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Conspiration : entre l'ombre et la lumière, par André Fontaine (extrait)
Le livre de André Fontaine, « Conspiration : entre l’ombre et la lumière », est maintenant disponible aux Éditions Dédicaces : https://guyboulianne.com/2021/12/03/le-livre-de-andre-fontaine-conspiration-entre-lombre-et-la-lumiere-est-maintenant-disponible-aux-editions-dedicaces
Le livre de André Fontaine, « Conspiration : entre l’ombre et la lumière », est maintenant disponible aux Éditions Dédicaces : https://guyboulianne.com/2021/12/03/le-livre-de-andre-fontaine-conspiration-entre-lombre-et-la-lumiere-est-maintenant-disponible-aux-editions-dedicaces
3.
À tous ceux qui, généreusement, m’ont donné leur confiance, leur support moral,
qui m’ont aidé à traverser l’insupportable. À ceux qui ont le sens de l’HONNEUR,
de la LIBERTÉ et de la JUSTICE.
A. F.
À ma mère, à mes filles, à ma famille …
C.M.
4.
Avant-propos vi
Préface de Joan Doyon, épouse viii
Préface de Rachel Fontaine, fille x
Traversant ce monde xi
I Première partie
Conspiration 3
II Deuxième partie
1966 87
22 juillet 1966 87
27 juillet 1966 89
2 août 1966 91
17 août 1966 91
Septembre 1966 92
Octobre 1966 95
Novembre 1966 95
Décembre 1966 95
1967 97
Début 1967 97
Août 1967 100
Septembre 1967 101
Octobre 1967 101
Novembre 1967 102
Table des matières
5.
1968 110
Janvier 1968 110
Février 1968 111
Mars 1968 113
Avril, mai, juin 1968 114
Juillet 1968 115
Août, septembre 1968 118
Octobre, novembre 1968 118
Décembre 1968 119
1969 125
Janvier 1969 125
Février 1969 125
Mars 1969 128
Avril 1969 128
Mai, juin, juillet 1969 129
Août 1969 130
Septembre 1969 131
Octobre 1969 132
Novembre 1969 133
Décembre 1969 134
1970 135
Janvier 1970 135
Février 1970 137
Mars 1970 139
Avril, mai, juin 1970 139
Juillet 1970 140
Août 1970 143
Septembre 1970 143
Octobre 1970 144
VIVE LA JUSTICE À LA CANADIENNE 146
Novembre et décembre 1970 146
1971 147
Janvier à mai 1971 147
6.
Juin, juillet 1971 149
Septembre 1971 151
Octobre 1971 151
VIVE LA JUSTICE À LA CANADIENNE!!! 152
Novembre, décembre 1971 153
1972 154
Janvier 1972 154
Février 1972 155
Avril, mai 1972 155
Juin 1972 156
Juillet 1972 156
Août 1972 159
Septembre 1972 160
Octobre, novembre et décembre 1972 161
1973 169
Janvier 1973 169
Février 1973 171
Mars, avril 1973 172
Avril 1973 183
Mai, juin, juillet 1973 183
Août, septembre 1973 184
Octobre 1973 184
Novembre et décembre 1973 185
1974 187
Janvier, février, mars 1974 187
Avril, mai 1974 189
Juin, juillet 1974 190
Août 1974 192
Septembre 1974 193
Octobre 1974 193
Novembre, décembre 1974 197
1975 210
Janvier 1975 210
7.
Février 1975 211
Mars 1975 212
Avril 1975 212
Mai 1975 214
Juin 1975 214
Juillet 1975 217
Août 1975 221
Septembre, octobre 1975 222
Décembre 1975 224
La conspiration de Dallas 229
1976 268
Janvier 1976 268
Février 1976 270
Mars 1976 271
Avril 1976 271
Mai, juin 1976 273
Juillet, août 1976 274
Septembre, octobre 1976 274
Jeudi le 16 septembre, 18.00 HEURES 275
Samedi le 18 septembre, 14.00 HEURES 275
16.00 HEURES 276
16.30 HEURES 276
Dimanche matin, 19 septembre 277
12.30 HEURES 277
15.00 HEURES 278
16.00 HEURES 278
23.30 HEURES 278
Lund 20 septembre 278
Octobre, novembre et décembre 1976 279
Des documents qui se passent de commentaires 282
1977 302
Janvier, février 1977 302
Le régime des institutions pénitentiaires 304
8.
Le 21 avril 1977 314
Le 7 mais 1977 315
Lundi 9 mai, 1977 315
Le cheminement d’un homme qui devient directeur d’un... 331
Août 1977 346
2 septembre 1977 354
5 septembre 1977 354
Épilogue 370
9.
Avant-propos
C’est dans des conditions incroyables, du fond d’un cachot de la vieille
prison de Rivière-du-Loup, qu’André Fontaine, sur les instances de personnes
intéressées à son sort, a rédigé ses notes biographiques.
Ce travail de plusieurs années a failli ne jamais voir le jour. Le manuscrit est
passé d’une main à l’autre, a été dérobé, retourné à son auteur. Des documents
originaux importan ts ont disparu, l’original est allé se promener au Liban,
via la Société de Jésus …
Malgré l’intérêt manifesté par les éditeurs du Québec, du Canada et de
l’étranger, il a été impossible de publier cet ouvrage avant aujourd’hui. Les
pressions exercées par les gouvernements du Québec (SQ), du Canada (GRC),
et des États-Unis (CIA et FBI) ont découragé les meilleures volontés.
Peu d’êtres humains ont reçu autant de talents, de dons, de capacités
multiples qu’André Fontaine. Cet homme est étonnant! Peut-être n’a-t-il pas
toujours employé à bon escient ces richesses, il est avant tout un être humain.
Il est un artiste dans tous les domaines. Sa carrière de peintre, nous en
parlerons plus tard. Aurait-il tenté de se faire un nom de chanteur classique,
les quatre octaves de sa voix chaude le lui auraient permis. Aurait-il préféré le
théâtre? Ses dons incontestables pour les rôles tragiques, son sens du comique
et sa capacité d’imitation lui auraient assuré le succès. La poésie aurait donné
à son auteur la réussite espérée. Il aurait concurrencé Marco Polo comme
explorateur. Se serait-il consacré uniquement à la science, que le monde
entier aurait profité de son érudition. Il y a tellement plus à dire sur André
Fontaine.
Sa force morale peu commune, sa foi prof onde, sa chaleur humaine lui ont
permis de résister depuis onze ans à la folie, ce mal qui atteint, un jour ou
l’autre, les hommes qui croupissent depuis si longtemps derrière les barreaux
vi
10.
d’une prison. Il paye très cher ses talents. Il lutte sans défaillance depuis le
tout début de la tragédie qui a changé sa vie, pour faire éclater la vérité et les
murs de sa prison.
Malgré les tortures physiques et mentales, malgré les frustrations quotidi-
ennes, il continue chaque jour à se cultiver, à étudier, à écrire pour sensibiliser
l’opinion publique, en dépit de la liste noire sur laquelle son nom est en tête.
Ceux qui ont approché André Fontaine depuis 1966, ont tous été l’objet de
menaces plus ou moins déguisées.
Les images de sa vie, souvent pauvre de sous, mais riche de coeur toujours,
vous feront connaître un homme, un québécois qui fait honneur aux siens, à
sa patrie. Pour que la justice soit réhabilitée, il n’a épargné aucun effort et il
se battra jusqu’à la mort.
Carmen MORIN
Parce que cette biographie est contemporaine, parce que plusieurs
personnes qui en sont les protagonistes sont vivantes et que nous
ne voulons nuire en rien à leur avenir, nous donnerons des noms
fictifs à plusieurs d'entre eux.
A. F. et C. M.
vii
11.
Préface de Joan Doyon, épouse
Cher André, même « tes pères » t’ont trahit pour assurer leur prestige et
gloire. Ils t’ont dépouillé quand tu étais dans l’abîme. Ils n’ont pas vu que
tu étais un cœur vaillant et courageux. Tu t’es retrouvé seul au combat. Les
dés étaient jetés, tu ne le savais pas. Tu croyais en cette justice des esprits
versatiles qui ne reconnaissent pas leur erreurs.
Ton cœur était trop bon pour voir la méchanceté. Malgré tout ce que tu as
enduré, quand je t’ai connu, tu chantais pour moi « Romance d’amour » et ta
voix était comme un écho dans les cieux. On te surnommait le « Pavarotti
Québécois », mais pour moi, tu étais le meilleur. « Peintre des étoiles », tes
tableaux de l’univers brillaient dans les cieux pour rendre hommage à la
création de Dieu. Tu attirais les foules dans tes conférences, tes concerts, tes
viii
12.
expositions. Parfois ta bonne amie Alys Robi, aussi la mienne, t’accompagnait
et même priait pour toi. Ton cœur grand comme le monde, tu as donné
beaucoup et ils ont prit le reste.
Merci de m’avoir tenue la main dans des épreuves. Merci de m’avoir appris
à pardonner. André, si tu savais comme notre fille te ressemble; elle écrit
comme toi, chante d’une voix angélique et dessine comme nous.
André, maintenant que Dieu t’a appelé pour abréger tes souffrances, ton
histoire continue, ton livre « Conspiration : entre l’ombre et la lumière » va
être réédité par monsieur Guy Boulianne, journaliste qui dénonce aussi les
injustices. C’est un homme honnête en qui j’ai confiance, et tu aurais aimé la
page couverture du livre.
D’autres vont continuer ton combat pour la justice.
Merci monsieur Boulianne et aux Éditions Dédicaces d’avoir accepté de
publier ce livre.
Madame Joan Doyon
22 Avril 2021
ix
13.
Préface de Rachel Fontaine, fille
En ta mémoire papa, le livre dont tu as jadis pris tous les risques pour faire
publier et rendre public, afin de montrer à la face du monde la vérité et
combien les complots sont plus que réels et très bien orchestrés par des
personnes puissantes qui se donnent des droits illimités sur la vie des gens et
le cours des événements. Nous sommes les spectateurs d’une mise en scène
qui s’impose à nous pour faire croire en une fausse réalité, alors que l’histoire
s’est produite d’une toute autre façon.
Il faut un grand courage pour dévoiler la vérité dans un monde gouverné par
le règne du mensonge. Et le prix à payer est parfois indescriptible, imposant
des tortures et conditions de vies inhumaines à ceux qui se lèvent avec courage
devant l’adversité.
Aujourd’hui en 2021, le monde entier vit sous une emprise encore plus
forte d’une omertà. Si grande que ton livre doit sortir de l’ombre dans laquelle
la dictature du passé l’a plongée pour empêcher les gens d’y voir clair.
L’Heure est venue plus que jamais que la vérité soit republiée pour qu’elle
reste un témoin de l’histoire, que certaines personnes en situation de pouvoir
et de forte influence essaient de changer.
Comme disait Honoré de Balzac : « Il y a deux histoires : l’une que l’on
enseigne et qui ment; l’autre que l’on tait parce qu’elle recèle l’inavouable. »
Ta fille Rachel Fontaine
x
14.
Traversant ce monde
Lorsque ton vent souffle et siffle tout autour
de mon faible coeur, où est accroché l’amour,
Tu brise attise le feu de mon âme
Qui fermente l’atmosphère de ce drame.
Ce national, solitaire et sombre
Qui longe le fleuve, traversant ce monde,
Des ombres que l’air engloutit de mystère;
Trajet déplaisant, par l’angoisse qui l’éclaire.
Nos pensées surgissent au brouillard du passé
Comme une route de retour sur terre,
Aux sensations étranges, qui font frissonner.
Comme la foudre, déchirant les ténèbres
Nous montre la facilité de tout perdre,
Tout en laissant une lie, plus qu’ombre.
André FONTAINE
xi
17.
Conspiration
O
ctobre 1956: Un matin, un matin ni triste ni gai, un matin comme
tous ceux que je vis depuis 17 mois, dans ce triste lieu appelé:
Saint-Vincent de Paul.
Un appel: «3115, suivez-moi».
En dix-sept mois, on apprend à obéir, et rapidement. On me conduit au
bloc de l’administration, où, dans le bureau du directeur, un préposé aux
libérations attend.
—«3115-Gagnon, votre bonne conduite nous permet de vous libérer demain.
J’espère ne plus vous revoir ici et je vous souhaite bonne chance à l’avenir.
Votre compte va être réglé, nous vous remettrons un complet civil pour que
l’anonymat de la foule vous protège.»
On me mène dans une chambre où un détenu-tailleur prend mes mensura-
tions. Après d’autres formalités administratives, une escorte me reconduit à
ma cellule.
L’impassibilité que j’ai gardée devant tous, au prix d’efforts inouïs, ne résiste
plus dès que je suis seul. Je ne sais si je ris ou si je pleure. Quel supplice j’endure
quand il me faut rejoindre mes compagnons d’infortune, parce que, dans ce
milieu, on ne dit pas, on ne fait pas voir, quand on est libéré. Après le souper,
la solitude ne me soulage pas, au contraire, l’oppression est plus forte encore.
Je m’étends sur ma couchette de fer. Le passé me monte à la gorge, à la tête et
au coeur. Je me laisse envahir …
Mon premier souvenir, celui de ma plus tendre enfance, remonte à quelques
jours après mon troisième anniversaire. Des cris stridents me tirent d’un
3
18.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
sommeil lourd, celui de l’innocence. C’est la voix de ma mère qui appelle:
« Au feu, au feu! ». Je revois la lueur rougeâtre de la flamme à travers la
fumée, dans la chambre que je partage avec mes soeurs et mes frères aînés. Je
suis seul… je cours vers l’escalier au bas duquel ma mere appelle toujours. Je
trébuche, c’est le noir.
Après avoir évacué la maison, mes parents me conduisent chez le médecin
du village. Je souffre d’un enfoncement crânien et d’une fracture du bras
gauche. Sur les dix enfants, je suis le seul à être blessé. Jusqu’à l’âge de douze
ans, je subirai les séquelles de ces blessures. Un froid mordant et une tempête
violente ont accéléré le tirage de la cheminée et propagé les étincelles d’un
feu qui nous gardait bien au chaud. C’est la tragédie.
Mon père, propriétaire de l’unique atelier général de Saint Gédéon au Lac-
Saint-Jean, peut, au prix d’un pénible labeur, nous offrir une vie assez aisée
pour l’époque, même si, à cause de la pauvreté de ses clients, il doit faire crédit.
Avec l’aide de grand-père Lessard, des oncles Tancrède et Horace, de mes
frères assez costauds pour donner un coup de main, mon père construit notre
nouveau foyer dans les mois qui suivent l’incendie. Nous en sommes fiers,
c’est la plus belle maison du village et elle est plus grande que l’ancienne, de
sorte que nous y sommes plus à l’aise.
Je passe des heures à regarder ma mère; elle boulange le pain de la semaine,
prépare les repas familiaux, tisse au métier des étoffes qui lui serviront à
coudre les vêtements des membres de la famille, et, telle une abeille laborieuse,
n’arrête jamais. Souvent, elle passe des heures à mon chevet; je suis si fragile
qu’un simple rhume demande une surveillance constante.
Le réveil me plonge dans la réalité de la prison. C’est aujourd’hui que je suis
libéré de cet endroit d’où on ne sort sain d’esprit qu’au prix d’efforts soutenus
et souvent insoutenables. Après le petit déjeuner, je ramasse tous les objets
qui sont dans ma cellule et que je dois rendre au magasinier avant de franchir
les grilles de la prison. Un gardien me guide vers le local où je troquerai
mes vêtements de honte contre ceux d’un homme libre. Sousvêtements, bas,
chemise, cravate, ceinture, chaussures et complet noir que je n’endosserai
qu’après avoir subi l’examen dégradant de tous les orifices et replis de mon
corps.
4
19.
CONSPIRATION
Toujours escorté, je me dirige vers la caisse où on me remet le total de mes
gains pour dix-sept mois; onze dollars et trente-deux cents.
Je franchis la lourde porte qui me rend à la civilisation. Il a neigé la nuit
dernière, l’air est glacial dans ce petit matin de fin d’octobre et, seul un complet
me protège de cet automne québécois. Une marche rapide me conduit au
premier restaurant où, pour la première fois depuis longtemps, je me régale
d’un vrai café bien chaud. Les clients ont l’habitude de voir des types, vêtus
de hardes qui sentent la prison à plein nez; ils ne sont pas plus discrets pour
autant dans leur examen. Je n’y prête pas attention, ou s1 peu, Je n a1 qu une
hate, quitter ces lieux.
L’autobus qui dessert les villages de l’île Jésus (maintenant Ville de Laval)
arrive et je m’y engouffre, heureux d’échapper au froid et à l’atmosphère de
prison que je sens autour de moi. Je veux oublier ces mois d’humiliation,
d’enfer, de procédés degradants. J’ai touché, me semble-t-il, le fond de la
déchéance humaine. J’ai été si seul, aucune visite, aucune lettre… seules
étaient présentes les vexations des gardiens et souvent celles des co-détenus.
Rendu au centre-ville, je cherche un toit pour la nuit et du travail pour
le jour. Pierre Laporte, avocat et journaliste, est un ami. Compatissant, il
me laisse savoir que je peux obtenir du travail dans un grand magasin à
rayons du centre-ville. Il me recommande néanmoins, de ne souffler mot des
derniers mois de mon existence. Je n’en ai aucune envie, je veux oublier. Il
me glisse discrètement dix dollars pour me permettre d’attendre le premier
quarante-cinq dollars que je gagnerai hebdomadairement. Je me rends à
l’endroit désigné et j’y suis engagé sans qu’on me pose trop de questions.
Je commencerai demain matin à gagner une vie que je veux désormais
honorable.
Au sortir du magasin, la nuit tombe et le froid se fait plus pénétrant. Je
marche rapidement jusqu’à la chambre à cinq dollars que je me suis trouvée
et que je partagerai avec un inconnu. Il n’est pas question que je m’offre à
souper si je veux tenir avec mes maigres sous jusqu’à la première rentrée
de salaire. Fatigué, déprimé, je relis la lettre qui m’apprend que Paule, ma
femme, a demandé et obtenu la séparation légale. Je ne la reverrai plus… mes
filles, Hélène et Pauline, m’oublieront-elles? Je les aime pourtant de tout mon
5
20.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
coeur. La vie est méchante et bête. La lettre que j’ai adressée à Paule, m’est
revenue avec la mention: partie sans laisser d’adresse… Je me laisse aller à la
somnolence.
Le sentiment d’une présence me sort de ma torpeur. Je ne suis pas
seul. Bernard, mon compagnon de chambre, est là. Un sourire aux lèvres,
débordant de chaleur humaine, une poignée de main, et nous sommes copains.
Je suis ému.
En bavardant, j’apprends qu’il est français et récemment arrivé au Canada.
Je le laisse parler, je ne veux pas lui dire d’où je sors, ni lui raconter mon
histoire lamentable. Il se rend rapidement compte que je n’ai pas de bagage,
pas d’autres vêtements que ceux qui me couvrent. II ne pose pas de question,
et discrètement, sort pour aller sous la douche. En revenant, il m’invite à
en faire autant. Il me prête son peignoir et ses accessoires de toilette. Il me
demande de ne pas le remercier, il ne peut le supporter.
C’en est trop, j’éclate en sanglots et je lui avoue mon passé. Il a également
souffert de l’injustice des hommes et il me comprend. Quand je suis remis, il
me pousse vers la douche. Je me sens neuf, rajeuni en sortant. La propriétaire
qui prend un café en compagnie de Bernard, m’invite à grignoter avec eux.
Quels braves gens! Je me sens moins seul et je sais que je dormirai beaucoup
mieux.
Trop de sentiments m’agitent, sentiments complexes qui retardent l’arrivée
du sommeil réparateur. Je replonge dans le passé.
Je grandis lentement depuis l’accident, et je vois les réunions qui se font
dans la maison de mes parents, devenue le centre de rencontre du village. On
y discute politique municipale, provinciale et même fédérale à l’approche de
chaque élection; on y joue aux cartes. Les notables de la place sont présents.
Malgré les présences nombreuses autour de moi, je suis un solitaire. Seule
trouve grâce à mes yeux, une petite voisine aussi souffreteuse que moi. Elle
recherche ma compagnie et je ne l’évite pas. Gisèle, dont le père est au
sanatorium et dont la mère est absente, parce qu’elle doit travailler pour
gagner sa vie et celle de ses trois enfants, est une compagne agréable pour
moi. Elle devient ma soeur quand mes parents acceptent de la garder avec
ses soeur et frère, Carmen et Guy. Cela durera jusqu’à l’adolescence. Sa mère,
6
21.
CONSPIRATION
devenue veuve, part pour la ville et amène ses enfants. Je ne l’ai jamais revue,
cette amie de mes jeunes années. Sur ces images je m’endors.
Le réveil-matin sonne six heures, trop rapidement. Je me prépare à affronter
ma première journée de travail. J’ai l’habitude de la ponctualité et je tiens à
la conserver. Bernard me prête son imperméable pour m’aider à braver le
morne froid de l’automne. Un café, offert par mon nouvel ami, me réconforte
et à huit heures quinze, je suis prêt à recevoir mes premiers clients. Les
appareils radios, magnétophones haute-fidélité et stéréophoniques, ça me
connaît. Au bout de la semaine, quand je dois renouveler la location de ma
chambre, il ne me reste plus d’argent. Aussi dois-je demander une avance
à mon gérant. Celui-ci, très humain, m’avance vingt dollars sur son argent
personnel. Ça me permet de voir venir la première paye.
Bernard et un compatriote, Norbert Nold, m’invitent à voir un film. Cet
ami travaille pour une agence cinématographique afin d’obtenir son permis
de cinéaste et s’installer éventuellement à son compte. Cela me sort de mes
tristes soirées solitaires.
L’hiver est là, mais je travaille et, au début de mars, je sens diminuer mon état
dépressif. Peut-être que la sérénité du printemps hâtif, le rajeunissement de
la nature font qu’il en soit ainsi. Le souvenir de ma détention, des conditions
inhumaines de vie de la déchéance de l’incarcération s’éloignent. Mes sens
engourdis par les traitements humiliants et les mois de solitude, se réveillent.
La vie peut encore être belle.
Un camarade de mes études chez les Jésuites de Québec, me reconnaît
au comptoir du magasin, où je suis maintenant responsable du rayon des
appareils audio. Étudiants, nous avons tourné quelques films. Il sait donc
mon intérêt pour le documentaire et le reportage. Il recherche une équipe
québécoise pour réaliser un film sur l’aspect physique du Québec. Il me
propose le poste de réalisateur et me demande de compléter le groupe qui est
nécessaire à la réalisation d’un tel projet.
Les noms de Bernard et de Norbert me viennent immédiatement à l’idée.
J’en glisse quelques mots à celui que je considère mon associé et nous prenons
rendez-vous pour le soir après le travail. Cet incident change complètement
l’orientation de ma vie.
7
22.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
Je suis tout petit, mon village, sa plage dorée de sable chaud, ses habitants,
ses joies, ses peines, tout remonte fréquemment à ma mémoire…
Le rocher, mon ami du bout du jardin de la ferme des Iles que possède mon
père, où je passe des heures, est vivant aujourd’hui, autant qu’en ces années
de ma jeunesse. Je contemple l’immensité d’eau qui crée à mes yeux d’enfant,
le symbole de l’infini. On m’a expliqué que le Lac Saint-Jean est une immense
cuvette pleine d’eau, d’îles et de poissons. Je ne comprends pas, une cuvette
c’est défini, le lac, il n’a pas de fin, de bout. Je passe des heures à me poser des
questions, des images, beaucoup d’images qui restent sans image de réponse.
Je suis sûr que tous les autres enfants à qui l’on a dit la même chose,
comprennent, et j’ai honte d’être le seul à ne pas comprendre. Aussi, je ne me
risque pas à demander des explications, ne voulant pas passer pour l’idiot du
village.
Près du rocher où je me tiens, poussent des petites fleurs bleues qui
m’attirent. J’en cueille et j’en tresse de merveilleuses couronnes qui fleurissent
les cheveux blancs de ma mère. Je passe des heures à contempler les bandes
d’alouettes criardes, indisciplinées me semble-t-il, raser le magma houleux
de la rive, alors que les vagues du large chantent l’amour.
Je continue d’éviter les gamins de mon âge. Je n’arrive pas à m’intégrer à
eux, ils me font peur; les seuls qui trouvent à percer ce boucher sont Paul-
Aime, Roch et, bien sûr, Gisèle. Aussi sommes-nous les souffre-douleurs de
la bande du village qui Joue aux soldats, sous les ordres d’un grand de dix ou
douze ans. Ils s amusent a prendre au piège tous les petits animaux qui leur
tombent sous les yeux; grenouilles, chats ou autres. Un jour, l’énorme chat
roux de madame Desjardins, chef-d’oeuvre d’hypocrs1e et ennemi acharné de
la gent souricière, est la victime de ces enfants. Les pierres autour du cadavre
imagent la lapidation cruelle.
La Rousse était notre amie. Pour nous consoler, nous lui faisons des
funérailles. Avec le velours d’une robe que ma mère garde pour les grandes
occasions, nous confectionnons une bière et procédons à la cérémonie que
la Rousse mérite. Quelques taloches bien méritées prolongent l’incident qui
force ma mère à porter la mini-jupe, bien avant que la mode n’en soit instituée.
Les galopins coupables m’accusent et c’est la guerre entre notre voisine
8
23.
CONSPIRATION
et ma mère. Pour l’enfant que je suis, les châtiments promis dépassent de
beaucoup leur but. Mon imagination transforme la voisine en Loup-Garou,
en Père Fouettard et en Bonhomme Sept-Heure dont on me rabat les oreilles.
Je passe des heures à trembler, à voir la mère Desjardins savourer une de mes
jambes. Je regarde mes mains et je pense aux enfants qu’elle a déjà dévorés…
(en badinant, mon père a raconté qu’elle a déjà mangé six enfants et même un
soldat.)
Je revois également Madame Flore qui dit si bien les contes de Fées que je
dois garder secrets… Et les fleurs, beaucoup de fleurs que je lui apporte et que
je lace quelquefois pour la parer. Et le Père Parent, pas méchant, mais plein
de vin bon marché… Il tangue comme une chaloupe taquinée par la houle. Il
m’en apprend des choses, à moi qui sais l’écouter. À sa mort, il me laisse une
douzaine de lapins maigres. Je n’avais que six ans, mais je me souviens…
Déjà le rayon de musique du magasin, m’est étranger, je rêve. À l’heure
du souper, je vois Bernard et Norbert et nous discutons du projet. Sont-ils
intéressés? Ça ne fait aucun doute, j’en suis vite persuadé.
Il est huit heures pile quand j’arrive au rendez-vous fixé. La discussion
est longue, car nous abordons tous les aspects de la production. Quand il
s’agit de mettre sur pied un projet d’une telle envergure, il faut être prévoyant.
Aussi, la technique est-elle dans mes première préoccupations. Je n’oublie
pas le côté administratif. La soirée est très avancée quand nous fixons une
nouvelle rencontre pour, cette fois, signer un contrat en bonne et due forme,
avec, pour l’équipe québécoise, une participation aux bénéfices.
La Compagnie que mon ami représente, fournit le matériel audio-visuel,
une voiture et quatre mille dollars pour les frais. En participation à la
réalisation, je dois écrire le scénario et diriger l’équipe. Il s’agit de deux films
documentaires: « Québec, berceau de l’Amérique du nord » et « Saguenay,
Eldorado canadien ». Avec Bernard et Norbert, nous célébrons l’événement
dès mon retour.
Le lendemain, dès le contrat bel et bien signé, je démissionne de mon poste
au rayon des articles d’audio où je gagne ma vie depuis six mois. Je suis en
possession de la voiture, de deux caméras ultra-modernes, de la pellicule
vierge nécessaire à la production, du programme à suivre, des instructions et
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24.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
de quatre mille dollars. Mon ami Norbert, spécialiste en la matière, vérifie
le matériel et il est épaté de la qualité de tout ce qui est en notre possession.
Tout ira bien du côté technique. Dès samedi, nous partons pour Québec.
J’ai neuf ans quand mon père m’achète un petit télescope. Je passe
maintenant des heures à observer le ciel. C’est à cet âge tendre que mon
destin est tracé, que je sais ce que je ferai plus tard. Je ferai des tableaux du
firmament, je serai le peintre du ciel, le peintre des étoiles. Je suis fasciné par
les ciels des mois d’août, de septembre et d’octobre, pleins d’étoiles filantes,
d’aurores boréales.
Marcel et Lucien, deux affreux rouquins du village, nous lancent des pierres
et font des onomatopées qui imitent les bruits d’un bombardement bien
nourri. Ils hurlent de joie quand ils nous atteignent, nous, les petits. Il va
sans dire que nous fuyons de toutes nos courtes jambes et l’idée ne nous vient
même pas de leur rendre la pareille.
Un jour, ils attrappent une grenouille sur le bord du sentier, près du ruisseau
des demoiselles Boivin1. Après avoir attaché l’animal par une patte arrière
avec un bout de ficelle qui traîne dans la poche de l’un d’eux, ils la font
tournoyer autour de leur tête, et, à l’aide d’un bout de broche, ils l’empalent au
sol… Ça fait le même bruit qu’un sac de papier qu’on fait éclater après avoir
soufflé dedans. C’est l’heure du « Chapelet en famille » émission fort suivie de
tous les villageois, et nous sommes seuls. Nous n’osons pas nous approcher,
nous sommes les souffre douleur de ces gamins et ils nous font peur. Pauvre
bête que nous voyons expirer de souffrances sans oser intervenir…
Le soir, avec les demoiselles Des gagné et Boivin, j’apprends les rudiments
du solfège et du chant. Elles sont des professeurs merveilleuses. Les frères
des premières, Philippe et Paul-Eugène sont mes amis. Dans l’atelier de mon
père, l’ébénisterie perd un à un ses secrets. Je saurai fabriquer des meubles,
travailler le bois et aussi beaucoup d’autres métiers me sont enseignés sans
1 Les habitants du village les appellent «les vieilles filles». Elles s’occupent de la centrale
téléphonique et de plus, elles sont propriétaires d’une boutique fort originale de confection
féminine; boutique fréquentée par les dames bien du village. Dans nos coeurs d’enfants, elles
sont les plus belles et nous sommes fiers d’être leurs amis. Après nos randonnées dans les
bois des environs, elles nous remplissent le ventre de leurs délicieux croûtons au sucre.
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25.
CONSPIRATION
peine, il s’agit pour moi d’observer pour apprendre.
Une nouvelle vie commence pour moi avec le tournage des films. Rédaction
du scénario, prises de vue sous tous les angles, trajets à effectuer, réunion
avec mes associés, recherche de la publicité, tout concourt à faire passer les
mois sans que je m’en rende compte. Mon équipe se compose de plusieurs
personnes: Paul Bédard, caméraman; Jacques Duchesne, script; Louise
Giguère, assistante à la réalisation; Ralph Dolman etc…
La première mondiale a lieu à Québec, au Palais Montcalm. Le succès
est immense. C’est la première fois qu’au Québec, on tourne des films en
Technicolor et avec son stéréophonique. Le Tout-Québec applaudit, mais la
critique est mesquine.
Les gains sont substantiels. Comme je recommence vraiment une nouvelle
vie, je veux m’éloigner de ce Québec qui me rappelle trop de mauvais
souvenirs. Je dis adieu à ceux que j’aime, je me sépare de mes amis français
qui ont maintenant un emploi assuré à la Columbia Production. Quant à
mon associé, je lui cède ma part et je m’envole vers la Floride.
Je ne pars pas les mains vides; j’ai ma part des productions de films, j’ai des
contrats de pigiste comme chasseur d’images parlées avec différentes agences
de presse dont: United Press International, Movietone News de New York,
Télé-radio Production, etc… Le service de l’information de Radio-Canada
acceptera aussi mes reportages.
La base de lancement de satellites spaciaux vient d’ouvrir à Cap Canaveral
(maintenant Cap Kennedy), et c’est ma première assignation officielle. Dans
l’avion qui me transporte à Miami, les images lourdes du passé défilent dans
ma tête…
Au début de la guerre, je suis âgé de treize ans, lorsque j’ai une sorte de vision,
de rêve. Tout le village est en retraite paroissiale. Je m’amuse à construire
un avion que j’espère faire voler à distance. Il va sans dire que je ne connais
même pas le terme « aéronautique ». Pourtant, je complète l’engin avec un
contrôle à distance et je parviens à le faire voler. Je passe des heures à la Baie
de Lindsay, à téléguider mon appareil pour mon plus grand plaisir.
La réaction des villageois est violente. Je suis possédé du démon, je suis
prêt à être interné, etc… Je dois donc laisser de côté ce jeu nouveau qu’est
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26.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
pour moi, cet avion téléguidé. Maintenant, je sais qu’à l’époque, la technique
de téléguidage était inconnue des militaires et de l’aéronautique.
Jamais je n’ai réalisé mon rêve de devenir ingénieur en aéronautique, mais
mes études en cosmologie ont rempli ce coin d’univers de mon être, que
j’exprime par mes tableaux.
À cette époque, je sais déjà que l’homme marchera bientôt sur la lune et
que l’espace perdra, un à un, ses mystères avec le années. Je dois cacher ces
choses à tous, parce que j’ai peur d’être envoyé dans un hôpital pour malades
mentaux. Au village, on ne peut se permettre de devancer ce que les journaux
publient.
Les années passent… À l’école où nous sommes une cinquantaine d’élèves
pour le même professeur qui enseigne de la première année à la neuvième,
je n’ai guère d’amis. Je déteste la violence et elle règne en maître dans une
classe d’où la discipline est absente. L’hiver, il faut se protéger du froid, et en
toutes saisons, des rats. À Saint-Gédéon, quand on est en possession d’une
neuvième année, on est instruit. Mon père n’est pas d’accord pour m’envoyer
étudier aux Beaux-Arts de Québec, comme c’est mon rêve. Il m’inscrit à
l’école d’Agriculture de Chicoutimi. Je n’en suis pas très heureux, mais je n’ai
pas le choix. Comme j’ai visité l’école des Beaux-Arts, mon regret n’est que
plus lancinant. J’ai seize ans et j’ai besoin d’exprimer tout ce que je ressens de
beauté, je veux peindre. Je me sens découragé, incompris…
Je m’installe provisoirement à Miami, dans une pension de famille. Pendant
quelques jours, je profite du soleil, de la plage, je me repose. Je veux orienter
ma vie vers quelque chose de précis, de stable; je cherche, je rencontre des
gens qui oeuvrent dans les domaines qui m’intéressent. J’ai soif d’étudier, de
savoir, de peindre de travailler, de donner de moi-même.
J’entreprends des démarches pour changer mon nom pour celui d’André
Fontaine qui sonne mieux, comme nom d’artiste, que Julien Gagnon. Mes
activités artistiques, mon travail, seront s1gnés de mon nouveau nom, et cela,
légalement.
A Miami, il existe des émissions de radio en espagnol en italien et en
allemand. Il n’y en a pas en français. Je propose au poste WMIE qui dispose
d’une heure d’antenne, d’animer et de réaliser une émission quotidienne en
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27.
CONSPIRATION
français. La direction accepte. Je cherche et je trouve une collaboratrice
québécoise, et dès le début de la radiodiffusion, c’est le succès. Je dois bientôt
engager quelqu’un d’autre pour suffire à la tâche. L’émission est diffusée en
Floride et aux Antilles; les commanditaires sont nombreux.
À la préparation d’une heure d’antenne par jour, il faut ajouter les reportages
que je transmets régulièrement aux agences de presse, le temps que je consacre
à la peinture, à l’étude. Mes journées de travail durent souvent près de vingt
heures. J’ai envie d’avoir un vrai chez moi.
Maintenant que je suis familiarisé avec la région, je me lance à la recherche
d’une maison. Je connais le coin qu’il me plairait de retrouver à chaque
retour d’assignation, et même tous les soirs. Ma recherche n’est pas longue;
j’apprends qu’une jeune femme, maintenant seule, veut se défaire de sa maison
et de son contenu. Je vais la voir et elle me fait visiter sa villa, sise à Key
Biscayne. Je suis séduit et les conditions de vente me conviennent. Entre
temps, les procédures légales pour le changement de mon nom ont abouti. Le
contrat que je signe est le premier que je paraphe de mon nouveau patronyme:
Fontaine.
La superbe propriété est à moi. Un grand jardin l’entoure, des palmiers aux
troncs élancés lui donnent une allure royale et une piscine creusée complète
l’ensemble. Je n’en suis pas peu fier. Tant qu’à être expéditif je continue à
transiger rapidement et j’achète la voiture qui est en montre, pas loin du lieu de
mon travail et que j’admire depuis quelques jours. Son apparence, ses couleurs
me plaisent et en plus, elle est décapotable. Une de mes collaboratrices
retourne à l’agence de location l’automobile qui me véhicule depuis mon
arrivée en Floride.
Avec ces acquisitions, je gagne une stabilité jusqu’alors inconnue te mon.
Le travail, l’étude, la musique, la peinture et la recherche tiennent toute la
place dans ma vie, pourtant, je pense toujours à Paule, et je fais des projets…
L’ex-propriétaire de ma maison ne peut conserver sa gouvernante à son
service. Je l’engage donc. Comment un célibataire sans horaire fixe peut-il
s’en tirer autrement? Elle est dévouée, pleine de savoir-faire qu’elle démontre
d’ailleurs sans tarder. Le samedi qui suit mon achat, je dois, selon la tradition
du village qu’est Key Biscayne, recevoir mes nouveaux voisins et mes amis à
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28.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
une grande partie.
La guerre continue. Un jour de l’été qui précède mon entrée à l’école
d’Agriculture, je me rends à Chicoutimi avec l’extrait de baptême de mon
frère aîné, Paul. Je m’enrôle dans l’armée sous son nom. On me remet un billet
militaire pour le passage sur le train, de Saint-Gédéon à Québec. Mes parents
ne sont pas au courant de cette escapade. Je cache ensuite des vêtements pour
la continuation du projet que j’ai en tête.
Le dimanche suivant, je demande à Marcellin Desjardins, un voisin épicier,
de me conduire à la plage de la Station où je me baignerai pendant quelques
heures. J’essaie d’être calme, de camoufler ma joie, d’avoir trouvé le moyen
de m’évader du monde rétréci qu’est mon village natal. Je crois qu’enfin,
je pourrai accéder aux cours dispensés par les Beaux-Arts, par le biais de
l’Armée.
Vers quatre heures, en ce dimanche ensoleillé, Marcellin me cherche en
vain sur la plage. Beaucoup de gens m’ont vu entrer dans l’eau, mais personne
ne m’a vu ressortir. C’est l’alerte générale. Inconscient du mal que j’ai fait, je
roule allègrement vers Québec.
Pendant des jours, des grappins fouillent le fond du Lac Saint-Jean; même
l’armée qui est stationnée tout près du village, participe aux recherches. Le
curé lance des poignées et des poignées de médailles dans le lac, contre l’argent
que lui verse ma mère, désespérée.
À la Citadelle, où je me suis rapporté, la vie n’est pas aussi rose que je l’avais
cru. L’entraînement me laisse un peu de loisirs pour penser à peindre. Déjà,
en gosse que je suis encore, je m’ennuie de la maison familiale. Au moment de
prêter serment, j’arrive face à face avec le député du Lac Saint-Jean, Armand
Sylvestre, un ami de la famille!
Il me tire l’oreille et m’apprend qu’il est sur son départ pour assister à mes
funérailles. Il m’informe aussi de l’illégalité de mon geste. Je trouve le savon
qu’il me passe très dur, mais je réalise à ce moment seulement, la gravité de
l’acte que j’ai posé.
Monsieur Sylvestre téléphone immédiatement à mon père qui lui demande
de me ramener chez moi. Il lui demande également de ne rien rapporter aux
autorités pour le moment, parce qu’il connaît le motif de mon agir. Quel
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29.
CONSPIRATION
retour! Joie, chagrin, larmes, rires, et remords se mêlent.
À la suite de cet incident, mon père accepte de signer le formulaire qui me
permet d’entrer dans la Marine Royale du Canada. Je peux ainsi continuer
à étudier au collège des Jésuites, réquisitionné pour le temps de la guerre.
Je fréquente aussi un peintre naturel du lac Saint-Jean, établi à Québec,
Philippe Desgagnés. Cet homme m’apprend beaucoup, et pas seulement
de la technique.
Je suis ensuite transféré à Vancouver et je rencontre là-bas un peintre
français chez qui je peux suivre des cours. La marine a d’autres priorités,
mais tous mes moments libres sont consacrés à la peinture et à la poursuite
de mes études.
À Noël 1945, Marie-Paule devient ma femme. Nous sommes heureux.
Nous habitons un petit logement au-dessus de l’appartement de mes beaux-
parents. Mon bonheur de jeune marié dure peu. Je découvre bientôt que ma
femme, victime de son patron depuis quelques années, se plie encore à lui.
L’enfer commence pour moi. De plus, il est difficile en cette fin de guerre de
trouver un emploi. J’essaie tous les métiers, quand une place est disponible…
Je dois me cacher pour peindre, pour lire, pour étudier. J’ai soif de connaître,
de savoir, les sciences m’attirent… On me décourage, on me dit incapable… Je
me cherche… Je déménage à Montréal où j’ai obtenu un poste de relationniste.
Je crois que je pourrai enfin échapper à ce démon qu’est le patron de Paule
et aussi, au scandale de la petite ville que nous habitons, où tout le monde
connaît mon infortune.
À Montréal, j’espère trouver le calme, la tranquilité. Je sais que ma femme
m’aime et que nos deux filles forment un lien solide entre nous. Je les aime
tant. J’ai un travail intéressant dans les relations publiques de la compagnie
Alcan. À cause de ce travail, je dois m’absenter quelquefois, pour un jour
ou deux. Je ne le sais pas, mais rien n’a changé, le monstre nous a suivis à
Montréal.
Un jour, en revenant du « Royal Winter Fair » de Toronto, j’invite des
camarades de travail à venir contempler un couple heureux. Je les amène
chez moi. Aucun mot ne saurait décrire mon effondrement, ma honte. La
maison est vide. Il n’y reste que la bonne éplorée qui m’explique que madame
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30.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
a déménagé avec les enfants, chez un ami… Elle a laissé quelques meubles qui
ne lui seront d’aucune utilité…
La première nuit que je passe dans ma propriété de Key Biscayne, je la
savoure. Il y a si peu de temps encore, et pendant longtemps, j’ai vécu des
nuits si misérables, rejeté de tous, seul, si seul.
Je m’agenouille spontanément pour remercier Dieu, le prier, ce que je n’ai
pas fait depuis longtemps, trop longtemps. Je le prie avec ferveur, dévotion.
La prière de Job me vient spontanément aux lèvres : « Mon Dieu, Vous m’aviez
tout donné, Vous m’avez tout ôté, que Votre saint Nom soit béni ».
J’avais une femme que j’adorais, deux magnifiques filles. Malgré les
recherches que je fais effectuer, j’ignore même le lieu de leur domicile. Je
revois le visage de cet homme qui m’a ravi le coeur de Paule, et par qui
j’ai tant souffert. Je revis le cauchemar que fut ma vie depuis 1947, jusqu’à
maintenant. Je demande la force, le courage d’oublier, de pardonner. Que
sont-elles devenues?
Depuis le déménagement inattendu de Paule, je me suis retrouvé plus
souvent que nécessaire dans les bars, j’ai goûté de la drogue, et à cause de
l’évasion que me procure ce poison, de l’assurance factice que j’en tire, de
l’oubli qui m’en vient, j’en abuse facilement.
Mon travail en souffre et bientôt, je suis sans emploi. Je passe mes journées
avec les voyous du Carré Viger. J’ai faim, j’ai froid… Un jour, j’ai tellement
faim, que je mendie un sandwich à un restaurateur, tant je suis à bout de
ressources. Je mange dans les poubelles…
Cet état de vie dure peu. Un jour fatal de 1954, je suis incarcéré. La drogue
me procure deux ans de pénitencier. J’en sors au bout de dix-sept mois d’enfer,
avec la ferme intention de ne plus y retourner, jamais. Pendant ces mois, je
comprends que, si je le veux, je peux m’en sortir. Ça ne sera pas facile, mais je
le veux tellement, que j’y arriverai.
C’est dans les poubelles que j’ai fréquentées alors que la drogue m’apportait
l’oubli, que je trouve des petits bouts d’évangile que des gens bien, ont jetés.
Nos poubelles sont profondes. Elles engloutissent les miséreux dont personne
ne veut et dont peu de gens s’occupent. En théorie, on peut très bien délimiter
la misère avec des arguments sociologiques, on peut la chiffrer, l’expliquer.
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31.
CONSPIRATION
Dans la réalité charnelle, viscérale des faits, il est totalement impossible de
comprendre jusqu’où peut se rendre la profonde détresse morale et corporelle,
si on ne l’a pas approchée, partagée physiquement.
Les miséreux sont les personnes les plus difficiles à comprendre et à
connaître, parce qu’ils sont seuls et qu’ils sont fiers. Sans ami, sans famille, ils
ont perdu jusqu’à l’espérance de la relation humaine; aussi n’essaient-ils pas
de communiquer. J’en suis à ce stade de vie, lors de mon incarcération.
C’est à ce moment que Dieu permet que j’apprenne à aimer les pauvres, les
démunis, ceux qui ne peuvent plus compter sur personne. C’est extraordinaire
l’enrichissement que j’en retire, la motivation que j’en ressens pour m’en
sortir et pour aider les autres à s’en sortir aussi. Aux yeux de la société, ils ne
valent rien; ils sont tellement riches, quand ils permettent à quelqu’un de les
connaître. Je leur donne une place de choix dans mon coeur et dans ma vie.
Le passé me hante de moins en moins souvent. Je veux n’en garder que les
leçons que j’en ai tirées.
Le soir qui suit mon emménagement dans ma nouvelle demeure floridienne,
de nombreux voisins, amis et camarades de travail sont réunis chez moi
pour célébrer l’événement. Plusieurs personnalités sont présentes: Ken Kyes,
écrivain américain de renom dont les oeuvres les plus connues sont: « How to
Develop your Thinking Ability » et « Regards in Tomorrow’s World », donne son
temps libre à l’Opéra et à l’Orchestre symphonique de Miami. Il vit sur son
superbe yacht de quelque cent pieds de long dont le port d’attache est Dinner
Key Marina. J’ai le plaisir de voguer avec lui et Jacques Fresco jusqu’aux
Antilles à quelques reprises.
Autant Ken est physiquement sophistiqué, autant Fresco est bohème avec
sa barbiche au menton et ses vêtements défraîchis. Ce dernier habite une
maison sans peinture extérieure. Le professeur Fresco est pourtant l’inventeur
du fonctionnel et du confort d’un intérieur. Scientifiquement conçu, son
mobilier nous donne l’impression d’habiter un autre monde. Instruments
scientifiques et mobilier sont agencés pour utiliser tout l’espace et donner un
décor interplanétaire qui demande peu d’efforts d’entretien et un maximum
d’efficacité.
Avant d’acquérir cette maison, Jacques habitait la Californie, où il était
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32.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
ingénieur d’aéronautique et spécialiste consultant auprès des compagnies
cinématographiques, pour la réalisation de films scientifiques et de films de
science-fiction. En 1947, il créa la première maison entièrement construite
d’aluminium. Il travaille actuellement à inventer une automobile de concep-
tion révolutionnaire, qui sera mue par l’énergie nucléaire. Cette voiture sera
composée d’une centaine de pièces détachées au lieu de 25,000, comme on
en compte sur les voitures actuelles.
Il serait fastidieux d’énumérer tous les invités de marque que j’ai l’honneur
de compter chez moi, en ce soir inoubliable. Il manque à mon bonheur, Paule
et mes deux filles…
Personne ne s’aperçoit de la tristesse de mon coeur. Les derniers invités
partent tôt, le dimanche matin. Cette journée dominicale me permet de
récupérer pour aborder la journée du lundi qui sera chargée. Je dois
commencer un reportage à Cap Canaveral, pour l’émission «Caméra 58»
de Radio-Canada.
Il est à peine quatre heures du matin lorsque je me lève pour mon premier
reportage, ma première aventure spatiale à Cap Canaveral. Je cueille mes
deux compagnons de route, et à trois, le trajet est agréable dans la nature
presque tropicale de la Floride. Au petit matin, les orangeraies répandent un
parfum ennivrant quand il est mêlé à la vaporeuse rosée qui se dégage des
palmiers qui longent le route.
Le quartier général de la NASA est aménagé à quelques milles au sud de
Cocoa Beach. L’officier chargé de la presse, Joe King, nous pilote au seul
endroit recommandable de la région. Le personnel de la Base y a installé ses
pénates.
Un essai de lancement est prévu pour demain. Durant l’après-midi
nous tournons quelques scènes sur les chantiers en effervescence et sur les
nouveaux quartiers résidentiels qui poussent comme des champignons, un
peu partout dans les environs.
Cocoa Beach est habité par de pauvres pêcheurs. Le territoire de Cap
Canaveral est désolant de marécages… Il n’y habite qu’un vieil ermite qui tire
sa maigre subsistance de quelques poissons.
Le lendemain, on nous guide vers la rampe de lancement, à l’observatoire
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33.
CONSPIRATION
réservé aux journalistes. Partout, nous voyons des formes de fusées en
construction; on se croit sur une autre planète. Les silhouettes sont
gigantesques, impressionnantes.
Le moment crucial est arrivé. Un grand vacarme, une explosion et le bolide
se détache du sol. Une accélération fantastique lance la fusée vers le ciel.
Quelles images magnifiques se gravent en nous et sur la pellicule!
Au retour, nous croisons les spécialistes, les techniciens vêtus de vert et de
blanc, la bouche masquée, attifés comme des chirurgiens penchés sur une
table d’opération. Ce sont les savants de l’espace.
Depuis, l’endroit a beaucoup changé, il a pris une ampleur vertigineuse.
C’est devenu une vraie gare spatiale, interplanétaire avec les aménagements
et le développement du territoire. Des fusées pointent toujours vers le ciel
et les départs sont fréquents. Des projets de plus en plus vastes et audacieux
sont en voie de réalisation.
Malgré l’essor que connaît l’endroit, les habitants doivent majoritairement
habiter dans des maisons mobiles. Les adolescents sont à l’avant-garde de la
mode spatiale. Les nouveaux-nés portent des prénoms tels que: Juno, Bomark
ou Jupiter. L’atmosphère environnante influence les parents.
Les restaurants, les motels nous transportent dans l’espace avec leurs décors
sidéraux. On nous sert un « Marstini » comme apéritif. On nous offre un
steak « martien » et au dessert, le menu vous suggère un « Frosted Moon ».
Le coût de la vie y est absolument prohibitif. Il faut réserver des semaines à
l’avance pour y loger convenablement. Malgré ces inconvénients, les touristes
y abondent à chaque fois qu’un lancement de missile est annoncé.
Quelques mois plus tard, on me demande de réaliser un long métrage
sur la Révolution cubaine. Avant d’accepter, je dois trouver quelqu’un pour
me remplacer au micro de mon émission quotidienne à WMIE. Je suis plus
libre ainsi pour voyager à Cuba, continuer mes études scientifiques et mes
recherches en art cosmonitique. Depuis que je fréquente régulièrement Cap
Canaveral, le sujet me passionne de plus en plus. Mes amis m’encouragent
d’ailleurs et me soutiennent dans cette voie qui me tient tellement à coeur.
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34.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
À Miami, par l’intermédiaire de Mgr Farillo2, j’ai connu le juge Manuel
Urutica qui, en appel, a libéré le chef des rebelles dans les montagnes de la
Sierra Maestra. C’est ainsi que j’ai connu Fidel Castro et ses camarades. Ils
avaient été condamnés à 29 années de détention, à la suite de l’attaque de la
caserne Mocanda à Santiago de Cuba. Tous les dirigeants du gouvernement
provisoire en exil vivent à Miami, dans des conditions lamentables de
pauvreté. Ils attendent la victoire de Fidel pour retrouver leur île, avec des
milliers d’autres réfugiés.
C’est la fin de juin 1958. Je débarque à La Havane. Dès le lendemain, je
remplis les formalités d’usage pour être dûment accrédité au secrétariat de
la presse. Je parcours la ville sans tarder pour me renseigner sur les divers
aspects de la vie, sur les faits non mentionnés dans les dépliants publicitaires et
les guides touristiques du régime Batista, des feuillets qui attirent des milliers
de touristes.
Les hôtels sont archi-bondés. La navette aérienne qui relie les États-unis et
la Havane est débordée. Quotidiennement, il y a sur semaine, une quinzaine
d’arrivées et autant de départs. En fin de semaine, le nombre des atterrissages
et des envolées atteint parfois vingt-cinq. Pour obtenir une chambre dans les
luxueux palaces, il faut réserver d’avance. Le jeu et le music-hall osé y sont
rois, la prostitution y est florissante.
Le soir, je déambule sur le boulevard Malicon, large promenade qui longe
l’océan, dans le quartier Vélado. Un étranger qui se promène seul sur ce
boulevard, sur le Del Prado ou au centre ville, est aussitôt accosté par de jolies
filles qui lui proposent leurs appâts ouvertement et sans embarras. S’il arrive
à les esquiver, une nuée de petits mendiants se bousculent entre eux pour
obtenir de l’imprudent, une aumône. Ne donnerait-il qu’un sou, il n’arrive
plus à se débarrasser de la bande qui devient de plus en plus agressive. J’ai
l’expérience de tels spectacles et j’évite de regrettables erreurs.
La plupart des industries de Cuba appartiennent à des sociétés américaines,
2 Avant mon départ pour la Floride en 1957, en visitant un camarade, j’ai rencontré Mgr Farillo.
Il était alors en exil à la maison des Missions étrangères de Pont-Viau (aujourd’hui Ville de
Laval), en attendant du gouvernement américain, la permission de rentrer aux États-Unis.
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35.
CONSPIRATION
tout comme le poste de radio et de télévision CMQ, situé sur la Calle 23.3
Entre juin et décembre, je fais la navette entre Miami La Havane et la Sierra
Maestra. J’apprends à connaître les deux groupes cubains: Batista et ses
administrateurs, c’est-à-dire le gouvernement en place; et, de l’autre côté, les
soldats de la guérilla avec, à leur tête, Fidel Castro. Je gagne l’estime et la
confiance de ces derniers et ils me témoignent de l’amitié.
Le reportage que je fais est un long documentaire qui sera radio-télédiffusé
sur les ondes de Radio-Canada, le 15 décembre, sous le titre: « Les deux
visages de Cuba ».
Pour compléter le reportage, il me manque une entrevue avec le chef du
gouvernement cubain; le rendez-vous avec Batista est fixé au six (6) décembre.
Le cinq (5), j’arrive à la Havane. Je suis reçu par le président, comme prévu,
et après l’avoir interviewé, je me rends à Santa Clara pour reprendre des
séquences de film que possède mon assistant, Manuel Condé Perez. Ces
bouts de film contiennent une entrevue avec Castro, des images des rebelles
du maquis et des activités de ces gens adversaires du régime établi. C’est à ce
moment que j’ai rencontré le major Dominique Michaëli, d’origine française,
qui dès le début, s’est joint aux rebelles. Il enseigne l’usage des armes aux
paysans qui rejoignent l’armée des montagnes.
Entre temps, la grève de la radio et de la télévision d’État qui sévit au
Canada depuis plusieurs semaines, fait que le service de production de Radio-
Canada se trouve à court de métrage. Ils diffusent mon reportage incomplet,
plus tôt que prévu. II en résulte des protestations véhémentes de la part de
l’Ambassade de Cuba à Ottawa. Ceci envenime la situation. Il y a presque un
bris des relations diplomatiques entre le Canada et Cuba.
À La Havane, le 8 décembre, je suis à bord de l’avion qui me ramènera à
Miami. L’avion est à l’autre bout de la piste, prêt à décoller, quand le régime
des moteurs ralentit et que le pilote revient à l’aérogare. Des officiers de
l’armée cubaine font irruption à l’intérieur de l’appareil et m’arrêtent.
Je ne suis au courant de rien de ce qui s’est passé au Canada. Je sors mon
3 C’est de CMQ TV que je diffusais mes reportages à Radio-Canada (Montréal) et également
aux autres agences de presse auxquelles j’étais attaché.
21
36.
CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
accréditation de membre de la presse et je la leur présente, croyant qu’il y
a erreur sur la personne qu’ils ont mandat d’arrêter. On ne me répond pas
et on me conduit à un chef de section que j’ai rencontré à plusieurs reprises
dans des réunions sociales. Celui-ci m’accuse formellement d’espionnage et
de complicité avec les rebelles de la Sierra Maestra.
Je refuse de plaider coupable à des accusation que je sais mensongères et
d’actes que je n’ai pas commis. On me soumet alors à la torture pour me
faire avouer. On m’arrache les ongles des doigts, des orteils, on me matraque
les testicules, on me lacère la langue, les chairs de la bouche… Peu d’êtres
humains ont résisté à ces tortures, je crois.
Je suis dégoûté de voir les faces de ces tortionnaires prendre plaisir à
exacerber leur sadisme sur une malheureuse victime ligotée à un fauteuil
de supplice. Depuis le régime hitlérien, jamais je n’ai entendu parler que de
telles pratiques existent encore. Je les ai pourtant subies et les cicatrices que
je porte en font foi.
On me confronte ensuite avec d’autres prisonniers dont une jeune femme
que j’ai connue dans les montagnes. Elle confirme que je n’ai rien à voir avec
le Révolution. On la giffle violemment, on la bat. Un des tortionnaires sort
et revient après un moment dans la salle où nous sommes; il exhibe un oeil
humain dans sa main rougie de sang. En s’adressant à sa victime, il lui dit:
«Tu ne veux pas collaborer, voici ce qu’il reste de ton père». Il lui lance l’oeil dans
le visage et ajoute: «Si tu persistes toujours dans ton refus de collaboration, tu ne
sortiras pas vivante d’ici.»
On m’enferme ensuite dans un cachot dont la fenêtre donne sur une cour…
De cette ouverture, je vois les brutes continuer de torturer ma jeune amie
révolutionnaire. C’est insupportable, même si je ne regarde pas, j’entends et
ils le savent. Je suis ensuite témoin de son exécution en même temps que celle
d’autres de mes frères cubains…
C’est la nuit de Noël 1958. J’attends la mort dans la prison-forteresse de
Santa Clara. Avec d’autres prisonniers, je suis suspendu au plafond par des
cordes, brûlé avec des torches à gaz, avec des cigarettes. On nous envoie
des chocs électriques sur les testicules, le pénis… Nous passons des heures
ainsi. Quand on nous détache enfin, on se recroqueville sur un grabat infect,
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37.
CONSPIRATION
trempé de sueur et de sang, dans un petit cachot sans fenêtre, avec comme
seul compagnon, un seau hygiénique tout rouillé. Depuis des jours, nous
sommes privés de nourriture, de sommeil. Il fait une chaleur tropicale et il ne
circule aucun air pour évaporer cette odeur animale stagnante, qui soulève le
coeur et l’estomac vide. Les conditions de survie sont terribles, impossibles à
decrire, les souffrances physiques et morales rendent les nuits plus longues
que les jours sans fin. On finit par ne plus se souvenir très nettement de sa
fiancée, de sa femme, de ses enfants, de sa maison, de son pays. Les pupilles
sèchent de douleur à ces supplices raffinés.
Dans la nuit du 28 décembre, la bataille fait rage et le crépitement des
mitrailleuses est soudain interrompu par une explosion qui secoue les vieilles
pierres de la forteresse de Santa Clara. Les soldats, les policiers et les gardiens
se retournent contre eux-mêmes, pris de panique qu’ils sont. Les paysans de
la Révolution, sous les ordre de Che Guevara, envahissent la prison.
Je prie. C’est à ce moment que je fais le voeu de devenir le porte-parole
de Dieu, le défenseur des opprimés. Je serai un Pasteur digne de Lui, qui me
permet de sortir de cet enfer dantesque vécu. Je sais qu’un jour, les hommes
m’écouteront.
Les arrivants vainqueurs nous prodiguent les soins urgents que nécessite
notre état et nous libèrent, car je ne suis pas le seul survivant. Je peux me
rendre à La Havane que Batista et ses ministres désertent. Ils fuient en
République Dominicaine et à Palm Beach, lorsque la bataille est engagée
pour libérer la capitale.
Aussitôt que la nouvelle de cette victoire révolutionnaire parvient à Miami,
un avion ramène dans l’île, le juge Urutica, Cordona, Mgr Farillo, tous les
membres du gouvernement provisoire et un groupe d’exilés qui s’étaient
réfugiés là-bas.
Les révolutionnaires, les opprimés de la Havane s’adonnent à une vaste
opération de pillage des palais qu’occupaient Batista et ses amis. Les
règlements de compte battent leur plein; partout, des corps décapités, mutilés
remplissent nos yeux d’horreur. Les victimes sont des policiers, des agents
secrets de Batista, notoirement reconnus comme tels.
Pour mettre fin à ce climat de violence qui prend une ampleur démesurée
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CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
et qui risque de devenir incontrôlable, le gouvernement provisoire de la
Révolution4 décrète la loi martiale et la grève générale dans tous le pays. Ceci,
jusqu’à ce que les forces rebelles, dirigées par Fidel Castro, son frère Raoul et
Che Guevara puissent prendre le contrôle de la ville. Ces derniers sont en
route vers la capitale, de Santiago de Cuba et de Santa Clara.
Avec Daniel Camus et sa femme, correspondants de ParisMatch, je surveille
d’une chambre d’hôtel ce qui se passe sous nos yeux. Nous entendons encore
des coups de feu épars, puis, le calme qui s’installe.
Quelques jours plus tard, les visages hâves mais souriants, Fidel Castro et
ses soldats déambulent devant nous sur le boulevard Malicon. Nous sommes
près d’un million de personnes à les regarder et à les acclamer. Ils ont l’air
heureux, malgré la fatigue accumulée pendant les mois qu’ils ont passés dans
le maquis.
La réception qu’ils reçoivent est bouleversante pour tous. Fidel parle
pendant quatre heures, dans un silence émouvant. La fête du triomphe se
traduit ensuite par des rythmes qui éclatent et qui se poursuivent toute la
nuit et toute la journée suivante.
À la mi-janvier 1959, je reviens à Miami pour me reposer et retrouver le
calme et la santé. J’ai du mal à marcher et le port de chaussures m’est encore
un supplice. Ma langue et l’intérieur de mes joues sont cicatrisés, mais le
fourmillement persiste. Un ami révolutionnaire, le docteur Marquez, dont la
clinique est située près de l’hôtel où je résidais à La Havane, m’a fortement
conseillé plusieurs semaines de repos complet.
Mes amis de Key Biscayne m’accueillent avec émotion et ma brave Maria
garde les yeux humides pendant plusieurs jours. Ils sont atterrés quand ils
apprennent toutes les aventures que je viens de vivre. Je reviens de loin, j’étais
sûr de mourir là-bas, et personne de mes proches ne le savait.
Entouré de mes amis, ma convalescence se poursuit agréablement. Je
recommence bientôt à voyager à La Havane pour assister aux rapides progrès
qui s’effectuent dans la société nouvelle de Cuba. Mes études m’ont manqué
4 Dirigé par le juge Manuel Urutica. Celui-ci a été nommé président de la République par le
gouvernement révolutionnaire au début de janvier 1959.
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39.
CONSPIRATION
pendant la réalisation de ce reportage, aussi je reprends avec plaisir mes livres
et je continue à assister aux cours libres et aux conférences de mes amis
professeurs.
Le groupe homogène formé par Fidel Castro, par Che Guevara et par ceux
qu’on a surnommés les «douze apôtres» est si populaire que des millions de
cubains les vénèrent. J’assiste aux procès des tortionnaires qui étaient à la
solde de Batista et j’en vois exécuter plusieurs, dont le chef de police de Santa
Clara, Soso Blanco et son fils.5
Me Raymond Daoust, criminologue de Montréal, est invité comme juriste
étranger à observer le déroulement des procès. Je suis chargé de l’accompag-
ner et de le présenter au chef cubain et à ses lieutenants.
J’accepte de m’occuper des relations de presse étrangère pour le secrétaire
de Castro, le docteur Juan Orta. De plus, j’ai l’occasion de rapprocher le
Canada et le nouveau régime cubain, notamment en créant des contacts
avec des entreprises commerciales canadiennes et les ministères cubains de
l’Éducation et de la Défense. L’Ambassade canadienne ressemble actuellement
à une succursale de Washington, ce qui éloigne les hommes d’affaires du
négoce avec le nouveau Cuba.
Les affaires de la Dominion Bridge et de Canadair font beaucoup de bruit.
Ces compagnies ont signé des ententes avec Cuba; ils doivent livrer vingt-
quatre avions «Jets F 86». La compagnie Bond, dirigée par monsieur Scott,
doit habiller les nouveaux policiers et les membres de la force armée de
La Havane. Sur les recommandations de l’ambassadeur canadien à Cuba,
monsieur Allard, le Canada refuse d’émettre les permis d’exportation.
La « Campagne de Joie », une quête de jouets et de vêtements d’enfants,
entamée par moi lors d’une entrevue à Radio-Canada, porte ses fruits. Des
tonnes de matériel arrivent à Radio-Canada. Me Raymond Daoust a d’ailleurs
continué cette campagne à son retour de Cuba, où il a constaté de visu,
5 Soso Blanco, chef de la police secrète du district de Santa Clara - Il a demandé lui-même la
peine de mort - La Cour du Peuple du gouvernement révolutionnaire lui a fait un procès public
pour les crimes répugnants qu’il a commis sous le régime de son chef, Batista (assassinat de
masse de fillettes qui refusaient de se livrer à la prostitution ou encore de jeunes soupçonnés
d’appartenir aux révolutionnaires).
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CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
les besoins du peuple de braves de cette île. Fidel Castro est invité par la
Jeune Chambre de Commerce de Montréal à prendre possession de toute
la marchandise accumulée. Je dois accompagner le chef cubain lors de ce
voyage.
Certains sentiments sont universels. La jalousie fraternelle est ce ceux-là.
Raoul Castro envie son frère et la popularité dont il jouit. C’est humain. Il
voit donc d’un mauvais oeil tous ceux qui gravitent près de Fidel et qui ont
une situation privilégiée.6
L’arrivée de deux journalistes étrangers auxquels je me dois, retarde mon
départ pour Montréal. J’en serai quitte pour rejoindre Fidel dans quarante-
huit heures. C’est suffisant pour que Raoul intervienne et me fasse arrêter à
Santa Clara, où je me trouve.
L’officier d’aviation, le major Luis Valera m’accompage à La Havane où
Raoul m’attend. En y arrivant, nous nous restaurons et nous partons pour
le domicile où je devrai attendre, semble-t-il, le retour de Fidel Castro pour
qu’il décide de mon sort. Je ne suis pas inquiet, celui-ci me connaît bien et il
me libérera.7
Pendant le trajet, en abordant le tunnel qui traverse la baie, notre voiture est
interceptée par un véhicule occupé par deux individus qui m’ont interpellé
au restaurant. Mon gardien est mis hors de combat, les américains me
chargent dans leur voiture et s’engagent rapidement sur l’autoroute de l’est,
Via Guanabo.
Plus loin, ils me mettent au courant du pourquoi de leurs agissements. Ils
sont des agents américains, ils craignent pour ma vie et ils ont fait le nécessaire
pour que je rejoigne Miami sans tarder. Dans la campagne, je suis camouflé
dans un camion qui transporte des légumes. On a aménagé un compartiment
parmi les caisses où je suis à l’aise. Je ne vois plus où je vais que déjà, on me
fait descendre. Je suis dans la cour d’un monastère. J’entre, on me tonsure
6 Cette situation n’a duré que quelques temps; tout s’est replacé quand Raoul a été nommé chef
des forces armées cubaines.
7 Après mon voyage, Fidel a voyagé à Mexico et Caracas durant près de 2 semaines, ce qui a
retardé et annulé son intervention.
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CONSPIRATION
et je dois endosser la bure monacale, le temps que les recherches diminuent
d’intensité. L’alerte de mon évasion spectaculaire a mis sur pied une équipe
de centaines de soldats à mes trousses.
Après un mois du régime des moines, le major général Williams m’apporte
des vêtements de pêcheur et me conduit à une plage où un petit voilier
m’attend, mouillé dans la baie. Au crépuscule, une barque à rames nous
mène au voilier. Là, seulement, je suis informé de la situation. Je devrai
naviguer seul en direction du nord pendant quatre ou cinq heures, selon la
vélocité du vent. Je mettrai alors le cap sur le 100° ouest, et je serai sur la route
maritime de Miami. Aux environs des îles Andrews des Bahamas, soit vers
vingt-deux heures, je serai repéré par la garde côtière américaine et ramené à
Miami. Mon compagnon saute ensuite dans le doris, après avoir vérifié si j’ai
bien retenu toutes les instructions. Je suis seul, à la grâce de Dieu!!!
Seule lumière que je me permets, pour éviter d’être repéré, une lampe de
poche éclaire de temps en temps la boussole du voilier. Le vent est favorable
et je navigue à quatorze noeuds. La fatigue, l’énervement des événements
de la journée, le vent du large après un mois de réclusion, tout concourt à
me gagner à la somnolence qui m’envahit. Je ne veux pas dériver, alors je
maintiens le gouvernail à l’aide du surplus de corde de tension de la voile que
j’attache à un anneau sur le pont.
Je mange un peu et je reviens à la barre. Le cap n’a pas été déplacé par
l’installation de fortune que j’ai faite. Quelques lumières de la côte de Cuba
sont toujours visibles. Je m’endors.
Une douche froide me réveille. Il pleut à torrents et la mer est démontée.
Je détache le manche du gouvernail et je tente de réduire la voile. La corde,
raidie par l’absorption d’eau rend la manoeuvre difficile. J’ai dû faire un faux
mouvement parce que la voile se rabat sur le mât central et se déchire en
longueur, ce qui la rend inutilisable.
Avec les vagues énormes et la pluie, je risque de me noyer à tout moment. Je
dirige la proue du navire face aux vagues pour diminuer le roulis et donner de
la stabilité à l’embarcation. La boussole indique 10° nord-ouest. Où suis-je?
Je n’en sais rien.
J’ai froid, j’entre dans la cabine pour trouver de quoi me protéger à tout
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CONSPIRATION : ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
le moins de la pluie glaciale. Le jour tarde à se lever. Quand les nuages se
dissipent, le soleil est très haut dans le ciel. Je cherche en vain ce qu’il faut
pour réparer la voile déchirée qui pend lamentablement. Je place au sommet
du mât, un lambeau de toile, ce qui est un signal de détresse et j’attends du
secours. Il n’y a rien d’autre à faire.
C’est le retour de la nuit. J’allume le seul fanal à bord et je retourne dans la
cabine pour grignoter un peu. Je dois ménager le peu de provisions qu’il y a à
bord, ne sachant pas à quel moment je serai secouru. Je m’endors. Vers cinq
heures, je me réveille et je constate qu’il tombe une pluie fine. Je remplis un
bidon d’eau douce, c’est important. Je le conserve précieusement, au cas… je
ne sais pas où je vais et je dérive toujours.
Une vive douleur au bas-ventre m’empêche de me rendormir et même de
me reposer. Les jours, les nuits passent… Dans une demi-conscience j’ai
compté quatre jours, quand j’entends le vrombissement d’un avion. De peine
et de misère, je me traîne à l’extérieur de la cabine où je me suis réfugié, et je
constate que l’avion s’éloigne déjà. Quelques minutes plus tard, il revient en
volant si bas que j’ai peur qu’il n’arrache le mât de ma coquille de no1x. Je
perds conscience.
De temps en temps, j’ai impression de n’être plus seul et qu’on s’occupe de
moi, mais c’est dans un brouillard opaque que j’ai ces sensations. Lorsqu’enfin
je reprends vraiment conscience, une infirmière s’occupe à fixer une bouteille
de sérum à l’aiguille qui est en place dans la veine de mon bras.
Sans force, je m’efforce de parler, je tente de bouger. L’infirmière m’intime
l’ordre de n’en rien faire et elle me rassure en m’informant que je suis en
sécurité dans un hôpital de Miami, qu’on m’a opéré d’une péritonite causée
par la rupture de mon appendice. Tout va bien, tout est sous contrôle. Je
m’endors.
Plus tard, quand je suis assez bien pour penser, je me jure à moi-même que
c’en est bien fini avec les reportages et les aventures. Je laisse volontiers ma
place à d’autres. Ma peinture, mes études en cosmologie et l’animation de
mon émission quotidienne me suffiront à l’avenir.
Vive le calme de ma nouvelle existence. Les aventures que j’ai vécues depuis
presqu’un an mettent fin à ma vie quelque peu nomade. Avec Lydia, la jeune
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CONSPIRATION
cubaine que j’ai arrachée à la prostitution avant l’avènement de Castro, je pars
pour le Canada. Je veux revoir ma patrie qui me manque beaucoup, le peu de
parents qui me restent et aussi rechercher Paule. Je profite de l’occasion pour
me rendre à l’Ambassade de Cuba à Ottawa. On m’y accueille d’une façon
incroyable. On m’invite à me rendre dans l’île, à y vivre où et comme il me
plaira. Le reste de mon séjour au Québec est décevant.
Au retour, Lydia veut revoir les siens. Je la ramène dans son île. Je dois la
rassurer et lui affirmer qu’elle est libre d’y rester si elle le désire. J’adresse un
télégramme à José Ossoris, attaché à Fidel Castro pour le prévenir de mon
arrivée prochaine. Je suis reçu comme un héro et on m’invite à la résidence
présidentielle, où Manuel Urutica m’accueille. Je fais le tour de l’île et je
constate l’état d’avancement des travaux entrepris il y a si peu de temps.
Je reviens seul à Miami où je reprends ma vie de peintre et ma vie
d’études avec la musique et mes amis. Pour eux, je suis presqu’un homme
légendaire pour avoir vécu les aventures cubaine et océanique. En continuant
constamment mes recherches, je réussis à faire valoir les contrastes mouvants
des couleurs qui donnent l’impression de flottement et d’espace à mes
tableaux.
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