1. Hommage à Georges Desportes
« Et voici donc décrétée la mobilisation collective pour la guerre de la franchise et de la
liberté » Ce défi lancé contre le conformisme et le renoncement identitaire par Georges
Desportes peut éclairer sur la pensée de ce caribéen né en 1921 Sous l’œil fixe du soleil et
disparu le 5 août 2016. C’est son frère aîné Auguste Desportes appartenant à la génération
d’Aimé Césaire dont il deviendra plus tard l’ami qui l’a initié à la poésie. S’il n’est pas très
aisé aujourd’hui de se procurer ses premiers textes qui n’ont pas été réédités, il vaut vraiment
la peine de s’y intéresser.
Georges Desportes définissait la poésie comme « le jazz de choc de l’esprit en jubilation »,
ayant pour ambition de la « débalkaniser », bousculant les barrières qui figent les domaines
artistiques dans la rigidité en usant des break et riffs du jazz, ou de « fondus enchaînés »
empruntés au monde du cinéma (Cette Île qui est la nôtre). Certains critiques attribuent le
terme de « mosaïque littéraire » à cette œuvre « en ce sens qu’y voisinent le conte bref, le
poème, la pochade, l’esquisse théâtrale, le roman » (France- Antilles décembre 1987)
Déclarant être victime d’une fièvre causée par le « court-circuit » poétique tel que le
définissaient les surréalistes :
« Au milieu de la musique de mes mots,
Je suis comme un chef d’orchestre menacé
Par la foule et les cris
Alors je me bataille
avec ma fièvre »
Une parole qui réinscrit le poète dans l’espace de la terre de Balata et renoue avec des
paysages d’enfance ; il est vrai que toute sa vie il se déclarera en quête de cette sorte de
« beauté des origines » liée dans son esprit à celle des vraies valeurs….
Quand je prends la plume
Tous les mots accourent vers moi
Comme de la volaille
A qui on donne des grains »
Quoique s’étant d’abord défini comme poète de la pré-négritude, il se montre attentif, - à l’ère
d’Internet - à notre époque de modernité technologique, et « d’accélération psychique de
l’homme moderne et cultivé » ; il avait été directeur adjoint des services artistiques de RFO et
se déclarait partisan d’une pensée dynamique, de l’explosion d’une pensée obéissant aux lois
du rêve et non à celles de la logique. Il appréciait l’extraordinaire créativité contemporaine, où
disait-il, la technologie de pointe « expérimente des combinaisons insolites qui utilisent à la
fois l’informatique, le cinéma et ses truquages, les jeux vidéos, pour contribuer à faire revivre,
modernes, le merveilleux et le fantastique de la science-fiction », ce qui révèle, ajoute-t-il,
« une nouvelle saisie poétique de la vie, sa mise à portée des foules. »
2. Et sa poésie trouve sa place dans ce monde-là. Sa poésie se trouve à l’aise dans le merveilleux
comme dans le fantastique, car, dit-il, « l’âme humaine a faim et soif de vérité et de
fabulation. » Maniant avec aisance l’oxymore, il affirme « je suis la réalité imaginaire,
l’illusion qui intègre la réalité ». Il est de ceux qui estiment que pour mieux affronter le réel, il
faut pouvoir user de l’arme de la satire et n’hésite pas à braver certains interdits. Tout cela au
service de l’humain, de la « Caraïbe fraternelle », d’une lutte anti coloniale « au nom sacré de
la démocratie », avec une verve non dénuée d’humour et d’ironie parfois cinglante.
Et s’il nous dit que « la poésie est le refus de mourir », c’est d’abord parce qu’il estime que
dans notre monde mercantile et tourmenté, elle est « un état de grâce naturelle qui permet le
rééquilibrage de l’homme », de parvenir à « être à l’aise avec le Tout, en redéfinissant
l’adéquation avec le Temps ». C’est aussi parce qu’il nous adresse un conseil amical :
Fais ce qui est bien
Dis ce qui est bien
Grains d’or
De la sagesse »
Merci à toi, Geo, poète, conteur, essayiste, critique littéraire, dramaturge, bref musicien et
magicien des mots, de répandre pour nous ces Semailles de pollen :
« Ceci est dit
Pour qui veut faire profit de l’avenir
Sans figure
Marchez droit
Et sans trembler
Criez fort
Chantez criez la vie
Luttez
Et de jour et de nuit
Tenez bon
Je suis avec vous »
Liliane Fardin
Agrégée de Lettres classiques
Maître de Conférences HDR à l’Université des Antilles