SlideShare a Scribd company logo
1 of 7
Peut-il y avoir une France après les Gilets Jaunes ?
Séance du CFFC du 12 février 2019 en hommage à Christian Kozar
1. Préliminaire
La séance du CFFC du 12 février 2019 est un hommage à Christian Kozar. Christian Kozar, quelques
jours avant son décès, était inquiet. Les incivilités des Gilets jaunes lui faisaient se demander si la
France n’était pas un cas désespéré.
C’était étonnant. Christian Kozar était le spécialiste des bombes sociales. Toute sa vie n’avait été que
redressements de situations conflictuelles. Et il fut l’homme de terrain des « événements de Nouvelle
Calédonie », une guerre civile. De plus, Christian répétait que le moteur de la société était le désir, et
non plus le devoir, comme dans sa jeunesse. Il expliquait comment utiliser le désir pour aider les
entreprises, les sociétés et les hommes.
La séance du 12 février a tenté de répondre au problème suivant : à partir de ce que nous voyons des
événements actuels, peut-on percevoir un besoin de changement ? Si oui, comment le caractériser et le
réaliser ?
Un groupe de neufs personnes, et un animateur. Entre 45 et 75 ans, avec une médiane à 55 ans. Deux
entrepreneurs, un associé de fonds d’investissement, deux dirigeants de transition, deux consultants
opérationnels indépendants, un dirigeant d’une association d’anciens élèves. Des participants ayant un
profil principalement grande école et MBA, avec une expérience très internationale, et deux
participants d’origine étrangère.
Quatre questions ont été posées au groupe :
2. Thème 1 : les gilets jaunes : révélateurs ?
(Relance : Qu’est-ce que ce mot évoque pour vous, spontanément ? Les gilets jaunes sont-ils un
révélateur de quelque-chose ?)
Le Gilet jaune unit et divise :
Un drame du désespoir
Le mouvement, initialement, fait l’unanimité du groupe :
« Je les soutiens, ils sont malheureux, méprisés. Ils ont retrouvé un but dans la vie. Ils sont heureux sur
leurs ronds-points. »
« Ils m’impressionnent. Ils ont un travail fatigant et ils manifestent. On pourrait faire beaucoup de bien
avec toute cette énergie. »
« Une partie de la population que l’on ne voyait pas. » « Des artisans, beaucoup de femmes. »
« Ce qui me frappe est que le mouvement dure. Après trois semaines, on ne parlait plus du tsunami.
Les Gilets jaunes se maintiennent, pourtant ils n’ont pas les médias pour eux. »
Un mouvement devenu illisible
Une partie du groupe avoue qu’il ne comprend plus le mouvement : « J’en ai marre » « Pas structuré »
« je ne comprends pas ».
Vu de l’étranger : « attitude incroyable » qui fait beaucoup de mal à l’image du pays.
Des causes systémiques
Le consensus se reforme lorsqu’il s’agit d’envisager ce que le mouvement révèle :
1
Mépris
« Responsabilité du pouvoir. » Le gouvernement a été remarquablement maladroit, il a jeté de l’huile
sur le feu, ce qui révèle son mépris pour une partie de la population :
« On passe des réformes, les Français ne bougent pas, on y va… » « Les Gilets jaunes manifestent, le
gouvernement ne bouge pas. Il a fallu attendre les manifestations de Paris, pour que le gouvernement
agisse. Ce qui montre bien ce qu’il pense de la province. »
« La démocratie, c’est le respect des minorités. »
« Tous ces morts, c’est beaucoup… »
Le gouvernement n’explique pas ce qu’il fait : « Je ne sais pas ce qu’il veut faire. Il n’a pas expliqué.
Il n’a pas d’objectif chiffré. »
Quarante ans d’erreurs
Le gouvernement paie, aussi, pour l’incompétence de ses prédécesseurs : « 40 ans de choses qui ne se
sont pas bien passées. »
Mais aussi pour le fait que ses réformes ne donnent pas de résultats : « Macron a dit : on va casser la
droite et la gauche. Les gens ont voté pour lui (en particulier beaucoup de gens qui ne se
reconnaissaient pas dans sa ligne politique). Il y a une déception. Les résultats du changement ne sont
pas visibles par les gens modestes. »
Des principes malsains
La société moderne repose sur des principes, le chacun pour soi, qui ne sont pas compatibles avec
ceux d’une société :
« Il y a un problème de considération des personnes. »
« Le langage corporel des journalistes montre leur mépris pour les Gilets jaunes. Les Gilets jaunes ne
sont pas dans les codes, pas dans le rang. »
« Il faut entendre les blagues que l’on fait à la Défense sur les Gilets jaunes. »
Le mouvement des Gilets jaunes est en (grande ?) partie une tentative de reconstitution du lien social :
« Un ami a un fils qui travaille dans les Cévennes. Tous ses copains se réunissent sur les ronds-points.
Ils y trouvent l’humanité, la solidarité. C’est un moyen de lutter contre la solitude. »
« Les gens retrouvent la convivialité. »
Une société clivée
La France est segmentée en trois. Comme en Angleterre, il y a désormais une division en classes,
soulignée par la maîtrise de la langue :
« Il y a ceux qui parlent français sans accent, et ceux qui parlent mal, avec un accent, c’est
irrémédiable. »
« Il y a trois blocs : la classe supérieure, les banlieues, et les Gilets jaunes – la province. »
« Les banlieues : des problèmes de fond, qui ne sont pas réglés depuis 40 ans. »
Un phénomène mondial : crise du libéralisme
« C’est un mouvement qui dépasse vraiment la France. C’est la crise de l’ordre mondial américain. Le
travers violent des Gilets jaunes est une traduction maladroite par la France du phénomène. »
« Barbara Stiegler a écrit un livre sur le sujet. » « (La forme actuelle) du libéralisme, basée sur la
concurrence, fait perdre l’interaction humaine. L’être humain n’est pas fait pour la concurrence. »
« Les Gilets jaunes sont les derniers de cordée qui souffrent le plus. »
3. Thème 2 : la nature, éternelle ?, de la France
(Relance : Spontané : qu’est-ce qui nous caractérise ? Différences par rapport à l’étranger ? Frustrant /
insupportable / paradoxes ? Atouts ? Uniques ? La France à son meilleur ? Des exemples ? Qu’est-ce
que cela montre ?)
2
Il y a désaccord sur les faiblesses, mais accord sur les forces, impressionnantes, par ailleurs.
L’administration
« Je voyage beaucoup. Ce qui me révolte, c’est le fonctionnement de l’administration. C’est l’échec de
Macron. C’est le pays le plus stupidement géré que j’ai rencontré. » « Ailleurs, on se rend compte d’un
dysfonctionnement, on le résout. Ici, application stupide. »
« Et Trump, et le Brexit ? Aux USA, les fonctionnaires ne sont pas payés ! Les administrations sont
toutes pareilles, seulement en France on râle beaucoup. »
Les réformes
« Les autres pays ont réformé, pas la France. »
« Il faut dire que l’on veut le SMIC à 5€ de l’heure. Pour le reste, la flexibilité, on l’a. On peut virer
n’importe qui. Et on ne s’en prive pas, même dans une mutuelle. » (Le gouvernement est allé jusqu’à
remettre en cause la justice, pour les bénéfices de l’entreprise : ) « plafonner les indemnités de
licenciement, c’est retirer son pouvoir à la justice. Et pourquoi ? Pour un ou deux excès ? »
Les élités
« Ce qui marche en France, ce sont les grandes écoles. C’est grâce à elles que la France tient. » « Idem
pour l’armée. »
Les entreprises qui vont chercher des dégrèvement fiscaux à l’étranger, reviennent vers la France
lorsqu’il s’agit de recruter : « l’ingénieur français n’est pas si cher. »
(Vu de l’étranger) « Le mal de la France, c’est sa culture élitiste. C’est le mal du diplôme. » (Le
diplômé devient un retraité. Ailleurs, on gagne la reconnaissance sociale par le travail d’une vie.) « Le
Français est cartésien, il n’avance pas quand il ne comprend pas. Les autres sont pragmatiques. »
« Les soldats de l’armée française ont des CDD de 5 ans… »
Les grandes entreprises
« La France est un petit pays, qui a des groupes mondiaux » « BNP, Airbus, Dassault. » « Le luxe : on
vend très cher. »
C’est, peut-être, le bon côté de la culture bureaucratique française : « on crée de grandes
administrations. »
Créativité
La force du pays, c’est sa créativité. Mais elle ne sait pas l’exploiter :
« Il y a deux mondes : l’administration, la grande entreprise et un bouillonnement de créativité et de
vie. »
« On a beaucoup de boîtes avec de la créativité. Mais elles sont achetées par les étrangers. Car on ne
sait pas transformer. »
« La créativité est claire. On est, réellement, une start up nation. Il est devenu très facile de créer une
société, il y a beaucoup de créativité, beaucoup de moyens, en termes d’argent (financement de
l’innovation) on est même devant les Allemands. Espérons que ça va donner quelque-chose… »
Les Gilets jaunes, d’ailleurs, sont une expression de cette créativité : « c’est original, c’est spontané,
on peut être fier de la France. »
Heureux comme Dieu en France
« Heureux comme Dieu en France, disent les Allemands. »
« Je suis toujours content de revenir en France. A l’étranger, le boulot est agréable. En France la
qualité de vie est extraordinaire. »
3
4. Thèmes 3 : cercle vicieux ?
(Relance : Facteurs de risque ? Evolution de la France sur 50 ans. Qu’est-ce qui a changé ? Spontané.
Relance : En mieux ? En moins bien ? Les forces qui se dessinent. Le monde dans 10 ans ou plus ? 3
ou 4 scénarios ? )
Forces sous jacentes
« En cinquante ans, la place de la France a beaucoup, beaucoup, bougé. » Le grand changement de ces
50 dernières années, c’est que la France n’a plus la force de « jouer sur l’échiquier mondial ». Elle
subit « l’extérieur ».
« Le monde n’est plus prévisible. Les modèles anciens ne marchent plus. »
La France est aux prises avec un phénomène mondial : nous sommes entrés dans une logique de
« blocs ». A l’image de « la tectonique des plaques », l’Europe et la France sont au point de rencontre
de « grands blocs qui s’affrontent ». Ce qui provoque un phénomène de « subduction » : la France est
aspirée vers le bas.
Loin d’être un rempart, l’Europe semble un handicap : « Les grands blocs font beaucoup pour casser
l’Europe. » « La Chine préfère l’Europe divisée. » « L’Europe est une création des USA. Ils voulaient
un grand marché, en mettant tout ce qu’il fallait pour que ce ne puisse jamais être un bloc. »
A cela s’ajoute l’évolution technologique : « temps réel : la connectivité fait que l’on doit réagir dans
l’instant. Si l’on reste connectés, il y a beaucoup de sollicitations. Ce monde connecté empêche de
réfléchir. Cela pose (en particulier) un problème pour l’éducation des enfants. »
4 scénarios
Le groupe pense la situation quelque peu désespérée. « Pour résoudre le problème de fond, il faut une
révolution. Ce dont personne ne veut. » « Il n’y a pas d’autre solution qu’une fausse solution. »
Mad Max
« Bientôt, il y aura des zones dans lesquelles le gouvernement ne pourra plus imposer sa loi. » « Le
système ne fonctionne plus bien. »
« C’est le scénario Brésil. »
La crise
« Je ne vois pas comment améliorer les choses. » « Et s’il y avait besoin d’une crise grave, pour
retrouver ses marques ? »
(Exposition sur la montée du nazisme à Berlin. Parallèle avec la France : ) « Quand, on casse pour
casser, c’est sans retour. »
Dictature
« Aujourd’hui, ce qui marche, c’est la dictature, pas la démocratie. »
Président normal
« Macron a une tête de banquier. » Et en plus « il s’est enrichi et il ne paie pas d’impôts ».
« L’affaire Benalla, la limitation à 80 à l’heure, « traverse la rue pour trouver du travail », les mesures
sur le Diesel qui appauvrissent les pauvres mecs, c’est le mépris. »
« Il faut quelqu’un qui sache parler au peuple. » « Un Hollande qui ne ressemble pas à Hollande. »
« Les Gilets jaunes veulent des symboles. Il faut trouver des symboles. »
5. Thème 4 : changement et Projet de société
(Relance. La France que vous aimez. Qui nous donnerait à tous le sourire ? Comment y parvenir ?)
Parmi les rares idées qui ont émergé :
4
« Les gens qui ont le pouvoir aujourd’hui, les Russes, les Chinois, Le Hezbollah… sont des gens mal
élevés. Il faut apprendre à se comporter en sachant que l’on a des adversaires comme cela. »
« Il faut réembarquer les Gilets jaunes. Au moins, les Gilets jaunes sont plus sympathiques que les
Djihadistes. »
« Il faut une Charte de l’Atlantique : un nouvel ordre mondial qui ne soit pas américain. »
6. Conclusion
Quelques thèmes émergent de ces entretiens :
• Le monde est entré dans une logique de « blocs ». Il est probable que, comme il le fait
régulièrement, il passe d’une phase libérale à une phase protectionniste.
• La logique des réformes du gouvernement sont libérales (flexibilisation de l’emploi), donc à
contre courant.
• La logique protectionniste consiste à jouer l’équipe plutôt que l’individu, donc il s’agit de
souder ensemble les composants de la société. En particulier de réintégrer les « Gilets
jaunes » et le groupe humain qu’ils représentent au reste de la nation.
• Pour cela, il faut retrouver prospérité et emploi. Ce qui demande d’apprendre à exploiter
l’atout du pays : sa créativité. Non de suivre la mode, spéculative, de la start up nation.
• L’Europe, aujourd’hui libérale, est une priorité 2. Si la France fait bloc, elle aura les moyens
d’amener l’Europe à faire bloc.
5
7. Annexes
Christian Kozar
Christian Kozar a eu une carrière atypique, officier, sous-préfet, magistrat, il a été dirigeant
d’entreprise.
C’était un spécialiste des crises sociales. Il a notamment eu un rôle central lors des événements de
Nouvelle Calédonie. Ensuite, il a mis en œuvre les réformes de la RATP, d’Air France et de la Poste.
Il a aussi redressé Canal+ Pologne. Comment a-t-il fait pour que des situations qui d’ordinaire
conduisent à un affrontement violent deviennent des changements pacifiques ? Nous n’en savons rien.
Son talent est un mystère. Nous ne pouvons que regretter qu’on ne l’ait pas mieux utilisé.
Christian Kozar en Nouvelle Calédonie : http://www.mncparis.fr/actualites/actus/christian-kozar-un-
discret-mediateur
La carrière de Christian Kozar : http://www.mncparis.fr/uploads/hommage-a-c-kozar.pdf
Le CFFC
Christian Kozar était membre du CFFC. Le CFFC a été créé en 2009. C’est un groupe d’une trentaine
de dirigeants, anciens dirigeants, dirigeants de transition, entrepreneurs, experts techniques,
universitaires… français ou étrangers. Ils se réunissent régulièrement pour discuter de sujets de société
ou pour aider un dirigeant, qui a un cap à franchir, à « voir les choses différemment ».
6
7. Annexes
Christian Kozar
Christian Kozar a eu une carrière atypique, officier, sous-préfet, magistrat, il a été dirigeant
d’entreprise.
C’était un spécialiste des crises sociales. Il a notamment eu un rôle central lors des événements de
Nouvelle Calédonie. Ensuite, il a mis en œuvre les réformes de la RATP, d’Air France et de la Poste.
Il a aussi redressé Canal+ Pologne. Comment a-t-il fait pour que des situations qui d’ordinaire
conduisent à un affrontement violent deviennent des changements pacifiques ? Nous n’en savons rien.
Son talent est un mystère. Nous ne pouvons que regretter qu’on ne l’ait pas mieux utilisé.
Christian Kozar en Nouvelle Calédonie : http://www.mncparis.fr/actualites/actus/christian-kozar-un-
discret-mediateur
La carrière de Christian Kozar : http://www.mncparis.fr/uploads/hommage-a-c-kozar.pdf
Le CFFC
Christian Kozar était membre du CFFC. Le CFFC a été créé en 2009. C’est un groupe d’une trentaine
de dirigeants, anciens dirigeants, dirigeants de transition, entrepreneurs, experts techniques,
universitaires… français ou étrangers. Ils se réunissent régulièrement pour discuter de sujets de société
ou pour aider un dirigeant, qui a un cap à franchir, à « voir les choses différemment ».
6

More Related Content

More from Faurie Christophe

Contrôle de gestion - résumé
Contrôle de gestion - résuméContrôle de gestion - résumé
Contrôle de gestion - résuméFaurie Christophe
 
Professionnel sous injonction paradoxale !
Professionnel sous injonction paradoxale !Professionnel sous injonction paradoxale !
Professionnel sous injonction paradoxale !Faurie Christophe
 
L’humanisme de hyacinthe dubreuil
L’humanisme de hyacinthe dubreuilL’humanisme de hyacinthe dubreuil
L’humanisme de hyacinthe dubreuilFaurie Christophe
 
Compte rendu j'ai pensé à tout...
Compte rendu j'ai pensé à tout...Compte rendu j'ai pensé à tout...
Compte rendu j'ai pensé à tout...Faurie Christophe
 
Aide mémoire de marketing b to b
Aide mémoire de marketing b to bAide mémoire de marketing b to b
Aide mémoire de marketing b to bFaurie Christophe
 
Marketing B to B pour praticien
Marketing B to B pour praticienMarketing B to B pour praticien
Marketing B to B pour praticienFaurie Christophe
 
Rapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode Münchhausen
Rapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode MünchhausenRapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode Münchhausen
Rapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode MünchhausenFaurie Christophe
 
ERP et conduite du changement
ERP et conduite du changementERP et conduite du changement
ERP et conduite du changementFaurie Christophe
 

More from Faurie Christophe (11)

Préparer un changement
Préparer un changementPréparer un changement
Préparer un changement
 
Contrôle de gestion - résumé
Contrôle de gestion - résuméContrôle de gestion - résumé
Contrôle de gestion - résumé
 
Professionnel sous injonction paradoxale !
Professionnel sous injonction paradoxale !Professionnel sous injonction paradoxale !
Professionnel sous injonction paradoxale !
 
L’humanisme de hyacinthe dubreuil
L’humanisme de hyacinthe dubreuilL’humanisme de hyacinthe dubreuil
L’humanisme de hyacinthe dubreuil
 
Compte rendu j'ai pensé à tout...
Compte rendu j'ai pensé à tout...Compte rendu j'ai pensé à tout...
Compte rendu j'ai pensé à tout...
 
Aide mémoire de marketing b to b
Aide mémoire de marketing b to bAide mémoire de marketing b to b
Aide mémoire de marketing b to b
 
Marketing B to B pour praticien
Marketing B to B pour praticienMarketing B to B pour praticien
Marketing B to B pour praticien
 
Le changement par l'exemple
Le changement par l'exempleLe changement par l'exemple
Le changement par l'exemple
 
Le manuel du leader
Le manuel du leaderLe manuel du leader
Le manuel du leader
 
Rapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode Münchhausen
Rapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode MünchhausenRapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode Münchhausen
Rapport sur la transformation de l'entreprise - Méthode Münchhausen
 
ERP et conduite du changement
ERP et conduite du changementERP et conduite du changement
ERP et conduite du changement
 

La France, après les Gilets jaunes

  • 1. Peut-il y avoir une France après les Gilets Jaunes ? Séance du CFFC du 12 février 2019 en hommage à Christian Kozar 1. Préliminaire La séance du CFFC du 12 février 2019 est un hommage à Christian Kozar. Christian Kozar, quelques jours avant son décès, était inquiet. Les incivilités des Gilets jaunes lui faisaient se demander si la France n’était pas un cas désespéré. C’était étonnant. Christian Kozar était le spécialiste des bombes sociales. Toute sa vie n’avait été que redressements de situations conflictuelles. Et il fut l’homme de terrain des « événements de Nouvelle Calédonie », une guerre civile. De plus, Christian répétait que le moteur de la société était le désir, et non plus le devoir, comme dans sa jeunesse. Il expliquait comment utiliser le désir pour aider les entreprises, les sociétés et les hommes. La séance du 12 février a tenté de répondre au problème suivant : à partir de ce que nous voyons des événements actuels, peut-on percevoir un besoin de changement ? Si oui, comment le caractériser et le réaliser ? Un groupe de neufs personnes, et un animateur. Entre 45 et 75 ans, avec une médiane à 55 ans. Deux entrepreneurs, un associé de fonds d’investissement, deux dirigeants de transition, deux consultants opérationnels indépendants, un dirigeant d’une association d’anciens élèves. Des participants ayant un profil principalement grande école et MBA, avec une expérience très internationale, et deux participants d’origine étrangère. Quatre questions ont été posées au groupe : 2. Thème 1 : les gilets jaunes : révélateurs ? (Relance : Qu’est-ce que ce mot évoque pour vous, spontanément ? Les gilets jaunes sont-ils un révélateur de quelque-chose ?) Le Gilet jaune unit et divise : Un drame du désespoir Le mouvement, initialement, fait l’unanimité du groupe : « Je les soutiens, ils sont malheureux, méprisés. Ils ont retrouvé un but dans la vie. Ils sont heureux sur leurs ronds-points. » « Ils m’impressionnent. Ils ont un travail fatigant et ils manifestent. On pourrait faire beaucoup de bien avec toute cette énergie. » « Une partie de la population que l’on ne voyait pas. » « Des artisans, beaucoup de femmes. » « Ce qui me frappe est que le mouvement dure. Après trois semaines, on ne parlait plus du tsunami. Les Gilets jaunes se maintiennent, pourtant ils n’ont pas les médias pour eux. » Un mouvement devenu illisible Une partie du groupe avoue qu’il ne comprend plus le mouvement : « J’en ai marre » « Pas structuré » « je ne comprends pas ». Vu de l’étranger : « attitude incroyable » qui fait beaucoup de mal à l’image du pays. Des causes systémiques Le consensus se reforme lorsqu’il s’agit d’envisager ce que le mouvement révèle : 1
  • 2. Mépris « Responsabilité du pouvoir. » Le gouvernement a été remarquablement maladroit, il a jeté de l’huile sur le feu, ce qui révèle son mépris pour une partie de la population : « On passe des réformes, les Français ne bougent pas, on y va… » « Les Gilets jaunes manifestent, le gouvernement ne bouge pas. Il a fallu attendre les manifestations de Paris, pour que le gouvernement agisse. Ce qui montre bien ce qu’il pense de la province. » « La démocratie, c’est le respect des minorités. » « Tous ces morts, c’est beaucoup… » Le gouvernement n’explique pas ce qu’il fait : « Je ne sais pas ce qu’il veut faire. Il n’a pas expliqué. Il n’a pas d’objectif chiffré. » Quarante ans d’erreurs Le gouvernement paie, aussi, pour l’incompétence de ses prédécesseurs : « 40 ans de choses qui ne se sont pas bien passées. » Mais aussi pour le fait que ses réformes ne donnent pas de résultats : « Macron a dit : on va casser la droite et la gauche. Les gens ont voté pour lui (en particulier beaucoup de gens qui ne se reconnaissaient pas dans sa ligne politique). Il y a une déception. Les résultats du changement ne sont pas visibles par les gens modestes. » Des principes malsains La société moderne repose sur des principes, le chacun pour soi, qui ne sont pas compatibles avec ceux d’une société : « Il y a un problème de considération des personnes. » « Le langage corporel des journalistes montre leur mépris pour les Gilets jaunes. Les Gilets jaunes ne sont pas dans les codes, pas dans le rang. » « Il faut entendre les blagues que l’on fait à la Défense sur les Gilets jaunes. » Le mouvement des Gilets jaunes est en (grande ?) partie une tentative de reconstitution du lien social : « Un ami a un fils qui travaille dans les Cévennes. Tous ses copains se réunissent sur les ronds-points. Ils y trouvent l’humanité, la solidarité. C’est un moyen de lutter contre la solitude. » « Les gens retrouvent la convivialité. » Une société clivée La France est segmentée en trois. Comme en Angleterre, il y a désormais une division en classes, soulignée par la maîtrise de la langue : « Il y a ceux qui parlent français sans accent, et ceux qui parlent mal, avec un accent, c’est irrémédiable. » « Il y a trois blocs : la classe supérieure, les banlieues, et les Gilets jaunes – la province. » « Les banlieues : des problèmes de fond, qui ne sont pas réglés depuis 40 ans. » Un phénomène mondial : crise du libéralisme « C’est un mouvement qui dépasse vraiment la France. C’est la crise de l’ordre mondial américain. Le travers violent des Gilets jaunes est une traduction maladroite par la France du phénomène. » « Barbara Stiegler a écrit un livre sur le sujet. » « (La forme actuelle) du libéralisme, basée sur la concurrence, fait perdre l’interaction humaine. L’être humain n’est pas fait pour la concurrence. » « Les Gilets jaunes sont les derniers de cordée qui souffrent le plus. » 3. Thème 2 : la nature, éternelle ?, de la France (Relance : Spontané : qu’est-ce qui nous caractérise ? Différences par rapport à l’étranger ? Frustrant / insupportable / paradoxes ? Atouts ? Uniques ? La France à son meilleur ? Des exemples ? Qu’est-ce que cela montre ?) 2
  • 3. Il y a désaccord sur les faiblesses, mais accord sur les forces, impressionnantes, par ailleurs. L’administration « Je voyage beaucoup. Ce qui me révolte, c’est le fonctionnement de l’administration. C’est l’échec de Macron. C’est le pays le plus stupidement géré que j’ai rencontré. » « Ailleurs, on se rend compte d’un dysfonctionnement, on le résout. Ici, application stupide. » « Et Trump, et le Brexit ? Aux USA, les fonctionnaires ne sont pas payés ! Les administrations sont toutes pareilles, seulement en France on râle beaucoup. » Les réformes « Les autres pays ont réformé, pas la France. » « Il faut dire que l’on veut le SMIC à 5€ de l’heure. Pour le reste, la flexibilité, on l’a. On peut virer n’importe qui. Et on ne s’en prive pas, même dans une mutuelle. » (Le gouvernement est allé jusqu’à remettre en cause la justice, pour les bénéfices de l’entreprise : ) « plafonner les indemnités de licenciement, c’est retirer son pouvoir à la justice. Et pourquoi ? Pour un ou deux excès ? » Les élités « Ce qui marche en France, ce sont les grandes écoles. C’est grâce à elles que la France tient. » « Idem pour l’armée. » Les entreprises qui vont chercher des dégrèvement fiscaux à l’étranger, reviennent vers la France lorsqu’il s’agit de recruter : « l’ingénieur français n’est pas si cher. » (Vu de l’étranger) « Le mal de la France, c’est sa culture élitiste. C’est le mal du diplôme. » (Le diplômé devient un retraité. Ailleurs, on gagne la reconnaissance sociale par le travail d’une vie.) « Le Français est cartésien, il n’avance pas quand il ne comprend pas. Les autres sont pragmatiques. » « Les soldats de l’armée française ont des CDD de 5 ans… » Les grandes entreprises « La France est un petit pays, qui a des groupes mondiaux » « BNP, Airbus, Dassault. » « Le luxe : on vend très cher. » C’est, peut-être, le bon côté de la culture bureaucratique française : « on crée de grandes administrations. » Créativité La force du pays, c’est sa créativité. Mais elle ne sait pas l’exploiter : « Il y a deux mondes : l’administration, la grande entreprise et un bouillonnement de créativité et de vie. » « On a beaucoup de boîtes avec de la créativité. Mais elles sont achetées par les étrangers. Car on ne sait pas transformer. » « La créativité est claire. On est, réellement, une start up nation. Il est devenu très facile de créer une société, il y a beaucoup de créativité, beaucoup de moyens, en termes d’argent (financement de l’innovation) on est même devant les Allemands. Espérons que ça va donner quelque-chose… » Les Gilets jaunes, d’ailleurs, sont une expression de cette créativité : « c’est original, c’est spontané, on peut être fier de la France. » Heureux comme Dieu en France « Heureux comme Dieu en France, disent les Allemands. » « Je suis toujours content de revenir en France. A l’étranger, le boulot est agréable. En France la qualité de vie est extraordinaire. » 3
  • 4. 4. Thèmes 3 : cercle vicieux ? (Relance : Facteurs de risque ? Evolution de la France sur 50 ans. Qu’est-ce qui a changé ? Spontané. Relance : En mieux ? En moins bien ? Les forces qui se dessinent. Le monde dans 10 ans ou plus ? 3 ou 4 scénarios ? ) Forces sous jacentes « En cinquante ans, la place de la France a beaucoup, beaucoup, bougé. » Le grand changement de ces 50 dernières années, c’est que la France n’a plus la force de « jouer sur l’échiquier mondial ». Elle subit « l’extérieur ». « Le monde n’est plus prévisible. Les modèles anciens ne marchent plus. » La France est aux prises avec un phénomène mondial : nous sommes entrés dans une logique de « blocs ». A l’image de « la tectonique des plaques », l’Europe et la France sont au point de rencontre de « grands blocs qui s’affrontent ». Ce qui provoque un phénomène de « subduction » : la France est aspirée vers le bas. Loin d’être un rempart, l’Europe semble un handicap : « Les grands blocs font beaucoup pour casser l’Europe. » « La Chine préfère l’Europe divisée. » « L’Europe est une création des USA. Ils voulaient un grand marché, en mettant tout ce qu’il fallait pour que ce ne puisse jamais être un bloc. » A cela s’ajoute l’évolution technologique : « temps réel : la connectivité fait que l’on doit réagir dans l’instant. Si l’on reste connectés, il y a beaucoup de sollicitations. Ce monde connecté empêche de réfléchir. Cela pose (en particulier) un problème pour l’éducation des enfants. » 4 scénarios Le groupe pense la situation quelque peu désespérée. « Pour résoudre le problème de fond, il faut une révolution. Ce dont personne ne veut. » « Il n’y a pas d’autre solution qu’une fausse solution. » Mad Max « Bientôt, il y aura des zones dans lesquelles le gouvernement ne pourra plus imposer sa loi. » « Le système ne fonctionne plus bien. » « C’est le scénario Brésil. » La crise « Je ne vois pas comment améliorer les choses. » « Et s’il y avait besoin d’une crise grave, pour retrouver ses marques ? » (Exposition sur la montée du nazisme à Berlin. Parallèle avec la France : ) « Quand, on casse pour casser, c’est sans retour. » Dictature « Aujourd’hui, ce qui marche, c’est la dictature, pas la démocratie. » Président normal « Macron a une tête de banquier. » Et en plus « il s’est enrichi et il ne paie pas d’impôts ». « L’affaire Benalla, la limitation à 80 à l’heure, « traverse la rue pour trouver du travail », les mesures sur le Diesel qui appauvrissent les pauvres mecs, c’est le mépris. » « Il faut quelqu’un qui sache parler au peuple. » « Un Hollande qui ne ressemble pas à Hollande. » « Les Gilets jaunes veulent des symboles. Il faut trouver des symboles. » 5. Thème 4 : changement et Projet de société (Relance. La France que vous aimez. Qui nous donnerait à tous le sourire ? Comment y parvenir ?) Parmi les rares idées qui ont émergé : 4
  • 5. « Les gens qui ont le pouvoir aujourd’hui, les Russes, les Chinois, Le Hezbollah… sont des gens mal élevés. Il faut apprendre à se comporter en sachant que l’on a des adversaires comme cela. » « Il faut réembarquer les Gilets jaunes. Au moins, les Gilets jaunes sont plus sympathiques que les Djihadistes. » « Il faut une Charte de l’Atlantique : un nouvel ordre mondial qui ne soit pas américain. » 6. Conclusion Quelques thèmes émergent de ces entretiens : • Le monde est entré dans une logique de « blocs ». Il est probable que, comme il le fait régulièrement, il passe d’une phase libérale à une phase protectionniste. • La logique des réformes du gouvernement sont libérales (flexibilisation de l’emploi), donc à contre courant. • La logique protectionniste consiste à jouer l’équipe plutôt que l’individu, donc il s’agit de souder ensemble les composants de la société. En particulier de réintégrer les « Gilets jaunes » et le groupe humain qu’ils représentent au reste de la nation. • Pour cela, il faut retrouver prospérité et emploi. Ce qui demande d’apprendre à exploiter l’atout du pays : sa créativité. Non de suivre la mode, spéculative, de la start up nation. • L’Europe, aujourd’hui libérale, est une priorité 2. Si la France fait bloc, elle aura les moyens d’amener l’Europe à faire bloc. 5
  • 6. 7. Annexes Christian Kozar Christian Kozar a eu une carrière atypique, officier, sous-préfet, magistrat, il a été dirigeant d’entreprise. C’était un spécialiste des crises sociales. Il a notamment eu un rôle central lors des événements de Nouvelle Calédonie. Ensuite, il a mis en œuvre les réformes de la RATP, d’Air France et de la Poste. Il a aussi redressé Canal+ Pologne. Comment a-t-il fait pour que des situations qui d’ordinaire conduisent à un affrontement violent deviennent des changements pacifiques ? Nous n’en savons rien. Son talent est un mystère. Nous ne pouvons que regretter qu’on ne l’ait pas mieux utilisé. Christian Kozar en Nouvelle Calédonie : http://www.mncparis.fr/actualites/actus/christian-kozar-un- discret-mediateur La carrière de Christian Kozar : http://www.mncparis.fr/uploads/hommage-a-c-kozar.pdf Le CFFC Christian Kozar était membre du CFFC. Le CFFC a été créé en 2009. C’est un groupe d’une trentaine de dirigeants, anciens dirigeants, dirigeants de transition, entrepreneurs, experts techniques, universitaires… français ou étrangers. Ils se réunissent régulièrement pour discuter de sujets de société ou pour aider un dirigeant, qui a un cap à franchir, à « voir les choses différemment ». 6
  • 7. 7. Annexes Christian Kozar Christian Kozar a eu une carrière atypique, officier, sous-préfet, magistrat, il a été dirigeant d’entreprise. C’était un spécialiste des crises sociales. Il a notamment eu un rôle central lors des événements de Nouvelle Calédonie. Ensuite, il a mis en œuvre les réformes de la RATP, d’Air France et de la Poste. Il a aussi redressé Canal+ Pologne. Comment a-t-il fait pour que des situations qui d’ordinaire conduisent à un affrontement violent deviennent des changements pacifiques ? Nous n’en savons rien. Son talent est un mystère. Nous ne pouvons que regretter qu’on ne l’ait pas mieux utilisé. Christian Kozar en Nouvelle Calédonie : http://www.mncparis.fr/actualites/actus/christian-kozar-un- discret-mediateur La carrière de Christian Kozar : http://www.mncparis.fr/uploads/hommage-a-c-kozar.pdf Le CFFC Christian Kozar était membre du CFFC. Le CFFC a été créé en 2009. C’est un groupe d’une trentaine de dirigeants, anciens dirigeants, dirigeants de transition, entrepreneurs, experts techniques, universitaires… français ou étrangers. Ils se réunissent régulièrement pour discuter de sujets de société ou pour aider un dirigeant, qui a un cap à franchir, à « voir les choses différemment ». 6