4. (dé)faire des cours
• S’interroger sur ce qu’était vraiment le « faire » de FAIRE cours.
• Différence entre « ÊTRE » en cours et « AVOIR » cours. Ils/elles ont EU cours, mais ils/elles n’ont pas ÉTÉ là.
• « Le document fondateur dans l'université est le cours présenté en classe, construit sur une économie directe de
l'attention. » JM Salaün.
• De quoi a-t-on souffert ? D’une désintermédiation subie. D’une presqu’impossible réintermédiation. D’une rupture
du « pacte attentionnel » qui se construit dans un cursus et qui seul permet la délivrance d’un diplôme commun
dans un cadre collectif (sinon c’est autre chose que l’université)
• S’interroger également sur le temps long (2 ou 3 années universitaires) sur ce que c’est qu’un « cursus ». Cursus
vient de « curro », « courir » -> peut-il y avoir des cursus immobiles ? Que devient un cursus sans ses mobilités
fondatrices (« ALLER » en cours, et autres « filer » ou « partir » en cours) ?
• Comment faire de la pédagogie sans déplacement ? (« péda-gogueïn »)
• On ne nous a pas enlevé la possibilité de faire cours. Mais celle de voir nos étudiantes. Celle de partager un espace
physique nécessaire. Au début c’était une nécessité sanitaire. Très vite c’est devenu un choix politique.
• De quoi ont-ils/elles souffert ? De plein de choses mais clairement en priorité de l’isolement et de l’absence de
mouvement, de mobilité. D’une privation de sociabilités et micro-sociabilités essentielles et vitales.
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5. Enseigner ou ensoigner.
• 1 an de pandémie sur 2 années universitaires où l’enseignement numérique fut :
– Supplétif ? [vaguement et inégalement]
– Immersif ? [non]
– Palliatif (au titre du soin) ? [oui]
• Nous avons enseigné d’abord pour prendre soin. Et nous l’avons (majoritairement) assumé.
• A ce titre sont ressortis de manière encore plus cruelle et violente les déficits structurels qui touchent tous les
métiers du soin : encadrement, postes, accompagnement, statut (précaires), reconnaissance (et salaires aussi)
• La métaphore est structurelle.
• Enseignant.e.s // soignant.e.s < - - - - > étudiant.e.s // patient.e.s (littéralement)
• En tant qu’enseignant j’avais littéralement devant moi des « patient.e.s », des étudiant.e.s en train de patienter
(parfois avec impatience – donc frustration « positive », parfois avec résignation mortifère)
• Université et hôpital. L’université est une hospitalité. Or cette année les étudiants n’étaient qu’en « chambre »,
hospitalisés. Sans possibilité d’ambulatoire.
Entre 2 chambres
Cité U. Hôpital.
Même espace
Même disposition même agencement
Même fonction (tout y faire en tout temps)
Même horizon d’attente : en sortir
Même motivation : y rester le - possible
Mêmes écrans de monitoring
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6. De Windows aux noirs rideaux.
• Métaphore de l’ordinateur comme fenêtre.
• Nous n’avons vu que de noirs rideaux tirés.
• Sorte de veuvage pédagogique (Windows > Widows).
La fenêtre et le néant. 6
9. Pourquoi ça ne marchera jamais et pourquoi il serait même inquiétant
d’envisager que cela puisse marcher un jour.
La FOAD sous contrainte.
• (très) vieille question de la FOAD revampée par les Moocs (2001 : OpenCourseWare du MIT) et leurs dérivés.
• Choisie par personne. Ni les étudiant.e.s, ni les enseignant.e.s, ni les personnels techniques et administratifs.
• Pour que la formation à distance marche (vraiment) on sait qu’il faut davantage de tout ce qui est
drastiquement et constamment réduit dans l’ESR depuis 10 ans.
– davantage de RH (à la fois sur partie pédago et sur partie technique)
– Davantage de financements : ça coûte très (très) cher (entre 10 et 15 000 dollars le cours).
– Davantage de planification pluri-annuelle (ça évolue constamment)
• Donc ça ne marche pas. Nulle part. « Oui oh là bon il exagère ». Bah non.
– Même prestigieuses facs, même avec budgets colossaux et à l’échelle, les Moocs ne marchent pas (étudiants
ne vont pas au bout).
– Question fondamentale de proportionnalité dans les cursus. On peut construire, ponctuellement, des cours
en distanciel, mais l’idée de cursus majoritairement en distanciel est un leurre et une hérésie (sauf – il y en a
toujours – dans des cas très particuliers)
• Ce que la pandémie de Covid a changé :
– Hier : « Mooc is the new Chic. » L’enseignement numérique était vendu et marketé comme une force / une
innovation / une démarcation positive.
– Demain : « Présentiel is the new Chic ? ». C’est aujourd’hui le présentiel qui est prêt à être (sur)vendu
comme une force / une innovation / une démarcation positive.
• Important de distinguer la mise à disposition de ressources (si possible REL) qui est un « média » et l’activité
d’enseignement qui est un « immédiat ».
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10. Pourquoi la visio met notre
cerveau KO ?
• Nouvelles technologies de l’attention et de la distraction (des NTIC aux NTAD)
• Problèmes constants et constatés**
– Manque de signes non-verbaux => effets de sur-compensation cognitive (se concentrer sur ton de voix, expressions visage, etc.) =>
décompensation attentionnelle (et même dans des conditions « idéales » et en dehors de toute pandémie).
– Arythmie collective : La distribution de la parole dans un groupe est réglementée de manière inconsciente, grâce aux signes non
verbaux. En visio, il devient donc très difficile de trouver un rythme spontané.
– Désynchronie : décalage qui se calcule peut-être en millisecondes. Mais c'est suffisant pour demander un effort supplémentaire au
cerveau pour qu'il reconstruise la réalité.
– Asynchronie : les appels vidéo nous privent de « la synchronicité dans l'échange des regards », lors d'une discussion, le contact visuel
avec autrui permet de stimuler le système attentionnel et de renforcer la mémorisation. Ainsi, face à une vidéo où un individu
s'exprime, « notre attention est davantage attirée lorsque la personne qui parle donne l'impression de nous regarder environ 30% du
temps » Plus étonnant encore, l'absence de contact visuel est interprétée par le cerveau comme « un évitement du regard ». Cette
réaction inconsciente et automatique donne « l'impression que la personne est sur la défensive ou inattentive »
– Fatigue mentale et anxiété « Quand vous êtes en visioconférence, vous savez que tout le monde vous regarde. Vous êtes comme sur
scène, ce qui provoque une pression sociale et l'impression que vous devez jouer »
– Errance groupale parasitaire : « Où est Charlie ? » On peut capter des choses assez générales, voir si l'audience a l'air réceptive ou se
désintéresse, mais c'est plus difficile de prêter attention à chacun.
– Spatialisation et envahissement des espaces marginaux.
• ** https://www.francetvinfo.fr/internet/pourquoi-la-visioconference-met-elle-notre-cerveau-k-o-et-comment-riposter_4283359.html
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11. Un cours c’est une unité d’empiètement
• Merleau-Ponty : « une ’unité d’empiètement’ est la capacité d’une
cognition à se maintenir, à persister, alors même qu’elle n’est plus liée à
l’espace et au temps où elle est née. »
• Si cette cognition peut se maintenir « d’un cours à l’autre » c’est
précisément parce que les conditions attentionnelles d’un cours en
présentiel sont les seules à être à la fois suffisamment contraintes et
suffisamment libres pour permettre cet empiètement. Et pour le
transformer en « par-cours ». Et même (lorsque le cours est vraiment bon)
pour transformer le prochain en attente et en désir.
• Un cours en visio c’est le contraire d’une unité d’empiètement. C’est une
unité de « piétinement ». Parce que les conditions et l’infrastructure
attentionnelle manquent notamment de signes non verbaux et que
l’attention ne peut que piétiner, ou « rétiner », c’est à dire s’astreindre à
une fixation rétinienne qui en tentant (en vain) de tout enregistrer, oublie
de retenir.
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12. FUD (Fear Uncertainty Doubt) sur la FOAD
• FoAD est apparue avec la généralisation du timbre poste en Angleterre (circa 1840). Pour favoriser la mobilité sociale à
destination de gens empêchés (manque d’infrastructures, servitudes agricoles, etc.).
• Enseigner à distance n’est une émancipation que si cela permet d’abolir une contrainte. Pas d’être le cache sexe de
réformes les multipliant (moins de postes, moins de places, moins de logements Cité U, etc.)
• Presque 2 siècles plus tard : sommes-nous redevenus la civilisation du timbre-poste ?
• La formation à distance, si elle devient systémique, est une régression historique. Pas d’émancipation possible ou
complète sans expérience physique du collectif.
• Expérience COVID de la FoAD pour nos étudiant.e.s = FUD. Fear (de l’avenir), Uncertainty (de la reprise), Doubt (sur la
qualité de leur diplôme / formation)
• Sentiment d’osciller entre FOMO (peur de manquer quelque chose, mise en place de rappels constants, d’alertes
permanentes) et une double surcharge cognitive : pesanteur des cours en ligne (qui oblige à davantage de
concentration) et des alertes constantes.
• Cercle vicieux amenant à des formes de décrochage ou de « désintéressement ». 12
13. La question du diplôme
• Qu’est-ce qu’un diplôme sans le pacte attentionnel et l’aventure de groupe qui le
circonscrit ? Sans « l’économie directe de l’attention » qui le borne ? Sans l’expérience
des déplacements et des mobilités (physiques et sociales) qui le conditionnent ?
• Projet politique de grand floutage entre la diplômation publique et la certification
privée. (tentative de passage en force du ministère sur la certification des langues +
héritage du bullshit managérial de l’approche par compétence).
• Morcellement constant des parcours collectifs d’apprentissage et de culture.
Conjointe à celle des parcours de vie (on voit de plus en plus d’étudiants en
réorientation).
• A force de s’occuper uniquement de mettre des « ponts » et des « passerelles »
partout (entre UE, entre formations, entre disciplines …) on a oublié de s’intéresser à
la montée des eaux (et des effectifs étudiants).
• Pour le reste :
• https://www.binge.audio/podcast/programme-b/que-vaudront-les-diplomes-de-la-
generation-covid
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15. La question de l’évaluation du diplôme.
• Nos étudiant.e.s ne sont pas des délinquant.e.s. https://www.affordance.info/mon_weblog/2020/05/nos-
etudiants-ne-sont-pas-des-delinquants.html
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• En résumé :
• Ça coûte un bras
• Ça privatise
• C’est (extrêmement) intrusif
• Effet cliquet
• Aucune équité
• L’examen (le contrôle, le partiel …)
dans sa conception comme dans sa
passation et dans sa correction font
partie intégrante de l’activité
d’enseignement.
16. Conclusion.
4 mariages questions (et un enterrement ?).
1. Celle de l’essentiel de l’université publique : diplômes,
cursus. Economie directe de l’attention.
2. Celle des libertés individuelles (et académiques …) : EdTech -
> OrwellTech.
3. Celle des structures de pouvoir et de la place de l’université
: « derniers de cordée ».
4. Celle des choix institutionnels et politiques :
– Choix institutionnels : M. Deneken (président
UNISTRA) : "Les années qui s’annoncent auront des
conséquences en termes de coûts, de ressources
humaines, de pédagogie. Nous ne pourrons revenir en
présentiel à 100 %, ni à la rentrée prochaine ni dans un
an." (Mars 2021)
– Choix politiques : explosion du flux de bacheliers +
pénurie de postes + précariat constant + Réformes
incessantes du cycle Bac -3+3 = nécropolitique du
sup.https://www.affordance.info/mon_weblog/2021/
02/frederique-vidal-necropolitique.html
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en présentiel
18. Sources complémentaires
• « Bienvenue à l’université Low-Cost ». Affordance.info. Mai 2009.
https://affordance.typepad.com/mon_weblog/2009/05/bienvenue-a-luniversite-lowcost.html
• « De qui se MOOCS t-on ? » Affordance.info. Mai 2013.
https://affordance.typepad.com/mon_weblog/2013/05/de-qui-se-moocs-ton.html
• « Nos étudiant(e)s ne sont pas des délinquant(e)s. » Affordance.info. 6 Mai 2020.
https://www.affordance.info/mon_weblog/2020/05/nos-etudiants-ne-sont-pas-des-
delinquants.html
• « Cours de rue : on continue ! ». Affordance.info. 15 Décembre 2020.
https://www.affordance.info/mon_weblog/2020/12/cours-de-rue-on-continue-.html
• « L’université vaut bien une messe. » Affordance.info. 23 Novembre 2020.
https://www.affordance.info/mon_weblog/2020/11/universite-vaut-bien-une-messe.html
• « Mes étudiant(e)s et le(ur) numérique. » Affordance.info. 25 Juin 2020.
https://www.affordance.info/mon_weblog/2020/06/etudiants-numerique.html
• [Entretien] « Que vaudront les diplômes de la génération Covid ? » Janvier 2021.
https://www.binge.audio/podcast/programme-b/que-vaudront-les-diplomes-de-la-generation-
covid
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Editor's Notes
Je veux vous livrer une expérience singulière. Et en faire l’analyse politique. J’en profite, sans flagornerie aucune pour souligner le rôle déterminant des BU dans cette crise qui furent, comme on dit en alpinisme, la ligne de vie de bcp de ces jeunes gens et jeunes filles.
A la recherche d’une bonne nouvelle ? Crise nous a obligé à marquer un STOP
A l’échelle macro : formation à distance envisagée comme systémique.
A l’échelle micro : formation à distance envisagée comme expérience individuelle (ou collective mais à l’échelle d’un cours, d’un enseignement)
Je veux vous livrer une expérience singulière. Et en faire l’analyse politique.