Evénements professionnels - de nouveaux lieux pour de nouveaux usages
Publication dans la Revue Espaces (décembre 2019)
Par Anthony Fauré, Directeur marketing et innovation d'Unimev
Rédacteur en chef de l'Innovatoire
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MARCHÉ DES RENCONTRES PROFESSIONNELLES
De nouveaux lieux
Événements professionnels
De nouveaux lieux
pour de nouveaux usages
ANTHONY
FAURÉ
Directeur m
arketing
et innovation
d’Unim
ev
Rédacteur en
chef de
l’Innovatoire
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a.faure@
unim
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L’événement professionnel, qu’il réunisse une cinquantaine ou plusieurs mil-
liers de personnes, est un outil qui permet de favoriser l’intelligence (théo-
rique, émotionnelle ou pratique). Aux côtés des espaces traditionnels (centres
de congrès, hôtels…), de nombreux nouveaux lieux (de la friche reconvertie
aux espaces éphémères en passant par les espaces de coworking…) se
positionnent aujourd’hui sur ce marché. Ceux qui réussiront demain sont
ceux qui démontreront leur capacité à rendre un événement unique, répon-
dant aux objectifs de l’entreprise et proposant une forte valeur ajoutée en
matière d’expérience.
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ANTHONY FAURÉ
le paradigme s’inverse en 2019 : le marketing
consiste désormais à s’adresser au citoyen qui
se cache derrière chaque consommateur. Une
tendance forte est née, confirmée par les cher-
cheurs, les sondeurs ou encore les intellectuels :
l’individu est poussé par de nouvelles aspira-
tions qui impactent tant sa vie privée que sa
vie professionnelle, tant son comportement
d’acheteur alimentaire que le choix de l’entre-
prise dans laquelle il veut (ou non) travailler.
Se réimposent alors petit à petit – le temps
est à l’œuvre – des mots comme “sens”, “émo-
tion”, “expérience”, “empowerment” (éman-
cipation) , “partage”, “éthique” et “respon-
sabilité”. Ces mots reflètent ce qui guide le
consommateur-citoyen dans sa quête de bien-
être personnel, ce qui lui permet d’aligner ses
envies profondes (ce qu’il est) sur la pratique (ce
qu’il fait). Ces mots sonnent d’autant plus fort
dans un contexte économique et environne-
mental international qui invite à ce retour à un
“mieux” plutôt qu’à un “toujours plus”.
INTELLIGENCE COLLECTIVE. Certaines entre-
prises ont bien compris ces mutations et se met-
tent lentement, mais sûrement, en ordre de
marche pour s’adapter. Elles se posent des ques-
tions fondamentales, telles que : comment inté-
grer le consommateur-citoyen dans mes pro-
cessus de fabrication ? comment être
transparent vis-à-vis de lui ? comme être autre
chose qu’une simple entité business et m’affir-
mer comme organisation apprenante, avec des
valeurs positives et des opinions en lien avec
les enjeux de la cité ? comment donner envie
demain aux nouvelles générations de venir tra-
vailler chez moi, ou plutôt “avec” moi ? Et sur-
tout, comment continuer de vendre mes ser-
vices et produits dans ce monde mouvant qui
devient intolérant à tout ce qu’il perçoit comme
un manquement à l’éthique ?
L’événement, qu’il soit professionnel ou
grand public, à vocation interne ou externe,
qu’il réunisse cinquante personnes ou plusieurs
milliers, permet de répondre à ces questions.
C’est un outil au service des entreprises, asso-
ciations, fédérations, collectivités… dont l’ob-
jectif peut être commercial, médiatique, d’en-
D
e la friche reconvertie en lieu de
mixité de publics aux espaces de
coworking (citons Morning
Coworking ou We Work) et
autres incubateurs, en passant par
les espaces éphémères qui font de l’activité évé-
nementielle un business stratégique (pensons
à l’agence Passage Piéton et ses concepts très
poussés, par exemple), aucun lieu ou presque
ne résiste aujourd’hui à la tentation de se posi-
tionner sur le marché lucratif de l’accueil de
rencontres professionnelles.
Et en plus de ces lieux que nous pourrions
qualifier de “nouveaux”, il faut intégrer les
lieux touristiques qui décident de se position-
ner sur ce marché en repensant leur modèle :
hôtels qui adoptent de nouveaux designs d’es-
paces de réunion, musées qui s’ouvrent à cette
activité en capitalisant sur leur fonds culturels,
bases de loisirs ou parcs d’attraction… N’en
jetez plus !
Les raisons de l’apparition sur le marché de
cette floraison d’espaces Mice sont évidentes.
Il s’agit pour ces lieux de générer de nouvelles
recettes pour solidifier des modèles écono-
miques chahutés, de créer une activité récur-
rente pour dynamiser la programmation géné-
rale et les flux sur site, de travailler leur image
et leur rayonnement par la médiatisation des
événements qui s’y tiennent.
CONSOMMATEUR-CITOYEN. Cependant, en plus
de cette approche par l’offre, une raison fon-
damentale pousse ces nouveaux (et moins nou-
veaux) entrants à se positionner sur ce mar-
ché : la demande. Une demande dont les usages
et aspirations profondes évoluent, à un niveau
individuel comme collectif, sur un plan per-
sonnel comme professionnel. Cette approche
par l’usager, une approche user centric en
quelque sorte, me paraît être en réalité le véri-
table élément déclencheur de ce phénomène.
Ce sera donc le cœur de mon propos.
Aujourd’hui, le consommateur est redevenu
un citoyen et affirme ce qu’il est, et ce qu’il sou-
haite. Alors que, dans les années 1980, le but
du marketing consistait à trouver le consom-
mateur qui se cachait derrière chaque citoyen,
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MARCHÉ DES RENCONTRES PROFESSIONNELLES
De nouveaux lieux
gences) qui seront exprimées, tacitement ou
non, par l’organisateur d’un événement pour
réussir à mobiliser ses participants. D’abord
en intégrant les aspects matériels, qu’ils soient
logistiques, d’accessibilité, acoustiques, tech-
nologiques, techniques… Ensuite en mettant
l’accent sur les aspects qui constitueront vrai-
ment l’âme de l’événement. Sur ce point pré-
cis, les lieux, nouveaux comme anciens, ont
une carte immense à jouer, à travers leur image,
leur histoire, leurs valeurs. Autant d’éléments
immatériels qu’il faut savoir transformer en
arguments marketing bien réels (et non fac-
tices).
Un même événement, selon qu’il se tient dans
l’ancienne friche Darwin, à Bordeaux, à la
Maison de la Mutualité, au Rive Montparnasse
(ancien bureau postal reconverti en lieu évé-
nementiel) ou au Musée des arts forains, à
Paris, n’aura pas le même impact. Chaque lieu
véhicule quelque chose et laisse une empreinte
intellectuelle, mémorielle et émotive différente.
Inversement, tous les lieux ne proposent pas
le même type d’aménagements, le même
confort, la même mise en interaction. Donc ne
permettent pas d’avoir le même niveau d’at-
tention du public à qui on souhaite s’adresser.
On parle ici de design d’expérience, sujet qui
doit être central et surtout conceptualisé dès le
moment où le décideur choisit la rencontre
professionnelle comme outil stratégique de son
projet.
MARKETING. Faisons un peu de prospective
sur les métiers des lieux d’accueil de rencontres
professionnelles. Aujourd’hui, la plupart des
outils d’information sur les lieux de rencontre
(guides, sites internet) mettent en avant les
mêmes données. La plupart du temps, ce sont
des données d’ordre technique : niveau d’équi-
pements, surface, nombre de personnes pou-
vant être accueillies selon la configuration,
accessibilité. Rien de différenciant, si ce n’est
les photos et visuels qui viennent illustrer ces
informations mais qui ne permettent jamais –
ou alors que trop partiellement – de savoir si le
lieu est propice à l’objectif poursuivi par l’or-
ganisateur.
gagement interne, d’inspiration, de formation
(par le contenu diffusé), d’innovation-expéri-
mentation (par l’intelligence collective) – même
si, à mon sens, il est encore trop peu utilisé
pour cela. En effet, l’événement dispose de trois
leviers d’engagement qui peuvent être activés
quel que soit le public. Il peut servir à :
– favoriser l’intelligence théorique (générer du
savoir) ;
– favoriser l’intelligence émotionnelle (générer
de l’émotion) ;
– favoriser l’intelligence pratique (générer du
savoir-faire).
Bien sûr, l’événement n’est pas le seul outil
à la disposition des entreprises afin de stimuler
ces trois intelligences. Internet, la télévision, la
radio, les supports papier, le street marketing…
peuvent, à des degrés divers, être choisis par
les décideurs pour atteindre leurs objectifs. Des
décideurs qui, in fine, arbitreront au regard du
retour sur investissement et de la capacité à
mobiliser le participant-lecteur-auditeur. Si tous
ces outils sont complémentaires sur la forme,
ils deviennent concurrents quand parlent les
contraintes budgétaires.
Dans cette concurrence en matière d’effica-
cité, la rencontre professionnelle possède
quelque chose qui n’est pas (encore ?) à la por-
tée des autres outils, notamment numériques
: la capacité de mise en immersion, la stimula-
tion sensorielle par le toucher, le goût et la
vue…, et surtout la mise en interaction phy-
sique d’individus (discussions, échanges…).
MISE EN DESIGN. Stimuler ces intelligences,
répondre efficacement aux aspirations des indi-
vidus-citoyens-professionnels, permettre à l’en-
treprise d’accomplir l’objet de la rencontre
qu’elle organise…, tout cela passe par un
important travail de mise en design de la ren-
contre. En effet, ces objectifs multiples vont
s’incarner dans une forme bien précise, éphé-
mère et conçue expressément pour cela. La ren-
contre va prendre vie dans un lieu qui, lui aussi,
doit servir les objectifs poursuivis et permettre
d’activer les leviers d’engagement souhaités.
Ce design de la rencontre doit prendre en
compte toutes les composantes (toutes les exi-
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En repartant de ces objectifs, c’est-à-dire en
adoptant un marketing de la demande et non
de l’offre, peut-être pourra-t-on disposer de
notes précises sur les espaces en fonction de
leur vocation ? Tel espace aura 3/5 pour un
objectif business et 5/5 pour un objectif de co-
construction, quand tel autre aura 2/5 en poten-
tiel d’engagement physique mais 4/5 en poten-
tiel d’impact émotif. En partant des objectifs
de la réunion (on ne se réunit pas pour se réunir,
mais dans un but précis), les lieux peuvent tra-
vailler leur marketing et se mettre en design
pour vendre quelque chose directement en lien
avec l’objectif initial. La valeur ajoutée serait
immense et réduirait peut-être le nombre de
fois où la phrase suivante est prononcée après
un événement : “Le lieu était bien, mais vrai-
ment pas adapté pour…”
Les gestionnaires de lieux (ou les prestataires
prenant possession des lieux pour construire
la manifestation) pourront alors accompagner
et bâtir les séquences de l’événement à dessein.
Par exemple, je souhaite présenter ma dernière
innovation, quel format sera le plus efficace
pour cela ? une présentation keynote ? une
table ronde ? avec une scène à 360° ou bien
un auditorium descendant ? avec de la musique
ou sans effet sonore ? Je veux construire mon
projet d’entreprise avec mes 50 collaborateurs,
vais-je utiliser les espaces de French Event
Booster (plate-forme d’innovation-incubation
dédiée à la filière événementielle, située à Paris
Expo Porte de Versailles) ou bien la Friche (lieu
d’innovation-expérimentation proposé par le
cabinet Weave) ? Je veux délivrer le matin des
informations sur mon bilan annuel et l’après-
midi coconstruire mon projet d’avenir, com-
ment la salle peut-elle évoluer pour s’adapter à
mes deux objectifs ? L’approche par la
demande, par le design, donne une vraie valeur
aux lieux ainsi qu’aux personnes chargées de
commercialiser ces derniers.
HISTOIRE. Si les nouveaux lieux ont souvent
dans leur ADN une histoire, une “âme” sin-
gulière qui est en soi un argument commercial
car il peut générer un storytelling attractif, les
lieux dits “professionnels” (centres de congrès,
parcs des expositions, centres d’affaires…),
qu’il ne faut pas sortir de la réflexion, ont fait
la démonstration de leurs savoir-faire tech-
niques et logistiques qui restent nécessaires à
la réussite de la plus petite réunion comme du
plus grand congrès international. Tous ces lieux
ont intérêt à s’inspirer les uns des autres, tout
en mettant au cœur de leur offre l’accompa-
gnement à la mise en design des manifestations.
Les lieux les plus efficaces et qui sauront
monétiser leur valeur ajoutée sont ceux qui
démontreront leur capacité à rendre un évé-
nement unique, aligné sur les objectifs de déve-
loppement de l’entreprise et avec un fort héri-
tage (pour l’individu, pour le collectif, pour
l’organisateur) grâce au design mis en place.
Mais le travail ne s’arrête pas là pour les
lieux d’accueil puisque, si les individus et évé-
nements sont de passage, les souvenirs lais-
sés et accumulés au fil du temps sont intem-
porels. Les lieux de réception agrègent
quantité de publics, de thématiques, de conte-
nus, de savoirs, d’énergies et d’“ondes” au
cours de leur vie. Cette histoire est une richesse
et constitue un argument commercial fort
pour attirer de nouveaux événements. Sur le
principe du hall of fame américain (“temple de
la renommée”), les lieux de rencontres pro-
fessionnelles peuvent créer leur storytelling et
mettre leur histoire au service du projet de
rencontre. Alors se créera une résonance entre
le contenu et le contenant, ce qui permettra
à l’organisateur de marquer les esprits, au lieu
d’accueil d’être l’écrin idéal pour la rencontre
en question et, au-delà, ce qui permettra à
l’individu de garder une trace pérenne de l’évé-
nement dans son intelligence théorique, émo-
tionnelle et physique. Les lieux de rencontres
peuvent ainsi devenir des incubateurs d’in-
telligence, des lieux où se fabrique l’histoire et
se crée la mémoire. ■
L’approche par le design d’expérience
donne une vraie valeur aux lieux.