1. L’individualisation de la formation, le DIF et un futur Compte Epargne Formation
Le Centre d’Analyse Stratégique (CAS) vient de publier une étude portant sur
l’individualisation de la formation dans les politiques d’emploi dans huit pays.
Cette étude a été commandée en vue de futures négociations sociales sur la
création d’un « Compte Epargne formation », compte détaché du statut
professionnel et qui suivrait les individus tout au long de leur vie
(professionnelle ou vie tout court).
Même si on ne peut nier la nécessité d’ajuster en permanence des politiques
d’emploi et de formation il semblerait que notre pays s’apprête une nouvelle
fois à inventer la roue tout en prenant le risque de déstabiliser un milieu
professionnel très mal en point. En France l’heure ne’est-elle pas à
l’application de ce qui existe plutôt qu’à un énième marathon législatif qui
mettrait des années à produire d’hypothétiques effets ?
Au temps de l’Internet, de la mondialisation et de l’économie instantanée et
financiarisée l’appareil législatif est sans toute obsolète et mieux vaudrait
simplifier et élaguer que multiplier les réformes qui donnent bonne conscience.
Illustrons cela par l’exemple de la dernière réforme de la formation (loi du 25 novembre 2009) .
Le processus fut initié fin 2007. Le 29 novembre 2007 lors d’une interview télévisée du Chef d’Etat annonça « la
refonte de la formation professionnelle afin qu'elle bénéficie aux moins diplômés ».
Ce processus vit donc les partenaires sociaux discuter et négocier dès la fin 2007 et durant toute l’année 2008 (au
rythme peu frénétique d’une rencontre toutes les 2 semaines) puis le processus législatif démarrer sous la houlette
du député Gérard Cherpion au printemps 2009 et le vote d’une Loi prétendant simplifier l’accès à la formation et
sécuriser les parcours professionnels (les 3 millions de chômeurs de catégorie A apprécient sans doute).
Trois ans plus tard nous connaissons l’impact de la troisième réforme de la formation (depuis 1971) les résultats
sont quasi nul !
La formation professionnelle continue est encore plus complexe, inefficace et opaque qu’avant la réforme et les
millions de personnes souhaitant se former ne peuvent toujours pas accéder aux financements de leur formation
(alors qu’officiellement 30 milliards d’euros y sont consacrés tous les ans).
Alors que les problèmes d’accès à la formation sont flagrants (les effets ciseaux de la crise) notre pays ne devrait plus
se payer de mots (et de Lois) et doit simplement ajuster l’existant, remettre en cause les lobbies syndicaux
(patronaux comme ouvriers) tout en rendant efficient et fiable le seul dispositif qui peut encore par son aspect
universel changer la formation : le DIF, Droit Individuel à la formation.
Si donc le souhait des pouvoirs publics est de réellement faire monter en compétences les travailleurs français (en
cessant de mêler tous les sujets comme celui des jeunes sortant de l’école sans aucun bagage, problème d’autorité
et d’efficacité de l’EN avec son million de fonctionnaires, ou encore celui de la remise à niveau des chômeurs de
longue durée qui ne relève pas non plus de la responsabilité des entreprises.
Il existe en fait une solution simple et accessible depuis 2004 pour remettre en mouvement une formation tout au
long de la vie grippée et sidérée par la crise.
La France a inventé en 2004 (bien avant la crise de 2008 donc) ce dispositif de formation moderne, peu coûteux et
parfaitement adapté à un contexte de crise : le Droit Individuel à la Formation (DIF). Plutôt que de réinventer la
roue et de faire perdre encore de précieuses années au pays avec moult rapports, livres blancs, discussions
syndicales et législatives (sans compter les décrets d’applications et les accords dans des milliers de branches
2. professionnelles) les pouvoirs publics doivent s’appuyer sur le milliard d’heures de DIF cumulé par les salariés depuis
2004 pour culbuter la formation professionnelle. Il suffirait pour cela de :
1) Obliger les employeurs (tous les employeurs dès le premier salarié) à verser tous les ans 1 % de la masse
salariale sur un compte individuel de formation géré par un organisme national de type URSSAF,
2) Supprimer les autres cotisations formation obligatoires (excepté le 0,2% du CIF que là encore toutes les
entreprises quel que soit leur taille devraient payer). Au XXIè siècle Il doit être possible d’admettre que le
Plan de formation de l’entreprise (et son financement) relève de sa seule responsabilité. Elle doit être libre
de le mettre en œuvre ou non (on ne force personne à acheter des machines neuves, pourquoi forcer une
entreprise à dépenser en formation pour son activité ?),
3) Rendre l’exercice du DIF simple et sûr en exigeant de l’employeur qui refuserait un DIF (exprimant ainsi son
désaccord selon l’article 6323-12 du Code du Travail) de motiver par écrit ce désaccord tout en organisant
sans délai un entretien professionnel et en proposant des formations alternatives à mettre en œuvre dans
le mois suivant le désaccord DIF,
4) Réinterroger les mécanismes de financement des œuvres sociales des entreprises notamment les Comités
d’entreprise qui plutôt que de financer des arbres de Noël ou les voyages d’été devraient aussi avoir pour
mission d’abonder les fonds de la formation des salariés quand ceux-ci doivent entreprendre de longues et
couteuses reconversions professionnelles,
5) Responsabiliser les salariés sur leur avenir professionnel en limitant les droits au chômage pour ceux qui ne
feraient pas tous les efforts nécessaires pour se former et évoluer quand ils sont encore en emploi.
Les hommes politiques qui ont été portés au pouvoir en mai et juin 2012 ont une responsabilité historique : soit ils
masseront et berceront le peuple avec des discours convenus (et depuis Marshall Mac Luhan on sait que le message
peut être aussi un massage) promettant des réformes qui n’apporteraient rien ou si peu (trop peu, trop tard et trop
lentement) soit ils prendront conscience que la Loi, les règlements et une certaine organisation étatique sont
désormais dépassés par la vitesse de l’information. Il pourrait alors s’agir pour les politiques, l’appareil d’Etat et les
corps intermédiaires de faire œuvre d’humilité, de s’effacer devant la société civile tout en faisant confiance, en
responsabilisant et en cessant de prendre les français pour d’éternels mineurs à qui on doit cacher la vérité (une
vérité toute simple à formuler: à l’avenir il faudra travailler plus, travailler mieux et travailler plus longtemps pour
simplement espérer conserver un travail).
Notre pays a parfois manqué de courage politique, aujourd’hui il ne s’agit pas de donner les pleins pouvoirs à un
homme politique ou à un parti quelconque mais bien de se réapproprier notre avenir social et professionnel loin des
enjeux des siècles passés. Comme l’a écrit Georges Soros en 2008 à propos de la crise, « c’est quand la mer se retire
qu’on découvre ceux qui se baignaient nus ».
Didier Cozin
Auteur des ouvrages Histoire de DIF et Reflex DIF publiés aux éditions Arnaud Franel.