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Sur les traces de la haine vers Eden
Pierre st Vincent
Chapitre 1 Reveil
« Mr Reyna, vous avez accepté de venir dans les bureaux de notre
société. Je me suis mis à votre entière disposition pendant plus de
dix minutes ! Nous vous avons proposé un salaire hors du commun…
Vous pouvez devenir le responsable des jeux d’ERT… vous hésitez
encore !
Je vous pose une dernière fois la question…
Voulez-vous ce poste oui ou non ? »
*
Ces mots de ce 15 mai 2 080 étaient les seuls dont il se souvenait à
l’instant de son éveil. Prononcés d’une voix quasi hystérique par le
président de la multinationale ERT, ces propos agressifs l’avaient
mis, bien malgré lui, au seuil d’une aventure bafouant ouvertement
les lois édictées par la société néo-individualiste en vigueur en cette
fin de siècle.
Pour la suite de son entrevue, il devinait que quelque chose
d’étrange s’était passé au fond de son être.
*
Dans son appartement, Childéric Reyna venait de se réveiller d’un
surprenant sommeil de 5 jours et 5 nuits consécutives ! Ce long
repos ne pouvait avoir d’autres explications que la configuration de
Cervoclonis, cet « ordinateur cerveau biochimique » incomparable
dont il était détenteur.
Il subsistait, au fond de son être, une impression confuse. Il revivait,
par épisodes, cette étrange journée du 15 mai, passée au milieu d’un
parc immense, baigné de lumières irréelles.
Une fête y avait été organisée par le président d’ERT.
A son issue, ce dernier l’avait rencontré.
*
Au fur et à mesure de la reprise de sa conscience, il revivait cet
accueil froid, impersonnel et rapide où il avait été nommé « maître
des jeux » d’une série de divertissements développés par ERT.
Il avait été subjugué voire hypnotisé par son interlocuteur ; des yeux
bleus, aux commissures asiatiques ourlées de rides, donnaient une
expression coupante à un regard extravagant.
L’intelligence et le mystère perçaient dans tout ce qu’il faisait ou
disait.
Childéric se souvenait vaguement de sa réponse, sans conviction :
« Oui, finalement, j’accepte ! »
Il avait l’impression que cette réponse lui avait été arrachée de force
dans le cadre d’une réunion préparée à l’avance. Tout ceci
ressemblait à un piège !
Aucune négociation n’avait eu lieu. Les conditions lui avaient été
proposées dès le début de la réunion : salaire doublé, embauché à
vie… ! Invraisemblable !
Pouvait-il refuser une telle proposition ?
A aucun moment il n’avait imaginé la suite de l’aventure qu’il allait
vivre !
A partir de l’obtention de cet accord, le président lui avait remis ce
qu’il appelait « l’extension neuronale. »
Cet étrange module complétait « Cervoclonis » que Childéric avait
acheté quelques mois auparavant.
Assemblés l’un avec l’autre, l’ensemble devenait « une console de
jeux inégalée ».
Un miracle de technologie !!!
Sans ambages, le président était passé à ce qu’il appelait « le
formatage ».
Ce terme informatique, appliqué à un être humain, lui était apparu
étrange dans le cadre de sa future fonction de maître des jeux.
Childéric s’était aperçu alors, confusément, qu’il avait été victime
d’une introspection mentale lors de cette séance.
Ni son père ni sa fiancée n’avaient pu l’empêcher de faire cette
expérience ; personne de qualifié ne l’avait assisté pour juger du
fondement de l’expérience, car il s’agissait bel et bien, pensait-il,
d’une expérimentation !
Sortant de cet invraisemblable sommeil, Childéric Reyna reprenait
petit à petit confiance et conscience de son identité.
Les yeux hagards, les jambes pendant au bord du lit, il cherchait…
cherchait la partie de lui-même… disparue.
Très confusément, il nota qu’il ne se sentait plus en osmose parfaite
avec lui-même.
Et aujourd’hui, au réveil, il était désemparé, comme en état de
manque.
Son regard se porta sur Cervoclonis gisant sur le sofa. Une action
irraisonnée lui fit le saisir et l’installer à l’endroit qu’il n’aurait
jamais dû quitter : le sommet de sa tête.
A cet instant précis, il était devenu le nouveau Childéric Reyna,
maître des jeux les plus extraordinaires que ce siècle ait engendrés.
Il s’habilla fébrilement et se souvint des derniers propos du
président.
Ce dernier lui avait conseillé, dans un premier temps, de constituer
une équipe d’experts internationaux pour l’aider dans son analyse
de la cohérence et de la réalité des divertissements d’ERT.
Les jeux qui lui étaient confiés n’avaient pas encore été contrôlés
par des spécialistes !! Lui, qui était néophyte dans ce domaine, avait
été choisi parmi une foule de candidats ! Etrange démarche !
Bien vite, ces quelques questions, remontant du fond de son être,
avaient laissé place à une excitation montant en lui, exacerbée,
incontrôlable. Une motivation encore jamais ressentie dans sa
courte vie le parcourait, illuminait ses pensées et précipitait ses
gestes.
Il rechercha fébrilement un globe terrestre et le parcourut avec son
index, les parallèles et les méridiens découpant fictivement la Terre
par portions de cent-vingt degrés de longitude en partant du
méridien de Greenwich, ceci du pôle nord au pôle sud, et des
latitudes plus quatre-vingt-dix-degrés à moins quatre-vingt-dix
degrés.
Il parcourut chacune des tranches délimitées ainsi, et décida de
sélectionner plusieurs participants localisés dans chacune de ces
portions. Il désigna ensuite, arbitrairement, la quantité de six
hommes et six femmes d’une trentaine d’années.
La machine, équipée de son module neuronal, possédait la liste des
détenteurs de machines. Elle lui suggéra aussitôt les noms de
personnes paraissant posséder les aptitudes requises.
Childéric ne contesta pas son analyse et les joignit d’abord par
liaison à distance. Ces premiers contacts vidéo-psycho-senso-
phonique (VPSP) permettraient de les jauger, les questionner, puis
de décider du parcours des premières étapes de rencontres pour les
jeux.
Cervoclonis le guidait sur ces bases, entraînant l’esprit de Childéric
dans un processus quasi incontrôlable et d’une efficacité redoutable.
Tous les gens pressentis acceptèrent aussitôt, plus rapidement qu’il
ne l’avait fait lui-même quelques jours plus tôt chez le président.
Trois rendez-vous furent arrêtés et organisés aux épicentres des pays
ou continents de résidence des membres de la future équipe.
*
Avant son départ Childéric songea longuement à sa vie passée, à ses
amis, à sa famille proche dont il n’avait pas de nouvelles ; il appela
sa fiancée de l’instant, et à l’issue de cet entretien sans passion, prit
alors la décision irrévocable de se lancer à corps perdu dans cette
nouvelle aventure.
Sa valise prête, les billets l’attendant sur son bureau, sans regret, il
se rendit au terminal des envols internationaux et décolla par la
première navette pour Guangzhou, Empire du Levant.
Après deux heures de vol, alors que l’étrange aéronef préparait son
atterrissage, il découvrit la ville, telle que Cervoclonis l’avait pré-
inscrite dans ses neurones.
Au loin, vers l’est, apparaissaient, irréelles, les cimes des gratte-ciel
de Hong Kong.
Directement en dessous de la navette et s’étendant quasiment
jusqu’à la mer de chine, vivait la ville de Guanzhou.
Devenue capitale des provinces de Guangdong, Fujian, Jiangxi,
Hunan, et Guangxi, cette ville était devenue le centre de vie et le
poumon industriel de l’Empire du levant, dans sa partie orientale.
Se côtoyaient immenses bâtiments et entrepôts, usines gigantesques
et parcs de verdures.
Perdus dans cet immense amoncellement de béton, apparaissaient
quelques vestiges de son lointain passé : le Guangdong provincial
muséum, le Six Banyan trees temple, le Guangxiao temple, le Nansha
Tianhou Palace…
Au centre de cette débauche de vitalité, serpentaient la « rivière de
perles » et son impressionnant delta. Les traits d’écume des bateaux
jaillissaient, projetés sur les rives couvertes de mille jardins aux
couleurs éclatantes.
Dans l’espace, se faufilant entre les sommets des buildings, des
nuages d’engins volants se croisaient dans un balai effrayant.
Après avoir tremblé quelques minutes, pendant l’atterrissage,
Childéric descendit non sans plaisir de son étrange navette.
Ayant franchi tous les contrôles d’hygiène et de sécurité, il loua sans
difficulté l’un des nombreux véhicules à photons. Sa surprise fut
grande de se rendre automatiquement et sans encombre au lieu de
rendez-vous, tenant compte de la taille gigantesque de cette
mégalopole tentaculaire de plus de 50 millions d’individus !
Arrivé à la salle de meeting, située dans l’un des nombreux Hôtels
d’Empire, il y entra timidement, vraiment stressé. Une fois à
l’intérieur, son appréhension le quitta. Il venait de reconnaître
individuellement les quatre participants, tant les liaisons VPSP
étaient remarquables et les dossiers constitués sur eux, précis !
Chapitre 2 Cervoclonis clé de conscience ?
Childéric aurait pu transférer la programmation par liaison à
distance, et le périphérique neuronal par courrier ultra-rapide et
confidentiel, mais, étrangement Cervoclonis lui avait suggéré ces
rencontres directes !
Cervoclonis, équipé de son module neuronal, semblait vouloir plus
que rencontrer virtuellement ; il désirait « toucher de ses
perceptions de machine » les membres de l’équipe sélectionnés,
comme s’il était humain !
Childéric réagissait à ses sollicitations tel un apprenti. Lui qui était
d’essence humaine, suivait la logique d’un cerveau de nature
biochimique et engendré en laboratoire ! Il venait de comprendre,
en cet instant, malgré le peu d’espace laissé par la machine dans sa
matière grise, son réel état de dépendance.
Depuis le début de l’expérience, il ressentait des émotions disparues
depuis des années ; Cervoclonis les lui transmettait et il les intégrait
comme un écolier. Chaque seconde le binôme s’auto alimentait,
mais… il avait l’impression de ne plus être le maître.
Sortant peu à peu de cet état hypnotique, il décida de démarrer la
réunion en lisant et appliquant le protocole de rencontre gestuel et
physique. Il salua d’abord Luan Shing Peï, première femme de
l’Empire du Levant à posséder Cervoclonis. Sans réfléchir il se
déplaça vers elle, puis lui serra la main… longuement, comme
aimanté, ne pouvant s’en défaire !
Il y avait si longtemps que l’humanité ne pratiquait plus ce qui
apparaissait, en cet instant, comme une dérive au protocole !
Dans la page quatre du livre du cérémonial il était écrit que la durée
des gestes, quels qu’ils soient, était brève et de faible puissance.
Au bout de quelques instants lui paraissant un siècle, Luan Shing Peï
retira sèchement sa main, laissant apparaître sur son visage confus
et rouge une surprise bien compréhensible, sa bouche portant un
rictus de dégoût.
Responsable de cette atteinte inconcevable au protocole, Childéric
se troubla, comprenant un peu tard que le coupable de cette dérive
était… Cervoclonis… la machine !!!
Déconcerté, Childéric reprenant peu à peu le dessus, salua les autres
membres. Ils le regardaient étrangement ! Mentalement, il se mit à
semoncer la machine, qui s’attribuait, lui paraissait-il, des
prérogatives non identifiées dans les fiches techniques. Il sentit
aussitôt la réaction de Cervoclonis, dans son être, physiquement et
intellectuellement, comme si cette injonction psychique avait affecté
la machine dont la réaction le perturbait en retour lui, l’être
humain !
Ces instants d’échanges intra-cerveaux avaient l’air de déranger les
quatre membres de l’équipe ; ils l’examinaient avec répugnance,
essayant de comprendre ce qu’il se passait. Childéric était de plus en
plus déstabilisé et se laissait ballotter au gré du temps et des
événements par Cervoclonis…
Tous étaient assis, un silence lourd régnant dans la salle.
Au bout de quelques instants, il rompit ce calme malsain, reprenant
ses esprits et remettant à chacun les extensions neuronales dédiées
aux jeux. Puisant dans le peu de courage qui lui restait, il se
présenta, définissant son rôle et demandant aux membres de la
future équipe de le faire à leur tour. Son premier regard rougissant,
se porta sur Luan, l’incitant à commencer.
Luan inclina la tête et, bizarrement, tenta longuement de convaincre
l’assemblée de la validité de sa candidature
« Luan Shing Peï est le nom que l’Empire du Levant m’a donné lors
de ma naissance, alors que j’ai succédé à mon double biologique par
clonage peu de temps avant son grand voyage céleste. Il était de
sexe féminin.
Je suis heureuse de vivre humainement dans cette situation. Mon
âge est de 33 ans, je suis saine physiquement et ai subi à ma
naissance les traitements Barrates, donc, ne peux transmettre de
maladies, ni en développer. Je pense avoir une résistance peu
commune aux émotions humaines telles qu’elles sont décrites dans
les livres anciens. Quels sont les critères qui vous ont guidé dans le
choix de ma candidature ? Ils sont pertinents, croyez-moi.
De plus, n’ayant pour parents que les représentants de l’Empire, je
peux vivre sans contrainte de liens affectifs parentaux. Célibataire
sans enfant, diplômée en biologie cellulaire et archéologie, je
pourrais sans aucun doute apporter mes connaissances pour
améliorer le ou les jeux. L’Empire du Levant auquel j’appartiens,
s’étend des plaines de Sibérie aux limites de l’Océan indien. J’habite
Qufu dans l’ancienne Chine. ».
Quelques phrases s’ajoutèrent à ce long plaidoyer, puis, elle
s’interrompit enfin.
Childéric la remercia, l’invitant à s’asseoir ; mais elle ne bougea pas.
Childéric songeant au prochain membre de l’équipe, releva la tête et
la vit encore debout.
« Oui… Melle Luan Shing Pei, qu’y a-t’il ? Que puis-je faire pour
vous ? ».
Cervoclonis, suggérant qu’elle était très belle, déstabilisa Childéric. Il
réalisa alors que la machine venait de porter un jugement pour le
moins surprenant ! Abasourdi, il ne put faire qu’un geste de la main,
l’incitant à continuer.
Luan battit des cils et posa la question lui brûlant les lèvres.
« Je voudrais savoir quelles sont les garanties données par ERT,
pendant la durée du jeu, sur la pérennité du nouveau périphérique,
son entretien, sa durée, sa fiabilité, ainsi que les perspectives de
satisfactions ou d’avantages dont nous pourrions bénéficier ? Nous
connaissons tout ou presque sur le module de base Cervoclonis,
quid de cette extension neuronale ? ».
Childéric l’avait ressenti au premier contact. Cette fille n’était pas
ordinaire : structurée, directe, intelligente, curieuse.
« Votre question est recevable. Nous allons vous répondre, ainsi
qu’à l’ensemble de l’équipe, après la mise en place physique et
psychique du module. En attendant, laissons la parole à cet autre
membre. ».
Répondit-il, en désignant le participant le plus à sa droite.
Un géant blond, étrangement habillé, se leva de son siège, saluant
respectueusement Childéric ainsi que ses futurs équipiers. D’une
voix puissante et assurée, il se présenta :
« Mon nom est James Klinton, diminutif JK, 30 ans, hémisphère sud,
Australie, Melbourne, célibataire sans enfant, ingénieur spécialiste
en intelligence artificielle, diplômé de l’université de Lexington. Je
suis le seul représentant mâle de cet hémisphère. Nous avons pris,
Helena McDonagh et moi-même, la navette d’hier, 25 juillet 2 080,
temps terrestre. Je suis à votre disposition Mr Reyna pour l’aventure
proposée par ERT.
De plus, je souscris aux questions posées par Melle Luan Shing
Pei. ».
« Voilà un homme concis, rapide, sans fioriture orale », pensa
Childéric, en donnant la parole à la deuxième femme du groupe.
Rousse comme il n’était pas possible de l’être, un peu boulotte, un
visage sympathique mais ingrat, éclairé par un sourire radieux, elle
s’adressa gauchement, mais clairement à son interlocuteur.
« Helena McDonagh, diminutif HM, fille de John et Mariett
McDonagh, 35 ans, ingénieur agronome diplômée de l’école
d’agriculture de Perth, Australie sud-orientale. Non mariée, deux
enfants élevés par leurs grands-mères, obtenus par parthénogenèse
multi ovulaire. Je suis libre de disposer de mon temps pour
participer à ce que j’imagine comme la plus palpitante aventure de
cette fin de siècle. J’écouterai avec intérêt votre commentaire sur les
questions de Mrs Luan. ».
Un silence s’installa, dans l’attente de plus d’informations.
« Avez-vous terminé, Mrs McDonagh ? Oui ? Très bien. Vous avez la
parole désormais Mr Takamaki Sone. »
Lança Childéric, en se positionnant face à un homme de stature
chétive.
Takamaki Sone, se démarquant de ses équipiers par sa petite taille,
des cheveux noirs plaqués et rassemblés à l’arrière en catogan,
portait une tenue de dandy asiatique. En s’inclinant à la manière de
ses ancêtres il salua respectueusement l’ensemble de ses collègues,
puis, se lança dans un long monologue.
« Nous appartenons, Luan et moi, à l’Empire du Levant, mais ma
terre est à l’extrémité de l’orient. Mon ancienne patrie s’appelait :
Japon. Le Japon vient d’adhérer tout récemment aux Etats Unis du
Levant plus connu sous le patronyme : Empire du Levant.
Mon nom est Takamaki Sone et je viens d’obtenir le dernier prix
Nobel de géologie. Mon équipe et moi-même, avons démontré par
modélisation et tests grandeur nature, dans la mégapole de Kyoto,
l’évolution de la Terre depuis moins 3,6 milliards d’années à nos
jours. J’ai compressé fictivement le temps, faisant franchir à
l’humanité, en quelques jours, un parcours de plusieurs millions
d’années. Ceci est applicable aux minéraux, aux végétaux, aux
bactéries, aux premiers animaux. Nous sommes extrêmement
proche de créer le… premier…. ».
Arrivé à ce point de son discours, il s’arrêta, ayant soudain
conscience de dévoiler quelque chose d’incompréhensible pour
l’assemblée.
Après un instant, il continua :
« Je suis, en tant que scientifique, excité à l’idée de me lancer dans
cette équipée pour découvrir les capacités de cette extension
neuronale. ».
Un bref silence, puis il reprit son discours monocorde, le visage
éclairé d’émotion : « Nous, dans l’ancien Japon, ne sommes pas
encore entrés, dans la société dite néo-individualiste.
Notre mode de vie collectiviste, et le peu d’espace dont nous
disposons, n’ont pas favorisé notre adhésion au modèle cité ; aussi,
sommes-nous encore des barbares pour l’Empire ! Nous avons
cependant éradiqué les maladies, grâce aux découvertes de Barrates.
Nous sommes donc sains physiquement. Nous avons gardé les
concepts extrême-orientaux, concernant les flux yin et yang circulant
dans notre corps et liés au cosmos.
Cette maîtrise réduit les conflits entre personnes. Nous avons
conservé sur nos îles, nos protocoles de rencontre basés sur le
respect de l’être humain.
Pardonnez-moi d’avoir parlé aussi longtemps, alors que vous ne
connaissez rien de mon entourage !
Mon âge est de 40 ans, et je viens de perdre ma vénérée compagne
ainsi que mes deux enfants, dans une stupide explosion
d’immeuble. Je suis un homme détruit et libre par la force du destin.
J’imagine que ce jeu va dériver mon émotion. ».
Childéric découvrait au cours de cette rencontre les carences du
monde actuel. La société humaine n’était pas aussi stable et
homogène qu’il l’imaginait. Un peu ému par cette dernière
présentation, Childéric suggéra une pause dans la réunion autour
d’un snack-buffet-café.
Alors qu’il se dirigeait vers le buffet, il cherchait à comprendre
pourquoi Cervoclonis avait choisi Takamaki Sone ?
Il se souvenait de l’insoutenable épreuve subie lors de la
configuration de l’extension neuronale.
Takamaki allait-il résister après toutes les épreuves subies ?
Lui, Childéric, avait eu peur avant même de commencer la séance !
Il réalisa, en sortant de ses pensées, que les participants attendaient
sa venue pour goûter les délices locaux… garantis sans bactéries et
sans goût.
Etrangement, le café et les gâteaux avaient une saveur distincte de
ce qu’il consommait lors des événements de ce type !
Existait-il réellement une différence ? Car enfin les grandes sociétés
multinationales organisant ces manifestations avaient les recettes
définies par les comités d’hygiène !
Pendant le déroulement de ce break, Childéric ne put lier
conversation. Depuis ses échanges avec Takamaki, il entrevoyait
l’inégalité entre les vies et leurs applications, les nourritures, les
destins des individus, l’influence du passé sur le présent. Il l’avait lu
dans des revues dites non-conformistes, sans le croire, mais sur le
terrain les choses étaient si différentes, les humains si
dissemblables, et la force de la réalité vécue si hétérogène !
Cervoclonis, qui avait voulu cette réunion, n’était-il pas en train
d’assurer la formation de Childéric à son insu ? Le monde
fonctionnait-il à l’envers ? Une machine apprenait à l’humain autre
chose que la science, les mathématiques, ou la comptabilité ! Etait-
ce le concepteur de Cervoclonis, ou la fonction d’auto création de la
machine, qui manipulait tout et dépassait l’inventeur ? Le regard
sombre, ces réflexions occupèrent tout l’intermède café et il
n’adressa finalement pas la parole aux autres membres.
Le buffet terminé, chacun revint à sa place.
Dans le calme apparent, les yeux des auditeurs brillaient d’une
excitation contenue. Le maître des jeux allait-il enfin livrer à ses
assistants le secret de ce fabuleux module ?
Chapitre 3 Pourquoi des jeux ?
Childéric ne pouvait plus reculer ; il devait lancer la série de jeux la
plus géniale de cette fin de siècle. Il commença timidement :
« Je vous rappelle que le début de tous les jeux se fera en
prononçant le titre : UN PAS DANS L’HUMANITE A LA RECHERCHE
DES ORIGINES. »
Son anxiété le quittant peu à peu, il se souvint des paroles du
président et l’imita, lançant de manière impersonnelle les propos
qui l’avaient tellement impressionné.
« Reprenez Cervoclonis, positionnez le correctement ! ».
Chacun prit d’un mouvement nerveux sa machine équipée du
nouveau module de jeu, et la plaça sur sa tête.
« Test de réalité virtuelle, en route. Vous devrez, avant d’entrer dans
le process des jeux, vous soumettre à ces tests. Réalité ou fiction,
vous voici dans le monde des jeux ERT.
Procédure de configuration en marche… nous partons.
Vous devez posséder la connaissance de ces JEUX à 99 % de mon
propre savoir et surtout ne jamais sortir des jeux, je répète ne
jamais sortir, sans respecter les procédures d’éjection. »
Il venait de marteler la dernière phrase, comme s’il s’agissait d’une
question de vie ou de mort !
« La machine est réglée pour juger de votre niveau de stress ou
d’angoisse par rapport à des situations à la frontière de la
vraisemblance. Pendant la procédure d’essai, nous allons régler vos
limites d’émotion de manière à stopper la machine avant que vous
ne fassiez un collapsus. Ces seuils doivent être calqués sur ceux
ajustés par le président sur mon esprit. ».
*
Chacun sentait l’angoisse s’insinuer sournoisement, mais ils avaient
accepté une aventure, certainement la plus intéressante de cette fin
de siècle des temps moyen-modernes.
*
Childéric laissa sa machine guider la simulation de situations.
Cervoclonis ressortait de sa fabuleuse mémoire des scènes tellement
crédibles, si proches de la réalité, que les membres de l’équipe les
vivaient intensément, sursautaient, criaient, avaient le visage tordu
par la douleur, riaient comme des enfants, se contorsionnaient,
faisaient des gestes inachevés, tremblaient de peur, mains en
position de protection, tentative de fuite, yeux rouges à la limite des
larmes, poings fermés, spasmes de membres.
Sa machine, menant les tests, avait volontairement exclu Childéric
pour lui laisser observer les réactions des participants et réagir en
cas de perte de conscience de l’un d’eux.
Après plusieurs arrêts, la procédure d’essai arriva enfin à son terme.
*
Tous les équipiers étaient hagards, fatigués, mais heureux.
Chacun voulait qualifier ses émotions par rapport aux simulations. Il
n’y avait pas de superlatifs suffisamment puissants pour décrire ce
qui leur était arrivé…
Tous voulaient continuer l’aventure ; ils ne posaient plus les
questions soulevées par Luan au début de la réunion.
Les réponses avaient été trouvées dans la période de tests.
Un soupçon traversa cependant l’esprit de Childéric : Cervoclonis
n’avait-il pas glissé quelques messages subliminaux au cours de la
formation ?
Après la mise en œuvre de ces tests, Childéric avait l’intention de
définir de vive voix les grandes lignes de ces divertissements un peu
spéciaux.
Mais, pour continuer le meeting, il devait bloquer mentalement et
fortement l’intervention de Cervoclonis, la machine montrant une
volonté un peu trop forte de leadership sur son utilisateur. Cette
détermination se confirmait jour après jour, et malheureusement,
Childéric était obligé de vivre cette surprenante situation !
Après mûre réflexion, il se risqua à demander respectueusement à la
machine son assistance !
Ebahi, il acquit en retour « l’accord » de la machine, réalisant que la
diplomatie cérébrale portait ses fruits, ce qui apparaissait
invraisemblable !!
Fort du soutien de Cervoclonis, il poursuivit la réunion en abordant
le cœur de l’information.
« Nous allons passer, maintenant que chacun de vous est
« formaté », à la définition des jeux. »
Au même titre que le Président, il prononça ce mot si usuel dans le
monde des informaticiens ; désormais, il en comprenait
l’importance !
*
Vous l’avez tous noté, la série des jeux s’appelle : UN PAS DANS
L’HUMANITE A LA RECHERCHE DES ORIGINES.
Nous allons parcourir le temps… depuis les origines de l’apparition
des primates, vers -70 millions d’années avant J.-C., jusqu’à notre
temps, en nous intégrant fictivement aux sites des plus grands
événements qui ont fait progresser l’humanité.
Nous négligerons volontairement le laps de temps écoulé entre le
Big Bounce et les milliards d’années ayant précédé cette période
d’étude avant J.-C., l’humain n’ayant que peu d’influence en ces
temps reculés.
Vous devrez choisir l’un des trois scénarios de base proposés par la
machine. Découlant de votre choix, vous entrerez dans l’une des
aventures. Une seule sera proche, ou sera la réalité historique,
géologique, ou politique.
Vous serez intégré dans l’équipée et mènerez l’histoire à votre guise.
Certaines invraisemblances baliseront votre quête.
Plus vous laisserez passer d’extravagances, plus la machine se liguera
contre vous.
Votre corps accumulera des souffrances physiques fictives et vous
rencontrerez de plus en plus de difficultés, auto-créées par
Cervoclonis.
Pour sortir de l’état de peur ou de souffrance, vous devrez lancez la
procédure d’éjection.
L’éjection réalisée, vous devrez alors reprendre le jeu au point de
départ ; vous serez guidés jusqu’à votre première erreur.
Celle-ci vous sera expliquée.
Vous pourrez contester, à la lumière de vos grandes connaissances,
la solution proposée.
D’autre part, un joueur pourra interrompre son enquête en
demandant avis, à travers moi, au panel d’experts que vous êtes
dans vos domaines.
Une seule demande de spécialiste sera acceptable par interruption.
L’expert désigné devra obligatoirement interrompre sa propre quête
et assister le participant en échec.
Si Cervoclonis est porteur de la vraie solution, le joueur en difficulté
reprendra le jeu avec un handicap à la mesure de son échec.
L’expert choisi reprendra sa propre aventure et aura gagné une
étape, ou sera remis dans le bon scénario, si par hasard, lui aussi
était en faute.
Lorsque la situation, vue par Cervoclonis, divergera de votre propre
appréciation de professionnels et que vous aurez raison, nous
interromprons le cours des jeux pour discuter des modifications à
apporter.
Ce type d’interruption ne sera pas pris en compte dans les temps du
jeu, et vous sera rémunéré par ERT.
A chaque arrêt, je me joindrai à vous, d’abord en liaison à distance,
puis, si l’événement appelle une expertise sur le terrain, je me
rendrai in situ avec les experts désignés.
Je redis, en insistant : grâce à cette phénoménale machine, chacun
d’entre vous va être propulsé dans une zone où l’humanité a évolué,
et participer en réalité virtuelle aux péripéties de cette évolution :
vous serez un acteur intégré dans l’histoire, vous pourrez demander
des moyens humains : de l’argent, une armée, des armes, être
primate, homo sapiens, général d’armée, Chef d’Etat, député,
médecin, souffleur de verre, forgeron, savant, vous pourrez voir
votre image dans l’eau, sur le verre, dans des miroirs. Vous habiterez
et vivrez à votre convenance dans l’histoire du jeu. Si vous êtes un
personnage célèbre, vous aurez votre portrait qui apparaîtra dans
les lieux où vous passerez.
Votre mental sera le guide de la place tenue dans votre scénario :
actif, observateur, témoin.
*
Avant de faire vos choix de scénarios ou durant ce dernier vous
pourrez appliquer la procédure d’éjection pour vous rendre
rapidement et physiquement dans le pays, la ville ou le village que
nous avons sélectionnés, afin de caresser les vestiges, comparer les
images du jeu avec la réalité, ramener des échantillons, les analyser,
et confirmer ainsi la véracité des informations contenues dans le
périphérique neuronal.
Bien sûr, ces recherches retarderont l’échéance de votre propre
aventure !
La fin de l’histoire s’achèvera par l’avènement d’un pas significatif de
l’humanité, positif ou négatif.
Par exemple : le début d’une période de glaciation, le début de l’âge
de bronze, la disparition de l’Atlantide, la destruction de Sodome ?
Que sais-je encore ?…
Le gagnant sera celui qui résoudra son aventure dans le meilleur
temps.
Néanmoins, tout le monde sera gagnant, car cet outil vous apportera
une connaissance jamais égalée du monde, et vous comprendrez pas
à pas, le génie du fonctionnement de Cervoclonis et de l’extension.
Nous allons partager, peut être pendant une année, cette aventure
des temps modernes, vous et deux autres groupes de quatre
personnes localisés autour de notre planète.
Pendant cette période, ERT vous offrira une rémunération égale au
double de votre salaire actuel augmentée des primes pour
découverte de dysfonctionnements ou d’informations erronées.
Vous êtes l’équipe EL4, EL comme Empire du Levant : le chiffre
quatre représente le nombre de personnes.
Quatre de vos homologues auront pour épicentre l’Empire du
Moyen-Orient : sigle EMO4. Ils couvriront l’ancienne Europe de
l’ouest et du nord, l’Inde et ses pays satellites, le continent africain,
intégrant bien sûr la Nation d’Égypte et de l’ancienne Nubie.
Les quatre derniers s’occuperont des continents américains, surtout
de l’Amérique du sud. Ils auront pour sigle EAM4. »
*
Childéric avait le regard passionné des personnes en état
d’excitation extrême. La symbiose avec Cervoclonis décuplait ses
facultés.
« J’en ai fini de mes explications, avez-vous des questions à
poser ? », demanda-t’ il en quittant son état de transe, découvrant
un auditoire abasourdi par les premiers échanges entre leur machine
et leur moi profond.
Luan se leva alors ; sa machine sur la tête lui faisait une auréole.
« Parlez-nous plus précisément des procédures d’éjection ? », dit-
elle, avec un brin de suspicion.
*
Childéric demanda à Cervoclonis de définir la fonction. Les mots
arrivèrent du plus profond de son extension neuronale.
« Votre requête vers la machine est mentale. Elle peut également
être externe et provenir du maître des jeux, ou du président.
Lorsqu’elle émane de vous, elle ne fonctionne que lorsque vous êtes
en situation d’échec, le nombre d’erreurs jugées par votre machine
étant important et/ou votre situation de stress arrivant au
maximum du réglage effectué lors de notre rencontre.
Vous disposez d’une procédure d’urgence automatique qui prend en
compte une éventuelle perte de connaissance, ou un emballement
du processus d’activité neuronale de la machine. ».
*
Childéric n’avait pas posé cette question au président et venait de
comprendre la mise en garde sur les procédures d’éjection !
« D’autres questions ? », lança-t’il.
Les extensions neuronales commençaient sûrement à prendre
possession des masses de matière grise des participants, comme
elles l’avaient fait sur le cerveau de Childéric. Heureusement, il avait
découvert très récemment, une sorte de possibilité de modus
vivendi diplomatique inter cérébral.
« Aucune autre demande ? », répéta-t’il, pour avoir la certitude
d’avoir satisfait la curiosité des participants.
« Bien, nous allons lancer les jeux. Vous découvrirez, en
commençant, chacune des qualifications des huit autres experts,
dont vous aurez peut-être besoin lorsque vous les solliciterez
mentalement.
Nous pourrons, en demande extraordinaire, nous adresser au
président !
Quant à moi, je reprends la navette pour prendre contact avec les 2
autres équipes. Bon voyage et surtout regagnez vos domiciles,
l’initialisation des jeux sera faite lors de votre arrivée. ».
Chapitre 4 Luang Shing Peï !
Luan Shing Peï essayait de se relaxer et de faire le point dans
l’aéronef effectuant la navette entre Guangzhou et la petite ville de
Qufu où elle résidait. Les liaisons de moins de 2 000 Kms se faisaient
dans d’étranges montgolfières aux formes aérodynamiques. Leur
surface était couverte de cellules aéro-thermo-solaires, qui, au
contact de l’air, de la chaleur ambiante, et d’une première prise de
vitesse, avaient la faculté de réduire le poids du corps transporté et
le coefficient de frottement dans l’air.
Il suffisait, alors, de la propulsion d’une turbine à photons de faible
puissance pour atteindre une vitesse sans limite dans les airs. Seule
la résistance de l’être humain aux accélérations et à l’effet de
vélocité définissait les barrières.
Perdue dans ses pensées, Luan venait de ressentir le besoin
impérieux de reprendre Cervoclonis.
Pour y résister, elle se raccrochait aux souvenirs de son enfance
entre les mains des éducateurs de l’Empire, qui lui avaient enseigné
les bases de la société néo-individualiste !
En cet instant, elle ressentait confusément qu’elle ne pourrait se
plier ni à la solitude engendrée par ce système ni à l’autonomie
requise par le principe même de base, pas plus qu’aux règles
tellement strictes d’hygiène qui lui gâchaient la vie.
Elle était le double biologique de cette femme partie pour le grand
voyage juste après la réussite de son clonage. Elle n’avait jamais
connue cette génitrice qu’elle qualifiait de mère, et pourtant en se
regardant dans la glace, elle était en face d’elle ! Luan avait parfois
l’impression de ne pas être le clone mais, elle, enfin, l’autre.
Pour ne pas tomber dans la folie, elle s’était forgé une carapace de
froideur, la protégeant de toutes les agressions qu’elle avait dû subir
à l’école, à l’université, ou dans son entreprise. A chaque nouvelle
rencontre, ou étape dans sa vie, on lui demandait ses antécédents
de naissance, ou le nom de ses parents !
Elle répondait : « l’Empire ».
A partir de cet instant, elle était agressée verbalement et mise à
l’écart. Jamais elle n’avait été attaquée corporellement ; mais, être
ignorée était bien plus cruel.
Elle construisait alors, au tréfonds d’elle-même, un mur, s’élevant,
admonestation par admonestation, raillerie par raillerie, accusation
par accusation, manque d’amour par manque d’amour.
Et pourtant, elle ressentait au fond de son être, l’autre, celle qu’elle
n’avait jamais connue. Elle sentait, en fait, non, elle était l’autre, sa
mère, mais dans un contexte tellement différent !!!
Et l’autre avait été : aimante, aimable, conviviale, enjouée, pleine de
compassion, altruiste, tout le contraire de l’image portée par cette
société néo-individualiste !
*
Luan repensait aux instants intenses vécus en serrant la main de
Childéric.
Elle aurait dû la lâcher, se dégager comme le voulait le protocole.
Non, elle avait laissé agir l’autre. Elle avait laissé rosir ses joues de
nacre. Elle avait joui de l’instant, et ressenti une émotion tellement
forte, quelque part dans l’abîme de son moi.
Puis, le contrôle de son émotion l’avait conduite à ce rictus de
dégoût, que Luan, le clone, avait appris de la vie.
*
Un mouvement de l’aéronef la sortit de ses pensées.
La procédure de descente venait d’être amorcée ; elle contempla
avec émotion par le hublot les dédales du grand fleuve Houang Ho.
A cet endroit, il se jetait dans le golfe du Bohaï, le colorant de ses
eaux jaunâtres. Elle admira avec fierté le temple de Confucius au
milieu de son parc de verdure.
Elle aimait cette petite ville ; elle en connaissait toutes les rues, bien
qu’elle ait été cloîtrée durant l’essentiel de son adolescence.
L’aéronef venant de se poser verticalement telle une plume, elle
décida d’oublier l’époque de sa formation « d’Empire et ses
précepteurs endoctrinés ».
Elle découvrit ses voisins ; d’un petit signe, ils la saluèrent, quittant
comme elle cette étrange navette.
*
Conformément au règlement, tous les voyageurs sortaient en rangs
serrés par les couloirs de désinfection, seule voie de sortie
autorisée !
Personne n’était là pour faire respecter la loi. La société néo-
individualiste comptait sur le civisme du peuple !
Que risquait Luan de ne pas être purifiée ? Quasi rien, sinon,
disaient les comités d’hygiène, une baisse des défenses
immunitaires… possible.
La méthode d’asepsie n’avait rien de désagréable ; Luan aimait bien
cette lumière purificatrice, faisant apparaître l’aura.
Elle se rendit à pied vers sa maison. Cette fin de juillet 2 080 était
tropicale, les parterres de fleurs qu’elle cultivait avec patience
aimaient cette chaleur. Leurs couleurs resplendissaient, comme pour
l’inciter à toujours revenir ici, dans sa demeure, dans son chez elle !!
Sur le point de pénétrer dans la villa, elle fit un pas en arrière,
réalisant que tout allait changer dans sa vie dès qu’elle en
franchirait le seuil.
Luan savait qu’en passant l’entrée, Cervoclonis sur la tête, tous les
capteurs géodésiques repéreraient sa présence et elle serait
précipitée alors dans le plus fabuleux jeu jamais édité de mémoire
d’humain.
Résolument, elle fixa Cervoclonis avant d’entrer. Elle s’étonnait
encore de ce début d’aventure vécue, mais elle entendait bien
fermement la continuer.
*
Tout ceci était arrivé grâce à une simple publicité de Cervoclonis
parue dans une revue technique spécialisée quelques mois
auparavant !
Ayant hérité des biens de son double biologique, Luan n’avait pas de
soucis d’argent, seulement de solitude !
Elle comptait bien ainsi sortir de son isolement, grâce à cette
machine extrêmement coûteuse, mais tellement perfectionnée.
*
La porte s’ouvrit lorsqu’elle en manifesta le désir.
Elle regarda, troublée, ses vieux fauteuils datant d’une autre
époque, mais elle les aimait…
Ils avaient parcouru le temps de sa « mère » et de la mère de sa
mère. Luan se raccrochait à tout ce que son double biologique lui
avait légué. Peu importait la valeur, elle adorait ces objets : cette
vieille pendule en marbre qui ne battait plus le temps, cette lampe à
pétrole ne s’allumant plus en l’absence du liquide nourricier, et ce
lustre décorant encore le plafond du salon alors que les murs
devenaient phosphorescents dès la disparition du jour.
Tout ceci était son monde à elle !!!
Les comités d’hygiène la pénalisaient lourdement pour avoir le droit
d’être là, au milieu de ses vieux fauteuils et de ses meubles en bois
précieux qu’elle ne pouvait plus enduire de cire amoureusement.
Lorsque la solitude devenait trop pressante, elle les lustrait
furieusement, mettant encore à jour un reste de vieille encaustique.
Luan Shing Peï était sentimentale. Une fois son enveloppe sociale
enlevée, elle était comme son vieux mobilier : démodée, obsolète !
Combien de temps encore allait-elle porter le poids de ses deux
personnalités ? L’une lourde, visible, celle de ce monde, l’autre
cachée, héritage de sa naissance spéciale, mais ressurgissant
tellement souvent !!!
Cervoclonis était entré dans sa vie pour la distraire. Le module
neuronal, depuis cette rencontre de Guangzhou, avait comblé, lui
semblait-il, une partie de cette bivalence spirituelle instable.
Elle se sentait désormais une autre personne.
Curieusement, cette fois, elle ne s’était pas précipitée pour caresser
la chaleur naturelle du bois rare, le velouté des tissus des fauteuils.
Elle s’était simplement assise et avait déclenché sans angoisse ni
regret, l’aventure proposée par le président, en enfilant son étrange
machine.
*
Il ne lui restait plus qu’à prononcer le nom du jeu ; elle découvrirait
alors sa mission !
Elle rêvait depuis si longtemps de cet instant !
Devant ses yeux, les premiers hologrammes apparaissaient, faisant
disparaître son environnement et la projetant dans le début de
l’aventure.
Un ballet d’images et de senteurs lui présentait le monde d’ERT ; le
président en personne ouvrit, par ses propos, le début de l’un des
jeux les plus phénoménaux de ce siècle.
Il s’adressa à elle, accueillant, voire sympathique, buvant un café
fumant, lui parlant comme s’il la connaissait intimement :
« Prenez conscience… je suis vraiment à vos côtés. Le café que je
savoure diffuse des senteurs que vous captez, j’en suis sûr. Touchez
ma main, maintenant l’autre, que ressentez-vous ? Suis-je bien près
de vous ? Oui, oui, n’est-ce pas ? Ceci est le monde de Cervoclonis,
ceci est la preuve que ce jeu est unique ! ».
Le visage du président était éclairé de passion. De fines gouttes de
sueurs perlaient de son visage ; ses pommettes saillantes
frémissaient. Luan tremblait d’incrédulité et de peur.
Il reprit :
« Luan Shing Peï, nous vous avons sélectionnée parce que votre
expertise archéologique nous est précieuse. Vous allez avoir
l’occasion de découvrir avec ERT la formidable histoire de ce que
nous croyons être l’Atlantide. Nous en avons retrouvé les traces,
grâce à Cervoclonis et nos extensions neuronales et… à notre équipe
de savants.
Luan Shing Peï, 3 scénarios vous sont proposés :
– Scénario 1 : l’Atlantide a été le fruit de l’imagination de
l’humanité. Vous allez retrouver en suivant cette voie, les traces de
documents, films et littérature ; paysages et personnages seront
fictifs. Vous vivrez une aventure tellement réelle, dans laquelle vous
devrez dénouer le vrai du faux et aboutir à l’instant précédant la
destruction de ce peuple.
– Scénario 2 : l’Atlantide était une partie de la Terre qui a disparue
de la surface et s’est enfoncée dans la mer, lors de la dislocation des
races et certains continents de la Terre, vers -65 Millions d’années
avant J.-C. Ceci s’est passé vraisemblablement après la collision avec
un astéroïde.
L’équipe d’ERT a des preuves irréfutables de l’existence de cette
civilisation.
– Scénario 3 : Le début de la civilisation des Atlantes est situé vers
-10 000 ans avant J.-C. et sa destruction totale se situe vers -9 000
avant J.-C., après avoir vécu uniquement sous la mer, pour 1 million
d’entre eux pendant un millénaire.
ERT a des preuves irréfutables de l’existence de cette civilisation sur
terre et sous la mer. ».
*
Laissant à son interlocutrice le soin de réaliser l’ampleur de ses
propos, le président reprit passionnément son monologue :
« Vous devez choisir le scénario le plus réaliste et partir à l’aventure.
Vous remarquerez que, dans deux cas, ERT possède des preuves
irréfutables de la civilisation des Atlantes ; de plus, vous avez été
choisie.
Il se peut, aussi, que mes commentaires additionnels ne soient là
que pour embrouiller votre choix !!
Bon courage. Vous avez une journée au maximum pour faire votre
choix. ».
Le président avala son café et disparut de la pièce, comme il était
venu ; Luan réfréna sa panique, frottant ses mains moites
d’angoisse.
Sa disparition soudaine lui fit reprendre le contrôle d’elle-même.
Son esprit méthodique reprenait le dessus, et, perplexe, elle
songeait au challenge du jeu.
Spontanément, le scénario 1 lui paraissait le plus réaliste et le plus
documenté. Par contre, pourquoi aurait-on besoin d’une
archéologue pour une chimère ? Il y avait aussi le lieu géographique
pour lequel elle avait été choisie ! Le président l’aidait-il, ou jouait-il
avec son ignorance du sujet ?
Elle savait que le choix était fondamental pour la rapidité du jeu :
ERT ne pouvait garder un participant sur une légende pendant un
an !
Si ERT possédait des preuves irréfutables de l’existence des Atlantes,
l’archéologue qu’elle était, allait jouir d’informations d’une valeur
inestimable !
Il lui restait un jour complet pour choisir. Childéric allait-il lui
transmettre des indices complémentaires avant la fin de cette
première journée ?
Cette pensée s’imposait à elle… Pourquoi Childéric l’appellerait-il,
elle ? Elle se sentait seule à nouveau, et se rassura, en pensant
qu’elle n’était pas encore dans le process du jeu. Ainsi, elle n’était
pas obligée d’appliquer les fameuses procédures d’exit.
D’ores et déjà elle pouvait demander l’avis d’un expert, ou se
renseigner sur les dernières revues scientifiques pour découvrir
d’hypothétiques informations datées de la veille, sur ce sujet.
Sa décision étant prise, elle lança une requête mentale à l’extension
neuronale, pour connaître la définition des experts des équipes
EMO4 et EAM4.
Elle tomba d’abord sur les informations de l’équipe EMO4 :
un archéologue très connu en égyptologie et écritures diverses, un
médecin expert en psychiatrie, une astronaute et une experte en
astrologie.
Les informations sur l’équipe de l’Empire d’Amérique arrivèrent à la
suite :
un volcanologue, un archéologue spécialisé en civilisations inca et
maya, un expert en astronomie, et une journaliste spécialiste en
OVNI.
*
Alors qu’elle lisait le détail des qualifications de ses futurs collègues,
des questions revenaient en rafale à son esprit fécond.
Pourquoi elle ?
Pourquoi avait-elle ressenti ce besoin si fort d’accepter ?
Les autres participants avaient-ils été aussi attirés qu’elle ?
Avaient-ils été choisis pour leur profession, leurs capacités, leur
marginalité ?
Pouvaient-ils alors avoir deviné qu’elle était rebelle à cette société
néo-individualiste ?
Quel rapport, quel point commun entre des scientifiques, des
astrologues et un journaliste ?
Quels avaient été les critères de choix ?
Luan se torturait l’esprit inutilement !
*
Elle avait été choisie par Cervoclonis, donc le président. Elle était un
maillon au même titre que ses futurs collègues, Childéric
notamment, ainsi que tous ceux que le président malaxait,
formatait, endoctrinait…
Mais un maillon d’une utilité considérable !!!
Chapitre 5 Suite de formations !
Childéric vivait les procédures d’atterrissage sur la mégapole du
Caire, deux heures après son départ de Guangzhou. La durée réduite
du voyage était possible grâce aux nombreuses navettes à départs
réguliers, accomplissant les longues distances terrestres et les
liaisons vers les stations orbitales.
Cette ville tentaculaire lui apparaissait, dans la pénombre de la nuit,
brillante de mille feux.
Des traînées de lumières filantes louvoyaient en suivant le large
ruban du Nil. D’immenses gratte-ciel remplaçaient en de nombreux
endroits les pointes acérées des minarets des anciennes mosquées ;
la ville avait subi de plein fouet les règles de la société néo-
individualiste en matière de bannissement des religions !
Seules, défiant le temps, désormais quasiment dans la ville,
s’étalaient les grandes pyramides.
Les noms magiques fixés sur leurs sommets, d’abord Gizeh, puis très
au loin, Kheops, Khephren, apparaissaient, aberrants dans la
noirceur de la nuit.
Le Caire, et ses soixante millions de cairotes, vivaient leurs heures de
ténèbres.
Childéric observait avec un brin d’angoisse cette cité millénaire dont
les rues éclairées se tachaient de temps en temps du passage d’un
véhicule à photons.
*
L’arrivée un peu brusque sur le tarmac lui fit songer à nouveau à sa
mission.
Il fit mentalement un bref point de sa journée passée pendant les
quelques minutes d’attente dans l’aéroport, puis, se fit conduire
vers l’un des rares hôtels d’Empire de la ville.
Sans attendre, il se rendit dans sa chambre, déposa Cervoclonis et
s’allongea sur le lit propice. Il s’endormit sans le vouloir, revivant
dans sa tête ce qui lui avait été enseigné de manière subliminale par
sa machine.
Une première constatation s’imposait ; il était satisfait du
comportement des équipiers d’EL4 et de Cervoclonis avec lequel il
débutait un semblant de cohabitation.
Son apprentissage de vie commune avec la machine commençait à
porter ses fruits, des fruits surprenants !
Il n’avait jamais ressenti auparavant, en utilisant Cervoclonis sans
l’extension neuronale, les sentiments ou émotions perçus
désormais.
Etrangement la machine lui apprenait à ouvrir les yeux sur le monde,
lui en apportant une image précise, non-conformiste, lui en
apprenant les mécanismes, ceux de la vie, du corps et de ses
besoins, finalement, le sortant du sillon de la société néo-
individualiste actuelle, de ses travers et de ses excès !
Le culte de l’intelligence plutôt que celui du corps ne sapait-il pas les
racines du fondement même de l’existence de la race humaine?
L’homme, possédant une enveloppe charnelle et un cerveau, se
devait de prendre en compte les deux sans en sous utiliser un !
La rencontre avec Takamaki Sone lui avait fait confusément prendre
conscience des limites du système actuel ; l’éducation ainsi que les
modes de vie ancestraux de l’ancien Japon, ouvraient à Childéric une
voie de réflexion que Cervoclonis paraissait approuver !
Le nouveau mode de société néo individualiste en vigueur dans les
pays développés n’avait pas été créé par des hommes politiques. Il
était la conséquence invraisemblable de comportements récurrents
des êtres humains durant des décennies, positionnant
naturellement l’égocentrisme et l’individualisme au cœur de la
société.
Ces comportements se trouvaient en opposition totale aux
coutumes anciennes basées sur la famille !
Face à ces attitudes, les grandes entreprises construisirent des
machines encore plus perfectionnées, pour assister la solitude
résultat de cet individualisme, substituant les besoins du corps par
des simulations émotio-sensorielles !
*
L’orgasme, par exemple, fut analysé en 2 060 comme purement
cérébral, et de ce fait, de nouveaux programmes informatiques
dédiés permettaient de rentrer dans un mécanisme de séduction à
distance, et garantissaient un plaisir simultané sur liaisons cryptées
informatiques !!!
Tout ceci rendait l’individu dépendant de ces robots, humanoïdes,
animaux électroniques, ou assistants de tout type.
Tous ces artifices laissaient beaucoup de temps libre à l’intellect, aux
dépens du corps dont les fonctions étaient quasiment toutes
remplies par ces engins ultra-sophistiqués.
Du fait de l’égocentrisme et de la virtualité à outrance des rapports
humains, les êtres naissaient par de multiples processus. Si l’on était
riche ou pauvre, la manière de venir au monde était différente :
clonage, parthénogenèse artificielle, insémination artificielle…
L’amour existait- il encore ? Il n’y avait plus de mariage et très peu
de grossesses naturelles ! Ce rite subsistait dans les pays en voie de
développement, hors des grands Empires.
Cervoclonis, et surtout l’extension neuronale contenait en son
cerveau biochimique cette perception profonde des besoins actuels
et passés de l’humain : un corps, un esprit en harmonie, un respect
de l’un pour l’autre, la notion d’entraide, l’altruisme, l’amour.
Découlant de cette osmose avec la machine, il apparaissait à
Childéric, l’évidence à terme de l’ineptie des lois ou expériences de
ces dernières décennies.
Ces pensées cervocloniques s’étaient infiltrées dans la tête de
Childéric ; nouvelles, incongrues, irréelles, voire encore
incompréhensibles.
Par exemple, la poignée de main soutenue à Luan ne lui paraissait
plus déplacée ; elle avait déclenché en lui une émotion jusque-là
inconnue !
*
A ce stade de ses songes, Childéric s’aperçut qu’il était l’heure de se
lever.
Il prit un breuvage que ses parents appelaient café mais n’en avait
plus que l’apparence.
Dans le domaine médical, quelques années plus tôt, en 2 030, le
savant Aristide Barrates avait conçu une méthode infaillible pour
éradiquer dès la naissance, les effets néfastes des maladies
infectieuses.
De ce fait, selon les découvertes de ce savant, toute nourriture, donc
le café, devait contenir les composants mystérieux permettant la
garantie de travail de 55 ans et de durée de vie de 75 ans !
Peu importait la saveur en résultant, de toute manière, il n’y avait
pas d’alternative, surtout ici à l’autre bout du monde !!
*
Rassasié, désormais sans angoisse, il se rendit sur les lieux du
rendez-vous avec EMO4, remit en place Cervoclonis sur le sommet
de son crâne en entrant, et contempla la salle.
Ses nouveaux « élèves » chaussaient en même temps leur
extraordinaire machine. Cervoclonis venait encore de le précéder et
de guider mentalement les actions des quatre participants de cette
équipe de l’Empire du Moyen-Orient !
Childéric avait en face de lui ce nouveau groupe. Il leur enseigna du
mieux qu’il put l’usage de l’extension neuronale. Cervoclonis et lui-
même étaient en harmonie, au moins le lui semblait-il !!!
*
Le soir même, il repartit pour Mexico City par la dernière navette, à
la rencontre d’EAM4.
Childéric commençait à sentir la fatigue lorsqu’il se séparait de
Cervoclonis. Ces instants, devenus si rares depuis l’initialisation du
jeu, lui donnaient le temps de synthétiser des situations que la
machine avait managées à sa place, tant l’esprit d’analyse de cette
dernière était parfait et rapide.
Dorénavant, l’état de dépendance n’était plus pris négativement
mais plutôt comme une association fructueuse de deux intelligences
complémentaires, bien qu’il n’appréciât toujours pas les initiatives
de la machine prises à sa place lors de nouveaux problèmes !
Il en avait pris son parti, n’ayant d’autre échappatoire que de se
séparer physiquement de la machine en la plaçant de plus en plus
loin de lui.
Il avait remarqué, en effet, que celle-ci s’accommodait tellement de
leur association que le mode de transmission des échanges de
pensées se réalisait maintenant à plus de trois mètres de distance !!
Hors de ces limites Childéric préservait son ego, bien que plusieurs
fois il se soit fait piéger ayant par mégarde posé Cervoclonis dans cet
espace.
Mais, jour après jour, la machine augmentait sa zone de contrôle,
centimètre par centimètre, tel un animal accroissant son emprise sur
ses maîtres et observant leurs réactions !!
Ce processus faisait-il partie de la fonction d’auto-création, ou était-
ce une fonction du jeu qui n’était connue que du président ?
Il sortit de sa léthargie bienfaisante lorsque la navette prépara ses
procédures d’atterrissage. A cet instant du voyage, Childéric prit la
décision de rédiger son premier rapport au président.
Dans le flot de passagers s’éloignant de la navette, il était libre de
continuer sa réflexion, Cervoclonis ayant voyagé dans la soute et se
trouvant éloigné de lui de plus de cent mètres en ce moment.
*
Alors qu’il se rendait à Mexico City dans un vieux train à
sustentation magnétique, l’emprise à distance de Cervoclonis se fit
ressentir, mais Childéric n’en était plus surpris.
Il était presque heureux de retrouver ce contact spirituel, si
enrichissant, mais tellement supérieur à lui.
Childéric avait pourtant réussi ses études en sortant major de la
section intelligence artificielle du MIT, qui recevait l’élite scientifique
du monde !
Peut-être avait-il été choisi par le président pour cette raison, ou
pour d’autres, qui lui échappaient encore ?
Chapitre 6 Surprenante machine !
Dès son arrivée à l’hôtel d’Empire, Childéric avait placé Cervoclonis
au-delà de sa fameuse zone de contrôle, bien au-delà.
Il voulait par ce biais réaliser seul ce premier rapport avec son
raisonnement imparfait d’humain.
« Mexico city, hôtel d’Empire, 28 juillet 2 080. 21 h 00, heure locale.
Ce rapport pré-crypté est rédigé avant la fin du périple de formation
des équipes choisies. Trop de choses étranges ou d’événements se
produisent hors ma propre volonté, et surtout, en absence totale de
définitions ou d’explications dans les manuels de la machine.
– Endoctrinement
Les débordements « endoctrinaires » de Cervoclonis remettent en
cause des acquis de civisme du système néo-individualiste. Ceci me
met en porte-à-faux vis-à-vis des lois ou règlements, et pourrait me
faire vouer au ban de notre système social actuel.
Mon angoisse est que ces problèmes puissent venir de la fonction
d’auto-création de Cervoclonis et qu’il n’y ait pas de garde-fou, sauf
la démence ou la mort, ce qui ne peut exister dans le système actuel
Des explications seraient les bienvenues, car je le suppose, les
responsables des jeux individuels (Luan Shing Peï, Helena
McDonagh, James Klinton, Takamaki Sone) vont recevoir les mêmes
données.
Je souhaiterais que les fonctionnalités très particulières de la
machine ne leur soient pas appliquées, car ils ne sont pas des
employés à vie d’ERT. De ce fait, ils doivent conserver toutes leurs
facultés propres pour la suite de leur carrière !
Je retrace quelques exemples :
Dès le départ et après la programmation en vos bureaux, la machine
s’est arrogée le droit d’explorer mon essence spirituelle, biologique
et physique.
Je suis obligé de déposer Cervoclonis très loin de moi pour préserver
un peu de mon intégrité intellectuelle.
Seul un éloignement de plus de 3 mètres de la machine m’en
dissocie !
Chaque jour qui passe, son emprise s’agrandit d’environ dix
centimètres.
Bien sûr, ceci n’est pas indiqué dans les manuels de fonctionnement
de Cervoclonis !
Lors de notre première rencontre avec l’équipe EL4, Cervoclonis m’a
mis dans l’embarras en détournant l’application du protocole
gestuel.
Cette… machine s’est même permis de porter un jugement sur le
physique, il est vrai, agréable de Luan Shing Peï !!!
En l’absence d’explications de votre part, immédiatement en retour,
je me verrai dans l’obligation de me séparer définitivement de
Cervoclonis.
– Fonctionnement
Hormis les errements décrits ci-dessus, personne n’a signalé de
dysfonctionnements majeurs, ni mineurs d’ailleurs.
La procédure « d’exit » des jeux est très compliquée et les
motivations de ce process, obscures… Je n’imaginais pas que les
participants l’acceptent.
L’explication doit être contenue dans le paragraphe
endoctrinement !!
– Avancement de la formation
Demain 29 juillet, je dispenserai ou ne dispenserai pas la formation
à EAM4 sur l’extension neuronale.
Tout dépendra de votre réponse à ce rapport.
Seule l’équipe EL4 peut démarrer le jeu après l’établissement de
mon QG de contrôle, ce que je n’ai pas encore fait, par manque
d’informations.
Veuillez excuser cet ultimatum, mais en temps que maître des jeux,
je dois… tout savoir.
Si la portion de connaissance du jeu dont vous êtes seul titulaire
contient les réponses à ces questions, merci de me répondre… sinon
ma tâche, telle qu’elle m’apparaît aujourd’hui, deviendrait alors
impossible pour des raisons morales ou civiques.
– Conclusion
Une réponse pertinente et urgente à ce rapport est exigée.
– Une remise à niveau des extensions neuronales, pour en éviter les
excès, me semble un minimum.
– L’établissement d’une hiérarchie, entre les extensions (modules
neuronaux), le module de base (Cervoclonis) ainsi que les
utilisateurs, serait approprié.
Peut-être, cette hiérarchie n’est-elle pas applicable, à cause de la
fameuse capacité d’autocréation ?
*
En rédigeant ce rapport, Childéric sentait monter en lui une fureur
contenue, une impuissance larvée, un regret impossible.
Il était piégé, pieds et mains liés ; le président contrôlait le jeu.
Malgré cette situation, il ne pouvait que réagir pour afficher son
mécontentement, sa désapprobation, et prouver qu’il n’était pas
dupe des violations réitérées du système et des limites édictées par
les comités d’éthique.
*
Sûr de la teneur de son rapport, de son contenu provocateur, il se
rapprocha de Cervoclonis et entreprit de transférer l’ensemble du
texte.
Il était 3 heures 30 de la nuit du 28 au 29 juillet 2 080 là où se
trouvait le président : il faudrait sûrement attendre le lendemain
pour l’obtention de la réponse.
*
La transmission effectuée, Childéric appuya son front brûlant contre
la vitre froide et la frappa hystériquement de ses deux mains
crispées. Les jambes tendues, tétanisées, il repoussait impuissant,
spasmodiquement, l’immense baie vitrée de sa chambre.
Il n’avait jamais été dans un tel état de dualité ; rébellion contre lui-
même, et faiblesse face à cette situation !!
Il ne voyait pas briller la ville de toute sa phosphorescence
multicolore !!
Pourtant la mégapole de l’Empire d’Amérique, Mexico City vivait
dans un silence étrange. On pouvait deviner les migrations de
milliers de travailleurs au travers des traits de lumière venant des
accélérations des véhicules à photons.
En tendant l’oreille, on percevait les bruits humains, qui, seuls,
rompaient le silence de ces ténèbres laborieuses.
Childéric ne dormirait pas cette nuit !
Sauf si le président manifestait un quelconque intérêt pour ce qu’il
considérait comme un appel au secours !
Chapitre 7 Solitude !
Le président ne dormait plus depuis des mois, son projet prenant
tournure. Il était néanmoins le seul à connaître la vraie nature de
ses investigations ; cette solitude lui pesait !
Le 28 juillet, il venait de rencontrer virtuellement Luan Shing Peï
dans sa ville de QUFU ; il avait été surpris des résultats des
introspections sulfureuses de l’extension neuronale la concernant.
Elle s’était construite une carapace sur les préceptes de l’Empire !
Cette enveloppe se brisait à la première émotion ; Cervoclonis
n’avait donc pas eu à la formater selon le concept du président !
Ce dernier réalisait que plus les individus étaient inféodés au
système néo-individualiste, plus brutale était l’incursion de
Cervoclonis, équipé de l’extension, dans le conscient et le
subconscient de leurs propriétaires.
Dès la première couche de matière grise, il n’y avait eu aucun
problème pour formater Luan, car la machine trouvait une structure
identique à la sienne, donc identique à la structure mentale du
président, sous son armure intellectuelle !
Le président avait abordé la réunion virtuelle avec Luan, se sentant
réellement en harmonie avec son esprit. Il avait souri au début de
l’entretien et lui avait donné de précieuses informations qu’il ne
transmettrait certainement pas aux autres candidats.
Il regrettait d’avoir ensuite semé la confusion sur la véracité de ces
renseignements.
Il devrait aussi s’amender auprès de Childéric pour avoir lancé le jeu
sur l’Atlantide sans l’informer en temps réel, alors que cette tâche
appartenait au maître des jeux.
Il avait des raisons inavouables et très personnelles pour avoir
dérogé aux accords de managements conclu avec Childéric !
Il regarda l’heure comme tout insomniaque : 3 h 30mn, 29 juillet. Le
temps n’avançait pas !
*
A ce stade de ses pensées, Cervoclonis l’avertit de l’arrivée d’un
message crypté en provenance de Childéric.
Un message… codé ? Cette procédure était exceptionnelle ! Elle
utilisait Cervoclonis dans ses fonctionnalités de sécurité, ce qui
exprimait un dysfonctionnement majeur !
Son utilisateur transformait cette énorme intelligence en un vulgaire
télécopieur !
Jamais le président n’avait eu ce mode d’opération depuis la mise
en service de la configuration de base de Cervoclonis !
Le message s’afficha sur le mur de son salon. Le président en réalisa
l’origine, comprenant, en le parcourant, que Childéric avait
réellement été imprégné par son éducation néo-individualiste, et
avait du mal à en sortir !
Il établit aussitôt la liaison.
*
Le président apparut dans la chambre où son maître des jeux
tournait comme un fauve en cage, le module situé dans la zone de
liaison neuronale.
« Bonjour Mr Reyna, », dit-il, solennel et un brin autoritaire.
J’ai lu votre rapport, et en ai compris la teneur. ».
Childéric, surpris par le timbre de la voix si caractéristique, se
précipita vers Cervoclonis, ne réalisant pas que le contact était déjà
établi !
Le président continuait ne prenant pas en compte le trouble de son
interlocuteur :
« Sachez que votre aventure se déroule exactement comme prévue !
N’ayez aucune crainte vous êtes sous ma protection. Aucun des
membres de l’équipe ne perçoit de la même manière ce que vous
vivez, car vous êtes le maître des jeux. A ce titre vous bénéficiez de
fonctions et privilèges particuliers. ».
Un silence ponctua le discours, laissant à Childéric le temps de
réaliser.
« Je répète, vous êtes sous ma protection pour des raisons
suffisamment puissantes. Ces causes vous seront expliquées à la fin
du jeu. Ayez confiance ! ».
Les procédures d’exit sont telles que la machine l’a exprimé, mais
ceci n’est pas la véritable réalité du jeu…
Si vous surveillez suffisamment vos équipiers, vous déterminerez
vous-même, à votre guise, les moments opportuns d’éjection du jeu
sans souffrance, ni démence !
Votre machine ne connaît pas ce que je viens de vous confier et ne
le saura jamais, ceci à cause de cette fonction d’autocréation qui
m’échappe à moi le président, et lui laisse trop de latitudes dans ses
choix !
En vous parlant ce soir, j’utilise une procédure occultant 90 % des
fonctionnalités de la machine.
Vous avez pu constater, d’autre part, que Cervoclonis vous ouvre
des horizons sociaux différents, en rétablissant en vous deux notions
perdues : le libre choix et l’esprit critique.
Ceci est exactement le contraire de l’endoctrinement… ne croyez-
vous pas ?
Pensez que j’ai volontairement laissé dans la machine les softwares
que les équipes de réalisation du projet Cervoclonis ont insérés il y a
trente ans déjà !
Trente années plus tôt, Cervoclonis existait déjà en laboratoire ;
c’est la maîtrise technologique de la bio-matière, applicable à ce
module, qui nous a retardés de toutes ces années !
A cette époque, la société humaine n’était pas la même, elle avait de
bonnes raisons d’exister encore ! Mais ceci serait un trop long débat.
Sachez que j’en suis nostalgique !
Selon ma pensée, Cervoclonis et l’extension neuronale vous
apprennent un peu de cette époque révolue.
Ceci n’est pas secondaire dans la compréhension du jeu car nous
allons, ne l’oubliez pas, dans le passé.
Sachez que je ne vous ai pas tout expliqué, mais comprenez que
vous êtes guidé et… apprécié !
Au revoir Mr Reyna. »
Un silence d’orateur.
Son hologramme se mit à vibrer :
« Ah, au fait j’ai lancé le jeu auprès de Luan Shing Peï », ajouta t-il
sans s’excuser.
A la dernière phrase, Childéric ne put s’empêcher de maudire le
président. Il ne respectait rien, du moins ce que Childéric avait
appris en formation d’Empire.
Pour le reste du discours, il essayait d’en faire le décodage !
L’hologramme du président disparut, comme il s’était formé…
instantanément !
*
Childéric avait fait un rapport provocateur, passionné, utilisé une
méthode de transmission défendue.
Le président avait donné des explications à sa manière, et ne
répondait pas de manière précise et circonstanciée.
Néanmoins, il avait accusé réception sans attendre, dans un langage
serein dénué de toute acrimonie ou moquerie.
Il avait même dit textuellement, presque paternaliste : « Comprenez
que vous êtes guidé et apprécié » !
*
Après une longue période de réflexion Childéric décida de reprendre
sa place de maître des jeux, que, de toute manière il ne pouvait
quitter !
Chapitre 8 Lancement des jeux !
A la suite de l’intervention du président, Childéric réalisa que le jeu
de Luan devait être lancé. Il devait programmer rapidement le
système de supervision des participants, pour en prendre la
surveillance, voire le contrôle.
Il ne dormirait pas ce soir, mais pour des raisons gratifiantes et
totalement différentes de celles qui le hantaient avant la visite
cervoclonique du président.
Il se sentait à nouveau potentiellement investi du rôle de manager.
Sa responsabilité, à la suite de cette discussion nocturne, prenait
une tournure passionnante car additionnée d’un ingrédient
supplémentaire : le sel du mystère, élément dont le président savait
si bien se servir !!
Childéric acceptait maintenant la prédominance du concepteur de la
machine sur lui, de même que sa prééminence sur la connaissance
des véritables objectifs !
Quel prix devrait-il payer pour tenir ce rôle de maître des jeux, et
découvrir les énigmes de l’aventure ? Certainement pas sa vie !!
Le président l’avait rassuré sur ce point.
« Toute aventure a une issue, ne serait-ce que l’échec, mais il en
ressort toujours un enrichissement personnel », pensait Childéric.
Ayant reclassé les éléments de sa motivation, Childéric entreprit la
programmation de son poste de contrôle.
Ce faisant, au fond de lui-même, il ne pensait plus qu’à reprendre
contact avec Luan pour faire le point de son avancement, et pour
d’autres raisons qu’il ignorait encore, mais dont Cervoclonis était
complice !
*
Les heures s’ajoutaient aux heures. La nuit commençait à perdre sa
noirceur et l’aube recolorait les murs de la chambre de la lueur du
jour.
Childéric, les yeux fixés sur le pupitre de contrôle, suivait les
consignes suggérées par sa machine.
Les images et les textes apparaissaient dans le néant de la nuit,
irréels.
La logique et la teneur des questions n’appartenaient qu’à
Cervoclonis et au président. Childéric était leur chose ; il avait
abandonné toute velléité et suivait aveuglément les directives. Il
ajoutait, certes, sa perception d’être sensé, mais sa contribution en
cet instant était si infime, et son excitation tellement infinie, qu’il ne
critiquait aucune des instructions qui le formaient.
Avec la clarté du jour, les hologrammes s’estompèrent et la phrase
« fin de programmation » apparut.
*
Childéric réalisa alors qu’il devait se rendre au rendez-vous de
l’équipe EAM4. Curieusement, il ne se sentait pas fatigué et, pour la
première fois de sa jeune vie, il sentit le besoin de libérer son
énergie, physiquement !
Machinalement, il prit Cervoclonis au même titre que son
survêtement et ses baskets.
L’ascenseur était disponible lorsqu’il ouvrit la porte de la chambre.
Il se dirigea vers ce dernier, lentement, dans un rêve, comme si ses
mouvements étaient ceux d’un autre. Childéric, ébahi, voyait dans la
glace du corridor son corps se déplacer de manière saccadé, comme
un automate !
La porte s’ouvrit. Il se vit lever le pied, comme l’un de ses
humanoïdes serviteurs, et se dit qu’il aurait dû utiliser son corps
plus souvent !
Cette réflexion saugrenue ne l’inquiétait pas. Toute angoisse l’avait
abandonné depuis son entrevue avec le président.
Il sortit du hall tout en s’observant à nouveau dans la glace. Il se
déplaçait paisiblement. En arrivant sur le seuil de l’entrée il releva à
nouveau la jambe pour descendre les marches, de cette manière
étrange, robotisée.
L’air frais du matin le frappa. Il trébucha lors d’une descente de
trottoir réalisant soudain qu’il était sûrement souffrant !
Impossible ! Le système ne permettait pas la maladie !
Cette idée le quitta aussi brutalement qu’elle lui était apparue.
Il sollicita ses réserves d’énergie et se mit à courir.
Là encore, ses foulées lui apparurent incertaines, discontinues.
Sa volonté lui conseillait de revenir, mais son être semblait animé
d’une envie totalement différente !
Il voulait s’animer, revivre, se régénérer de tant d’années d’inactivité
physique !
Soudain, Childéric comprit, en se tâtant le crâne et découvrant la
machine, ou plutôt pensa qu’il avait compris.
Cervoclonis continuait son éducation. Il voulait lui faire comprendre
que son corps faisait partie d’un binôme indissociable et équilibré
dont l’esprit était l’animateur et non le maître.
Childéric décida de revenir, et, pour être sûr de le faire, en demanda
la permission à la machine. Il s’établit un échange de pensées où il
précisait qu’il avait compris l’enseignement de la machine. Il lui
demanda aussi, de réduire son emprise mentale, temporairement.
Il était six heures du matin ; heureusement, peu de personnes virent
cet échange surprenant entre un être vivant et une machine ne
possédant normalement pas le pouvoir de penser.
*
En entrant dans la chambre il aperçut pour la première fois Luan en
liaison intra ludique.
La console de contrôle faisait revivre synthétiquement les instants
vécus par cette dernière, depuis son entrée dans son domicile : la
vision de son intérieur ancien, la visite virtuelle du président et son
amabilité surprenante, les informations transmises, les
interrogations de Luan, sa requête mentale singulière auprès de
Childéric, et enfin son choix…
Luan avait sélectionné toutes les phases préliminaires, s’apprêtant à
lancer le deuxième scénario :
Scénario 2 : l’Atlantide était une partie de la Terre qui a disparue de
la surface et s’est enfoncée dans la mer, lors de la dislocation des
races et certains continents de la Terre, vers -65 Millions d’années
avant J.-C. Ceci s’est passé vraisemblablement après la collision avec
un astéroïde.
L’équipe d’ERT à des preuves irréfutables de l’existence de cette
civilisation.
Childéric pensa que le président, au travers de ses échanges avec
Luan, l’avait conditionnée sur le choix de ce scénario.
*
La synthèse terminée, Luan apparut à Childéric en temps réel, les
images dans le cadre du jeu étant d’une réalité époustouflante !
Elle rayonnait de beauté ; son corps de déesse était moulé dans un
habit de soie brodé de fleurs exotiques et de paisibles paysages
ancestraux. Ses cheveux noirs scintillaient, encadrant ce beau visage
nacré qu’il avait vu rosir à Guangzhou.
A cet instant précis, elle fixait Childéric qui venait enfin d’apparaître.
Le responsable des jeux avait la trentaine, était de taille moyenne,
brun aux yeux bleus, plutôt sportif. Sa jeunesse transparaissait, bien
que les trois derniers mois de sa vie aient donné à ses traits une
certaine gravité et un incontestable sérieux.
Luan l’avait d’abord aperçu à la réception du président, puis lors de
la réunion de Guangzhou.
Dès qu’il avait serré sa main plus longtemps que le protocole gestuel
ne l’autorisait, sa double génétique avait frémi et s’était replacée à
la surface de son être…
*
Luan semblait attendre Childéric !
Lui, désirait la voir plus que toute chose au monde, plus que
l’aventure qu’il avait entreprise ! Il voulait sa présence physique. Il la
désirait, organiquement, comme jamais il n’en avait eu la perception
auparavant. Son être tremblait d’envie contenue.
*
Sans ambages, virtuellement, elle se leva, lui saisit la main, posa ses
lèvres sur les siennes, l’enlaça de toute la force que lui
communiquait leur désir réciproque.
Childéric à son tour, enroula ses jambes autour des siennes,
dénouant sa robe qui se déplia comme une rose à l’aube du soleil.
« Je t’aime, cria-t’elle, bousculant tous les préceptes acquis, sortant
de ses entrailles copiées des mots n’ayant plus cours, de vieux
termes prononcés des milliards de fois par l’humanité, mais avant,
avant ce monde néo-individualiste, avant l’éducation, le
conditionnement, l’endoctrinement, la séparation du corps au profit
de l’esprit !!
« Je t’aime », répondit-il en écho, incluant dans ce mot, la somme
des vibrations surgissant du plus profond de son être, des
manifestations physiologiques balisant son désir; rougeurs,
palpitations, et plus bas au tréfonds de son ventre, des signaux
ancestraux, animaux…
*
Après avoir assouvi ce besoin bestial, immodéré, ils se retrouvèrent
devant la réalité de Cervoclonis, de cette société inhumaine qui les
avait fait se rencontrer trop tard.
Childéric songea un instant avec horreur, que peut être, le double
biologique de Luan et lui-même s’étaient déjà rencontrés. Cette
bouffée de folie n’était-elle que la répétition de gestes copiés, 50
années en arrière ? Quelle étrange pensée ? Il n’était pas né !!!
Childéric ressentait quelque chose de très fort pour Luan.
Pour lui, ces instants virtuels si intenses étaient le prélude d’une
grande passion.
Mais était-il toujours Childéric Reyna ? N’était-il pas prisonnier de
Cervoclonis, donc du président?
Etaient-ce ses pensées ? Ses désirs ? Ou les fantasmes de la
machine ?
Childéric se sentait dans un état d’euphorie jamais atteint ! Il en
oubliait la séance de formation d’EM4.
A ce stade de ces pensées, Cervoclonis lui rappela qu’il avait rendez-
vous avec la dernière équipe, ce qu’il entreprit d’organiser bien
malgré lui !
Chapitre 9 Takamaki
Takamaki Sone savait que le président suivait de près ses travaux.
Aussi, lors de son retour de Guanzhou, sa première action fut-elle
d’aller sur les lieux du projet qui occupait totalement sa vie depuis
la disparition tragique de sa famille.
A son arrivée, une agitation fébrile inhabituelle le surprit. Ses
collaborateurs se précipitaient vers le dôme gigantesque où se
déroulait le processus modélisé de recréation de la Terre à partir de
-3,6 giga années avant J.-C.
Cette sphère tronquée, apparemment appuyée sur le sol, portait la
gestation de créations successives telle un gigantesque utérus. La
matière gonflait : grains de sable devenant pierres, pierres devenant
rocs, et rocs, collines, rochers devenant végétal…
Quelques micros organismes avaient été extraits vers -1,3 Ga.
*
L’ouverture du sas le fit pénétrer sous une coupole infiniment
grande, d’aspect cotonneux, reflétant la sphéricité de la Terre.
Devant lui, le miracle de la recréation du monde se clonait dans un
cycle infernal avec, pour seule chaudière, l’énorme fournaise
extérieure produite par un puissant générateur nucléo-solaire.
Des nuages de couleurs et de composants surprenants se heurtaient
sous l’immense coupole, en épousaient les limites et grondaient
dans un bruit assourdissant, caressant le relief tourmenté des roches
et des végétaux déjà constitués.
Malgré d’immenses refroidisseurs catalyseurs, la chaleur était
diabolique. Le processus engendré pouvait faire parcourir pour
chaque jour terrestre actuel, l’équivalent de millions d’années dans
le passé. Il créait à foison les matières fossiles, minérales et
végétales, préparant le lit de la venue hypothétique de l’humain.
*
S’avançant, surpris de l’incroyable évolution depuis son départ au
meeting ERT, Takamaki aperçut quelques mètres plus loin un
rassemblement de ses collaborateurs, tous, le visage tourné vers le
fond de la coupole en train de palabrer à grand renfort de gestes !
Le reconnaissant à la couleur de ses vêtements ignifugés, son bras
droit se précipita vers lui aussi vite que le lui permettait sa
combinaison, lui débitant fébrilement sans le saluer ni montrer de
quelconques sentiments :
« L’énergie a été réduite, le process de transformation est
maintenant sur un palier. Nous prenons le temps d’observer. ».
Takamaki, surpris de cette décision, interrompit son collègue, pivota
sur lui-même de manière à se trouver visière contre visière, le visage
décomposé. Il le regarda fixement, exprimant un étonnement mêlé à
une colère contenue, bafouillant dans le microphone cellulaire :
« Pourquoi, mais pourquoi avez-vous fait cela ? Vous avez
interrompu la progression du temps et les cycles créateurs. ».
Son collaborateur le regarda avec un brin de crainte à travers la
glace de son équipement, se pencha respectueusement, puis lui dit
en se retournant, pointant son index au loin :
« Monsieur nous avons ralenti le processus, car l’humain a été créé.
Enfin, une forme humanoïde capable de se mouvoir et qui se
déplace, regardez !!! ».
Takamaki, ébahi, hagard, apercevait « la créature » se déplaçant
lourdement. Il balbutia :
« Dans ce chaos ?!!! Mais c’est impensable, l’homme apparaît vers
-3,6 Ma, et nous sommes théoriquement vers -100 Millions
d’années avant J.-C. !! ».
Sûr de la décision prise de ralentir les cycles, rebondissant sur
l’ahurissement de son patron, le directeur rétorqua cette fois avec
aplomb et passion :
« Nous avons la preuve de la création pure, sans fécondation de
l’être humain !! Nous n’avons pas la preuve formelle de la date
exacte où nous nous trouvons. Peu importe, c’est un succès majeur !
Nous devons faire preuve d’humilité, nous sommes des apprentis
sorciers !
Devinez l’état de tous vos collaborateurs, certainement effrayés,
mais en extase devant cette créature humaine ? Vous avez réussi
votre pari Takamaki San !! ».
Takamaki, regardant à nouveau avec stupeur le lourd déplacement
de la chose, approuva le choix de son bras droit en s’excusant,
fulminant intérieurement de ne pas avoir été là pour ces instants
magiques.
*
Heureusement, les puissants ordinateurs du centre d’essai allaient
lui restituer bien plus fidèlement, pas à pas, cet instant, ou plutôt, le
million d’années passées qui avait engendré cette fabuleuse
naissance.
Bien longtemps après cette altercation suivie de l’analyse des
données et images, il prit son téléphone et contacta le président
d’ERT.
Chapitre 10 Drôle de machine !
La formation d’EAM4 s’était déroulée comme prévu. Childéric
maîtrisait désormais parfaitement sa machine, ainsi que les séances
de formatage.
Dans la navette, sur le chemin de retour à son QG, il pensait encore
à Luan et regrettait de ne pas avoir pu la rencontrer charnellement.
Cette liaison cryptée orgasmique n’était que les prémices d’autre
chose, beaucoup plus intense encore.
Il percevait confusément que les préceptes de la société néo-
individualiste étaient extrêmement réducteurs, s’agissant des
besoins sexuels et surtout sentimentaux de l’humain !!
Les amours marginaux des aînés, défrayant la chronique, lui
paraissaient maintenant raisonnables et conformistes !
Quelle évolution de son raisonnement en quelques jours !!!
Si les comités d’éthique découvraient ne serait-ce que le centième
de ce qu’il avait appris de l’extension neuronale, il serait peut-être
reconditionné ou pire, banni. Il en souriait !
Il devrait alors côtoyer les parias de la société, hors des mégapoles,
sans traitement anti-maladies, ni garantie de travail et de durée de
vie !
Le président l’avait piégé et il en était heureux !
Cervoclonis le maternait et il aimait ça !
Il était le maître des jeux les plus géniaux de cette fin de siècle et il
en était fier !
Depuis bien longtemps Childéric n’avait ressenti une telle
impression de plénitude et d’équilibre !
*
A ce stade de ses réflexions, Cervoclonis lui transmit un message du
président sans liaison visuelle, car il se trouvait dans la navette qui
le ramenait à son domicile ; les hologrammes individuels y étaient
proscrits…
Le communiqué était laconique :
« Ce jour, je rends visite à Takamaki Sone dans sa ville de Kyoto. Ce
déplacement est de la plus haute importance. Merci de bloquer tout
début de jeu en attendant mon retour ou de nouvelles directives… à
l’exception de l’aventure conduite par Luan. Vous pouvez profiter de
ce répit pour l’aider. »
Le président, comme d’habitude, gardait ses secrets, et faisait
comme il l’entendait, quand il le voulait !
A nouveau Childéric se sentait frustré, mais aussi, tellement heureux
de revoir Luan.
*
Le président, en fait, avait déjà contacté Takamaki Sone en 2 079,
une année avant l’entretien avec Childéric dans la navette.
L’équipe de Takamaki venait de terminer les expérimentations
préliminaires de leur projet. Les premiers articles de vulgarisation
venaient de paraître dans la presse spécialisée.
L’équipe du président avait débusqué ces informations et les avait
jugées de la première importance.
Le directeur scientifique D’ERT s’était déplacé à Kyoto pour
décortiquer l’article et en faire part directement au président à l’issu
d’un entretien privé.
A son retour il avait fait un rapport verbal au président. A l’énoncé
de son commentaire, le visage de ce dernier s’était éclairé d’une
lumière jamais encore aperçue par aucun de ses proches
collaborateurs !
« Enfin le maillon manquant », pensait le président, en écoutant son
plus proche adjoint !
Enfin la preuve, tangible, matérialisée, de ses rêves les plus
délirants !!
En dehors de la lueur qui emplissait son regard, personne n’aurait
imaginé que cette réunion serait le top de lancement de l’aventure
dont Cervoclonis et son extension neuronale étaient les pièces
maîtresses, Childéric le futur bras droit, Takamaki l’apprenti sorcier,
Luan, et bien d’autres…
Jamais réunion ne fut plus silencieuse, ni plus intense. Le président
écoutait, écoutait… Son directeur scientifique, habitué à écouter le
« patron », laissait des silences pour recevoir des commentaires.
Inlassablement son employeur lui disait… veuillez poursuivre…
poursuivez…
Devant si peu d’échanges, à court d’explications et d’informations le
directeur s’arrêta, désorienté.
Un long silence s’installa dans l’immense salle du conseil. Le
président avait le visage dans le vague. Seuls quelques mouvements
de doigts laissaient transparaître une activité cérébrale.
Il avait attendu toute sa vie terrestre pour recevoir cette
information, là, dans cette salle.
Sortant de son silence, il énonça autoritairement :
« Ce jour, vendredi 5 mai 2 079, voici mes directives : je veux que
tous les échantillons de l’expédition chinoise faite de mars 2 062 à
mai 2 063 soient transmis à l’équipe de ce Monsieur Takamaki Sone.
Vous ne devez plus perdre une minute à partir de maintenant ; il en
va de l’avenir d’E. R. T, de votre carrière, et du destin de l’humanité.
»
Le directeur percevait dans la voix de son patron une émotion
contenue, mais un pouvoir sans faille.
Il n’avait pas compris le rapport entre l’information verbale donnée
et la décision prise. Il ne se sentait pas le courage de questionner le
président sur la relation entre les travaux de l’équipe de Takamaki
Sone et la mise à disposition de dizaines de morceaux de magma,
terres, rocs et vestiges divers !
Néanmoins, il marmonna :
« Tous, président, tous les échantillons de l’expédition sino-
Atlante ? ».
Le président le regarda et lui dit avec mépris :
« Devons-nous prendre Cervoclonis pour nous comprendre !! ».
Le Directeur sortit sans un mot, pitoyable…
*
En entrant dans son bureau, John Malicorn, le directeur scientifique
eut quelques difficultés à se calmer suite à son entretien avec le
président.
Ce dernier avait une curieuse manière de traiter ses collaborateurs.
Il définissait de grandes lignes de travail, souvent incompréhensibles
pour ses adjoints !
Chaque dessein qu’il traçait s’affinait dans le temps et avait une
durée moyenne de quelques années, voire de la durée de
l’entreprise.
1,5, 10 voire 15 projets, sous-ensembles d’un dessein, surgissaient
aux réunions hebdomadaires du lundi.
Dans le cadre d’un grand plan (Cervoclonis en avait été un et
l’extension neuronale un autre), il était impossible d’imaginer
l’impact dans le temps de ces projets sur la société en terme de
marketing ou d’utilité.
Chacun se devait d’obéir au président et de suivre les projets, en
utilisant au mieux ses aptitudes !
La société ERT fonctionnait en strates de compétences.
Au sommet, le président, omnipotent, incontournable, autoritaire,
travaillant sans relâche, recadrant les brebis égarées par
l’imprécision des directives générales, les amenant peu à peu aux
points de pâturages !
En dessous, ses esclaves : directeurs, sous-directeurs, ingénieurs,
cadres, techniciens et employés divers !!
Ainsi vivait la société ERT, sous le joug de cet homme impénétrable.
Il avait toujours maintenu le cap de son bateau ERT dans la direction
de l’innovation, ceci entraînant des profits pharamineux.
Ses employés le savaient. Ils en étaient fiers bien que ne parcourant
généralement jamais la totalité d’un projet ou dessein, tant le
président laissait peu de place aux initiatives.
*
John Malicorn appela son responsable de recherches géologiques et
expliqua la demande de son patron. Ils cherchèrent à comprendre
pendant quelques minutes la logique du président et surtout à
réfléchir où pouvaient bien être stockées les trouvailles de
l’expédition sino-Atlante !!
Au bout de quelques échanges, saisissant que son jeune responsable
de recherche ne pourrait retrouver les vestiges, il s’empara
personnellement du problème.
*
John était sûrement un des rares employés à avoir travaillé 20 ans à
ERT. Il se souvenait vaguement de cet épisode, où, étrangement, le
président s’était investi au point de se rendre personnellement sur
les sites nommés « sino-Atlantes » de l’Empire du Levant !! John
l’avait même accompagné alors.
Personne dans ERT n’avait compris l’implication du président !!!
Tout ceci était ensuite revenu dans l’ombre du quotidien, pendant
20 années.
Ceci était un projet du président : durée de la première partie… 20
ans !!! Combien de temps allait-il durer encore, et quelle
signification donner à ces vestiges ?
*
A la suite du dernier appel de Takamaki Sone, cette journée de
2 080, le président convoqua John Malicorn dans son bureau.
Lorsque son directeur scientifique franchit le seuil du local, le
président lui lança autoritaire, quasi hystérique, et surtout sans
préambule :
« Je reprends contact avec Monsieur Takamaki Sone. Vous
souvenez-vous de notre entretien concernant les échantillons sino-
Atlantes, il y a un an ? Avez-vous, selon mes ordres, fait le
nécessaire ? ».
Au risque de déclencher une des célèbres colères du patron, John
Malicorn tourna le dos, ne répondit pas, et s’éloigna furieux d’être
traité ainsi, les yeux injectés de sang.
Il entendit, alors qu’il s’éloignait dans le couloir, le président
continuer la suite de ses directives en criant :
« Dans une semaine, je me rendrais personnellement à Kyoto… vous
serez du voyage, nous emmènerons Cervoclonis et l’extension
neuronale et les échantillons si vous avez oublié de les envoyer.
Ainsi vous comprendrez pourquoi.
Lorsque vous aurez analysé ma demande, revenez à nouveau. ».
En entendant cette dernière phrase, le Directeur sentit renaître en
lui cette passion qui le faisait travailler pour ERT et son étrange
président.
Extrait sur les traces de la haine 73 pages   Pierre ST Vincent

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Extrait sur les traces de la haine 73 pages Pierre ST Vincent

  • 1. Sur les traces de la haine vers Eden Pierre st Vincent
  • 2. Chapitre 1 Reveil « Mr Reyna, vous avez accepté de venir dans les bureaux de notre société. Je me suis mis à votre entière disposition pendant plus de dix minutes ! Nous vous avons proposé un salaire hors du commun… Vous pouvez devenir le responsable des jeux d’ERT… vous hésitez encore ! Je vous pose une dernière fois la question… Voulez-vous ce poste oui ou non ? » * Ces mots de ce 15 mai 2 080 étaient les seuls dont il se souvenait à l’instant de son éveil. Prononcés d’une voix quasi hystérique par le président de la multinationale ERT, ces propos agressifs l’avaient mis, bien malgré lui, au seuil d’une aventure bafouant ouvertement les lois édictées par la société néo-individualiste en vigueur en cette fin de siècle. Pour la suite de son entrevue, il devinait que quelque chose d’étrange s’était passé au fond de son être. * Dans son appartement, Childéric Reyna venait de se réveiller d’un surprenant sommeil de 5 jours et 5 nuits consécutives ! Ce long repos ne pouvait avoir d’autres explications que la configuration de Cervoclonis, cet « ordinateur cerveau biochimique » incomparable dont il était détenteur. Il subsistait, au fond de son être, une impression confuse. Il revivait,
  • 3. par épisodes, cette étrange journée du 15 mai, passée au milieu d’un parc immense, baigné de lumières irréelles. Une fête y avait été organisée par le président d’ERT. A son issue, ce dernier l’avait rencontré. * Au fur et à mesure de la reprise de sa conscience, il revivait cet accueil froid, impersonnel et rapide où il avait été nommé « maître des jeux » d’une série de divertissements développés par ERT. Il avait été subjugué voire hypnotisé par son interlocuteur ; des yeux bleus, aux commissures asiatiques ourlées de rides, donnaient une expression coupante à un regard extravagant. L’intelligence et le mystère perçaient dans tout ce qu’il faisait ou disait. Childéric se souvenait vaguement de sa réponse, sans conviction : « Oui, finalement, j’accepte ! » Il avait l’impression que cette réponse lui avait été arrachée de force dans le cadre d’une réunion préparée à l’avance. Tout ceci ressemblait à un piège ! Aucune négociation n’avait eu lieu. Les conditions lui avaient été proposées dès le début de la réunion : salaire doublé, embauché à vie… ! Invraisemblable ! Pouvait-il refuser une telle proposition ? A aucun moment il n’avait imaginé la suite de l’aventure qu’il allait vivre ! A partir de l’obtention de cet accord, le président lui avait remis ce qu’il appelait « l’extension neuronale. »
  • 4. Cet étrange module complétait « Cervoclonis » que Childéric avait acheté quelques mois auparavant. Assemblés l’un avec l’autre, l’ensemble devenait « une console de jeux inégalée ». Un miracle de technologie !!! Sans ambages, le président était passé à ce qu’il appelait « le formatage ». Ce terme informatique, appliqué à un être humain, lui était apparu étrange dans le cadre de sa future fonction de maître des jeux. Childéric s’était aperçu alors, confusément, qu’il avait été victime d’une introspection mentale lors de cette séance. Ni son père ni sa fiancée n’avaient pu l’empêcher de faire cette expérience ; personne de qualifié ne l’avait assisté pour juger du fondement de l’expérience, car il s’agissait bel et bien, pensait-il, d’une expérimentation ! Sortant de cet invraisemblable sommeil, Childéric Reyna reprenait petit à petit confiance et conscience de son identité. Les yeux hagards, les jambes pendant au bord du lit, il cherchait… cherchait la partie de lui-même… disparue. Très confusément, il nota qu’il ne se sentait plus en osmose parfaite avec lui-même. Et aujourd’hui, au réveil, il était désemparé, comme en état de manque. Son regard se porta sur Cervoclonis gisant sur le sofa. Une action irraisonnée lui fit le saisir et l’installer à l’endroit qu’il n’aurait jamais dû quitter : le sommet de sa tête.
  • 5. A cet instant précis, il était devenu le nouveau Childéric Reyna, maître des jeux les plus extraordinaires que ce siècle ait engendrés. Il s’habilla fébrilement et se souvint des derniers propos du président. Ce dernier lui avait conseillé, dans un premier temps, de constituer une équipe d’experts internationaux pour l’aider dans son analyse de la cohérence et de la réalité des divertissements d’ERT. Les jeux qui lui étaient confiés n’avaient pas encore été contrôlés par des spécialistes !! Lui, qui était néophyte dans ce domaine, avait été choisi parmi une foule de candidats ! Etrange démarche ! Bien vite, ces quelques questions, remontant du fond de son être, avaient laissé place à une excitation montant en lui, exacerbée, incontrôlable. Une motivation encore jamais ressentie dans sa courte vie le parcourait, illuminait ses pensées et précipitait ses gestes. Il rechercha fébrilement un globe terrestre et le parcourut avec son index, les parallèles et les méridiens découpant fictivement la Terre par portions de cent-vingt degrés de longitude en partant du méridien de Greenwich, ceci du pôle nord au pôle sud, et des latitudes plus quatre-vingt-dix-degrés à moins quatre-vingt-dix degrés. Il parcourut chacune des tranches délimitées ainsi, et décida de sélectionner plusieurs participants localisés dans chacune de ces portions. Il désigna ensuite, arbitrairement, la quantité de six hommes et six femmes d’une trentaine d’années. La machine, équipée de son module neuronal, possédait la liste des détenteurs de machines. Elle lui suggéra aussitôt les noms de personnes paraissant posséder les aptitudes requises.
  • 6. Childéric ne contesta pas son analyse et les joignit d’abord par liaison à distance. Ces premiers contacts vidéo-psycho-senso- phonique (VPSP) permettraient de les jauger, les questionner, puis de décider du parcours des premières étapes de rencontres pour les jeux. Cervoclonis le guidait sur ces bases, entraînant l’esprit de Childéric dans un processus quasi incontrôlable et d’une efficacité redoutable. Tous les gens pressentis acceptèrent aussitôt, plus rapidement qu’il ne l’avait fait lui-même quelques jours plus tôt chez le président. Trois rendez-vous furent arrêtés et organisés aux épicentres des pays ou continents de résidence des membres de la future équipe. * Avant son départ Childéric songea longuement à sa vie passée, à ses amis, à sa famille proche dont il n’avait pas de nouvelles ; il appela sa fiancée de l’instant, et à l’issue de cet entretien sans passion, prit alors la décision irrévocable de se lancer à corps perdu dans cette nouvelle aventure. Sa valise prête, les billets l’attendant sur son bureau, sans regret, il se rendit au terminal des envols internationaux et décolla par la première navette pour Guangzhou, Empire du Levant. Après deux heures de vol, alors que l’étrange aéronef préparait son atterrissage, il découvrit la ville, telle que Cervoclonis l’avait pré- inscrite dans ses neurones. Au loin, vers l’est, apparaissaient, irréelles, les cimes des gratte-ciel de Hong Kong. Directement en dessous de la navette et s’étendant quasiment jusqu’à la mer de chine, vivait la ville de Guanzhou. Devenue capitale des provinces de Guangdong, Fujian, Jiangxi,
  • 7. Hunan, et Guangxi, cette ville était devenue le centre de vie et le poumon industriel de l’Empire du levant, dans sa partie orientale. Se côtoyaient immenses bâtiments et entrepôts, usines gigantesques et parcs de verdures. Perdus dans cet immense amoncellement de béton, apparaissaient quelques vestiges de son lointain passé : le Guangdong provincial muséum, le Six Banyan trees temple, le Guangxiao temple, le Nansha Tianhou Palace… Au centre de cette débauche de vitalité, serpentaient la « rivière de perles » et son impressionnant delta. Les traits d’écume des bateaux jaillissaient, projetés sur les rives couvertes de mille jardins aux couleurs éclatantes. Dans l’espace, se faufilant entre les sommets des buildings, des nuages d’engins volants se croisaient dans un balai effrayant. Après avoir tremblé quelques minutes, pendant l’atterrissage, Childéric descendit non sans plaisir de son étrange navette. Ayant franchi tous les contrôles d’hygiène et de sécurité, il loua sans difficulté l’un des nombreux véhicules à photons. Sa surprise fut grande de se rendre automatiquement et sans encombre au lieu de rendez-vous, tenant compte de la taille gigantesque de cette mégalopole tentaculaire de plus de 50 millions d’individus ! Arrivé à la salle de meeting, située dans l’un des nombreux Hôtels d’Empire, il y entra timidement, vraiment stressé. Une fois à l’intérieur, son appréhension le quitta. Il venait de reconnaître individuellement les quatre participants, tant les liaisons VPSP étaient remarquables et les dossiers constitués sur eux, précis !
  • 8.
  • 9. Chapitre 2 Cervoclonis clé de conscience ? Childéric aurait pu transférer la programmation par liaison à distance, et le périphérique neuronal par courrier ultra-rapide et confidentiel, mais, étrangement Cervoclonis lui avait suggéré ces rencontres directes ! Cervoclonis, équipé de son module neuronal, semblait vouloir plus que rencontrer virtuellement ; il désirait « toucher de ses perceptions de machine » les membres de l’équipe sélectionnés, comme s’il était humain ! Childéric réagissait à ses sollicitations tel un apprenti. Lui qui était d’essence humaine, suivait la logique d’un cerveau de nature biochimique et engendré en laboratoire ! Il venait de comprendre, en cet instant, malgré le peu d’espace laissé par la machine dans sa matière grise, son réel état de dépendance. Depuis le début de l’expérience, il ressentait des émotions disparues depuis des années ; Cervoclonis les lui transmettait et il les intégrait comme un écolier. Chaque seconde le binôme s’auto alimentait, mais… il avait l’impression de ne plus être le maître. Sortant peu à peu de cet état hypnotique, il décida de démarrer la réunion en lisant et appliquant le protocole de rencontre gestuel et physique. Il salua d’abord Luan Shing Peï, première femme de l’Empire du Levant à posséder Cervoclonis. Sans réfléchir il se déplaça vers elle, puis lui serra la main… longuement, comme aimanté, ne pouvant s’en défaire ! Il y avait si longtemps que l’humanité ne pratiquait plus ce qui apparaissait, en cet instant, comme une dérive au protocole ! Dans la page quatre du livre du cérémonial il était écrit que la durée des gestes, quels qu’ils soient, était brève et de faible puissance.
  • 10. Au bout de quelques instants lui paraissant un siècle, Luan Shing Peï retira sèchement sa main, laissant apparaître sur son visage confus et rouge une surprise bien compréhensible, sa bouche portant un rictus de dégoût. Responsable de cette atteinte inconcevable au protocole, Childéric se troubla, comprenant un peu tard que le coupable de cette dérive était… Cervoclonis… la machine !!! Déconcerté, Childéric reprenant peu à peu le dessus, salua les autres membres. Ils le regardaient étrangement ! Mentalement, il se mit à semoncer la machine, qui s’attribuait, lui paraissait-il, des prérogatives non identifiées dans les fiches techniques. Il sentit aussitôt la réaction de Cervoclonis, dans son être, physiquement et intellectuellement, comme si cette injonction psychique avait affecté la machine dont la réaction le perturbait en retour lui, l’être humain ! Ces instants d’échanges intra-cerveaux avaient l’air de déranger les quatre membres de l’équipe ; ils l’examinaient avec répugnance, essayant de comprendre ce qu’il se passait. Childéric était de plus en plus déstabilisé et se laissait ballotter au gré du temps et des événements par Cervoclonis… Tous étaient assis, un silence lourd régnant dans la salle. Au bout de quelques instants, il rompit ce calme malsain, reprenant ses esprits et remettant à chacun les extensions neuronales dédiées aux jeux. Puisant dans le peu de courage qui lui restait, il se présenta, définissant son rôle et demandant aux membres de la future équipe de le faire à leur tour. Son premier regard rougissant, se porta sur Luan, l’incitant à commencer. Luan inclina la tête et, bizarrement, tenta longuement de convaincre l’assemblée de la validité de sa candidature
  • 11. « Luan Shing Peï est le nom que l’Empire du Levant m’a donné lors de ma naissance, alors que j’ai succédé à mon double biologique par clonage peu de temps avant son grand voyage céleste. Il était de sexe féminin. Je suis heureuse de vivre humainement dans cette situation. Mon âge est de 33 ans, je suis saine physiquement et ai subi à ma naissance les traitements Barrates, donc, ne peux transmettre de maladies, ni en développer. Je pense avoir une résistance peu commune aux émotions humaines telles qu’elles sont décrites dans les livres anciens. Quels sont les critères qui vous ont guidé dans le choix de ma candidature ? Ils sont pertinents, croyez-moi. De plus, n’ayant pour parents que les représentants de l’Empire, je peux vivre sans contrainte de liens affectifs parentaux. Célibataire sans enfant, diplômée en biologie cellulaire et archéologie, je pourrais sans aucun doute apporter mes connaissances pour améliorer le ou les jeux. L’Empire du Levant auquel j’appartiens, s’étend des plaines de Sibérie aux limites de l’Océan indien. J’habite Qufu dans l’ancienne Chine. ». Quelques phrases s’ajoutèrent à ce long plaidoyer, puis, elle s’interrompit enfin. Childéric la remercia, l’invitant à s’asseoir ; mais elle ne bougea pas. Childéric songeant au prochain membre de l’équipe, releva la tête et la vit encore debout. « Oui… Melle Luan Shing Pei, qu’y a-t’il ? Que puis-je faire pour vous ? ». Cervoclonis, suggérant qu’elle était très belle, déstabilisa Childéric. Il réalisa alors que la machine venait de porter un jugement pour le moins surprenant ! Abasourdi, il ne put faire qu’un geste de la main, l’incitant à continuer.
  • 12. Luan battit des cils et posa la question lui brûlant les lèvres. « Je voudrais savoir quelles sont les garanties données par ERT, pendant la durée du jeu, sur la pérennité du nouveau périphérique, son entretien, sa durée, sa fiabilité, ainsi que les perspectives de satisfactions ou d’avantages dont nous pourrions bénéficier ? Nous connaissons tout ou presque sur le module de base Cervoclonis, quid de cette extension neuronale ? ». Childéric l’avait ressenti au premier contact. Cette fille n’était pas ordinaire : structurée, directe, intelligente, curieuse. « Votre question est recevable. Nous allons vous répondre, ainsi qu’à l’ensemble de l’équipe, après la mise en place physique et psychique du module. En attendant, laissons la parole à cet autre membre. ». Répondit-il, en désignant le participant le plus à sa droite. Un géant blond, étrangement habillé, se leva de son siège, saluant respectueusement Childéric ainsi que ses futurs équipiers. D’une voix puissante et assurée, il se présenta : « Mon nom est James Klinton, diminutif JK, 30 ans, hémisphère sud, Australie, Melbourne, célibataire sans enfant, ingénieur spécialiste en intelligence artificielle, diplômé de l’université de Lexington. Je suis le seul représentant mâle de cet hémisphère. Nous avons pris, Helena McDonagh et moi-même, la navette d’hier, 25 juillet 2 080, temps terrestre. Je suis à votre disposition Mr Reyna pour l’aventure proposée par ERT. De plus, je souscris aux questions posées par Melle Luan Shing Pei. ». « Voilà un homme concis, rapide, sans fioriture orale », pensa Childéric, en donnant la parole à la deuxième femme du groupe.
  • 13. Rousse comme il n’était pas possible de l’être, un peu boulotte, un visage sympathique mais ingrat, éclairé par un sourire radieux, elle s’adressa gauchement, mais clairement à son interlocuteur. « Helena McDonagh, diminutif HM, fille de John et Mariett McDonagh, 35 ans, ingénieur agronome diplômée de l’école d’agriculture de Perth, Australie sud-orientale. Non mariée, deux enfants élevés par leurs grands-mères, obtenus par parthénogenèse multi ovulaire. Je suis libre de disposer de mon temps pour participer à ce que j’imagine comme la plus palpitante aventure de cette fin de siècle. J’écouterai avec intérêt votre commentaire sur les questions de Mrs Luan. ». Un silence s’installa, dans l’attente de plus d’informations. « Avez-vous terminé, Mrs McDonagh ? Oui ? Très bien. Vous avez la parole désormais Mr Takamaki Sone. » Lança Childéric, en se positionnant face à un homme de stature chétive. Takamaki Sone, se démarquant de ses équipiers par sa petite taille, des cheveux noirs plaqués et rassemblés à l’arrière en catogan, portait une tenue de dandy asiatique. En s’inclinant à la manière de ses ancêtres il salua respectueusement l’ensemble de ses collègues, puis, se lança dans un long monologue. « Nous appartenons, Luan et moi, à l’Empire du Levant, mais ma terre est à l’extrémité de l’orient. Mon ancienne patrie s’appelait : Japon. Le Japon vient d’adhérer tout récemment aux Etats Unis du Levant plus connu sous le patronyme : Empire du Levant. Mon nom est Takamaki Sone et je viens d’obtenir le dernier prix Nobel de géologie. Mon équipe et moi-même, avons démontré par modélisation et tests grandeur nature, dans la mégapole de Kyoto, l’évolution de la Terre depuis moins 3,6 milliards d’années à nos
  • 14. jours. J’ai compressé fictivement le temps, faisant franchir à l’humanité, en quelques jours, un parcours de plusieurs millions d’années. Ceci est applicable aux minéraux, aux végétaux, aux bactéries, aux premiers animaux. Nous sommes extrêmement proche de créer le… premier…. ». Arrivé à ce point de son discours, il s’arrêta, ayant soudain conscience de dévoiler quelque chose d’incompréhensible pour l’assemblée. Après un instant, il continua : « Je suis, en tant que scientifique, excité à l’idée de me lancer dans cette équipée pour découvrir les capacités de cette extension neuronale. ». Un bref silence, puis il reprit son discours monocorde, le visage éclairé d’émotion : « Nous, dans l’ancien Japon, ne sommes pas encore entrés, dans la société dite néo-individualiste. Notre mode de vie collectiviste, et le peu d’espace dont nous disposons, n’ont pas favorisé notre adhésion au modèle cité ; aussi, sommes-nous encore des barbares pour l’Empire ! Nous avons cependant éradiqué les maladies, grâce aux découvertes de Barrates. Nous sommes donc sains physiquement. Nous avons gardé les concepts extrême-orientaux, concernant les flux yin et yang circulant dans notre corps et liés au cosmos. Cette maîtrise réduit les conflits entre personnes. Nous avons conservé sur nos îles, nos protocoles de rencontre basés sur le respect de l’être humain. Pardonnez-moi d’avoir parlé aussi longtemps, alors que vous ne connaissez rien de mon entourage ! Mon âge est de 40 ans, et je viens de perdre ma vénérée compagne
  • 15. ainsi que mes deux enfants, dans une stupide explosion d’immeuble. Je suis un homme détruit et libre par la force du destin. J’imagine que ce jeu va dériver mon émotion. ». Childéric découvrait au cours de cette rencontre les carences du monde actuel. La société humaine n’était pas aussi stable et homogène qu’il l’imaginait. Un peu ému par cette dernière présentation, Childéric suggéra une pause dans la réunion autour d’un snack-buffet-café. Alors qu’il se dirigeait vers le buffet, il cherchait à comprendre pourquoi Cervoclonis avait choisi Takamaki Sone ? Il se souvenait de l’insoutenable épreuve subie lors de la configuration de l’extension neuronale. Takamaki allait-il résister après toutes les épreuves subies ? Lui, Childéric, avait eu peur avant même de commencer la séance ! Il réalisa, en sortant de ses pensées, que les participants attendaient sa venue pour goûter les délices locaux… garantis sans bactéries et sans goût. Etrangement, le café et les gâteaux avaient une saveur distincte de ce qu’il consommait lors des événements de ce type ! Existait-il réellement une différence ? Car enfin les grandes sociétés multinationales organisant ces manifestations avaient les recettes définies par les comités d’hygiène ! Pendant le déroulement de ce break, Childéric ne put lier conversation. Depuis ses échanges avec Takamaki, il entrevoyait l’inégalité entre les vies et leurs applications, les nourritures, les destins des individus, l’influence du passé sur le présent. Il l’avait lu dans des revues dites non-conformistes, sans le croire, mais sur le
  • 16. terrain les choses étaient si différentes, les humains si dissemblables, et la force de la réalité vécue si hétérogène ! Cervoclonis, qui avait voulu cette réunion, n’était-il pas en train d’assurer la formation de Childéric à son insu ? Le monde fonctionnait-il à l’envers ? Une machine apprenait à l’humain autre chose que la science, les mathématiques, ou la comptabilité ! Etait- ce le concepteur de Cervoclonis, ou la fonction d’auto création de la machine, qui manipulait tout et dépassait l’inventeur ? Le regard sombre, ces réflexions occupèrent tout l’intermède café et il n’adressa finalement pas la parole aux autres membres. Le buffet terminé, chacun revint à sa place. Dans le calme apparent, les yeux des auditeurs brillaient d’une excitation contenue. Le maître des jeux allait-il enfin livrer à ses assistants le secret de ce fabuleux module ?
  • 17.
  • 18. Chapitre 3 Pourquoi des jeux ? Childéric ne pouvait plus reculer ; il devait lancer la série de jeux la plus géniale de cette fin de siècle. Il commença timidement : « Je vous rappelle que le début de tous les jeux se fera en prononçant le titre : UN PAS DANS L’HUMANITE A LA RECHERCHE DES ORIGINES. » Son anxiété le quittant peu à peu, il se souvint des paroles du président et l’imita, lançant de manière impersonnelle les propos qui l’avaient tellement impressionné. « Reprenez Cervoclonis, positionnez le correctement ! ». Chacun prit d’un mouvement nerveux sa machine équipée du nouveau module de jeu, et la plaça sur sa tête. « Test de réalité virtuelle, en route. Vous devrez, avant d’entrer dans le process des jeux, vous soumettre à ces tests. Réalité ou fiction, vous voici dans le monde des jeux ERT. Procédure de configuration en marche… nous partons. Vous devez posséder la connaissance de ces JEUX à 99 % de mon propre savoir et surtout ne jamais sortir des jeux, je répète ne jamais sortir, sans respecter les procédures d’éjection. » Il venait de marteler la dernière phrase, comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort ! « La machine est réglée pour juger de votre niveau de stress ou d’angoisse par rapport à des situations à la frontière de la vraisemblance. Pendant la procédure d’essai, nous allons régler vos limites d’émotion de manière à stopper la machine avant que vous ne fassiez un collapsus. Ces seuils doivent être calqués sur ceux ajustés par le président sur mon esprit. ».
  • 19. * Chacun sentait l’angoisse s’insinuer sournoisement, mais ils avaient accepté une aventure, certainement la plus intéressante de cette fin de siècle des temps moyen-modernes. * Childéric laissa sa machine guider la simulation de situations. Cervoclonis ressortait de sa fabuleuse mémoire des scènes tellement crédibles, si proches de la réalité, que les membres de l’équipe les vivaient intensément, sursautaient, criaient, avaient le visage tordu par la douleur, riaient comme des enfants, se contorsionnaient, faisaient des gestes inachevés, tremblaient de peur, mains en position de protection, tentative de fuite, yeux rouges à la limite des larmes, poings fermés, spasmes de membres. Sa machine, menant les tests, avait volontairement exclu Childéric pour lui laisser observer les réactions des participants et réagir en cas de perte de conscience de l’un d’eux. Après plusieurs arrêts, la procédure d’essai arriva enfin à son terme. * Tous les équipiers étaient hagards, fatigués, mais heureux. Chacun voulait qualifier ses émotions par rapport aux simulations. Il n’y avait pas de superlatifs suffisamment puissants pour décrire ce qui leur était arrivé… Tous voulaient continuer l’aventure ; ils ne posaient plus les questions soulevées par Luan au début de la réunion. Les réponses avaient été trouvées dans la période de tests. Un soupçon traversa cependant l’esprit de Childéric : Cervoclonis
  • 20. n’avait-il pas glissé quelques messages subliminaux au cours de la formation ? Après la mise en œuvre de ces tests, Childéric avait l’intention de définir de vive voix les grandes lignes de ces divertissements un peu spéciaux. Mais, pour continuer le meeting, il devait bloquer mentalement et fortement l’intervention de Cervoclonis, la machine montrant une volonté un peu trop forte de leadership sur son utilisateur. Cette détermination se confirmait jour après jour, et malheureusement, Childéric était obligé de vivre cette surprenante situation ! Après mûre réflexion, il se risqua à demander respectueusement à la machine son assistance ! Ebahi, il acquit en retour « l’accord » de la machine, réalisant que la diplomatie cérébrale portait ses fruits, ce qui apparaissait invraisemblable !! Fort du soutien de Cervoclonis, il poursuivit la réunion en abordant le cœur de l’information. « Nous allons passer, maintenant que chacun de vous est « formaté », à la définition des jeux. » Au même titre que le Président, il prononça ce mot si usuel dans le monde des informaticiens ; désormais, il en comprenait l’importance ! * Vous l’avez tous noté, la série des jeux s’appelle : UN PAS DANS L’HUMANITE A LA RECHERCHE DES ORIGINES. Nous allons parcourir le temps… depuis les origines de l’apparition des primates, vers -70 millions d’années avant J.-C., jusqu’à notre
  • 21. temps, en nous intégrant fictivement aux sites des plus grands événements qui ont fait progresser l’humanité. Nous négligerons volontairement le laps de temps écoulé entre le Big Bounce et les milliards d’années ayant précédé cette période d’étude avant J.-C., l’humain n’ayant que peu d’influence en ces temps reculés. Vous devrez choisir l’un des trois scénarios de base proposés par la machine. Découlant de votre choix, vous entrerez dans l’une des aventures. Une seule sera proche, ou sera la réalité historique, géologique, ou politique. Vous serez intégré dans l’équipée et mènerez l’histoire à votre guise. Certaines invraisemblances baliseront votre quête. Plus vous laisserez passer d’extravagances, plus la machine se liguera contre vous. Votre corps accumulera des souffrances physiques fictives et vous rencontrerez de plus en plus de difficultés, auto-créées par Cervoclonis. Pour sortir de l’état de peur ou de souffrance, vous devrez lancez la procédure d’éjection. L’éjection réalisée, vous devrez alors reprendre le jeu au point de départ ; vous serez guidés jusqu’à votre première erreur. Celle-ci vous sera expliquée. Vous pourrez contester, à la lumière de vos grandes connaissances, la solution proposée. D’autre part, un joueur pourra interrompre son enquête en demandant avis, à travers moi, au panel d’experts que vous êtes dans vos domaines.
  • 22. Une seule demande de spécialiste sera acceptable par interruption. L’expert désigné devra obligatoirement interrompre sa propre quête et assister le participant en échec. Si Cervoclonis est porteur de la vraie solution, le joueur en difficulté reprendra le jeu avec un handicap à la mesure de son échec. L’expert choisi reprendra sa propre aventure et aura gagné une étape, ou sera remis dans le bon scénario, si par hasard, lui aussi était en faute. Lorsque la situation, vue par Cervoclonis, divergera de votre propre appréciation de professionnels et que vous aurez raison, nous interromprons le cours des jeux pour discuter des modifications à apporter. Ce type d’interruption ne sera pas pris en compte dans les temps du jeu, et vous sera rémunéré par ERT. A chaque arrêt, je me joindrai à vous, d’abord en liaison à distance, puis, si l’événement appelle une expertise sur le terrain, je me rendrai in situ avec les experts désignés. Je redis, en insistant : grâce à cette phénoménale machine, chacun d’entre vous va être propulsé dans une zone où l’humanité a évolué, et participer en réalité virtuelle aux péripéties de cette évolution : vous serez un acteur intégré dans l’histoire, vous pourrez demander des moyens humains : de l’argent, une armée, des armes, être primate, homo sapiens, général d’armée, Chef d’Etat, député, médecin, souffleur de verre, forgeron, savant, vous pourrez voir votre image dans l’eau, sur le verre, dans des miroirs. Vous habiterez et vivrez à votre convenance dans l’histoire du jeu. Si vous êtes un personnage célèbre, vous aurez votre portrait qui apparaîtra dans les lieux où vous passerez.
  • 23. Votre mental sera le guide de la place tenue dans votre scénario : actif, observateur, témoin. * Avant de faire vos choix de scénarios ou durant ce dernier vous pourrez appliquer la procédure d’éjection pour vous rendre rapidement et physiquement dans le pays, la ville ou le village que nous avons sélectionnés, afin de caresser les vestiges, comparer les images du jeu avec la réalité, ramener des échantillons, les analyser, et confirmer ainsi la véracité des informations contenues dans le périphérique neuronal. Bien sûr, ces recherches retarderont l’échéance de votre propre aventure ! La fin de l’histoire s’achèvera par l’avènement d’un pas significatif de l’humanité, positif ou négatif. Par exemple : le début d’une période de glaciation, le début de l’âge de bronze, la disparition de l’Atlantide, la destruction de Sodome ? Que sais-je encore ?… Le gagnant sera celui qui résoudra son aventure dans le meilleur temps. Néanmoins, tout le monde sera gagnant, car cet outil vous apportera une connaissance jamais égalée du monde, et vous comprendrez pas à pas, le génie du fonctionnement de Cervoclonis et de l’extension. Nous allons partager, peut être pendant une année, cette aventure des temps modernes, vous et deux autres groupes de quatre personnes localisés autour de notre planète. Pendant cette période, ERT vous offrira une rémunération égale au double de votre salaire actuel augmentée des primes pour découverte de dysfonctionnements ou d’informations erronées.
  • 24. Vous êtes l’équipe EL4, EL comme Empire du Levant : le chiffre quatre représente le nombre de personnes. Quatre de vos homologues auront pour épicentre l’Empire du Moyen-Orient : sigle EMO4. Ils couvriront l’ancienne Europe de l’ouest et du nord, l’Inde et ses pays satellites, le continent africain, intégrant bien sûr la Nation d’Égypte et de l’ancienne Nubie. Les quatre derniers s’occuperont des continents américains, surtout de l’Amérique du sud. Ils auront pour sigle EAM4. » * Childéric avait le regard passionné des personnes en état d’excitation extrême. La symbiose avec Cervoclonis décuplait ses facultés. « J’en ai fini de mes explications, avez-vous des questions à poser ? », demanda-t’ il en quittant son état de transe, découvrant un auditoire abasourdi par les premiers échanges entre leur machine et leur moi profond. Luan se leva alors ; sa machine sur la tête lui faisait une auréole. « Parlez-nous plus précisément des procédures d’éjection ? », dit- elle, avec un brin de suspicion. * Childéric demanda à Cervoclonis de définir la fonction. Les mots arrivèrent du plus profond de son extension neuronale. « Votre requête vers la machine est mentale. Elle peut également être externe et provenir du maître des jeux, ou du président. Lorsqu’elle émane de vous, elle ne fonctionne que lorsque vous êtes en situation d’échec, le nombre d’erreurs jugées par votre machine étant important et/ou votre situation de stress arrivant au
  • 25. maximum du réglage effectué lors de notre rencontre. Vous disposez d’une procédure d’urgence automatique qui prend en compte une éventuelle perte de connaissance, ou un emballement du processus d’activité neuronale de la machine. ». * Childéric n’avait pas posé cette question au président et venait de comprendre la mise en garde sur les procédures d’éjection ! « D’autres questions ? », lança-t’il. Les extensions neuronales commençaient sûrement à prendre possession des masses de matière grise des participants, comme elles l’avaient fait sur le cerveau de Childéric. Heureusement, il avait découvert très récemment, une sorte de possibilité de modus vivendi diplomatique inter cérébral. « Aucune autre demande ? », répéta-t’il, pour avoir la certitude d’avoir satisfait la curiosité des participants. « Bien, nous allons lancer les jeux. Vous découvrirez, en commençant, chacune des qualifications des huit autres experts, dont vous aurez peut-être besoin lorsque vous les solliciterez mentalement. Nous pourrons, en demande extraordinaire, nous adresser au président ! Quant à moi, je reprends la navette pour prendre contact avec les 2 autres équipes. Bon voyage et surtout regagnez vos domiciles, l’initialisation des jeux sera faite lors de votre arrivée. ».
  • 26. Chapitre 4 Luang Shing Peï ! Luan Shing Peï essayait de se relaxer et de faire le point dans l’aéronef effectuant la navette entre Guangzhou et la petite ville de Qufu où elle résidait. Les liaisons de moins de 2 000 Kms se faisaient dans d’étranges montgolfières aux formes aérodynamiques. Leur surface était couverte de cellules aéro-thermo-solaires, qui, au contact de l’air, de la chaleur ambiante, et d’une première prise de vitesse, avaient la faculté de réduire le poids du corps transporté et le coefficient de frottement dans l’air. Il suffisait, alors, de la propulsion d’une turbine à photons de faible puissance pour atteindre une vitesse sans limite dans les airs. Seule la résistance de l’être humain aux accélérations et à l’effet de vélocité définissait les barrières. Perdue dans ses pensées, Luan venait de ressentir le besoin impérieux de reprendre Cervoclonis. Pour y résister, elle se raccrochait aux souvenirs de son enfance entre les mains des éducateurs de l’Empire, qui lui avaient enseigné les bases de la société néo-individualiste ! En cet instant, elle ressentait confusément qu’elle ne pourrait se plier ni à la solitude engendrée par ce système ni à l’autonomie requise par le principe même de base, pas plus qu’aux règles tellement strictes d’hygiène qui lui gâchaient la vie. Elle était le double biologique de cette femme partie pour le grand voyage juste après la réussite de son clonage. Elle n’avait jamais connue cette génitrice qu’elle qualifiait de mère, et pourtant en se regardant dans la glace, elle était en face d’elle ! Luan avait parfois l’impression de ne pas être le clone mais, elle, enfin, l’autre. Pour ne pas tomber dans la folie, elle s’était forgé une carapace de froideur, la protégeant de toutes les agressions qu’elle avait dû subir
  • 27. à l’école, à l’université, ou dans son entreprise. A chaque nouvelle rencontre, ou étape dans sa vie, on lui demandait ses antécédents de naissance, ou le nom de ses parents ! Elle répondait : « l’Empire ». A partir de cet instant, elle était agressée verbalement et mise à l’écart. Jamais elle n’avait été attaquée corporellement ; mais, être ignorée était bien plus cruel. Elle construisait alors, au tréfonds d’elle-même, un mur, s’élevant, admonestation par admonestation, raillerie par raillerie, accusation par accusation, manque d’amour par manque d’amour. Et pourtant, elle ressentait au fond de son être, l’autre, celle qu’elle n’avait jamais connue. Elle sentait, en fait, non, elle était l’autre, sa mère, mais dans un contexte tellement différent !!! Et l’autre avait été : aimante, aimable, conviviale, enjouée, pleine de compassion, altruiste, tout le contraire de l’image portée par cette société néo-individualiste ! * Luan repensait aux instants intenses vécus en serrant la main de Childéric. Elle aurait dû la lâcher, se dégager comme le voulait le protocole. Non, elle avait laissé agir l’autre. Elle avait laissé rosir ses joues de nacre. Elle avait joui de l’instant, et ressenti une émotion tellement forte, quelque part dans l’abîme de son moi. Puis, le contrôle de son émotion l’avait conduite à ce rictus de dégoût, que Luan, le clone, avait appris de la vie. * Un mouvement de l’aéronef la sortit de ses pensées.
  • 28. La procédure de descente venait d’être amorcée ; elle contempla avec émotion par le hublot les dédales du grand fleuve Houang Ho. A cet endroit, il se jetait dans le golfe du Bohaï, le colorant de ses eaux jaunâtres. Elle admira avec fierté le temple de Confucius au milieu de son parc de verdure. Elle aimait cette petite ville ; elle en connaissait toutes les rues, bien qu’elle ait été cloîtrée durant l’essentiel de son adolescence. L’aéronef venant de se poser verticalement telle une plume, elle décida d’oublier l’époque de sa formation « d’Empire et ses précepteurs endoctrinés ». Elle découvrit ses voisins ; d’un petit signe, ils la saluèrent, quittant comme elle cette étrange navette. * Conformément au règlement, tous les voyageurs sortaient en rangs serrés par les couloirs de désinfection, seule voie de sortie autorisée ! Personne n’était là pour faire respecter la loi. La société néo- individualiste comptait sur le civisme du peuple ! Que risquait Luan de ne pas être purifiée ? Quasi rien, sinon, disaient les comités d’hygiène, une baisse des défenses immunitaires… possible. La méthode d’asepsie n’avait rien de désagréable ; Luan aimait bien cette lumière purificatrice, faisant apparaître l’aura. Elle se rendit à pied vers sa maison. Cette fin de juillet 2 080 était tropicale, les parterres de fleurs qu’elle cultivait avec patience aimaient cette chaleur. Leurs couleurs resplendissaient, comme pour l’inciter à toujours revenir ici, dans sa demeure, dans son chez elle !!
  • 29. Sur le point de pénétrer dans la villa, elle fit un pas en arrière, réalisant que tout allait changer dans sa vie dès qu’elle en franchirait le seuil. Luan savait qu’en passant l’entrée, Cervoclonis sur la tête, tous les capteurs géodésiques repéreraient sa présence et elle serait précipitée alors dans le plus fabuleux jeu jamais édité de mémoire d’humain. Résolument, elle fixa Cervoclonis avant d’entrer. Elle s’étonnait encore de ce début d’aventure vécue, mais elle entendait bien fermement la continuer. * Tout ceci était arrivé grâce à une simple publicité de Cervoclonis parue dans une revue technique spécialisée quelques mois auparavant ! Ayant hérité des biens de son double biologique, Luan n’avait pas de soucis d’argent, seulement de solitude ! Elle comptait bien ainsi sortir de son isolement, grâce à cette machine extrêmement coûteuse, mais tellement perfectionnée. * La porte s’ouvrit lorsqu’elle en manifesta le désir. Elle regarda, troublée, ses vieux fauteuils datant d’une autre époque, mais elle les aimait… Ils avaient parcouru le temps de sa « mère » et de la mère de sa mère. Luan se raccrochait à tout ce que son double biologique lui avait légué. Peu importait la valeur, elle adorait ces objets : cette vieille pendule en marbre qui ne battait plus le temps, cette lampe à pétrole ne s’allumant plus en l’absence du liquide nourricier, et ce
  • 30. lustre décorant encore le plafond du salon alors que les murs devenaient phosphorescents dès la disparition du jour. Tout ceci était son monde à elle !!! Les comités d’hygiène la pénalisaient lourdement pour avoir le droit d’être là, au milieu de ses vieux fauteuils et de ses meubles en bois précieux qu’elle ne pouvait plus enduire de cire amoureusement. Lorsque la solitude devenait trop pressante, elle les lustrait furieusement, mettant encore à jour un reste de vieille encaustique. Luan Shing Peï était sentimentale. Une fois son enveloppe sociale enlevée, elle était comme son vieux mobilier : démodée, obsolète ! Combien de temps encore allait-elle porter le poids de ses deux personnalités ? L’une lourde, visible, celle de ce monde, l’autre cachée, héritage de sa naissance spéciale, mais ressurgissant tellement souvent !!! Cervoclonis était entré dans sa vie pour la distraire. Le module neuronal, depuis cette rencontre de Guangzhou, avait comblé, lui semblait-il, une partie de cette bivalence spirituelle instable. Elle se sentait désormais une autre personne. Curieusement, cette fois, elle ne s’était pas précipitée pour caresser la chaleur naturelle du bois rare, le velouté des tissus des fauteuils. Elle s’était simplement assise et avait déclenché sans angoisse ni regret, l’aventure proposée par le président, en enfilant son étrange machine. * Il ne lui restait plus qu’à prononcer le nom du jeu ; elle découvrirait alors sa mission ! Elle rêvait depuis si longtemps de cet instant !
  • 31. Devant ses yeux, les premiers hologrammes apparaissaient, faisant disparaître son environnement et la projetant dans le début de l’aventure. Un ballet d’images et de senteurs lui présentait le monde d’ERT ; le président en personne ouvrit, par ses propos, le début de l’un des jeux les plus phénoménaux de ce siècle. Il s’adressa à elle, accueillant, voire sympathique, buvant un café fumant, lui parlant comme s’il la connaissait intimement : « Prenez conscience… je suis vraiment à vos côtés. Le café que je savoure diffuse des senteurs que vous captez, j’en suis sûr. Touchez ma main, maintenant l’autre, que ressentez-vous ? Suis-je bien près de vous ? Oui, oui, n’est-ce pas ? Ceci est le monde de Cervoclonis, ceci est la preuve que ce jeu est unique ! ». Le visage du président était éclairé de passion. De fines gouttes de sueurs perlaient de son visage ; ses pommettes saillantes frémissaient. Luan tremblait d’incrédulité et de peur. Il reprit : « Luan Shing Peï, nous vous avons sélectionnée parce que votre expertise archéologique nous est précieuse. Vous allez avoir l’occasion de découvrir avec ERT la formidable histoire de ce que nous croyons être l’Atlantide. Nous en avons retrouvé les traces, grâce à Cervoclonis et nos extensions neuronales et… à notre équipe de savants. Luan Shing Peï, 3 scénarios vous sont proposés : – Scénario 1 : l’Atlantide a été le fruit de l’imagination de l’humanité. Vous allez retrouver en suivant cette voie, les traces de documents, films et littérature ; paysages et personnages seront fictifs. Vous vivrez une aventure tellement réelle, dans laquelle vous
  • 32. devrez dénouer le vrai du faux et aboutir à l’instant précédant la destruction de ce peuple. – Scénario 2 : l’Atlantide était une partie de la Terre qui a disparue de la surface et s’est enfoncée dans la mer, lors de la dislocation des races et certains continents de la Terre, vers -65 Millions d’années avant J.-C. Ceci s’est passé vraisemblablement après la collision avec un astéroïde. L’équipe d’ERT a des preuves irréfutables de l’existence de cette civilisation. – Scénario 3 : Le début de la civilisation des Atlantes est situé vers -10 000 ans avant J.-C. et sa destruction totale se situe vers -9 000 avant J.-C., après avoir vécu uniquement sous la mer, pour 1 million d’entre eux pendant un millénaire. ERT a des preuves irréfutables de l’existence de cette civilisation sur terre et sous la mer. ». * Laissant à son interlocutrice le soin de réaliser l’ampleur de ses propos, le président reprit passionnément son monologue : « Vous devez choisir le scénario le plus réaliste et partir à l’aventure. Vous remarquerez que, dans deux cas, ERT possède des preuves irréfutables de la civilisation des Atlantes ; de plus, vous avez été choisie. Il se peut, aussi, que mes commentaires additionnels ne soient là que pour embrouiller votre choix !! Bon courage. Vous avez une journée au maximum pour faire votre choix. ». Le président avala son café et disparut de la pièce, comme il était
  • 33. venu ; Luan réfréna sa panique, frottant ses mains moites d’angoisse. Sa disparition soudaine lui fit reprendre le contrôle d’elle-même. Son esprit méthodique reprenait le dessus, et, perplexe, elle songeait au challenge du jeu. Spontanément, le scénario 1 lui paraissait le plus réaliste et le plus documenté. Par contre, pourquoi aurait-on besoin d’une archéologue pour une chimère ? Il y avait aussi le lieu géographique pour lequel elle avait été choisie ! Le président l’aidait-il, ou jouait-il avec son ignorance du sujet ? Elle savait que le choix était fondamental pour la rapidité du jeu : ERT ne pouvait garder un participant sur une légende pendant un an ! Si ERT possédait des preuves irréfutables de l’existence des Atlantes, l’archéologue qu’elle était, allait jouir d’informations d’une valeur inestimable ! Il lui restait un jour complet pour choisir. Childéric allait-il lui transmettre des indices complémentaires avant la fin de cette première journée ? Cette pensée s’imposait à elle… Pourquoi Childéric l’appellerait-il, elle ? Elle se sentait seule à nouveau, et se rassura, en pensant qu’elle n’était pas encore dans le process du jeu. Ainsi, elle n’était pas obligée d’appliquer les fameuses procédures d’exit. D’ores et déjà elle pouvait demander l’avis d’un expert, ou se renseigner sur les dernières revues scientifiques pour découvrir d’hypothétiques informations datées de la veille, sur ce sujet. Sa décision étant prise, elle lança une requête mentale à l’extension neuronale, pour connaître la définition des experts des équipes
  • 34. EMO4 et EAM4. Elle tomba d’abord sur les informations de l’équipe EMO4 : un archéologue très connu en égyptologie et écritures diverses, un médecin expert en psychiatrie, une astronaute et une experte en astrologie. Les informations sur l’équipe de l’Empire d’Amérique arrivèrent à la suite : un volcanologue, un archéologue spécialisé en civilisations inca et maya, un expert en astronomie, et une journaliste spécialiste en OVNI. * Alors qu’elle lisait le détail des qualifications de ses futurs collègues, des questions revenaient en rafale à son esprit fécond. Pourquoi elle ? Pourquoi avait-elle ressenti ce besoin si fort d’accepter ? Les autres participants avaient-ils été aussi attirés qu’elle ? Avaient-ils été choisis pour leur profession, leurs capacités, leur marginalité ? Pouvaient-ils alors avoir deviné qu’elle était rebelle à cette société néo-individualiste ? Quel rapport, quel point commun entre des scientifiques, des astrologues et un journaliste ? Quels avaient été les critères de choix ? Luan se torturait l’esprit inutilement ! *
  • 35. Elle avait été choisie par Cervoclonis, donc le président. Elle était un maillon au même titre que ses futurs collègues, Childéric notamment, ainsi que tous ceux que le président malaxait, formatait, endoctrinait… Mais un maillon d’une utilité considérable !!!
  • 36.
  • 37. Chapitre 5 Suite de formations ! Childéric vivait les procédures d’atterrissage sur la mégapole du Caire, deux heures après son départ de Guangzhou. La durée réduite du voyage était possible grâce aux nombreuses navettes à départs réguliers, accomplissant les longues distances terrestres et les liaisons vers les stations orbitales. Cette ville tentaculaire lui apparaissait, dans la pénombre de la nuit, brillante de mille feux. Des traînées de lumières filantes louvoyaient en suivant le large ruban du Nil. D’immenses gratte-ciel remplaçaient en de nombreux endroits les pointes acérées des minarets des anciennes mosquées ; la ville avait subi de plein fouet les règles de la société néo- individualiste en matière de bannissement des religions ! Seules, défiant le temps, désormais quasiment dans la ville, s’étalaient les grandes pyramides. Les noms magiques fixés sur leurs sommets, d’abord Gizeh, puis très au loin, Kheops, Khephren, apparaissaient, aberrants dans la noirceur de la nuit. Le Caire, et ses soixante millions de cairotes, vivaient leurs heures de ténèbres. Childéric observait avec un brin d’angoisse cette cité millénaire dont les rues éclairées se tachaient de temps en temps du passage d’un véhicule à photons. * L’arrivée un peu brusque sur le tarmac lui fit songer à nouveau à sa mission. Il fit mentalement un bref point de sa journée passée pendant les
  • 38. quelques minutes d’attente dans l’aéroport, puis, se fit conduire vers l’un des rares hôtels d’Empire de la ville. Sans attendre, il se rendit dans sa chambre, déposa Cervoclonis et s’allongea sur le lit propice. Il s’endormit sans le vouloir, revivant dans sa tête ce qui lui avait été enseigné de manière subliminale par sa machine. Une première constatation s’imposait ; il était satisfait du comportement des équipiers d’EL4 et de Cervoclonis avec lequel il débutait un semblant de cohabitation. Son apprentissage de vie commune avec la machine commençait à porter ses fruits, des fruits surprenants ! Il n’avait jamais ressenti auparavant, en utilisant Cervoclonis sans l’extension neuronale, les sentiments ou émotions perçus désormais. Etrangement la machine lui apprenait à ouvrir les yeux sur le monde, lui en apportant une image précise, non-conformiste, lui en apprenant les mécanismes, ceux de la vie, du corps et de ses besoins, finalement, le sortant du sillon de la société néo- individualiste actuelle, de ses travers et de ses excès ! Le culte de l’intelligence plutôt que celui du corps ne sapait-il pas les racines du fondement même de l’existence de la race humaine? L’homme, possédant une enveloppe charnelle et un cerveau, se devait de prendre en compte les deux sans en sous utiliser un ! La rencontre avec Takamaki Sone lui avait fait confusément prendre conscience des limites du système actuel ; l’éducation ainsi que les modes de vie ancestraux de l’ancien Japon, ouvraient à Childéric une voie de réflexion que Cervoclonis paraissait approuver !
  • 39. Le nouveau mode de société néo individualiste en vigueur dans les pays développés n’avait pas été créé par des hommes politiques. Il était la conséquence invraisemblable de comportements récurrents des êtres humains durant des décennies, positionnant naturellement l’égocentrisme et l’individualisme au cœur de la société. Ces comportements se trouvaient en opposition totale aux coutumes anciennes basées sur la famille ! Face à ces attitudes, les grandes entreprises construisirent des machines encore plus perfectionnées, pour assister la solitude résultat de cet individualisme, substituant les besoins du corps par des simulations émotio-sensorielles ! * L’orgasme, par exemple, fut analysé en 2 060 comme purement cérébral, et de ce fait, de nouveaux programmes informatiques dédiés permettaient de rentrer dans un mécanisme de séduction à distance, et garantissaient un plaisir simultané sur liaisons cryptées informatiques !!! Tout ceci rendait l’individu dépendant de ces robots, humanoïdes, animaux électroniques, ou assistants de tout type. Tous ces artifices laissaient beaucoup de temps libre à l’intellect, aux dépens du corps dont les fonctions étaient quasiment toutes remplies par ces engins ultra-sophistiqués. Du fait de l’égocentrisme et de la virtualité à outrance des rapports humains, les êtres naissaient par de multiples processus. Si l’on était riche ou pauvre, la manière de venir au monde était différente : clonage, parthénogenèse artificielle, insémination artificielle… L’amour existait- il encore ? Il n’y avait plus de mariage et très peu
  • 40. de grossesses naturelles ! Ce rite subsistait dans les pays en voie de développement, hors des grands Empires. Cervoclonis, et surtout l’extension neuronale contenait en son cerveau biochimique cette perception profonde des besoins actuels et passés de l’humain : un corps, un esprit en harmonie, un respect de l’un pour l’autre, la notion d’entraide, l’altruisme, l’amour. Découlant de cette osmose avec la machine, il apparaissait à Childéric, l’évidence à terme de l’ineptie des lois ou expériences de ces dernières décennies. Ces pensées cervocloniques s’étaient infiltrées dans la tête de Childéric ; nouvelles, incongrues, irréelles, voire encore incompréhensibles. Par exemple, la poignée de main soutenue à Luan ne lui paraissait plus déplacée ; elle avait déclenché en lui une émotion jusque-là inconnue ! * A ce stade de ses songes, Childéric s’aperçut qu’il était l’heure de se lever. Il prit un breuvage que ses parents appelaient café mais n’en avait plus que l’apparence. Dans le domaine médical, quelques années plus tôt, en 2 030, le savant Aristide Barrates avait conçu une méthode infaillible pour éradiquer dès la naissance, les effets néfastes des maladies infectieuses. De ce fait, selon les découvertes de ce savant, toute nourriture, donc le café, devait contenir les composants mystérieux permettant la garantie de travail de 55 ans et de durée de vie de 75 ans !
  • 41. Peu importait la saveur en résultant, de toute manière, il n’y avait pas d’alternative, surtout ici à l’autre bout du monde !! * Rassasié, désormais sans angoisse, il se rendit sur les lieux du rendez-vous avec EMO4, remit en place Cervoclonis sur le sommet de son crâne en entrant, et contempla la salle. Ses nouveaux « élèves » chaussaient en même temps leur extraordinaire machine. Cervoclonis venait encore de le précéder et de guider mentalement les actions des quatre participants de cette équipe de l’Empire du Moyen-Orient ! Childéric avait en face de lui ce nouveau groupe. Il leur enseigna du mieux qu’il put l’usage de l’extension neuronale. Cervoclonis et lui- même étaient en harmonie, au moins le lui semblait-il !!! * Le soir même, il repartit pour Mexico City par la dernière navette, à la rencontre d’EAM4. Childéric commençait à sentir la fatigue lorsqu’il se séparait de Cervoclonis. Ces instants, devenus si rares depuis l’initialisation du jeu, lui donnaient le temps de synthétiser des situations que la machine avait managées à sa place, tant l’esprit d’analyse de cette dernière était parfait et rapide. Dorénavant, l’état de dépendance n’était plus pris négativement mais plutôt comme une association fructueuse de deux intelligences complémentaires, bien qu’il n’appréciât toujours pas les initiatives de la machine prises à sa place lors de nouveaux problèmes ! Il en avait pris son parti, n’ayant d’autre échappatoire que de se séparer physiquement de la machine en la plaçant de plus en plus loin de lui.
  • 42. Il avait remarqué, en effet, que celle-ci s’accommodait tellement de leur association que le mode de transmission des échanges de pensées se réalisait maintenant à plus de trois mètres de distance !! Hors de ces limites Childéric préservait son ego, bien que plusieurs fois il se soit fait piéger ayant par mégarde posé Cervoclonis dans cet espace. Mais, jour après jour, la machine augmentait sa zone de contrôle, centimètre par centimètre, tel un animal accroissant son emprise sur ses maîtres et observant leurs réactions !! Ce processus faisait-il partie de la fonction d’auto-création, ou était- ce une fonction du jeu qui n’était connue que du président ? Il sortit de sa léthargie bienfaisante lorsque la navette prépara ses procédures d’atterrissage. A cet instant du voyage, Childéric prit la décision de rédiger son premier rapport au président. Dans le flot de passagers s’éloignant de la navette, il était libre de continuer sa réflexion, Cervoclonis ayant voyagé dans la soute et se trouvant éloigné de lui de plus de cent mètres en ce moment. * Alors qu’il se rendait à Mexico City dans un vieux train à sustentation magnétique, l’emprise à distance de Cervoclonis se fit ressentir, mais Childéric n’en était plus surpris. Il était presque heureux de retrouver ce contact spirituel, si enrichissant, mais tellement supérieur à lui. Childéric avait pourtant réussi ses études en sortant major de la section intelligence artificielle du MIT, qui recevait l’élite scientifique du monde ! Peut-être avait-il été choisi par le président pour cette raison, ou
  • 43. pour d’autres, qui lui échappaient encore ?
  • 44. Chapitre 6 Surprenante machine ! Dès son arrivée à l’hôtel d’Empire, Childéric avait placé Cervoclonis au-delà de sa fameuse zone de contrôle, bien au-delà. Il voulait par ce biais réaliser seul ce premier rapport avec son raisonnement imparfait d’humain. « Mexico city, hôtel d’Empire, 28 juillet 2 080. 21 h 00, heure locale. Ce rapport pré-crypté est rédigé avant la fin du périple de formation des équipes choisies. Trop de choses étranges ou d’événements se produisent hors ma propre volonté, et surtout, en absence totale de définitions ou d’explications dans les manuels de la machine. – Endoctrinement Les débordements « endoctrinaires » de Cervoclonis remettent en cause des acquis de civisme du système néo-individualiste. Ceci me met en porte-à-faux vis-à-vis des lois ou règlements, et pourrait me faire vouer au ban de notre système social actuel. Mon angoisse est que ces problèmes puissent venir de la fonction d’auto-création de Cervoclonis et qu’il n’y ait pas de garde-fou, sauf la démence ou la mort, ce qui ne peut exister dans le système actuel Des explications seraient les bienvenues, car je le suppose, les responsables des jeux individuels (Luan Shing Peï, Helena McDonagh, James Klinton, Takamaki Sone) vont recevoir les mêmes données. Je souhaiterais que les fonctionnalités très particulières de la machine ne leur soient pas appliquées, car ils ne sont pas des employés à vie d’ERT. De ce fait, ils doivent conserver toutes leurs facultés propres pour la suite de leur carrière ! Je retrace quelques exemples :
  • 45. Dès le départ et après la programmation en vos bureaux, la machine s’est arrogée le droit d’explorer mon essence spirituelle, biologique et physique. Je suis obligé de déposer Cervoclonis très loin de moi pour préserver un peu de mon intégrité intellectuelle. Seul un éloignement de plus de 3 mètres de la machine m’en dissocie ! Chaque jour qui passe, son emprise s’agrandit d’environ dix centimètres. Bien sûr, ceci n’est pas indiqué dans les manuels de fonctionnement de Cervoclonis ! Lors de notre première rencontre avec l’équipe EL4, Cervoclonis m’a mis dans l’embarras en détournant l’application du protocole gestuel. Cette… machine s’est même permis de porter un jugement sur le physique, il est vrai, agréable de Luan Shing Peï !!! En l’absence d’explications de votre part, immédiatement en retour, je me verrai dans l’obligation de me séparer définitivement de Cervoclonis. – Fonctionnement Hormis les errements décrits ci-dessus, personne n’a signalé de dysfonctionnements majeurs, ni mineurs d’ailleurs. La procédure « d’exit » des jeux est très compliquée et les motivations de ce process, obscures… Je n’imaginais pas que les participants l’acceptent. L’explication doit être contenue dans le paragraphe endoctrinement !!
  • 46. – Avancement de la formation Demain 29 juillet, je dispenserai ou ne dispenserai pas la formation à EAM4 sur l’extension neuronale. Tout dépendra de votre réponse à ce rapport. Seule l’équipe EL4 peut démarrer le jeu après l’établissement de mon QG de contrôle, ce que je n’ai pas encore fait, par manque d’informations. Veuillez excuser cet ultimatum, mais en temps que maître des jeux, je dois… tout savoir. Si la portion de connaissance du jeu dont vous êtes seul titulaire contient les réponses à ces questions, merci de me répondre… sinon ma tâche, telle qu’elle m’apparaît aujourd’hui, deviendrait alors impossible pour des raisons morales ou civiques. – Conclusion Une réponse pertinente et urgente à ce rapport est exigée. – Une remise à niveau des extensions neuronales, pour en éviter les excès, me semble un minimum. – L’établissement d’une hiérarchie, entre les extensions (modules neuronaux), le module de base (Cervoclonis) ainsi que les utilisateurs, serait approprié. Peut-être, cette hiérarchie n’est-elle pas applicable, à cause de la fameuse capacité d’autocréation ? * En rédigeant ce rapport, Childéric sentait monter en lui une fureur contenue, une impuissance larvée, un regret impossible. Il était piégé, pieds et mains liés ; le président contrôlait le jeu.
  • 47. Malgré cette situation, il ne pouvait que réagir pour afficher son mécontentement, sa désapprobation, et prouver qu’il n’était pas dupe des violations réitérées du système et des limites édictées par les comités d’éthique. * Sûr de la teneur de son rapport, de son contenu provocateur, il se rapprocha de Cervoclonis et entreprit de transférer l’ensemble du texte. Il était 3 heures 30 de la nuit du 28 au 29 juillet 2 080 là où se trouvait le président : il faudrait sûrement attendre le lendemain pour l’obtention de la réponse. * La transmission effectuée, Childéric appuya son front brûlant contre la vitre froide et la frappa hystériquement de ses deux mains crispées. Les jambes tendues, tétanisées, il repoussait impuissant, spasmodiquement, l’immense baie vitrée de sa chambre. Il n’avait jamais été dans un tel état de dualité ; rébellion contre lui- même, et faiblesse face à cette situation !! Il ne voyait pas briller la ville de toute sa phosphorescence multicolore !! Pourtant la mégapole de l’Empire d’Amérique, Mexico City vivait dans un silence étrange. On pouvait deviner les migrations de milliers de travailleurs au travers des traits de lumière venant des accélérations des véhicules à photons. En tendant l’oreille, on percevait les bruits humains, qui, seuls, rompaient le silence de ces ténèbres laborieuses. Childéric ne dormirait pas cette nuit !
  • 48. Sauf si le président manifestait un quelconque intérêt pour ce qu’il considérait comme un appel au secours !
  • 49. Chapitre 7 Solitude ! Le président ne dormait plus depuis des mois, son projet prenant tournure. Il était néanmoins le seul à connaître la vraie nature de ses investigations ; cette solitude lui pesait ! Le 28 juillet, il venait de rencontrer virtuellement Luan Shing Peï dans sa ville de QUFU ; il avait été surpris des résultats des introspections sulfureuses de l’extension neuronale la concernant. Elle s’était construite une carapace sur les préceptes de l’Empire ! Cette enveloppe se brisait à la première émotion ; Cervoclonis n’avait donc pas eu à la formater selon le concept du président ! Ce dernier réalisait que plus les individus étaient inféodés au système néo-individualiste, plus brutale était l’incursion de Cervoclonis, équipé de l’extension, dans le conscient et le subconscient de leurs propriétaires. Dès la première couche de matière grise, il n’y avait eu aucun problème pour formater Luan, car la machine trouvait une structure identique à la sienne, donc identique à la structure mentale du président, sous son armure intellectuelle ! Le président avait abordé la réunion virtuelle avec Luan, se sentant réellement en harmonie avec son esprit. Il avait souri au début de l’entretien et lui avait donné de précieuses informations qu’il ne transmettrait certainement pas aux autres candidats. Il regrettait d’avoir ensuite semé la confusion sur la véracité de ces renseignements. Il devrait aussi s’amender auprès de Childéric pour avoir lancé le jeu sur l’Atlantide sans l’informer en temps réel, alors que cette tâche appartenait au maître des jeux.
  • 50. Il avait des raisons inavouables et très personnelles pour avoir dérogé aux accords de managements conclu avec Childéric ! Il regarda l’heure comme tout insomniaque : 3 h 30mn, 29 juillet. Le temps n’avançait pas ! * A ce stade de ses pensées, Cervoclonis l’avertit de l’arrivée d’un message crypté en provenance de Childéric. Un message… codé ? Cette procédure était exceptionnelle ! Elle utilisait Cervoclonis dans ses fonctionnalités de sécurité, ce qui exprimait un dysfonctionnement majeur ! Son utilisateur transformait cette énorme intelligence en un vulgaire télécopieur ! Jamais le président n’avait eu ce mode d’opération depuis la mise en service de la configuration de base de Cervoclonis ! Le message s’afficha sur le mur de son salon. Le président en réalisa l’origine, comprenant, en le parcourant, que Childéric avait réellement été imprégné par son éducation néo-individualiste, et avait du mal à en sortir ! Il établit aussitôt la liaison. * Le président apparut dans la chambre où son maître des jeux tournait comme un fauve en cage, le module situé dans la zone de liaison neuronale. « Bonjour Mr Reyna, », dit-il, solennel et un brin autoritaire. J’ai lu votre rapport, et en ai compris la teneur. ». Childéric, surpris par le timbre de la voix si caractéristique, se
  • 51. précipita vers Cervoclonis, ne réalisant pas que le contact était déjà établi ! Le président continuait ne prenant pas en compte le trouble de son interlocuteur : « Sachez que votre aventure se déroule exactement comme prévue ! N’ayez aucune crainte vous êtes sous ma protection. Aucun des membres de l’équipe ne perçoit de la même manière ce que vous vivez, car vous êtes le maître des jeux. A ce titre vous bénéficiez de fonctions et privilèges particuliers. ». Un silence ponctua le discours, laissant à Childéric le temps de réaliser. « Je répète, vous êtes sous ma protection pour des raisons suffisamment puissantes. Ces causes vous seront expliquées à la fin du jeu. Ayez confiance ! ». Les procédures d’exit sont telles que la machine l’a exprimé, mais ceci n’est pas la véritable réalité du jeu… Si vous surveillez suffisamment vos équipiers, vous déterminerez vous-même, à votre guise, les moments opportuns d’éjection du jeu sans souffrance, ni démence ! Votre machine ne connaît pas ce que je viens de vous confier et ne le saura jamais, ceci à cause de cette fonction d’autocréation qui m’échappe à moi le président, et lui laisse trop de latitudes dans ses choix ! En vous parlant ce soir, j’utilise une procédure occultant 90 % des fonctionnalités de la machine. Vous avez pu constater, d’autre part, que Cervoclonis vous ouvre des horizons sociaux différents, en rétablissant en vous deux notions
  • 52. perdues : le libre choix et l’esprit critique. Ceci est exactement le contraire de l’endoctrinement… ne croyez- vous pas ? Pensez que j’ai volontairement laissé dans la machine les softwares que les équipes de réalisation du projet Cervoclonis ont insérés il y a trente ans déjà ! Trente années plus tôt, Cervoclonis existait déjà en laboratoire ; c’est la maîtrise technologique de la bio-matière, applicable à ce module, qui nous a retardés de toutes ces années ! A cette époque, la société humaine n’était pas la même, elle avait de bonnes raisons d’exister encore ! Mais ceci serait un trop long débat. Sachez que j’en suis nostalgique ! Selon ma pensée, Cervoclonis et l’extension neuronale vous apprennent un peu de cette époque révolue. Ceci n’est pas secondaire dans la compréhension du jeu car nous allons, ne l’oubliez pas, dans le passé. Sachez que je ne vous ai pas tout expliqué, mais comprenez que vous êtes guidé et… apprécié ! Au revoir Mr Reyna. » Un silence d’orateur. Son hologramme se mit à vibrer : « Ah, au fait j’ai lancé le jeu auprès de Luan Shing Peï », ajouta t-il sans s’excuser. A la dernière phrase, Childéric ne put s’empêcher de maudire le président. Il ne respectait rien, du moins ce que Childéric avait appris en formation d’Empire.
  • 53. Pour le reste du discours, il essayait d’en faire le décodage ! L’hologramme du président disparut, comme il s’était formé… instantanément ! * Childéric avait fait un rapport provocateur, passionné, utilisé une méthode de transmission défendue. Le président avait donné des explications à sa manière, et ne répondait pas de manière précise et circonstanciée. Néanmoins, il avait accusé réception sans attendre, dans un langage serein dénué de toute acrimonie ou moquerie. Il avait même dit textuellement, presque paternaliste : « Comprenez que vous êtes guidé et apprécié » ! * Après une longue période de réflexion Childéric décida de reprendre sa place de maître des jeux, que, de toute manière il ne pouvait quitter !
  • 54.
  • 55. Chapitre 8 Lancement des jeux ! A la suite de l’intervention du président, Childéric réalisa que le jeu de Luan devait être lancé. Il devait programmer rapidement le système de supervision des participants, pour en prendre la surveillance, voire le contrôle. Il ne dormirait pas ce soir, mais pour des raisons gratifiantes et totalement différentes de celles qui le hantaient avant la visite cervoclonique du président. Il se sentait à nouveau potentiellement investi du rôle de manager. Sa responsabilité, à la suite de cette discussion nocturne, prenait une tournure passionnante car additionnée d’un ingrédient supplémentaire : le sel du mystère, élément dont le président savait si bien se servir !! Childéric acceptait maintenant la prédominance du concepteur de la machine sur lui, de même que sa prééminence sur la connaissance des véritables objectifs ! Quel prix devrait-il payer pour tenir ce rôle de maître des jeux, et découvrir les énigmes de l’aventure ? Certainement pas sa vie !! Le président l’avait rassuré sur ce point. « Toute aventure a une issue, ne serait-ce que l’échec, mais il en ressort toujours un enrichissement personnel », pensait Childéric. Ayant reclassé les éléments de sa motivation, Childéric entreprit la programmation de son poste de contrôle. Ce faisant, au fond de lui-même, il ne pensait plus qu’à reprendre contact avec Luan pour faire le point de son avancement, et pour d’autres raisons qu’il ignorait encore, mais dont Cervoclonis était complice !
  • 56. * Les heures s’ajoutaient aux heures. La nuit commençait à perdre sa noirceur et l’aube recolorait les murs de la chambre de la lueur du jour. Childéric, les yeux fixés sur le pupitre de contrôle, suivait les consignes suggérées par sa machine. Les images et les textes apparaissaient dans le néant de la nuit, irréels. La logique et la teneur des questions n’appartenaient qu’à Cervoclonis et au président. Childéric était leur chose ; il avait abandonné toute velléité et suivait aveuglément les directives. Il ajoutait, certes, sa perception d’être sensé, mais sa contribution en cet instant était si infime, et son excitation tellement infinie, qu’il ne critiquait aucune des instructions qui le formaient. Avec la clarté du jour, les hologrammes s’estompèrent et la phrase « fin de programmation » apparut. * Childéric réalisa alors qu’il devait se rendre au rendez-vous de l’équipe EAM4. Curieusement, il ne se sentait pas fatigué et, pour la première fois de sa jeune vie, il sentit le besoin de libérer son énergie, physiquement ! Machinalement, il prit Cervoclonis au même titre que son survêtement et ses baskets. L’ascenseur était disponible lorsqu’il ouvrit la porte de la chambre. Il se dirigea vers ce dernier, lentement, dans un rêve, comme si ses mouvements étaient ceux d’un autre. Childéric, ébahi, voyait dans la glace du corridor son corps se déplacer de manière saccadé, comme
  • 57. un automate ! La porte s’ouvrit. Il se vit lever le pied, comme l’un de ses humanoïdes serviteurs, et se dit qu’il aurait dû utiliser son corps plus souvent ! Cette réflexion saugrenue ne l’inquiétait pas. Toute angoisse l’avait abandonné depuis son entrevue avec le président. Il sortit du hall tout en s’observant à nouveau dans la glace. Il se déplaçait paisiblement. En arrivant sur le seuil de l’entrée il releva à nouveau la jambe pour descendre les marches, de cette manière étrange, robotisée. L’air frais du matin le frappa. Il trébucha lors d’une descente de trottoir réalisant soudain qu’il était sûrement souffrant ! Impossible ! Le système ne permettait pas la maladie ! Cette idée le quitta aussi brutalement qu’elle lui était apparue. Il sollicita ses réserves d’énergie et se mit à courir. Là encore, ses foulées lui apparurent incertaines, discontinues. Sa volonté lui conseillait de revenir, mais son être semblait animé d’une envie totalement différente ! Il voulait s’animer, revivre, se régénérer de tant d’années d’inactivité physique ! Soudain, Childéric comprit, en se tâtant le crâne et découvrant la machine, ou plutôt pensa qu’il avait compris. Cervoclonis continuait son éducation. Il voulait lui faire comprendre que son corps faisait partie d’un binôme indissociable et équilibré dont l’esprit était l’animateur et non le maître. Childéric décida de revenir, et, pour être sûr de le faire, en demanda
  • 58. la permission à la machine. Il s’établit un échange de pensées où il précisait qu’il avait compris l’enseignement de la machine. Il lui demanda aussi, de réduire son emprise mentale, temporairement. Il était six heures du matin ; heureusement, peu de personnes virent cet échange surprenant entre un être vivant et une machine ne possédant normalement pas le pouvoir de penser. * En entrant dans la chambre il aperçut pour la première fois Luan en liaison intra ludique. La console de contrôle faisait revivre synthétiquement les instants vécus par cette dernière, depuis son entrée dans son domicile : la vision de son intérieur ancien, la visite virtuelle du président et son amabilité surprenante, les informations transmises, les interrogations de Luan, sa requête mentale singulière auprès de Childéric, et enfin son choix… Luan avait sélectionné toutes les phases préliminaires, s’apprêtant à lancer le deuxième scénario : Scénario 2 : l’Atlantide était une partie de la Terre qui a disparue de la surface et s’est enfoncée dans la mer, lors de la dislocation des races et certains continents de la Terre, vers -65 Millions d’années avant J.-C. Ceci s’est passé vraisemblablement après la collision avec un astéroïde. L’équipe d’ERT à des preuves irréfutables de l’existence de cette civilisation. Childéric pensa que le président, au travers de ses échanges avec Luan, l’avait conditionnée sur le choix de ce scénario. *
  • 59. La synthèse terminée, Luan apparut à Childéric en temps réel, les images dans le cadre du jeu étant d’une réalité époustouflante ! Elle rayonnait de beauté ; son corps de déesse était moulé dans un habit de soie brodé de fleurs exotiques et de paisibles paysages ancestraux. Ses cheveux noirs scintillaient, encadrant ce beau visage nacré qu’il avait vu rosir à Guangzhou. A cet instant précis, elle fixait Childéric qui venait enfin d’apparaître. Le responsable des jeux avait la trentaine, était de taille moyenne, brun aux yeux bleus, plutôt sportif. Sa jeunesse transparaissait, bien que les trois derniers mois de sa vie aient donné à ses traits une certaine gravité et un incontestable sérieux. Luan l’avait d’abord aperçu à la réception du président, puis lors de la réunion de Guangzhou. Dès qu’il avait serré sa main plus longtemps que le protocole gestuel ne l’autorisait, sa double génétique avait frémi et s’était replacée à la surface de son être… * Luan semblait attendre Childéric ! Lui, désirait la voir plus que toute chose au monde, plus que l’aventure qu’il avait entreprise ! Il voulait sa présence physique. Il la désirait, organiquement, comme jamais il n’en avait eu la perception auparavant. Son être tremblait d’envie contenue. * Sans ambages, virtuellement, elle se leva, lui saisit la main, posa ses lèvres sur les siennes, l’enlaça de toute la force que lui communiquait leur désir réciproque. Childéric à son tour, enroula ses jambes autour des siennes,
  • 60. dénouant sa robe qui se déplia comme une rose à l’aube du soleil. « Je t’aime, cria-t’elle, bousculant tous les préceptes acquis, sortant de ses entrailles copiées des mots n’ayant plus cours, de vieux termes prononcés des milliards de fois par l’humanité, mais avant, avant ce monde néo-individualiste, avant l’éducation, le conditionnement, l’endoctrinement, la séparation du corps au profit de l’esprit !! « Je t’aime », répondit-il en écho, incluant dans ce mot, la somme des vibrations surgissant du plus profond de son être, des manifestations physiologiques balisant son désir; rougeurs, palpitations, et plus bas au tréfonds de son ventre, des signaux ancestraux, animaux… * Après avoir assouvi ce besoin bestial, immodéré, ils se retrouvèrent devant la réalité de Cervoclonis, de cette société inhumaine qui les avait fait se rencontrer trop tard. Childéric songea un instant avec horreur, que peut être, le double biologique de Luan et lui-même s’étaient déjà rencontrés. Cette bouffée de folie n’était-elle que la répétition de gestes copiés, 50 années en arrière ? Quelle étrange pensée ? Il n’était pas né !!! Childéric ressentait quelque chose de très fort pour Luan. Pour lui, ces instants virtuels si intenses étaient le prélude d’une grande passion. Mais était-il toujours Childéric Reyna ? N’était-il pas prisonnier de Cervoclonis, donc du président? Etaient-ce ses pensées ? Ses désirs ? Ou les fantasmes de la machine ?
  • 61. Childéric se sentait dans un état d’euphorie jamais atteint ! Il en oubliait la séance de formation d’EM4. A ce stade de ces pensées, Cervoclonis lui rappela qu’il avait rendez- vous avec la dernière équipe, ce qu’il entreprit d’organiser bien malgré lui !
  • 62. Chapitre 9 Takamaki Takamaki Sone savait que le président suivait de près ses travaux. Aussi, lors de son retour de Guanzhou, sa première action fut-elle d’aller sur les lieux du projet qui occupait totalement sa vie depuis la disparition tragique de sa famille. A son arrivée, une agitation fébrile inhabituelle le surprit. Ses collaborateurs se précipitaient vers le dôme gigantesque où se déroulait le processus modélisé de recréation de la Terre à partir de -3,6 giga années avant J.-C. Cette sphère tronquée, apparemment appuyée sur le sol, portait la gestation de créations successives telle un gigantesque utérus. La matière gonflait : grains de sable devenant pierres, pierres devenant rocs, et rocs, collines, rochers devenant végétal… Quelques micros organismes avaient été extraits vers -1,3 Ga. * L’ouverture du sas le fit pénétrer sous une coupole infiniment grande, d’aspect cotonneux, reflétant la sphéricité de la Terre. Devant lui, le miracle de la recréation du monde se clonait dans un cycle infernal avec, pour seule chaudière, l’énorme fournaise extérieure produite par un puissant générateur nucléo-solaire. Des nuages de couleurs et de composants surprenants se heurtaient sous l’immense coupole, en épousaient les limites et grondaient dans un bruit assourdissant, caressant le relief tourmenté des roches et des végétaux déjà constitués. Malgré d’immenses refroidisseurs catalyseurs, la chaleur était diabolique. Le processus engendré pouvait faire parcourir pour chaque jour terrestre actuel, l’équivalent de millions d’années dans le passé. Il créait à foison les matières fossiles, minérales et
  • 63. végétales, préparant le lit de la venue hypothétique de l’humain. * S’avançant, surpris de l’incroyable évolution depuis son départ au meeting ERT, Takamaki aperçut quelques mètres plus loin un rassemblement de ses collaborateurs, tous, le visage tourné vers le fond de la coupole en train de palabrer à grand renfort de gestes ! Le reconnaissant à la couleur de ses vêtements ignifugés, son bras droit se précipita vers lui aussi vite que le lui permettait sa combinaison, lui débitant fébrilement sans le saluer ni montrer de quelconques sentiments : « L’énergie a été réduite, le process de transformation est maintenant sur un palier. Nous prenons le temps d’observer. ». Takamaki, surpris de cette décision, interrompit son collègue, pivota sur lui-même de manière à se trouver visière contre visière, le visage décomposé. Il le regarda fixement, exprimant un étonnement mêlé à une colère contenue, bafouillant dans le microphone cellulaire : « Pourquoi, mais pourquoi avez-vous fait cela ? Vous avez interrompu la progression du temps et les cycles créateurs. ». Son collaborateur le regarda avec un brin de crainte à travers la glace de son équipement, se pencha respectueusement, puis lui dit en se retournant, pointant son index au loin : « Monsieur nous avons ralenti le processus, car l’humain a été créé. Enfin, une forme humanoïde capable de se mouvoir et qui se déplace, regardez !!! ». Takamaki, ébahi, hagard, apercevait « la créature » se déplaçant lourdement. Il balbutia : « Dans ce chaos ?!!! Mais c’est impensable, l’homme apparaît vers
  • 64. -3,6 Ma, et nous sommes théoriquement vers -100 Millions d’années avant J.-C. !! ». Sûr de la décision prise de ralentir les cycles, rebondissant sur l’ahurissement de son patron, le directeur rétorqua cette fois avec aplomb et passion : « Nous avons la preuve de la création pure, sans fécondation de l’être humain !! Nous n’avons pas la preuve formelle de la date exacte où nous nous trouvons. Peu importe, c’est un succès majeur ! Nous devons faire preuve d’humilité, nous sommes des apprentis sorciers ! Devinez l’état de tous vos collaborateurs, certainement effrayés, mais en extase devant cette créature humaine ? Vous avez réussi votre pari Takamaki San !! ». Takamaki, regardant à nouveau avec stupeur le lourd déplacement de la chose, approuva le choix de son bras droit en s’excusant, fulminant intérieurement de ne pas avoir été là pour ces instants magiques. * Heureusement, les puissants ordinateurs du centre d’essai allaient lui restituer bien plus fidèlement, pas à pas, cet instant, ou plutôt, le million d’années passées qui avait engendré cette fabuleuse naissance. Bien longtemps après cette altercation suivie de l’analyse des données et images, il prit son téléphone et contacta le président d’ERT.
  • 65.
  • 66. Chapitre 10 Drôle de machine ! La formation d’EAM4 s’était déroulée comme prévu. Childéric maîtrisait désormais parfaitement sa machine, ainsi que les séances de formatage. Dans la navette, sur le chemin de retour à son QG, il pensait encore à Luan et regrettait de ne pas avoir pu la rencontrer charnellement. Cette liaison cryptée orgasmique n’était que les prémices d’autre chose, beaucoup plus intense encore. Il percevait confusément que les préceptes de la société néo- individualiste étaient extrêmement réducteurs, s’agissant des besoins sexuels et surtout sentimentaux de l’humain !! Les amours marginaux des aînés, défrayant la chronique, lui paraissaient maintenant raisonnables et conformistes ! Quelle évolution de son raisonnement en quelques jours !!! Si les comités d’éthique découvraient ne serait-ce que le centième de ce qu’il avait appris de l’extension neuronale, il serait peut-être reconditionné ou pire, banni. Il en souriait ! Il devrait alors côtoyer les parias de la société, hors des mégapoles, sans traitement anti-maladies, ni garantie de travail et de durée de vie ! Le président l’avait piégé et il en était heureux ! Cervoclonis le maternait et il aimait ça ! Il était le maître des jeux les plus géniaux de cette fin de siècle et il en était fier ! Depuis bien longtemps Childéric n’avait ressenti une telle impression de plénitude et d’équilibre !
  • 67. * A ce stade de ses réflexions, Cervoclonis lui transmit un message du président sans liaison visuelle, car il se trouvait dans la navette qui le ramenait à son domicile ; les hologrammes individuels y étaient proscrits… Le communiqué était laconique : « Ce jour, je rends visite à Takamaki Sone dans sa ville de Kyoto. Ce déplacement est de la plus haute importance. Merci de bloquer tout début de jeu en attendant mon retour ou de nouvelles directives… à l’exception de l’aventure conduite par Luan. Vous pouvez profiter de ce répit pour l’aider. » Le président, comme d’habitude, gardait ses secrets, et faisait comme il l’entendait, quand il le voulait ! A nouveau Childéric se sentait frustré, mais aussi, tellement heureux de revoir Luan. * Le président, en fait, avait déjà contacté Takamaki Sone en 2 079, une année avant l’entretien avec Childéric dans la navette. L’équipe de Takamaki venait de terminer les expérimentations préliminaires de leur projet. Les premiers articles de vulgarisation venaient de paraître dans la presse spécialisée. L’équipe du président avait débusqué ces informations et les avait jugées de la première importance. Le directeur scientifique D’ERT s’était déplacé à Kyoto pour décortiquer l’article et en faire part directement au président à l’issu d’un entretien privé. A son retour il avait fait un rapport verbal au président. A l’énoncé
  • 68. de son commentaire, le visage de ce dernier s’était éclairé d’une lumière jamais encore aperçue par aucun de ses proches collaborateurs ! « Enfin le maillon manquant », pensait le président, en écoutant son plus proche adjoint ! Enfin la preuve, tangible, matérialisée, de ses rêves les plus délirants !! En dehors de la lueur qui emplissait son regard, personne n’aurait imaginé que cette réunion serait le top de lancement de l’aventure dont Cervoclonis et son extension neuronale étaient les pièces maîtresses, Childéric le futur bras droit, Takamaki l’apprenti sorcier, Luan, et bien d’autres… Jamais réunion ne fut plus silencieuse, ni plus intense. Le président écoutait, écoutait… Son directeur scientifique, habitué à écouter le « patron », laissait des silences pour recevoir des commentaires. Inlassablement son employeur lui disait… veuillez poursuivre… poursuivez… Devant si peu d’échanges, à court d’explications et d’informations le directeur s’arrêta, désorienté. Un long silence s’installa dans l’immense salle du conseil. Le président avait le visage dans le vague. Seuls quelques mouvements de doigts laissaient transparaître une activité cérébrale. Il avait attendu toute sa vie terrestre pour recevoir cette information, là, dans cette salle. Sortant de son silence, il énonça autoritairement : « Ce jour, vendredi 5 mai 2 079, voici mes directives : je veux que tous les échantillons de l’expédition chinoise faite de mars 2 062 à mai 2 063 soient transmis à l’équipe de ce Monsieur Takamaki Sone.
  • 69. Vous ne devez plus perdre une minute à partir de maintenant ; il en va de l’avenir d’E. R. T, de votre carrière, et du destin de l’humanité. » Le directeur percevait dans la voix de son patron une émotion contenue, mais un pouvoir sans faille. Il n’avait pas compris le rapport entre l’information verbale donnée et la décision prise. Il ne se sentait pas le courage de questionner le président sur la relation entre les travaux de l’équipe de Takamaki Sone et la mise à disposition de dizaines de morceaux de magma, terres, rocs et vestiges divers ! Néanmoins, il marmonna : « Tous, président, tous les échantillons de l’expédition sino- Atlante ? ». Le président le regarda et lui dit avec mépris : « Devons-nous prendre Cervoclonis pour nous comprendre !! ». Le Directeur sortit sans un mot, pitoyable… * En entrant dans son bureau, John Malicorn, le directeur scientifique eut quelques difficultés à se calmer suite à son entretien avec le président. Ce dernier avait une curieuse manière de traiter ses collaborateurs. Il définissait de grandes lignes de travail, souvent incompréhensibles pour ses adjoints ! Chaque dessein qu’il traçait s’affinait dans le temps et avait une durée moyenne de quelques années, voire de la durée de l’entreprise.
  • 70. 1,5, 10 voire 15 projets, sous-ensembles d’un dessein, surgissaient aux réunions hebdomadaires du lundi. Dans le cadre d’un grand plan (Cervoclonis en avait été un et l’extension neuronale un autre), il était impossible d’imaginer l’impact dans le temps de ces projets sur la société en terme de marketing ou d’utilité. Chacun se devait d’obéir au président et de suivre les projets, en utilisant au mieux ses aptitudes ! La société ERT fonctionnait en strates de compétences. Au sommet, le président, omnipotent, incontournable, autoritaire, travaillant sans relâche, recadrant les brebis égarées par l’imprécision des directives générales, les amenant peu à peu aux points de pâturages ! En dessous, ses esclaves : directeurs, sous-directeurs, ingénieurs, cadres, techniciens et employés divers !! Ainsi vivait la société ERT, sous le joug de cet homme impénétrable. Il avait toujours maintenu le cap de son bateau ERT dans la direction de l’innovation, ceci entraînant des profits pharamineux. Ses employés le savaient. Ils en étaient fiers bien que ne parcourant généralement jamais la totalité d’un projet ou dessein, tant le président laissait peu de place aux initiatives. * John Malicorn appela son responsable de recherches géologiques et expliqua la demande de son patron. Ils cherchèrent à comprendre pendant quelques minutes la logique du président et surtout à réfléchir où pouvaient bien être stockées les trouvailles de l’expédition sino-Atlante !!
  • 71. Au bout de quelques échanges, saisissant que son jeune responsable de recherche ne pourrait retrouver les vestiges, il s’empara personnellement du problème. * John était sûrement un des rares employés à avoir travaillé 20 ans à ERT. Il se souvenait vaguement de cet épisode, où, étrangement, le président s’était investi au point de se rendre personnellement sur les sites nommés « sino-Atlantes » de l’Empire du Levant !! John l’avait même accompagné alors. Personne dans ERT n’avait compris l’implication du président !!! Tout ceci était ensuite revenu dans l’ombre du quotidien, pendant 20 années. Ceci était un projet du président : durée de la première partie… 20 ans !!! Combien de temps allait-il durer encore, et quelle signification donner à ces vestiges ? * A la suite du dernier appel de Takamaki Sone, cette journée de 2 080, le président convoqua John Malicorn dans son bureau. Lorsque son directeur scientifique franchit le seuil du local, le président lui lança autoritaire, quasi hystérique, et surtout sans préambule : « Je reprends contact avec Monsieur Takamaki Sone. Vous souvenez-vous de notre entretien concernant les échantillons sino- Atlantes, il y a un an ? Avez-vous, selon mes ordres, fait le nécessaire ? ». Au risque de déclencher une des célèbres colères du patron, John Malicorn tourna le dos, ne répondit pas, et s’éloigna furieux d’être
  • 72. traité ainsi, les yeux injectés de sang. Il entendit, alors qu’il s’éloignait dans le couloir, le président continuer la suite de ses directives en criant : « Dans une semaine, je me rendrais personnellement à Kyoto… vous serez du voyage, nous emmènerons Cervoclonis et l’extension neuronale et les échantillons si vous avez oublié de les envoyer. Ainsi vous comprendrez pourquoi. Lorsque vous aurez analysé ma demande, revenez à nouveau. ». En entendant cette dernière phrase, le Directeur sentit renaître en lui cette passion qui le faisait travailler pour ERT et son étrange président.