LE DIF c’est maintenant !
Coup sur coup en l’espace de quelques jours une étude du CAS (Centre d’Analyse
Stratégique, étude portant sur l’individualisation de la formation dans les politiques d’emploi
dans huit pays.) et le rapport Gallois sur la compétitivité (remis officiellement lundi 5
novembre) prônent le recours massif à la formation et remettent en selle le DIF, dispositif de
formation lié à l’individu et non plus à son statut professionnel.
Le Droit Individuel à la Formation (DIF) a été inventé en 2003 par les partenaires sociaux puis
inscrit dans le Code du Travail en 2004. Malheureusement seule une faible minorité de
salariés parvient à le mettre en œuvre depuis cette date.
Le DIF est donc restauré par moult études et rapports sur le travail et l’emploi. Il pourrait
dans les prochains mois devenir inestimable (un trésor comme qualifié par Jacques Delors)
car notre pays traverse une exceptionnelle crise sociale, économique et professionnelle dont
beaucoup pourraient ne pas se remettre (depuis la rentrée de septembre les emplois
disparaissent au rythme de 40 000 par mois soit ½ million en tendance annuelle).
Rappelons brièvement ce qu’est le DIF.
Constatant année après année que la formation allait aux plus qualifiés et engagés auprès de
nos partenaires européens en mars 2000 (Sommet Européen de Lisbonne pour une
économie de la connaissance et de l’information) les partenaires sociaux en 2003 (ANI de
septembre 2003) et les pouvoirs publics en 2004 (loi du 4 mai 2004) dotèrent tous les
salariés d’un Droit Individuel à la Formation, le DIF.
Il s’agissait de permettre à chaque salarié de se former à hauteur de 20 heures et ceci tous
les ans. Ces heures de DIF pouvaient être cumulées durant six années pour un projet de
formation plus conséquent (120 h soit presque 18 jours de formation).
Les objectifs assignés à cet original Droit à la Formation (comme la société industrielle avait
accouché en 1936 du Droit aux congés payés) étaient doubles :
1. Rendre la formation plus équitable avec un Droit égal pour tous (cadre supérieur
comme O.S) de 20 heures annuelles de formation,
2. Responsabiliser les salariés sur leur avenir professionnel afin qu’ils anticipent, avec
leur employeur, leurs futurs besoins en compétences et en qualifications.
Si ce droit nouveau sembla faire l’unanimité en 2003 et 2004, le bel édifice social cachait
pourtant quelques ambiguïtés et futures difficultés d’application :
· Le financement du DIF n’était en rien certain. Le DIF peut en effet être financé en
direct par l’employeur sur ses dépenses formation, il peut l’être via son OPCA au
titre des financements mutualisés (professionnalisation) et enfin payés par les
Fongecifs en cas de désaccords répétés (durant deux années) de l’employeur.
· Cette possibilité de ne pas être d’accord sur le choix de la formation DIF a été souvent
détournée par les employeurs. Pour les partenaires sociaux (et le Code du Trav. est sans
ambiguïté) il s’agissait de permettre d’initier un dialogue entre les besoins individuels
du salarié et ceux collectifs de l’entreprise. Las, de nombreux employeurs estimèrent
que le « refus » DIF rendait ce droit conditionnel à leur bon vouloir. S’ils n’en avaient
pas les moyens (mais un employeur peut-il s’exonérer de payer pour les congés payés ?)
s’ils n’en avaient pas le temps ou l’envie ….ils pensaient être en droit de pouvoir refuser
l’exercice du DIF de leurs salariés.
· Les salariés eux-mêmes ne firent pas un accueil enthousiaste au DIF. En 2005,
première année où il était réalisable, moins de 2% des salariés l’utilisèrent, cinq ans
plus tard ils étaient 5 % et aujourd’hui en 2012 on peut estimer que le DIF plafonne
à moins de 10 % de réalisations annuelles toutes branches professionnelles
confondues.
Pourquoi ce modeste accueil fait au DIF dans les entreprises ?
De nombreuses raisons sont avancées pour expliquer ce laborieux démarrage.
· Tout d’abord la formation est un temps long et dans l’éducation initiale comme
dans la formation tout au long de la vie on ne se lance pas dans une formation
comme on « consomme » un séjour à l’hôtel ou un téléphone portable.
La formation n’est donc pas de la consommation, il faut y consacrer du temps, de
l’énergie, persévérer et s’impliquer durablement (on parle toujours de l’effort
formation, effort financier pour l’employeur et effort éducatif pour l’adulte).
Ces impératifs éducatifs laissent souvent de côté les salariés les moins qualifiés car
ceux-ci n’ont guère confiance dans leurs capacités d’apprendre, ils n’ont pas non plus
les bons arguments pour convaincre leur employeur, ils sont sur le terrain, éloignés des
bureaux et des services RH et au final il leur faut souvent une énergie et une
persévérance considérable pour obtenir leurs 20 heures DIF.
· La formation est considérée en France comme un coût dans beaucoup de sociétés.
Les PME paient une faible cotisation formation et elles s’en désintéressent (le nez
dans le guidon) quant aux grandes entreprises, elles chassent les coûts avec leurs
contrôleurs de gestion (qui ont trouvé dans la formation un formidable gisement
d’économies à réaliser).
Que faire aujourd’hui et comment utiliser le DIF ?
Au niveau des pouvoirs publics la fenêtre de tir se réduit de jours en jours si ceux-ci
veulent relancer la machine formation. A la fin de l’année il sera trop tard pour changer
la donne pour 2013 (les OPCA auront déjà décidé de l’affectation des budgets et de
leurs priorités, les entreprises auront déjà construit leur plan et leur budget formation
et les organismes de formation n’auront pas préparé d’offres adaptées au DIF).
Il faut donc faire vite, profiter de l’état de surprise du monde professionnel et des
partenaires sociaux pour imposer :
· Un financement annuel du DIF en rendant la dépense certaine donc provisionnable,
· Le versement obligatoire et annuel d’une somme fixe (sur une base de 15 euros par
heure par exemple) sur un Compte Individuel de Formation géré par un organisme
national de type URSSAF,
· Obliger chaque employeur à répondre favorablement à une demande de DIF ou le
contraindre à organiser dans le mois un entretien professionnel avec à la clé une
formation compatible avec le développement des compétences du salarié,
· Organiser simplement la transférabilité du DIF et la commande de formation tout au
long de la vie professionnelle,
· Ouvrir le DIF à tous les travailleurs et aux mêmes conditions (indépendants, auto-
entrepreneurs, intérimaires, CDD, saisonniers…)
Le DIF n’est donc pas ce gadget que d’aucuns raillaient en 2004 lors de sa mise en
œuvre. Un milliard d’heures de DIF ont été capitalisés par 15 millions de travailleurs du
privé qui y ont droit. Ce capital formation est précieux individuellement pour remettre à
niveau ou reconvertir les travailleurs dont l’emploi est en jeu mais il est précieux aussi
pour le pays qui ne peut se permettre de rater plus longtemps son entrée dans
l’économie de la connaissance et de l’information.
Didier Cozin
Ingénieur de formation professionnelle
Auteur des livres « Histoire de DIF » et « Id-Reflex DIF », publiés aux éditions Arnaud
Franel à Paris