Ce carnet a été distribué au public présent à l'hommage laïc pour Christian de Duve qui prend place ce samedi dès 15h à l'Eglise de Blocry d'Ottoignies Louvain la Neuve. Les textes choisis par la famille mettent en évidence la philosophie qui a présidé à la vie et la carrière du prix Nobel de médecine et éclairent aussi sa décision d'en finir avec la vie, par euthanasie, alors qu'il était atteint d'un cancer du colon.
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Accueil
Motet de la Messe pour les Trépassés
de Marc-Antoine Charpentier
Ouverture
Chant : Imagine (John Lennon)
Présentation de la célébration
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Séquence 1
Lecture : Se pourrait-il ?
Se pourrait-il qu’un homme creuse la terre
Sans que jamais il ne s’arrête de creuser ?
Qu’il descende chaque jour plus profondément
Dans les profondeurs des puits,
Qu’il creuse ainsi
Jusqu’à la moindre parcelle de terre
Et
Jusqu’aux plus lointaines blessures de la terre ?
Pourrait-il alors
Entrevoir le vide qui nous habite,
Ce vide
Qui remplit le monde et les forêts
Sans que nous le sachions vraiment.
Yves Namur
Ce que j’ai peut-être fait (Lettres Vives)
Orgue (Improvisation)
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Lecture : Le beau, le vrai, le bien
On peut se demander, devant l’importance de l’art dans
les civilisations préhistoriques, si la recherche du beau n’a
pas précédé celle du vrai et du bien dans le développement
du cerveau humain. En ce qui me concerne, je soupçonne
que l’émotion artistique, musicale en particulier, a été pour
beaucoup dans l’élaboration de mon concept d’Ultime
Réalité.
Au dessus de tout, bien entendu, je continue de situer l’amour,
ce facteur dominant des relations humaines ou, du moins, qui
devrait l’être. (…)
En fin de compte, peut-être devrais-je me référer à Héraclite
– avec son panta rhei (« tout coule ») – et remplacer
« Ultime Réalité » par « Réalité en voie de devenir », sujette
à évolution, ce mot clé de la pensée moderne, comme aussi
de tout mon récit.
Quant au mystère, (…) je conserve cette notion comme
englobant tout ce que les humains ne comprennent pas
et s’efforcent de comprendre à l’aide de ce que notre
monde contient peut-être de plus mystérieux : le cerveau.
Nous ignorons toujours comment fonctionne cette machine
admirable que nous avons dans la tête, d’où naissent nos
concepts, nos questionnements, nos émotions, nos valeurs,
notre capacité d’amour.
Christian de Duve
Sept vies en une
(Odile Jacob)
Orgue (Improvisation)
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Lecture : Fais, Seigneur…
Fais, Seigneur, qu'un homme soit saint et grand
et donne-lui une nuit profonde, infinie,
où il ira plus loin qu'on ait jamais été ;
donne-lui une nuit où tout s'épanouisse,
et que cette nuit soit odorante comme des glycines,
et légère comme le souffle des vents,
et joyeuse comme Josaphat.
Fais qu'il parvienne enfin à maturité,
qu'il soit si vaste que l'univers suffise à peine à le vêtir ;
et permets-lui d'être aussi seul qu'une étoile
pour qu'aucun regard ne vienne le surprendre
à l'heure où son visage change, bouleversé.
Fais que le temps de son enfance ressuscite dans son cœur ;
ouvre-lui de nouveau le monde des merveilles
de ses premières années pleines de pressentiments.
Fais qu'il lui soit permis de veiller jusqu'à l'heure
où il enfantera sa propre mort,
plein d'échos comme un grand jardin
ou comme un voyageur qui revient de très loin..."
Rainer Maria Rilke
Le Livre de la Pauvreté et de la Mort
(Traduction d’Arthur Adamov, Actes Sud)
Orgue (Improvisation)
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Séquence 2
Lecture : Un dernier virage
J'allais conclure sur cette « profession de foi », lorsqu'une
dernière autocritique m'a soudain fait changer d'avis.
Je me suis rendu compte que cette notion d'Ultime Réalité,
que j'ai énoncée il y a dix ans et réitérée depuis à plusieurs
reprises, n'était pas le fruit d'une conviction raisonnée,
mais bien un simple prolongement de ce fil conducteur issu
du déisme de ma première enfance qui transparaît tout
au long des citations qui précèdent. Il est enveloppé d'un
« flou artistique » qui me permet de prendre mes distances
à l'égard d'une croyance que mon cerveau rationnel rejette,
tout en continuant à baigner dans le mysticisme romantique
du boy-scout qui contemple le ciel étoilé. Suite à cette
constatation,lanotiond'UltimeRéalitéacesséd'emportermon
adhésion. Elle est devenue pour moi une cause d'embarras
et de malentendu, que je me dois de dissiper tant que j'en ai
encore le temps.
En effet, cette notion évoque presque immanquablement
celle d'une entité intemporelle dont nous ne faisons que
découvrir l'existence et la nature. Entre mon Ultime Réalité
et l'Être immanent des religions monothéistes, le pas est
aisément franchi. Je n'en voudrais pour preuve que l'accueil
favorable que ma proposition a reçu d'un grand nombre
de croyants. Pour ceux que j'induirais à franchir ce pas,
je dois à l'honnêteté intellectuelle de préciser que telle n'est
pas mon intention. Je ne puis plus, rationnellement, me rallier
à ce concept d'un Être immanent.
Christian de Duve
Sept vies en une
(Odile Jacob)
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Parole de Thierry
Parole d’Alain
Parole de Daniel
Chant : Volver (Olivia Ruiz)
Parole de Françoise
Orgue : Auf meinen lieben Gott BWV 646 (J.S. Bach)
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Séquence 3
Lecture : On raconte
On raconte que l’un des anciens étant à l’agonie, à Scété,
les frères qui l’entouraient le revêtirent d’un linceul et se
mirent à pleurer. Mais lui, ouvrant les yeux, éclata de rire.
Il rit une seconde et une troisième fois. Lorsque les frères
l’entendirent, ils lui dirent : « Père, dites-nous pourquoi vous
riez tandis que nous pleurons ? » Il répondit : « La première
fois j’ai ri parce que vous avez peur de la mort. La seconde
fois, parce que vous n’êtes pas prêts à mourir. Et la troisième,
parce que je quitte mon labeur pour aller vers mon repos. »
Et, ayant prononcé ces paroles, il ferma les yeux et mourut.
Thomas Merton
La sagesse du désert
(Albin Michel)
Parole d’Anne qui chante a capella
The death of Queen Jane de Joan Baez
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Séquence 4
Parole du professeur Bruno Delvaux, recteur de l’UCL
Parole du professeur Émile van Schaftingen directeur de
l’Institut de Duve
Parole du professeur Jean Vandenhaute, de l’université de
Namur, ami de Christian de Duve
Orgue : Fantasia en sol mineur (J.S. Bach)
Séquence 5
Lecture : Brûlante actualité
De toute évidence, le message de Jésus reste d’une actualité
brûlante. Dans son essence, il annonce une nouvelle forme
de rédemption qui correspond exactement à ce que notre
vision darwinienne de la condition humaine recommande
si nous voulons échapper aux conséquences fatales de la
tache originelle imprimée dans nos gènes par la sélection
naturelle. Toutefois, pour être efficace, il doit être détaché
de son contexte biblique et adapté aux conditions nouvelles
de l’humanité, totalement imprévisibles du temps de Jésus.
Surtout, il doit être débarrassé de la mythologie qui a été
développée autour de lui au cours des siècles, qui réserve
sa portée centrale aux seuls croyants. Car c’est ici que le bât
blesse.
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D’où viendra l’initiative ? (…)
La réforme ne peut venir que de la base.
Clercs et laïcs, croyants et libres-penseurs de toute obédience
doivent, non pas effacer leurs différences – ce serait
impossible – mais chercher ensemble, au-delà de ce qui les
divise et avec le concours du plus grand nombre possible
de philosophes, de moralistes, de scientifiques et d’autres
penseurs unis par l’honnêteté intellectuelle, un énoncé du
message de Jésus adapté aux conditions actuelles et sur
lequel ils pourraient se mettre d’accord. Il appartient à tous les
hommes et femmes de bonne volonté de définir ensemble,
dans le cadre de ce message – qu’il me paraît préférable
de ne pas appeler chrétien pour éviter les amalgames – les
directives qu’il conviendrait de suivre pour nous délivrer de
notre « péché originel génétique ».
Christian de Duve
De Jésus à Jésus en passant par Darwin
(Odile Jacob)
Orgue (Improvisation)
Évangile : « Je vous appelle amis »
Avant la fête de la Pâque, Jésus sachant que son heure était
venue, l’heure de passer de ce monde au Père, lui, qui avait
aimé les siens qui sont dans le monde, les aima, jusqu’à
l’extrême. Au cours d’un repas, Jésus se lève de table, repose
son manteau et prend un linge dont il se ceint. Il verse ensuite
de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds de
ses disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.
Lorsqu’il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus prit son
manteau, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce
que je vous ai fait ? Vous m’appelez “ le Maître et le Seigneur ”
et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé
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les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi
vous laver les pieds les uns aux autres, car c’est un exemple
que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le
vous aussi. En vérité, en vérité, je vous le dis, un serviteur
n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand
que celui qui l’envoie. Sachant cela vous serez heureux si du
moins vous le mettez en pratique.
(…)
Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous, pour que
vous soyez pleins de joie. Voici mon commandement :
aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Nul
n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie
pour ceux qu’il aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que
je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le
serviteur reste dans l’ignorance de ce que fait son maître ;
je vous appelle amis.
(Jean 13,1… 17 et 15, 12-15)
Prolongement amical (Gabriel Ringlet)
Orgue : Que ma joie demeure Cantate 147 (J.S. Bach)
12. Envoi
Lecture : Pour aller dans une étoile
Toujours la vue des étoiles me fait rêver, aussi simplement
que me donnent à rêver les points noirs représentant sur la
carte géographique villes et villages. Pourquoi, me dis-je,
les points lumineux du firmament nous seraient-ils moins
accessibles que les points noirs sur la carte de France ?
Si nous prenons le train pour nous rendre à Tarascon ou à
Rouen, nous prenons la mort pour aller dans une étoile.
Ce qui est certainement vrai dans ce raisonnement, c’est
qu’étant en vie, nous ne pouvons pas nous rendre dans une
étoile, pas plus qu’étant morts, nous puissions prendre le
train. Enfin, il ne me semble pas impossible que le choléra,
la gravelle, la phtisie, le cancer, soient des moyens de
locomotion célestes, comme les bateaux à vapeur, les
omnibus et le chemin de fer sont des terrestres.
Mourir tranquillement de vieillesse serait d’y aller à pied.
Vincent Van Gogh
Lettres à Théo (Gallimard)
Finale du film qu’Aurélie, petite fille de Christian de Duve,
a consacré à son grand-père.
Chant des petits enfants : « Je tire ma révérence »
Invitation
Requiem de Fauré pendant les salutations.
À l’orgue : François Houtart, compositeur, titulaire des orgues du couvent
St Antoine à Bruxelles.