1. BELGIQUE
S O C IÉT É
Grâce à Facebook, la guindaille
La trentaine, voire la quarantaine, bien
sonnée, ils sont mariés et pères et mères de
famille. Pour autant, ils n’ont pas oublié le
temps insouciant des guindailles et autres
baptêmes. Grâce à Facebook, ces anciens
students, aujourd’hui médecins, architectes,
ingénieurs ou psys, refont la fête entre eux en
squattant le calendrier des étudiants.
C
hez certains, la Grâce à l’Agel, j’avais gardé
calvitie pointe, beaucoup de contacts dans
les tempes com- les diverses facultés de l’ULg.
mencent à gri- J’ai eu du répondant partout.
sonner. Chez D’autres trentenaires avaient
certaines, les premières pattes la même envie de prolonger
d’oie apparaissent. Ces uni- ces moments festifs au-delà
versitaires, issus des classes des études, de faire une belle
moyenne ou supérieure, sont fête et d’y retrouver les amis
aujourd’hui établis, mariés et côtoyés pendant cinq ans. »
parents. Le temps d’une guin-
daille de vrais étudiants, ils « Remettre notre
ont envie de refaire la fête. Phi- penne, le temps
lippe Devos, 35 ans, ancien d’une soirée »
président de l’Agel (Associa- Pendant son assistanat, le
tion générale des étudiants toubib lève le pied. « Pieds et
liégeois), anesthésiste réani- points liés à l’hôpital, je
mateur nouvellement marié, n’avais plus le temps de faire
est de ceux-là. « J’ai toujours quoi que ce soit. La vie m’a
eu une vie festive, raconte- obligé à abandonner ce genre
t-il. Durant mes premières an- de projet. Tous mes amis
nées de médecine, j’ai été trois proches d’aujourd’hui, je les
ans dans les comités de bap- ai rencontrés dans les guin-
têmes. Je suis devenu prési- dailles d’étudiants. La plu-
PG
dent de l’Agel alors que j’étais part sont architectes, ingé-
CHRISTOPHE VERMEIREN « Parents de trois enfants,
en troisième doctorat. Une nieurs... En vivant à cent pour nous savons faire la part des choses. »
fois diplômé, j’ai enchaîné cent dans un monde médi-
avec la Maison des Etudiants cal, j’ai besoin de voir des avons loué un bus londonien une soixantaine. Cerise sur
liégeois, une ASBL qui tente gens d’un autre monde pour et nous nous sommes mis le gâteau, comme nous avons
depuis dix ans de trouver une garder un certain équilibre. » dans le cortège des étudiants tous une vie professionnelle
salle en dur pour les étudiants Ensemble, ils ont envie de re- et fort bien amusés! » bien établie, cela nous est fa-
festifs à la place du chapiteau. faire une fête. « Une fête où cile d’avoir des sponsors. Une
Quand j’ai remis mon man- nous pourrions inviter d’au- Sponsors dizaine de fûts nous sont of-
dat de président de l’Agel, tres anciens, remettre notre L’ancien président de l’Agel ferts gracieusement par des
j’étais encore étudiant. Des penne et refaire l’étudiant, le est rattrapé par le succès. « Je clients de participants! Nous
amis plus âgés que moi temps d’une soirée où l’on ne voulais refaire cette fête une suivrons le cortège dans no-
avaient terminé leurs études se préoccupe de rien. Cela de- année sur trois pour éviter la tre bus fermé. Une fête d’étu-
et, tout comme moi, avaient vait se passer impérativement lassitude. Depuis lors, avec diants est juste une excuse
encore l’envie de faire la fête un vendredi ou un samedi, Facebook, j’ai été sollicité pour faire la fête entre nous. »
en souvenir de notre passé es- car nous ne travaillons pas le toutes les semaines pour Philippe Devos s’était dit qu’il
tudiantin. De mon côté, j’avais lendemain, évidemment. L’an qu’on refasse une fête! D’an- arrêterait quand il aurait un
besoin d’un exutoire pour li- dernier, à l’occasion de la ciens étudiants m’ont enfant. « Je vais bientôt être
bérer le stress lié aux études. Saint-Torè à Liège, nous contacté. Nous sommes déjà papa. Beaucoup de mes amis
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2. n’a pas d’âge
sont pères et mères de fa- avec lesquels nous avions fait
mille. Ce n’est pas pour au- la fête. Ma femme et moi pas-
tant qu’ils arrêtent. Je m’or- sons l’après-midi avec le cor-
ganiserai comme mes amis tège et les trottinettes. Parents
le font. Ma femme, plus jeune de trois enfants, nous savons
que moi, participe avec plai- faire la part des choses. Nous
sir et nous avons inclus ses restons dans notre bus, mais
amis dans notre groupe. De nous en sortons pour ren-
plus en plus d’hommes vien- contrer les toges actuelles. On
nent avec leur femme, an- participe à l’ambiance, mais
cienne étudiante à l’univer- on fait la fête entre nous. »
sité ou pas. Nous ne sommes
plus étudiants, nous buvons « Facebook est un
PG
des verres entre nous. Ce n’est instrument magnifique » LE CHAR DES VIEUX, à la Saint-Torè, à Liège. « Ces adultes sont
pas la soûlerie étudiante, c’est L’ancien carabin estime en périphérie du cortège des jeunes. Ils sont avec, sans en être. »
festif, mais propre. » que les études l’ont empê-
ché de s’amuser comme il nous vois plutôt comme présidents de comités de bap-
« LES l’aurait voulu, de faire ce dont membres d’une confrérie. Le têmes et d’associations es-
il avait envie. « Une bonne jour où mes amis arrêteront, tudiantines ont un statut in-
TRENTENAIRES partie de mes confrères res- je n’irai plus non plus. » contesté et incontestable.
SONT MAL sentent la même chose, re- Sans doute aussi ont-ils en-
Renouer avec une
À L’AISE DANS marque Philippe Devos. J’ai
l’impression que c’est géné- position hiérarchique
vie de rejouer le jeu de cette
position hiérarchique qui
LES DÎNERS rationnel. Des gens de mon d’antan était la leur. Sous des aspects
STYLE ROTARY » âge organisent des sorties Pour Jean-François Guil- de notabilité, ils renouent
grâce à Facebook. Chez les laume, professeur de socio- avec un passé, pas toujours
trentenaires, les after work logie à l’université de Liège, glorieux d’ailleurs, de guin-
Avec sa femme psy, Chris- sont tendance. Facebook est ces sorties sont une façon de daille. Ils brassent entre eux
tophe Vermeiren, 35 ans, an- un instrument magnifique! renouer avec une époque une sorte de lien fraternel de
cien étudiant de Saint-Luc, On pourrait croire que les ré- heureuse et insouciante. « Ils ceux qui avaient des res-
aujourd’hui architecte, marié seaux sociaux désocialisent se retrouvent entre eux à la ponsabilités dans les che-
et père de trois enfants, fait la société, qu’il y a moins de remorque d’une foule plus mins balisés de la guindaille.
partie de ces sybarites nos- contacts. Pour moi, c’est l’in- nombreuse. Cela me fait un Ils renouent avec une posi-
talgiques. « J’étais vice-pré- verse. » D’où l’envie de conti- peu penser à certains sup- tion dans le monde étudiant
sident des étudiants en ar- nuer. Jusqu’à quand ? « Les porters de football qui ont qu’ils n’ont pas encore dans
chitecture et ma femme, trentenaires sont mal à l’aise besoin d’un ensemble plus le monde professionnel et
présidente des étudiants en dans des dîners style Rotary. vaste et de limites spatiales. aussi avec une convivialité,
psychologie. Nous nous Ils nous donnent l’impres- Ces adultes sont en périphé- des rites plutôt masculins.
sommes rencontrés pendant sion d’une volonté de paraî- rie du cortège des jeunes. Ils Ils éprouvent peut-être le be-
ces activités estudiantines. En tre qui nous est étrangère. Je sont avec, sans en être. Les soin d’une parenthèse. Je n’y
charge de l’organisation et vois pas un retour nostal-
avec un budget à respecter, gique à une époque révolue.
nous avions une part de res- C’est bien une sorte de
ponsabilités. C’était aussi un confrérie, ils ressortent leurs
moyen d’avoir une vie asso- pennes, leurs vieux accou-
ciative à côté des études. trements... en attendant
Quand nous avons quitté l’uni- d’être un jour accueillis dans
versité, nous avons tourné la des cercles et des confréries
page, tout en gardant le où ils devront se tenir cor-
contact avec quelques amis rectement. » Un jour, sans
doute, ces nostalgiques de la
PHILIPPE DEVOS, (ici, au bal guindaille entreront dans un
des Moflés) est rattrapé service club.
par le succès. ● JACQUELINE REMITS
PG
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