2. Illustration de Steinberg qui est utilisée comme couverture pour La cantatrice chauve de Ionesco dans l’édition Folio Gallimard
3. Introduction (1)
Quelques éléments de définition
• Le mot « langage » a deux sens principaux.
Au sens large, il désigne tout système ou
dispositif qui permet de communiquer et donc de
transmettre des informations. Ex : le langage du
corps, le langage de l’art, le langage informatique,
etc.
Au sens strict, le langage est la faculté qui permet
à l’homme de s’exprimer et de communiquer avec
ses semblables, grâce à un système de signes
vocaux et graphiques.
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4. Introduction (2)
• Depuis Saussure, on distingue le langage, la
langue et la parole.
Tous les hommes possèdent le langage, c’est-à-
dire la capacité de s’exprimer et de communiquer.
Mais, à l’évidence, ils ne parlent pas tous la
même langue.
Chaque communauté a sa propre langue, c’est-à-
dire son propre système de signes.
Chaque individu apprend une langue et l’utilise
pour communiquer. L’usage singulier qu’il fait de
la langue constitue la parole.
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5. Cf. Émile Benveniste :
« Le langage, faculté humaine, caractéristique universelle et
immuable de l’homme, est autre chose que les langues,
toujours particulières et variables, en lesquels il se réalise. »
(Problèmes de linguistique générale, p.19)
La distinction entre langage, langue et parole
Langage Faculté Universelle et
innée
Humanité
Langue Système de
signes
Particulier et
acquis
Société
Parole Acte Singulier Individu
6. Introduction (3)
Langage, humanité et société
Le langage est doublement important.
1) Il définit notre humanité. Depuis Aristote, on
considère le langage comme le propre de
l’homme : « seul parmi les animaux l’homme
a un langage » (Les politiques, I, 2). Aristote
en déduit que l’homme est fait pour vivre dans
une cité et donc qu’il est un « animal
politique ». Selon lui, les animaux ne parlent
pas. Cf. la distinction entre la parole (logos) et
la voix (phonè).
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7. Introduction (4)
2) Le langage, non seulement nous distingue
des animaux, mais fait de nous des êtres
sociaux. Langage et société vont de pair.
• Il n’y a pas de langage sans société. C’est
parce qu’il vit en société que l’homme parle :
c’est la présence d’autrui qui rend à la fois
possible et nécessaire le développement du
langage.
• Inversement, il n’y a pas de société sans
langage. C’est parce que l’homme parle qu’il
vit en société. Le langage fonde le lien social.
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8. Introduction (5)
Problématisation
Que le langage soit un instrument de
communication, cela semble évident. Grâce au
langage, les hommes peuvent transmettre des
messages, échanger des informations.
Pourtant, une telle conception du langage, aussi
évidente soit-elle, n’est-elle pas réductrice ?
Plusieurs difficultés apparaissent.
1) La communication est l’une des fonctions
essentielles du langage, mais elle n’est pas la
seule : quelles sont donc les autres fonctions du
langage ?
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9. Introduction (6)
2) Les animaux aussi communiquent entre eux. Si
parler revient à communiquer, on peut être tenté
d’accorder aux animaux une forme de langage.
En quoi le langage est-il spécifiquement humain ?
3) Lorsqu’on parle, on cherche les mots adéquats
pour exprimer ce qu’on pense. La pensée
semblerait précéder le langage, et exister
indépendamment de celui-ci. Mais est-ce le cas ?
Loin d’être un simple instrument de
communication, le langage n’est-il pas une
condition de la pensée elle-même ?
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10. Introduction (7)
4) Une autre difficulté vient du mot « instrument ».
Considérer le langage comme un instrument, c’est
le réduire au statut de simple moyen, plus ou
moins utile et efficace, pour atteindre les fins
qu’on vise. C’est implicitement le déprécier. Peut-
on considérer le langage, non comme un moyen,
mais comme une fin en soi ?
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11. 1. Langage et communication (1)
a) Le langage comme instrument de
communication
Cf. John Locke, Essai sur l’entendement humain,
III, 2.
Le langage : un outil nécessaire et efficace
La communication est la fonction première du
langage.
Si les hommes parlent, c’est d’abord pour
communiquer, c’est-à-dire étymologiquement
mettre en commun, partager leurs propres
pensées.
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12. 1. Langage et communication (2)
• Selon Locke, les hommes ont besoin du langage
pour une double raison :
1) Les pensées sont des états mentaux privés.
Seul celui qui pense sait ce qu’il pense.
2) La vie en société n’est possible et n’a
d’intérêt que si les hommes échangent leurs
pensées.
Parler, c’est donc extérioriser ses pensées, afin
de les faire connaître. Grâce au langage, autrui
peut connaître mes pensées, et je peux connaître
les siennes.
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13. 1. Langage et communication (3)
• Le langage apparaît comme un outil efficace.
Si les hommes parlent, c’est parce qu’ils n’ont pas
trouvé de meilleur moyen pour communiquer : 1)
la transmission du message se fait de manière
instantanée ; 2) les locuteurs ont peu d’efforts à
fournir ; 3) ils peuvent communiquer une infinité
de messages différents.
Il leur suffit d’être à faible distance, d’avoir leurs
appareils de phonation et d’audition en bon état
de fonctionnement, de maîtriser une langue
commune.
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16. 1. Langage et communication (4)
Les caractéristiques du langage humain
1) La nature du signe linguistique
Cf. Ferdinand de Saussure (1916).
Le signe linguistique est l’union arbitraire d’un
signifiant et d’un signifié.
Le signifiant = l’image acoustique
Le signifié = le concept (et non pas la chose)
L’union est arbitraire, c’est-à-dire immotivée : on
n’a aucune raison d’utiliser le mot « sœur » pour
signifier l’idée de sœur ; on aurait pu choisir un
mot différent.
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18. 1. Langage et communication (5)
2) La double articulation
Cf. André Martinet (1960).
On peut décomposer un énoncé linguistique en
unités de sens, lesquelles se décomposent, à leur
tour, en unités de son.
On appelle « monème » la plus petite unité
signifiante, et « phonème » la plus petite unité
sonore.
Cette double articulation permet une économie
de moyens : avec un nombre limité de phonèmes
et de monèmes, on peut produire un nombre
illimité d’énoncés.
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19. 1. Langage et communication (6)
b) La question du langage animal
Les animaux communiquent entre eux. Mais peut-
on dire pour autant qu’ils parlent ?
L’exemple de la danse des abeilles
Cf. Karl Von Frisch (1886-1982).
Quand une abeille découvre une source de
nourriture, elle transmet l’information aux autres,
en effectuant deux types de danse. Von Frisch a
découvert que chaque type de danse transmet
une information spécifique. Les abeilles ont donc
un code !
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20. Le langage des abeille selon Karl Von Frisch (1948)
Danse en cercle : butin situé à
faible distance, jusqu’à 100 m
environ autour de la ruche.
Danse en huit : butin situé au-
delà de 100 m et jusqu’à 6 km.
L’abeille transmet deux autres
informations : 1) la direction
(l’axe du 8 par rapport au soleil) ;
2) la distance (vitesse
d’exécution).
21. 1. Langage et communication (7)
Les différences avec le langage humain
Cf. Émile Benveniste (1966).
1) La communication des abeilles n’est pas
vocale, mais gestuelle. 2) La transmission du
message est unilatérale : elle n’appelle aucune
réponse, mais une action. Il n’y a pas de dialogue.
3) Le contenu du message est fixe : il se rapporte
toujours à la nourriture, et à son emplacement. Le
langage humain, par opposition, peut transmettre
une infinité de contenus différents. 4) Le message
(la danse) ne se laisse pas analyser ou
décomposer.
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22. 1. Langage et communication (8)
→ Conclusion de Benveniste : il y a une
communication animale, mais il n’y a pas de
« langage animal ». Les abeilles, à défaut d’avoir
un véritable langage, ont seulement « un code de
signaux ».
Il faut distinguer le signal et le symbole :
Signal : signe naturel ou conventionnel qui
déclenche une action. On réagit à un signal.
Symbole : signe qui renvoie à un sens et doit
donc être interprété.
« L’homme invente et comprend des symboles ;
l’animal, non ».
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23. 1. Langage et communication (9)
Le langage est le propre de l’homme
Cf. Descartes, « Lettre du 23 novembre 1646 au
Marquis de Newcastle ».
Le langage permet d’établir une différence de
nature entre l’homme et l’animal. Seul l’homme
parle. Les animaux ne parlent pas.
1) Parler, ce n’est pas nécessairement émettre
des sons. Il suffit d’utiliser des signes. 2) Mais
encore faut-il le faire à propos, c’est-à-dire en
fonction du contexte, et non de manière
mécanique. 3) Enfin, pour parler, il faut exprimer
une pensée, et non des passions.
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24. 1. Langage et communication (10)
→ « ... la parole étant ainsi définie, ne convient
qu’à l’homme seul ».
Les animaux émettent, certes, des sons, mais de
manière mécanique, et seulement pour exprimer
leurs passions. Ils ne font que réagir aux stimuli
(internes ou externes) auxquels ils sont soumis.
S’ils ne parlent pas, c’est parce qu’ils ne pensent
pas. Descartes en déduit qu’ils n’ont pas d’âme.
Cf. La théorie des animaux-machines : l’animal
agit toujours, tel un automate, en étant déterminé
par son corps.
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25. L’animal L’homme
Corps comparable à une
machine
Union de l’âme et du corps
Emission de sons Utilisation de signes
Passions Pensée
Déterminisme
(rapport de cause à effet)
Liberté
(expression libre d’un sens)
L’homme et l’animal : une différence de nature
« On ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements
naturels, qui témoignent les passions (…). » (Discours de la
méthode, V)
« La parole est l’unique signe et la seule marque assurée de la
pensée cachée et renfermée dans les corps. » (« Lettre à
Morus » du 5 février 1649)
26. 1. Langage et communication (11)
Transition : pour parler, il ne suffit pas de
communiquer ; il faut penser. Il n’y a pas de
langage sans pensée.
Mais comment concevoir la relation entre le
langage et la pensée ?
Considérer le langage comme un instrument de
communication, c’est présupposer : a) que le
langage est capable d’exprimer la pensée ; b) que
celle-ci a une existence indépendante et
antérieure à son expression linguistique.
Ces deux présupposés ne vont pas de soi.
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27. 2. Langage et pensée (1)
a) Les limites du langage
Cf. H. Bergson, Essai sur les données
immédiates de la conscience (1889) et Le rire
(1900).
Bergson développe une double critique du
langage :
1) Le langage est un instrument imparfait. S’il est
utile pour la vie en société, il est incapable de
retranscrire fidèlement la pensée.
2) Il n’est pas un instrument neutre. Il a des effets
sur notre perception de la réalité.
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28. 2. Langage et pensée (2)
1) Le langage comme instrument imparfait
Notre vie intérieure est composée d’une
multiplicité de sentiments particuliers, qui
changent sans cesse, et qui s’interpénètrent. Or,
le langage ne peut en rendre compte. Il est
incapable de retranscrire fidèlement nos
sentiments. Les mots, étant généraux et
communs, ne peuvent exprimer les sentiments
personnels dans leur singularité. Il y a donc de
l’indicible ou de l’ineffable : le vécu personnel
est irréductible aux mots et aux concepts qu’ils
désignent.
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29. « La pensée demeure incommensurable
avec le langage »
Selon Bergson, le langage ne peut exprimer la pensée
qu’en l’altérant : il la fige dans les mots et la rend
impersonnelle. Ainsi, il y aura toujours un écart entre cet
amour que je ressens et qui est le mien – sentiment
singulier qui change dans le temps et se mêle à mes autres
sentiments – et le mot « amour » dont je dispose pour
l’exprimer : ce mot est nécessairement général, commun, et
conventionnel.
La pensée Le langage
Singularité Généralité
Changement Fixité
Individu Société
30. 2. Langage et pensée (3)
2) Le langage comme prisme déformant
Nous regardons les choses à travers le prisme
des mots. Notre perception du réel est ainsi
réduite ou altérée. Du réel, nous ne voyons que
les éléments communs et fixes, tels qu’ils sont
rapportés par les mots. La singularité des choses
et leur caractère mouvant ou changeant nous
échappent.
Au filtre du langage s’ajoute le filtre des besoins.
L’homme ne voit du réel que ce qui l’intéresse
pour son action. Le langage lui-même répond à
des besoins. Il reste chez Bergson un outil.
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31. Le mot
« arbre »
Le concept
d’arbre
Bergson : « Nous ne voyons pas les choses mêmes »
(idée abstraite)
Les arbres
(concrets)
32. 2. Langage et pensée (4)
b) La pensée dépend-elle du langage ?
Notre expérience la plus commune, lorsque nous
parlons, nous indique que :
1) la pensée est antérieure au langage : nous
pensons, puis nous cherchons à exprimer ce que
nous pensons avec des mots ;
2) la pensée est indépendante du langage, et en
particulier, de la langue : une même pensée peut
être exprimée dans des langues différentes ; le
choix de la langue semble être indifférent, n’avoir
aucun impact sur la pensée.
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33. Le langageLa pensée
?
La neige est blanche
« La neige est blanche »
« Snow is white »
« Der Schnee ist weiß »
« La neve è bianca »
« La nieve es blanca »
Etc…
34. 2. Langage et pensée (5)
Langage et vision du monde
Cf. Benjamin Lee Whorf, « Science et
linguistique » in Linguistique et anthropologie
(1956).
Selon Sapir et Whorf, l’expérience commune
nous trompe. La langue est antérieure et
conditionne la pensée. Les structures de notre
langue déterminent, à notre insu, non seulement
nos pensées, mais notre façon de percevoir le
monde.
Loin d’être un instrument neutre, la langue
véhicule une vision du monde.
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35. 2. Langage et pensée (6)
→ Les deux ethnologues défendent un
relativisme linguistique : deux individus parlant
des langues différentes n’auraient pas la même
perception du réel, vivraient, à la limite, dans des
mondes différents.
Cf. É. Benveniste : « Nous pensons un univers
que notre langue a déjà modelé ».
Selon Whorf, un tel fait est patent, lorsqu’on
examine d’autres langues que les langues indo-
européennes, comme la langue Hopi. Un indien
Hopi n’aurait pas le même rapport au temps et à
l’espace que nous !
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36. 2. Langage et pensée (7)
Le contrôle de la pensée
L’hypothèse selon laquelle la langue détermine la
pensée est explorée par Orwell dans son roman
d’anticipation, 1984.
Si « la pensée dépend des mots », alors un État
totalitaire qui imposerait à ses citoyens une
nouvelle langue (Newspeak) pourrait, du même
coup, contrôler leur pensée.
L’élimination de certains mots (ou la modification
de leur sens) aurait pour effet, à long terme, la
disparation des idées auxquelles ils sont
associés. Ex : la liberté.
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37. 2. Langage et pensée (8)
Objections
1) Contre Sapir et Whorf : des tests ont prouvé
que les hommes reconnaissent les couleurs à peu
près de la même manière, quelle que soit la
langue qu’ils parlent. Cf. J.-C. Pariente : « La
relativité culturelle a des effets beaucoup plus
limités qu’on ne s’y attendait ».
2) Contre Orwell : la pensée est influencée par la
langue, mais elle n’en est pas prisonnière. En
témoigne le fait que, lorsque les hommes n’ont
pas de mots pour exprimer ce qu’ils pensent, ils
peuvent encore les inventer.
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38. 2. Langage et pensée (9)
c) Il n’y a pas de pensée sans langage
Cf. Hegel, Encyclopédie des sciences
philosophiques, tome III : La philosophie de
l’esprit (1817-1830).
Penser et parler sont les deux faces
indissociables du même processus. Parler, c’est
penser. Inversement, penser, c’est parler. Le
langage n’est pas un simple instrument de
communication : il est la condition essentielle du
développement de la pensée elle-même. « C’est
dans les mots que nous pensons ».
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39. 2. Langage et pensée (10)
1) On ne peut pas penser sans les mots.
Selon Hegel, toute pensée véritable se réalise
dans le langage, s’accomplit à travers lui. Parler,
c’est extérioriser ses pensées, non pas tant pour
les communiquer, que pour les déterminer, les
mettre en forme, et ainsi en prendre conscience.
Je sais vraiment ce que je pense qu’au moment
où je le dis. C’est seulement une fois verbalisée
que ma pensée acquiert un contenu déterminé.
Avant la verbalisation, il n’y a qu’une pensée
confuse et vague.
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40. 2. Langage et pensée (11)
→ Hegel distingue ainsi deux formes de pensée :
① La pensée pré-linguistique n’est pas une
pensée véritable ou authentique : il s’agit d’un
processus mental inabouti et donc toujours
indéterminé. Il y a de la pensée, et pourtant rien
n’est véritablement pensé !
② La pensée véritable est linguistique : elle
s’accomplit dans les mots. La mise en mots est
une mise en ordre. La pensée se détermine, se
précise. Il n’y a donc pas d’antériorité de la
pensée sur le langage, mais plutôt synchronie.
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41. 2. Langage et pensée (12)
2) La critique de l’ineffable
Selon Hegel, on a tort de critiquer le langage,
sous prétexte qu’il est incapable d’exprimer la
pensée. On a tort, du même coup, de valoriser
l’ineffable. L’ineffable, ce n’est rien d’autre que
« la pensée obscure », « la pensée à l’état de
fermentation » : celle qui n’a pas assez mûri pour
pouvoir été verbalisée.
Certains philosophes croient avoir une pensée
supérieure, subtile et fine, que le langage ne peut
exprimer : en fait, dit Hegel, c’est simplement
qu’ils pensent mal.
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42. 2. Langage et pensée (13)
Remarque : l’expression commune « chercher
ses mots » est donc trompeuse.
Elle suggère que la pensée est antérieure au
langage, qu’elle est déjà constituée et qu’il suffirait
de choisir les bons mots pour la communiquer.
En fait, celui qui « cherche ses mots » cherche
aussi, d’une certaine manière, sa pensée. Au
moment même où il parle, s’il hésite, c’est parce
que sa pensée n’est pas encore tout à fait
aboutie, achevée : il est justement en train de
l’élaborer.
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43. Cf. Ferdinand de Saussure : « Psychologiquement,
abstraction faite de son expression par les mots, notre
pensée n'est qu'une masse amorphe et indistincte.
Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à
reconnaître que, sans le secours des signes, nous
serions incapables de distinguer deux idées d'une
façon claire et constante. Prise en elle-même la pensée
est comme une nébuleuse où rien n'est
nécessairement délimité. Il n'y a pas d'idées
préétablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de
la langue. » (Cours de linguistique générale, Deuxième
partie, chapitre IV, §1)
Le langage : une condition
de réalisation de la pensée ?
44. Destinateur Destinataire
Contact
Code
Les six fonctions du langage selon Roman Jakobson
Contexte ou référent
Message
1) Fonction référentielle
2) Fonction
expressive
3) Fonction
conative
4) Fonction phatique
5) Fonction métalinguistique
6) Fonction poétique
45. 3. Le langage comme fin en soi (1)
a) Un rapport non-instrumental au
langage : la poésie.
Cf. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? (1948).
Il faut distinguer la prose et la poésie.
• Dans la prose, le langage n’est qu’un outil de
communication. Il n’est qu’un moyen pour
transmettre un message. On considère les mots
comme de simples signes qui renvoient aux
choses : ils sont, avant tout, des « conventions
utiles ». En eux-mêmes, ils n’ont aucune valeur.
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46. 3. Le langage comme fin en soi (2)
• Le poète a un autre rapport au langage.
Au lieu de se servir des mots, il les sert, il est à
leur service. Parce qu’il est sensible à leurs
qualités phoniques et graphiques, il cherche à leur
rendre hommage : il les considère pour eux-
mêmes, comme des êtres à part, des choses dont
il faut s’émerveiller, et non plus comme des signes
utiles.
Contrairement au prosateur qui oublie les mots au
profit des idées qu’ils véhiculent, le poète se
soucie des mots pour eux-mêmes,
indépendamment de leur signification.
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47. Prose et poésie
La prose La poésie
Forme
(signifiant)
Multiplicité
des formes
Forme
unique
Fond
(signifié)
Fond unique Multiplicité
des sens
Cf. Paul Valéry : « La poésie n’a pas le moins du monde pour objet de
communiquer à quelqu’un quelque notion déterminée, – à quoi la prose doit
suffire. Observez seulement le destin de la prose, comme elle expire à peine
entendue, et expire de l’être, – c’est-à-dire d’être remplacée dans l’esprit
attentif par une idée ou figure définie. (…)
Toute autre est la fonction de la poésie. Tandis que le fond unique est
exigible de la prose, c’est ici la forme unique qui ordonne et survit. (…)
Un beau vers renaît indéfiniment de ses cendres. » (« Commentaires de
Charmes », 1936)
48. 3. Le langage comme fin en soi (3)
b) Le langage n’est pas un instrument.
Cf. É. Benveniste, Problèmes de linguistique
générale, I, chapitre XXI.
Comparer le langage à un instrument est non
seulement réducteur mais trompeur. Une telle
comparaison laisse penser que le langage est
extérieur à l’homme, et artificiel, comme les objets
techniques qu’il fabrique et qu’il utilise. Or, ce n’est
pas le cas. Le langage fait partie de nous, il nous
constitue. Nous sommes langage, pourrait-on dire.
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49. Suggestions de lecture
(pour aller plus loin)
Jean-Claude Pariente, « Le langage » in Notions
de philosophie, tome 1, Gallimard, Folio essais,
1995.
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique
générale, tome 1, Gallimard, coll. TEL, 1966.
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