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"...on peut franchir le pas,
               faire un essai."
Bernard BERTRAND




"…on peut franchir le pas,
             faire un essai."


  Structures d’accueil avec possibilité de consommer
            à moindre risque des drogues
Du même auteur

Le « tourisme d’assistance » des usagers de drogues. Vers
 l’ouverture d’une salle d’injection à moindre risque, Paris,
 L’Harmattan, 2003.
À la mémoire

                    du p’tit Azziz
qui a contribué à cette recherche

                             et de

                 mon homonyme.
Mes remerciements pour leur précieuse collaboration à :

L’Université Marc Bloch, UFR des Sciences Sociales,
Département de Sociologie, Strasbourg ; M. le Dr Weibel, Chef de
service, Psychiatrie générale secteur 7, Centre hospitalier de
Mulhouse ; M. le Dr Leroy, Coordinateur, Centre spécialisé de
soins aux toxicomanes Alter native, Centre hospitalier de
Mulhouse ; M. Buttner, Directeur, Association Le cap, Haut-Rhin ;
Mme le Dr Berthet, Chef de service, Centre spécialisé de soins aux
toxicomanes, Le cap, Mulhouse ; M. Verger, Directeur,
Association Argile, Haut-Rhin ; Mme Dillmann, Infirmière,
Coordinatrice, Boutique Bémol, Argile, Mulhouse ; M. Lego,
Docteur en pharmacie, Pharmacie centrale Lego, Mulhouse ;
M. Bichet, Coordinateur, Association AIDES délégation
départementale du Haut-Rhin ; M. Mani, Directeur, Association
Première ligne, Genève, Suisse ; Mme Baudin, Coordinatrice,
Quai 9, Première ligne, Genève, Suisse ; Toute l’équipe de Quai 9,
Première ligne, Suisse ;

... et à toutes celles et ceux qui m’ont soutenu et qui m’ont aidé en
complétant mes informations.

Merci pour votre disponibilité.

Je remercie l’association LUDIC et plus particulièrement John
Milot et Florence Laruelle qui ont participé à la réalisation de ce
travail, aux consommateurs de drogues qui ont accepté d’y
participer et au laboratoire Becton Dickinson pour son soutien
financier.

Pour terminer, je tiens à remercier Fabrice Olivet (ASUD National)
pour son introduction à cette étude ; Gisèle Boehm et Christiane
Dillmann qui ont accepté de la lire et de corriger mes imperfections
de la langue française.
TABLE DES ABRÉVIATIONS



BHD         Buprénorphine Haut Dosage.
ECIMUD      Équipe de Coordination et d’Intervention auprès
            des Malades Usagers de Drogues.
InVS        Institut de Veille Sanitaire.
JO          Journal Officiel de la République française.
MDMA        Méthylène-Dioxy-MétAmphétamine,           molécule
            synthétique appartenant à la famille des
            amphétamines.
MILDT       Mission Interministérielle de Lutte contre la
            Drogue et la Toxicomanie.
OEDT        Observatoire Européen des Drogues et des
            Toxicomanies.
OFDT        Observatoire Français des Drogues et des
            Toxicomanies.
OMS         Organisation Mondiale de la Santé.
ONU         Organisation des Nations Unies.
ONUSIDA     Programme commun des Nations Unies sur le
            VIH/SIDA.
PES         Programme d’Échange de Seringues.
RDR         Réduction Des Risques liés à l’usage de drogues.
SCMR        Structure d’accueil avec possibilité de Consommer
            à Moindre Risque des drogues psychoactives.
SIDA        Syndrome d’Immuno Déficience Acquise.
UD          Usagers de Drogues.
VHC         Virus de l’Hépatite C.
VIH         Virus de l’Immunodéficience Humaine.


                           11
Préface


D. comme drogue ! Un best-seller des années soixante-dix,
compilation de ragots vaguement scandaleux et de pseudo-
statistiques, avait capté l’anthropomorphisme bizarre relatif aux
stupéfiants. Dans le sillage d’une prohibition sans faille, vieille de
presque cent ans, la Drogue existe comme un personnage de
roman. On ne dit pas « Sir Arthur Conan Doyle fumait
généralement 0,8 gramme de marijuana le matin après son thé, puis
il lui arrivait de sniffer entre 25 et 35 mg de cocaïne l’après midi et
tous les soirs, il avalait un demi-gramme d’opium Afghan », on dit
« l’auteur de Sherlock Holmes prenait de LA Drogue ». Bref on ne
dit rien. Quant aux pauvres consommateurs, ce ne sont ni des
« droguant » ni des « drogueurs » mais des drogués, des participes
passés, présents pour exprimer l’absence de participation. À
l’instar du zombie ou du possédé, le drogué n’est plus sujet mais
objet. Sherlock Holmes n’est plus ce fascinant personnage ayant su
préserver l’exquise excentricité de certains britanniques de l’ère
victorienne. Non ! Le mec qui a écrit Sherlock Holmes était un
drogué !
    Qu’est-ce que la drogue et qu’est-ce qu’un drogué ? Pour la
plupart des gens la drogue « existe réellement » en tant que
puissance agissante. C’est une force maléfique, matérialisée dans
un produit appelé indifféremment selon les époques, marijuana,
héroïne crack ou ecstasy, mais surtout lié à un monde obscur,



                                  13
insondable, ou le dealer côtoie la prostituée, bref un monde de
ténèbres sur lequel on a peu de prise et où l’on craint de voir
englouti son enfant. Face à la drogue, l’être humain n’est que peu
de chose, si une bande de drogués croise dans les parages, tôt ou
tard vous risquez la contamination, ce n’est qu’une question de
temps. Pour échapper à ce gouffre : un remède, l’application stricte
du commandement : « et drogues point ne prendra ».
    Hélas, dissipons une illusion préalable. Tous les remèdes, tous
les traitements du monde ne sont que grimaces et contorsions face
au désir de drogues. Dans le cas de la Méthadone® par exemple,
c’est le désir de drogues qui fonctionne, qui permet d’avoir un
patient sagement aligné tous les matins derrière son comptoir.
L’hypocrite rituel du soin s’effondre dès lors qu’un docteur naïf ou
incompétent s’obstine à baisser ou augmenter le dosage de
Méthadone® sans tenir compte du désir de drogues de son patient.
Et surtout, ce désir de drogues n’est ni malsain ni pathologique, il
exprime une pulsion légitime de l’être humain et nous renvoie
même à la question du sacré. Selon une interprétation nominaliste
de la question des drogues, l’ivresse peut être comprise comme
l’acte premier de la conscience humaine. Une démarche toujours
ritualisée dans la plupart des cultures. En Occident, notre
rationalisme s’est construit contre la religion, mais nous avons
subrepticement laissé la médecine s’emparer du chemin qui mène
au sacré. Le clergé moderne est formé dans les facs où de jeunes
sorciers en blouses blanches sont initiés aux mystères de notre
nouveau credo : l’hygiène du corps et le risque zéro. Ce clergé,
comme l’ancien, subit une longue initiation, puis forme une
corporation soudée, avec sa hiérarchie, ses revenus, ses tribunaux,
une confrérie puissante campée sur les souffrances du commun et
les malheurs du temps. Dans la question des drogues, ce clergé,
comme l’ancien, pointe l’infinie faiblesse du pécheur, rebaptisé
patient, puis propose ses remèdes. En dénonçant la prise de
stupéfiants, ce clergé comme l’ancien tente d’éliminer la
concurrence déloyale des sorciers et des hérétiques, déjà grands
amateurs de potions vendues sous le manteau.


                                14
Face à cette confessionnalisation nouvelle manière (certain
appelle cette nouvelle religion du sanitaire : « l’hygiénisme »), des
esprits forts se rebellent. La drogue n’existe, disent-ils, que parce
qu’un être humain la consomme. C’est l’acte de consommation qui
est fondateur d’un phénomène que l’on peut qualifié de « drogue ».
Certes ce phénomène peut être destructeur, mais cette destruction
est causée non par une force démoniaque supra-humaine appelée
drogue, mais par le choix délibéré des individus d’abuser de la
consommation d’une substance chimique appelée crack, cannabis
ou alcool. Ce qui est déterminant pour justifier toutes les politiques
répressives concernant l’usage des drogues, c’est le refus de
considérer la volonté humaine comme élément primordial du
processus. Une volonté voluptueuse, sans aucun doute ou plutôt un
désir d’ivresse. C’est le désir qui fait le drogué et l’ivresse qui fait
la drogue. Mais le désir d’ivresse n’est pas forcément une pulsion
irrépressible et chaotique.
    Le désir de drogues est légitime, il rapproche la créature de son
créateur en lui dérobant les clés du bonheur sur terre. En utilisant
les propriétés euphorisantes de la vigne ou du pavot, l’homme
s’affranchit de la fatalité de la souffrance, il pose un acte de liberté
fondamentale.
    Hélas cette posture sent furieusement le souffre, les grands
prêtres de l’hygiénisme agitent l’épouvantail de la dépendance,
tout en proposant leurs incantations et leurs fioles. L’usage de
drogues serait-il un acte de résistance aux nouveaux inquisiteurs ?
    Qui dit résistance dit transgression ! Dans l’esprit du public, la
violence est habituellement associée à la question des drogues.
Traditionnellement le thème de la sécurité est inhérent à la fameuse
« lutte contre la toxicomanie ». Or cette violence n’est pas
structurellement liée à l’acte de consommer une substance illicite.
Tout au moins il semble important de pouvoir déterminer
exactement ce qui fait violence. Est-ce la drogue ? Est-ce
l’interdit ? Est-ce la transgression ?




                                  15
Dés lors que l’on sort des représentations stéréotypées, qu’est-
ce qui se cache derrière l’amalgame entre drogues et criminalité ?
Qu’est-ce qui ressort des contextes législatifs, psychologiques et
culturels dans lesquels ces drogues sont consommées ?
    Pour s’en tenir aux drogues illicites, on ne peut s’empêcher de
rapprocher la violence des lieux de deal et celle qui affleure parfois
dans les centres de soins. Or cette violence ne peut être exemptée
de toutes références au contexte légal. En fait le soubassement de
toute pensée concernant les drogues n’est-il pas d’admettre que la
première violence, celle qui en quelque sorte est fondatrice de
toutes les autres, est celle que fait peser sur l’ensemble des usagers
la menace d’une peine correctionnelle d’un an d’emprisonnement
et d’une amende de trois mille sept cent cinquante euros pour le
délit de simple usage ?
    Ce préalable ne prétend rien justifier, tout au plus il permet de
relativiser certains comportements, non pour les excuser, mais pour
mieux les appréhender et éventuellement les prévenir. La violence
de la loi qui pénalise l’usage de stupéfiants se double de la violence
inhérente à l’institution du soin, ce cocktail inédit entre violence
institutionnelle et violence répressive ne peut pas ne pas avoir de
conséquences sur la psychologie des usagers.
    Alors résumons-nous. L’usage des drogues serait donc
délibérée, et parfaitement intentionnelle, le tout dans une
perspective hédoniste voire épicurienne, rien à voir avec la maladie
grave que l’on vend sous l’appellation « toxicomanie ». De plus,
l’absence de légalité qui environne toutes les étapes d’acquisition
et de consommation des produits serait les véritables facteurs de
violence de l’univers de la consommation de drogues. Donc ni
malades, ni délinquants. Mais alors quoi ?
   En matière de drogues l’Europe se dirige lentement vers la
fondation d’un modèle de prise en charge alternatif à la politique
américaine de répression et de condamnation morale.




                                 16
Initiée dans les années quatre-vingts par les Pays-Bas et
poursuivie un peu partout en Europe de l’Ouest et du Sud dans le
sillage de l’épidémie de sida, la politique de réduction des risques
liés à l’usage des drogues (RDR), est un succès.
     Or, la RDR suppose que l’on admette la légitimité morale de
l’usage de drogues. Bien sûr les discours officiels sont plus
prudents. On nous explique que l’usage doit continuer à être
combattu, que la prévention primaire, celle destinée aux jeunes
n’ayant jamais consommé, doit être maintenue comme priorité.
Mais dans les faits, la seule chose que la RDR condamne
clairement c’est l’irresponsabilité des consommateurs. Tous les
maux véritables imputés à LA Drogue en découlent. L’abus,
l’absence de précautions sanitaires, les cures forcées
nécessairement ratées. Le moteur du succès c’est la reconnaissance
du caractère délibéré de l’usage, et en plus… ça marche. D’abord
on ne s’adresse plus aux « parents », ou aux « jeunes », ni même
aux « drogués », mais aux « vrais gens » qui sont en train de
consommer des substances illicites, ici et maintenant. Ensuite la
RDR c’est la confiance retrouvée, c’est enfin un peu d’espoir après
trente ans de morosité. On donne des conseils utiles qui servent ici
et maintenant. Comment injecter telle ou telle drogue dans des
conditions de sécurité sanitaire minimale ? Quelles méthodes de
consommation sont-elles à même de limiter les overdoses
d’héroïne ? À quelle fréquence doit-on boire pour ne pas se
déshydrater sous MDMA ? À partir de quelle fréquence de
consommation doit-on se considérer comme dépendant du
cannabis ?
    Bref la politique de réduction des risques s’intéresse au
« comment » on se drogue, alors que la méthode traditionnelle
s’intéresse au « pourquoi ». Le changement de perspective est total.
Sur le « comment », la science alliée au bon sens et au respect de la
dignité humaine, a mille réponses. Inversement, cent ans de
questionnement douloureux sur le « pourquoi » ne semblent pas
avoir véritablement fait bouger les choses.




                                 17
Hélas, le public reste ignorant de ce bouleversement idéologique.
    En général il ne connaît de la réduction des risques que les
programmes de substitution utilisant la Méthadone® ou même
l’héroïne médicale en lieu et place de l’héroïne de rue.
    Mais le pilier central de cette politique n’est pas d’ordre
pharmacologique. Pour reprendre la phrase emblématique des
partisans de la prohibition, « il ne suffit pas de donner une drogue à
la place d’une autre pour résoudre le problème ».
    Cette longue introduction, pour souligner à quel point l’étude
de Bernard « Bobby » Bertrand sur l’ouverture de structures
d’accueil avec possibilité de consommer à moindre risque est un
document capital pour comprendre les enjeux véritables de
l’actualité de la politique menée en matière de stupéfiants.
    En jetant un éclairage scientifique sur les lieux de
consommation à moindres risques, Bobby nous ramène au cœur de
cette politique de réduction des risques que les professionnels du
secteur connaissent bien, mais que le public français ignore faute
de débat public. Or plus encore que l’utilisation des traitements de
substitution, les « salles de shoot », de « sniff » ou de « chasse au
dragon », sont l’illustration la plus emblématique de cette place
faite à la responsabilité des consommateurs. Les SCMR, comme
dit Bobby, sont des petites zones libérées où l’expérience, la
prudence et la sagacité des usagers de drogues peuvent s’exprimer.
Paradoxe absolu, matérialisation schizophrène de la RDR, la
recette du succès tient en deux phrases :
- Comment éviter que les drogués ne se tuent en se « défonçant » ?
- Aménager des petites bulles de légalité, ou tout au moins des
  mini-espaces de tolérance, à l’intérieur desquelles ils auront le
  droit de consommer des drogues librement.

    C’est absurde et cependant c’est une définition possible des
SCMR. Ajoutons que, à la différence des « scènes ouvertes », les
salles de consommation sont libérées du règne des dealers



                                 18
(relégués aux confins) et surtout du voisinage oppressant de la
police qui n’exercent donc plus cette suzeraineté lointaine
tellement prisée par les mafias de tous bords.
    La salle de consommation c’est la RDR à l’état pur, sans
compromission avec le pouvoir médical. Ce n’est pas un hasard si
ASUD fut à l’origine de la première expérience française du genre.
La salle de shoot de Montpellier fut un résumé du projet associatif
d’ASUD : réduire les risques par la citoyenneté plutôt que par le
médical. Les risques sont d’abord et avant tout les risques liés à
l’usage de la prohibition (produits coupés ou trop purs, arnaques,
vols, arrestations, absence d’hygiène, ignorance sanitaire, dénis,
mensonges, culpabilité, etc.) plutôt qu’à l’usage des drogues.
     Dernière chose, comme toutes les réalités complexes, l’usage
des drogues mérite des approches diversifiées, au moins
paradoxales si ce n’est contradictoires. Les salles de consommation
ne font pas exception. Nous militons depuis toujours pour le
maintien de l’usage des drogues dans la sphère privée, nous jetons
l’anathème sur la logique prohibitionniste qui fait fi de la liberté
individuelle pour venir dicter à nos sens quelles molécules seront
licites pour s’envoyer en l’air. Et puis voilà que dans le même
temps nous demandons à l’État des subventions pour organiser des
lieux publics pour se droguer collectivement.
    Soyons honnêtes. Je me souviens très précisément de ma visite
au Fixpunkt de Berne (Suisse), dirigé par Robert Hammig, un
authentique humaniste à l’accent suisse. Ma première sensation en
entrant fut tout de même la violence. La violence de la coke quand
elle est fixée des heures durant, la violence du biseness relégué à
vingt mètres du centre mais dont les remous viennent frapper à la
porte. Violence de la misère surtout. Cette misère omniprésente
dans le lieu avec sa crasse qui affleure sous l’odeur persistante du
détergent, misère de la vie massacrée de ces femmes, de ces
hommes souvent jeunes, rarement beaux, aux « chicots » noirâtres
poursuivis par les arnaques, le tapin et la tôle. Car les salles de
consommation sont aussi des hangars à pauvres. Le riche ne s’en



                                19
approche que pour se ravitailler les soirs de dèches. C’est pourquoi
elles n’ont pas bonne presse à la différence des programmes de
substitution qui s’adressent à la classe moyenne toxico. La salle de
consommation est donc une béquille, un correctif nécessaire pour
pallier aux terribles inégalités sociales amplifiées par le marché
sauvage de la drogue. Les salles de shoot, particulièrement, sont un
concentré ostensible de misère. Elles ne sont d’aucune utilité
contre la crise économique. Mais en autorisant la frange la plus
défavorisée du corps social à mettre à nu l’une de ses plaies le plus
ignorées, elle remplit un office pédagogique à l’égard des autres.
Certes nous sommes tous inégaux devant les drogues, mais les plus
pauvres d’entre nous sont, selon la formule consacrée par Coluche,
moins égaux que les autres.
    Laissons le mot de la fin à l’un des usagers interrogé
(Entretien n°14), des mots qui ressemblent tellement à ceux que
l’on reçoit au courrier du journal d’ASUD et qui mériteraient d’être
plus souvent popularisés par la presse :

      « Déjà euh, pour moi ça, ça paraissait ahurissant quoi,
      qu’ils ont pu faire un endroit comme ça pour euh, pour
      les toxicomanes, pour qu’ils puissent shooter en, on va
      dire en toute sécurité et puis en toute tranquillité […] ».

Pour eux, pour nous, pour vous, merci.

                                      Fabrice Olivet, ASUD-Journal.




                                 20
Introduction


                  La stratégie et les politiques
                    sur la drogue en France :

de la prohibition vers la réduction des risques
« En augmentant les fardeaux sanitaires, sociaux, légaux et économiques liés à
l’usage de drogue dans le but de minimiser le nombre de personnes qui s’y
adonnent, la base même de la prohibition cause plus de dommages nets aux
individus et à la société qu’une acceptation du caractère inévitable d’une certaine
consommation […]. De plus en plus de dirigeants, autour du monde,
reconnaissent que la plupart des problèmes associés aux drogues illégales
résultent de la prohibition, plutôt que d’être des conséquences inévitables de
propriétés pharmacologiques des substances ».

Alex Wodak et Ron Owens (1996 : 7).




       INTRODUCTION



La France a connu à partir du XIXe siècle, quatre vagues
importantes de consommation de drogues que les médecins
hygiénistes de cette époque ont appelé « épidémie ». La première a
eu lieu en 1880 avec la morphine, puis l’opium, la cocaïne au début
du XXe siècle et enfin l’héroïne à partir des années 1970. C’est en
1916, au moment de l’épidémie de cocaïne que le législateur
français met en place le premier dispositif prohibitionniste et
interdit en outre la consommation en public de drogues.1

    Le 31 décembre 1970[2], en s’appuyant sur la convention
unique de 1961[3], « la France devient le seul grand pays européen

1
   Seule la consommation en public est réprimée. Loi du 12 juillet 1916 sur
l'importation, la détention et l'usage des substances vénéneuses et notamment
l'opium, la morphine et la cocaïne, JO du 4 juillet 1916.
2
   Loi n°70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte
contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des
substances vénéneuses, JO du 22 septembre 2000. Tous les textes de lois et les



                                       23
[…] à adopter une attitude aussi radicale d’un interdit complet de
la consommation de tous les produits classés comme stupéfiants »
(C. Trautmann, 1990 : 22). Les sanctions encourues vont d’une
mesure de « rappel à la loi » (article 41-1 du code de la procédure
pénale) à une peine correctionnelle d’un an d’emprisonnement et
d’une amende de trois mille sept cent cinquante euros (article
L.3421-1 du code de santé publique, ancien article L.628). Peu de
temps après, elle interdit également la vente libre des seringues
(décret n°72-200 du 13 mars 1972). À partir de ce moment, la
répression devient la réponse principale à la consommation de
stupéfiants. Comme le note Aliou Sèye (2000 : 29), « lorsque les
drogues sont identifiées à un "mal absolu" et que les usagers ne
sont perçus qu’à partir des substances toxiques qu’ils utilisent, on
se trouve en face d’une assimilation et d’une confusion grave entre
l’homme et le produit […] : le produit est mauvais, par conséquent
ceux qui l’utilisent sont aussi mauvais ».

    C’est au début du XXe siècle, que le mot « toxicomane » fait
son apparition. Faisant référence à des notions de folie, de passions
destructrices et d’idées obsédantes, sa définition change selon les
périodes et les auteurs. Aujourd’hui, il est employé « avec
assurance comme s’il correspondait à des choses bien connues et
définies, alors qu’il ne réveille en nous que des notions confuses,
mélanges indistincts d’impressions vagues, de préjugés et de
passions » (E. Durkheim, 2004 : 22). L’absence d’homogénéité
dans les définitions adoptées même dans les milieux médicaux,
amène inévitablement une confusion dans le public y compris chez


décrets français sont sur le Site Legifrance [en ligne]. [réf. du 29 mai 2005].
Format pdf ou htm. Disponible sur <http://legifrance.gouv.fr/>.
3
   La France est signataire de quatre traités internationaux : la convention
internationale de l’opium de 1912, modifiée par le protocole de 1946, toujours en
vigueur avec les pays qui n’ont pas ratifié la convention unique de 1961 ; la
convention unique sur les stupéfiants de 1961, modifiée par le protocole de 1972 ;
la convention sur les substances psychotropes de 1971 et la convention contre le
trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.



                                       24
les personnes directement concernées. L’utilisation très répondue
d’un langage populaire est un obstacle supplémentaire à la bonne
compréhension de la toxicomanie (R.G. Newmann, 1995). Emile
Durkheim (2004 : 37) ajoute que « nous sommes tellement
habitués à nous servir de [ce mot], qui revien[t] à tout instant dans
le cours des conversations, qu’il semble inutile de préciser le sens
dans lequel nous [le] prenons. On s’en réfère simplement à la
notion commune. Or celle-ci est très souvent ambiguë. Cette
ambiguïté fait qu’on réunit sous un même nom et dans une même
explication des choses, en réalité, très différentes. De là
proviennent d’inextricables confusions ». Ainsi pour le public, le
toxicomane, « le tox », « le drogué », « le junkie » est celui qui fait
usage de drogues « dures » et plus particulièrement de l’héroïne
par voie intraveineuse. Pour d’autres, et notamment le législateur,
le champ de la toxicomanie, dit aujourd’hui « des addictions »,
englobe les drogues illicites, mais également depuis 1999, « la
prise incontrôlée » de produits licites tels que le tabac et l’alcool
(MILDT, 1999). Le consommateur de drogues se retrouve alors
assimilé à un malade ou à un délinquant et le plus souvent à un
délinquant et à un malade. Pourtant, entre l’usage de drogues et la
toxicomanie, il existe différentes formes d’usages : occasionnels
(festifs ou récréatifs), réguliers et abusifs. Toutes ces nuances sont
réduites au seul terme de toxicomane, augmentant la confusion sur
la perception que l’on a du phénomène. Pour notre part, nous
utiliserons les termes « usager de drogues » psychoactives et
« consommateur de drogues » psychoactives non dans le sens de
« dépendance »4 mais au sens d’une pratique pouvant entraîner une
« conduite à risque » (D. Le Breton, 1995 : 94 ; 2000 : 112).

4
  En 1969, l’OMS définie la toxicomanie comme une dépendance (dépendance
physique, dépendance psychique et tolérance). Cependant, les êtres humains
peuvent être dépendants de bien autre chose que d’un produit psychoactif et la
dépendance est, dans une certaine mesure, aussi un élément auquel est assujetti
l’être humain. Il est donc des dépendances dites normales, qui peuvent être
physiologiques (besoins primaires : manger, respirer), sociales (règles de la
société), affectives et éducatives.



                                      25
AUX PRISES AVEC DES ÉPIDEMIES



Depuis plus de vingt ans, la consommation de drogues et plus
particulièrement l’injection de drogues, constitue une cause
importante de maladies graves. La pratique d’injection a provoqué
plusieurs flambées épidémiques d’infections transmissibles par le
sang, notamment celles dues au VIH (ONUSIDA, 2002) et au
VHC (OMS, 1997). Aujourd’hui, l’injection de drogues constitue
le mode prédominant de transmission du VIH dans de nombreux
pays, notamment en Asie, en Amérique latine et du Nord, en
Russie et en Europe de l’Est.
    La nature cachée et illégale de la consommation de drogues
rend difficile l’estimation du nombre de personnes touchées. Selon
l’ONUSIDA (2002), il y aurait jusqu’à dix millions de personnes
qui s’injectent des drogues à travers le monde. L’OFDT (2002 : 38)
estime quant à lui, le nombre « [d’]usagers d’opiacés ou de cocaïne
français à problème »5 dans une fourchette allant de 150 000 à
180 000.
    Parmi les 40 millions de personnes infectées par le VIH dans le
monde, environ 3,3 millions l’ont été par suite de l’injection de
drogues (ONUSIDA, 2001). En France, les taux d’infections par
transmission sanguine ont connu une hausse alarmante pendant les


5
  L’OFDT (2002 : 16) désigne une consommation à problème comme une « […]
consommation qui implique, ou peut impliquer, des dommages de nature sanitaire
(somatique ou psychique), sociale (incapacité de remplir des obligations : au
travail, à l’école, en famille, etc.) ou judiciaire ».



                                     26
années quatre-vingt-dix. En 1993, ils correspondaient à plus d’un
quart des nouveaux cas rapportés d’infection à VIH. C’est
seulement en 1987, que les seringues seront remises en vente libre6
et, au contraire des pays voisins tels que la Suisse, l’Allemagne et
l’Espagne, aucune autre mesure ne sera prise face à cette
catastrophe sanitaire (B. Bertrand, 2003 : 15). Aujourd’hui, on
observe toujours une prévalence du VIH supérieur à 20 % chez les
usagers injecteurs (F.F. Hamer et A.M. Downs, 2004 : 87 ;
M. Jauffret-Roustide et al., 2004).
    L’hépatite C est également un problème important de santé lié
à l’usage de drogues injectées et/ou sniffées. Ces pratiques de
consommation sont aujourd’hui reconnues comme les causes
principales de contamination par l’hépatite C dans les pays
développés (OMS, 1997). D’après l’étude Coquelicot (M. Jauffret-
Roustide et al., 2004), le taux de prévalence au VHC serait de 73 %
en France et le nombre de nouvelles contaminations par année est
estimé entre 2 700 et 4 400 personnes chez les injecteurs (J-C.
Desenclos, 2003 : 85). L’InVS (M. Jauffret-Roustide et al., 2004)
note que « […] la faible proportion des UD parmi les nouveaux
diagnostics VIH et la diminution des cas de sida depuis plus de
5 ans confirment la réduction de la transmission du VIH dans cette
population. Mais d’autres indicateurs, comme la baisse des ventes
des seringues depuis 1999 (suggérant une possible reprise du
partage) et la prévalence de l’hépatite C, conduisent à rester
vigilant dans cette population ».
    Les consommateurs de drogues s’exposent directement à un
risque de décès, en raison de la toxicité des produits consommés,
du mode de consommation pouvant entraîner la transmission de
certaines pathologies mais également d’un mode d’existence

6
  Décret n°87-328 du 13 mai 1987 (décret Barzac), JO du 16 mai 1987 ; décret
n°88-894 du 24 août 1988, JO du 27 août 1988 et décret n°89-560 du 11 août
1989, JO du 12 août 1989 modifiant le décret du 13 mars 1972, réglementant le
commerce et l’importation des seringues et des aiguilles destinées aux injections
parentérales en vue de lutter contre l’extension de la toxicomanie.



                                       27
comportant des prises de risques plus élevés et des troubles
psychiatriques pouvant entraîner des suicides. Malheureusement, le
repérage actuel nous renseigne uniquement et avec peu de
précision sur le nombre de décès par surdose d’héroïne7 (120 décès
en 2000 contre 564 en 1994) et sur le nombre de décès par sida des
consommateurs ayant utilisé la voie injectable. Dominique Lopez,
Hélène Martinau et Christophe Palle (2004) montrent que la
mortalité sur une cohorte de personnes interpellées pour usage de
drogues (héroïne, cocaïne ou crack) est cinq fois plus élevée que
celle des hommes de l’ensemble de la population française, et neuf
fois plus élevée pour les femmes. Le 14 avril 2005, lors du débat
de l’Assemblée nationale sur la lutte contre la toxicomanie, le
député Jean-Paul Garraud (2005 : 2 959) déclarait qu’une « étude
récente du professeur Pierre Kopp démontre que, sur les 165 000
héroïnomanes que comptait notre pays en 1996, environ 19 800
étaient décédés en 2004 à un âge compris entre trente et trente-cinq
ans, soit environ 2 500 personnes par an ».
     Les nouvelles consommations (crack, ecstasy), notamment les
poly-consommations, la cocaïne (E. Wood et al., 2003), l’injection
du Subutex® et l’accroissement de l’utilisation de la voie nasale
augmentent les risques (infections, dégradation physique et
psychique, prises de risques). Ercan Acar (2004 : 29), travailleur
social en Alsace, fait remarquer « que l’introduction des
traitements de substitution a fait émerger de nouvelles
problématiques avec des comportements à risque, principalement
en ce qui concerne le Subutex® à travers ses mésusages et sa
prescription sans proposition d’accompagnement social ou
psychologique. Les usagers sont souvent engagés dans des


7
  Les décès causés par une overdose ne sont pas signifiés de la même manière
suivant les pays européens. En France, un décès est signifié comme overdose si
celui-ci intervient directement et immédiatement après une consommation de
drogues et est certifié comme tel après une autopsie, une analyse toxicologique et
une signalisation auprès de l’Office central pour la répression du trafic illicite des
stupéfiants (OEDT, 2001 : 17).



                                         28
conduites à risques importantes, avec un développement inquiétant
de la consommation des médicaments psychoactifs [...]. L’injection
régulière de Subutex®, en recrudescence, a entraîné chez les
consommateurs des conséquences somatiques et psychologiques
importantes [...] ».




                               29
L’APPLICATION D’UNE NOUVELLE
      APPROCHE



L’année 1993 a constitué, pour de nombreuses associations du
champ de la toxicomanie et de la lutte contre le sida, une étape
fondamentale dans la formalisation d’une réponse à la
problématique VIH et usage de drogues, en clarifiant les
revendications formulées et la réponse sociale mise en place. Nous
assistons ainsi à l’émergence et à l’application d’une nouvelle
approche : la réduction des risques liés à la consommation de
drogues. Celle-ci se fonde sur deux principes : le pragmatisme et
l’humanisme. Le postulat de base est que l’usage des drogues est
une réalité avec laquelle nous devons composer. Il convient donc
de limiter, le plus possible, les risques sanitaires et sociaux liés à la
consommation de drogues sans nécessairement vouloir influencer
celle-ci de manière directe. Anne Coppel ((a), 2002 : 21) fait
remarquer « [qu’]il vaut mieux ne pas consommer de drogues mais
si vous en consommez, il vaut mieux consommer les drogues les
moins dangereuses et de façon la moins dangereuse possible ; il
faut mieux ne pas s’injecter des drogues mais si vous persistez à
vous en injecter, alors il faut utiliser une seringue stérile ».
    Concrètement, l’approche de réduction des risques se traduit
aussi par des actions de soutien dans le domaine de la santé, du
social, du logement, du travail, etc. Celles-ci incluent notamment la
mise à disposition de moyens de prévention du sida et des hépatites
comme des seringues, des cuillères, de l’eau, des kits sniff et
d’inhalation, des préservatifs, etc. Une telle politique de prévention
a pour conséquence de transformer la « question sociale »


                                   30
(R. Castel, 1995 : 530) en s’inscrivant aux marges des cadres
normatifs des politiques pénales ou sanitaires jusqu’alors seules
légitimes pour traiter des questions de toxicomanie. Elle modifie
également les modes d’appréhension des populations usant de
drogues psychoactives. Dans une démarche basée sur le principe
d’abstinence, le rapport des consommateurs de drogues au système
de prise en charge s’inscrit dans une logique d’appropriation
détournée de celui-ci et est considéré comme inefficace et
dangereux. Avec l’avènement des interventions auprès des usagers
actifs, cette conception du rapport des UD (Usagers de Drogues) au
système de prise en charge change radicalement. L’usage de
« l’espace public » leur est désormais autorisé puisque les
interventions impliquent qu’ils soient pris en charge quand bien
même ils se droguent. Intervenir au cœur du milieu de la
toxicomanie est considérée comme une condition de l’efficacité de
la dite intervention. Toutefois, toute consommation de drogues
reste aujourd’hui clandestine et entraîne une augmentation des
risques sanitaires, notamment ceux liés aux conditions d’asepsie
qui ne sont pas toujours idéales. La création de nouveaux
dispositifs dits à bas seuil d’accès,8-9 à partir des années quatre-
vingt-dix, a permis d’accueillir les personnes consommatrices de
drogues les moins insérées, qui ne fréquentaient pas ou peu des
structures plus « exigeantes » d’accès. Mais toute consommation
de produit reste là aussi officiellement interdite dans ces lieux.


8
  « Le concept de bas seuil fait référence à une approche d’aide destinée aux
usagers de drogues. Cette approche a pour principaux objectifs : l’accueil et
l’accompagnement des usagers ainsi que la réduction des dommages liés à l’usage
de drogues. Le concept de bas seuil implique que les offres soient faciles d’accès
et comportent peu d’exigences. Il peut s’appliquer aux différents aspects de la vie
des usagers de drogues » (F. Benninghoff, 1999). Voir également (R. Vogt, 2002).
9
   D’après 2 enquêtes, il existait, en 2004 : 154 structures RDR : 159 lieux
d’accueil dont 49 boutiques, 51 bus, 52 équipes de rue, 35 PES non identifiés,
7 programmes d’hébergement de type sleep in, 48 équipes d’intervention en
milieu festif dont 9 spécifiques (Enquête AFR), 241 distributeurs de seringues et
222 récupérateurs de seringues sur 54 département (Enquête SAFE).



                                       31
Toutefois, comme l’a dit Malika Tagounit (2001 : 40) lors de la
première journée-débat nationale organisée sur les salles
d’injection à moindre risque, « il existe une tolérance sous jacente
dans les boutiques. Il s’agit pour les usagers de drogues de le faire
le plus discrètement possible, car s’ils se font surprendre, il y aura
un manquement aux règles ».
     En 1993, le collectif de personnes et d’associations « Limiter la
casse »10 publie dans Le Monde et Libération (19 octobre 1993), un
appel qui commençait par : « Des toxicomanes meurent chaque
jour du sida, d’hépatites, de septicémie, par suicide ou par
overdose. Ces morts peuvent être évitées, c’est ce qu’on appelle la
réduction des risques […]. L’alternative entre incarcération ou
obligation de soin est une impasse. La responsabilité des pouvoirs
publics est engagée comme elle le fut dans l’affaire du sang
contaminé. Parce qu’une seule injection suffit pour devenir
séropositif, parce que les toxicomanes sont nos enfants, nos
conjoints, nos voisins, nos amis, parce qu’on ne gagnera pas contre
le sida en oubliant les toxicomanes, limitons la casse ! ».
     En mars 1995, le gouvernement français répond à l’appel du
collectif « Limiter la casse » en mettant en vente dans les
pharmacies le Stéribox® (kit adapté à l’usage de drogues
injectables) et il autorise les associations menant une action de
prévention du sida ou de réduction des risques chez les usagers de
drogues à distribuer gratuitement des seringues stériles.11 Comme
le font remarquer Annie Mino et Sylvie Arsever (1996 : 75), il a
« fallu un mouvement d’opinion dépassant le milieu médical pour
faire reconnaître le droit des toxicomanes à la survie ». Les


10
   La première réunion du collectif a eu lieu le 25 mars 1993 à Paris. En 1998, le
collectif « Limiter la casse » est devenu l’Association française pour la réduction
des risques liés à l’usage de drogues (AFR).
11
   Décret n°95-255 du 7 mars 1995, JO du 9 mars 1995 modifiant le décret du
13 mars 1972, réglementant le commerce et l’importation des seringues et des
aiguilles destinées aux injections parentérales en vue de lutter contre l’extension
de la toxicomanie.



                                       32
traitements de substitution aux opiacés (Méthadone® et Subutex®)
acquièrent un cadre légal. L’auto support12 se développe et prend
une dimension nationale au travers, notamment de la multiplication
des groupes ASUD13 en province. Comme le note Elisabeth Jacob
(1996 : 117), « on peut se demander si, en palliant les
dysfonctionnements et les insuffisances du système traditionnel, la
fonction de ces nouveaux dispositifs n’est pas de venir masquer les
ambiguïtés portées par la loi et faire l’économie d’une réflexion et
d’un investissement suffisamment conséquent pour donner lieu à
une véritable politique en matière de toxicomanie » qui ne
dépendrait pas du degré de tolérance des décideurs politiques.
    Malgré la réussite extraordinaire de la politique de réduction
des risques sur l’amélioration de l’état de santé des usagers de
drogues pris en charge14 et sur la diminution du nombre de
nouvelles contaminations par le virus du sida, dans les quartiers
dits sensibles des grandes villes, comme dans la plupart des régions
françaises, rien ne semble avoir changé. Un observateur alsacien
(P.Y. Bello et al., 2004 : 52) fait remarquer que « […] chez les
jeunes de l’espace urbain, on constate un développement de
l’injection : "ça se remet à shooter". Cela dit le phénomène est
difficile à appréhender puisque l’intervention des forces de l’ordre
a contribué à fermer un squat qui servait de "shooting room" et où
200 personnes venaient s’injecter. Aujourd’hui, le phénomène est


12
   Traduction de l’anglais self-help. « Regroupement de volontaires, généralement
des toxicomanes, que réunit un but commun d’entraide, de satisfaction de besoins
partagés et de résolution d’un problème social, auquel le groupe répond par ses
propres ressources. […] Dans ce cadre, la communauté toxicomane prend
conscience de son existence comme groupe identitaire. Elle met en œuvre une
stratégie éducative visant essentiellement à changer les "normes de risques" en
"normes de réduction des risques" » (A. Toufik, 1999 : 55). Voir également
(M. Jauffret, 2000).
13
   Association d’auto-support et de réduction des risques parmi les usagers de
drogues (supra, note n°12).
14
   Six patients sur dix déclarent être très satisfaits ou satisfaits de leur traitement
de substitution (AIDES, 1998).



                                         33
beaucoup plus dispersé et diffus. Dans le milieu urbain, les
injecteurs de Subutex® se remettent à consommer de l’héroïne. Ce
phénomène concerne aussi bien les anciens usagers substitués à la
BHD que les jeunes injecteurs primo-dépendants au Subutex® ».
    La consommation de drogues affecte toute la communauté, et
pas seulement les usagers de drogues. Elle génère dans des lieux
publics une grande quantité de déchets peu attrayants et qui coûtent
cher à ramasser.15 Les seringues jetées sur la voie publique posent
un risque pour la santé, de piqûres accidentelles, de transmission de
pathogènes par le sang, notamment pour les employés municipaux,
les gardiens et les concierges qui ramassent ces ordures, puis pour
les éboueurs et les trieurs qui s’en occupent. Mais, en plus du
problème d’ordures ayant trait à la drogue, les attroupements de
consommateurs sont largement considérés par le public comme une
nuisance et une menace.
    Pour Elisabeth Jacob, la réduction des risques est considérée
comme une réponse pragmatique aux risques liés à la
consommation de drogues. Elle fait remarquer (1996 : 117) que
« les intervenants sont à la fois tenus de respecter et faire respecter
la loi, tout en donnant aux usagers de drogues les moyens de
déroger à cette dernière sans prendre de risques ». Ils sont pour
Pierre Bourdieu et Gabrielle Balazs (1993 : 384) une « sorte
d’avant-garde d’une institution à qui il[s] offre[nt] des services
irremplaçables mais qui est toujours prête à le[s] désavouer [...] ».
    L’année 2003 aurait dû être l’année du changement avec la
réforme de la loi du 31 décembre 1970 car comme le note Paul
Benkimoun (2005), « il [était] devenu urgent de changer la loi ».
Mais à l’été 2004, le gouvernement se dérobe car il est devenu
« urgent de ne pas la modifier », replongeant ainsi la politique


15
  Il existe peu de données concernant la quantité de seringues ramassées sur la
voie publique. Pour exemple, il a été ramassé à Mulhouse, 1 495 seringues en
2000 et 1 438 en 2001 par les équipes de réduction des risques sur des lieux
publics et semi-publics.



                                      34
française en matière de lutte contre la toxicomanie dans une totale
incohérence puisque qu’au même moment, la loi de santé publique
2004 est votée donnant un cadre légal à la réduction des risques.16
     Une des solutions partielles proposées à la consommation de
drogues illicites, dans le souci d’une politique de réduction des
risques pragmatique, consisterai à établir, tout d’abord à titre
expérimental, des lieux d’accueil bas seuil avec possibilité de
consommer à moindre risque des drogues psychoactives.17 C’est ce
que recommandent notamment des instances créées par l’État
comme le Conseil national du sida (CNS, 2001 : 131) et le Comité
stratégique du programme national hépatites virales (2005), mais
aussi l’Organisation mondiale de la santé (N. Hunt, 2003 : 48 ;
N. Wright, C. Millson et C. Tompkins, 2005) et l’Agence nationale
de recherches sur le sida et les hépatites virales (M. Jauffret-
Roustide, 2005 : 28). Neuf pays ont déjà opté pour cette stratégie
de réduction des risques : la Suisse, l’Allemagne, la Hollande,
l’Espagne, le Canada, l’Australie, la Norvège, l’Afghanistan et en
juillet 2005 le Luxembourg.
     Même si la question des salles de consommation à moindre
risque n’est pas prévue dans l’agenda de la classe politique, elle
constitue cependant une stratégie de réduction des risques et des


16
   Article 12 de la Loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé
publique. JO du 11 août 2004 (article L.3121-3 à L.3121-5 du code de santé
publique) ; décret n°2005-347 du 14 avril 2005, JO du 15 avril 2005, approuvant
le référentiel national des actions de réductions des risques en direction des
usagers de drogue et complétant le code de la santé publique ; décret n°2005-1606
du 19 décembre 2005, JO du 22 décembre 2005, relatif aux missions des centres
d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues
et    modifiant     le    code     de    la    santé    publique     et   circulaire
n°DGS/S6B/DSS/1A/DGAS/5C/2006/01 du 2 janvier 2006 relative à la
structuration du dispositif de réduction des risques, à la mise en place des centres
d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues
et leur financement par l’assurance maladie.
17
   Le décret n°2005-347 du 14 avril 2005 couvre la possibilité d’expérimenter des
salles de consommation à moindre risque.



                                        35
dommages suscitant un attrait certain pour les associations, les
professionnels du secteur sanitaire et social et les riverains.18
Un intervenant de Mulhouse (B. Bertrand, 2003 : 19) fait
remarquer que « si nous donnons des seringues stériles, c’est bien
parce qu’elles vont être utilisées et nos interventions ont pour but
que les personnes qui vont s’injecter prennent le moins de risques
possible. Alors pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique et
éviter qu’ils aillent se cacher dans des lieux dépourvus de toute
hygiène pour faire leurs injections. […] ». Toutefois, les
consommateurs de drogues sont largement absents des débats
entourant leurs instaurations éventuelles. Certes, on les consulte au
moyen de questionnaires mais ces pratiques sont interrogatives et
étrangères à une démarche compréhensive.
     Il s’agit ici d’étudier et d’analyser quelques dispositifs
étrangers qui ont axé leurs interventions autour de la prise en
compte des pratiques des consommateurs de drogues psychoactives
les plus marginalisés. Trois dispositifs, ayant chacun opté pour un
mode d’approche et de captation particulière, ont été étudiés :
1. Quai 9 à Genève (Suisse) ; 2. MSIC (Medically Supervised
Injecting Centre) à Sydney (Australie) et 3. Insite à Vancouver
(Canada). Au travers de ces expériences respectives et en analysant
les points de vue des consommateurs de drogues sur l’ouverture
éventuelle d’une structure d’accueil avec possibilité de consommer
à moindre risque des drogues psychoactives (SCMR)19 en France,
il s’agit de saisir, au-delà des spécificités des structures, la manière
dont elles contribuent à la construction de nouveaux modes
d’intervention pouvant bouleverser et mettre en cause les


18
   « Lorsqu’en 1995, des habitants du Xe arrondissement de Paris découvrent
qu’une Boutique va s’ouvrir dans leur quartier, que cette Boutique va accueillir de
drogués qui se droguent, lorsqu’ils comprennent qu’il s’agit d’une politique
publique, financée par le ministère de la santé, la question ne manque pas d’être
posée : "Vous distribuez des seringues aux toxicomanes mais où vont-ils injecter
leur drogue ?" » (A. Coppel (a), 2002 : 11).
19
   Cf. p. 51.



                                       36
référentiels professionnels dans le champ de la toxicomanie tout en
introduisant un déplacement du centre de gravité des logiques de
travail social.
     En axant l’analyse autour de ces trois expériences, nous
sommes partis de l’hypothèse suivante. L’émergence d’un terrain
d’intervention aux interstices des dispositifs classiques de
réduction des risques, qui tolère la consommation de drogues
illicites à l’intérieur de structures bas seuil, en offrant des
conditions d’hygiène favorable, permet une meilleure prise en
charge d’une population au parcours chaotique, tout en réduisant la
« menace » que représente la consommation de drogues pour
l’ordre public, mais également les dommages liés à celle-ci.
    La partie 1 (« Apprendre de l’expérience d’autres pays :
l’ouverture de salles de consommation à moindre risque »),
examine les résultats de la mise en place de SCMR en Suisse, en
Australie et au Canada, en décrivant brièvement les modèles
adoptés. Les données disponibles montrent que l’intégration de
SCMR en tant qu’outil de réduction des risques et des dommages
liés à la consommation de drogues, est susceptible d’entraîner
d’importants bénéfices pour les utilisateurs et pour la communauté,
et que de telles initiatives devraient au moins être expérimentées.
    La partie 2 (« Approche sociologique de l’ouverture de
structures d’accueil avec possibilité de consommer à moindre
risque des drogues ») porte sur les arguments invoqués
fréquemment pour et contre la mise en place de SCMR. Cette
partie conduit à la conclusion que les arguments cités contre
l’ouverture de SCMR sont non fondés ou exagérés.
    La partie 3 (« Points de vue des consommateurs sur la mise en
place éventuelle de lieux de consommation à moindre risque »)
explique le sens que revêt, pour les consommateurs de drogues,
l’éventuelle ouverture d’une SCMR à Mulhouse, et comment ils
élaboreraient un tel projet si on leur en offrait la possibilité.




                                37
MÉTHODOLOGIE



Nous avons choisi trois méthodes de collecte de données (par
triangulation) : la recherche documentaire, l’observation
participative et les entretiens semi-directifs.


    Recherche documentaire

Nous avons commencé la recherche par une revue et analyse de la
littérature comprenant des ouvrages scientifiques (sociologiques,
épidémiologiques, etc.) présentant de manière diversifiée le sujet
étudié afin de présenter une recherche « honnête ». Puis nous avons
poursuivi en étudiant des documents de terrain (livres, articles,
revues spécialisées, recherches, rapports d’activités, comptes
rendus de réunion, bilans d’évaluation, etc.). Plusieurs voies ont été
utilisées pour trouver l’information écrite : l’Institut universitaire
de médecine sociale et préventive de Lausanne et de Bâle, les
associations de lutte contre le sida et de réductions des risques, les
centres spécialisés de soins aux toxicomanes, etc. Les références de
ces documents ont été soigneusement étudiées pour trouver les
informations complémentaires. D’autres sources ont été utilisées,
telles que internet et les articles de presse.




                                 38
Observation participative

L’observation participative suppose, pour Pascale Jamoulle
(2000 : 20), « quel que soit le lieu où elle se réalise, une immersion
préalable pour créer les conditions de la confiance et engager des
échanges de qualité. Ce qu’il faut comprendre, c’est la valeur du
temps passé avec le groupe que l’on étudie, le temps de
comprendre où sont dans l’univers des enquêtes les problèmes et
les enjeux, les codes culturels et sociaux selon lesquels ces
personnes agissent, décrivent et justifient leurs actes ». C’est dans
le temps que le sociologue « pourra faire la preuve qu’il a, lui
aussi, quelque chose à donner en échange du droit d’enquête qu’il
sollicite. Il peut donner une attention, une écoute, une capacité de
comprendre. Sa "volonté de savoir", même dans ce qu’elle a
d’intrusif, enveloppe aussi une forme de reconnaissance de ses
enquêtes » (O. Schwartz, 1993 : Postfast).
    Pour autant, le chercheur ne doit pas chercher à être
consommateur à part entière. Il est primordial en ce sens de se
présenter auprès des consommateurs en tant que scientifique, non
seulement pour des raisons de déontologie (éviter d’être démasqué
et d’en subir les conséquences) mais aussi pour des raisons
d’objectivité (vouloir trop ressembler aux consommateurs peut
amener à faire une étude engagée, voir militante).
     Il s’agira de comprendre et d’analyser l’expérience de trois
SCMR (historique, description, fonctionnement, règlement, heures
d’ouverture, équipe d’intervenants, etc.). Les SCMR de Genève
(Quai 9), Bâle (Kontakt- und Anlaufstelle I, II et III), Madrid
(Dispositivo Asistencial de Venopuncion) et Saarbrücken
(Drogenhilfezentrum) ont été visitées à plusieurs reprises. Sur les
trois structures présentées dans ce travail, seul Quai 9 en Suisse a
fait l’objet d’une observation participative (février 2005).
Le travail d’analyse des deux autres structures (MSIC en Australie
et Insite au Canada) s’est fait à partir d’une base documentaire



                                 39
assez fournie, de participation à des colloques internationaux et de
l’observation des différentes structures visitées.


     Entretiens semi-directif

Afin de connaître les points de vue des consommateurs de drogues
sur la mise en place éventuelle de SCMR, un guide thématique
d’entretien a été élaboré après inventaire et analyse des études
étrangères du même type. Il a été ensuite testé auprès de cinq
consommateurs de produits psychoactifs afin d’en évaluer la
pertinence, la lisibilité et la compréhension (cf. Annexe n°2,
p. 155).
    Par la suite, un échantillon de consommateurs de drogues
psychoactives a été interrogé sur une période d’un mois
(janvier 2005). Dans sa forme finale, la grille d’entretien était
composée de trois parties : 1. Points de vue concernant les salles de
consommation à moindre risque (ce que pense la personne de
l’ouverture éventuelle d’une SCMR ; types de services offerts dans
la SCMR ; fonctionnement et aménagement de la SCMR ;
règlement de la SCMR ; utilisation projetée de la SCMR) ;
2. Histoire et produits (ancienneté dans l’usage ; produits
consommés ; lieu de consommation ; expérience de surdose, etc.)
et 3. Informations générales (sexe ; âge ; enfants ; lieu d’habitation,
etc.).
    Les entretiens ont été effectués par le chercheur avec la
collaboration des membres de l’association d’auto-support
LUDIC20 car la connaissance et la proximité du milieu que l’on
interroge permet de plus grandes facilités pour entrer en contact
avec celui-ci, avec la possibilité d’ouvrir des interactions sur le


20
   Libres, Usagers de Drogues Informés et Citoyens : association de santé
communautaire pour la réduction des risques et des dommages liés à la
consommation de drogues (supra, note n°12). LUDIC a rejoint le réseau ASUD en
2006.



                                     40
registre de l’échange social ordinaire. Comme le note Pierre
Bourdieu (1993 : 1 395) à propos du travail de recueil de données
en sociologie : « […], lorsque l’interrogateur est socialement très
proche de celui qu’il interroge, il lui donne, par son
interchangeabilité avec lui, des garanties contre la menace de voir
ses raisons subjectives réduites à des causes objectives [...] D’autre
part, se trouve ainsi assuré en ce cas un accord immédiat et
continûment confirmé sur les présupposés concernant les contenus
et les formes de communication : cet accord s’affirme dans
l’émission ajustée, toujours difficile à produire de manière
consciente et intentionnelle, de tous les signes non verbaux,
coordonnés aux signes verbaux, qui indiquent soit comment tel ou
tel énoncé doit être interprété, soit comment il a été interprété par
l’interlocuteur ». Pour cela, les volontaires de l’association LUDIC
ont participé à deux séances de formation où dans un premier
temps toutes les questions ont été relues afin d’en comprendre le
sens. Puis dans un second temps, des mises en situation ont été
effectuées (un enquêteur et un consommateur).
    Pour notre étude, nous avons rencontré 25 personnes (on
trouvera en annexe n°3, p. 163 à 170 une présentation des
consommateurs interrogés), soit 22 hommes et 3 femmes. Leurs
âges varient entre 21 et 48 ans (moyenne : 32,5). Les personnes
interrogées ont été rencontrées dans le cadre de programmes de
réduction des risques (Trait d’Union/AIDES DD68 et boutique
BEMOL/ARGILE), d’une association d’auto-support (LUDIC), de
CSST (ALTER NATIVE et LE CAP) de Mulhouse et directement
sur prise de contact par les consommateurs de drogues21 afin de
répondre aux critères de diversité et d’exhaustivité d’une procédure
d’échantillonnage par contraste. Selon Alvaro Pires (1997 : 159),
« la représentativité ou la généralisation s’appuie alors d’abord sur
une hypothèse théorique (empiriquement fondée) qui affirme que

21
   Des flyers étaient mis à disposition et/ou distribués par différentes structures,
par des associations, par des médecins généralistes et par un pharmacien afin que
les personnes puissent contacter le chercheur.



                                        41
les individus ne sont pas tous interchangeables, puisqu’ils
n’occupent pas la même place dans la structure sociale et
représentent un ou plusieurs groupes ». Les entretiens ont donc été
effectués dans les locaux de la boutique BEMOL/ARGILE, du
CSST ALTER NATIVE, du CSST LE CAP, chez les
consommateurs de drogues et dans des bars. Les entretiens ont
duré entre 25 et 50 minutes.
    Dans un second temps, l’échantillon a été invité à participer à
un focus groupe (avril 2005) afin de mettre à jour la logique interne
des discours, d’en dégager la structure argumentative, plutôt que de
chercher à en expliquer quelles sont les conditions sociales qui les
structurent et les rendent possibles, car comme le note Ilja Maso
(1989), « la recherche qualitative orientée, par opposition à la
recherche quantitative, vise à une compréhension en profondeur
plutôt que de présenter des tendances de grande échelle [trad.] ».
    Pour l’analyse des entretiens, il a été utilisé les logiciels
Modalisa (licence d’utilisation accordée à l’association AIDES) et
Tropez zoom (licence gratuite) sous Windows XP (PC).


Question méthodologique : la (non) représentativité de
l’échantillon interrogé ?

Avant que des critiques de non-représentativité apparaissent sur les
conclusions de cette recherche, nous allons y répondre. Giovanni
Busino (1993 : 21-45) donne une réponse à cette question de
représentativité. Il démontre que la représentativité des études
quantitatives en sciences sociales est revendiquée sans que
l’hypothèse d’une relation serrée entre les variables de contrôle
(âge, sexe, catégories socio-professionnelles, etc.) et les réponses
données soit vérifiable. Il note que « […] nous n’avons aucun
moyen pour évaluer la variabilité de l’estimation. Nous avons là,
grâce à un emprunt à la statistique, un outil important, mais dénué -
en sociologie - de toute validité théorique et donc de légitimité
pratique » (G. Busino, 1993 : 32).



                                 42
Plus clairement, nous pouvons affirmer que la prétention de re-
présenter les points de vue des consommateurs tout en structurant
pour eux les possibilités discursives est en complète contradiction
avec l’objet de recherche. Le désir de prétendre à la
représentativité d’un échantillon de personnes suppose, la
préfabrication, qui, elle, ne conduit qu’à l’anesthésie du sens. Le
désir de construire un échantillon représentatif sur le modèle que
l’on présente des sciences naturelles suppose donc l’impossibilité
de re-présenter les points de vue diversifiés des consommateurs en
tenant compte de leurs nuances (F. Laplantine, 2002 : 67-69).
    Le choix d’aborder le sens par l’intermédiaire des mots plutôt
que des chiffres a pour objectif de re-présenter le sens que revêt la
mise en place éventuelle de SCMR pour les consommateurs de
drogues, en considérant la présentation que nous en faisons comme
le fruit contingent de notre rencontre avec eux. Notre objectif est
de donner la parole aux acteurs en demeurant près de leurs mots.
Cette parole est considérée non comme une chose que la démarche
scientifique pourrait découvrir sans l’altérer et la représenter
objectivement, mais plutôt comme le résultat d’un processus de
construction discursive dialogique.
    Notons que rencontrer des consommateurs de drogues pour
obtenir leurs points de vue sur les SCMR peut donner lieu, à
l’interprétation suivant laquelle l’enquêteur croit que « c’est une
bonne chose », ou qu’il joue un rôle dans la réclamation de SCMR.
Toutefois, les discours que nous allons présenter nous laisse croire
que nous avons rendu possible l’énonciation de propos pouvant
s’écarter de toute désirabilité sociale, notamment des propos autres
que ceux que les personnes interrogées ont pu avoir l’impression
que l’enquêteur attendait d’eux (« je suis d’accord avec votre
projet »).




                                 43
Partie 1


Apprendre de l’expérience d’autres pays :

   l’ouverture de salles de consommation
                         à moindre risque
« Il n'y a pas de société sans drogues, il n'y en a jamais eu. Il n'y a pas non plus
de solution miracle, ni en France, ni dans aucun pays. En revanche, il existe des
réponses efficaces, afin d'éviter les consommations dangereuses et réduire les
risques lorsqu'il y a usage ».

Nicole Maestracci, Présidente de la MILDT de 1998 à 2002, Drogues : savoir
plus, risquer moins, p. 9.




       INTRODUCTION



Dans les écrits, les structures permettant une consommation
« sécurisée » de drogues sont désignées par : local d’injection sous
surveillance ; pîquerie22 ; zones de tolérance ; shooting room ;
gassenzimmer ; salles de santé ; fixerstübli ; drug injecting room ;
shooting gallery ; centres de contact ; fixpunkt ; consumption
rooms ; salas de consumo higiénico ; supervised injecting centres ;
drogenkonsumraum ; medically supervised injecting centre ; safe
injection facilities ; gesundheitsräume ; salle d’injection à visée
éducative et quelques fois, à tort, centres de consommation
« sûrs », puisque la sûreté ne peut-être garantie tant et aussi
longtemps que la qualité de la drogue et de la quantité de drogue ne
font pas aussi l’objet d’un contrôle. Nous préférons utiliser
structure d’accueil avec possibilité de consommer à moindre risque
des drogues psychoactives (SCMR) parce que la nature


22
  Selon la littérature, une pîquerie est une salle de consommation non autorisée
gérée par les consommateurs de drogues.



                                        46
« sécuritaire » de ces lieux est également équivoque (est-il fait
référence à la violence ? à la répression policière ? aux risques de
surdoses ?), parce que nous voulons insister sur le fait que la
revendication de la mise en place de tels lieux ne s’accompagne
d’aucune mise en cause du régime prohibitif et parce que les
SCMR laissent la porte ouverte à des modes de consommation
alternatifs (par inhalation par exemple). En juillet 2005, il y avait
78 SCMR dans 45 villes du monde :
- 31 SCMR en Hollande : Amsterdam (9), Apeldoorn (1),
  Arnhem (1), Den Bosch (1), Breda (1), Eindhoven (1),
  Groningen (1), Heerlen (1), Maastricht (1), Nijmegen (1),
  Rotterdam (7), Tilburg (1), Utrecht (3), Venlo (1) et Zwolle (1) ;
- 20 SCMR en Allemagne : Hamburg (8), Frankfurt (4), Hannover
  (1), Saarbrücken (1), Münster (1), Wuppertal (1), Essen (1), Köln
  (1), Dortmund (1) et Aachen (1) ;
- 17 SCMR en Suisse : Bâle (3), Heerbrugg (1), Bern (1), Olten
  (2), Riehen (1), Schaffhausen (1), Solothum (1), Winterthur (1),
  Chur (1), Zurich (3), Bienne (1) et Genève (1) ;
- 3 SCMR en Espagne : Madrid (1), Bilbao (1) et Barcelone (1
  unité mobile) ;
- 3 SCMR en Afghanistan à Kaboul. L’association Nejat permet
  aux femmes consommatrices de « [...] prendre de la drogue sur
  place [...] » dans les trois centres de l’association (E. De
  Lavarene et P. Zidi, 2004) ;
- 1 SCMR en Australie à Sydney ;
- 1 SCMR au Canada à Vancouver ;
- 1 SCMR en Norvège à Oslo ;
- 1 SCMR au Luxembourg à Bonnevoie ;
- D’autres pays comme la Slovénie, le Portugal et la Belgique
  étudient la mise en place de SCMR.




                                 47
Les expériences étrangères ont participé et participent
aujourd’hui encore à l’émergence d’alternatives à la prise en
charge des usagers de drogues, en constituant une source
d’inspiration, un vivier expérimental au sein duquel certains vont
aller rechercher des modèles d’intervention susceptibles d’être
reproduits en France. L’avènement et l’extension des SCMR dans
plusieurs pays vont être à l’origine de transformation dans la
manière de concevoir l’action sociale et ouvrir à une recomposition
du système de prise en charge traditionnelle, telle est en tout cas
l’hypothèse qui a guidé notre investigation.




                                48
DES EXPÉRIENCES FRANÇAISES DE
      SALLE DE CONSOMMATION



Même si les SCMR ne sont pas officiellement ouvertes en France,
des expériences passées et présentes existent.


    La « maison d’accueil » d’ASUD Montpellier

En mai 1994, l’association ASUD Montpellier ouvre une salle
d’injection de médicaments prescrits par des médecins et met les
autorités dans l’embarras (l’ouverture officielle a eu lieu le
7 octobre 1994 en présence du Maire de Montpellier et de
nombreux médecins et pharmaciens lors d’une réception offerte par
Bernard Kouchner). Située dans une petite maison derrière la gare
ferroviaire de Montpellier et en face d’une usine à gaz, rue du
Pont-des-Lattes, ASUD Montpellier permettait à une vingtaine de
personnes de s’injecter à moindre risque.
     À l’entrée, était affiché sur la porte, la liste des pharmaciens de
garde. La salle d’injection était une pièce de dix mètres carrés avec
une table, des chaises, un lavabo, des plantes vertes et un conteneur
pour les seringues usagées. Contre les murs, des affiches de
prévention en plusieurs langues, des articles de presse, une affiche
de Bob Marley et des étagères où étaient stockés seringues,
cuillères, tampons alcoolisés, etc. Un règlement rappelait
l’utilisation de la salle : « Casser les aiguilles de seringues après
usage et les jeter dans la poubelle prévue à cet effet ; garder le lieu
propre et ne pas y pénétrer à plus de deux ». À l’étage se trouvaient



                                  50
les bureaux d’ASUD Montpellier avec cinq salariés et des
bénévoles. Dans la salle d’injection, pas de consommation
d’héroïne, ni de cocaïne mais uniquement des traitements prescrits
par des médecins.
     Le premier décembre 1994, le Préfet de l’Hérault Charles-Noël
Hardy déclarait que la salle d’injection « n’était pas illégale » car
« si la substitution par injection est répréhensible aux yeux du code
de la santé... elle ne l’est pas à ceux de la loi ». Pour le
commissaire de police Parat, « l’association ne troubl[ait] pas
l’ordre public » et « nous n’av[i]ons pas constaté d’infraction, il
n’y a[vait] donc pas de raison d’intervenir ». Malgré le soutien de
médecins, de pharmaciens, d’associations telles que AIDES,
Médecins du monde, Ensemble contre le sida et de Georges
Frêche, le maire de Montpellier qui estimait que « [...] cette salle
[devait] continue[r] de fonctionner comme premier sas d’accueil de
toxicomanes candidats à la substitution », la Direction générale de
la santé (DGS) mit fin à la salle d’injection au courant de l’été
1995 (Revue de presse ASUD, 1994-1995).

    Un bilan d’auto évaluation (C. Montaucieux, 1995 : 22) chiffre
à 594 le nombre de visites à la « maison d’accueil » d’ASUD
Montpellier durant les trois derniers mois de 1994. Pendant cette
période, ont été dénombrés 364 injections de Temgésic®,
32 d’Orténal® et 57 de Monscontin® dans la salle d’injection
propre fréquentée par une vingtaine de personnes par jour.


     Aménagement d’une SCMR dans un squat23

Cette action a eu lieu pendant plus d’un an entre 1999 et 2000 dans
un bâtiment désaffecté d’une ville moyenne. Celle-ci était encadrée
par une équipe de réduction des risques intervenante en rue. Le


23
   Nous tiendrons secret le nom de la ville où s’est déroulée cette action,
l’association qui l’a mené et les références documentaires.



                                    51
bâtiment désaffecté, situé en centre ville, comportait plusieurs
étages avec une multitude de salle. « Ici, c’est un lieu de fix, pas de
deal […]. Y’a trois shootoirs : ici, là et là-haut » expliquait un
usager qui fréquentait le lieu. Une des pièces se trouvait au sous-
sol du bâtiment, d’une surface d’environ soixante mètres carrés
avec un carrelage marron au sol et au mur. La lumière extérieure
éclairait la pièce par trois petites fenêtres situées en haut d’un des
murs. Le sol était recouvert de morceaux de verre, de détritus, de
bouchons de seringues, de Stéricup® usagés, de plaquettes de
médicaments vides, de boîtes de bière, de restes de nourriture, de
papiers, etc. Les conditions sanitaires de consommation étaient
catastrophiques et l’équipe de rue c’est alors interrogée sur ce
qu’elle pouvait mettre en place pour les améliorer. Au début,
l’équipe de rue passait deux à trois fois par semaine rencontrer la
cinquantaine de consommateurs de drogues qui fréquentait ce
bâtiment, puis peu à peu tous les jours. Lors de leur réflexion,
l’idée d’aménager une SCMR a fait l’unanimité au sein de
l’équipe. Cependant un problème se posait : le cadre juridique avec
notamment l’article 222-37 alinéas 2 du code pénal qui punit « le
fait de faciliter, par quelque moyen que ce soit, l’usage illicite de
stupéfiants ». Après une longue réflexion, l’équipe a décidé de
mettre à disposition des usagers un bidon de javel diluée dans de
l’eau, des balais et des serpillières. Suite à cela, les usagers ont
décidé de nettoyer la pièce du sous-sol et de l’aménager avec des
matériaux trouvés sur place : une grande planche en bois et des
parpaings trouvés sur place allaient servir de table et des cagettes
de chaises. La salle de consommation était précaire mais le lieu
était propre. Plusieurs fois par jour, les usagers nettoyaient la pièce
à l’eau de javel. L’équipe de rue passait tous les jours pour
apporter et récupérer le matériel (seringues, récupérateurs de
seringues, etc.) et travaillait avec les usagers autour d’une
éducation sur les pratiques safer use avant, pendant et après
l’injection. La SCMR pris fin avec la fermeture du bâtiment qui
allait être réhabilité. La documentation de cette action ne fait pas
référence à des données quantitatives.



                                  52
D’autres expériences de SCMR ont eu lieu sur différentes
structures de réduction des risques (boutiques, bus, fêtes techno,
etc.) qui ont eu chacune des résultats positifs en terme de
fréquentation, d’éducation et de counselling.24




24
   Le counselling est une technique d’accompagnement de type psychologique
issue des pays anglo-saxons. Il a pour but de permettre à un individu de trouver en
lui-même les ressources pour faire face à une situation donnée. Il est plus
généralement utilisé dans toutes les démarches visant à accompagner une annonce
mettant en jeu l’équilibre de la personne ou un changement de comportement.



                                       53
DESCRIPTION DES DIFFÉRENTES
       STRUCTURES ÉTUDIÉES



     Suisse

La politique suisse en matière de lutte contre les toxicomanies est
légiférée par la « LStup » du 3 octobre 1951.25 La manière dont
cette loi est appliquée à travers la Suisse diffère considérablement
dans toute la fédération car les cantons sont responsables de
l’application des lois fédérales.
     D’après Marina Kroker (2003), le nombre de consommateurs
de drogues dépendants est estimé (valeur moyenne) à 30 000
personnes soit 4,1 pour 1 000 habitants.26 15 000 auraient un
traitement de substitution à la Méthadone®, 1 200 à l’héroïne
médicalisée ; 4 000 seraient en désintoxication et 700 en traitement
résidentiel.
     Les SCMR autorisées par le gouvernement fonctionnent sur
une base relativement étendue depuis le milieu des années quatre-
vingts, avec le soutien financier de celui-ci et d’organismes non
gouvernementaux. L’épidémie du sida chez les consommateurs de
drogues par intraveineuse a stimulé le dynamisme et la motivation


25
    Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup)
n°812.121 du 3 octobre 1951 (État le 26 octobre 2004). Site des autorités
fédérales de la Confédération suisse [en ligne]. [réf. du 5 janvier 2005]. Format
pdf. Disponible sur <http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/812.121.fr.pdf>.
26
   En 2003, la Suisse comptait 7,3 millions d’habitants (Office fédérale de la
statistique Suisse).



                                       54
nécessaires à l’ouverture de SCMR dans douze villes suisses. Bien
que la Suisse interdise tout usage de drogues depuis 1975, l’article
19a de la LStup qui prévoit que :
« 1. Celui qui, sans droit, aura consommé intentionnellement des
     stupéfiants ou celui qui aura commis une infraction à
     l’art. 19 pour assurer sa propre consommation est passible
     des arrêts ou de l’amende.
2.    Dans les cas bénins, l’autorité compétente pourra suspendre
      la procédure ou renoncer à infliger une peine. Une
      réprimande peut être prononcée.
3.    Il est possible de renoncer à la poursuite pénale lorsque
      l’auteur de l’infraction est déjà soumis, pour avoir
      consommé des stupéfiants, à des mesures de protection,
      contrôlées par un médecin, ou s’il accepte de s’y soumettre.
      La poursuite pénale sera engagée, s’il se soustrait à ces
      mesures.
4.    Lorsque l’auteur sera victime d’une dépendance aux
      stupéfiants, le juge pourra ordonner son renvoi dans une
      maison de santé. L’art. 44 du code pénal suisse est applicable
      par analogie. »
a permis de rendre possible l’ouverture légale des SCMR. La
licéité des SCMR a été examinée dans un avis de droit formulé par
le Professeur Hans Schultz (1989) et n’est actuellement pas remis
en cause. Depuis 1991, la politique de santé publique menée par la
confédération et les cantons, appelée politique des quatre piliers :
1. Prévention ; 2. Thérapie et réintégration ; 3. Réduction des
risques et aide à la survie et 4. Répression et contrôle, a
profondément transformé la scène de la drogue. C’est cette
transformation visible qui a convaincu les citoyens suisses de
l’utilité de ces nouvelles approches. En 1997, la politique de la
confédération en matière de drogues, a été soutenue par 71 % de la
population lors du rejet par le parlement de l’initiative « Jeunesse




                                55
sans drogue », qui réclamait le retour à une politique fondée sur la
seule abstinence.27
    Le processus qui a conduit à l’ouverture de structures légales
fut donc évolutif et étalé sur plusieurs années. Il y eut d’abord un
certain degré de tolérance à l’égard de lieux publics de
consommation de drogues tel que le Platzpitz puis le Letten à
Zurich (1989). Ces scènes ouvertes appelées également par ces
détracteurs « toxicoland » et « sidaland », étaient fréquentées par
plus de mille consommateurs de drogues âgés entre 16 et 30 ans et
il y était distribué plus de 12 000 seringues par jour par la
municipalité. Mais des pressions forcèrent le gouvernement à
fermer ces lieux. Devant l’échec de ce geste, des lieux autorisés ont
été créés.
    Chaque SCMR comprend généralement un comptoir de type
bar (sans alcool), une salle de counselling, une infirmerie et un ou
deux espaces de consommation à moindre risque (un espace
d’injection et pour quelques-unes, un espace d’inhalation)28.
L’espace d’injection comporte des tables en acier inoxydable sur
lesquelles les usagers préparent leur propre drogue et se l’injectent
à l’aide du matériel fourni (seringue stérile, eau stérile, cuillère
stérile, coton, pansement, bougie, garrot et récupérateur de
seringues). L’espace d’inhalation est présenté « comme une
réponse à l’apparition de nouvelles populations de consommateurs
de drogue et à un changement dans les pratiques de
consommation » (F. Zobel et F. Dubois-Arber, 2004 : 9). Anita
Marxer (1998), directrice de la Low Threshold Agency à Berne,
insiste sur ce qui n’est pas fourni et n’est pas permis : « Pas la
drogue, bien sûr, ils doivent apporter la leur. Nous avons aussi des
règles très strictes ; les usagers peuvent rester ici pendant une

27
   Voir initiative populaire fédérale « Jeunesse sans drogue ». Site des autorités
fédérales de la Confédération suisse [en ligne]. [réf. du 26 juillet 2004]. Format
html. Disponible sur <http://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vi232.html>.
28
   Une dizaine de SCMR en Suisse possède également un espace d’inhalation à
moindre risque.



                                       56
demi-heure et ils ne peuvent pas vendre ou acheter de drogues, ni
même en faire cadeau à quelqu’un, dans la structure. S’ils
désobéissent à ces règles, ils reçoivent une sanction et ne peuvent
plus revenir durant deux jours [trad.] ». Les intervenants ne
peuvent pas aider les usagers à s’injecter ; un intervenant doit être
présent dans la salle d’injection à moindre risque en tout temps ;
des médecins y travaillent quelques heures par semaine et la
structure est ouverte sept heures par jour, de cinq à six jours par
semaine.29 Tous les intervenants reçoivent une formation en
réanimation et sont en mesure d’orienter les usagers vers des
structures de traitement de la toxicomanie ou à des services de
counselling. Anita Marxer (1998) explique : « Ici, nous acceptons
les gens comme ils sont. Nous ne leur disons pas de devenir sobres,
mais quand ils veulent le faire, nous les aidons à franchir la
prochaine étape. Mais nous les acceptons d’abord comme ils sont ;
aussi, ils doivent avoir plus de 16 ans. Et la première injection n’est
pas permise ici. C’est très important [...] c’est tout à fait interdit
[trad.] ».



29
   Pour comparer les différents fonctionnements de SCMR, nous donnons ici, une
synthèse du fonctionnement des SCMR allemandes. Ralf Gerlach et Wolfgang
Shneider (2003) expliquent dans un rapport que « les usagers ont plus de 18 ans ;
ils n’en sont pas à leur première injection ; ils ne suivent pas un traitement de
substitution ; ils ne démontrent pas de tendance à la violence ; ils ne dealent pas
ou ne partagent pas de drogues sur le site ; ils ne font pas d’injection à d’autres
usagers ; et ils peuvent rester sur le site environ 10 minutes pour les injecteurs et
20 minutes pour les fumeurs. Les usagers n’ont pas à s’inscrire, mais leur identité
est vérifiée. Le personnel se compose de travailleurs sociaux, d’infirmières, de
médecins et, dans certains cas, d’anciens usagers de drogues. Un intervenant
supervise le lieu en tout temps et aucun intervenant ne peut offrir d’assistance
pour l’injection ».
A Francfort, les résultats d’autopsie ont montré une baisse du taux d’infection à
VIH parmi les utilisateurs de drogues : passant de 63 % - 65 % en 1985 à 12 % -
15 % en 1994. Cette baisse est attribuée à la stratégie intégrée de réduction des
risques de Francfort, qui comprend des SCMR et une variété d’autres services
d’accueil à bas seuil d’accès des usagers de drogues (M. Franck, 2000).



                                        57
Carmen Ronco et al. (1994), Kate Dolan et al. (2000) et Frank
Zobel et Françoise Dubois-Arber (2004) décrivent le degré de
succès des mesures suisses pour réduire les risques associés à
l’usage de drogues. Par exemple, chaque jour, les SCMR de Zurich
et celles de Bâle reçoivent environ 100 usagers chacun. Dans trois
structures de Zurich, il a été compté près de 68 000 injections en
une année ; 3 000 abcès ont été traités ; 22 personnes ont été
réanimées ; et il y a eu 10 interventions des ambulanciers. Kate
Dolan et al. (2000 : 341) soulignent « [qu’]aucun décès n’est
survenu dans les salles d’injection suisses, jusqu’ici ; des
intervenants croient que cela aurait entraîné une diminution du
nombre de décès par surdose, dans la communauté [trad.] ».
    Les SCMR suisses ont eu un impact positif, au-delà de
l’amélioration immédiate de la santé des consommateurs de
drogues : elles ont atténué la nuisance publique en réduisant le
nombre de seringues jetées à la rue (C. Ward, 2000).



       Quai 9 (Genève)


            Historique

Le canton de Genève est frontalier avec la ville française
d’Annemasse et compte, au dernier recensement, 434 500
habitants.30 Le nombre de personnes « toxico-dépendantes » aux
opiacés est estimé à 2 500, soit 5,7 pour 1 000 habitants. 1 500
auraient un traitement de substitution à la Méthadone®, 50 à
l’héroïne médicalisée ; 300 seraient en désintoxication et
66 seraient en traitement résidentiel (M. Kroker, 2003).
    La création de l’espace d’accueil avec possibilité d’injection à
moindre risque Quai 9 est une mesure qui entre dans le cadre de la
politique suisse de réduction des risques liés à la consommation de

30
     Source : État de Genève, 2003.



                                      58
stupéfiants. C’est dans ce cadre que le canton de Genève a mis en
place en 1991 le premier programme d’échange de seringues en
Suisse romande : le BIPS (Bus Itinérant Prévention Sida). À cette
époque, des SCMR étaient déjà ouvertes en Suisse allemande mais
restaient proscrites à Genève.
    Malgré une diminution de la contamination par le VIH, le
besoin d’améliorer les conditions d’hygiène de l’injection est très
vite apparu, au travers le travail du BIPS, avec notamment
l’augmentation de la consommation de cocaïne et d’autres produits
qui a aggravé la précarité des consommateurs sur le plan social et
sanitaire. Face à ce constat, le Groupe sida Genève a déposé en
1994, un projet de SCMR. En mars 2000, le Grand Conseil adopte
une motion31 demandant au Conseil d’État l’ouverture d’une
SCMR à titre expérimental. Ce dernier confie le mandat en
mai 2001, au Groupe sida Genève.32 La structure ouvre ses portes
le 26 décembre 2001 avec pour objectifs de :
1- réduire les conséquences négatives liées à la consommation de
   drogues ;
2- promouvoir la santé des usagers de drogues en renforçant les
   comportements de prévention ;
3- encourager le maintien du lien social, limiter les situations
   d’exclusion ;
4- améliorer la situation du voisinage ;
5- favoriser l’accès aux autres institutions.

    En septembre 2004, le Groupe sida Genève a transféré toutes
ses actions de réduction des risques liés à l’usage de drogues



31
   Motion M 1332 du 17 mars 2000 « demandant l’ouverture rapide de lieux
d’accueil en faveur des toxicomanes ».
32
   Rapport M 1332-A du 21 mai 2001 du Conseil d’État au Grand Conseil sur la
motion M 1332 du 17 mars 2000.



                                    59
(BIPS, Boulevards, Travail de rue et Quai 9) à une nouvelle
association créée à cette occasion, « Première ligne ».



          Description de Quai 9

En arrivant à la gare ferroviaire Cornarin de Genève, nous avons
demandé, à un quidam, la localisation de la SCMR. Sans en faire
un problème, celui-ci nous a donné des informations précises. Sur
le chemin en direction de la structure, nous avons demandé notre
chemin à un autre passant. Sans hésiter, il nous indique du doigt un
bâtiment modulaire de couleur orange.
    Quai 9 est implanté sur un terrain mis à disposition par la ville
de Genève. Sur la porte d’entrée, il y a plusieurs affiches informant
les usagers de drogues que toutes les formes de deal entraîneront
une exclusion automatique d’un mois de la structure (cf. Annexe
n°5, p. 173). Quai 9 est composée d’un espace d’accueil non
fumeur33 qui est le point central de la structure, avec un comptoir
de type bar sur une musique d’ambiance où des boissons sans
alcool et des en-cas (yoghourts, céréales, fruits, etc.) sont vendus.
Cette vente permet de rémunérer un usager intervenant quelques
heures par jour derrière le bar (cf. Annexe n°6, p. 175). À l’arrière
du bar se trouve également le matériel de réanimation médical en
cas d’overdose. On trouve également dans l’espace d’accueil, une
fontaine à eau, un lavabo, un espace de parole formelle ou
informelle avec deux grandes tables, un petit espace salon avec
trois fauteuils et un PES situé au bar près de l’entrée. Celui-ci


33
   Afin de passer d’un lieu d’accueil fumeur à non-fumeur, une campagne de
prévention nommée « 1 jour de plus, par semaine, jusqu’au lundi 11 avril 2005 » a
été menée. On pouvait lire sur des panneaux d’affichage des messages du type :
« Stop à la fumée passive au Quai 9 ! Dès le lundi 28 février 2005... si vous
faisiez une petite pause « sans clope » et « sans alcool » ?... Pour une injection à
moindre risque. Pour lire le journal. Pour un soin ou un conseil. Nous nous
réjouissons de continuer à vous accueillir dans un lieu sans fumée ! ».



                                        60
fonctionne sous forme de consigne. Il y a également une infirmerie
avec du matériel de réanimation médical et contre le mur, les
différents protocoles de soins, une salle d’injection à moindre
risque qui peut recevoir six personnes à la fois, une douche, un
local de stockage, des toilettes et vestiaires pour le personnel et
deux toilettes sécurisées pour les personnes accueillies afin d’éviter
toutes possibilités d’overdoses mortelles à l’intérieur. Le premier
étage de la structure est réservé à l’administratif et au travail
d’équipe. En dehors de la salle d’injection à moindre risque, la
structure ressemble à une boutique française.

                       Plan d’organisation de Quai 9
       e      e    e         WC
     C m           h
     Wm      Cm    c
                   u     du personnel    Infirmerie
       e
       F     Wm
              o    o
              H    D

                                                             Salle d’injection
                                                             à moindre risque




       Bar




                   Espace d’accueil                   Pièce de
                                                      stockage

             PES                                                      Accès étage




     À l’entrée de la salle d’injection à moindre risque, on peut lire
son règlement de fonctionnement (cf. Annexe n°4, p. 171). Au-
dessus de la porte est accroché un écran digital à numéro comme à
la poste (les tickets sont donnés au PES). La salle est une petite
pièce rectangulaire, de couleur jaune, éclairée par des néons et par
la lumière du jour passant à travers des fenêtres situées en hauteur.
À l’entrée, se trouve un lavabo avec du savon, du désinfectant et un
comptoir où se trouve l’intervenant et où sont disposés des
cuillères stériles, le reste du matériel d’injection stérile et le
matériel de réanimation médical. Derrière celui-ci, un autre lavabo.
Sur les murs sont affichés des informations sur les différents points



                                        61
d’injection de l’homme et de la femme et ceux refusés à Quai 9, les
protocoles de décontamination des cuillères34 et du nettoyage du
sol. Les six places d’injection à moindre risque sont disposées face
au mur tout autour de la pièce. Deux paravents sont à disposition
pour les consommateurs qui désirent un peu d’intimité. Il y a une
alarme lumineuse à coté du comptoir afin de prévenir l’équipe
située à l’accueil en cas de situation problématique et une alarme
sonore en cas d’overdose.



            Fonctionnement de Quai 9

Quai 9 est ouvert tous les jours avec des plages horaires de
7 heures (lundi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 12h à
19h, mercredi de 19h à 21h l’ouverture est réservée aux femmes et
mardi et jeudi de 14h à 21h). Un « moment convivial homme »
allait être mis en place quelque temps après notre visite (tous les
15 jours). Pour permettre le bon fonctionnement de la structure,
certaines règles doivent être respectées. Ces règles peuvent être
déclinées en trois grand principes : 1- les mineurs n’ont pas accès à
la salle d’injection à moindre risque ; 2- pas de trafic dans et autour
des locaux et de consommation hors de la salle d’injection à
moindre risque et 3- respect de la convivialité et des personnes
présentes. Il est également rappelé aux usagers que la
consommation de drogues est un acte illégal.
    L’équipe est composée d’un directeur, d’une coordinatrice, de
4 infirmiers et de huit travailleurs sociaux. Un médecin est
également présent trois fois par semaine. Le travail à Quai 9 est
divisible en quatre postes que chaque membre de l’équipe occupe
durant une journée avec une rotation toutes les heures :




34
     Sur recommandations des Hôpitaux universitaires de Genève.



                                        62
Poste 1 -   accueil : accueillir les usagers de drogues, évaluation
            des situations, remettre un ticket aux personnes
            voulant utiliser la salle d’injection, PES, gérer le bar et
            les toilettes ;
Poste 2 -   salle d’injection : gestion des entrées, observation des
            comportements, donner des conseils d’hygiène,
            distribution du matériel d’injection, alerter en cas
            d’overdoses ou surdoses, relever les statistiques ;
Poste 3 -   disponibilité - accueil - collectif : gestion de l’espace
            d’accueil et du périmètre extérieur (deal, attroupement,
            violence). Disponibilité envers les usagers et faire
            respecter le règlement ;
Poste 4 -   satellite : renforcer et compléter les autres pôles. Le
            satellite passe très régulièrement dans la salle
            d’injection.
     Dans ce type de structure, le premier contact est extrêmement
important. C’est à ce moment que les choses vont se jouer. En
situation normale où le degré d’affluence est facilement gérable par
les intervenants, l’accueil fait l’objet d’une attention particulière.
Chaque moment, chaque occasion sont investis de sens et utilisés
comme autant de supports à la construction d’une relation. Julie
Dalkiewicz (C. Mani et al., 2003 : 22), travailleuse sociale à Quai 9
explique que « [...] c’est grâce à la place que nous avons tenu de
réserver à l’accueil, que des liens peuvent se créer avec les
personnes qui souhaitent bénéficier du cadre de Quai 9 pour leur
consommation de drogues. Cette dernière semble être la motivation
première pour toute personne qui franchit les portes de Quai 9. La
suite peut prendre un sens différent pour les utilisateurs et les
utilisatrices du lieu, lorsque la confiance vis-à-vis de nous s’est
établie, permettant ainsi des échanges, des plaisanteries ou alors
des conversations plus intimes [...] ».
     Toutefois, en l’absence d’une cohésion interne et de
l’implication des usagers, la situation peut devenir rapidement



                                 63
critique. Plus l’affluence est importante, plus le temps des
intervenants pour essayer de créer une relation individualisée est
limité. Ces phénomènes sont éclairants des paradoxes portés par les
interventions auprès de ce public, quand elles ne sont pas relayées
ou appuyées par d’autres équipes ou l’existence d’autres
perspectives. Même si comme l’explique Julie Dalkiewicz
(C. Mani et al., 2003 : 22-23) « [...] le lien se construit aussi à
travers les conflits. Lorsque les limites du cadre sont dépassées, il
nous faut interdire pour une certaine durée l’accès à la salle
d’injection, voire à l’intégralité de Quai 9. Malgré la difficulté que
cela peut représenter, la sanction permet d’exprimer que l’on se
préoccupe de la personne et qu’elle compte, au même titre que les
autres [...] », ce type de situation amène les intervenants à focaliser
toute leur attention sur les questions relatives au maintien de
l’ordre et à l’évitement des transgressions, au détriment d’un
travail relationnel auprès des usagers. À cela se rajoute la présence
quasi quotidienne d’un policier en civil devant Quai 9, augmentant
ainsi le phénomène de « contrôle social » (A. Coppel et O. Doubre,
2004).



         Insertion dans le quartier

L’insertion dans le quartier ne s’est pas faite sans problème. À
l’ouverture et malgré la présence d’une « scène » de la drogue dans
le quartier, la communauté n’a pas accepté d’être mise sur le fait
accompli, cela par l’intermédiaire d’articles de journaux. Dans un
premier temps, le phénomène NIMBY (Not In My Backyard. Pas
dans mon jardin) c’est logiquement développé dans le quartier
d’implantation de Quai 9. Ce réflexe NIMBY de la communauté a
permis à Quai 9 de mettre en place une politique de concertation
avec celui-ci (réunions avec les habitants35, réunions avec les

35
  Cinq réunions avec le voisinage ont eu lieu en 2004, regroupant entre 20 et 30
personnes chaque fois.



                                      64
autorités policières). Le journal « Quoi de 9 au Quai 9 », publié à
3 000 exemplaires et distribué dans le quartier, montre la volonté
de Quai 9 à communiquer sur son travail et, la création d’une
équipe de ramassage de seringues usagées36, témoigne également
d’une volonté de réduire les dommages et les nuisances dans le
quartier. Pour Christophe Mani (2005 : 20) l’intégration de Quai 9
dans le quartier d’implantation a pu être effectuée car certains
éléments ont été pris en considération :
- l’adaptation du projet à la réalité locale (ville - pays) ;
- la situation de l’espace de prévention près des lieux de marché de
  la drogue et de consommation ;
- l’intégration de l’espace dans le tissu social (visible et non
  isolé) ;
- prise en compte du voisinage en sachant que ce type de structure
  fait peur ;
- prise en compte des tensions entre les logiques de santé publique
  et les logiques d’ordre public (D. Kübler et al., 1997).



         Groupe de pilotage et évaluation

Le groupe de pilotage, présidé jusqu’en 2004, par Annie Mino,
directrice générale de la santé est composé de dix membres
provenant de différents services et structures concernés par le
problème de la toxicomanie à Genève et de cinq membres invités.
Il a pour mission de s’assurer que les moyens mis en place sont en
adéquation avec les objectifs fixés, de veiller au respect de l’ordre
public, d’assurer le suivi de l’évaluation et de faire des
recommandations. Le rapport d’activité 2002 (C. Mani et al., 2003)
et le rapport d’évaluation publié en avril 2003 (F. Benninghoff

36
  Cette équipe est composée de six usagers de drogues intervenant du lundi au
samedi de 8h 30 à 10h 30 : 2 500 seringues usagées ont été ramassées en 2004.



                                     65
Bernard Bertrand, "...On peut franchir le pas, faire un essai", LUDIC, Juillet 2005
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Bernard Bertrand, "...On peut franchir le pas, faire un essai", LUDIC, Juillet 2005

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Bernard Bertrand, "...On peut franchir le pas, faire un essai", LUDIC, Juillet 2005

  • 2.
  • 3.
  • 4. Ce document est édité par l’association LUDIC sous la licence Créative Commons by-nc-sa. Il peut être réutilisé et modifié pour toute action non commerciale à condition de citer l’auteur et de ne pas changer les termes de la présente licence : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/
  • 5. "...on peut franchir le pas, faire un essai."
  • 6.
  • 7. Bernard BERTRAND "…on peut franchir le pas, faire un essai." Structures d’accueil avec possibilité de consommer à moindre risque des drogues
  • 8. Du même auteur Le « tourisme d’assistance » des usagers de drogues. Vers l’ouverture d’une salle d’injection à moindre risque, Paris, L’Harmattan, 2003.
  • 9. À la mémoire du p’tit Azziz qui a contribué à cette recherche et de mon homonyme.
  • 10.
  • 11. Mes remerciements pour leur précieuse collaboration à : L’Université Marc Bloch, UFR des Sciences Sociales, Département de Sociologie, Strasbourg ; M. le Dr Weibel, Chef de service, Psychiatrie générale secteur 7, Centre hospitalier de Mulhouse ; M. le Dr Leroy, Coordinateur, Centre spécialisé de soins aux toxicomanes Alter native, Centre hospitalier de Mulhouse ; M. Buttner, Directeur, Association Le cap, Haut-Rhin ; Mme le Dr Berthet, Chef de service, Centre spécialisé de soins aux toxicomanes, Le cap, Mulhouse ; M. Verger, Directeur, Association Argile, Haut-Rhin ; Mme Dillmann, Infirmière, Coordinatrice, Boutique Bémol, Argile, Mulhouse ; M. Lego, Docteur en pharmacie, Pharmacie centrale Lego, Mulhouse ; M. Bichet, Coordinateur, Association AIDES délégation départementale du Haut-Rhin ; M. Mani, Directeur, Association Première ligne, Genève, Suisse ; Mme Baudin, Coordinatrice, Quai 9, Première ligne, Genève, Suisse ; Toute l’équipe de Quai 9, Première ligne, Suisse ; ... et à toutes celles et ceux qui m’ont soutenu et qui m’ont aidé en complétant mes informations. Merci pour votre disponibilité. Je remercie l’association LUDIC et plus particulièrement John Milot et Florence Laruelle qui ont participé à la réalisation de ce travail, aux consommateurs de drogues qui ont accepté d’y participer et au laboratoire Becton Dickinson pour son soutien financier. Pour terminer, je tiens à remercier Fabrice Olivet (ASUD National) pour son introduction à cette étude ; Gisèle Boehm et Christiane Dillmann qui ont accepté de la lire et de corriger mes imperfections de la langue française.
  • 12.
  • 13. TABLE DES ABRÉVIATIONS BHD Buprénorphine Haut Dosage. ECIMUD Équipe de Coordination et d’Intervention auprès des Malades Usagers de Drogues. InVS Institut de Veille Sanitaire. JO Journal Officiel de la République française. MDMA Méthylène-Dioxy-MétAmphétamine, molécule synthétique appartenant à la famille des amphétamines. MILDT Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie. OEDT Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies. OFDT Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies. OMS Organisation Mondiale de la Santé. ONU Organisation des Nations Unies. ONUSIDA Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA. PES Programme d’Échange de Seringues. RDR Réduction Des Risques liés à l’usage de drogues. SCMR Structure d’accueil avec possibilité de Consommer à Moindre Risque des drogues psychoactives. SIDA Syndrome d’Immuno Déficience Acquise. UD Usagers de Drogues. VHC Virus de l’Hépatite C. VIH Virus de l’Immunodéficience Humaine. 11
  • 14.
  • 15. Préface D. comme drogue ! Un best-seller des années soixante-dix, compilation de ragots vaguement scandaleux et de pseudo- statistiques, avait capté l’anthropomorphisme bizarre relatif aux stupéfiants. Dans le sillage d’une prohibition sans faille, vieille de presque cent ans, la Drogue existe comme un personnage de roman. On ne dit pas « Sir Arthur Conan Doyle fumait généralement 0,8 gramme de marijuana le matin après son thé, puis il lui arrivait de sniffer entre 25 et 35 mg de cocaïne l’après midi et tous les soirs, il avalait un demi-gramme d’opium Afghan », on dit « l’auteur de Sherlock Holmes prenait de LA Drogue ». Bref on ne dit rien. Quant aux pauvres consommateurs, ce ne sont ni des « droguant » ni des « drogueurs » mais des drogués, des participes passés, présents pour exprimer l’absence de participation. À l’instar du zombie ou du possédé, le drogué n’est plus sujet mais objet. Sherlock Holmes n’est plus ce fascinant personnage ayant su préserver l’exquise excentricité de certains britanniques de l’ère victorienne. Non ! Le mec qui a écrit Sherlock Holmes était un drogué ! Qu’est-ce que la drogue et qu’est-ce qu’un drogué ? Pour la plupart des gens la drogue « existe réellement » en tant que puissance agissante. C’est une force maléfique, matérialisée dans un produit appelé indifféremment selon les époques, marijuana, héroïne crack ou ecstasy, mais surtout lié à un monde obscur, 13
  • 16. insondable, ou le dealer côtoie la prostituée, bref un monde de ténèbres sur lequel on a peu de prise et où l’on craint de voir englouti son enfant. Face à la drogue, l’être humain n’est que peu de chose, si une bande de drogués croise dans les parages, tôt ou tard vous risquez la contamination, ce n’est qu’une question de temps. Pour échapper à ce gouffre : un remède, l’application stricte du commandement : « et drogues point ne prendra ». Hélas, dissipons une illusion préalable. Tous les remèdes, tous les traitements du monde ne sont que grimaces et contorsions face au désir de drogues. Dans le cas de la Méthadone® par exemple, c’est le désir de drogues qui fonctionne, qui permet d’avoir un patient sagement aligné tous les matins derrière son comptoir. L’hypocrite rituel du soin s’effondre dès lors qu’un docteur naïf ou incompétent s’obstine à baisser ou augmenter le dosage de Méthadone® sans tenir compte du désir de drogues de son patient. Et surtout, ce désir de drogues n’est ni malsain ni pathologique, il exprime une pulsion légitime de l’être humain et nous renvoie même à la question du sacré. Selon une interprétation nominaliste de la question des drogues, l’ivresse peut être comprise comme l’acte premier de la conscience humaine. Une démarche toujours ritualisée dans la plupart des cultures. En Occident, notre rationalisme s’est construit contre la religion, mais nous avons subrepticement laissé la médecine s’emparer du chemin qui mène au sacré. Le clergé moderne est formé dans les facs où de jeunes sorciers en blouses blanches sont initiés aux mystères de notre nouveau credo : l’hygiène du corps et le risque zéro. Ce clergé, comme l’ancien, subit une longue initiation, puis forme une corporation soudée, avec sa hiérarchie, ses revenus, ses tribunaux, une confrérie puissante campée sur les souffrances du commun et les malheurs du temps. Dans la question des drogues, ce clergé, comme l’ancien, pointe l’infinie faiblesse du pécheur, rebaptisé patient, puis propose ses remèdes. En dénonçant la prise de stupéfiants, ce clergé comme l’ancien tente d’éliminer la concurrence déloyale des sorciers et des hérétiques, déjà grands amateurs de potions vendues sous le manteau. 14
  • 17. Face à cette confessionnalisation nouvelle manière (certain appelle cette nouvelle religion du sanitaire : « l’hygiénisme »), des esprits forts se rebellent. La drogue n’existe, disent-ils, que parce qu’un être humain la consomme. C’est l’acte de consommation qui est fondateur d’un phénomène que l’on peut qualifié de « drogue ». Certes ce phénomène peut être destructeur, mais cette destruction est causée non par une force démoniaque supra-humaine appelée drogue, mais par le choix délibéré des individus d’abuser de la consommation d’une substance chimique appelée crack, cannabis ou alcool. Ce qui est déterminant pour justifier toutes les politiques répressives concernant l’usage des drogues, c’est le refus de considérer la volonté humaine comme élément primordial du processus. Une volonté voluptueuse, sans aucun doute ou plutôt un désir d’ivresse. C’est le désir qui fait le drogué et l’ivresse qui fait la drogue. Mais le désir d’ivresse n’est pas forcément une pulsion irrépressible et chaotique. Le désir de drogues est légitime, il rapproche la créature de son créateur en lui dérobant les clés du bonheur sur terre. En utilisant les propriétés euphorisantes de la vigne ou du pavot, l’homme s’affranchit de la fatalité de la souffrance, il pose un acte de liberté fondamentale. Hélas cette posture sent furieusement le souffre, les grands prêtres de l’hygiénisme agitent l’épouvantail de la dépendance, tout en proposant leurs incantations et leurs fioles. L’usage de drogues serait-il un acte de résistance aux nouveaux inquisiteurs ? Qui dit résistance dit transgression ! Dans l’esprit du public, la violence est habituellement associée à la question des drogues. Traditionnellement le thème de la sécurité est inhérent à la fameuse « lutte contre la toxicomanie ». Or cette violence n’est pas structurellement liée à l’acte de consommer une substance illicite. Tout au moins il semble important de pouvoir déterminer exactement ce qui fait violence. Est-ce la drogue ? Est-ce l’interdit ? Est-ce la transgression ? 15
  • 18. Dés lors que l’on sort des représentations stéréotypées, qu’est- ce qui se cache derrière l’amalgame entre drogues et criminalité ? Qu’est-ce qui ressort des contextes législatifs, psychologiques et culturels dans lesquels ces drogues sont consommées ? Pour s’en tenir aux drogues illicites, on ne peut s’empêcher de rapprocher la violence des lieux de deal et celle qui affleure parfois dans les centres de soins. Or cette violence ne peut être exemptée de toutes références au contexte légal. En fait le soubassement de toute pensée concernant les drogues n’est-il pas d’admettre que la première violence, celle qui en quelque sorte est fondatrice de toutes les autres, est celle que fait peser sur l’ensemble des usagers la menace d’une peine correctionnelle d’un an d’emprisonnement et d’une amende de trois mille sept cent cinquante euros pour le délit de simple usage ? Ce préalable ne prétend rien justifier, tout au plus il permet de relativiser certains comportements, non pour les excuser, mais pour mieux les appréhender et éventuellement les prévenir. La violence de la loi qui pénalise l’usage de stupéfiants se double de la violence inhérente à l’institution du soin, ce cocktail inédit entre violence institutionnelle et violence répressive ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur la psychologie des usagers. Alors résumons-nous. L’usage des drogues serait donc délibérée, et parfaitement intentionnelle, le tout dans une perspective hédoniste voire épicurienne, rien à voir avec la maladie grave que l’on vend sous l’appellation « toxicomanie ». De plus, l’absence de légalité qui environne toutes les étapes d’acquisition et de consommation des produits serait les véritables facteurs de violence de l’univers de la consommation de drogues. Donc ni malades, ni délinquants. Mais alors quoi ? En matière de drogues l’Europe se dirige lentement vers la fondation d’un modèle de prise en charge alternatif à la politique américaine de répression et de condamnation morale. 16
  • 19. Initiée dans les années quatre-vingts par les Pays-Bas et poursuivie un peu partout en Europe de l’Ouest et du Sud dans le sillage de l’épidémie de sida, la politique de réduction des risques liés à l’usage des drogues (RDR), est un succès. Or, la RDR suppose que l’on admette la légitimité morale de l’usage de drogues. Bien sûr les discours officiels sont plus prudents. On nous explique que l’usage doit continuer à être combattu, que la prévention primaire, celle destinée aux jeunes n’ayant jamais consommé, doit être maintenue comme priorité. Mais dans les faits, la seule chose que la RDR condamne clairement c’est l’irresponsabilité des consommateurs. Tous les maux véritables imputés à LA Drogue en découlent. L’abus, l’absence de précautions sanitaires, les cures forcées nécessairement ratées. Le moteur du succès c’est la reconnaissance du caractère délibéré de l’usage, et en plus… ça marche. D’abord on ne s’adresse plus aux « parents », ou aux « jeunes », ni même aux « drogués », mais aux « vrais gens » qui sont en train de consommer des substances illicites, ici et maintenant. Ensuite la RDR c’est la confiance retrouvée, c’est enfin un peu d’espoir après trente ans de morosité. On donne des conseils utiles qui servent ici et maintenant. Comment injecter telle ou telle drogue dans des conditions de sécurité sanitaire minimale ? Quelles méthodes de consommation sont-elles à même de limiter les overdoses d’héroïne ? À quelle fréquence doit-on boire pour ne pas se déshydrater sous MDMA ? À partir de quelle fréquence de consommation doit-on se considérer comme dépendant du cannabis ? Bref la politique de réduction des risques s’intéresse au « comment » on se drogue, alors que la méthode traditionnelle s’intéresse au « pourquoi ». Le changement de perspective est total. Sur le « comment », la science alliée au bon sens et au respect de la dignité humaine, a mille réponses. Inversement, cent ans de questionnement douloureux sur le « pourquoi » ne semblent pas avoir véritablement fait bouger les choses. 17
  • 20. Hélas, le public reste ignorant de ce bouleversement idéologique. En général il ne connaît de la réduction des risques que les programmes de substitution utilisant la Méthadone® ou même l’héroïne médicale en lieu et place de l’héroïne de rue. Mais le pilier central de cette politique n’est pas d’ordre pharmacologique. Pour reprendre la phrase emblématique des partisans de la prohibition, « il ne suffit pas de donner une drogue à la place d’une autre pour résoudre le problème ». Cette longue introduction, pour souligner à quel point l’étude de Bernard « Bobby » Bertrand sur l’ouverture de structures d’accueil avec possibilité de consommer à moindre risque est un document capital pour comprendre les enjeux véritables de l’actualité de la politique menée en matière de stupéfiants. En jetant un éclairage scientifique sur les lieux de consommation à moindres risques, Bobby nous ramène au cœur de cette politique de réduction des risques que les professionnels du secteur connaissent bien, mais que le public français ignore faute de débat public. Or plus encore que l’utilisation des traitements de substitution, les « salles de shoot », de « sniff » ou de « chasse au dragon », sont l’illustration la plus emblématique de cette place faite à la responsabilité des consommateurs. Les SCMR, comme dit Bobby, sont des petites zones libérées où l’expérience, la prudence et la sagacité des usagers de drogues peuvent s’exprimer. Paradoxe absolu, matérialisation schizophrène de la RDR, la recette du succès tient en deux phrases : - Comment éviter que les drogués ne se tuent en se « défonçant » ? - Aménager des petites bulles de légalité, ou tout au moins des mini-espaces de tolérance, à l’intérieur desquelles ils auront le droit de consommer des drogues librement. C’est absurde et cependant c’est une définition possible des SCMR. Ajoutons que, à la différence des « scènes ouvertes », les salles de consommation sont libérées du règne des dealers 18
  • 21. (relégués aux confins) et surtout du voisinage oppressant de la police qui n’exercent donc plus cette suzeraineté lointaine tellement prisée par les mafias de tous bords. La salle de consommation c’est la RDR à l’état pur, sans compromission avec le pouvoir médical. Ce n’est pas un hasard si ASUD fut à l’origine de la première expérience française du genre. La salle de shoot de Montpellier fut un résumé du projet associatif d’ASUD : réduire les risques par la citoyenneté plutôt que par le médical. Les risques sont d’abord et avant tout les risques liés à l’usage de la prohibition (produits coupés ou trop purs, arnaques, vols, arrestations, absence d’hygiène, ignorance sanitaire, dénis, mensonges, culpabilité, etc.) plutôt qu’à l’usage des drogues. Dernière chose, comme toutes les réalités complexes, l’usage des drogues mérite des approches diversifiées, au moins paradoxales si ce n’est contradictoires. Les salles de consommation ne font pas exception. Nous militons depuis toujours pour le maintien de l’usage des drogues dans la sphère privée, nous jetons l’anathème sur la logique prohibitionniste qui fait fi de la liberté individuelle pour venir dicter à nos sens quelles molécules seront licites pour s’envoyer en l’air. Et puis voilà que dans le même temps nous demandons à l’État des subventions pour organiser des lieux publics pour se droguer collectivement. Soyons honnêtes. Je me souviens très précisément de ma visite au Fixpunkt de Berne (Suisse), dirigé par Robert Hammig, un authentique humaniste à l’accent suisse. Ma première sensation en entrant fut tout de même la violence. La violence de la coke quand elle est fixée des heures durant, la violence du biseness relégué à vingt mètres du centre mais dont les remous viennent frapper à la porte. Violence de la misère surtout. Cette misère omniprésente dans le lieu avec sa crasse qui affleure sous l’odeur persistante du détergent, misère de la vie massacrée de ces femmes, de ces hommes souvent jeunes, rarement beaux, aux « chicots » noirâtres poursuivis par les arnaques, le tapin et la tôle. Car les salles de consommation sont aussi des hangars à pauvres. Le riche ne s’en 19
  • 22. approche que pour se ravitailler les soirs de dèches. C’est pourquoi elles n’ont pas bonne presse à la différence des programmes de substitution qui s’adressent à la classe moyenne toxico. La salle de consommation est donc une béquille, un correctif nécessaire pour pallier aux terribles inégalités sociales amplifiées par le marché sauvage de la drogue. Les salles de shoot, particulièrement, sont un concentré ostensible de misère. Elles ne sont d’aucune utilité contre la crise économique. Mais en autorisant la frange la plus défavorisée du corps social à mettre à nu l’une de ses plaies le plus ignorées, elle remplit un office pédagogique à l’égard des autres. Certes nous sommes tous inégaux devant les drogues, mais les plus pauvres d’entre nous sont, selon la formule consacrée par Coluche, moins égaux que les autres. Laissons le mot de la fin à l’un des usagers interrogé (Entretien n°14), des mots qui ressemblent tellement à ceux que l’on reçoit au courrier du journal d’ASUD et qui mériteraient d’être plus souvent popularisés par la presse : « Déjà euh, pour moi ça, ça paraissait ahurissant quoi, qu’ils ont pu faire un endroit comme ça pour euh, pour les toxicomanes, pour qu’ils puissent shooter en, on va dire en toute sécurité et puis en toute tranquillité […] ». Pour eux, pour nous, pour vous, merci. Fabrice Olivet, ASUD-Journal. 20
  • 23. Introduction La stratégie et les politiques sur la drogue en France : de la prohibition vers la réduction des risques
  • 24.
  • 25. « En augmentant les fardeaux sanitaires, sociaux, légaux et économiques liés à l’usage de drogue dans le but de minimiser le nombre de personnes qui s’y adonnent, la base même de la prohibition cause plus de dommages nets aux individus et à la société qu’une acceptation du caractère inévitable d’une certaine consommation […]. De plus en plus de dirigeants, autour du monde, reconnaissent que la plupart des problèmes associés aux drogues illégales résultent de la prohibition, plutôt que d’être des conséquences inévitables de propriétés pharmacologiques des substances ». Alex Wodak et Ron Owens (1996 : 7). INTRODUCTION La France a connu à partir du XIXe siècle, quatre vagues importantes de consommation de drogues que les médecins hygiénistes de cette époque ont appelé « épidémie ». La première a eu lieu en 1880 avec la morphine, puis l’opium, la cocaïne au début du XXe siècle et enfin l’héroïne à partir des années 1970. C’est en 1916, au moment de l’épidémie de cocaïne que le législateur français met en place le premier dispositif prohibitionniste et interdit en outre la consommation en public de drogues.1 Le 31 décembre 1970[2], en s’appuyant sur la convention unique de 1961[3], « la France devient le seul grand pays européen 1 Seule la consommation en public est réprimée. Loi du 12 juillet 1916 sur l'importation, la détention et l'usage des substances vénéneuses et notamment l'opium, la morphine et la cocaïne, JO du 4 juillet 1916. 2 Loi n°70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses, JO du 22 septembre 2000. Tous les textes de lois et les 23
  • 26. […] à adopter une attitude aussi radicale d’un interdit complet de la consommation de tous les produits classés comme stupéfiants » (C. Trautmann, 1990 : 22). Les sanctions encourues vont d’une mesure de « rappel à la loi » (article 41-1 du code de la procédure pénale) à une peine correctionnelle d’un an d’emprisonnement et d’une amende de trois mille sept cent cinquante euros (article L.3421-1 du code de santé publique, ancien article L.628). Peu de temps après, elle interdit également la vente libre des seringues (décret n°72-200 du 13 mars 1972). À partir de ce moment, la répression devient la réponse principale à la consommation de stupéfiants. Comme le note Aliou Sèye (2000 : 29), « lorsque les drogues sont identifiées à un "mal absolu" et que les usagers ne sont perçus qu’à partir des substances toxiques qu’ils utilisent, on se trouve en face d’une assimilation et d’une confusion grave entre l’homme et le produit […] : le produit est mauvais, par conséquent ceux qui l’utilisent sont aussi mauvais ». C’est au début du XXe siècle, que le mot « toxicomane » fait son apparition. Faisant référence à des notions de folie, de passions destructrices et d’idées obsédantes, sa définition change selon les périodes et les auteurs. Aujourd’hui, il est employé « avec assurance comme s’il correspondait à des choses bien connues et définies, alors qu’il ne réveille en nous que des notions confuses, mélanges indistincts d’impressions vagues, de préjugés et de passions » (E. Durkheim, 2004 : 22). L’absence d’homogénéité dans les définitions adoptées même dans les milieux médicaux, amène inévitablement une confusion dans le public y compris chez décrets français sont sur le Site Legifrance [en ligne]. [réf. du 29 mai 2005]. Format pdf ou htm. Disponible sur <http://legifrance.gouv.fr/>. 3 La France est signataire de quatre traités internationaux : la convention internationale de l’opium de 1912, modifiée par le protocole de 1946, toujours en vigueur avec les pays qui n’ont pas ratifié la convention unique de 1961 ; la convention unique sur les stupéfiants de 1961, modifiée par le protocole de 1972 ; la convention sur les substances psychotropes de 1971 et la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. 24
  • 27. les personnes directement concernées. L’utilisation très répondue d’un langage populaire est un obstacle supplémentaire à la bonne compréhension de la toxicomanie (R.G. Newmann, 1995). Emile Durkheim (2004 : 37) ajoute que « nous sommes tellement habitués à nous servir de [ce mot], qui revien[t] à tout instant dans le cours des conversations, qu’il semble inutile de préciser le sens dans lequel nous [le] prenons. On s’en réfère simplement à la notion commune. Or celle-ci est très souvent ambiguë. Cette ambiguïté fait qu’on réunit sous un même nom et dans une même explication des choses, en réalité, très différentes. De là proviennent d’inextricables confusions ». Ainsi pour le public, le toxicomane, « le tox », « le drogué », « le junkie » est celui qui fait usage de drogues « dures » et plus particulièrement de l’héroïne par voie intraveineuse. Pour d’autres, et notamment le législateur, le champ de la toxicomanie, dit aujourd’hui « des addictions », englobe les drogues illicites, mais également depuis 1999, « la prise incontrôlée » de produits licites tels que le tabac et l’alcool (MILDT, 1999). Le consommateur de drogues se retrouve alors assimilé à un malade ou à un délinquant et le plus souvent à un délinquant et à un malade. Pourtant, entre l’usage de drogues et la toxicomanie, il existe différentes formes d’usages : occasionnels (festifs ou récréatifs), réguliers et abusifs. Toutes ces nuances sont réduites au seul terme de toxicomane, augmentant la confusion sur la perception que l’on a du phénomène. Pour notre part, nous utiliserons les termes « usager de drogues » psychoactives et « consommateur de drogues » psychoactives non dans le sens de « dépendance »4 mais au sens d’une pratique pouvant entraîner une « conduite à risque » (D. Le Breton, 1995 : 94 ; 2000 : 112). 4 En 1969, l’OMS définie la toxicomanie comme une dépendance (dépendance physique, dépendance psychique et tolérance). Cependant, les êtres humains peuvent être dépendants de bien autre chose que d’un produit psychoactif et la dépendance est, dans une certaine mesure, aussi un élément auquel est assujetti l’être humain. Il est donc des dépendances dites normales, qui peuvent être physiologiques (besoins primaires : manger, respirer), sociales (règles de la société), affectives et éducatives. 25
  • 28. AUX PRISES AVEC DES ÉPIDEMIES Depuis plus de vingt ans, la consommation de drogues et plus particulièrement l’injection de drogues, constitue une cause importante de maladies graves. La pratique d’injection a provoqué plusieurs flambées épidémiques d’infections transmissibles par le sang, notamment celles dues au VIH (ONUSIDA, 2002) et au VHC (OMS, 1997). Aujourd’hui, l’injection de drogues constitue le mode prédominant de transmission du VIH dans de nombreux pays, notamment en Asie, en Amérique latine et du Nord, en Russie et en Europe de l’Est. La nature cachée et illégale de la consommation de drogues rend difficile l’estimation du nombre de personnes touchées. Selon l’ONUSIDA (2002), il y aurait jusqu’à dix millions de personnes qui s’injectent des drogues à travers le monde. L’OFDT (2002 : 38) estime quant à lui, le nombre « [d’]usagers d’opiacés ou de cocaïne français à problème »5 dans une fourchette allant de 150 000 à 180 000. Parmi les 40 millions de personnes infectées par le VIH dans le monde, environ 3,3 millions l’ont été par suite de l’injection de drogues (ONUSIDA, 2001). En France, les taux d’infections par transmission sanguine ont connu une hausse alarmante pendant les 5 L’OFDT (2002 : 16) désigne une consommation à problème comme une « […] consommation qui implique, ou peut impliquer, des dommages de nature sanitaire (somatique ou psychique), sociale (incapacité de remplir des obligations : au travail, à l’école, en famille, etc.) ou judiciaire ». 26
  • 29. années quatre-vingt-dix. En 1993, ils correspondaient à plus d’un quart des nouveaux cas rapportés d’infection à VIH. C’est seulement en 1987, que les seringues seront remises en vente libre6 et, au contraire des pays voisins tels que la Suisse, l’Allemagne et l’Espagne, aucune autre mesure ne sera prise face à cette catastrophe sanitaire (B. Bertrand, 2003 : 15). Aujourd’hui, on observe toujours une prévalence du VIH supérieur à 20 % chez les usagers injecteurs (F.F. Hamer et A.M. Downs, 2004 : 87 ; M. Jauffret-Roustide et al., 2004). L’hépatite C est également un problème important de santé lié à l’usage de drogues injectées et/ou sniffées. Ces pratiques de consommation sont aujourd’hui reconnues comme les causes principales de contamination par l’hépatite C dans les pays développés (OMS, 1997). D’après l’étude Coquelicot (M. Jauffret- Roustide et al., 2004), le taux de prévalence au VHC serait de 73 % en France et le nombre de nouvelles contaminations par année est estimé entre 2 700 et 4 400 personnes chez les injecteurs (J-C. Desenclos, 2003 : 85). L’InVS (M. Jauffret-Roustide et al., 2004) note que « […] la faible proportion des UD parmi les nouveaux diagnostics VIH et la diminution des cas de sida depuis plus de 5 ans confirment la réduction de la transmission du VIH dans cette population. Mais d’autres indicateurs, comme la baisse des ventes des seringues depuis 1999 (suggérant une possible reprise du partage) et la prévalence de l’hépatite C, conduisent à rester vigilant dans cette population ». Les consommateurs de drogues s’exposent directement à un risque de décès, en raison de la toxicité des produits consommés, du mode de consommation pouvant entraîner la transmission de certaines pathologies mais également d’un mode d’existence 6 Décret n°87-328 du 13 mai 1987 (décret Barzac), JO du 16 mai 1987 ; décret n°88-894 du 24 août 1988, JO du 27 août 1988 et décret n°89-560 du 11 août 1989, JO du 12 août 1989 modifiant le décret du 13 mars 1972, réglementant le commerce et l’importation des seringues et des aiguilles destinées aux injections parentérales en vue de lutter contre l’extension de la toxicomanie. 27
  • 30. comportant des prises de risques plus élevés et des troubles psychiatriques pouvant entraîner des suicides. Malheureusement, le repérage actuel nous renseigne uniquement et avec peu de précision sur le nombre de décès par surdose d’héroïne7 (120 décès en 2000 contre 564 en 1994) et sur le nombre de décès par sida des consommateurs ayant utilisé la voie injectable. Dominique Lopez, Hélène Martinau et Christophe Palle (2004) montrent que la mortalité sur une cohorte de personnes interpellées pour usage de drogues (héroïne, cocaïne ou crack) est cinq fois plus élevée que celle des hommes de l’ensemble de la population française, et neuf fois plus élevée pour les femmes. Le 14 avril 2005, lors du débat de l’Assemblée nationale sur la lutte contre la toxicomanie, le député Jean-Paul Garraud (2005 : 2 959) déclarait qu’une « étude récente du professeur Pierre Kopp démontre que, sur les 165 000 héroïnomanes que comptait notre pays en 1996, environ 19 800 étaient décédés en 2004 à un âge compris entre trente et trente-cinq ans, soit environ 2 500 personnes par an ». Les nouvelles consommations (crack, ecstasy), notamment les poly-consommations, la cocaïne (E. Wood et al., 2003), l’injection du Subutex® et l’accroissement de l’utilisation de la voie nasale augmentent les risques (infections, dégradation physique et psychique, prises de risques). Ercan Acar (2004 : 29), travailleur social en Alsace, fait remarquer « que l’introduction des traitements de substitution a fait émerger de nouvelles problématiques avec des comportements à risque, principalement en ce qui concerne le Subutex® à travers ses mésusages et sa prescription sans proposition d’accompagnement social ou psychologique. Les usagers sont souvent engagés dans des 7 Les décès causés par une overdose ne sont pas signifiés de la même manière suivant les pays européens. En France, un décès est signifié comme overdose si celui-ci intervient directement et immédiatement après une consommation de drogues et est certifié comme tel après une autopsie, une analyse toxicologique et une signalisation auprès de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OEDT, 2001 : 17). 28
  • 31. conduites à risques importantes, avec un développement inquiétant de la consommation des médicaments psychoactifs [...]. L’injection régulière de Subutex®, en recrudescence, a entraîné chez les consommateurs des conséquences somatiques et psychologiques importantes [...] ». 29
  • 32. L’APPLICATION D’UNE NOUVELLE APPROCHE L’année 1993 a constitué, pour de nombreuses associations du champ de la toxicomanie et de la lutte contre le sida, une étape fondamentale dans la formalisation d’une réponse à la problématique VIH et usage de drogues, en clarifiant les revendications formulées et la réponse sociale mise en place. Nous assistons ainsi à l’émergence et à l’application d’une nouvelle approche : la réduction des risques liés à la consommation de drogues. Celle-ci se fonde sur deux principes : le pragmatisme et l’humanisme. Le postulat de base est que l’usage des drogues est une réalité avec laquelle nous devons composer. Il convient donc de limiter, le plus possible, les risques sanitaires et sociaux liés à la consommation de drogues sans nécessairement vouloir influencer celle-ci de manière directe. Anne Coppel ((a), 2002 : 21) fait remarquer « [qu’]il vaut mieux ne pas consommer de drogues mais si vous en consommez, il vaut mieux consommer les drogues les moins dangereuses et de façon la moins dangereuse possible ; il faut mieux ne pas s’injecter des drogues mais si vous persistez à vous en injecter, alors il faut utiliser une seringue stérile ». Concrètement, l’approche de réduction des risques se traduit aussi par des actions de soutien dans le domaine de la santé, du social, du logement, du travail, etc. Celles-ci incluent notamment la mise à disposition de moyens de prévention du sida et des hépatites comme des seringues, des cuillères, de l’eau, des kits sniff et d’inhalation, des préservatifs, etc. Une telle politique de prévention a pour conséquence de transformer la « question sociale » 30
  • 33. (R. Castel, 1995 : 530) en s’inscrivant aux marges des cadres normatifs des politiques pénales ou sanitaires jusqu’alors seules légitimes pour traiter des questions de toxicomanie. Elle modifie également les modes d’appréhension des populations usant de drogues psychoactives. Dans une démarche basée sur le principe d’abstinence, le rapport des consommateurs de drogues au système de prise en charge s’inscrit dans une logique d’appropriation détournée de celui-ci et est considéré comme inefficace et dangereux. Avec l’avènement des interventions auprès des usagers actifs, cette conception du rapport des UD (Usagers de Drogues) au système de prise en charge change radicalement. L’usage de « l’espace public » leur est désormais autorisé puisque les interventions impliquent qu’ils soient pris en charge quand bien même ils se droguent. Intervenir au cœur du milieu de la toxicomanie est considérée comme une condition de l’efficacité de la dite intervention. Toutefois, toute consommation de drogues reste aujourd’hui clandestine et entraîne une augmentation des risques sanitaires, notamment ceux liés aux conditions d’asepsie qui ne sont pas toujours idéales. La création de nouveaux dispositifs dits à bas seuil d’accès,8-9 à partir des années quatre- vingt-dix, a permis d’accueillir les personnes consommatrices de drogues les moins insérées, qui ne fréquentaient pas ou peu des structures plus « exigeantes » d’accès. Mais toute consommation de produit reste là aussi officiellement interdite dans ces lieux. 8 « Le concept de bas seuil fait référence à une approche d’aide destinée aux usagers de drogues. Cette approche a pour principaux objectifs : l’accueil et l’accompagnement des usagers ainsi que la réduction des dommages liés à l’usage de drogues. Le concept de bas seuil implique que les offres soient faciles d’accès et comportent peu d’exigences. Il peut s’appliquer aux différents aspects de la vie des usagers de drogues » (F. Benninghoff, 1999). Voir également (R. Vogt, 2002). 9 D’après 2 enquêtes, il existait, en 2004 : 154 structures RDR : 159 lieux d’accueil dont 49 boutiques, 51 bus, 52 équipes de rue, 35 PES non identifiés, 7 programmes d’hébergement de type sleep in, 48 équipes d’intervention en milieu festif dont 9 spécifiques (Enquête AFR), 241 distributeurs de seringues et 222 récupérateurs de seringues sur 54 département (Enquête SAFE). 31
  • 34. Toutefois, comme l’a dit Malika Tagounit (2001 : 40) lors de la première journée-débat nationale organisée sur les salles d’injection à moindre risque, « il existe une tolérance sous jacente dans les boutiques. Il s’agit pour les usagers de drogues de le faire le plus discrètement possible, car s’ils se font surprendre, il y aura un manquement aux règles ». En 1993, le collectif de personnes et d’associations « Limiter la casse »10 publie dans Le Monde et Libération (19 octobre 1993), un appel qui commençait par : « Des toxicomanes meurent chaque jour du sida, d’hépatites, de septicémie, par suicide ou par overdose. Ces morts peuvent être évitées, c’est ce qu’on appelle la réduction des risques […]. L’alternative entre incarcération ou obligation de soin est une impasse. La responsabilité des pouvoirs publics est engagée comme elle le fut dans l’affaire du sang contaminé. Parce qu’une seule injection suffit pour devenir séropositif, parce que les toxicomanes sont nos enfants, nos conjoints, nos voisins, nos amis, parce qu’on ne gagnera pas contre le sida en oubliant les toxicomanes, limitons la casse ! ». En mars 1995, le gouvernement français répond à l’appel du collectif « Limiter la casse » en mettant en vente dans les pharmacies le Stéribox® (kit adapté à l’usage de drogues injectables) et il autorise les associations menant une action de prévention du sida ou de réduction des risques chez les usagers de drogues à distribuer gratuitement des seringues stériles.11 Comme le font remarquer Annie Mino et Sylvie Arsever (1996 : 75), il a « fallu un mouvement d’opinion dépassant le milieu médical pour faire reconnaître le droit des toxicomanes à la survie ». Les 10 La première réunion du collectif a eu lieu le 25 mars 1993 à Paris. En 1998, le collectif « Limiter la casse » est devenu l’Association française pour la réduction des risques liés à l’usage de drogues (AFR). 11 Décret n°95-255 du 7 mars 1995, JO du 9 mars 1995 modifiant le décret du 13 mars 1972, réglementant le commerce et l’importation des seringues et des aiguilles destinées aux injections parentérales en vue de lutter contre l’extension de la toxicomanie. 32
  • 35. traitements de substitution aux opiacés (Méthadone® et Subutex®) acquièrent un cadre légal. L’auto support12 se développe et prend une dimension nationale au travers, notamment de la multiplication des groupes ASUD13 en province. Comme le note Elisabeth Jacob (1996 : 117), « on peut se demander si, en palliant les dysfonctionnements et les insuffisances du système traditionnel, la fonction de ces nouveaux dispositifs n’est pas de venir masquer les ambiguïtés portées par la loi et faire l’économie d’une réflexion et d’un investissement suffisamment conséquent pour donner lieu à une véritable politique en matière de toxicomanie » qui ne dépendrait pas du degré de tolérance des décideurs politiques. Malgré la réussite extraordinaire de la politique de réduction des risques sur l’amélioration de l’état de santé des usagers de drogues pris en charge14 et sur la diminution du nombre de nouvelles contaminations par le virus du sida, dans les quartiers dits sensibles des grandes villes, comme dans la plupart des régions françaises, rien ne semble avoir changé. Un observateur alsacien (P.Y. Bello et al., 2004 : 52) fait remarquer que « […] chez les jeunes de l’espace urbain, on constate un développement de l’injection : "ça se remet à shooter". Cela dit le phénomène est difficile à appréhender puisque l’intervention des forces de l’ordre a contribué à fermer un squat qui servait de "shooting room" et où 200 personnes venaient s’injecter. Aujourd’hui, le phénomène est 12 Traduction de l’anglais self-help. « Regroupement de volontaires, généralement des toxicomanes, que réunit un but commun d’entraide, de satisfaction de besoins partagés et de résolution d’un problème social, auquel le groupe répond par ses propres ressources. […] Dans ce cadre, la communauté toxicomane prend conscience de son existence comme groupe identitaire. Elle met en œuvre une stratégie éducative visant essentiellement à changer les "normes de risques" en "normes de réduction des risques" » (A. Toufik, 1999 : 55). Voir également (M. Jauffret, 2000). 13 Association d’auto-support et de réduction des risques parmi les usagers de drogues (supra, note n°12). 14 Six patients sur dix déclarent être très satisfaits ou satisfaits de leur traitement de substitution (AIDES, 1998). 33
  • 36. beaucoup plus dispersé et diffus. Dans le milieu urbain, les injecteurs de Subutex® se remettent à consommer de l’héroïne. Ce phénomène concerne aussi bien les anciens usagers substitués à la BHD que les jeunes injecteurs primo-dépendants au Subutex® ». La consommation de drogues affecte toute la communauté, et pas seulement les usagers de drogues. Elle génère dans des lieux publics une grande quantité de déchets peu attrayants et qui coûtent cher à ramasser.15 Les seringues jetées sur la voie publique posent un risque pour la santé, de piqûres accidentelles, de transmission de pathogènes par le sang, notamment pour les employés municipaux, les gardiens et les concierges qui ramassent ces ordures, puis pour les éboueurs et les trieurs qui s’en occupent. Mais, en plus du problème d’ordures ayant trait à la drogue, les attroupements de consommateurs sont largement considérés par le public comme une nuisance et une menace. Pour Elisabeth Jacob, la réduction des risques est considérée comme une réponse pragmatique aux risques liés à la consommation de drogues. Elle fait remarquer (1996 : 117) que « les intervenants sont à la fois tenus de respecter et faire respecter la loi, tout en donnant aux usagers de drogues les moyens de déroger à cette dernière sans prendre de risques ». Ils sont pour Pierre Bourdieu et Gabrielle Balazs (1993 : 384) une « sorte d’avant-garde d’une institution à qui il[s] offre[nt] des services irremplaçables mais qui est toujours prête à le[s] désavouer [...] ». L’année 2003 aurait dû être l’année du changement avec la réforme de la loi du 31 décembre 1970 car comme le note Paul Benkimoun (2005), « il [était] devenu urgent de changer la loi ». Mais à l’été 2004, le gouvernement se dérobe car il est devenu « urgent de ne pas la modifier », replongeant ainsi la politique 15 Il existe peu de données concernant la quantité de seringues ramassées sur la voie publique. Pour exemple, il a été ramassé à Mulhouse, 1 495 seringues en 2000 et 1 438 en 2001 par les équipes de réduction des risques sur des lieux publics et semi-publics. 34
  • 37. française en matière de lutte contre la toxicomanie dans une totale incohérence puisque qu’au même moment, la loi de santé publique 2004 est votée donnant un cadre légal à la réduction des risques.16 Une des solutions partielles proposées à la consommation de drogues illicites, dans le souci d’une politique de réduction des risques pragmatique, consisterai à établir, tout d’abord à titre expérimental, des lieux d’accueil bas seuil avec possibilité de consommer à moindre risque des drogues psychoactives.17 C’est ce que recommandent notamment des instances créées par l’État comme le Conseil national du sida (CNS, 2001 : 131) et le Comité stratégique du programme national hépatites virales (2005), mais aussi l’Organisation mondiale de la santé (N. Hunt, 2003 : 48 ; N. Wright, C. Millson et C. Tompkins, 2005) et l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (M. Jauffret- Roustide, 2005 : 28). Neuf pays ont déjà opté pour cette stratégie de réduction des risques : la Suisse, l’Allemagne, la Hollande, l’Espagne, le Canada, l’Australie, la Norvège, l’Afghanistan et en juillet 2005 le Luxembourg. Même si la question des salles de consommation à moindre risque n’est pas prévue dans l’agenda de la classe politique, elle constitue cependant une stratégie de réduction des risques et des 16 Article 12 de la Loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. JO du 11 août 2004 (article L.3121-3 à L.3121-5 du code de santé publique) ; décret n°2005-347 du 14 avril 2005, JO du 15 avril 2005, approuvant le référentiel national des actions de réductions des risques en direction des usagers de drogue et complétant le code de la santé publique ; décret n°2005-1606 du 19 décembre 2005, JO du 22 décembre 2005, relatif aux missions des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues et modifiant le code de la santé publique et circulaire n°DGS/S6B/DSS/1A/DGAS/5C/2006/01 du 2 janvier 2006 relative à la structuration du dispositif de réduction des risques, à la mise en place des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues et leur financement par l’assurance maladie. 17 Le décret n°2005-347 du 14 avril 2005 couvre la possibilité d’expérimenter des salles de consommation à moindre risque. 35
  • 38. dommages suscitant un attrait certain pour les associations, les professionnels du secteur sanitaire et social et les riverains.18 Un intervenant de Mulhouse (B. Bertrand, 2003 : 19) fait remarquer que « si nous donnons des seringues stériles, c’est bien parce qu’elles vont être utilisées et nos interventions ont pour but que les personnes qui vont s’injecter prennent le moins de risques possible. Alors pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique et éviter qu’ils aillent se cacher dans des lieux dépourvus de toute hygiène pour faire leurs injections. […] ». Toutefois, les consommateurs de drogues sont largement absents des débats entourant leurs instaurations éventuelles. Certes, on les consulte au moyen de questionnaires mais ces pratiques sont interrogatives et étrangères à une démarche compréhensive. Il s’agit ici d’étudier et d’analyser quelques dispositifs étrangers qui ont axé leurs interventions autour de la prise en compte des pratiques des consommateurs de drogues psychoactives les plus marginalisés. Trois dispositifs, ayant chacun opté pour un mode d’approche et de captation particulière, ont été étudiés : 1. Quai 9 à Genève (Suisse) ; 2. MSIC (Medically Supervised Injecting Centre) à Sydney (Australie) et 3. Insite à Vancouver (Canada). Au travers de ces expériences respectives et en analysant les points de vue des consommateurs de drogues sur l’ouverture éventuelle d’une structure d’accueil avec possibilité de consommer à moindre risque des drogues psychoactives (SCMR)19 en France, il s’agit de saisir, au-delà des spécificités des structures, la manière dont elles contribuent à la construction de nouveaux modes d’intervention pouvant bouleverser et mettre en cause les 18 « Lorsqu’en 1995, des habitants du Xe arrondissement de Paris découvrent qu’une Boutique va s’ouvrir dans leur quartier, que cette Boutique va accueillir de drogués qui se droguent, lorsqu’ils comprennent qu’il s’agit d’une politique publique, financée par le ministère de la santé, la question ne manque pas d’être posée : "Vous distribuez des seringues aux toxicomanes mais où vont-ils injecter leur drogue ?" » (A. Coppel (a), 2002 : 11). 19 Cf. p. 51. 36
  • 39. référentiels professionnels dans le champ de la toxicomanie tout en introduisant un déplacement du centre de gravité des logiques de travail social. En axant l’analyse autour de ces trois expériences, nous sommes partis de l’hypothèse suivante. L’émergence d’un terrain d’intervention aux interstices des dispositifs classiques de réduction des risques, qui tolère la consommation de drogues illicites à l’intérieur de structures bas seuil, en offrant des conditions d’hygiène favorable, permet une meilleure prise en charge d’une population au parcours chaotique, tout en réduisant la « menace » que représente la consommation de drogues pour l’ordre public, mais également les dommages liés à celle-ci. La partie 1 (« Apprendre de l’expérience d’autres pays : l’ouverture de salles de consommation à moindre risque »), examine les résultats de la mise en place de SCMR en Suisse, en Australie et au Canada, en décrivant brièvement les modèles adoptés. Les données disponibles montrent que l’intégration de SCMR en tant qu’outil de réduction des risques et des dommages liés à la consommation de drogues, est susceptible d’entraîner d’importants bénéfices pour les utilisateurs et pour la communauté, et que de telles initiatives devraient au moins être expérimentées. La partie 2 (« Approche sociologique de l’ouverture de structures d’accueil avec possibilité de consommer à moindre risque des drogues ») porte sur les arguments invoqués fréquemment pour et contre la mise en place de SCMR. Cette partie conduit à la conclusion que les arguments cités contre l’ouverture de SCMR sont non fondés ou exagérés. La partie 3 (« Points de vue des consommateurs sur la mise en place éventuelle de lieux de consommation à moindre risque ») explique le sens que revêt, pour les consommateurs de drogues, l’éventuelle ouverture d’une SCMR à Mulhouse, et comment ils élaboreraient un tel projet si on leur en offrait la possibilité. 37
  • 40. MÉTHODOLOGIE Nous avons choisi trois méthodes de collecte de données (par triangulation) : la recherche documentaire, l’observation participative et les entretiens semi-directifs. Recherche documentaire Nous avons commencé la recherche par une revue et analyse de la littérature comprenant des ouvrages scientifiques (sociologiques, épidémiologiques, etc.) présentant de manière diversifiée le sujet étudié afin de présenter une recherche « honnête ». Puis nous avons poursuivi en étudiant des documents de terrain (livres, articles, revues spécialisées, recherches, rapports d’activités, comptes rendus de réunion, bilans d’évaluation, etc.). Plusieurs voies ont été utilisées pour trouver l’information écrite : l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne et de Bâle, les associations de lutte contre le sida et de réductions des risques, les centres spécialisés de soins aux toxicomanes, etc. Les références de ces documents ont été soigneusement étudiées pour trouver les informations complémentaires. D’autres sources ont été utilisées, telles que internet et les articles de presse. 38
  • 41. Observation participative L’observation participative suppose, pour Pascale Jamoulle (2000 : 20), « quel que soit le lieu où elle se réalise, une immersion préalable pour créer les conditions de la confiance et engager des échanges de qualité. Ce qu’il faut comprendre, c’est la valeur du temps passé avec le groupe que l’on étudie, le temps de comprendre où sont dans l’univers des enquêtes les problèmes et les enjeux, les codes culturels et sociaux selon lesquels ces personnes agissent, décrivent et justifient leurs actes ». C’est dans le temps que le sociologue « pourra faire la preuve qu’il a, lui aussi, quelque chose à donner en échange du droit d’enquête qu’il sollicite. Il peut donner une attention, une écoute, une capacité de comprendre. Sa "volonté de savoir", même dans ce qu’elle a d’intrusif, enveloppe aussi une forme de reconnaissance de ses enquêtes » (O. Schwartz, 1993 : Postfast). Pour autant, le chercheur ne doit pas chercher à être consommateur à part entière. Il est primordial en ce sens de se présenter auprès des consommateurs en tant que scientifique, non seulement pour des raisons de déontologie (éviter d’être démasqué et d’en subir les conséquences) mais aussi pour des raisons d’objectivité (vouloir trop ressembler aux consommateurs peut amener à faire une étude engagée, voir militante). Il s’agira de comprendre et d’analyser l’expérience de trois SCMR (historique, description, fonctionnement, règlement, heures d’ouverture, équipe d’intervenants, etc.). Les SCMR de Genève (Quai 9), Bâle (Kontakt- und Anlaufstelle I, II et III), Madrid (Dispositivo Asistencial de Venopuncion) et Saarbrücken (Drogenhilfezentrum) ont été visitées à plusieurs reprises. Sur les trois structures présentées dans ce travail, seul Quai 9 en Suisse a fait l’objet d’une observation participative (février 2005). Le travail d’analyse des deux autres structures (MSIC en Australie et Insite au Canada) s’est fait à partir d’une base documentaire 39
  • 42. assez fournie, de participation à des colloques internationaux et de l’observation des différentes structures visitées. Entretiens semi-directif Afin de connaître les points de vue des consommateurs de drogues sur la mise en place éventuelle de SCMR, un guide thématique d’entretien a été élaboré après inventaire et analyse des études étrangères du même type. Il a été ensuite testé auprès de cinq consommateurs de produits psychoactifs afin d’en évaluer la pertinence, la lisibilité et la compréhension (cf. Annexe n°2, p. 155). Par la suite, un échantillon de consommateurs de drogues psychoactives a été interrogé sur une période d’un mois (janvier 2005). Dans sa forme finale, la grille d’entretien était composée de trois parties : 1. Points de vue concernant les salles de consommation à moindre risque (ce que pense la personne de l’ouverture éventuelle d’une SCMR ; types de services offerts dans la SCMR ; fonctionnement et aménagement de la SCMR ; règlement de la SCMR ; utilisation projetée de la SCMR) ; 2. Histoire et produits (ancienneté dans l’usage ; produits consommés ; lieu de consommation ; expérience de surdose, etc.) et 3. Informations générales (sexe ; âge ; enfants ; lieu d’habitation, etc.). Les entretiens ont été effectués par le chercheur avec la collaboration des membres de l’association d’auto-support LUDIC20 car la connaissance et la proximité du milieu que l’on interroge permet de plus grandes facilités pour entrer en contact avec celui-ci, avec la possibilité d’ouvrir des interactions sur le 20 Libres, Usagers de Drogues Informés et Citoyens : association de santé communautaire pour la réduction des risques et des dommages liés à la consommation de drogues (supra, note n°12). LUDIC a rejoint le réseau ASUD en 2006. 40
  • 43. registre de l’échange social ordinaire. Comme le note Pierre Bourdieu (1993 : 1 395) à propos du travail de recueil de données en sociologie : « […], lorsque l’interrogateur est socialement très proche de celui qu’il interroge, il lui donne, par son interchangeabilité avec lui, des garanties contre la menace de voir ses raisons subjectives réduites à des causes objectives [...] D’autre part, se trouve ainsi assuré en ce cas un accord immédiat et continûment confirmé sur les présupposés concernant les contenus et les formes de communication : cet accord s’affirme dans l’émission ajustée, toujours difficile à produire de manière consciente et intentionnelle, de tous les signes non verbaux, coordonnés aux signes verbaux, qui indiquent soit comment tel ou tel énoncé doit être interprété, soit comment il a été interprété par l’interlocuteur ». Pour cela, les volontaires de l’association LUDIC ont participé à deux séances de formation où dans un premier temps toutes les questions ont été relues afin d’en comprendre le sens. Puis dans un second temps, des mises en situation ont été effectuées (un enquêteur et un consommateur). Pour notre étude, nous avons rencontré 25 personnes (on trouvera en annexe n°3, p. 163 à 170 une présentation des consommateurs interrogés), soit 22 hommes et 3 femmes. Leurs âges varient entre 21 et 48 ans (moyenne : 32,5). Les personnes interrogées ont été rencontrées dans le cadre de programmes de réduction des risques (Trait d’Union/AIDES DD68 et boutique BEMOL/ARGILE), d’une association d’auto-support (LUDIC), de CSST (ALTER NATIVE et LE CAP) de Mulhouse et directement sur prise de contact par les consommateurs de drogues21 afin de répondre aux critères de diversité et d’exhaustivité d’une procédure d’échantillonnage par contraste. Selon Alvaro Pires (1997 : 159), « la représentativité ou la généralisation s’appuie alors d’abord sur une hypothèse théorique (empiriquement fondée) qui affirme que 21 Des flyers étaient mis à disposition et/ou distribués par différentes structures, par des associations, par des médecins généralistes et par un pharmacien afin que les personnes puissent contacter le chercheur. 41
  • 44. les individus ne sont pas tous interchangeables, puisqu’ils n’occupent pas la même place dans la structure sociale et représentent un ou plusieurs groupes ». Les entretiens ont donc été effectués dans les locaux de la boutique BEMOL/ARGILE, du CSST ALTER NATIVE, du CSST LE CAP, chez les consommateurs de drogues et dans des bars. Les entretiens ont duré entre 25 et 50 minutes. Dans un second temps, l’échantillon a été invité à participer à un focus groupe (avril 2005) afin de mettre à jour la logique interne des discours, d’en dégager la structure argumentative, plutôt que de chercher à en expliquer quelles sont les conditions sociales qui les structurent et les rendent possibles, car comme le note Ilja Maso (1989), « la recherche qualitative orientée, par opposition à la recherche quantitative, vise à une compréhension en profondeur plutôt que de présenter des tendances de grande échelle [trad.] ». Pour l’analyse des entretiens, il a été utilisé les logiciels Modalisa (licence d’utilisation accordée à l’association AIDES) et Tropez zoom (licence gratuite) sous Windows XP (PC). Question méthodologique : la (non) représentativité de l’échantillon interrogé ? Avant que des critiques de non-représentativité apparaissent sur les conclusions de cette recherche, nous allons y répondre. Giovanni Busino (1993 : 21-45) donne une réponse à cette question de représentativité. Il démontre que la représentativité des études quantitatives en sciences sociales est revendiquée sans que l’hypothèse d’une relation serrée entre les variables de contrôle (âge, sexe, catégories socio-professionnelles, etc.) et les réponses données soit vérifiable. Il note que « […] nous n’avons aucun moyen pour évaluer la variabilité de l’estimation. Nous avons là, grâce à un emprunt à la statistique, un outil important, mais dénué - en sociologie - de toute validité théorique et donc de légitimité pratique » (G. Busino, 1993 : 32). 42
  • 45. Plus clairement, nous pouvons affirmer que la prétention de re- présenter les points de vue des consommateurs tout en structurant pour eux les possibilités discursives est en complète contradiction avec l’objet de recherche. Le désir de prétendre à la représentativité d’un échantillon de personnes suppose, la préfabrication, qui, elle, ne conduit qu’à l’anesthésie du sens. Le désir de construire un échantillon représentatif sur le modèle que l’on présente des sciences naturelles suppose donc l’impossibilité de re-présenter les points de vue diversifiés des consommateurs en tenant compte de leurs nuances (F. Laplantine, 2002 : 67-69). Le choix d’aborder le sens par l’intermédiaire des mots plutôt que des chiffres a pour objectif de re-présenter le sens que revêt la mise en place éventuelle de SCMR pour les consommateurs de drogues, en considérant la présentation que nous en faisons comme le fruit contingent de notre rencontre avec eux. Notre objectif est de donner la parole aux acteurs en demeurant près de leurs mots. Cette parole est considérée non comme une chose que la démarche scientifique pourrait découvrir sans l’altérer et la représenter objectivement, mais plutôt comme le résultat d’un processus de construction discursive dialogique. Notons que rencontrer des consommateurs de drogues pour obtenir leurs points de vue sur les SCMR peut donner lieu, à l’interprétation suivant laquelle l’enquêteur croit que « c’est une bonne chose », ou qu’il joue un rôle dans la réclamation de SCMR. Toutefois, les discours que nous allons présenter nous laisse croire que nous avons rendu possible l’énonciation de propos pouvant s’écarter de toute désirabilité sociale, notamment des propos autres que ceux que les personnes interrogées ont pu avoir l’impression que l’enquêteur attendait d’eux (« je suis d’accord avec votre projet »). 43
  • 46. Partie 1 Apprendre de l’expérience d’autres pays : l’ouverture de salles de consommation à moindre risque
  • 47.
  • 48. « Il n'y a pas de société sans drogues, il n'y en a jamais eu. Il n'y a pas non plus de solution miracle, ni en France, ni dans aucun pays. En revanche, il existe des réponses efficaces, afin d'éviter les consommations dangereuses et réduire les risques lorsqu'il y a usage ». Nicole Maestracci, Présidente de la MILDT de 1998 à 2002, Drogues : savoir plus, risquer moins, p. 9. INTRODUCTION Dans les écrits, les structures permettant une consommation « sécurisée » de drogues sont désignées par : local d’injection sous surveillance ; pîquerie22 ; zones de tolérance ; shooting room ; gassenzimmer ; salles de santé ; fixerstübli ; drug injecting room ; shooting gallery ; centres de contact ; fixpunkt ; consumption rooms ; salas de consumo higiénico ; supervised injecting centres ; drogenkonsumraum ; medically supervised injecting centre ; safe injection facilities ; gesundheitsräume ; salle d’injection à visée éducative et quelques fois, à tort, centres de consommation « sûrs », puisque la sûreté ne peut-être garantie tant et aussi longtemps que la qualité de la drogue et de la quantité de drogue ne font pas aussi l’objet d’un contrôle. Nous préférons utiliser structure d’accueil avec possibilité de consommer à moindre risque des drogues psychoactives (SCMR) parce que la nature 22 Selon la littérature, une pîquerie est une salle de consommation non autorisée gérée par les consommateurs de drogues. 46
  • 49. « sécuritaire » de ces lieux est également équivoque (est-il fait référence à la violence ? à la répression policière ? aux risques de surdoses ?), parce que nous voulons insister sur le fait que la revendication de la mise en place de tels lieux ne s’accompagne d’aucune mise en cause du régime prohibitif et parce que les SCMR laissent la porte ouverte à des modes de consommation alternatifs (par inhalation par exemple). En juillet 2005, il y avait 78 SCMR dans 45 villes du monde : - 31 SCMR en Hollande : Amsterdam (9), Apeldoorn (1), Arnhem (1), Den Bosch (1), Breda (1), Eindhoven (1), Groningen (1), Heerlen (1), Maastricht (1), Nijmegen (1), Rotterdam (7), Tilburg (1), Utrecht (3), Venlo (1) et Zwolle (1) ; - 20 SCMR en Allemagne : Hamburg (8), Frankfurt (4), Hannover (1), Saarbrücken (1), Münster (1), Wuppertal (1), Essen (1), Köln (1), Dortmund (1) et Aachen (1) ; - 17 SCMR en Suisse : Bâle (3), Heerbrugg (1), Bern (1), Olten (2), Riehen (1), Schaffhausen (1), Solothum (1), Winterthur (1), Chur (1), Zurich (3), Bienne (1) et Genève (1) ; - 3 SCMR en Espagne : Madrid (1), Bilbao (1) et Barcelone (1 unité mobile) ; - 3 SCMR en Afghanistan à Kaboul. L’association Nejat permet aux femmes consommatrices de « [...] prendre de la drogue sur place [...] » dans les trois centres de l’association (E. De Lavarene et P. Zidi, 2004) ; - 1 SCMR en Australie à Sydney ; - 1 SCMR au Canada à Vancouver ; - 1 SCMR en Norvège à Oslo ; - 1 SCMR au Luxembourg à Bonnevoie ; - D’autres pays comme la Slovénie, le Portugal et la Belgique étudient la mise en place de SCMR. 47
  • 50. Les expériences étrangères ont participé et participent aujourd’hui encore à l’émergence d’alternatives à la prise en charge des usagers de drogues, en constituant une source d’inspiration, un vivier expérimental au sein duquel certains vont aller rechercher des modèles d’intervention susceptibles d’être reproduits en France. L’avènement et l’extension des SCMR dans plusieurs pays vont être à l’origine de transformation dans la manière de concevoir l’action sociale et ouvrir à une recomposition du système de prise en charge traditionnelle, telle est en tout cas l’hypothèse qui a guidé notre investigation. 48
  • 51.
  • 52. DES EXPÉRIENCES FRANÇAISES DE SALLE DE CONSOMMATION Même si les SCMR ne sont pas officiellement ouvertes en France, des expériences passées et présentes existent. La « maison d’accueil » d’ASUD Montpellier En mai 1994, l’association ASUD Montpellier ouvre une salle d’injection de médicaments prescrits par des médecins et met les autorités dans l’embarras (l’ouverture officielle a eu lieu le 7 octobre 1994 en présence du Maire de Montpellier et de nombreux médecins et pharmaciens lors d’une réception offerte par Bernard Kouchner). Située dans une petite maison derrière la gare ferroviaire de Montpellier et en face d’une usine à gaz, rue du Pont-des-Lattes, ASUD Montpellier permettait à une vingtaine de personnes de s’injecter à moindre risque. À l’entrée, était affiché sur la porte, la liste des pharmaciens de garde. La salle d’injection était une pièce de dix mètres carrés avec une table, des chaises, un lavabo, des plantes vertes et un conteneur pour les seringues usagées. Contre les murs, des affiches de prévention en plusieurs langues, des articles de presse, une affiche de Bob Marley et des étagères où étaient stockés seringues, cuillères, tampons alcoolisés, etc. Un règlement rappelait l’utilisation de la salle : « Casser les aiguilles de seringues après usage et les jeter dans la poubelle prévue à cet effet ; garder le lieu propre et ne pas y pénétrer à plus de deux ». À l’étage se trouvaient 50
  • 53. les bureaux d’ASUD Montpellier avec cinq salariés et des bénévoles. Dans la salle d’injection, pas de consommation d’héroïne, ni de cocaïne mais uniquement des traitements prescrits par des médecins. Le premier décembre 1994, le Préfet de l’Hérault Charles-Noël Hardy déclarait que la salle d’injection « n’était pas illégale » car « si la substitution par injection est répréhensible aux yeux du code de la santé... elle ne l’est pas à ceux de la loi ». Pour le commissaire de police Parat, « l’association ne troubl[ait] pas l’ordre public » et « nous n’av[i]ons pas constaté d’infraction, il n’y a[vait] donc pas de raison d’intervenir ». Malgré le soutien de médecins, de pharmaciens, d’associations telles que AIDES, Médecins du monde, Ensemble contre le sida et de Georges Frêche, le maire de Montpellier qui estimait que « [...] cette salle [devait] continue[r] de fonctionner comme premier sas d’accueil de toxicomanes candidats à la substitution », la Direction générale de la santé (DGS) mit fin à la salle d’injection au courant de l’été 1995 (Revue de presse ASUD, 1994-1995). Un bilan d’auto évaluation (C. Montaucieux, 1995 : 22) chiffre à 594 le nombre de visites à la « maison d’accueil » d’ASUD Montpellier durant les trois derniers mois de 1994. Pendant cette période, ont été dénombrés 364 injections de Temgésic®, 32 d’Orténal® et 57 de Monscontin® dans la salle d’injection propre fréquentée par une vingtaine de personnes par jour. Aménagement d’une SCMR dans un squat23 Cette action a eu lieu pendant plus d’un an entre 1999 et 2000 dans un bâtiment désaffecté d’une ville moyenne. Celle-ci était encadrée par une équipe de réduction des risques intervenante en rue. Le 23 Nous tiendrons secret le nom de la ville où s’est déroulée cette action, l’association qui l’a mené et les références documentaires. 51
  • 54. bâtiment désaffecté, situé en centre ville, comportait plusieurs étages avec une multitude de salle. « Ici, c’est un lieu de fix, pas de deal […]. Y’a trois shootoirs : ici, là et là-haut » expliquait un usager qui fréquentait le lieu. Une des pièces se trouvait au sous- sol du bâtiment, d’une surface d’environ soixante mètres carrés avec un carrelage marron au sol et au mur. La lumière extérieure éclairait la pièce par trois petites fenêtres situées en haut d’un des murs. Le sol était recouvert de morceaux de verre, de détritus, de bouchons de seringues, de Stéricup® usagés, de plaquettes de médicaments vides, de boîtes de bière, de restes de nourriture, de papiers, etc. Les conditions sanitaires de consommation étaient catastrophiques et l’équipe de rue c’est alors interrogée sur ce qu’elle pouvait mettre en place pour les améliorer. Au début, l’équipe de rue passait deux à trois fois par semaine rencontrer la cinquantaine de consommateurs de drogues qui fréquentait ce bâtiment, puis peu à peu tous les jours. Lors de leur réflexion, l’idée d’aménager une SCMR a fait l’unanimité au sein de l’équipe. Cependant un problème se posait : le cadre juridique avec notamment l’article 222-37 alinéas 2 du code pénal qui punit « le fait de faciliter, par quelque moyen que ce soit, l’usage illicite de stupéfiants ». Après une longue réflexion, l’équipe a décidé de mettre à disposition des usagers un bidon de javel diluée dans de l’eau, des balais et des serpillières. Suite à cela, les usagers ont décidé de nettoyer la pièce du sous-sol et de l’aménager avec des matériaux trouvés sur place : une grande planche en bois et des parpaings trouvés sur place allaient servir de table et des cagettes de chaises. La salle de consommation était précaire mais le lieu était propre. Plusieurs fois par jour, les usagers nettoyaient la pièce à l’eau de javel. L’équipe de rue passait tous les jours pour apporter et récupérer le matériel (seringues, récupérateurs de seringues, etc.) et travaillait avec les usagers autour d’une éducation sur les pratiques safer use avant, pendant et après l’injection. La SCMR pris fin avec la fermeture du bâtiment qui allait être réhabilité. La documentation de cette action ne fait pas référence à des données quantitatives. 52
  • 55. D’autres expériences de SCMR ont eu lieu sur différentes structures de réduction des risques (boutiques, bus, fêtes techno, etc.) qui ont eu chacune des résultats positifs en terme de fréquentation, d’éducation et de counselling.24 24 Le counselling est une technique d’accompagnement de type psychologique issue des pays anglo-saxons. Il a pour but de permettre à un individu de trouver en lui-même les ressources pour faire face à une situation donnée. Il est plus généralement utilisé dans toutes les démarches visant à accompagner une annonce mettant en jeu l’équilibre de la personne ou un changement de comportement. 53
  • 56. DESCRIPTION DES DIFFÉRENTES STRUCTURES ÉTUDIÉES Suisse La politique suisse en matière de lutte contre les toxicomanies est légiférée par la « LStup » du 3 octobre 1951.25 La manière dont cette loi est appliquée à travers la Suisse diffère considérablement dans toute la fédération car les cantons sont responsables de l’application des lois fédérales. D’après Marina Kroker (2003), le nombre de consommateurs de drogues dépendants est estimé (valeur moyenne) à 30 000 personnes soit 4,1 pour 1 000 habitants.26 15 000 auraient un traitement de substitution à la Méthadone®, 1 200 à l’héroïne médicalisée ; 4 000 seraient en désintoxication et 700 en traitement résidentiel. Les SCMR autorisées par le gouvernement fonctionnent sur une base relativement étendue depuis le milieu des années quatre- vingts, avec le soutien financier de celui-ci et d’organismes non gouvernementaux. L’épidémie du sida chez les consommateurs de drogues par intraveineuse a stimulé le dynamisme et la motivation 25 Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup) n°812.121 du 3 octobre 1951 (État le 26 octobre 2004). Site des autorités fédérales de la Confédération suisse [en ligne]. [réf. du 5 janvier 2005]. Format pdf. Disponible sur <http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/812.121.fr.pdf>. 26 En 2003, la Suisse comptait 7,3 millions d’habitants (Office fédérale de la statistique Suisse). 54
  • 57. nécessaires à l’ouverture de SCMR dans douze villes suisses. Bien que la Suisse interdise tout usage de drogues depuis 1975, l’article 19a de la LStup qui prévoit que : « 1. Celui qui, sans droit, aura consommé intentionnellement des stupéfiants ou celui qui aura commis une infraction à l’art. 19 pour assurer sa propre consommation est passible des arrêts ou de l’amende. 2. Dans les cas bénins, l’autorité compétente pourra suspendre la procédure ou renoncer à infliger une peine. Une réprimande peut être prononcée. 3. Il est possible de renoncer à la poursuite pénale lorsque l’auteur de l’infraction est déjà soumis, pour avoir consommé des stupéfiants, à des mesures de protection, contrôlées par un médecin, ou s’il accepte de s’y soumettre. La poursuite pénale sera engagée, s’il se soustrait à ces mesures. 4. Lorsque l’auteur sera victime d’une dépendance aux stupéfiants, le juge pourra ordonner son renvoi dans une maison de santé. L’art. 44 du code pénal suisse est applicable par analogie. » a permis de rendre possible l’ouverture légale des SCMR. La licéité des SCMR a été examinée dans un avis de droit formulé par le Professeur Hans Schultz (1989) et n’est actuellement pas remis en cause. Depuis 1991, la politique de santé publique menée par la confédération et les cantons, appelée politique des quatre piliers : 1. Prévention ; 2. Thérapie et réintégration ; 3. Réduction des risques et aide à la survie et 4. Répression et contrôle, a profondément transformé la scène de la drogue. C’est cette transformation visible qui a convaincu les citoyens suisses de l’utilité de ces nouvelles approches. En 1997, la politique de la confédération en matière de drogues, a été soutenue par 71 % de la population lors du rejet par le parlement de l’initiative « Jeunesse 55
  • 58. sans drogue », qui réclamait le retour à une politique fondée sur la seule abstinence.27 Le processus qui a conduit à l’ouverture de structures légales fut donc évolutif et étalé sur plusieurs années. Il y eut d’abord un certain degré de tolérance à l’égard de lieux publics de consommation de drogues tel que le Platzpitz puis le Letten à Zurich (1989). Ces scènes ouvertes appelées également par ces détracteurs « toxicoland » et « sidaland », étaient fréquentées par plus de mille consommateurs de drogues âgés entre 16 et 30 ans et il y était distribué plus de 12 000 seringues par jour par la municipalité. Mais des pressions forcèrent le gouvernement à fermer ces lieux. Devant l’échec de ce geste, des lieux autorisés ont été créés. Chaque SCMR comprend généralement un comptoir de type bar (sans alcool), une salle de counselling, une infirmerie et un ou deux espaces de consommation à moindre risque (un espace d’injection et pour quelques-unes, un espace d’inhalation)28. L’espace d’injection comporte des tables en acier inoxydable sur lesquelles les usagers préparent leur propre drogue et se l’injectent à l’aide du matériel fourni (seringue stérile, eau stérile, cuillère stérile, coton, pansement, bougie, garrot et récupérateur de seringues). L’espace d’inhalation est présenté « comme une réponse à l’apparition de nouvelles populations de consommateurs de drogue et à un changement dans les pratiques de consommation » (F. Zobel et F. Dubois-Arber, 2004 : 9). Anita Marxer (1998), directrice de la Low Threshold Agency à Berne, insiste sur ce qui n’est pas fourni et n’est pas permis : « Pas la drogue, bien sûr, ils doivent apporter la leur. Nous avons aussi des règles très strictes ; les usagers peuvent rester ici pendant une 27 Voir initiative populaire fédérale « Jeunesse sans drogue ». Site des autorités fédérales de la Confédération suisse [en ligne]. [réf. du 26 juillet 2004]. Format html. Disponible sur <http://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vi232.html>. 28 Une dizaine de SCMR en Suisse possède également un espace d’inhalation à moindre risque. 56
  • 59. demi-heure et ils ne peuvent pas vendre ou acheter de drogues, ni même en faire cadeau à quelqu’un, dans la structure. S’ils désobéissent à ces règles, ils reçoivent une sanction et ne peuvent plus revenir durant deux jours [trad.] ». Les intervenants ne peuvent pas aider les usagers à s’injecter ; un intervenant doit être présent dans la salle d’injection à moindre risque en tout temps ; des médecins y travaillent quelques heures par semaine et la structure est ouverte sept heures par jour, de cinq à six jours par semaine.29 Tous les intervenants reçoivent une formation en réanimation et sont en mesure d’orienter les usagers vers des structures de traitement de la toxicomanie ou à des services de counselling. Anita Marxer (1998) explique : « Ici, nous acceptons les gens comme ils sont. Nous ne leur disons pas de devenir sobres, mais quand ils veulent le faire, nous les aidons à franchir la prochaine étape. Mais nous les acceptons d’abord comme ils sont ; aussi, ils doivent avoir plus de 16 ans. Et la première injection n’est pas permise ici. C’est très important [...] c’est tout à fait interdit [trad.] ». 29 Pour comparer les différents fonctionnements de SCMR, nous donnons ici, une synthèse du fonctionnement des SCMR allemandes. Ralf Gerlach et Wolfgang Shneider (2003) expliquent dans un rapport que « les usagers ont plus de 18 ans ; ils n’en sont pas à leur première injection ; ils ne suivent pas un traitement de substitution ; ils ne démontrent pas de tendance à la violence ; ils ne dealent pas ou ne partagent pas de drogues sur le site ; ils ne font pas d’injection à d’autres usagers ; et ils peuvent rester sur le site environ 10 minutes pour les injecteurs et 20 minutes pour les fumeurs. Les usagers n’ont pas à s’inscrire, mais leur identité est vérifiée. Le personnel se compose de travailleurs sociaux, d’infirmières, de médecins et, dans certains cas, d’anciens usagers de drogues. Un intervenant supervise le lieu en tout temps et aucun intervenant ne peut offrir d’assistance pour l’injection ». A Francfort, les résultats d’autopsie ont montré une baisse du taux d’infection à VIH parmi les utilisateurs de drogues : passant de 63 % - 65 % en 1985 à 12 % - 15 % en 1994. Cette baisse est attribuée à la stratégie intégrée de réduction des risques de Francfort, qui comprend des SCMR et une variété d’autres services d’accueil à bas seuil d’accès des usagers de drogues (M. Franck, 2000). 57
  • 60. Carmen Ronco et al. (1994), Kate Dolan et al. (2000) et Frank Zobel et Françoise Dubois-Arber (2004) décrivent le degré de succès des mesures suisses pour réduire les risques associés à l’usage de drogues. Par exemple, chaque jour, les SCMR de Zurich et celles de Bâle reçoivent environ 100 usagers chacun. Dans trois structures de Zurich, il a été compté près de 68 000 injections en une année ; 3 000 abcès ont été traités ; 22 personnes ont été réanimées ; et il y a eu 10 interventions des ambulanciers. Kate Dolan et al. (2000 : 341) soulignent « [qu’]aucun décès n’est survenu dans les salles d’injection suisses, jusqu’ici ; des intervenants croient que cela aurait entraîné une diminution du nombre de décès par surdose, dans la communauté [trad.] ». Les SCMR suisses ont eu un impact positif, au-delà de l’amélioration immédiate de la santé des consommateurs de drogues : elles ont atténué la nuisance publique en réduisant le nombre de seringues jetées à la rue (C. Ward, 2000). Quai 9 (Genève) Historique Le canton de Genève est frontalier avec la ville française d’Annemasse et compte, au dernier recensement, 434 500 habitants.30 Le nombre de personnes « toxico-dépendantes » aux opiacés est estimé à 2 500, soit 5,7 pour 1 000 habitants. 1 500 auraient un traitement de substitution à la Méthadone®, 50 à l’héroïne médicalisée ; 300 seraient en désintoxication et 66 seraient en traitement résidentiel (M. Kroker, 2003). La création de l’espace d’accueil avec possibilité d’injection à moindre risque Quai 9 est une mesure qui entre dans le cadre de la politique suisse de réduction des risques liés à la consommation de 30 Source : État de Genève, 2003. 58
  • 61. stupéfiants. C’est dans ce cadre que le canton de Genève a mis en place en 1991 le premier programme d’échange de seringues en Suisse romande : le BIPS (Bus Itinérant Prévention Sida). À cette époque, des SCMR étaient déjà ouvertes en Suisse allemande mais restaient proscrites à Genève. Malgré une diminution de la contamination par le VIH, le besoin d’améliorer les conditions d’hygiène de l’injection est très vite apparu, au travers le travail du BIPS, avec notamment l’augmentation de la consommation de cocaïne et d’autres produits qui a aggravé la précarité des consommateurs sur le plan social et sanitaire. Face à ce constat, le Groupe sida Genève a déposé en 1994, un projet de SCMR. En mars 2000, le Grand Conseil adopte une motion31 demandant au Conseil d’État l’ouverture d’une SCMR à titre expérimental. Ce dernier confie le mandat en mai 2001, au Groupe sida Genève.32 La structure ouvre ses portes le 26 décembre 2001 avec pour objectifs de : 1- réduire les conséquences négatives liées à la consommation de drogues ; 2- promouvoir la santé des usagers de drogues en renforçant les comportements de prévention ; 3- encourager le maintien du lien social, limiter les situations d’exclusion ; 4- améliorer la situation du voisinage ; 5- favoriser l’accès aux autres institutions. En septembre 2004, le Groupe sida Genève a transféré toutes ses actions de réduction des risques liés à l’usage de drogues 31 Motion M 1332 du 17 mars 2000 « demandant l’ouverture rapide de lieux d’accueil en faveur des toxicomanes ». 32 Rapport M 1332-A du 21 mai 2001 du Conseil d’État au Grand Conseil sur la motion M 1332 du 17 mars 2000. 59
  • 62. (BIPS, Boulevards, Travail de rue et Quai 9) à une nouvelle association créée à cette occasion, « Première ligne ». Description de Quai 9 En arrivant à la gare ferroviaire Cornarin de Genève, nous avons demandé, à un quidam, la localisation de la SCMR. Sans en faire un problème, celui-ci nous a donné des informations précises. Sur le chemin en direction de la structure, nous avons demandé notre chemin à un autre passant. Sans hésiter, il nous indique du doigt un bâtiment modulaire de couleur orange. Quai 9 est implanté sur un terrain mis à disposition par la ville de Genève. Sur la porte d’entrée, il y a plusieurs affiches informant les usagers de drogues que toutes les formes de deal entraîneront une exclusion automatique d’un mois de la structure (cf. Annexe n°5, p. 173). Quai 9 est composée d’un espace d’accueil non fumeur33 qui est le point central de la structure, avec un comptoir de type bar sur une musique d’ambiance où des boissons sans alcool et des en-cas (yoghourts, céréales, fruits, etc.) sont vendus. Cette vente permet de rémunérer un usager intervenant quelques heures par jour derrière le bar (cf. Annexe n°6, p. 175). À l’arrière du bar se trouve également le matériel de réanimation médical en cas d’overdose. On trouve également dans l’espace d’accueil, une fontaine à eau, un lavabo, un espace de parole formelle ou informelle avec deux grandes tables, un petit espace salon avec trois fauteuils et un PES situé au bar près de l’entrée. Celui-ci 33 Afin de passer d’un lieu d’accueil fumeur à non-fumeur, une campagne de prévention nommée « 1 jour de plus, par semaine, jusqu’au lundi 11 avril 2005 » a été menée. On pouvait lire sur des panneaux d’affichage des messages du type : « Stop à la fumée passive au Quai 9 ! Dès le lundi 28 février 2005... si vous faisiez une petite pause « sans clope » et « sans alcool » ?... Pour une injection à moindre risque. Pour lire le journal. Pour un soin ou un conseil. Nous nous réjouissons de continuer à vous accueillir dans un lieu sans fumée ! ». 60
  • 63. fonctionne sous forme de consigne. Il y a également une infirmerie avec du matériel de réanimation médical et contre le mur, les différents protocoles de soins, une salle d’injection à moindre risque qui peut recevoir six personnes à la fois, une douche, un local de stockage, des toilettes et vestiaires pour le personnel et deux toilettes sécurisées pour les personnes accueillies afin d’éviter toutes possibilités d’overdoses mortelles à l’intérieur. Le premier étage de la structure est réservé à l’administratif et au travail d’équipe. En dehors de la salle d’injection à moindre risque, la structure ressemble à une boutique française. Plan d’organisation de Quai 9 e e e WC C m h Wm Cm c u du personnel Infirmerie e F Wm o o H D Salle d’injection à moindre risque Bar Espace d’accueil Pièce de stockage PES Accès étage À l’entrée de la salle d’injection à moindre risque, on peut lire son règlement de fonctionnement (cf. Annexe n°4, p. 171). Au- dessus de la porte est accroché un écran digital à numéro comme à la poste (les tickets sont donnés au PES). La salle est une petite pièce rectangulaire, de couleur jaune, éclairée par des néons et par la lumière du jour passant à travers des fenêtres situées en hauteur. À l’entrée, se trouve un lavabo avec du savon, du désinfectant et un comptoir où se trouve l’intervenant et où sont disposés des cuillères stériles, le reste du matériel d’injection stérile et le matériel de réanimation médical. Derrière celui-ci, un autre lavabo. Sur les murs sont affichés des informations sur les différents points 61
  • 64. d’injection de l’homme et de la femme et ceux refusés à Quai 9, les protocoles de décontamination des cuillères34 et du nettoyage du sol. Les six places d’injection à moindre risque sont disposées face au mur tout autour de la pièce. Deux paravents sont à disposition pour les consommateurs qui désirent un peu d’intimité. Il y a une alarme lumineuse à coté du comptoir afin de prévenir l’équipe située à l’accueil en cas de situation problématique et une alarme sonore en cas d’overdose. Fonctionnement de Quai 9 Quai 9 est ouvert tous les jours avec des plages horaires de 7 heures (lundi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 12h à 19h, mercredi de 19h à 21h l’ouverture est réservée aux femmes et mardi et jeudi de 14h à 21h). Un « moment convivial homme » allait être mis en place quelque temps après notre visite (tous les 15 jours). Pour permettre le bon fonctionnement de la structure, certaines règles doivent être respectées. Ces règles peuvent être déclinées en trois grand principes : 1- les mineurs n’ont pas accès à la salle d’injection à moindre risque ; 2- pas de trafic dans et autour des locaux et de consommation hors de la salle d’injection à moindre risque et 3- respect de la convivialité et des personnes présentes. Il est également rappelé aux usagers que la consommation de drogues est un acte illégal. L’équipe est composée d’un directeur, d’une coordinatrice, de 4 infirmiers et de huit travailleurs sociaux. Un médecin est également présent trois fois par semaine. Le travail à Quai 9 est divisible en quatre postes que chaque membre de l’équipe occupe durant une journée avec une rotation toutes les heures : 34 Sur recommandations des Hôpitaux universitaires de Genève. 62
  • 65. Poste 1 - accueil : accueillir les usagers de drogues, évaluation des situations, remettre un ticket aux personnes voulant utiliser la salle d’injection, PES, gérer le bar et les toilettes ; Poste 2 - salle d’injection : gestion des entrées, observation des comportements, donner des conseils d’hygiène, distribution du matériel d’injection, alerter en cas d’overdoses ou surdoses, relever les statistiques ; Poste 3 - disponibilité - accueil - collectif : gestion de l’espace d’accueil et du périmètre extérieur (deal, attroupement, violence). Disponibilité envers les usagers et faire respecter le règlement ; Poste 4 - satellite : renforcer et compléter les autres pôles. Le satellite passe très régulièrement dans la salle d’injection. Dans ce type de structure, le premier contact est extrêmement important. C’est à ce moment que les choses vont se jouer. En situation normale où le degré d’affluence est facilement gérable par les intervenants, l’accueil fait l’objet d’une attention particulière. Chaque moment, chaque occasion sont investis de sens et utilisés comme autant de supports à la construction d’une relation. Julie Dalkiewicz (C. Mani et al., 2003 : 22), travailleuse sociale à Quai 9 explique que « [...] c’est grâce à la place que nous avons tenu de réserver à l’accueil, que des liens peuvent se créer avec les personnes qui souhaitent bénéficier du cadre de Quai 9 pour leur consommation de drogues. Cette dernière semble être la motivation première pour toute personne qui franchit les portes de Quai 9. La suite peut prendre un sens différent pour les utilisateurs et les utilisatrices du lieu, lorsque la confiance vis-à-vis de nous s’est établie, permettant ainsi des échanges, des plaisanteries ou alors des conversations plus intimes [...] ». Toutefois, en l’absence d’une cohésion interne et de l’implication des usagers, la situation peut devenir rapidement 63
  • 66. critique. Plus l’affluence est importante, plus le temps des intervenants pour essayer de créer une relation individualisée est limité. Ces phénomènes sont éclairants des paradoxes portés par les interventions auprès de ce public, quand elles ne sont pas relayées ou appuyées par d’autres équipes ou l’existence d’autres perspectives. Même si comme l’explique Julie Dalkiewicz (C. Mani et al., 2003 : 22-23) « [...] le lien se construit aussi à travers les conflits. Lorsque les limites du cadre sont dépassées, il nous faut interdire pour une certaine durée l’accès à la salle d’injection, voire à l’intégralité de Quai 9. Malgré la difficulté que cela peut représenter, la sanction permet d’exprimer que l’on se préoccupe de la personne et qu’elle compte, au même titre que les autres [...] », ce type de situation amène les intervenants à focaliser toute leur attention sur les questions relatives au maintien de l’ordre et à l’évitement des transgressions, au détriment d’un travail relationnel auprès des usagers. À cela se rajoute la présence quasi quotidienne d’un policier en civil devant Quai 9, augmentant ainsi le phénomène de « contrôle social » (A. Coppel et O. Doubre, 2004). Insertion dans le quartier L’insertion dans le quartier ne s’est pas faite sans problème. À l’ouverture et malgré la présence d’une « scène » de la drogue dans le quartier, la communauté n’a pas accepté d’être mise sur le fait accompli, cela par l’intermédiaire d’articles de journaux. Dans un premier temps, le phénomène NIMBY (Not In My Backyard. Pas dans mon jardin) c’est logiquement développé dans le quartier d’implantation de Quai 9. Ce réflexe NIMBY de la communauté a permis à Quai 9 de mettre en place une politique de concertation avec celui-ci (réunions avec les habitants35, réunions avec les 35 Cinq réunions avec le voisinage ont eu lieu en 2004, regroupant entre 20 et 30 personnes chaque fois. 64
  • 67. autorités policières). Le journal « Quoi de 9 au Quai 9 », publié à 3 000 exemplaires et distribué dans le quartier, montre la volonté de Quai 9 à communiquer sur son travail et, la création d’une équipe de ramassage de seringues usagées36, témoigne également d’une volonté de réduire les dommages et les nuisances dans le quartier. Pour Christophe Mani (2005 : 20) l’intégration de Quai 9 dans le quartier d’implantation a pu être effectuée car certains éléments ont été pris en considération : - l’adaptation du projet à la réalité locale (ville - pays) ; - la situation de l’espace de prévention près des lieux de marché de la drogue et de consommation ; - l’intégration de l’espace dans le tissu social (visible et non isolé) ; - prise en compte du voisinage en sachant que ce type de structure fait peur ; - prise en compte des tensions entre les logiques de santé publique et les logiques d’ordre public (D. Kübler et al., 1997). Groupe de pilotage et évaluation Le groupe de pilotage, présidé jusqu’en 2004, par Annie Mino, directrice générale de la santé est composé de dix membres provenant de différents services et structures concernés par le problème de la toxicomanie à Genève et de cinq membres invités. Il a pour mission de s’assurer que les moyens mis en place sont en adéquation avec les objectifs fixés, de veiller au respect de l’ordre public, d’assurer le suivi de l’évaluation et de faire des recommandations. Le rapport d’activité 2002 (C. Mani et al., 2003) et le rapport d’évaluation publié en avril 2003 (F. Benninghoff 36 Cette équipe est composée de six usagers de drogues intervenant du lundi au samedi de 8h 30 à 10h 30 : 2 500 seringues usagées ont été ramassées en 2004. 65