diriger les opérations,
Bill Belt
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Renouveau de l’Industrie Française
introduire les nouveaux produits, planifier les ressources humaines, autoriser les
investissements, s’attaquer efficacement aux nouveaux marchés, parer aux
imprévus, etc.
2. MRP-2 est jugé comme obsolète et même comme un générateur de stocks,
surtout depuis l’avènement de Lean. Or, les stocks, maladie endémique de
l’entreprise française, sont d’une part les résultats de dysfonctionnements de
toute sorte, tant du côté de la demande que du côté du fournisseurs, sans exclure
le processus de production lui-même !
L’élimination des stocks demande une simulation permanente et structurée de
l’avenir, ce que Lean ne fait absolument pas. MRP-2 compense utilement les
défauts de Lean et créé des informations prévisionnelles permettant de supprimer
les stocks, en complément des réductions opérées par Lean.
3. Lean est souvent perçu comme un outil de productivité pour l’élimination de
personnels, ce qui condamne la méthode à une totale inefficacité (et conduit à la
délocalisation pour soi-disant abaisser les coûts).
Loin de la banale « boîte à outils », Lean est une technologie majeure qui prend
systématiquement le contre-pied à nos habitudes de gestion passées.
Traditionnellement nous avons vu les stocks comme étant positifs, une protection,
du côté actif du bilan. Lean les voit comme les manifestations de
dysfonctionnements dans le processus, une vulnérabilité, un gaspillage majeur.
Ainsi Lean nous offre un point de vue décapantede nos façons traditionnelles de
gérer l’industrie.
Mais Lean—champion de l’Accélération de processus—ne fait pas tout. Il n’a
aucun moyen d’Anticipation, de savoir quelle sera la demande demain, de
positionner un évènement futur dans le temps. Il ne sait pas non plus réconcilier
le volume de demande client avec le volume de la capacité globale, ni
d’harmoniser tous les services de l’entreprise autour du déploiement de la
stratégie. Pour cette dimension de Direction, comme pour l’Anticipation, les
autres technologies présentées ci-dessus sont nécessaires.
4. L’entreprise étant tenue par un souci de continuité dans son évaluation de coûts,
ayant peur de nouveautés dans ce domaine, Lean Costing, la moins connue des
quatre maisons, reste confidentiel. Or, il doit être utilisé comme aide à la
décision, l’entreprise devant conserver son système comptable traditionnel. Il faut
distinguer entre prise de décision informée et reporting obligatoire.
5.6 POUR CRÉER LA VALEUR SUR PLACE, IL FAUT CONSIDÉRER
L’EMPLOYÉ COMME UNE SOURCE DE VALEUR
Écoutez un dirigeant expliquer le manque de performance de l’entreprise française,
vous comprendrez pourquoi la France a vidé les techniques de gestion de production
de leur signification et de leur efficacité. De quoi parle-t-il ? Du coût du travail !
Bill Belt
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Si bien que, comme l’avaient prévu les chercheurs du MIT, l’entreprise française
n’arrive pas à décoller de l’inefficacité de la « production de masse », tout en croyant
appliquer l’état de l’art scientifique.
Pour profiter pleinement des quatre maisons technologiques qui sont disponibles
pour l’aider, l’entreprise française doit reconnaître que ses employés sont placés au
cœur de ce qui fait sa valeur pour le marché, et que c’est eux-seuls qui peuvent
développer cette valeur.
Mais, si elle ne l’a pas fait plus tôt, c’est que cela s’oppose à ses a priori culturels, à
une notion d’élite qui la dessert. Le monde moderne est trop compliqué pour être
dirigé par une élite.
« Créer la valeur sur place » demande un saut dans l’inconnu. L’exemple d’Alain
Vaury montre qu’il n’est pas impossible à une entreprise française de le réussir.
Bill Belt
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6 CONCLUSION
Il est peut-être surprenant de découvrir que la France a de tels atouts qu’il semble un
jeu d’enfant de compenser ses quelques faiblesses. J’aimerais proposer à la France,
en guise de conseil amical, quelques suggestions :
1. Reconnaître et valoriser son héritage et son savoir-faire industriels.
2. Renoncer au mirage du service et de la logique supply chain comme moteurs de
prospérité et de sécurité de demain, en reconnaissant la primauté stratégique de
l’innovation+la production.
3. Profiter de la spécificité de la langue française pour parler innovation et industrie
sans renier l’anglais mais sans tomber dans le franglais, impropre à la pensée et
à l’expression.
4. Exploiter la position unique, géographique et culturelle, de la France aux
carrefours :
a. nord et sud
b. ancien et moderne,
c. membre fondateur de l’Occident et pilier de la communauté internationale.
5. Corriger les excès causés par la quasi-absence du « salut par le travail » de
l’éthique protestante. Mettre en avant la réalisation individuelle par le succès
collectif, propre à la culture française.
Mais comment « créer de la valeur sur place », utiliser le savoir-faire de ceux qui
sont au cœur des processus de l’entreprise, si la société française est victime de
querelles stériles ?
Pour beaucoup d’amis de la France, la mémoire de la chute de la France lors de la
seconde guerre mondiale reste vivante. Comment une superpuissance millénaire,
au faîte de sa gloire, a-t-elle pu s’affaisser, quasiment sans combattre ? La réponse
est probablement à chercher dans L’étrange défaite de Marc Bloch : la France s’est
disloquée, sous l’effet de ses blocages fratricides hérités d’une autre époque.
La culture française va devoir affronter et dépasser ses démons en puisant dans son
savoir-faire, ses valeurs humaines, et sa vision. La situation économique et
industrielle actuelle offre une nouvelle opportunité à la France pour briller.
L’Occident et le monde ont besoin d’une France forte, influente, tournée vers l’avenir.
Bill Belt
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7 BILL BELT : NOTE BIOGRAPHIQUE
Foncièrement je suis un littéraire, diplômé de Princeton (l’université de Scott
Fitzgerald et de Michelle Obama) en Littérature et Histoire, et pourtant depuis trois
décennies je suis spécialiste de la gestion industrielle sous toutes ses formes. Après
avoir obtenu un MBA en Systèmes de Gestion de Production à l’Université de
Columbia (l’université de Federico Garcia Lorca et de Barack Obama), j’ai travaillé
pour quelques-unes des entreprises américaines les plus réputées, notamment IBM.
Beaucoup de Français me questionnent sur la nature de ma passion pour la France,
un pays auquel j’ai consacré une grande partie de ma vie. En effet, j’admire le génie
industriel français, qui fait figure unique parmi le peloton de tête des pays industriels
de la planète.
J’ai découvert la France lors de mon service militaire dans la 6ème flotte américaine.
À l’époque la France avait plus ou moins retrouvé son souffle mais les vestiges de la
guerre et de la vie d’avant-guerre étaient toujours présents. En plus, j’avais
l’impression romantique d’être sur la première ligne de défense de l’Occident, plus
d’un million de soldats soviétiques étant stationnés à l’est, à seulement deux ou trois
jours de marche.
Je voyais la France comme une grande dame (comme disait De Gaulle) venant de si
loin dans l’histoire, alliée essentielle à l’origine des USA, ancienne puissance
mondiale N° 1, avec une culture et un mode de vie et de pensée exactement à
l’inverse de ceux des USA !
Je voyais la France surtout comme un contrepied industriel –seul pays industrialisé
dans le « Top 5 » qui ne suivait pas le modèle de comportement anglo-saxon (le
Japon y ayant été converti partiellement et par la contrainte)– la France offre, ou
offrait, une vision industrielle alternative au sein-même de la civilisation Occidentale.
Ce qui enrichit le débat et pourrait éviter la sclérose et le monolithisme de l’Occident.
Une source de renouvellement intérieur de l’industrie occidentale, et de l’Occident,
l’aidant à faire face aux changements et à l’émergence de plusieurs puissances non-
Occidentales, après une long période de quiétude. Tel était mon espoir.
Donc, il m’a semblé possible de me positionner à cheval sur la barrière linguistique
pour apporter et traduire la technologie américaine de gestion industrielle, qui à
l’époque était essentiellement MRP-2, « Manufacturing Resource Planning », la
technologie supportant l’Anticipation d’aujourd’hui. Pas de risque d’américanisation
à outrance… les défenses naturelles de la société française en feraient l’application
à leur sauce.
Bill Belt
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Renouveau de l’Industrie Française
Aujourd’hui, nous sommes au-delà de MRP-2 seul, et toutes les quatre maisons
technologiques—l’Accélération (avec la technologie de management Lean),
l’Anticipation (avec la technologie MRP-2), la Direction (avec la technologie de Planification
Industrielle et Commercial ou PIC) et la Valorisation (avec le technologie Lean Costing —
marchent très bien, en France et ailleurs, pour créer de a richesse, de l’emploi et de
la sécurité, à condition de les appliquer correctement, ce que je désirais aider les
entreprises à faire.
C’est ce travail d’adaptation des sciences de gestion de production et logistique à la
culture (industrielle) française qui sans doute définit le mieux ce qui a été la ligne
directrice de mon existence professionnelle.
Bill Belt
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  • 1. Le Renouveau de la France viendra de son industrie, non des services, et d’une approche nouvelle de l’industrie existante. Cette approche, c’est créer la valeur sur place. Pour la culture française, c’est une révolution et une opportunité. LE RENOUVEAU DE L’INDUSTRIE FRANÇAISE CRÉER LA VALEUR SUR PLACE PAR BILL BELT AVEC LA COLLABORATION DE CHRISTOPHE FAURIE ET BERTRAND DELAGE INSTITUT DU RENOUVEAU DE L’INDUSTRIE (IRI)
  • 2. Renouveau de l’Industrie Française DEDICACE A la mémoire d’Alain Vaury, qui a eu l’initiative de ce travail, auquel il a contribué en lui fournissant des exemples et des conseils, et qui nous a quittés prématurément. Bill Belt 2/32
  • 3. Renouveau de l’Industrie Française Table des matières Table des matières................................................................................................................................3 1 Points principaux.................................................................................................................................6 2 Introduction.......................................................................................................................................... 8 3 L’idéologie qui FIT BASCULER le monde.........................................................................................10 3.1 Le déclin de l’Occident..............................................................................................................10 3.2 Les fondements idéologiques d’une crise sans précédents......................................................10 3.3 La fortune de la « supply chain »..............................................................................................11 3.4 L’effondrement d’un mythe.......................................................................................................12 3.5 Tempête parfaite et Axe du Mal................................................................................................13 3.6 L’Amérique redécouvre l’industrie fondamentale......................................................................13 4 Le monde après la tempête...............................................................................................................16 4.1 Deux grands pays dévastés par une idéologie commune........................................................16 4.1.1 USA : battus en brèche mais combatifs.............................................................................16 4.1.2 Angleterre : chronique d’une mort industrielle annoncée...................................................17 4.2 Les résistants au changement, champions de l’industrie..........................................................17 4.2.1 La locomotive allemande...................................................................................................17 4.2.2 Le Japon : Allemagne asiatique.........................................................................................18 4.3 Les pays émergents : guerre economique à l’Occident............................................................18 4.3.1 La Chine : l’ennemi qui aurait préféré nous ignorer ..........................................................19 4.3.2 L’Inde : énigme bouillonnante............................................................................................19 4.4 Pays de l’Est : interrogation......................................................................................................19 4.4.1 Que dire de l’Europe de l’Est ?..........................................................................................20 4.4.2 Russie : grand ours malade...............................................................................................20 4.5 La France au milieu du gué......................................................................................................20 4.5.1 La désindustrialisation de la France ................................................................................20 4.5.2 L’avis ce cet Américain en France : les Français sont d’excellents industriels..................21 4.5.3 La culture industrielle de la France....................................................................................21 4.5.4 La France possède des atouts décisifs..............................................................................22 5 Créer la valeur sur place....................................................................................................................23 5.1 Le Renouveau de l’Industrie c’est Créer la valeur sur place.....................................................23 5.2 créer la valeur sur place : un cas.............................................................................................23 5.3 Créer de la valeur sur place, c’est utiliser le capital social de l’entreprise................................24 5.4 Les techniques de gestion de production modernes veulent créer la valeur sur place.............25 5.5 Les techniques de gestion de production modernes sont utilisées à contre-emplOI................26 5.6 Pour créer la valeur sur place, il faut considérer l’employé comme UNE source de valeur......28 6 Conclusion.........................................................................................................................................30 a. nord et sud..................................................................................................................................30 b. ancien et moderne, ....................................................................................................................30 Bill Belt 3/32
  • 4. Renouveau de l’Industrie Française c. membre fondateur de l’Occident et pilier de la communauté internationale................................30 7 Bill Belt : Note biographique..............................................................................................................31 Bill Belt 4/32
  • 5. Renouveau de l’Industrie Française Bill Belt 5/32
  • 6. Renouveau de l’Industrie Française 1 POINTS PRINCIPAUX Le Renouveau de la France viendra du renouveau de son industrie, non des services, et davantage par une approche nouvelle de l’industrie existante que par la création d’une nouvelle industrie. Cette approche, c’est « la création de valeur sur place ». Pour la culture française, c’est une révolution et une opportunité. Depuis 20 ans, le monde a été envahi par une idéologie de trois absolus à la mode : l’informatique + l’argent + la supply chain. Du coup, le savoir-faire occidental a été délocalisé et éparpillé sur la surface de la planète. Cette idéologie a laissé l’économie de l’Occident dévastée. L’Orient, lui, a profité massivement de transferts de technologies, et souhaite mettre un terme définitif à l’hégémonie occidentale. L’Occident doit reconnaître et corriger ses erreurs. Cela signifie surtout créer la valeur sur place, là où se trouvent clients, savoir-faire et capitaux – ce qui est la fondation-même des techniques modernes d’innovation et de gestion industrielle. En exploitant sciemment son massif savoir-faire pour l’innovation et la production, l’industrie française prendra à contre-pied les courants de pensée actuellement en selle et engendra un nouvel essor. Mais les français semblent ignorer que la France possède des atouts majeurs pour réussir cette transformation. Ils ignorent, ou pire ne veulent pas savoir, que son tissu industriel est exceptionnellement riche, sa culture est un avantage concurrentiel décisif, sa capacité d’innover est reconnue. Créer de la valeur sur place implique que toute entreprise a un savoir-faire qui ne demande qu’à être exploité, que c’est son personnel qui le possède et que c’est à la Direction de le mettre en valeur et le développer. Un tel discours peut-il être entendu dans un pays où trop souvent l’affrontement, non la collaboration, est de rigueur ? * * * Dans les pages qui suivent, voilà la vision pragmatique d’un Américain, spécialiste de gestion industrielle, qui a travaillé avec beaucoup d’entreprises dans beaucoup de pays depuis trois décennies, mais qui connaît bien la France et souhaite voir le renouvellement de sa puissance économique et politique à travers de son industrie pour aider l’Occident à trouver son salut face aux défis redoutables du 21ème siècle. Bill Belt 6/32
  • 7. Renouveau de l’Industrie Française Bill Belt 7/32
  • 8. Renouveau de l’Industrie Française 2 INTRODUCTION Comme disait Tocqueville, la France est souvent trop intellectuelle et trop peu pratique. Elle se grise de grandes idées et ne voit pas qu’il lui en faudrait en réalité fort peu pour accroître sa puissance économique et son influence. J’espère pouvoir verser un peu du bon sens pragmatique américain au débat, d’où le présent manifeste. Il a 3 parties : 1. La première rappelle que c’est une confluence d’idéologies de prédilection anglo- saxonne qui a causé la crise actuelle. La France les a avalées. Aujourd’hui le monde, les Etats-Unis en tête, reconnaît lentement l’erreur et tâche de réagir en prenant le contre-pied. La France ayant évité le pire de l’engouement idéologique initial, peut maintenant réagir plus vite. 2. La seconde partie de ce manifeste fait un état des forces mondiales en présence. Contrairement aux idées reçues, la France a des atouts industriels exceptionnels. 3. La troisième partie montre comment susciter le renouveau de l’industrie française en « créant la valeur sur place », en transformant en avantage concurrentiel, le savoir-faire présent dans chaque entreprise. Pas besoin d’État ni de capitaux pour cela : le sort du Renouveau de l’industrie française est entre les mains… des français ! Bill Belt 8/32
  • 9. Renouveau de l’Industrie Française Bill Belt 9/32
  • 10. Renouveau de l’Industrie Française 3 L’IDÉOLOGIE QUI FIT BASCULER LE MONDE Être un Américain, c’est voir naître et épanouir les idéologies économiques et industrielles à leur source. Car les choses vont vite aux USA, et l’idéologie des trois absolus--l’informatique + l’argent + la supply chain--a pris pied d’abord aux USA. Selon cette idéologie : (1) la marche de l’histoire allait de l’industrie aux services ; (2) les pays occidentaux doivent abandonner la première, pour se spécialiser dans les seconds ; et (3) la nouvelle ère « postindustrielle » allait être bénéfique pour tous grâce à une connectivité sans bornes. 3.1 LE DÉCLIN DE L’OCCIDENT A l’évidence, la France, les USA et l’Occident dans son ensemble, perdent de leur pouvoir économique et de leur influence diplomatique dans ce début du 21ème siècle. Le déclin est-il inévitable et irréversible ? Pour répondre à cette question, relisons l’histoire de ces dernières décennies. L’actuelle crise économique a pour origine, paradoxalement, la victoire de la Guerre Froide par l’Occident, la victoire du « capitalisme » sur le « communisme ». L’Union Soviétique, minée par ses contradictions, s’est effondrée de l’intérieur comme l’avait prévu George Kennan, auteur de la doctrine du « Containment1 » Mais de là l’Amérique a cru à une victoire définitive du modèle capitaliste défendu alors par Alan Greenspan, Ronald Reagan et Margaret Thatcher, modèle vulgarisé précédemment par le philosophe et écrivain russo-américain Ayn Rand dans les années 40 et 50. C’est ce modèle d’extrême capitalisme, poussé à l’absurde, souhaitant tout régler par le « marché », plus la disparition du contrepoids soviétique, qui explique l’état déboussolé et les crises que connaissent l’Occident et le monde depuis bientôt trois décennies. 3.2 LES FONDEMENTS IDÉOLOGIQUES D’UNE CRISE SANS PRÉCÉDENTS Ce modèle affirmait qu’étant arrivés à l’ère postindustrielle, les pays les plus avancés économiquement devaient se spécialiser dans des services et des tâches intellectuelles de conception, laissant la production à des pays émergents. Etayé par un système de calcul de coût standard désuet et impropre au 21ème siècle, le modèle à conduit à la délocalisation de l’industrie occidentale dans des pays à faible coût de main d’œuvre. A cause de la primauté donnée à la « main invisible » du marché, idée forte dans la culture des Etats-Unis, le « laissez-faire » y a joué un rôle central. L’idée a été rationnalisée par Adam Smith, le père de l’économie moderne, et le théoricien de la 1 Doctrine selon laquelle, les USA devaient empêcher l’expansionnisme soviétique, réel moteur du régime. Bill Belt 10/32
  • 11. Renouveau de l’Industrie Française globalisation. Leo Rosten dit de lui : « il a virtuellement fondé une religion séculière – l’individualisme – et « La Richesse des Nations » est devenue sa bible ». La Richesse des Nations (1776) affirme que l’homme, laissé à ses instincts primaires, fait le bonheur de la société : « en suivant son propre intérêt (l’individu) favorise généralement celui de la société avec plus d’efficacité que lorsqu’il veut effectivement le faire », il est « conduit par une main invisible à favoriser une fin qui ne faisait pas partie de ses intentions ». L’égoïsme est donc revendiqué comme une vertu cardinale dans les écrits d’Ayn Rand, qui fut, en particulier, le gourou d’Alan Greenspan, directeur de la Réserve Fédérale américaine de 1986 à 20072 . Le laissez-faire débridé a dominé l’Amérique et le monde : les marchés financiers ont été laissés à eux-mêmes et les entreprises ont branché leur écoute sur Wall Street. Les universitaires du management les plus admirés et les cabinets de conseils les plus influents les y encourageaient en leur donnant pour modèle… Enron ! Le triomphe du laissez-faire et de l’argent s’est combiné avec deux autres idées — les nouvelles technologies de l’information et de la communication (le « e- business ») ; puis la supply chain mondiale, pour donner naissance à cette idéologie néfaste qui faisait croire que l’on touchait au Nirvana3 . 3.3 LA FORTUNE DE LA « SUPPLY CHAIN » Le concept de la supply chain, ou chaîne logistique, est né en 1991. Les travaux initiaux, du cabinet Kurt Salmon Associates, visaient la réduction des stocks (importants) des chaînes d’approvisionnement des primeurs américains. Selon le point de vue des globalistes ou de la Nouvelle Economie, point de vue dont les champions furent entre autres les dirigeants d’Enron, la valeur d’une supply chain est dans l’échange lui-même, pas dans la production. Cette idée fait écho au constat de Marshall McLuhan, le pape du monde connecté : « Le monde est devenu un village global ; le moyen de communication EST le message. » Voici un exemple pas si caricatural du concept de supply chain. Un poulet élevé en Amérique latine, où il est congelé, est expédié en Chine, où il est découpé, puis envoyé ensuite Amérique, où il est consommé. Des exemples kilométriques similaires existent avec le haddock, les citrons, les petits pois, le kiwi, les gaufres et l’eau en bouteille. Comme le poulet, le savoir-faire industriel occidental a été démembré, les gains de productivité occidentaux avalés dans un tourbillon de conditionnement, de transports et de stockages, répété à l’envi. 2 Cependant le capitalisme innovateur prôné par Ayn Rand n’a rien à voir avec l’essor des marchés financiers et leur rupture avec l’économie réelle, du fait de la combinaison informatique / outils complexes (que même leurs créateurs ne comprenaient pas, selon l’avis de Warren Buffett). 3 Beaucoup d’observateurs ont jugé la Nouvelle Economie comme un mouvement millénariste. Bill Belt 11/32
  • 12. Renouveau de l’Industrie Française 3.4 L’EFFONDREMENT D’UN MYTHE Quelle est donc la logique économique de la « supply chain » ? En réponse à cette question, le cabinet Deloitte a publié en 2009, une étude qui montre que la délocalisation de l’industrie, la création de supply chains mondiales, et la logistique à-tout-va, ne rapportent rien, au contraire. Ainsi, le Retour sur Actif des entreprises américaines dans 15 secteurs industriels a diminué régulièrement depuis 20 ans pour atteindre 25% de son niveau de 1965 (!). Les gains de productivité obtenus dans cette période auraient été absorbés par la concurrence. L’exemple de Boeing. Une gestion exclusivement financière l’a amené à confier à ses sous-traitants le maximum de risques financiers. Boeing a sous-traité jusqu’à la conception et la réalisation de pièces critiques du 787 « Dreamliner » (la conception des ailes et de leur attachement au fuselage). Résultat : les retards pris par les fournisseurs, non préparés à ce nouveau métier, s’élèvent à 2 ans et ont coûté une fortune à Boeing, qui a dû supprimer 10 000 emplois, soit 6% de son personnel. Pour parer à ce désastre, Boeing commence à racheter ses sous-traitants et a ré- centraliser la conception et la réalisation de certaines pièces. S’il y a une logique dans cette idéologie, elle doit être cherchée du côté du poulet ! Les bénéfices que celui-ci tirait de ses voyages étaient d’éviter les conséquences des droits de l’homme : en particulier les normes de sécurité et d’hygiène occidentales, d’où un coût de main d’œuvre directe dérisoire. C’est cette supposée économie que toutes les supply chains ont cherché à récupérer. Ce faisant, elles ont réalisé ce que les financiers appellent un « arbitrage », l’élimination d’une irrationalité du marché. Comme à la bourse, l’arbitrage fut un feu de paille. Il n’a profité qu’à une petite élite. Et c’est bien ce que l’on découvre aujourd’hui. Le monde anglo-saxon se réveille de ses illusions. Sa vision des pays émergents se transforme brutalement : le Far West, « land of opportunity », c’est fini. Le mythe d’un Occident concepteur et d’un Orient producteur a fait long feu. L’Orient est capable d’innover aussi bien que l’Occident, et sans romantisme. On découvre soudainement que les pays émergents ont toujours refusé la logique du marché (l’échange) pour en faire le champ de bataille d’une guerre à outrance. « Leurs champions réécrivent les règles du jeu en se battant sur l’innovation, la carte maîtresse qui était supposée permettre aux entreprises européennes et américaines de rester concurrentielles en dépit de coûts élevés, du poids énorme des retraites futures, et de contrats sociaux douillets. » dit Peter Williamson professeur à l’Université de Cambridge. L’enthousiasme béat fait place à l’inquiétude. « Ceux qui affrontent la concurrence directe (ou indirecte) du (…) grand nombre de diplômés que produisent la Chine et l’Inde, souffrent. » Or, on découvre soudainement qu’ils étaient déjà les perdants de ce que l’on a cru une période bénie « les personnes qui sont dans les 40% du bas de la distribution des revenus aux USA n’ont vu aucune amélioration de leurs conditions de vie réelles en 20 ans – en dépit de la plus longue période de croissance économique connue en un siècle. » Bill Belt 12/32
  • 13. Renouveau de l’Industrie Française Le laissez-faire débridé n’a pas bénéficié aux personnes dans la bosse de la distribution gaussienne. 3.5 TEMPÊTE PARFAITE ET AXE DU MAL L’idéologie postindustrielle n’aurait pu avoir l’effet dévastateur que nous lui connaissons sans l’avènement concomitant d’une informatique surpuissante et de l’Internet. Ce premier absolu se joignant à l’argent et à la supply chain dans l’idéologie infernale actuelle, est devenu l’outil de travail privilégié des acheteurs, étant dorénavant mandatés comme prêtres de la religion de la supply chain. L’Axe du Mal composé de la supply chain + l’informatique + l’argent était complet. En permettant un divorce entre services financiers et réalités physiques des produits et des services industriels sous-jacents, l’Axe du Mal a provoqué la bulle Internet, les scandales d’Enron, Tyco, et Worldcom, la chute de Lehman Brothers et de plusieurs banques nationales et internationales, la crise financière de 2008, l’endettement massif de l’Occident, et des bouleversements sociaux, économiques et humains d’une échelle inconnue depuis la Grande Dépression de 1929. 3.6 L’AMÉRIQUE REDÉCOUVRE L’INDUSTRIE FONDAMENTALE Si l’Amérique est susceptible à l’idéologie, elle est aussi pragmatique. La crise lui a fait comprendre qu’elle s’était trompée. Que la valeur n’était pas, ou minoritairement, dans l’échange mais qu’elle était essentiellement dans la production du bien matériel. Elle veut maintenant se réindustrialiser. D’ailleurs, comme toujours dans mon pays, cette prise de conscience a été préparée par une poignée de résistants, plus ou moins bien connu. Par exemple, Eamonn Fingleton, d’origine irlandaise, a tout du héros d’Hollywood qui lutte contre le courant dominant. Grand journaliste (il a été éditeur du Financial Times et de Forbes), grand connaisseur du Japon où il a longuement habité, il a attaqué méthodiquement les idées reçues de la nouvelle idéologie néfaste. Il les a démontées, une à une, par des livres d’enquête impressionnants par la réalité des exemples présentés. Il a dénoncé, tour à tour, la bulle immobilière japonaise, l’idéologie « postindustrielle », la stratégie économique suicidaire de l’Amérique à l’égard de la Chine, la stupidité de la guerre d’Irak. Voici ce qu’il disait, il y a plus de 10 ans, de l’illusion postindustrielle4 . Une économie de services a 3 caractéristiques principales : 1. montée de chômage structurelle pour tous sauf pour des élites ; 2. croissance de revenus faible ; et 3. faiblesse des exportations. 4 “In Praise of Hard Industries: Why Manufacturing, Not the Information Economy, Is the Key to Future Prosperity”, Houghton Mifflin Harcourt (1999). Bill Belt 13/32
  • 14. Renouveau de l’Industrie Française Face à cela, l’industrie offre : 1. un emploi pour tous, y compris les moins qualifiés – exigence fondamentale de l’équilibre social ; 2. une création de valeur, donc des salaires, sans commune mesure avec celle des services ; et 3. l’accroissement continu de l’avantage concurrentiel initial, du fait d’une double capitalisation financière et en savoir-faire. Autrement dit une fois une industrie installée, elle jouit d’une pérennité forte. En conséquence, les USA se doivent de : 1. Augmenter le taux d’épargne de la population. 2. Allouer une grosse part de cette épargne à l’innovation et à la production. 3. Assurer la rentabilité des entreprises industrielles, en termes de retour sur investissement. 4. Améliorer la qualification des employés. 5. Arrêter la fuite de technologies de production à l’étranger Bill Belt 14/32
  • 15. Renouveau de l’Industrie Française Bill Belt 15/32
  • 16. Renouveau de l’Industrie Française 4 LE MONDE APRÈS LA TEMPÊTE Où en sont les grandes nations et blocs mondiaux après cette tempête ? 1. Les USA et surtout le Royaume-Uni sont durablement affaiblis. 2. Le Japon et l’Allemagne, qui n’ont pas cédé aux sirènes du service, sont des pays vieillissants et dont l’innovation est handicapée par une chute de population liée à une xénophobie endémique. 3. Les pays émergents ont formidablement profité de transferts de compétences des pays occidentaux, et les battent maintenant à leur propre jeu : l’innovation. Mais, ils sont fragiles. 4. La France a été dévastée. Mais elle conserve des atouts uniques. Son tissu économique est exceptionnellement riche et diversifié, ses aptitudes culturelles de grands innovateurs / industriels, ignorées de la plupart des Français, lui ouvrent des marchés inaccessibles aux champions allemands et japonais. 4.1 DEUX GRANDS PAYS DÉVASTÉS PAR UNE IDÉOLOGIE COMMUNE Les pays anglo-saxons payent le prix de leur erreur idéologique. 4.1.1 USA : battus en brèche mais combatifs L’engouement logistico-informatico-financier a eu des effets dévastateurs pour l’industrie. Elle n’emploie plus que 12 millions de personnes. Sa production vise surtout la consommation intérieure du pays (voitures, BTP), et encore, elle importe 37% de ses besoins (cf. l’électronique). Des 15 principales économies industrielles mondiales c’est celle qui est la moins tournée vers l’exportation. L’Amérique a commencé à rapatrier les emplois délocalisés, et devient de plus en plus protectionniste. Mais, si la crise a fait prendre conscience aux Américains que la « vraie valeur » est dans « l’économie réelle » : 1. 25 ans de délocalisations ont fait perdre énormément de savoir-faire, et 2. le niveau de qualification moyen, qui a toujours été médiocre, a été encore réduit par la télévision, la drogue et les armes. Cependant les USA accueillent toujours un nombre important d’immigrés de partout dans le monde, d’Amérique du Sud et d’Asie en particulier. Ils veulent apprendre, entreprendre, et gagner de l’argent. La culture américaine du 21ème siècle se transforme en une mosaïque de cultures, tout en conservant des valeurs fédératrices communes. J’aurais tendance à parier que, comme Barack Obama, l’Amérique n’est jamais aussi intelligente, sympathique, et dangereuse, que quand elle est dos au mur. Bill Belt 16/32
  • 17. Renouveau de l’Industrie Française 4.1.2 Angleterre : chronique d’une mort industrielle annoncée L’Angleterre s’est sabordée sciemment sur le plan industriel, au profit d’une « industrie » financière qu’elle voulait première au monde. La vraie industrie anglaise manufacturière n’est que l’ombre de ce qu’elle était. De grandes entreprises telles que BT, Royal Mail, British Airways sont maintenant dans un état désastreux. L’industrie de l’énergie, totalement déréglementée, a été vidée de sa substance par ses propriétaires, à tel point que l’Angleterre se demande si l’électricité ne manquera pas aux Jeux Olympiques. Ses champions industriels (Cadbury récemment) sont achetés les uns après les autres, et leurs emplois délocalisés… Comme les USA, l’Angleterre connaît une immigration importante. Mais elle en souffre. D’ailleurs, le système de classes/castes existe toujours en Angleterre, ce qui nuit au dynamisme du pays. Je ne la vois pas se relever dans un proche avenir. Ce sera une grande perte pour l’Occident. 4.2 LES RÉSISTANTS AU CHANGEMENT, CHAMPIONS DE L’INDUSTRIE Si le Japon et l’Allemagne ont aussi bien résisté à la vague idéologique anglo- saxonne, c’est qu’elle contredisait une idéologie qui leur était propre. 4.2.1 La locomotive allemande Depuis les origines de l’ère industrielle, l’Allemagne a été une puissance technique et industrielle. La notion d’industrie forte est indissociable de l’idée même de nation allemande. Celle-ci a toujours entretenu une vision stratégique et une politique industrielle à long terme. Conscient de son savoir-faire industriel, le pays est protectionniste et se méfie de tout ce qui n’est pas issu de sa propre pensée industrielle. La mainmise des Prussiens et de l’Allemagne du nord sur le pays n’a fait que renforcer son amour de l’industrie lourde et des gros investissements. D’une certaine façon l’excellence industrielle allemande a longtemps été un contrepoids à l’immaturité démocratique du pays, qui s’est constitué en nation très tardivement. Ces facteurs culturels expliquent la résistance allemande à l’idéologie supply chain + informatique + argent. L’Allemagne a sauvé son industrie et considère aujourd’hui que la crise n’est pas la sienne. Elle apparaît plus que jamais comme la locomotive industrielle de l’Europe. Au cœur de ce succès, se trouve son système éducatif, qui devrait être une source d’inspiration pour la France. Ses forces sont l’importance donnée aux disciplines techniques et d’ingénierie (par opposition aux mathématiques) et à l’apprentissage comme partie intégrante de l’éducation. Cependant, il connaît un passage à vide depuis quelques années. Bill Belt 17/32
  • 18. Renouveau de l’Industrie Française Le revers de la médaille est une certaine xénophobie industrielle et une rigidité des processus et de la pensée allemande. Tout y est toujours présenté en termes ultra- compliqués avec 4 ou 5 dimensions et des raccordements dans tous les sens. Ce qui va très bien pour la philosophie, va moins bien pour les systèmes de gestion industrielle, qui doivent être robustes et s’appuyer sur une logique transparente. Après deux guerres qu’elle a déclenchées (ou une guerre en deux phases sanglantes), l’Allemagne et sa politique semblent s’être assagies. Mais la réunification (appelée par certains « nettoyage économique ») a pesé lourdement sur ses performances. À quoi s’ajoute un problème préoccupant de dénatalité. Chose inimaginable lors de la réunification, d’ici quelques années la France sera plus peuplée que l’Allemagne, donc plus jeune. 4.2.2 Le Japon : Allemagne asiatique Le Japon ressemble à l’Allemagne sur certains points : reconnaissance de l’importance de l’innovation et de l’industrie, politique nationaliste, une certaine xénophobie. L’Américain se rappelle aussi qu’il a fallu deux bombes atomiques coup sur coup pour mettre un terme à l’expansionnisme japonais (rappelons également que la reddition de l’Allemagne a coûté 24 millions de morts, dont 12 millions de Russes). Le Japon continue à investir lourdement dans l’innovation et dans l’industrie et à exporter énormément. Sa faiblesse majeure est sa dénatalité : comme la Russie et l’Allemagne, le Japon est en train de « fondre ». À cela s’ajoutent sa xénophobie, son insularité et aussi une certaine démotivation de ses jeunes générations peut-être découragées par un mode de vie rude. (Le taux de suicide des jeunes japonais est le plus important du monde.) Le pays donne l’impression de se replier doucement sur lui-même. 4.3 LES PAYS ÉMERGENTS : GUERRE ECONOMIQUE À L’OCCIDENT Quelques mots sur deux pays émergents importants : la Chine et l’Inde. La France perçoit mal la menace qu’ils présentent, contrairement à l’Amérique qui est leur premier champ de conquête. Avec des démarches et des cultures très différentes, la Chine et l’Inde se rejoignent dans une sorte de mise en coupe réglée systématique de secteurs économiques stratégiques : sidérurgie, pharmacie, automobile, et bientôt aéronautique. Ils auront parfait leur œuvre lorsqu’ils auront dépassé l’Occident en termes d’innovation, alimentée par les transferts technologiques et par d’autres façons d’acquérir le savoir-faire. Mais la Chine et l’Inde ils se ressemblent aussi par la fragilité inquiétante de leur édifice social. Bill Belt 18/32
  • 19. Renouveau de l’Industrie Française 4.3.1 La Chine : l’ennemi qui aurait préféré nous ignorer La Chine se voit toujours comme le centre du monde et n’a rien à faire de l’Occident, qu’elle perçoit comme un ennemi culturel et économique. Dans l’avenir proche, la Chine et les USA vont constituer les deux colosses qui domineront la planète. Malgré l’opposition congénitale entre la Chine et l’Occident, le danger de guerre autre qu’économique est à mon avis nul. La guerre se fera sur les plans économique, culturel, sportif et politique. Comme l’Inde, la Chine a assimilé les technologies qu’elle a reçues de l’Ouest. Elle parie maintenant sur l’innovation pour le dépasser. La menace est donc redoutable. Mais le pays est un volcan que le Parti Communiste a beaucoup de mal à empêcher d’exploser. 4.3.2 L’Inde : énigme bouillonnante Le phénomène indien, si présent et si préoccupant pour les États-Unis, est inconnu de la France, qui est protégée par sa langue. L’Inde, avec sensiblement le même nombre d’habitants que la Chine, a des atouts différents. Elle parle anglais et possède une classe moyenne embryonnaire. Beaucoup d’Indiens ont été éduqués aux États-Unis. L’Inde n’est pas un vrai allié de l’Occident pour autant, sa place culturelle historique reste en Orient. Ce qui pousse son développement économique est son invasion du marché des services. L’Inde concurrence les USA aujourd’hui non seulement en termes de main d’œuvre directe, mais aussi en termes d’ingénieurs, chercheurs et médecins, tous beaucoup moins chers qu’aux USA. Par exemple, l’Inde a inventé des traitements médicaux révolutionnaires, accessibles aux couches les plus pauvres de la société. Les interventions chirurgicales, même les plus délicates (cataractes, remplacements d’organes), sont conçues pour tous, pas seulement pour les riches. Cette approche dite « du bas de la pyramide » caractérise tout ce que fait l’Inde : concevoir ce qu’il y a de mieux pour le plus grand nombre, ce qui était à l’origine une devise américaine. Les faiblesses de l’Inde sont aussi différentes de celles de la Chine. Corruption rampante, inefficacité légendaire du gouvernement indien, système de castes… sont autant de freins. L’équilibre du pays est un miracle difficile à expliquer. J’en suis arrivé à croire que ce qui aidera à sauver l’Inde d’elle-même sera (à part l’existence de l’anglais comme langue nationale qui fait la jonction parmi les 450 langues indiennes), c’est le cricket ! Ce sport anglais crée des liens insolites parmi l’Inde et le Pakistan, le Bangladesh, l’Australie, l’Afrique du Sud et… la Jamaïque ! 4.4 PAYS DE L’EST : INTERROGATION La Russie et l’Est de l’Europe ont adopté avec enthousiasme l’idéologie américaine. Mal leur en a pris. Bill Belt 19/32
  • 20. Renouveau de l’Industrie Française 4.4.1 Que dire de l’Europe de l’Est ? Les pays de l’est sont disparates, et les généralités n’ont pas de sens en ce qui les concerne. Ils sont parvenus à traverser la crise, qui aurait pu leur être fatale, mais au prix de cures de rigueur qui risquent de les laisser affaiblis. Difficile de savoir ce qu’il en résultera. 4.4.2 Russie : grand ours malade Peuple impressionnant, avec une grande tradition littéraire et intellectuelle, partagée entre l’Occident et l’Orient, son développement historique a été arrêté et abîmé par 70 ans de régime totalitaire. De loin on peut regretter l’état pitoyable de la Russie, qui se dépeuple au même rythme que le Japon. Mais de près, la Russie est un pays difficile, pétrie de crime, ses lointaines racines occidentales demeurant malheureusement de plus en plus impossibles à distinguer. En partie, sa situation actuelle — corruption, misère, avenir bouché — est due à la contamination des idées capitalistes (formulées en grande partie par l’émigrée russe qu’était Ayn Rand) qui ont envahi la Russie lors de la chute du communisme. Personne n’a rien pu faire pour structurer tant soit peu la transition, en supposant que cela ait été possible. La doctrine du « laissez-faire » a autorisé tout, même les pires abus, aux noms d’un « capitalisme » et des « marchés libres » retrouvés. 4.5 LA FRANCE AU MILIEU DU GUÉ Comme d’habitude, la France a une position unique à elle. Tout en absorbant l’idéologie de la supply chain + l’informatique + l’argent sans énormément de discernement, la France doit remercier son inertie naturelle de l’avoir sauvée d’un naufrage définitif. Malheureusement cette même inertie fait que le renouveau peut être trop long pour saisir l’opportunité. 4.5.1 La désindustrialisation de la France La France n’a pas évité la désindustrialisation. Le textile, la machine-outil, l’électroménager, les télécoms… et même Peugeot et Renault en ont été les champions, en : 1. sous-traitant le maximum de compétences à leurs fournisseurs et 2. en soumettant ces sous-traitants, sans préparation, à une concurrence destructrice. Une stratégie qui ne se préoccupe que de réduire des coûts au lieu de créer la valeur. Bill Belt 20/32
  • 21. Renouveau de l’Industrie Française Heureusement les multiples amortisseurs français ont évité une totale déroute. Mais la situation continue à se dégrader. Or, si les Présidents Chirac et Sarkozy se sont inquiétés de la perspective d’une France sans usines, si Nicolas Baverez a sonné l’alarme en disant « La France est en Faillite », sans solution concrète la situation continue à se dégrader. Le Titanic national s’approche de l’iceberg avec résignation. Dommage, car la France a des atouts exceptionnels. 4.5.2 L’avis ce cet Américain en France : les Français sont d’excellents industriels Des décennies d’expérience principalement dans l’industrie américaine et française mais aussi dans d’autres pays (Suisse, Belgique, Angleterre, Irlande, Allemagne, Autriche, Ukraine, Japon et Maroc) m’ont convaincu que les Français sont d’excellents industriels. Mais peu de Français sont prêts à me croire. L’idée répandue, celle du Français dilettante, amateur, brillant concepteur mais peu enclin à la rigueur, à l’image de Gaston Lagaffe, n’est pas confirmée par l’histoire. De nos jours, la France est toujours le 5ème pays industriel du monde, après les USA, la Chine, le Japon et l’Allemagne. Et la France a une histoire industrielle aussi longue que celle de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la Hollande. Et beaucoup de ses entreprises sont durables. Chose inconcevable pour un Américain, j’ai connu une entreprise française qui a fêté son tricentenaire : De Dietrich, en 1984. L’entreprise a donc été fondée en 1684 sous… Louis XIV, qui à l’époque n’avait que 46 ans ! Et ce n’est pas le seul exemple de la longue histoire industrielle de la France. A mon avis, les français sont d’excellents industriels, mais doivent se le rappeler ! 4.5.3 La culture industrielle de la France La France en tant que pays a tenu la route depuis 987et même avant, constituant un ensemble national précédant les autres pays occidentaux. La France a défendu les valeurs de l’Occident à plusieurs reprises : citons seulement les batailles de Poitiers en 732 et Verdun en 1916 et bien entendu la présence française dans la Guerre du Golfe en 1991 et en Afghanistan aujourd’hui. La logique de la désindustrialisation a néanmoins fait perdre aux Français jusqu’au sentiment d’être de grands industriels avec une grande industrie. Bien des secteurs cités ci-dessus, ont disparu en partie ou totalement. Depuis qu’Alcatel s’est défait volontairement de ses usines pour s’orienter vers les services purs, cette société a perdu en quelque sorte son âme et ses profits. La législation réduisant le temps de travail à 35 heures a énormément pénalisé l’industrie française ainsi que les Français, en introduisant le stress dans l’économie et dans la vie professionnelle, rendant le travail dans l’industrie encore moins attrayante. Au lieu de vivre pour faire un travail intéressant et épanouissant et élever une famille, on se préoccupe beaucoup de ses loisirs et de « réussir ses vacances ». Bill Belt 21/32
  • 22. Renouveau de l’Industrie Française Mais les fondations plus sérieuses sont toujours là ; dans une étude/enquête réalisée en février 2010, l’Usine Nouvelle juge que 9 secteurs de pointe sur 15 sont « compétitifs » par rapport à 6 sur 15 « menacés ». 4.5.4 La France possède des atouts décisifs Les Français sont de bons industriels pour au moins trois raisons : 1. Une longue histoire industrielle et une culture nationale d’une solidité et d’une homogénéité uniques ; 2. Une capacité de communication « horizontale5 », dans l’entreprise, par opposition à la communication allemande et même américaine, qui est plus « verticale » ou « top-down » ; et 3. une flexibilité et une débrouillardise face aux problèmes quotidiens qui donne à la France une grande capacité d’innovation et de production et d’innovation. Ces trois caractéristiques se marient remarquablement bien avec les exigences industrielles modernes. 1. Pour réussir aujourd’hui, il faut avoir d’abord un savoir-faire considérable et un système éducatif performant. En outre, les défis sont tellement complexes qu’il faut s’appuyer sur les ressources partagées d’un groupe pour les surmonter. On ne peut plus simplement donner des ordres ; il faut créer une vision et savoir mobiliser les équipes de l’entreprise pour réaliser cette vision. D’où l’importance de la communication horizontale. 2. Bien que la mise en œuvre programmatique existe toujours (dérouler une procédure standard pour faire de la Qualité « bon du premier coup » par exemple), la création de ces mêmes procédures et l’identification et la résolution de problèmes incombent aux groupes de personnes travaillant au sein-même des processus de l’entreprise. C’est le cœur des techniques de management industriel moderne. 5 Cette observation surprend tous les Français à qui je la fais. Le Français se croit un Gaulois du village d’Astérix, incapable de s’entendre avec son voisin (mais dont l’histoire finit par un grand festin en commun !). En fait, si les rapports sont parfois conflictuels en France, l’expérience montre que, lorsqu’elle le veut, l’entreprise française à une capacité innée à échanger horizontalement, et à se coordonner. Les meilleurs exemples pionniers de Lean Production ont vu le jour en France. Pour réussir, Lean exige une communication « horizontale ». Bill Belt 22/32
  • 23. Renouveau de l’Industrie Française 5 CRÉER LA VALEUR SUR PLACE Comment donner à l’industrie française le destin qu’elle mérite ? 1. Il faut « Créer la valeur sur place ». 2. Pour cela il suffit d’utiliser correctement les techniques d’innovation et de production connues. 3. Chaque entreprise doit prendre connaissances de ces forces qui lui sont disponibles pour optimiser l’utilisation de ses ressources afin de se pérenniser. 5.1 LE RENOUVEAU DE L’INDUSTRIE C’EST CRÉER LA VALEUR SUR PLACE L’antithèse du mythe de création de la valeur par la « supply chain », c’est « créer la valeur sur place ». Près des clients, près des marchés, près des sources de savoir- faire industriel et de capitaux. Avec un système comptable qui montre les vrais coûts et qui permette une prise de décision efficace. « Créer de la valeur sur place » met l’industrie au cœur des préoccupations de la nation, à savoir : l’éducation, l’innovation, la production, la distribution. Elle recentre la valeur sur la production, qui en est le cœur, pas sur l’échange, qui est secondaire. L’industrie n’est pas tout, bien évidemment : régimes de santé, politique d’investissement, recherche fondamentale, démographie, services sociaux, banques et assurances, conseil dans tout domaine, sont aussi critiques, mais les activités industrielles sont fondamentales. « Créer la valeur sur place » signifie surtout que le Renouveau de l’Industrie en France ne demande pas de politique industrielle, pas de plan Calcul, pas de subventions de l’État, même pas de réduction des charges sociales, mais seulement que l’entreprise prenne son sort en main, et veuille avoir de l’ambition. 5.2 CRÉER LA VALEUR SUR PLACE : UN CAS J’ai rencontré il y a peu Alain Vaury, qui m’a raconté l’histoire suivante. Il y a quelques années il était P-DG d’une filiale d’un fournisseur de la fonderie, propriété d’un fonds d’investissement. Son unité avait été constituée par dix ans d’acquisitions externes catastrophiques suivies de plans sociaux brutaux. Les personnels rescapés n’avaient pas d’avenir : leur marché n’était-il pas promis à la délocalisation ? (Rappelons que des fonderies française font faillite chaque année.) Paradoxalement, en les écoutant parler de leur métier et de leurs clients, Alain Vaury voit apparaître un potentiel de développement. Il découvre qu’il peut doubler son Bill Belt 23/32
  • 24. Renouveau de l’Industrie Française chiffre d’affaires. On lui explique les erreurs qui ont fait capoter la politique d’acquisition de la société et pourquoi elle passe à côté de 20% du marché (on n’a pas demandé à ses commerciaux de le prospecter !)… Mais il découvre aussi que les processus internes sont dysfonctionnels : l’entreprise et ses usines ne pourront résister à une augmentation de production. Ses équipes lui indiquent alors ce qui ne va pas, et comment le réparer. En particulier pourquoi l’entreprise n’arrive pas à livrer ses clients dans les temps (une erreur de programmation du logiciel de commande !). Ce changement de cap a un effet inattendu. La fonderie, pour réduire ses coûts, a licencié les personnels qui possédaient son savoir-faire. Or, les équipes techniques d’Alain Vaury, en amont de la fonderie, ont ce savoir-faire. Non seulement l’entreprise est un fournisseur incontournable, mais il y a donc un marché pour un « service industriel » à forte valeur ajoutée. L’entreprise apparaît désormais comme le seul acteur solide de son secteur, ce qui lui vaut des partenariats avec des groupes industriels qui cherchent à éliminer leur réseau de distribution (30% de chiffre d’affaires en plus en deux ans)… Dernier exemple de « création de valeur sur place ». Il envisage de développer la capacité de production d’une de ses usines. Pour cela, il compte demander 4M€ à son groupe et au distributeur de ses produits. Mais, en étudiant le dossier avec son équipe, il comprend 1) qu’elle est capable de faire croître sa capacité de production sur fonds propres ; 2) que le marché est énorme et que l’entreprise a tout intérêt à vendre le produit sans distributeur. 5.3 CRÉER DE LA VALEUR SUR PLACE, C’EST UTILISER LE CAPITAL SOCIAL DE L’ENTREPRISE L’intérêt économique de « créer de la valeur sur place », et l’erreur de l’idéologie de la « supply chain », s’expliquent en un raisonnement étonnamment simple : Parmi les 16 secteurs économiques français examinés par l’Usine Nouvelle, aucun n’avait un coût de main d’œuvre directe supérieur à 35% du coût de revient, et seulement deux étaient au-dessus de 25%. Pour le secteur typique, ce chiffre oscille entre 5% et 12%. Diviser ce coût par 50 (même si cela était possible) ne change pas grand-chose. Car le coût résiduel (95% à 88%) n’est pas touché. Maintenant, supposez que la réduction d’effectifs ait ne serait-ce qu’un effet marginal (10% ?) d’augmentation de ce coût résiduel… vos bénéfices se sont évaporés. Or, toute la logique de la « supply chain » visait à réduire ces 5 à 12% représentant le coût de la main d’œuvre directe ! Voilà qui explique que les gains que l’on attendait des supply chains ne se sont pas matérialisés. Par contre les savoir-faire, ce qui faisait l’avantage concurrentiel durable des entreprises, eux, ont disparu ! Bill Belt 24/32
  • 25. Renouveau de l’Industrie Française « Créer la valeur sur place », par contraste, s’intéresse aux coûts non humains. Il s’agit, d’une part, de les réduire, et, surtout, d’en tirer le maximum de profit pour l’entreprise, de maximiser la valeur que ses clients trouvent dans son savoir-faire. Et l’homme, les 5%, est le levier de la transformation. Un levier irremplaçable, et qui a un coût négligeable par rapport aux bénéfices attendus. Ce raisonnement est au cœur de la révolution qui a transformé les techniques de gestion de production modernes. 5.4 LES TECHNIQUES DE GESTION DE PRODUCTION MODERNES VEULENT CRÉER LA VALEUR SUR PLACE L’exemple précédent de « créer de la valeur sur place », revient à demander à ceux qui sont au cœur des processus critiques de l’entreprise, comment les améliorer. La Direction Générale, consciente des problèmes « macro » de l’entreprise, l’est beaucoup moins des problèmes « micro », qui lui sont invisibles. Cette idée révolutionnaire est au cœur de ce que l’on appelle « Lean ». A l fin des années 70, suite au deuxième choc pétrolier, le MIT (Massachusetts Institute of Technology), General Electric, et d’autres industriels, remarquant que TOYOTA se tire plutôt bien de la crise, découvre qu’une révolution est en cours dans les techniques de gestion industrielle. C’est la troisième étape dans notre histoire industrielle récente : 1. « Craft production », production artisanale, qui caractérise notamment l’industrie française du début du siècle, époque où la France domine l’aéronautique et l’automobile, en particulier. 2. « Mass production », méthode fordiste, qui fait la fortune de l’industrie américaine et est imitée par l’Occident. 3. Quelque chose qui apparaît au Japon et qui répond à une logique nouvelle. L’approche, qui sera formalisée par les chercheurs occidentaux (et qui n’a donc rien de japonais, contrairement à ce que l’on pense en France), est baptisée « Lean production », par opposition à « Mass production ». Progressivement l’industrie mondiale adopte tout ou partie de ce nouveau mode de production, créée par Toyota pour apprendre à gagner de l’argent avec la petite série. « Lean production » ne signifie pas « maigre », mais « sans gaspillage6 » ou encore « au plus juste » en termes de consommation de ressources. Fini les grands lots ou séries de production dits « économiques ». « Lean utilise moins de tout en comparaison avec la production de masse – il faut moitié moins d’effort humain dans l’usine, moitié moins d’espace de fabrication, 6 Les citations qui suivent sont tirées de The Machine That Changed the World, de James P. Womack, Daniel T. Jones, Daniel Roos (Rawson Associates, 1990), résultat d’une étude financée par MIT. Bill Belt 25/32
  • 26. Renouveau de l’Industrie Française moitié moins d’investissement dans les outils, moitié moins d’heures d’études pour développer un produit en moitié moins de temps. Aussi, elle demande de conserver bien moins que la moitié des stocks sur place et résulte en beaucoup moins de défauts, et produit une plus grande, et grandissante, variété de produits ». Comment y parvenir ? « Un des objectifs-clé de Lean Production est de placer la responsabilité très bas dans l’échelle organisationnelle », de « transférer le maximum de tâches et de responsabilités à ceux des employés qui apportent de la valeur (…) sur la ligne de production », « responsabilité signifie la liberté de contrôler son travail ». Les employés doivent être des « spécialistes de la résolution de problèmes », mais ils ne consacreront à leur travail leur talent que s’ils ont confiance en leur management « si le management ne donne pas l’exemple et si les employés ont l’impression qu’il n’existe pas d’obligation réciproque, il est prévisible que Lean Production redeviendra de la mass production ». Ce qui signifie la stabilité, sinon la garantie, de l’emploi. On est loin de l’image qu’ont beaucoup de Français, et notamment les dirigeants, des techniques de production Lean : licenciements, cadences infernales et suicides. 5.5 LES TECHNIQUES DE GESTION DE PRODUCTION MODERNES SONT UTILISÉES À CONTRE-EMPLOI Les techniques de management industrielles et logistiques s’organisent selon 4 dimensions, que j’appelle « les 4 maisons technologiques ». En voici un bref aperçu : 1. La première maison, pour la direction, se place au-dessus des autres, au niveau stratégique de l’entreprise et de la supply chain (par opposition au niveau opérationnel). La technologie de management qui la soutient s’appelle « Planification Industrielle et Commerciale » (PIC) / « Sales and Operations Planning » (S&OP). Elle abrite la planification financière, la réconciliation du volume de la demande avec le volume de capacité, la gestion des stocks globaux, et l’innovation stratégique. Elle permet de déployer « top-down » la stratégie de l l’entreprise et de sa supply chain et de recouper « bottom-up » les résultats opérationnels avec leurs objectifs et avec le budget. 2. La deuxième maison anticipe la demande et la production. Elle abrite les prévisions, la gestion de la commande client, la planification des composants et des capacités, et le bouclage de l’exécution sur les plans. Elle aide les responsables à assurer la cohérence des dates de livraison à tous les niveaux par rapport aux engagements client. Bill Belt 26/32
  • 27. Renouveau de l’Industrie Française La technologie de management qui la soutient dans la Production, et dans la partie Développement de la Conception, est « Management des Ressources de la Production » (MRP-2). NB : Le « 2 » signifie que c’est la deuxième génération de cette technologie. La technologie de management qui soutient l’anticipation dans la Distribution, est « Planification des Ressources de la Distribution » (DRP), évoluant actuellement en « Flowcasting » pour les supply chains de distribution de détail. 3. La troisième maison technologique, pour l’accélération des flux, aide l’entreprise à construire de nouveaux processus techniques et administratifs moins gaspilleurs en ressources, en identifiant et en supprimant les gaspillages dans les processus actuels. La technologie de management qui la soutient est Lean. Cette maison technologique abrite la cartographie des flux, les techniques de Qualité Totale, les outils de résolution de problèmes par les petits groupes, la production « tirée », le Changement Rapide (ou « SMED », pour Single Minute Exchange of Die, changement d’outil dans un nombre de minutes mesuré en un seul chiffre). Elle traverse tous les domaines de l’entreprise et de sa supply chain : Conception, Production et Distribution, dans le sens du flux physique comme dans le sens du flux informationnel. 4. La quatrième maison s’occupe de valorisation des flux et des produits, supportée par la technologie appelée « Lean Costing », qui est nettement supérieure aux « coûts standards » traditionnels. Dans cette maison technologiques sont abrités la prise de décision valorisée, l’analyse des coûts, l’analyse des activités, le calcul des coûts de revient, le calcul de la rentabilité. Au lieu de répartir les coûts le personnel direct—ce qui conduit à éliminer le personnel pour éliminer les coûts (ou à le remplacer par du personnel « low cost »)—Lean Costing calcule les coûts par activité, que le personnel soit direct ou indirect. Voici comment ceci est appliqué en France : 1. Au lieu de réconcilier volume de demande et volume de capacité à moyen et long terme, le Plan Industriel et Commercial est souvent confondu avec le budget soit assimilé aux seules prévisions de ventes. Parfois le PIC est réduit à une banale comparaison charge-capacité, qui exclut les commerciaux. Du coup, ces aberrations éliminent le forum de discussion dont la Direction Générale a besoin pour mettre en œuvre sa stratégie, diriger les opérations, Bill Belt 27/32
  • 28. Renouveau de l’Industrie Française introduire les nouveaux produits, planifier les ressources humaines, autoriser les investissements, s’attaquer efficacement aux nouveaux marchés, parer aux imprévus, etc. 2. MRP-2 est jugé comme obsolète et même comme un générateur de stocks, surtout depuis l’avènement de Lean. Or, les stocks, maladie endémique de l’entreprise française, sont d’une part les résultats de dysfonctionnements de toute sorte, tant du côté de la demande que du côté du fournisseurs, sans exclure le processus de production lui-même ! L’élimination des stocks demande une simulation permanente et structurée de l’avenir, ce que Lean ne fait absolument pas. MRP-2 compense utilement les défauts de Lean et créé des informations prévisionnelles permettant de supprimer les stocks, en complément des réductions opérées par Lean. 3. Lean est souvent perçu comme un outil de productivité pour l’élimination de personnels, ce qui condamne la méthode à une totale inefficacité (et conduit à la délocalisation pour soi-disant abaisser les coûts). Loin de la banale « boîte à outils », Lean est une technologie majeure qui prend systématiquement le contre-pied à nos habitudes de gestion passées. Traditionnellement nous avons vu les stocks comme étant positifs, une protection, du côté actif du bilan. Lean les voit comme les manifestations de dysfonctionnements dans le processus, une vulnérabilité, un gaspillage majeur. Ainsi Lean nous offre un point de vue décapantede nos façons traditionnelles de gérer l’industrie. Mais Lean—champion de l’Accélération de processus—ne fait pas tout. Il n’a aucun moyen d’Anticipation, de savoir quelle sera la demande demain, de positionner un évènement futur dans le temps. Il ne sait pas non plus réconcilier le volume de demande client avec le volume de la capacité globale, ni d’harmoniser tous les services de l’entreprise autour du déploiement de la stratégie. Pour cette dimension de Direction, comme pour l’Anticipation, les autres technologies présentées ci-dessus sont nécessaires. 4. L’entreprise étant tenue par un souci de continuité dans son évaluation de coûts, ayant peur de nouveautés dans ce domaine, Lean Costing, la moins connue des quatre maisons, reste confidentiel. Or, il doit être utilisé comme aide à la décision, l’entreprise devant conserver son système comptable traditionnel. Il faut distinguer entre prise de décision informée et reporting obligatoire. 5.6 POUR CRÉER LA VALEUR SUR PLACE, IL FAUT CONSIDÉRER L’EMPLOYÉ COMME UNE SOURCE DE VALEUR Écoutez un dirigeant expliquer le manque de performance de l’entreprise française, vous comprendrez pourquoi la France a vidé les techniques de gestion de production de leur signification et de leur efficacité. De quoi parle-t-il ? Du coût du travail ! Bill Belt 28/32
  • 29. Renouveau de l’Industrie Française Si bien que, comme l’avaient prévu les chercheurs du MIT, l’entreprise française n’arrive pas à décoller de l’inefficacité de la « production de masse », tout en croyant appliquer l’état de l’art scientifique. Pour profiter pleinement des quatre maisons technologiques qui sont disponibles pour l’aider, l’entreprise française doit reconnaître que ses employés sont placés au cœur de ce qui fait sa valeur pour le marché, et que c’est eux-seuls qui peuvent développer cette valeur. Mais, si elle ne l’a pas fait plus tôt, c’est que cela s’oppose à ses a priori culturels, à une notion d’élite qui la dessert. Le monde moderne est trop compliqué pour être dirigé par une élite. « Créer la valeur sur place » demande un saut dans l’inconnu. L’exemple d’Alain Vaury montre qu’il n’est pas impossible à une entreprise française de le réussir. Bill Belt 29/32
  • 30. Renouveau de l’Industrie Française 6 CONCLUSION Il est peut-être surprenant de découvrir que la France a de tels atouts qu’il semble un jeu d’enfant de compenser ses quelques faiblesses. J’aimerais proposer à la France, en guise de conseil amical, quelques suggestions : 1. Reconnaître et valoriser son héritage et son savoir-faire industriels. 2. Renoncer au mirage du service et de la logique supply chain comme moteurs de prospérité et de sécurité de demain, en reconnaissant la primauté stratégique de l’innovation+la production. 3. Profiter de la spécificité de la langue française pour parler innovation et industrie sans renier l’anglais mais sans tomber dans le franglais, impropre à la pensée et à l’expression. 4. Exploiter la position unique, géographique et culturelle, de la France aux carrefours : a. nord et sud b. ancien et moderne, c. membre fondateur de l’Occident et pilier de la communauté internationale. 5. Corriger les excès causés par la quasi-absence du « salut par le travail » de l’éthique protestante. Mettre en avant la réalisation individuelle par le succès collectif, propre à la culture française. Mais comment « créer de la valeur sur place », utiliser le savoir-faire de ceux qui sont au cœur des processus de l’entreprise, si la société française est victime de querelles stériles ? Pour beaucoup d’amis de la France, la mémoire de la chute de la France lors de la seconde guerre mondiale reste vivante. Comment une superpuissance millénaire, au faîte de sa gloire, a-t-elle pu s’affaisser, quasiment sans combattre ? La réponse est probablement à chercher dans L’étrange défaite de Marc Bloch : la France s’est disloquée, sous l’effet de ses blocages fratricides hérités d’une autre époque. La culture française va devoir affronter et dépasser ses démons en puisant dans son savoir-faire, ses valeurs humaines, et sa vision. La situation économique et industrielle actuelle offre une nouvelle opportunité à la France pour briller. L’Occident et le monde ont besoin d’une France forte, influente, tournée vers l’avenir. Bill Belt 30/32
  • 31. Renouveau de l’Industrie Française 7 BILL BELT : NOTE BIOGRAPHIQUE Foncièrement je suis un littéraire, diplômé de Princeton (l’université de Scott Fitzgerald et de Michelle Obama) en Littérature et Histoire, et pourtant depuis trois décennies je suis spécialiste de la gestion industrielle sous toutes ses formes. Après avoir obtenu un MBA en Systèmes de Gestion de Production à l’Université de Columbia (l’université de Federico Garcia Lorca et de Barack Obama), j’ai travaillé pour quelques-unes des entreprises américaines les plus réputées, notamment IBM. Beaucoup de Français me questionnent sur la nature de ma passion pour la France, un pays auquel j’ai consacré une grande partie de ma vie. En effet, j’admire le génie industriel français, qui fait figure unique parmi le peloton de tête des pays industriels de la planète. J’ai découvert la France lors de mon service militaire dans la 6ème flotte américaine. À l’époque la France avait plus ou moins retrouvé son souffle mais les vestiges de la guerre et de la vie d’avant-guerre étaient toujours présents. En plus, j’avais l’impression romantique d’être sur la première ligne de défense de l’Occident, plus d’un million de soldats soviétiques étant stationnés à l’est, à seulement deux ou trois jours de marche. Je voyais la France comme une grande dame (comme disait De Gaulle) venant de si loin dans l’histoire, alliée essentielle à l’origine des USA, ancienne puissance mondiale N° 1, avec une culture et un mode de vie et de pensée exactement à l’inverse de ceux des USA ! Je voyais la France surtout comme un contrepied industriel –seul pays industrialisé dans le « Top 5 » qui ne suivait pas le modèle de comportement anglo-saxon (le Japon y ayant été converti partiellement et par la contrainte)– la France offre, ou offrait, une vision industrielle alternative au sein-même de la civilisation Occidentale. Ce qui enrichit le débat et pourrait éviter la sclérose et le monolithisme de l’Occident. Une source de renouvellement intérieur de l’industrie occidentale, et de l’Occident, l’aidant à faire face aux changements et à l’émergence de plusieurs puissances non- Occidentales, après une long période de quiétude. Tel était mon espoir. Donc, il m’a semblé possible de me positionner à cheval sur la barrière linguistique pour apporter et traduire la technologie américaine de gestion industrielle, qui à l’époque était essentiellement MRP-2, « Manufacturing Resource Planning », la technologie supportant l’Anticipation d’aujourd’hui. Pas de risque d’américanisation à outrance… les défenses naturelles de la société française en feraient l’application à leur sauce. Bill Belt 31/32
  • 32. Renouveau de l’Industrie Française Aujourd’hui, nous sommes au-delà de MRP-2 seul, et toutes les quatre maisons technologiques—l’Accélération (avec la technologie de management Lean), l’Anticipation (avec la technologie MRP-2), la Direction (avec la technologie de Planification Industrielle et Commercial ou PIC) et la Valorisation (avec le technologie Lean Costing — marchent très bien, en France et ailleurs, pour créer de a richesse, de l’emploi et de la sécurité, à condition de les appliquer correctement, ce que je désirais aider les entreprises à faire. C’est ce travail d’adaptation des sciences de gestion de production et logistique à la culture (industrielle) française qui sans doute définit le mieux ce qui a été la ligne directrice de mon existence professionnelle. Bill Belt 32/32