A L’Express Styles, nous avions prévu, sans attendre le palmarès des César, de lui consacrer la couverture de ce numéro Spécial Homme, bluffés par l’intensité et la justesse de sa prestation. Le comédien de 28 ans, qui s’est prêté au jeu de la série de mode, nous parle de ses débuts avec lucidité et sensibilité.
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styles-rahim
1. RR e n c o n t r e
Tahar Rahim
acteur de l’année
C’est un doublé inédit et exceptionnel.
César du meilleur espoir et du meilleur
acteur pour son rôle dans Un prophète,
de Jacques Audiard, le voici propulsé,
en un film, comme une valeur plus que sûre
du cinéma français. A L’Express Styles,
nous avions prévu, sans attendre le palmarès,
de lui consacrer la couverture de ce numéro
Spécial Homme, bluffés par l’intensité
et la justesse de sa prestation. Le comédien
de 28 ans, qui s’est prêté au jeu de la série
de mode, nous parle de ses débuts
avec lucidité et sensibilité.
photos : ralph mecke pour l’express styles Cardigan en coton
stylisme : nathalie blanchard et soie, Burberry
Prorsum, 550 .
Gilet gris
en cachemire,
Hermès, 650 .
Débardeur en lin,
3.1 Phillip Lim,
145 .
70 G 11/3/2010 11/3/2010 G 71
2. Q
uand on l’a rencontré pour la Justement, quel est le cinéma qui vous touche le plus ?
première fois, dans un café à Le cinéma américain des années 1970 est pour
Montmartre, personne ne s’est moi le meilleur : les films de Jerry Schatzberg, comme
retourné sur ce petit gabarit L’Epouvantail, ceux de Scorsese, de Coppola, de
emmitouflé dans sa parka. De Palma, en particulier Blow Out. Ils ont capté
C’était avant la soirée du 27 fé- un truc historique qui ne vieillit pas. Taxi Driver et
vrier, où la France entière l’a Raging Bull sont des films parfaits. J’adore aussi
vu saluer le courage de sa mère tout le romantisme populaire français de l’entre-
et monter par deux fois sur la scène du Châtelet cher- deux-guerres, les grands films avec Gabin, Lino
cher sa compression dorée. Deux césars pour son Ventura, Paul Meurisse, ceux de Julien Duvivier, de
rôle dans Un prophète, de Jacques Audiard, couronné Jean Grémillon, de Marcel Carné. Par la lumière et
par neuf récompenses. Propulsé au cœur d’un film les décors, ils ont réussi à transmettre l’humeur
qui dynamite les mécanismes des castings ordinaires, d’une époque. J’ai eu un vrai coup de cœur en voyant
il a donné corps avec une puissance de jeu incroya- Le jour se lève, que je trouve d’une grande modernité.
ble à Malik El Djebena, petite frappe illettrée méta- A quel âge l’envie de jouer vous a-t-elle pris ?
morphosée en caïd. « Il fallait une double apparition, Je n’ai jamais eu de révélation. Adolescent, j’étais
celle d’un acteur et celle d’un héros », dit Jacques Au- amoureux du dispositif du cinéma plus que de l’art.
diard. Un héros très discret dans sa façon d’aborder Ma vie était ennuyeuse et je passais mon temps
son métier de comédien, avec la conscience du tra- dans les salles. J’y allais quatre à cinq fois par
vail bien fait et une énergie à déplacer les murs. Les semaine, jusqu’à me donner mal à la tête en regar-
pieds sur terre et le sourire dans les étoiles. dant trois films d’affilée… A 14 ans, on veut du
Dans la foulée des Césars, comment vous sentez-vous ? mouvement. J’avais besoin d’un espace où m’éman-
Je suis fou de joie et, en même temps, ça me fait ciper et je ne le trouvais pas ailleurs. Belfort est une
peur de porter ça sur mes épaules. Je suis très re- ville de 50 000 habitants et il n’y a pas grand-chose
mué. La plénitude, je ne l’ai ressentie qu’au moment à faire, une fois qu’on a fini les cours : le dernier bus
de monter sur scène. J’espère surtout que ces prix s’arrête à 19h45 et, après, la ville dort. C’est l’image
encourageront les réalisateurs à prendre des risques qui m’a permis de m’évader. Plus tard, j’ai com-
avec des acteurs quasi inconnus. mencé à m’intéresser vraiment à ce que je voyais et
Depuis des mois, on vous parle d’Un prophète. Etes-vous le virus s’est déclenché.
rapidement sorti de ce rôle ? Que s’est-il passé entre le moment où vous avez quitté
On a tourné sept semaines, jusqu’à mi-décem- Belfort et le premier docu-fiction de Cyril Mennegun, Tahar
bre 2008, et j’ai mis environ deux mois à me déta- l’étudiant, inspiré de votre quotidien ?
cher de certains traits d’humeur du personnage. J’ai fait une fac de sport à Strasbourg en 2000.
Mon cheminement de pensée avait changé. J’avais J’avais reçu un dossier à la maison qui confirmait
du mal avec la foule et j’étais plus dur avec mon mon inscription alors que je ne l’avais jamais rem-
entourage. Je devais certainement avoir moins de pli ! Sans doute une erreur administrative, mais j’y
tact et plus d’exigences. suis allé… J’étais en spécialité natation et, au bout
Jacques Audiard vous a révélé. Qu’avez-vous envie de lui d’un an, je m’ennuyais ferme. J’ai réfléchi à une fi-
dire aujourd’hui ? lière qui me donnerait un peu plus de confort.
De continuer de nous faire rêver ! Je ne le remer- Comme j’ai un bac scientifique, j’ai commencé des
cierai jamais assez de m’avoir fait grandir et de m’avoir études de maths et d’informatique à Marseille et j’ai
donné la chance de pouvoir m’investir dans ce que arrêté au bout de deux mois. Là, je me suis dit qu’il
j’aime. Et je voudrais saluer la personne, qui est au fallait vraiment que je suive mes envies. Ma sœur
moins égale à l’artiste, sinon plus. J’ai un profond m’encourageait à obtenir une licence, par sécurité,
respect pour Jacques et beaucoup d’amour pour lui. et je l’ai décrochée en section cinéma à Montpellier.
Avec Niels Arestrup, ce sont des êtres rares. Mon envie de jouer ne m’a pas lâché et je suis monté
Costume en soie
La chose la plus importante qu’il vous ait apprise ? sac au dos à Paris en septembre 2005.
chinée, Balenciaga
De m’inspirer le moins possible des modèles de Comment se sont passés vos débuts de comédien ? par Nicolas Ghesquière,
cinéma existants et de tracer ma propre voie. On a J’étais conscient des difficultés de ce métier et je 1 945 . Chemise
voulu composer un personnage qui ne ressemble m’étais donné dix ans avant de penser à chercher en popeline de coton,
pas à ce qu’on a pu voir avant. Même si c’est un ailleurs. Pour payer mes cours et ma chambre, j’avais Melinda Gloss, 140 .
héritage qui nous habite tous, j’essaie de garder deux boulots. Le week-end, je travaillais en boîte
cette ligne de conduite. de nuit et, la semaine, je gravais des logiciels GGG
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3. Trench en gabardine
GGG informatiques. Le patron avait vu le docu-fiction et ne peuvent se séparer, doublée d’une histoire de coton gansé
en trompe-l’œil,
Tahar l’étudiant, que j’avais préparé en licence et il d’amour impossible. Le croisement entre deux Marc Jacobs, 1 095 .
m’a accordé des facilités pour suivre mes cours de classes sociales et deux univers opposés, à un mo- Polo en piqué de coton,
comédie. J’ai rencontré un agent, pas mal couru les ment charnière de leur vie. Le film décrit ce qui se The Kooples, 75 .
castings et j’ai décroché mi-2006 un rôle dans la série passe entre eux, ce que les autres ne voient pas. Pantalon droit en soie
de Canal + La Commune, écrite par Abdel Raouf Dafri Raconter une liaison selon un schéma ressassé pied-de-poule,
[coscénariste d’Un prophète]. J’ai joué en 2008 au – tout va bien, les problèmes apparaissent, on ren- Prada, 390 .
Lunettes en acétate,
théâtre, en commençant les essais pour le film de contre un amant puis c’est la rupture… – ne m’in-
Paul & Joe, 185 .
Jacques Audiard. Je l’avais croisé pendant un trajet téressait pas. Là, c’est atypique et ça me plaît.
en voiture, un jour où il était passé sur le tournage Vous reconnaissez un seul tabou dans le jeu, la nudité.
de La Commune. On s’est juste dit bonjour, je ne vou- On verra mon corps, puisqu’il y a des scènes
lais surtout pas la jouer « j’adore ce que vous faites ». d’amour, mais j’ai beaucoup de gêne avec la nudité.
On s’est revus le jour de la projection, et il m’a dit des Me déshabiller pour la scène d’entrée dans la pri-
choses très encourageantes. A partir de ce moment, son d’Un prophète a été très difficile, même si j’avais
j’ai senti que j’avais des chances de passer le casting. conscience que c’était un viol de l’intimité qui servait
Les essais étaient rudes, il fallait s’accrocher. Aujour- le propos. Mon éducation a bien sûr une influence.
d’hui, je comprends pourquoi Jacques Audiard m’a Je ne fais pas ce métier pour me torturer, mais pour
fait autant galérer. Je voulais ce rôle et j’ai donné me dépasser. Dans quelques années, j’y arriverai
tout ce que j’avais pour saisir ma chance. Mais le vrai peut-être, mais pour l’instant c’est très dur pour moi.
travail a commencé quand il m’a dit oui. C’est formidable et aussi violent de se retrouver propulsé
Avez-vous reçu beaucoup de scénarios depuis Un prophète ? au milieu des sollicitations de ce métier. Comment vous
Avec mes voyages pour le film, je n’ai pas pu les êtes-vous protégé ?
lire tous ! Ça m’a fait plaisir de recevoir des projets C’est vrai que j’ai eu un démarrage costaud ! Le
aussi variés, dont certains en cours : The Eagle of the danger serait de prendre le pouvoir qu’on vous
Ninth, de Kevin Macdonald, Chienne, du Chinois donne – les cadeaux, l’argent pour venir dans une
Lou Ye, et Des hommes libres, d’Ismaël Ferroukhi, soirée, toutes ces choses bidon… – et d’en devenir
que je vais tourner cet été. C’est encourageant de se esclave. J’ai une famille et des amis très clairs avec
dire qu’on ne me voit pas que d’une couleur. ça, qui me permettront toujours de voir mon pro-
Le cinéma français a longtemps catégorisé les acteurs d’ori- pre reflet dans leurs yeux. Je ne suis pas dupe des
gine maghrébine : est-ce valable pour votre génération ? moments exceptionnels que je vis ! D’être un an-
J’ai conscience de tous ces clichés accumulés, mais goissé me protège aussi. C’est dans ma nature de
je n’en ai pas fait l’expérience dans mes rôles. Dès ne pas savoir recevoir les compliments, sans doute
le départ, mon agent m’a envoyé sur des projets va- un mécanisme de défense. Le jour où vous y croyez,
riés. Les choses avancent et c’est plus que légitime. c’est le début de la fin ! Il y a assez de gens qui se
Sur un plan plus personnel, j’ai du mal avec les gens sont brûlé les ailes.
qui fantasment votre parcours, sous prétexte que vous Cannes, les Césars, les Oscars… comment réagit votre
venez d’un milieu ouvrier et que vous avez grandi famille ?
dans une famille nombreuse d’origine algérienne. Je n’aurais pas osé imaginer une entrée comme
Parlez-nous de votre premier tournage après Un prophète ? ça dans le cinéma et eux, encore moins. Du coup, à
Kevin Macdonald, le réalisateur du Dernier Roi travers leur regard, j’ai encore plus conscience du
d’Ecosse, m’a fait passer des essais sans avoir vu le rêve que je vis.
film de Jacques Audiard. J’ai un petit rôle, celui d’un Vous avez un appétit de jeu hors normes, comme le
prince gaélique maquillé d’argile et habillé de peaux dit Jacques Audiard ?
de bête. C’était une expérience déstabilisante, car J’essaie de donner toujours plus que ce que j’ai,
je suis arrivé en Ecosse en novembre au milieu de sinon je suis mal et ça me rend dingue. J’ai pleuré
l’aventure, avec peu de temps de préparation. Je une fois sur le tournage d’Un prophète, je n’avais pas
n’ai eu que six heures de coaching en gaélique réussi une scène et j’ai pété les plombs ! J’ai besoin
ancien, dont je n’avais jamais entendu la sonorité ! d’apprendre à me connaître. Je suis en construction
C’était intéressant de se retrouver en périphérie, par rapport à beaucoup de choses. La force du jeu
après avoir été au centre. d’acteur, c’est de dépasser ses propres limites, on
Vous enchaînez fin mars à Paris sur le prochain film de ne sait pas jusqu’où ça peut vous entraîner. Quand
Lou Ye, le réalisateur d’Une jeunesse chinoise. je tourne, je me sens vivre. G
C’est l’histoire de deux corps qui se rencontrent Propos recueillis par Anne-Laure Quilleriet
PLUS DE QUESTIONS À TAHAR RAHIM SUR WWW.LEXPRESS.FR
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4. Cardigan en cachemire, Ralph Lauren
Black Label, 890 . Chemise en popeline
de coton, Daniel Hechter, 123 .
Pantalon en soie chinée, Trussardi 1911,
389 . Ceinture en cuir gras, Uniqlo +J,
29,90 . Derbys en cuir, IKKS, 175 .
76 G 11/3/2010 11/3/2010 G 77
5. Veste droite en laine,
Smalto, 2 000 .
Chemise en popeline
de coton, Paul Smith,
260 . Cravate en satin
de soie, Sandro, 55 .
Veste droite en lin et soie, Yves Saint Laurent, 1 495 .
Pull en coton, American Vintage, 70 . Pantalon droit
en coton, Maison Martin Margiela, Ligne 10, 280 .
Coiffure/maquillage :
Terry Saxon c/o Jed Root
Assistante styliste :
Caroline Khayatt
Assistants photographes :
Clément Mahjoub et Carnet d’adresses page 121
Antoine Lippens
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