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1
Master professionnel
Mention : Information et Communication
Spécialité : Médias et Communication
Option : Médias Informatisés et Stratégies de Communication
De la gratuité sur Internet
Etude de cas de Google Inc.
Responsable de la mention information et communication
Professeure Karine Berthelot-Guiet
Tuteur universitaire : Marion Rollandin
Nom, prénom : Pillet Clara
Promotion : 2014-2015
Soutenu le : 28/09/2015
Note du mémoire : 15/20
École des hautes études en sciences de l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne
77, rue de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47 45 66 04 www.celsa.fr
2
3
Remerciements
À Marion Rollandin et Gabriel Delattre, d’avoir accepté de suivre l’évolution de mon travail
et de me conseiller pour ce mémoire.
À Cédric Diridollou pour le contenu de son cours sur les modèles économiques appliqués à
Internet qui m’aura beaucoup aidé, et pour avoir répondu gracieusement à toutes mes
questions.
Aux 160 personnes qui ont répondu à mon questionnaire, à ceux qui l’ont gentiment partagé
sur les réseaux sociaux (Pierre-Marie, Sarra, et Anja), et à ma famille pour avoir accepté
d’être mes cobayes.
À mes parents pour le confort et le soutien, et pour toute leur aide pendant la rédaction et la
relecture.
À la promotion MISC 2015 pour leur aide, leur soutien et les commentaires stupides et drôles
qui ont égayé la rédaction (thanks Anouk & Samuel), à Maxime pour m’avoir dit qu’il croyait
en moi, à Clarisse pour son aide et ses messages d’encouragements continus, à mes collègues
de stage pour leur soutien et leur précieux conseils, et à Anthony pour ce qu’il est.
Et, à Google Inc., pour proposer des outils gratuits et nécessaires à la rédaction d’un mémoire
dont le sujet porte sur Google Inc., comme Google Forms, Google Docs, Google Scholar et
bien sûr Google.
4
Introduction..............................................................................................................................7
Problématique................................................................................................................................12
Hypothèses.....................................................................................................................................13
Méthodologie.................................................................................................................................14
Annonce de plan ............................................................................................................................15
I. De la gratuité : la donnée personnelle comme objet de toutes les convoitises dans un
système de surveillance généralisée ......................................................................................16
1. Les données personnelles .........................................................................................................16
- La donnée personnelle comme trace........................................................................................17
- La valeur de la donnée .............................................................................................................19
2. Le fonctionnement de Google et son business model.............................................................21
- La publicité selon Google Inc..................................................................................................21
- La donnée personnelle au cœur des échanges économiques ...................................................24
- Du gratuit rentable ? Essai sur le don - tome 2........................................................................26
- L’utilisateur, produit de Google Inc.........................................................................................29
3. Le produit-utilisateur au cœur d’une économie foucaldienne..............................................31
- Le sur-mesure de masse.............................................................................................................31
- De l’économie de l’information à et l’économie de l’attention...............................................32
- De l’économie de l’attention à l’économie de surveillance.....................................................35
II. « Je te déteste, mais je reste » ; le paradoxe des internautes au cœur de l’écosystème
de Google Inc. .........................................................................................................................38
1. Le profil des sondés ..................................................................................................................39
- Démographie............................................................................................................................39
- Utilisation des services de Google Inc.....................................................................................40
2. Les utilisateurs face à l’utilisation de leurs données personnelles .......................................44
- La position des utilisateurs par rapport à leurs données personnelles .....................................44
- L’opinion des utilisateurs par rapport à l’utilisation de leurs données personnelles par Google
Inc. .................................................................................................................................................48
- Quelles stratégies de repli ? .....................................................................................................49
3. La place des utilisateurs dans le modèle économique de Google Inc...................................50
- L’opinion des utilisateurs face à la gratuité de Google Inc. ....................................................51
- Payer ou se faire payer pour l’utilisation de ses données personnelles ? That is the question.
52
- Le consommateur producteur ..................................................................................................54
5
III. Google Inc., une entreprise de droit divin partie à la conquête de la confiance des
internautes...............................................................................................................................59
1. La mise en forme du monde.....................................................................................................62
- Google Inc. et sa philosophie...................................................................................................62
- De Babel à Xanadu : l’organisation de toute l’information du monde ....................................63
- Google Inc. : centre de l’univers ou monopole social ?...........................................................65
2. La mise en forme de l’utilisateur.............................................................................................68
- De la collecte et l’exploitation de la donnée............................................................................68
- De la donnée à l’information ...................................................................................................71
3. Google Inc., une entreprise qui vous veut du bien.................................................................72
- Google Inc. au service de l’internaute .....................................................................................74
- La confiance : le Saint Graal de Google ..................................................................................76
Conclusion...............................................................................................................................81
Bibliographie...........................................................................................................................86
Table des annexes...................................................................................................................91
Résumé ..................................................................................................................................125
Mots-clés................................................................................................................................126
6
7
Introduction
« Les premiers usages du réseau [Internet] seront fortement marqués par cette culture de la
liberté, de la gratuité et de l’ouverture aux contributions informelles et décentralisées. L’accès
sans entrave à l’information, sa libre circulation, la propriété publique des infrastructures
apparaissent comme les conditions sine qua non de réalisation de ce projet utopique. »1
Internet a été imaginé, conçu et développé par l’armée américaine dans les années 1950 aux
Etats-Unis, avant que des scientifiques du MIT et du CNRS ne s’en emparent et que le Web
tel que nous le connaissons, apparaisse au début des années 1990. Internet, comme un réseau
de communication entre individus, a été pensé comme un espace libre et gratuit. La gratuité
est une valeur intrinsèque d’Internet. En effet, le réseau Internet et le Web ont été imaginés et
conçus en dehors de toute valeur marchande et économique : le seul objectif était la mise en
communication d’individus, de manière libre, facile et gratuite. Ces idées seront reprises en
1984, dans l’Ethique des Hackers, transcrites dans le livre de Steven Levy : « l'accès aux
ordinateurs et tout ce qui pourrait vous apprendre quelque chose sur la façon dont le monde
fonctionne doivent être illimités et totales », et « toute l’information doit être gratuite »2
.
Ainsi, les internautes doivent seulement payer les moyens d’accès (soit l’infrastructure
technique, comme un terminal ou un ordinateur, et la connexion au réseau) pour avoir accès à
« toute l’information du monde » de manière gratuite et libre.
Ainsi, la gratuité est le modèle fondamental d’Internet : l’information y est libre et gratuite,
ainsi que les communications entre individus et les différents services proposés comme
Google.
Google Inc. est une entreprise emblématique de la culture de la gratuité sur Internet :
développée dans les années 1990, l’entreprise a profité du développement d’Internet et du
Web pour lancer un service de recherche sur Internet, sans avoir de modèle économique.
Google Inc. est une entreprise américaine, crée en 1998 par Larry Page et Serguey Brin. A
1
PROUX S & GOLDENBERG A., « Internet et la culture de la gratuité ». Revue du MAUSS 1/2010 (n° 35). Disponible :
http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2010-1-page-503.htm (consulté le 27 août 2015)
2
LEVY Steven, Hackers : Heroes of the computer revolution, Dell Publishing, 1994, p.32-33. Disponible :
http://www.temarium.com/wordpress/wp-content/documentos/Levy_S-Hackers-Heroes-Computer-Revolution.pdf (consulté le 5 septembre)
8
l’origine, Google est un moteur de recherche, c’est-à-dire, une application web qui permet de
retrouver des fichiers et des pages web sur Internet. Son fonctionnement est basé sur trois
processus : l’exploration du web, soit la recherche de tous les sites webs, documents, et
fichiers existants sur le réseau Internet, l’indexation de ces informations, et enfin la recherche
qui permet de les retrouver facilement.
À sa création, Google est le premier moteur de recherche à utiliser un algorithme de recherche
et de classement des pages web : le fonctionnement de Google est basé sur l’intervention
d’une machine, qui classe, trie, et répertorie tous les sites.
En plus de son moteur de recherche lexical, Google Inc. a développé plusieurs autres services
de recherche : Google Image, Googles News, Google Map et Google Earth. Ils sont tous
complémentaires et interconnectés, car ils fonctionnent ensemble. Depuis 2004, Google Inc.
développe des services annexes comme Gmail, une messagerie électronique, Google Drive,
un service de stockage en ligne, Android, un système d’exploitation pour smartphones… ; en
2015, Google Inc. propose 51 services différents3
. Ces produits sont des compléments, car ces
produits et services tendent à être consommés ensemble.
Quelques chiffres :
- Aujourd’hui, Google est le leader mondial du moteur de recherche : il pèse 89% du marché
mondial, avec 77% de parts de marché aux Etats-Unis, et 94% en France4
.
- En 2014, Google Inc. a réalisé un chiffre d’affaires de 66 milliards de dollars, soit une
progression de 19% par rapport à l’année précédente5
.
- La firme a traité plus de 100 milliards de recherches par mois en 20136
.
- 89% du chiffre d’affaires de Google Inc. est issu de la publicité7
.
Ainsi, il devient essentiel de s’intéresser à Google Inc. : les chiffres concernant la recherche
sur Internet ainsi que les chiffres financiers montrent que cette entreprise est un acteur majeur
sur le Web.
3
« About Google – Products » https://www.google.com/intl/en/about/products/ (consulté le 19 juillet 2015)
4
Chiffres de Juin 2015, via StatCounter http://gs.statcounter.com/#search_engine-FR-monthly-201406-201506 (consulté le 19 juillet 2015)
5
« Google Inc. Announves Fourth Quarter and Fiscal Year 2014 Results », Press release, January 29, 2015.
https://investor.google.com/earnings/2014/Q4_google_earnings.html (consulté le 19 juillet 2015)
6
« 2013 Founders’Letter » https://investor.google.com/corporate/2013/founders-letter.html
7
« Google Inc. Announces Fourth Quarter and Fiscal Year 2014 Results », Press release, January 29, 2015.
https://investor.google.com/earnings/2014/Q4_google_earnings.html (consulté le 19 juillet 2015)
9
À noter que Google réfère au moteur de recherche développé par l’entreprise Google Inc.
Ainsi, je différencie ces deux entités durant tout mon argumentaire, afin de marquer la
différence entre l’entreprise et un de ses services, différence qui n’est pas souvent relevée
dans le langage courant, Google étant souvent utilisé pour désigner l’entreprise toute entière.
J’ai également choisi de parler de Google Inc. et non de Alphabet. En effet, le 10 août
dernier8
, les fondateurs de Google, Serguey Brin et Larry page ont annoncé avoir créé une
nouvelle entreprise, Alphabet, qui sera composée de 8 filiales, dont Google Inc. et ses
différents services, Calico, Nest, Fiber, Sidewalks Labs, Google Capital, VC Google Venture
et Google X. Le groupe se structure ainsi par filiales et grands projets pour afficher des
résultats financiers détaillés par activité. J’ai donc choisi de mentionner uniquement Google
Inc., et non Alphabet : cette décision juridique et financière est encore très récente, tous les
contours de cette nouvelle entité n’ont pas encore dessinés, et Google Inc. reste l’entité qui
développe et monétise tous les services utilisés par les internautes comme le moteur de
recherche ou Gmail.
Ainsi, Alphabet peut être considéré comme un « conglomérat numérique », car l’entreprise
propose des services très diversifiés. J’ai cependant choisi de ne mentionner que les
principaux services de la nouvelle entité Google Inc. (soient les services en ligne), et plus
particulièrement Google et Gmail. En effet, Google étant le premier service de l’entreprise,
celui par lequel tout a commencé, j’ai choisi de ne mentionner que ce dernier. De plus, le
nombre de services étant trop élevé et trop diversifié, j’ai choisi de me concentrer sur ceux qui
sont le plus utilisés, sachant que tous les services de l’entreprise répondent tous à une même
logique économique.
Ainsi, Google Inc. est le porte-étendard de la gratuité pour les utilisateurs : Google est présent
sur la plupart des navigateurs Internet, il est utilisé par une écrasante majorité d’individus, qui
ne payent jamais pour utiliser le moteur de recherche. Par ailleurs, ces utilisateurs ne payent
jamais pour utiliser Gmail, pour stocker leurs photos sur Google Photos, pour réaliser du
traitement de texte collaboratif en ligne grâce à Google Docs… Google Inc. a débuté en étant
8
« Alphabet ou l’illusion de la transparence », Usine Digitale, le 19 août 2015 http://www.usine-digitale.fr/editorial/alphabet-ou-l-illusion-
de-la-transparence.N345289 (Consulté le 19 août 2015)
10
un service gratuit, sans modèle économique, et sans aucune rentabilité pour les investisseurs.
Aujourd’hui, cette entreprise qui propose des services gratuits pèse plusieurs milliards de
dollars, et est la 40ème
entreprise la plus riche des Etats-Unis selon le classement Fortune9
.
En effet, si Internet a été pensé pour être gratuit, et que les premières entreprises qui l’ont
investi comme Google Inc. ont débuté sans modèle d’affaires et en proposant des services
gratuits pour les utilisateurs, le problème de la rentabilité s’est très vite imposé.
Ethan Zuckerman, inventeur de la publicité pop-up contextuelle, explique comment la gratuité
comme modèle d’affaires n’est pas compatible avec la mise en informations du monde, la
libre circulation de contenus et la gratuité de services, idées fondamentales d’Internet.
« What we wanted to do was to build a tool that made it easy for everyone, everywhere to
share knowledge, opinions, ideas and photos of cute cats. As everyone knows, we had some
problems, primarily business model problems, that prevented us from doing what we wanted
to do the way we hoped to do it. »10
Il explique alors comment la publicité est alors apparue comme le seul moyen de rentabiliser
un service gratuit. L’utilisateur ne paye toujours pas le service, et la publicité permet aux
créateurs de sites web et de services en ligne de gagner de l’argent et aux entreprises d’être
rentables et bénéficiaires, afin de continuer à proposer des services gratuits pour les
utilisateurs. Afin que ces publicités soient toujours rentables pour l’annonceur et efficaces
pour le consommateur, la publicité est devenue ciblée, en utilisant les données personnelles
des utilisateurs. Ainsi, la donnée est devenue importante pour que les créateurs de ces
différents services puissent « raconter de meilleures histoires »11
.
C’est ainsi que la gratuité est devenu le modèle d’affaires par excellence sur Internet, car
soutenu par la publicité en ligne.
9
2015 Fortune 500 http://fortune.com/fortune500/#methodology (Consulté le 19 août 2015)
10
ZUCKERMAN Ethan, « The Internet’s Original Sin », The Atlantic, le 14 août 2014.
Traduction : « Ce que nous voulions, c’était créer un outil qui rende facile pour tous et partout dans le monde le partage de connaissances,
d’opinions, d’idées et de photos de chats mignons. Comme chacun le sait, nous avons eu quelques problèmes, principalement des problèmes
de modèle d'affaires, qui nous ont empêché de faire ce que nous voulions faire de la façon dont nous espérions faire. » Disponible :
http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/08/advertising-is-the-internets-original-sin/376041/ (Consulté le 12 juin 2015)
11
Cegłowski cité par Ethan Zuckerman dans « The Internet’s Original Sin »
11
En effet, dès l’année 2000, Google Inc. lance AdWords qui permet aux entreprises d’afficher
de la publicité en ligne ciblée et contextuelle à côté des résultats de recherche, en combinant
les données de recherches et les données personnelles des utilisateurs. En 2003, l’entreprise
lance AdSense, soit un système de régie publicitaire, qui permet d’afficher de la publicité
ciblée sur des sites web. Grâce à la publicité, Google Inc. devient rapidement rentable et
engrange des bénéfices.
Ainsi, Google Inc. a transposé des outils marketing déjà existants à Internet : la publicité
ciblée était déjà appliquée notamment à la télévision, grâce à l’analyse des audiences.
Cependant, Google Inc. a augmenté d’un cran la publicité ciblée, en la rendant contextuelle et
pertinente pour les utilisateurs, grâce à leurs données personnelles, et efficaces et rentables
pour les annonceurs qui ne payent que les clics obtenus.
La publicité en ligne proposée par Google Inc. a donc permis à ce que ses services restent
gratuits pour les utilisateurs. Cependant, Milton Friedman12
, un économiste américain de
l’Ecole de Chicago a déclaré « There is no such thing as free lunch », soit « Un repas gratuit,
ça n’existe pas », insinuant que la gratuité dans un modèle économique supposait
automatiquement un paiement déguisé.
12
FRIEDMAN Milton, There's No Such Thing as a Free Lunch, Open Court Publishing Company, 1975
12
Problématique
Le phénomène de gratuité sur Internet est donc à interroger, et notamment la place de
l’utilisateur au cœur des relations économiques qui se jouent avec l’entreprise de services
gratuits. Peut-on réellement parler d’un Internet gratuit, soit d’une utilisation de services web
gratuite pour le consommateur ? Quels sont les enjeux sociaux, économiques et
communicationnels qui sous-tendent la gratuité sur Internet ?
En effet, la gratuité, comme notion économique, soulève de nombreuses interrogations
concernant le rôle de l’individu-consommateur et son rôle social au sein des échanges
marchands qui se créent avec l’entreprise, et au niveau communicationnel en ce qui concerne
la valorisation de la gratuité au niveau social et économique. On peut ainsi se demander dans
quelle mesure l’utilisation d’un service gratuit sur Internet place l’individu au cœur de
relations économiques complexes avec l’entreprise créatrice de ce service gratuit. Google est-
il gratuit ? Et comment son système économique permet d’impliquer le consommateur dans
son développement ? L’utilisateur est-il conscient du rôle qu’il joue dans cet écosystème ?
In fine :
Dans quelles mesures un modèle économique basé sur la gratuité, implique
les internautes aux niveaux économique et social dans le développement
d’une entreprise comme Google Inc. ?
13
Hypothèses
De cette tension au sujet de la gratuité et des conséquences économiques, sociales et
communicationnelles qu’implique ce modèle d’affaires sur le web découle plusieurs
hypothèses qui permettent de répondre à cette problématique.
Hypothèse 1 : Google Inc. ne propose pas de services gratuits, l’utilisateur paye avec ses
données personnelles. Ainsi, je cherche à vérifier l’affirmation d’ordre générale, qui possède
aujourd’hui une valeur de proverbe : « si le service est gratuit, l’utilisateur est le produit ». Je
suppose alors que l’utilisateur est le produit de Google Inc., soit l’élément constitutif des
relations marchandes de l’entreprise, au cœur d’un système économique complexe, où trois
agents (l’entreprise, l’utilisateur et les annonceurs) opèrent.
Hypothèse 2 : L’utilisateur est conscient de la collecte et du traitement de ses données
personnelles effectués par Google Inc., et conscient des relations d’échanges qui se jouent
entre lui-même et l’entreprise. Ainsi, l’utilisateur se sait produit et producteur de la richesse
de Google Inc. : il a conscience de payer les services avec ses données personnelles, d’être le
produit de l’échange entre Google Inc. et les annonceurs, et il a également conscience d’être
le producteur de la richesse de Google Inc., en améliorant les services proposés par sa seule
utilisation, ce qui permet d’attirer toujours plus d’utilisateurs.
Hypothèse 3 : Google Inc. produit des discours idéologiques pour légitimer son mode de
fonctionnement et euphémiser les relations d’échange économique qui lient les utilisateurs à
l’entreprise. En effet, l’utilisateur étant conscient de ces relations d’échanges, il s’agit de le
rassurer sur l’exploitation de ses données personnelles, et sur le rôle qu’il joue au sein du
système économique mis en place par Google Inc.
14
Méthodologie
Une méthodologie reposant sur deux outils sera utilisée pour répondre à ces hypothèses.
Le premier consiste en une analyse de la réception des utilisateurs des services de Google
Inc., grâce à un questionnaire13
. J’ai choisi le questionnaire et non l’entretien, afin d’avoir un
large échantillon de réponses, qui puisse être facilement quantifiable. Ainsi, j’ai réalisé une
étude quantitative et qualitative, en introduisant des réponses à champ libre, me permettant
d’avoir une analyse plus large et de dépasser mes hypothèses en laissant les réponses des
utilisateurs me guider. L’analyse des réponses me permettra de comprendre comment les
utilisateurs se placent par rapport à l’écosystème construit par Google Inc. et de comprendre
leurs opinions face aux stratégies de développement de l’entreprise.
Le deuxième consiste en une analyse de discours de Google Inc. Ainsi, j’ai choisi un corpus
de trois discours produits par l’entreprise14
, de natures différentes et avec des objectifs
différents, afin d’étudier les discours d’accompagnements de l’entreprise Google Inc.
L’analyse de la stratégie de communication de l’entreprise, par l’étude de ces discours me
permettra de comprendre la position que Google Inc. adopte face à ses utilisateurs.
13
Annexe 1, p. 92
14
Annexes 2, 3, et 4, p. 110, p.115 et p.122
15
Annonce de plan
Dans un premier temps, il convient d’interroger la notion de données personnelles et de
gratuité. En effet, je suppose que l’utilisateur paye les services de Google Inc. grâce à ses
données personnelles qui deviennent alors l’objet de toutes les convoitises pour Google Inc. et
les annonceurs. J’expliquerai également quel est le mode de fonctionnement de Google Inc. et
son business model, en insistant sur la place de l’utilisateur dans cet écosystème basé sur la
surveillance de l’individu.
Ensuite, je tâcherais de comprendre si les utilisateurs sont conscients de la collecte et du
traitement de leurs données personnelles effectués par Google Inc., grâce à l’analyse de leur
réception via un questionnaire. Ainsi, je tâcherai de rendre compte de la place de l’utilisateur,
tel qu’il le ressent, au sein du modèle économique, et quelle est son opinion en tant que
produit et producteur de la richesse de l’entreprise.
Enfin, la stratégie de communication de Google Inc. sera étudiée, grâce à l’analyse de trois
discours, afin de montrer comment l’entreprise conçoit et entretient une idéologie pour
légitimer son mode de fonctionnement et rassurer les utilisateurs afin de garder leur confiance
et de garantir son monopole.
16
I. De la gratuité : la donnée personnelle comme objet de toutes les
convoitises dans un système de surveillance généralisée
Google Inc., créé en 1998, a toujours été un service gratuit pour les internautes : personne n’a
jamais payé pour utiliser les différents services que l’entreprise propose. Cependant, on peut
observer un certain paradoxe : des services gratuits permettent à l’entreprise d’avoir un chiffre
d’affaire supérieur à 45 000 dollars en 2014. En effet, le modèle d’affaires est basé sur un
échange monétaire entre Google Inc. et les publicitaires qui se servent des plateformes de
Google Inc. pour y afficher leurs produits. Cependant, pour que ces publicités soient mises en
place et soient rentables pour les deux parties, la présence de l’utilisateur des différents
services de Google Inc., qui est la cible de ces publicités, est absolument nécessaire.
J’émets l’hypothèse que Google Inc. propose des services gratuits car l’utilisateur paye
l’utilisation de ces services avec ses données personnelles. L’utilisateur est alors le produit de
la richesse de Google Inc. Il convient alors d’interroger la relation économique de Google Inc.
avec ses utilisateurs, pour comprendre quels sont les mécanismes qui sont mis en place par
l’entreprise pour être rentable en proposant des services gratuits.
Dans un premier temps, il convient de définir les données personnelles pour comprendre
quelle peut être leur valeur. Ensuite, le fonctionnement et le modèle d’affaire de Google Inc.
doivent être expliqués afin d’évaluer la place de l’utilisateur au sein d’un système
économique complexe.
1. Les données personnelles
La donnée personnelle est le fondement de l’économie numérique, et notamment du modèle
d’affaires de Google Inc. Sa définition est complexe, et son statut économique et juridique
reste encore à déterminer.
Premièrement, la donnée est « ce qui est connu et admis, le point sur lequel on fonde un
raisonnement, qui, étant indiscutable ou indiscuté, sert de base à une recherche, un examen
quelconque ». La donnée réfère également à « une représentation conventionnelle d’une
17
information en vue de son traitement informatique »15
. La donnée informatique est donc le
plus petit élément composant une information numérique. Les données représentent donc
l’ensemble des éléments connus et admis qui doivent être traités de manière informatique
pour donner du sens.
À cette définition de la donnée informatique, s’ajoute la définition juridique de la donnée
personnelle. L’article 2 de la directive européenne 95/46 du 24 octobre 1995 ainsi que
l’article 2 de la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 définissent les « données à
caractère personnel » comme « toute information concernant une personne physique identifiée
ou identifiable ; est réputée indentifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou
indirectement, notamment par référence à une numéro d’identification ou à un ou plusieurs
éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique,
culturelle ou sociale. » Cette définition concerne aussi bien les données directement
nominatives que celles qui le sont indirectement comme une adresse, un numéro de téléphone,
une adresse IP, les traces des données de connexion – tout ce qui permet de remonter
indirectement à un individu.
Ainsi, les données à caractère personnel qui font l’objet de collecte et de traitement dans un
environnement numérique sont très diverses ; elles peuvent être transactionnelles,
collaboratives, issues de système de gestion, de registres officiels, de médias sociaux, de
capteurs d’objets connectés. Les données structurées, comme les fiches clients ou les bases de
données, différentes des données non structurées, comme les requêtes des utilisateurs d’un
moteur de recherche, qui permettent d’analyser leurs discours et leurs comportements. De
plus, contrairement aux bases de données statiques, elles se présentent sous forme de flux,
sont constamment mises à jour, et se renouvellent en permanence16
.
- La donnée personnelle comme trace
Ainsi, les données personnelles peuvent également être automatiquement produites à
l’occasion d’un calcul, d’une connexion, sans que le sujet en soit conscient. À chaque fois que
15
Trésor de la Langue Française Informatisé
16
CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection
« Entreprendre - Développement professionnel », 2015.
18
l’internaute effectue une recherche sur Google, il crée des traces, des empreintes de
connexion, et laisse derrière lui des informations à son sujet. Nous pouvons alors reprendre le
premier des cinq axiomes de la communication développés par Watzlawick, Bavelas et
Beavin17
: « on ne peut pas ne pas communiquer ». Tout comportement porte un message, et
même un non comportement a un sens dans une situation d’interaction. Ainsi, on peut dire
qu’en matière de comportement numérique, on ne peut pas ne pas laisser de traces et de
données personnelles dans un environnement numérique.
Les données personnelles des internautes peuvent être considérées comme des traces,
« construite[s] ou retrouvée[s], d’une communication en même temps qu’un élément de
systèmes identitaires. »18
En effet, la trace est ce qui subsiste de quelque chose, d’un passage,
d’une action réalisée dans le passé. Dispositif de mémoire, elle agit comme un témoignage qui
doit être analysé pour créer du sens. La trace n’est pas un message, et doit être combinée à
d’autres pour faire sens. Les données produites par les individus sont des données chiffrées,
des bits, des logs et non des informations. Alexandre Serres19
distingue deux types de traces :
celles qui résultent d’une « interaction homme/machines » et celles qui réfèrent à une suite
d’événements ordonnés. On peut distinguer les traces « profilaires », liées au support
technique utilisé (adresse IP, cookie), les traces déclaratives (les données nominatives ou
démographiques volontairement inscrites), les traces navigationnelles (les requêtes effectuées
sur Google, les achats effectués en ligne ; toute action prise sur un site web), et les traces
comportementales (l’historique de navigation). La trace assigne une signature invisible à un
comportement informationnel. Ces données personnelles sont reliées à une énonciation
incertaine, différée, et sans marqueurs corporels. Les données personnelles sont des déictiques
qui signalent une identité, de manière contextuelle, en reliant l’activité d’un individu à son
identité, mais elles sont dissociables de leur production, car ce sont des « unités solvables,
agençables et calculables »20
. Les données personnelles ne dépendent donc d’aucun support
matériel et ne font pas l’objet d’un droit de propriété au niveau juridique. Ainsi, les données
de tous types, y compris celles à caractère personnel sont très malléables, et transformables à
17
WATZLAWICK, JACKSON & BEAVIN, Pragmatics of Human Communication, W. W. Norton & Company, 2011. Disponible :
https://books.google.fr/books?id=Ob9UAgAAQBAJ&pg=PA29&source=gbs_toc_r&cad=4#v=onepage&q&f=false, p. 29
18
PEDAUQUE T. Roger, La redocumentarisation du monde, Editions Cépaduès, 2007.
19
SERRES Alexandre, « Quelle(s) problématique(s) de la trace ? », Texte d’une communication prononcée lors du séminaire du CERCOR
(actuellement CERSIC), le 13 décembre 2002. Disponible : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001397/document (Consulté le 12 janvier
2015)
20
PEDAUQUE T. Roger, La redocumentarisation du monde, Editions Cépaduès, 2007.
19
l’infini21
et elles doivent être exploitées et transformées pour devenir une information : les
données personnelles ne prennent de sens que quand elles sont collectées en masse et
exploitées, transformées pour y extraire de la valeur marchande.
- La valeur de la donnée22
Il convient alors d’interroger la valeur de la donnée personnelle. En effet, l’essor d’Internet et
l’explosion de ses usages ont fait croître de manière importante le nombre de données
produites par les internautes. Dans ce cadre, les entreprises se sont intéressées à ces données
reliées à des individus dans un but commercial. En effet, les données personnelles permettent
d’identifier des consommateurs de manière ultra précise pour leur proposer des produits
adaptés, garantissant ainsi l’acte d’achat. Un prix, soit une somme d’argent, est attribué aux
données personnelles qui acquièrent alors une valeur marchande dans un environnement
numérique. Il convient alors d’interroger le statut économique de ces données personnelles et
de déterminer comment un prix correspondant à ces données peut être appliqué.
La donnée est un bien non rival, public et de non exclusion car sa consommation ne prive pas
les autres agents de son usage ; elle peut être faîte simultanément par plusieurs agents
économiques sans que ses caractéristiques soient affectées ; et son usage ne peut être exclu
sans dispositifs techniques spécifiques ou droits de propriété. D. Quah précise en plus que la
donnée est « reproductible à l’infini, a-spatiale, indivisible et recomposable »23
. La donnée
personnelle est un « capital circulant » dont la valeur, loin d’être détruite, s’accroît au cours
des transmissions entre les différents agents24
. Ainsi, elle est un bien d’abondance, car non
destructible et reproductible. Les données sont des biens informationnels et intangibles
(comme les services) mais qui peuvent être stockées (comme les produits), d’où son statut
économique hybride.
21
MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l’information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009.
Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015)
22
CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection
« Entreprendre - Développement professionnel », 2015.
23
Cité par BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, Sociétés de l’information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L’Harmattan, Paris,
2006, p. 35
24
Sous la direction de BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, Sociétés de l’information : enjeux économiques et juridiques, Ed.
L’Harmattan, Paris, 2006. p.16
20
Il est intéressant de noter que la donnée peut avoir plusieurs valeurs, selon le temps, le lieu,
les personnes interrogées, et le contexte. En effet, la valeur de la donnée est changeante, et
dépend notamment de la finalité et de l’objectif que la donnée permet d’atteindre. Elle a une
valeur immédiate : la donnée d’aujourd’hui a plus de valeur que celle d’hier. En effet, le
volume et la vitesse de croissance de ces données personnelles les rendent obsolètes dans le
temps, car changeantes et instables. Cependant, la somme des données passées acquiert de la
valeur dans la mesure où elle permet de définir les algorithmes des moteurs de recherche par
exemple, ou de définir le profil d’un individu. La donnée possède une valeur d’option, soit
une valeur attribuée à un usage potentiel futur.
Simon Chinard explique que « la première valeur d’une donnée n’est pas monétaire. C’est
d’abord et avant tout une valeur de levier : l’usage qui va en être fait et qui va permettre de
changer les processus de décisions ou de produire différemment certains services. C’est donc
la capacité de relier une donnée à une autre, de la croiser, qui va faire sa valeur »25
. Ainsi, les
données personnelles brutes, ne valent pas tant pour ce qu’elles sont, mais plutôt pour ce
qu’elles permettent de faire ; c’est un bien d’expérience, dont la qualité ne se révèle qu’à
l’usage.
En effet, la valeur de la donnée se co-construit avec d’autres données. En reprenant les termes
de la loi de Metcalfe, la valeur d’une donnée est proportionnelle au carré du nombre de
données auxquelles elle est associée26
. Ainsi, la donnée ne prend de la valeur que quand elle
est utilisée et transformée pour donner du sens. La donnée est collectée à l’état brut par une
entreprise et elle doit subir une transformation et être croisée avec d’autres données pour la
rendre propre à l’échange et à l’utilisation. La loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier
1978 définit le traitement des données à caractère personnel comme « toute opération de
collecte de traitement de la donnée » (art.2). De plus, le responsable du traitement des
données réfère « à toute personne physique ou morale qui détermine les finalités et les
25
Simon Chignard, dans « Les données personnelles, une denrée sous-utilisées par les collectivités », la Gazette des Communes, publié le 2
juillet 2015, par Claire Chevrier. Disponible : http://www.lagazettedescommunes.com/374186/la-capacite-a-croiser-une-donnee-a-une-autre-
fait-sa-valeur/# (consulté le 3 juillet 2015)
26
La loi de Metcalfe, énoncée par Robert Metcalfe, un ingénieur américain à l’origine du protocole Ethernet, annonce que « la valeur d’un
réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs ». Cette loi annonce que plus il y a d’utilisateurs de réseau, plus ce réseau a
de la valeur. Ainsi, plus il y a d’utilisateurs de Google Inc., plus les services de l’entreprise ont de la valeur d’utilité pour les utilisateurs, et
de la valeur économique. Citée dans Sociétés de l’information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L’Harmattan, 2006, Paris, sous la
direction de BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, p.42
21
moyens du traitement » (art.3) et réfère à la personne ou l‘entreprise qui engage sa
responsabilité en mettant en place un fichier de collecte et des outils de traitements des
données à caractère personnel.
Dans le cas de Google Inc., la donnée personnelle acquiert une valeur car elle permet
d’établir le profil des utilisateurs pour leur proposer les publicités adéquates. Ainsi,
« l’information, c’est-à-dire, la décision que permet l’analyse de données a une valeur
d’utilité plus forte que la donnée elle-même »27
. Il convient alors d’interroger le modèle
économique de Google Inc. et de comprendre la place de la donnée personnelle au sein de ce
modèle.
2. Le fonctionnement de Google et son business model
Le modèle d’affaire de Google Inc. n’est pas basé sur la production et la vente de contenus,
mais sur le profit de contenus déjà existants sur le web. Par le biais de la publicité en ligne,
juxtaposée à des contenus externes, Google Inc. propose des plateformes de services gratuits.
Ainsi, l’entreprise joue un rôle d’intermédiaire entre les contenus et les annonceurs, en
récoltant des informations marketing à partir des données personnelles de ses utilisateurs.
« L’économie du médium a remplacé l’économie du message »28
. Ce sont les plateformes et
les dispositifs que Google Inc. met à disposition de ses utilisateurs qui rapportent de l’argent à
l’entreprise, et en aucun cas les contenus qui y sont hébergés. Google Inc. a ainsi pour
objectif de se positionner comme un point de rencontre exclusif et obligé entre les internautes,
les contenus et les annonceurs. 29
- La publicité selon Google Inc.
Le modèle économique de Google Inc. est donc basé sur la publicité, dont 89%30
de son
chiffre d’affaire est issu. L’entreprise propose des services aux entreprises et annonceurs qui
27
CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection
« Entreprendre - Développement professionnel », 2015, p.43
28
MELOT M., préface de PEDAUQUE T. Roger, Le Document à la lumière du numérique, 2006.
29
BOUQUILLON Philippe & MATTHEWS Jacob T., Le web collaboratif, mutations des industries de la culture et de la communication,
Ed. Presse Universitaire de Grenoble, coll. « La communication en + », 2010. p.42
30
« Google Inc. announces Fourth Quarter and Fiscal Year Results 2014 », 29 Janvier 2015, Disponible :
https://investor.google.com/earnings/2014/Q4_google_earnings.html (Consulté le 12 juillet 2015)
22
veulent faire de la publicité pour leurs produits. Ces services se caractérisent par le ciblage
des publics, pour rendre les publicités plus efficaces, pertinentes et rentables pour
l’annonceur.
Selon Hervé Le Crosnier31
, trois types de publicités ciblées peuvent être distinguées. En
premier lieu, la publicité personnalisée qui consiste à savoir, selon plusieurs critères, qui est la
personne derrière l’écran en fonction des sites web qu’il aura visités. L’autre forme de
publicité ciblée est contextuelle où l’analyse se porte sur le contenu que recherche l’internaute
et donc, quels sont ses désirs et ses besoins à un moment précis. Enfin, la publicité
comportementale est le type de publicité le plus complet : l’individu est suivi en permanence
et tout ce qu’il fait est enregistré. Lors de chaque visite d’un site web, un cookie est déposé
sur l’ordinateur de l’individu qui l’identifie et regroupe toutes ses informations en matière de
comportement.
Ainsi, Google Inc. propose à la fois de la publicité personnalisée, contextuelle et
comportementale, comme nous allons le détailler ci-dessous.
Le premier service de publicité proposé par Google Inc. est AdWords, soit de la publicité
contextuelle. Les annonceurs créent des annonces publicitaires sous forme de liens, comme
les résultats des requêtes sur le moteur de recherche Google. Ces annonces sont combinées à
des mots clés en rapport avec l’activité des annonceurs, qui misent dessus. Quand un
utilisateur effectue une requête avec un de ces mots clés, l’annonce apparaît sur la même page
que les résultats naturels, dans un encart dédié aux annonces commerciales. L’annonceur qui
a misé la plus grosse somme d’argent sur un mot clé verra son lien commercial apparaître en
premier. Quand l’utilisateur clique sur le lien sponsorisé, l’annonceur va payer la somme mise
en enchère à Google Inc. ; on parle de CPC (Coût par Clic). Ce système permet d’afficher de
la publicité en rapport avec la recherche effectuée par l’utilisateur. On parle alors de
marketing ciblé : cette stratégie permet d’afficher des résultats pertinents pour l’utilisateur, ce
qui augmente les chances pour l’annonceur de voir l’utilisateur cliquer sur son lien proposé. À
noter que le classement des annonces dépend à la fois des enchères faîtes par les annonceurs
et du taux de clics effectués par les utilisateurs sur ces annonces. Ainsi, le système
31
LE CROSNIER Hervé., « Usage des traces par la publicité comportementale », Traces numériques, de la production à l'interprétation,
CNRS Editions, 2013
23
d’AdWords prend en compte à la fois la somme d’argent dépensée par les annonceurs et le
retour des utilisateurs : si un lien sponsorisé n’est jamais cliqué, il n’apparaîtra plus. Grâce à
ce système de revenus, Google Inc. met ainsi en relation une recherche de contenus avec une
entreprise. Les mots-clés de recherche sur Google sont « monétisés » et deviennent des objets
de ventes aux enchères selon des critères de popularité.
Google Inc. possède également une régie publicitaire, AdSense. Ce programme permet aux
producteurs de contenus sur Internet, propriétaire d’un nom de domaine, de générer des
revenus en diffusant des annonces publicitaires ciblées sur leur site Web. La publicité affichée
est déterminée en fonction du contenu de la page web : on peut parler de publicité
personnalisée. Ainsi, Google Inc. est également présent sur le marché du display, soit
l’affichage de bannières publicitaires sur les sites web. Ici, Google Inc. peut être rémunéré
financièrement de deux façons ; le CPM (coût par mille), où l’annonceur paie en fonction du
nombre supposé d’internautes exposés à l’annonce, et le CPC (Coût par clic), où l’annonceur
ne paie qu’en proportion du nombre de clics sur le lien sponsorisé ou l’annonce.
En plus de ces deux services de publicité, Google Inc. propose des solutions de retargeting.
L’entreprise utilise des cookies32
pour profiler les internautes et récupérer leurs données de
navigation. Le cookie est un petit fichier texte stocké sur le navigateur d’un utilisateur qui
permet de faciliter sa navigation en conservant ses données ; l’utilisateur pourra voir des
messages publicitaires apparaître en fonction des recherches qu’il a effectuées auparavant et
des sites qu’il a pu consulter.
Ainsi, les revenus de Google Inc. sont issus de la somme que les annonceurs paient pour que
leurs publicités soient visibles par les utilisateurs de Google Inc.
Le modèle économique de Google Inc. est donc celui d’une régie publicitaire qui vend des
espaces à des annonceurs sous forme de liens dits « commerciaux » ou « sponsorisés ». Cette
pratique joue sur une illusion de surgissement contextuel pertinent.33
En effet, plus que de
l’espace, qui est infini sur le web, Google Inc. vend les intentions des utilisateurs qu’ils ont
exprimées sous la forme d’une simple requête sur le moteur de recherche. Cette pratique est
32
« Types of cookies used by Google » https://www.google.com/policies/technologies/types/ (consulté le 19 août 2015)
33
ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L’entonnoir : Google
sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p.125
24
également une transformation radicale de l’économie de l’information, puisque ce n’est plus
le résultat qui fait l’objet d’une certaine valeur, mais la requête en elle-même34
. C’est donc le
besoin d’information de l’utilisateur qui se monétise, car les entreprises accordent de la valeur
au fait de se trouver au bon endroit et au bon moment pour combler ce besoin d’information
de l’utilisateur, futur consommateur. La visibilité possède une importance toute particulière
pour les annonceurs qui souhaitent être immanquables pour le consommateur.
Google Inc. revendique l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs pour
satisfaire au mieux ses besoins d’information et satisfaire le besoin de rentabilité des
entreprises qui utilisent ces services de publicité. « Le moteur de recherche […] exploite et
trace entièrement et continuellement les comportements de tous ceux qui utilisent ses
services, afin de « profiler » leurs habitudes et d’insérer dans leurs activités (navigation,
courrier électronique, gestion des dossiers…) une publicité personnalisée, contextualisée,
légère et omniprésente. »35
La mise en réseau des ordinateurs et la mise en commun de tous
les sites Internet par Google, permettent de capter des informations sur les internautes et ces
ressources sont mises à dispositions d’acteurs externes pour développer leurs activités. Le
modèle d’affaire de Google Inc. est basé sur un échange entre l’entreprise et ses utilisateurs,
et l’entreprise et les annonceurs.
- La donnée personnelle au cœur des échanges économiques
Le web et les services de Google Inc. sont fondés sur une interconnexion de sites et les
données personnelles des utilisateurs sont disséminées à travers le réseau. En effet, la collecte
et l’utilisation des données sont au cœur du modèle d’affaire de Google Inc., grâce à ses
services de moteur de recherche, courrier électronique, et autres.
Google Inc. recueille des informations sur ses utilisateurs pour parfaire la segmentation de ses
utilisateurs et leur proposer les informations qui ont le plus de chance d’attirer leur attention.
34
SIMONOT Brigitte, « De l’usage des moteurs de recherche par les étudiants », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de
l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p 101
35
KYROU Ariel, Google God, Ed. Inculte, Paris, 2010.
25
Le moteur de recherche aspire les données des utilisateurs et leur « expédie » également des
messages personnalisés36
.
En ce qui concerne les coûts de collecte, de traitement et d’exploitation des données
personnelles par Google Inc., ils sont très bas et chutent très vite, en raison de ses économies
d’échelles. Les volumes de données produits par les utilisateurs des services de Google Inc.
sont tels, et augmentent tellement que les coûts de traitement de ces données baissent
drastiquement, et l’entreprise peut négocier les meilleurs tarifs pour ses matériels de
traitement et de stockage, la bande passante et l’électricité nécessaire à son activité, et ainsi
accroître sa rentabilité, en fournissant ces données aux annonceurs.
Ainsi, la stratégie commerciale de Google Inc. est basée sur le marketing relationnel, soit « la
politique et les outils destinés à établir des relations individualisées et interactives avec les
clients, en vue de créer et d’entretenir chez eux des attitudes positives et durables à l’égard de
l’entreprise et de la marque »37
. Cependant, ce n’est pas au profit direct de Google Inc. que
cette stratégie est mise en place ; ce sont les annonceurs qui ont besoin de cette relation
individualisée avec les consommateurs, et c’est Google Inc. qui met en place les dispositifs
qui identifient le consommateur personnellement et enregistrent sa manière de consommer
pour accroître la rentabilité de l’annonceur, et indirectement de Google Inc. si ces dispositifs
sont efficaces.
En effet, en utilisant les données personnelles des utilisateurs, les annonceurs qui payent pour
avoir des publicités ciblées réduisent les coûts des publicités qui seront montrées à des
consommateurs non réceptifs, et augmentent leur revenus en proposant des informations utiles
et ajustées à l’intérêt des consommateurs. Les données personnelles permettent également de
mesurer et d’améliorer l’efficacité de ces publicités en ligne. Elles acquièrent alors une valeur
marchande pour les entreprises qui visent une valorisation publicitaire.
Google Inc. possède donc un modèle économique biface : l’entreprise exerce un rôle
d’intermédiaire entre deux acteurs du marché, que sont les utilisateurs de ses services et les
annonceurs. L’existence d’une face représente de la valeur pour l’autre ; si l’un des deux
36
DUJARIER Marie-Anne, Le travail du consommateur : de McDo à Ebay, comment nous coproduisons ce que nous achetons, Ed. La
Découverte, Collection Poche/Essais, 2014, p.89
37
idem, p.91
26
acteurs du marché (utilisateur ou annonceur) se retire, Google Inc. n’a plus de raison d’être, et
sa rentabilité n’est plus assurée. Ainsi, Google Inc. est dépendant à la fois de ses utilisateurs,
et des annonceurs pour exister.
L’on peut alors constater que la seule limite de la croissance de Google Inc. est le rythme de
croissance du Web lui-même : si le nombre de pages web augmente trop et que l’algorithme
de Google Inc. n’est pas capable d’indexer les sites et de satisfaire les besoins des utilisateurs,
ces derniers n’utiliseront plus les services de Google Inc., entraînant le retrait des annonceurs.
Ainsi, les services de Google Inc. produisent des effets de réseaux : l’utilité réelle de ses
différents services techniques dépend en effet de la quantité d’utilisateurs de ses services.
C’est également cet effet de réseau qui permet à Google Inc. de proposer des services gratuits.
- Du gratuit rentable ? Essai sur le don - tome 2
D’un point de vue économique, le modèle d’affaire de Google Inc. ne semble pas relever du
modèle marchand puisque ses services sont entièrement gratuits et qu’il n’y a pas d’échange
d’argent entre l’entreprise et ses consommateurs finaux. Il convient alors d’interroger ce
modèle d’affaires et de comprendre comment l’entreprise peut être bénéficiaire tout en
proposant des services gratuits.
À noter que la gratuité des services de Google Inc. n’est pas uniquement une étape
intermédiaire dans son modèle économique avant de passer à un modèle payant : la gratuité
est bien au cœur de la philosophie de Google Inc.
Chris Anderson, dans Free ! Entrez dans l’économie du gratuit38
, explique comment Google
Inc. a adopté un modèle basé sur la gratuité selon trois phases historiques :
- En 1998, Serguey Brin et Larry Page ont inventé un moteur de recherche basé sur un
modèle algorithmique et automatique, qui classe les sites web selon le degré de
confiance et de recommandation accordé par les internautes. Entre 1999 et 2001, la
société Google Inc. a transformé son moteur de recherche pour qu’il s’améliore au lieu
de se dégrader au fur et à mesure que le Web prenait de l’ampleur.
38
ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 139
27
- À partir de 2001, l’entreprise a adopté une méthode qui permet aux annonceurs de
créer en libre-service des annonces publicitaires correspondant à des mots-clés de
requêtes ou des contenus. Pour que les annonces soient les mieux placées dans les
résultats de requête, les annonceurs doivent d’enchérir entre eux. Avec la création
d’AdWords et d’AdSense, Google Inc. est vite devenu une entreprise rentable qui
réalise des bénéfices.
- À partir de 2003, grâce aux bénéfices réalisés par la publicité sur son moteur de
recherche, Google Inc. a pu investir dans de nouvelles ressources pour créer
d’innombrables services et produits qui élargissent la présence de l’entreprise,
renforçant l’attachement des consommateurs à son égard.
Il est intéressant de noter que à sa création, Google a été pensé comme un service gratuit et
accessible à tous. Le besoin de rentabilité et de bénéfices monétaires est apparu face au succès
grandissant de Google et le besoin de toujours l’améliorer au niveau technique et commercial.
Par la suite, les bénéfices liés à la publicité ont seulement permis de créer de nouveaux
services gratuits, utiles pour les internautes.
À noter que ce modèle d’affaire basé sur la gratuité est également la meilleure manière de
toucher un marché le plus vaste possible et de faire adopter massivement ses produits et
services. Eric Schmidt, CEO de Google Inc. de 2001 à 2011, parle de « mass strategy » et
affirme que cette stratégie deviendra la règle sur les marchés de l’information39
. En effet, la
gratuité permet d’accroître le volume de consommateurs et de monétiser cette audience
croissante. Si le nombre de consommateurs croît, les publicités sont d’autant plus rentables
car elles touchent plus d’audience, et les revenus de ces publicités permettent de créer de
nouveaux services qui accroissent encore le nombre de consommateurs et, par corrélation, le
revenu des publicités. Le modèle d’affaire de Google Inc. est donc un cercle vertueux, basé
sur le nombre croissant de ses utilisateurs.
Cependant, la gratuité pour l’acteur final, ici l’utilisateur des services de Google Inc., ne
signifie pas que son modèle est hors du modèle marchand. Un service gratuit ne l’est jamais
réellement : « Le coût est loin d’être nul, il est simplement invisible », explique Pierre-Michel
39
ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 142
28
Menger, professeur de sociologie au Collège de France, dans un entretien accordé à
Marianne40
.
Le terme « gratuit » vient du latin « gratia », et s’applique aux deux parties en présence lors
d’un échange : celui qui accueille avec faveur et celui qui est accueilli avec faveur.
Benveniste parle de « valeur réciproque » dans un échange gratuit41
. Dans le cadre marchand,
gratuit signifie sans valeur d’échange. Or dans le système économique de Google Inc. il existe
une valeur d’échange qu’il convient d’interroger. De plus, la pensée marchande affirme que la
gratuité est impossible dans les faits, le récepteur devrait toujours finir par payer « There is no
such thing such as free lunch » soit « un repas gratuit gratuit, ça n’existe pas » : il existe
toujours des coûts d’opportunités dans la gratuité, soit le fait de renoncer à quelque chose
pour avoir accès à autre chose.
On peut donc parler du modèle d’affaires de Google Inc. comme du « troc implicite de
données contre services »42
. En effet, le troc réfère à l’échange d’un bien contre un autre, sans
aucune intervention de monnaie. La logique du troc réfère également à la logique du don
explicitée par les ethnologues, qui fait référence à l’action de donner quelque chose à
quelqu’un. Il est intéressant de noter que le terme « don » trouve son étymologie dans le latin
« data », terme qui est aujourd’hui utilisé en anglais pour désigner la donnée informatique.
Ainsi, la donnée personnelle peut être considérée comme un don de la part de l’utilisateur
envers Google Inc. en attente d’un retour de services, comme ceux que Google Inc. propose.
Le don rejette donc le modèle d’affaires basé sur la gratuité prôné par Google Inc. qui indique
l’absence de valeur d’échange, car la relation du don n’est que phénomène de réciprocité et
implique une valeur d’échange43
. De plus, les services de Google Inc. valent les données
personnelles de ses utilisateurs ; or dans le marché, il y a « la nécessité psychologique
d’obtenir une chose d’une valeur égale ou sacrifiée », dit Simmel44
et dans la logique du don,
le contre-don doit être égal ou supérieur au don pour être valable. De plus, dans une logique
40
Entretien de Pierre-Michel Menger réalisé par Elodie Emery, « Un enjeu démocratique sans précédent », Marianne, le 13 avril 2015.
Disponible : http://www.marianne.net/enjeu-democratique-precedent-100232625.html (Consulté le 2 mai 2015)
41
GODBOUT T. Jacques, en collaboration avec CAILLE Alain, L’esprit du don, Ed. La découverte & Syros, Paris, 2000, p.248
42
CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection
« Entreprendre - Développement professionnel », 2015.
43
GODBOUT T. Jacques, en collaboration avec CAILLE Alain, ibid, p.17
44
Cité par GODBOUT T. Jacques, en collaboration avec CAILLE Alain, L’esprit du don, Ed. La découverte & Syros, Paris, 2000, p.252
29
de don et de contre-don, « la valeur réside dans le lien entre les deux entités »45
, le don étant
symbole et « performateur » des relations. Ainsi, c’est par la valeur des biens échangés
(services contre données) que la relation entre les deux entités (utilisateur et entreprise) prend
de la valeur. En effet, Google Inc. ne saurait se passer de la relation avec l’utilisateur, sans
quoi ses services n’existeraient plus.
Enfin, selon Marcel Mauss, les relations de don sont soumises à des contraintes, notamment
dues à la nature de la chose donnée : « Ce qui, dans le cadeau reçu, échangé, oblige, c'est que
la chose reçue n'est pas inerte. Même abandonnée par le donateur, elle est encore quelque
chose de lui »46
. En effet, les données personnelles, données par les utilisateurs sont quelque
chose d’eux, puisqu’on l’a vu précédemment, elles permettent de leur donner une identité.
Ainsi, les données personnelles liées à l’utilisateur, comme objet de don, deviennent des
produits de l’échange.
- L’utilisateur, produit de Google Inc.
« Google vend des consommateurs à des annonceurs ». Cette phrase pourrait résumer à elle
seule le modèle d’affaire de Google Inc., basé sur la collecte et le traitement des données
personnelles des utilisateurs pour affiner les publicités aux profits des annonceurs.
L’utilisateur peut être considéré comme le produit de Google Inc. que l’annonceur achète
avec de la publicité.
Il convient d’interroger le terme « produit » qui a plusieurs acceptations dans la langue
française : il peut référer à « une substance, marchandise, richesse économique née de
l’activité de l’homme » ou « à des choses que l’industrie a su créer. Il est rare qu’un produit
soit le résultat d’un seul genre d’industrie »47
. Le consommateur peut être considéré comme
« une richesse économique » pour Google Inc., « une marchandise » qui permet de créer de la
valeur économique. Le profilage est indispensable à la survie d’un modèle économique qui a
la gratuité comme principe et la publicité comme outil. Ainsi, le financement du gratuit
45
ibid, p.252
46
MAUSS Marcel, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, version numérique produit par Jean-Marie
Tremblay, coll. Les classiques des sciences sociales, 2002. Disponible : http://www.congoforum.be/upldocs/essai_sur_le_don.pdf (Consulté
le 7 août 2015)
47
Trésor de la Langue Française Informatisé
30
suppose d’exploiter la « valeur des consommateurs ». L’utilisateur devient alors une
marchandise comme les autres. Les vrais clients de Google Inc. sont les annonceurs, qui
achètent de l’espace et des mots clés à Google Inc., et achètent indirectement de l’audience
ciblée et des consommateurs. Le produit est l’utilisateur des services de Google Inc.
Le terme produit peut également référer au sens figuré à « ce qui rapporte quelque chose, ce
qui est le résultat de quelque chose »48
. Dans ce sens, l’utilisateur est ce qui rapporte de
l’argent à Google Inc. ; c’est parce que l’internaute utilise les services de Google Inc. qu’il
crée de la valeur économique. Avec l’omniprésence de la publicité et notamment la présence
de liens sponsorisés sur la même page que les liens de résultats, la recherche d’information
peut s’apparenter à une nouvelle forme d’ « économie-casino », dans laquelle le langage (les
mots-clés) et le comportement des internautes (le clic) sont une source inépuisable de
richesse49
.
Ainsi, l’échange qui s’opère entre Google Inc. et l’utilisateur de ses services repose sur un
échange de données personnelles contre un service gratuit.
« Objet de toutes les attentions et de toutes les convoitises, cette entité [le consommateur] est
en passe de devenir la principale monnaie d’une économie numérique où chaque échange se
paie en données personnelles. »50
L’utilisateur est produit de Google Inc. en tant que création de l’entreprise qui restitue toutes
ses données personnelles échangées de manière indirecte sous forme de produit, qui sont alors
vendues contre de l’argent aux annonceurs. Le consommateur, alors délié de ses données
personnelles qui ne lui appartiennent pas, devient une monnaie d’échange contre de services.
De plus, grâce à la technique, l’individu externalise ses fonctions humaines : grâce à la
technologie proposée par Google Inc. l’individu externalise ses fonctions de mémoire, en
effectuant des recherches sur le moteur de recherche Google et il externalise également son
48
Trésor de la Langue Française Informatisé
49
SIMONOT Brigitte, « De l’usage des moteurs de recherche par les étudiants », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de
l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p.101
50
MERZEAU Louise, « Présence numérique : les médiations de l’identité », Les enjeux de l’information et de la communication n°3, CNRS,
Paris, 2009. Disponible : https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2009-1-page-79.htm (consulté le
12 janvier 2015)
31
identité51
, ce qui consiste en ses préférences, ses intérêts, ses désirs et ses besoins au profit de
Google Inc. Lorsque le service est gratuit, l’utilisateur est à la fois le produit et la monnaie.
3. Le produit-utilisateur au cœur d’une économie foucaldienne
Google Inc. a donc mis en place un modèle d’affaire basé sur la gratuité de ses services, et
l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Pour Google Inc., les données sont à
la fois la ressource principale de ses services, le moteur de la réalisation de son revenu et
l’arme stratégique de conquête de positions concurrentielles. Il convient alors d’interroger
cette troisième affirmation.
- Le sur-mesure de masse
Le fonctionnement de Google Inc. propose donc un sur-mesure de masse : avec plus de 90%52
de parts de marché dans le monde, Google Inc. possède la plus grande base utilisateur du
monde. Ces produits d’adressent donc à une masse d’utilisateurs, et pourtant Google Inc.
propose à chacun une expérience personnalisée. La donnée personnelle des utilisateurs en tant
que trace permet de calibrer les informations sur mesure.
En effet, le numérique tend à personnaliser l’information qu’il dissémine, notamment par son
architecture décentralisée. Le web donne à chacun son information, en faisant de la pertinence
le seul critère valable. Cette personnalisation suppose un traçage des facteurs singuliers qui
affectent l’identité.
Sackmaan, Strucker et Accorsi53
définissent trois formes de personnalisation : les services
personnalisés fondés sur l’exploitation des données personnelles qui permettent une
communication one-to-one comme de la recommandation, ou la facilitation d’achats selon
l’historique de navigation des utilisateurs ; les services individualisés qui ne nécessitent pas
d’identification de l’utilisateur mais des données de contexte comme une requête effectuée sur
51
MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l’information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009.
Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015)
52
Chiffres Google – 2015, via Le blog du modérateur. Dernière mise à jour le 3 août 2015. Disponible :
http://www.blogdumoderateur.com/chiffres-google/
53
ROCHELANDET Fabrice, Economie des données personnelles de la vie privée, Ed. La Découverte, coll. Repères, Paris, 2010, p.63
32
Google ; et le service universel accessible à chacun et portant sur des données individuelles
émises et utilisées par les individus eux-mêmes (commentaires sur un forum) ou sur des
fonctionnalités individualisables (comme la recherche sur Google), chaque utilisateur se
servant du service en fonction de ses besoins à un moment donné. Google Inc. applique ainsi
ces trois formes de personnalisations.
En effet, Google Inc. utilise des techniques de tracking qui consistent à pister les singularités
des individus pour cibler toujours plus finement les consommateurs. Les comportements et les
préférences des utilisateurs n’existent que par rapport aux autres usages, préférences ou
opinions des utilisateurs. Ainsi, la personnalisation s’opère dans un contexte où la
communauté est la plus importante, et on peut parler de sur-mesure de masse. Comme
l’explique Louise Merzeau54
, les données personnelles et personnalisées sont aujourd’hui
favorisées ; le but des annonceurs et de Google Inc. n’est pas de connaître les habitudes
communes à toute une masse d’individus, mais plutôt celle d’un individu en particulier pour
lui proposer un message personnalisé et positif à ses attentes. Ainsi, les entreprises, grâce aux
fonctionnalités publicitaires de Google Inc. ciblent les publicités de manière précise sur les
internautes.
Les utilisateurs de Google sont à la recherche d’une information, et le service leur propose
une information personnalisée et sur mesure. Bill Davidow parle de prison algorithmique55
pour désigner ce phénomène d’hyperpersonnalisation induit par l’utilisation des données
massives. Cette prison est telle qu’elle n’est pas connue par les utilisateurs : ils ne savent pas à
quelles informations ils n’ont pas accès. On peut donc parler d’un changement de paradigme,
où le modèle d’affaires de Google Inc. n’est plus uniquement basé sur l’économie de
l’information, mais également sur celle de l’attention.
- De l’économie de l’information à et l’économie de l’attention
Google Inc. base son modèle d’affaires sur le marché d’abondance qu’est celui de
l’information. D’une part, les contenus informationnels qui sont sur le Web et que les
utilisateurs recherchent, d’autre part les informations de la masse des utilisateurs de Google
54
MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l’information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009.
Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015)
55
DAVIDOW Bill, « Welcome to Algorithmic prison », The Atlantic, le 20 février 2014. Disponible :
http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/02/welcome-to-algorithmic-prison/283985/ (consulté le 13 août 2015)
33
Inc. Parce que les contenus augmentent et que les prix de stockage sont en constante
réduction, les prix de l’information publique, soit les contenus sur le web, tombent à des prix
marginaux.
L’information n’est alors plus un bien rare et ne possède presque plus de valeur économique :
l’accès à l’information est facile et simple pour tous les individus qui disposent d’un
ordinateur et d’une connexion Internet. En effet, en économie, les produits fait d’idées, au lieu
de matière, deviennent plus vite bon marché ; étant des bien non rivaux, qui ne se détruisent
pas à l’utilisation, l’information est un bien d’abondance. Ainsi, l’information conserve un
coût marginal, qui est si proche de zéro qu’il est préférable d’arrondir. En effet, si la loi veut
que les prix chutent jusqu’au coût marginal, la gratuité n’est pas une option, mais un
aboutissement inéluctable de l’économie. C’est la racine de l’abondance qui mène à la
gratuité56
. De plus, l’aspect intangible de l’information favorise sa gratuité. Étant un bien non
rival, l’information devient un produit abstrait, qui semble ne rien coûter pour le
consommateur. En réalité, Google Inc. a intérêt à ce que l’information soit gratuite, car « plus
le coût de l’information diminue, plus l’entreprise gagne de l’argent », explique Nicolas Carr
dans The Big Switch. En effet, si l’information est gratuite, les internautes vont utiliser Google
pour y avoir accès, et devenir alors consommateurs des publicités.
La multiplication de l’information et son accessibilité font ainsi naître un nouveau
paradigme ; c’est l’attention qui a de la valeur, et non plus l’information.
« Dans un monde riche en information, l’abondance des informations signifie une privation
d’autre chose, la rareté de quoi que ce soit que l’information consomme. Ce que l’information
consomme est l’attention du destinataire. Une abondance d’information crée une disette
d’attention. »57
Ainsi, l’information atteint un coût zéro, tandis que l’attention atteint un coût élevé,
puisqu’elle se raréfie étant donné le nombre d’informations croissant auquel l’utilisateur a
accès. C’est le contact entre l’utilisateur qui cherche de l’information et Google Inc. qui classe
56
ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 96
57
SIMON Herbert, cité par ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles
technologies, 2009, p. 209
34
et donne accès aux informations, qui est porteur de valeur58
. La notion d’attention réfère donc
au « temps de cerveau disponible », nécessaire pour que la publicité soit reçue par les
consommateurs. Il convient donc de trouver des stratégies efficaces pour que l’utilisateur des
services de Google Inc. soit en contact avec les publicités, et AdWords et AdSense sont des
moyens efficaces de montrer de la publicité adaptée aux besoins des utilisateurs. Cependant,
la notion d’économie d’attention est à questionner.
Pour que l’utilisateur de Google soit réceptif aux publicités, et y accorde son attention,
l’entreprise met en place des méthodes pour collecter ses données de recherche et ses données
personnelles afin de lui afficher des publicités contextuelles et adaptées. Ainsi, en mettant en
place de nombreux services pour les utilisateurs, Google Inc. a accès à un ensemble
d’informations qui relèvent de la sphère publique, de la sphère privée ou professionnelle et de
la sphère intime des utilisateurs. Avec cette nouvelle configuration des espaces
informationnels émerge une nouvelle écologie cognitive, soit « l’étude des interactions entre
les déterminants biologiques, sociaux et techniques de la connaissance »59
, qui consacre
l’interpénétration des deux sphères : celle de la recherche d’informations publiques sur le
web, et celle de la recherche d’informations concernant les données personnelles des
utilisateurs et possibles consommateurs. En effet, le moteur de recherche de Google permet à
la fois aux utilisateurs d’avoir accès à de l’information publique, et à la fois aux annonceurs
d’avoir accès à de l’information sur leurs consommateurs. « Ainsi, les individus sont
considérés comme des petits éléments dans une machine d’information, quand ils ne sont pas
les seules sources ou destinations d’informations. »60
Ce changement de paradigme ouvre des
espaces pour le suivi et le traçage des individus à la fois à leur insu et avec leur
consentement61
.
58
KESSOUS Emmanuel et REY Bénédicte, « Economie numérique et vie privée », Hermès, N°53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions,
2009. Disponible : http://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2009-1-page-49.htm (Consulté le 12 janvier 2015)
59
BATESON Gregory, cité par ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes »,
dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p..119.
60
LANIER Jaron, Who owns the future ?, Penguin Books, 2014.
61
ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L’entonnoir : Google
sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p.119.
35
- De l’économie de l’attention à l’économie de surveillance
La publicité sur le web est partie intégrante d’une nouvelle forme d’économie, qui n’est plus
l’économie de l’attention, mais l’économie de la surveillance62
, qui consiste à ce que toutes
les informations qui constituent les individus soient dévoilées pour permettre un ciblage et
une personnalisation toujours plus accrue. Les faits et gestes des utilisateurs de Google sont
constamment surveillés, et les données personnelles sont collectées pour adapter et affiner au
maximum les publicités auxquelles l’utilisateur est confronté.
Les méthodes de profilage de Google Inc. peuvent être reliées à l’idée du panoptique
développée par Michel Foucault dans Surveiller et Punir. En effet, Google Inc. « voit sans
être vu » les comportements des utilisateurs de ses différents services, et est capable de
collecter toutes les traces des utilisateurs et d’analyser leur comportements. « La surveillance
prend appui sur un système d’enregistrement permanent, […] constant et centralisé. » 63
En
effet, Google Inc. enregistre de manière permanente et constante tous les comportements de
ses utilisateurs, en centralisant ses données personnelles. C’est par la surveillance de ces
utilisateurs et la centralisation de ces informations que Google Inc. dégage de la valeur
financière. En reprenant les termes de Michel Foucault dans l’introduction de Surveiller et
Punir, Google Inc. peut être décrit comme « un espace clos, découpé, surveillé en tout
points » ; de la page d’accueil de Google, à la page d’un Google Doc, les espaces où
l’utilisateur se sert des services de Google Inc. sont des espaces cloisonnés, et surveillés par
l’entreprise. « Les moindres mouvements sont contrôlés, les événements sont enregistrés » ;
chaque action, chaque clic, chaque nouvelle requête ou nouvel e-mail est enregistré par
Google Inc., qui les centralise pour établir un profil presque parfait de l’utilisateur. L’espace
de Google Inc. est également caractérisé par « un travail ininterrompu d’écriture qui relie le
centre et la périphérie » ; le centre étant Google Inc. et la périphérie étant les annonceurs qui
utilisent les services publicitaires de Google Inc., un travail d’écriture et d’analyse est
constamment en marche entre ces deux acteurs, entre lesquels les utilisateurs évoluent et se
comportent grâce à l’écriture.
62
SCHNEIER Bruce, « ‘Stalker economy’ here to stay », CNN.com, le 26 novembre 2013. Disponible :
http://edition.cnn.com/2013/11/20/opinion/schneier-stalker-economy/index.html (Consulté le 1er mai)
63
FOUCAULT Michel, Surveiller ou Punir, Gallimard, Paris, 1979, Introduction.
36
De plus, les méthodes de tracking et de profilage de l’utilisateur réfèrent à un assujettissement
politique et économique des individus. Grâce à l’analyse croisée de millions de requêtes, aux
fonctions d’historiques de navigation et à l’analyse des données personnelles des utilisateurs,
Google Inc. est capable de prédire que l’affichage de tel lien sponsorisé entraînera un clic.
L’action prédictive devient un aspect incitatif pour le consommateur, le lien sponsorisé
acquérant une valeur de suggestion efficace pour orienter la recherche d’information des
internautes64
. Ainsi, l’algorithme utilisé pour générer des revenus publicitaires devient un
algorithme d’orientation65
. Google Inc. « impose une conduite quelconque à une multiplicité
humaine quelconque »66
et, comme le panoptique de Michel Foucault, met en place « un
ensemble de prescriptions, calculées et raisonnées, selon lesquelles on devrait […] régler des
comportements. » Ce programme de sur-mesure instauré par Google Inc. a sa « régularité
propre », et la surveillance, consciente ou non, des utilisateurs instaure des comportements
orientés et définis non plus par l’individu mais par Google Inc.
Ainsi, le paradigme se déplace : dans l’économie de l’attention, l’utilisateur contrôle ses
agissements, et décide ou non de prendre le temps de voir les publicités selon son intérêt pour
elles. Dans l’économie de surveillance, l’utilisateur subit entièrement les publicités, et son
comportement est constamment surveillé et orienté pour que la décision de voir et d’agir en
fonction des publicités affichées ne se fasse plus. Ainsi, l’utilisateur actif qui prend des
décisions pour prêter de l’attention à telle ou telle publicité devient sujet passif et soumis aux
règles imposées par Google Inc., et est produit de richesse pour les annonceurs. Jaron Lanier
conclue que « Gratuit signifie inévitablement que votre vie va être décidée par quelqu’un
d’autre. »67
Ainsi, la donnée personnelle, comme trace de l’utilisateur de Google Inc. prend de la valeur
lorsqu’elle est associée à toutes les données personnelles qu’un utilisateur peut laisser lors de
son utilisation d’Internet. Ces données sont ensuite valorisées dans un système économique
où Google Inc. se place comme un intermédiaire entre les annonceurs et les utilisateurs. Une
relation d’échange et de don se met en place entre l’entreprise et l’utilisateur, et on peut
64
ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L’entonnoir : Google
sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, , C&F Editions, Paris, 2009, p.125
65
idem p.125-126
66
FOUCAULT Michel, Surveiller ou Punir, Gallimard, Paris, 1979, Préface de Gilles Deleuze.
67
LANIER Jaron, Who owns the future ?, Penguin Books, 2014.
37
conclure que la donnée personnelle devient un moyen de paiement, comme dans un échange
de troc. Cependant, ce système économique et symbolique complexe font de l’utilisateur un
simple produit d’échange, entre Google Inc. et les annonceurs, qui se retrouve à être surveillé
tout le temps et partout pour devenir rentable. Cependant, au sein de ces échanges
économiques complexes, il convient d’interroger cette notion de produit et d’examiner les
relations qu’entretient l’utilisateur avec l’entreprise Google Inc. Le produit pourrait-il être en
même temps le producteur de la richesse et du bon fonctionnement de Google Inc. ?
38
II. « Je te déteste, mais je reste » ; le paradoxe des internautes au
cœur de l’écosystème de Google Inc.
Il s’agit de comprendre quelle est la position de l’utilisateur face à ces logiques marchandes et
aux échanges qui se jouent entre lui-même et Google Inc. Si l’utilisateur de Google Inc. est le
produit de la richesse de Google Inc., et est une monnaie d’échange assujettie et contrôlée par
l’entreprise et les annonceurs, il s’agit de déterminer s’il a conscience de ce rôle, et comment
il conçoit sa relation avec l’entreprise. J’émets l’hypothèse que l’utilisateur est conscient de la
collecte et du traitement de ses données personnelles, et qu’il se sait à la fois produit et
producteur de la richesse de Google Inc. En effet, en utilisant les services de Google Inc.,
l’utilisateur participe à la production de la richesse de l’entreprise et à son amélioration
technique. Ainsi, si l’utilisateur est le produit d’échange entre Google Inc. et les annonceurs,
il est également producteur des services de Google Inc., lui rapportant indirectement de la
richesse.
Pour appuyer mon argumentaire, j’ai choisi de réaliser un questionnaire sur les habitudes
d’utilisation des services de Google Inc. J’ai réalisé ce questionnaire sur la plateforme Google
Forms qui a été diffusé sur les plateformes des réseaux sociaux et par mail auprès de mon
entourage. Le questionnaire est disponible en annexe68
, avec les justifications de chaque
question et les résultats. 160 personnes ont répondu au questionnaire entre le 8 et le 20 juillet
2015. Les résultats ont été arrondis au dixième. Le nombre de réponses est suffisamment
important pour que je puisse récolter des réponses et faire des analyses, cependant, je
considère que mon échantillon n’est pas assez large pour qu’il soit représentatif de la
population française.
Dans un premier temps, le profil des sondés sera détaillé, ainsi que leur habitudes d’utilisation
des services de Google Inc. Ensuite, l’opinion des utilisateurs face à l’utilisation de leurs
données personnelles par l’entreprise sera explicité, afin de montrer s’ils sont conscients des
enjeux que supposent l’utilisation de leurs données personnelles, pour enfin détailler leur rôle
actif et conscient au sein du système économique mis en place par Google Inc.
68
Annexe 1, p. 92
39
1. Le profil des sondés
- Démographie
Le profil des sondés est composé à 68,1% de personnes entre 15 et 30 ans ; ce sont des
« digital natives »69
, soit la génération qui a grandi dans un environnement numérique. 10,7%
des sondés ont plus de 50 ans.
De plus, 53,8% des sondés sont étudiants. À noter que 22,5% des sondés évoluent dans le
milieu professionnel de la communication et du marketing, qu’ils soient étudiants ou actifs :
ce résultat, non représentatif de la population, est lié au fait que j’ai diffusé le questionnaire
dans mon entourage, composé d’individus évoluant dans la même sphère professionnelle que
moi.
69
PRENSKY Marc, « Digital Natives, Digital Immigrants », extrait de On the Horizon (MCB University Press, Vol. 9 no. 5, Octobre 2001)
Disponible : http://www.marcprensky.com/writing/Prensky%20-%20Digital%20Natives,%20Digital%20Immigrants%20-%20Part1.pdf
(Consulté le 2 août 2015)
8,10%
60,00%
2,50%
1,90%
6,25%
4,40%
Âge
15-20 ans
20-30 ans
30-40 ans
40-50 ans
50-60 ans
Plus de 60 ans
40
- Utilisation des services de Google Inc.
En ce qui concerne l’utilisation des services de Google Inc., 95.2% des sondés utilisent les
services de Google. Ainsi, ces résultats sont proches du taux d’utilisation du moteur de
recherche Google en France, qui est d’environ 93.5%70
.
92.9% des sondés utilisant les services de Google Inc. possèdent un compte Google. Les
sondés qui ont indiqué ne pas avoir de compte Google ont plus de 50 ans (70%). À noter
qu’un sondé dit ne pas avoir un compte Google, mais utilise le service de messagerie Gmail,
ce qui implique d’avoir un compte Google. Il est intéressant de noter que les utilisateurs ne
sont pas forcément au courant de l’existence d’un compte Google et que la multiplicité des
services que l’entreprise propose n’est pas comprise pour certains sondés comme un
« package », mais comme différents services indépendants les uns des autres.
Enfin, concernant les services utilisés par les sondés, une écrasante majorité de sondés qui
utilisent les services de Google Inc. utilisent le moteur de recherche Google. À noter que
4.5% des sondés utilisent les services de Google Inc. comme Gmail ou Google Drive mais ne
se servent pas du moteur de recherche et utilisent Ecosia ou DuckDuckGo. Les services les
plus utilisés sont Youtube avec un taux d’utilisation de 78%, Gmail (68.8%) et Google Drive
(56.8%). Des sondés ont également mentionné Google Calendar, qui est utilisé dans certaines
entreprises, et sur les smartphones Android, et Blogpost.
70
StatCounter Global Stats, Top 5 Desktop, Tablet & Console Search Engines from July 2014 to July 2015 in France.
http://gs.statcounter.com/#search_engine-FR-monthly-201407-201507 (consulté le 3 août)
18,10%
17,50%
36,30%
3,10%
5,60%
5,00%
5,00%
4,40%
6,30%
Situation professionnelle
Salarié
Etudiant en communication/
marketing
Etudiant dans une autre filière
Lycéen
Fonctionnaire
Professionnel de la
communication/marketing
Retraité
Sans activité
Autres
41
J’ai ensuite demandé aux utilisateurs des services de Google Inc. quelles étaient les raisons
pour lesquelles ils les utilisaient. En effet, quand le prix n’est pas mentionné et qu’il est de
zéro, les individus appliquent les normes sociales pour déterminer leur choix et leur effort.
Quand un produit ou un service comme ceux de Google Inc. est gratuit, le prix n’est plus un
critère de choix pour l’utilisateur ; il se base alors sur les recommandations de ses pairs, sa
réputation, son efficacité et son éthique, ainsi que sur l’utilité qu’un tel service peut lui
apporter, selon ses besoins et le degré de satisfaction qu’il souhaite accomplir.
Pour une grande majorité des sondés, les raisons d’utilisation du moteur de recherche de
Google sont liées à sa facilité d’utilisation. Pour la moitié d’entre eux, le moteur de recherche
de Google est le plus pertinent par rapport à ses concurrents : ainsi, la notion d’efficacité est
un critère de choix prédominant pour les utilisateurs, qui se base également sur la
recommandation de leurs pairs.
32% des sondés évoquent le fait qu’il soit standardisé, et que tout le monde l’utilise. Ainsi,
pour un tiers des utilisateurs, la recommandation par les pairs et la réputation sont des critères
de choix. De plus, 30,5% des utilisateurs évoquent le fait que le moteur de recherche soit
installé par défaut sur le navigateur. En effet, Google a été le moteur de recherche par défaut
sur le navigateur Firefox jusqu’en Novembre 201471
, et sur Google Chrome, le logiciel de
navigation édité par Google Inc. le moteur de recherche y est installé par défaut.
71
« New search Strategy : Promoting Choice and Innovation », The Mozilla Blog, 19 novembre 2014. Disponible :
https://blog.mozilla.org/blog/2014/11/19/promoting-choice-and-innovation-on-the-web/ (consulté le 13 août 2015)
95,50%
68,80%56,50%
14,30%
78%
1,30% 1,30%
Quels sont les services de Google utilisés par ses utilisateurs ?
Le moteur de recherche
Gmail
Google Drive
Google +
Youtube
Google Calendar
Blogpost
42
3.2% des sondés ont répondu « Autres » et ont détaillé leur réponses.
Trois sondés citent le design et l’esthétisme du moteur de recherche. L’objet du moteur de
recherche apporte un plaisir d’utilisation aux utilisateurs. La page d’accueil, simplissime et
ergonomique du moteur de recherche est un critère de choix : elle ne présente qu’une barre de
recherche, surmonté du logo de l’entreprise. Une seule action est possible, et l’utilisateur peut
se passer de l’usage de la souris ou du pad, en tapant sur entrée. Le design apporte donc une
facilité d’utilisation et la sobriété un plaisir d’utilisation.
Deux sondés citent l’interopérabilité entre les différents services et les différents appareils. En
effet, Google Inc. a conçu ses services pour qu’ils puissent tous fonctionner entre eux, et être
disponibles sur toutes les plateformes et appareils utilisés. Le protocole SaaS qui permet
d’avoir toutes ses applications (mail, traitement de textes, stockage de photos) au même
endroit, en ligne, qui permet alors de se passer de la possession d’un terminal, est un critère
d’utilisation et de satisfaction important pour les utilisateurs.
Deux sondés citent également l’efficacité et la rapidité du moteur de recherche. Les
utilisateurs recherchent un outil capable de répondre de manière rapide et efficace à leurs
besoins. La performance est un critère de choix important, qui est également lié à la
pertinence des résultats d’une requête. Les utilisateurs veulent que leurs besoins en
information soient satisfaits rapidement et de manière pertinente, afin que les coûts de
recherche (soit le temps passé à effectuer une recherche) soient les moins élevés possible.
Un sondé cite également la personnalisation des requêtes comme critère de choix. Cet élément
fait écho à l’hyper-personnalisation que propose Google en matière de recherche, grâce à
l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Ainsi, ce sondé souhaite avoir accès
à de l’information sur mesure, qui satisfait entièrement ses besoins selon ses préférences et
ses intérêts.
Enfin, à noter qu’un sondé explique ne pas connaître d’alternatives au moteur de recherche de
Google. Le monopole de Google Inc. est tel que les internautes ne connaissent pas ses
concurrents et ne sont pas capables de choisir entre plusieurs services. Cette situation de
monopole sera examinée plus tard dans mon argumentaire.
43
Ainsi, une grande majorité des sondés utilise les services de Google Inc. et plus
particulièrement le moteur de recherche de Google. Il est intéressant de noter que les critères
d’utilisation sont d’abord liés à son utilisation qui est facile et ne nécessite pas de manuel
d’emploi. De plus, la recommandation par les pairs est également un critère de choix : Google
devient un point de repère pour toute une population donnée, et son utilisation ne fait pas
débat au sein d’une communauté. L’utilisation de Google est standardisée et même
institutionnalisée au sein d’une population, qui en fait un objet de référence commune. Enfin,
la situation de monopole de Google comme moteur de recherche par défaut est également un
critère d’utilisation dominant : les utilisateurs utilisent Google sans avoir auparavant étudié
les différentes alternatives sur le marché. Les coûts de transaction liés à la recherche (de
prospection, de comparaison, d’études de marché) sont totalement supprimés pour
l’utilisateur. On peut donc remarquer que les critères d’utilisation de Google abaissent les
coûts liés au temps pour l’utilisateur : le temps de recherche d’un autre moteur de recherche,
le temps de compréhension de la plateforme, le temps de recherche de résultats pertinents, etc.
La réduction de ces coûts rend Google satisfaisant pour les utilisateurs.
Après ce premier tour d’horizon concernant les habitudes d’utilisation des services de Google
Inc. par les sondés, il convient désormais de comprendre quelles sont les relations qui se
jouent entre les utilisateurs de Google Inc. et l’entreprise, notamment en ce qui concerne
l’utilisation de leurs données personnelles.
72,10%
32,00%
58,40%
30,50%
3,20%0
Raisons des utilisations du moteur de recherche de Google
Il est facile d'utilisation
Tout le monde l'utilise, c'est
standardisé
Les résultats des autres moteurs
de recherche ne sont pas aussi
pertinents
Il est installé par défaut sur le
navigateur
L'habitude
44
2. Les utilisateurs face à l’utilisation de leurs données personnelles
Après avoir montré dans une première partie que les services de Google Inc. n’étaient pas
gratuits pour l’utilisateur, car un échange de données personnelles s’effectuait entre
l’utilisateur et l’entreprise, il m’est apparu évident de savoir si les utilisateurs étaient
conscients de cet échange économique qui se jouait avec Google Inc. et de comprendre quelle
était leur position par rapport à la gratuité des services et à l’utilisation de leurs données
personnelles comme monnaie d’échange.
- La position des utilisateurs par rapport à leurs données personnelles
La vie personnelle est aujourd’hui quelque chose d’individuel, dont la définition collective est
difficile à trouver. La vie privée peut être définie comme « le droit à être laisser tranquille et à
être seul »72
, soit le droit de ne pas dévoiler des informations sur soi et de ne pas être
importuné par autrui, que ce soit des individus ou des organisations privées. Ainsi, ce droit est
de plus en plus revendiqué par les citoyens du monde, notamment en ce qui concerne
l’environnement numérique.
Selon l’enquête réalisée par PewResearch Center en mai 201573
, 90% des internautes
américains veulent garder le contrôle sur leurs données privées, 40% d’entre eux
n’approuvent pas le business model de Google Inc. et 66% ne font pas confiance aux moteurs
de recherche. J’ai cherché à vérifier ces chiffres grâce à mon questionnaire.
Je suis partie du postulat que tous les sondés sont donc conscients de l’utilisation de leurs
données personnelles par Google Inc., et si ce n’était pas le cas, j’ai laissé entendre dans mes
questions que l’entreprise collectait, traitait et exploitait les données personnelles de ses
utilisateurs. Suite aux réponses, il en ressort que la majorité des sondés sont dérangés par cette
pratique.
72
WARREN & BRANDEIS, « The Right to Privacy », Harvard Law Review, Vol. IV, No 5, le 5 décembre 1890. Disponible :
http://groups.csail.mit.edu/mac/classes/6.805/articles/privacy/Privacy_brand_warr2.html (Consulté le 13 août 2015)
73
« American’s Atittudes about Privacy, Security and Surveillance », PewResearchCenter, 20 mai 2015. Disponible :
http://www.pewinternet.org/2015/05/20/americans-attitudes-about-privacy-security-and-surveillance/ (consulté le 6 juin 2015)
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Mémoire M2 MISC CELSA Clara Pillet

  • 1. 1 Master professionnel Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication Option : Médias Informatisés et Stratégies de Communication De la gratuité sur Internet Etude de cas de Google Inc. Responsable de la mention information et communication Professeure Karine Berthelot-Guiet Tuteur universitaire : Marion Rollandin Nom, prénom : Pillet Clara Promotion : 2014-2015 Soutenu le : 28/09/2015 Note du mémoire : 15/20 École des hautes études en sciences de l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77, rue de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47 45 66 04 www.celsa.fr
  • 2. 2
  • 3. 3 Remerciements À Marion Rollandin et Gabriel Delattre, d’avoir accepté de suivre l’évolution de mon travail et de me conseiller pour ce mémoire. À Cédric Diridollou pour le contenu de son cours sur les modèles économiques appliqués à Internet qui m’aura beaucoup aidé, et pour avoir répondu gracieusement à toutes mes questions. Aux 160 personnes qui ont répondu à mon questionnaire, à ceux qui l’ont gentiment partagé sur les réseaux sociaux (Pierre-Marie, Sarra, et Anja), et à ma famille pour avoir accepté d’être mes cobayes. À mes parents pour le confort et le soutien, et pour toute leur aide pendant la rédaction et la relecture. À la promotion MISC 2015 pour leur aide, leur soutien et les commentaires stupides et drôles qui ont égayé la rédaction (thanks Anouk & Samuel), à Maxime pour m’avoir dit qu’il croyait en moi, à Clarisse pour son aide et ses messages d’encouragements continus, à mes collègues de stage pour leur soutien et leur précieux conseils, et à Anthony pour ce qu’il est. Et, à Google Inc., pour proposer des outils gratuits et nécessaires à la rédaction d’un mémoire dont le sujet porte sur Google Inc., comme Google Forms, Google Docs, Google Scholar et bien sûr Google.
  • 4. 4 Introduction..............................................................................................................................7 Problématique................................................................................................................................12 Hypothèses.....................................................................................................................................13 Méthodologie.................................................................................................................................14 Annonce de plan ............................................................................................................................15 I. De la gratuité : la donnée personnelle comme objet de toutes les convoitises dans un système de surveillance généralisée ......................................................................................16 1. Les données personnelles .........................................................................................................16 - La donnée personnelle comme trace........................................................................................17 - La valeur de la donnée .............................................................................................................19 2. Le fonctionnement de Google et son business model.............................................................21 - La publicité selon Google Inc..................................................................................................21 - La donnée personnelle au cœur des échanges économiques ...................................................24 - Du gratuit rentable ? Essai sur le don - tome 2........................................................................26 - L’utilisateur, produit de Google Inc.........................................................................................29 3. Le produit-utilisateur au cœur d’une économie foucaldienne..............................................31 - Le sur-mesure de masse.............................................................................................................31 - De l’économie de l’information à et l’économie de l’attention...............................................32 - De l’économie de l’attention à l’économie de surveillance.....................................................35 II. « Je te déteste, mais je reste » ; le paradoxe des internautes au cœur de l’écosystème de Google Inc. .........................................................................................................................38 1. Le profil des sondés ..................................................................................................................39 - Démographie............................................................................................................................39 - Utilisation des services de Google Inc.....................................................................................40 2. Les utilisateurs face à l’utilisation de leurs données personnelles .......................................44 - La position des utilisateurs par rapport à leurs données personnelles .....................................44 - L’opinion des utilisateurs par rapport à l’utilisation de leurs données personnelles par Google Inc. .................................................................................................................................................48 - Quelles stratégies de repli ? .....................................................................................................49 3. La place des utilisateurs dans le modèle économique de Google Inc...................................50 - L’opinion des utilisateurs face à la gratuité de Google Inc. ....................................................51 - Payer ou se faire payer pour l’utilisation de ses données personnelles ? That is the question. 52 - Le consommateur producteur ..................................................................................................54
  • 5. 5 III. Google Inc., une entreprise de droit divin partie à la conquête de la confiance des internautes...............................................................................................................................59 1. La mise en forme du monde.....................................................................................................62 - Google Inc. et sa philosophie...................................................................................................62 - De Babel à Xanadu : l’organisation de toute l’information du monde ....................................63 - Google Inc. : centre de l’univers ou monopole social ?...........................................................65 2. La mise en forme de l’utilisateur.............................................................................................68 - De la collecte et l’exploitation de la donnée............................................................................68 - De la donnée à l’information ...................................................................................................71 3. Google Inc., une entreprise qui vous veut du bien.................................................................72 - Google Inc. au service de l’internaute .....................................................................................74 - La confiance : le Saint Graal de Google ..................................................................................76 Conclusion...............................................................................................................................81 Bibliographie...........................................................................................................................86 Table des annexes...................................................................................................................91 Résumé ..................................................................................................................................125 Mots-clés................................................................................................................................126
  • 6. 6
  • 7. 7 Introduction « Les premiers usages du réseau [Internet] seront fortement marqués par cette culture de la liberté, de la gratuité et de l’ouverture aux contributions informelles et décentralisées. L’accès sans entrave à l’information, sa libre circulation, la propriété publique des infrastructures apparaissent comme les conditions sine qua non de réalisation de ce projet utopique. »1 Internet a été imaginé, conçu et développé par l’armée américaine dans les années 1950 aux Etats-Unis, avant que des scientifiques du MIT et du CNRS ne s’en emparent et que le Web tel que nous le connaissons, apparaisse au début des années 1990. Internet, comme un réseau de communication entre individus, a été pensé comme un espace libre et gratuit. La gratuité est une valeur intrinsèque d’Internet. En effet, le réseau Internet et le Web ont été imaginés et conçus en dehors de toute valeur marchande et économique : le seul objectif était la mise en communication d’individus, de manière libre, facile et gratuite. Ces idées seront reprises en 1984, dans l’Ethique des Hackers, transcrites dans le livre de Steven Levy : « l'accès aux ordinateurs et tout ce qui pourrait vous apprendre quelque chose sur la façon dont le monde fonctionne doivent être illimités et totales », et « toute l’information doit être gratuite »2 . Ainsi, les internautes doivent seulement payer les moyens d’accès (soit l’infrastructure technique, comme un terminal ou un ordinateur, et la connexion au réseau) pour avoir accès à « toute l’information du monde » de manière gratuite et libre. Ainsi, la gratuité est le modèle fondamental d’Internet : l’information y est libre et gratuite, ainsi que les communications entre individus et les différents services proposés comme Google. Google Inc. est une entreprise emblématique de la culture de la gratuité sur Internet : développée dans les années 1990, l’entreprise a profité du développement d’Internet et du Web pour lancer un service de recherche sur Internet, sans avoir de modèle économique. Google Inc. est une entreprise américaine, crée en 1998 par Larry Page et Serguey Brin. A 1 PROUX S & GOLDENBERG A., « Internet et la culture de la gratuité ». Revue du MAUSS 1/2010 (n° 35). Disponible : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2010-1-page-503.htm (consulté le 27 août 2015) 2 LEVY Steven, Hackers : Heroes of the computer revolution, Dell Publishing, 1994, p.32-33. Disponible : http://www.temarium.com/wordpress/wp-content/documentos/Levy_S-Hackers-Heroes-Computer-Revolution.pdf (consulté le 5 septembre)
  • 8. 8 l’origine, Google est un moteur de recherche, c’est-à-dire, une application web qui permet de retrouver des fichiers et des pages web sur Internet. Son fonctionnement est basé sur trois processus : l’exploration du web, soit la recherche de tous les sites webs, documents, et fichiers existants sur le réseau Internet, l’indexation de ces informations, et enfin la recherche qui permet de les retrouver facilement. À sa création, Google est le premier moteur de recherche à utiliser un algorithme de recherche et de classement des pages web : le fonctionnement de Google est basé sur l’intervention d’une machine, qui classe, trie, et répertorie tous les sites. En plus de son moteur de recherche lexical, Google Inc. a développé plusieurs autres services de recherche : Google Image, Googles News, Google Map et Google Earth. Ils sont tous complémentaires et interconnectés, car ils fonctionnent ensemble. Depuis 2004, Google Inc. développe des services annexes comme Gmail, une messagerie électronique, Google Drive, un service de stockage en ligne, Android, un système d’exploitation pour smartphones… ; en 2015, Google Inc. propose 51 services différents3 . Ces produits sont des compléments, car ces produits et services tendent à être consommés ensemble. Quelques chiffres : - Aujourd’hui, Google est le leader mondial du moteur de recherche : il pèse 89% du marché mondial, avec 77% de parts de marché aux Etats-Unis, et 94% en France4 . - En 2014, Google Inc. a réalisé un chiffre d’affaires de 66 milliards de dollars, soit une progression de 19% par rapport à l’année précédente5 . - La firme a traité plus de 100 milliards de recherches par mois en 20136 . - 89% du chiffre d’affaires de Google Inc. est issu de la publicité7 . Ainsi, il devient essentiel de s’intéresser à Google Inc. : les chiffres concernant la recherche sur Internet ainsi que les chiffres financiers montrent que cette entreprise est un acteur majeur sur le Web. 3 « About Google – Products » https://www.google.com/intl/en/about/products/ (consulté le 19 juillet 2015) 4 Chiffres de Juin 2015, via StatCounter http://gs.statcounter.com/#search_engine-FR-monthly-201406-201506 (consulté le 19 juillet 2015) 5 « Google Inc. Announves Fourth Quarter and Fiscal Year 2014 Results », Press release, January 29, 2015. https://investor.google.com/earnings/2014/Q4_google_earnings.html (consulté le 19 juillet 2015) 6 « 2013 Founders’Letter » https://investor.google.com/corporate/2013/founders-letter.html 7 « Google Inc. Announces Fourth Quarter and Fiscal Year 2014 Results », Press release, January 29, 2015. https://investor.google.com/earnings/2014/Q4_google_earnings.html (consulté le 19 juillet 2015)
  • 9. 9 À noter que Google réfère au moteur de recherche développé par l’entreprise Google Inc. Ainsi, je différencie ces deux entités durant tout mon argumentaire, afin de marquer la différence entre l’entreprise et un de ses services, différence qui n’est pas souvent relevée dans le langage courant, Google étant souvent utilisé pour désigner l’entreprise toute entière. J’ai également choisi de parler de Google Inc. et non de Alphabet. En effet, le 10 août dernier8 , les fondateurs de Google, Serguey Brin et Larry page ont annoncé avoir créé une nouvelle entreprise, Alphabet, qui sera composée de 8 filiales, dont Google Inc. et ses différents services, Calico, Nest, Fiber, Sidewalks Labs, Google Capital, VC Google Venture et Google X. Le groupe se structure ainsi par filiales et grands projets pour afficher des résultats financiers détaillés par activité. J’ai donc choisi de mentionner uniquement Google Inc., et non Alphabet : cette décision juridique et financière est encore très récente, tous les contours de cette nouvelle entité n’ont pas encore dessinés, et Google Inc. reste l’entité qui développe et monétise tous les services utilisés par les internautes comme le moteur de recherche ou Gmail. Ainsi, Alphabet peut être considéré comme un « conglomérat numérique », car l’entreprise propose des services très diversifiés. J’ai cependant choisi de ne mentionner que les principaux services de la nouvelle entité Google Inc. (soient les services en ligne), et plus particulièrement Google et Gmail. En effet, Google étant le premier service de l’entreprise, celui par lequel tout a commencé, j’ai choisi de ne mentionner que ce dernier. De plus, le nombre de services étant trop élevé et trop diversifié, j’ai choisi de me concentrer sur ceux qui sont le plus utilisés, sachant que tous les services de l’entreprise répondent tous à une même logique économique. Ainsi, Google Inc. est le porte-étendard de la gratuité pour les utilisateurs : Google est présent sur la plupart des navigateurs Internet, il est utilisé par une écrasante majorité d’individus, qui ne payent jamais pour utiliser le moteur de recherche. Par ailleurs, ces utilisateurs ne payent jamais pour utiliser Gmail, pour stocker leurs photos sur Google Photos, pour réaliser du traitement de texte collaboratif en ligne grâce à Google Docs… Google Inc. a débuté en étant 8 « Alphabet ou l’illusion de la transparence », Usine Digitale, le 19 août 2015 http://www.usine-digitale.fr/editorial/alphabet-ou-l-illusion- de-la-transparence.N345289 (Consulté le 19 août 2015)
  • 10. 10 un service gratuit, sans modèle économique, et sans aucune rentabilité pour les investisseurs. Aujourd’hui, cette entreprise qui propose des services gratuits pèse plusieurs milliards de dollars, et est la 40ème entreprise la plus riche des Etats-Unis selon le classement Fortune9 . En effet, si Internet a été pensé pour être gratuit, et que les premières entreprises qui l’ont investi comme Google Inc. ont débuté sans modèle d’affaires et en proposant des services gratuits pour les utilisateurs, le problème de la rentabilité s’est très vite imposé. Ethan Zuckerman, inventeur de la publicité pop-up contextuelle, explique comment la gratuité comme modèle d’affaires n’est pas compatible avec la mise en informations du monde, la libre circulation de contenus et la gratuité de services, idées fondamentales d’Internet. « What we wanted to do was to build a tool that made it easy for everyone, everywhere to share knowledge, opinions, ideas and photos of cute cats. As everyone knows, we had some problems, primarily business model problems, that prevented us from doing what we wanted to do the way we hoped to do it. »10 Il explique alors comment la publicité est alors apparue comme le seul moyen de rentabiliser un service gratuit. L’utilisateur ne paye toujours pas le service, et la publicité permet aux créateurs de sites web et de services en ligne de gagner de l’argent et aux entreprises d’être rentables et bénéficiaires, afin de continuer à proposer des services gratuits pour les utilisateurs. Afin que ces publicités soient toujours rentables pour l’annonceur et efficaces pour le consommateur, la publicité est devenue ciblée, en utilisant les données personnelles des utilisateurs. Ainsi, la donnée est devenue importante pour que les créateurs de ces différents services puissent « raconter de meilleures histoires »11 . C’est ainsi que la gratuité est devenu le modèle d’affaires par excellence sur Internet, car soutenu par la publicité en ligne. 9 2015 Fortune 500 http://fortune.com/fortune500/#methodology (Consulté le 19 août 2015) 10 ZUCKERMAN Ethan, « The Internet’s Original Sin », The Atlantic, le 14 août 2014. Traduction : « Ce que nous voulions, c’était créer un outil qui rende facile pour tous et partout dans le monde le partage de connaissances, d’opinions, d’idées et de photos de chats mignons. Comme chacun le sait, nous avons eu quelques problèmes, principalement des problèmes de modèle d'affaires, qui nous ont empêché de faire ce que nous voulions faire de la façon dont nous espérions faire. » Disponible : http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/08/advertising-is-the-internets-original-sin/376041/ (Consulté le 12 juin 2015) 11 Cegłowski cité par Ethan Zuckerman dans « The Internet’s Original Sin »
  • 11. 11 En effet, dès l’année 2000, Google Inc. lance AdWords qui permet aux entreprises d’afficher de la publicité en ligne ciblée et contextuelle à côté des résultats de recherche, en combinant les données de recherches et les données personnelles des utilisateurs. En 2003, l’entreprise lance AdSense, soit un système de régie publicitaire, qui permet d’afficher de la publicité ciblée sur des sites web. Grâce à la publicité, Google Inc. devient rapidement rentable et engrange des bénéfices. Ainsi, Google Inc. a transposé des outils marketing déjà existants à Internet : la publicité ciblée était déjà appliquée notamment à la télévision, grâce à l’analyse des audiences. Cependant, Google Inc. a augmenté d’un cran la publicité ciblée, en la rendant contextuelle et pertinente pour les utilisateurs, grâce à leurs données personnelles, et efficaces et rentables pour les annonceurs qui ne payent que les clics obtenus. La publicité en ligne proposée par Google Inc. a donc permis à ce que ses services restent gratuits pour les utilisateurs. Cependant, Milton Friedman12 , un économiste américain de l’Ecole de Chicago a déclaré « There is no such thing as free lunch », soit « Un repas gratuit, ça n’existe pas », insinuant que la gratuité dans un modèle économique supposait automatiquement un paiement déguisé. 12 FRIEDMAN Milton, There's No Such Thing as a Free Lunch, Open Court Publishing Company, 1975
  • 12. 12 Problématique Le phénomène de gratuité sur Internet est donc à interroger, et notamment la place de l’utilisateur au cœur des relations économiques qui se jouent avec l’entreprise de services gratuits. Peut-on réellement parler d’un Internet gratuit, soit d’une utilisation de services web gratuite pour le consommateur ? Quels sont les enjeux sociaux, économiques et communicationnels qui sous-tendent la gratuité sur Internet ? En effet, la gratuité, comme notion économique, soulève de nombreuses interrogations concernant le rôle de l’individu-consommateur et son rôle social au sein des échanges marchands qui se créent avec l’entreprise, et au niveau communicationnel en ce qui concerne la valorisation de la gratuité au niveau social et économique. On peut ainsi se demander dans quelle mesure l’utilisation d’un service gratuit sur Internet place l’individu au cœur de relations économiques complexes avec l’entreprise créatrice de ce service gratuit. Google est- il gratuit ? Et comment son système économique permet d’impliquer le consommateur dans son développement ? L’utilisateur est-il conscient du rôle qu’il joue dans cet écosystème ? In fine : Dans quelles mesures un modèle économique basé sur la gratuité, implique les internautes aux niveaux économique et social dans le développement d’une entreprise comme Google Inc. ?
  • 13. 13 Hypothèses De cette tension au sujet de la gratuité et des conséquences économiques, sociales et communicationnelles qu’implique ce modèle d’affaires sur le web découle plusieurs hypothèses qui permettent de répondre à cette problématique. Hypothèse 1 : Google Inc. ne propose pas de services gratuits, l’utilisateur paye avec ses données personnelles. Ainsi, je cherche à vérifier l’affirmation d’ordre générale, qui possède aujourd’hui une valeur de proverbe : « si le service est gratuit, l’utilisateur est le produit ». Je suppose alors que l’utilisateur est le produit de Google Inc., soit l’élément constitutif des relations marchandes de l’entreprise, au cœur d’un système économique complexe, où trois agents (l’entreprise, l’utilisateur et les annonceurs) opèrent. Hypothèse 2 : L’utilisateur est conscient de la collecte et du traitement de ses données personnelles effectués par Google Inc., et conscient des relations d’échanges qui se jouent entre lui-même et l’entreprise. Ainsi, l’utilisateur se sait produit et producteur de la richesse de Google Inc. : il a conscience de payer les services avec ses données personnelles, d’être le produit de l’échange entre Google Inc. et les annonceurs, et il a également conscience d’être le producteur de la richesse de Google Inc., en améliorant les services proposés par sa seule utilisation, ce qui permet d’attirer toujours plus d’utilisateurs. Hypothèse 3 : Google Inc. produit des discours idéologiques pour légitimer son mode de fonctionnement et euphémiser les relations d’échange économique qui lient les utilisateurs à l’entreprise. En effet, l’utilisateur étant conscient de ces relations d’échanges, il s’agit de le rassurer sur l’exploitation de ses données personnelles, et sur le rôle qu’il joue au sein du système économique mis en place par Google Inc.
  • 14. 14 Méthodologie Une méthodologie reposant sur deux outils sera utilisée pour répondre à ces hypothèses. Le premier consiste en une analyse de la réception des utilisateurs des services de Google Inc., grâce à un questionnaire13 . J’ai choisi le questionnaire et non l’entretien, afin d’avoir un large échantillon de réponses, qui puisse être facilement quantifiable. Ainsi, j’ai réalisé une étude quantitative et qualitative, en introduisant des réponses à champ libre, me permettant d’avoir une analyse plus large et de dépasser mes hypothèses en laissant les réponses des utilisateurs me guider. L’analyse des réponses me permettra de comprendre comment les utilisateurs se placent par rapport à l’écosystème construit par Google Inc. et de comprendre leurs opinions face aux stratégies de développement de l’entreprise. Le deuxième consiste en une analyse de discours de Google Inc. Ainsi, j’ai choisi un corpus de trois discours produits par l’entreprise14 , de natures différentes et avec des objectifs différents, afin d’étudier les discours d’accompagnements de l’entreprise Google Inc. L’analyse de la stratégie de communication de l’entreprise, par l’étude de ces discours me permettra de comprendre la position que Google Inc. adopte face à ses utilisateurs. 13 Annexe 1, p. 92 14 Annexes 2, 3, et 4, p. 110, p.115 et p.122
  • 15. 15 Annonce de plan Dans un premier temps, il convient d’interroger la notion de données personnelles et de gratuité. En effet, je suppose que l’utilisateur paye les services de Google Inc. grâce à ses données personnelles qui deviennent alors l’objet de toutes les convoitises pour Google Inc. et les annonceurs. J’expliquerai également quel est le mode de fonctionnement de Google Inc. et son business model, en insistant sur la place de l’utilisateur dans cet écosystème basé sur la surveillance de l’individu. Ensuite, je tâcherais de comprendre si les utilisateurs sont conscients de la collecte et du traitement de leurs données personnelles effectués par Google Inc., grâce à l’analyse de leur réception via un questionnaire. Ainsi, je tâcherai de rendre compte de la place de l’utilisateur, tel qu’il le ressent, au sein du modèle économique, et quelle est son opinion en tant que produit et producteur de la richesse de l’entreprise. Enfin, la stratégie de communication de Google Inc. sera étudiée, grâce à l’analyse de trois discours, afin de montrer comment l’entreprise conçoit et entretient une idéologie pour légitimer son mode de fonctionnement et rassurer les utilisateurs afin de garder leur confiance et de garantir son monopole.
  • 16. 16 I. De la gratuité : la donnée personnelle comme objet de toutes les convoitises dans un système de surveillance généralisée Google Inc., créé en 1998, a toujours été un service gratuit pour les internautes : personne n’a jamais payé pour utiliser les différents services que l’entreprise propose. Cependant, on peut observer un certain paradoxe : des services gratuits permettent à l’entreprise d’avoir un chiffre d’affaire supérieur à 45 000 dollars en 2014. En effet, le modèle d’affaires est basé sur un échange monétaire entre Google Inc. et les publicitaires qui se servent des plateformes de Google Inc. pour y afficher leurs produits. Cependant, pour que ces publicités soient mises en place et soient rentables pour les deux parties, la présence de l’utilisateur des différents services de Google Inc., qui est la cible de ces publicités, est absolument nécessaire. J’émets l’hypothèse que Google Inc. propose des services gratuits car l’utilisateur paye l’utilisation de ces services avec ses données personnelles. L’utilisateur est alors le produit de la richesse de Google Inc. Il convient alors d’interroger la relation économique de Google Inc. avec ses utilisateurs, pour comprendre quels sont les mécanismes qui sont mis en place par l’entreprise pour être rentable en proposant des services gratuits. Dans un premier temps, il convient de définir les données personnelles pour comprendre quelle peut être leur valeur. Ensuite, le fonctionnement et le modèle d’affaire de Google Inc. doivent être expliqués afin d’évaluer la place de l’utilisateur au sein d’un système économique complexe. 1. Les données personnelles La donnée personnelle est le fondement de l’économie numérique, et notamment du modèle d’affaires de Google Inc. Sa définition est complexe, et son statut économique et juridique reste encore à déterminer. Premièrement, la donnée est « ce qui est connu et admis, le point sur lequel on fonde un raisonnement, qui, étant indiscutable ou indiscuté, sert de base à une recherche, un examen quelconque ». La donnée réfère également à « une représentation conventionnelle d’une
  • 17. 17 information en vue de son traitement informatique »15 . La donnée informatique est donc le plus petit élément composant une information numérique. Les données représentent donc l’ensemble des éléments connus et admis qui doivent être traités de manière informatique pour donner du sens. À cette définition de la donnée informatique, s’ajoute la définition juridique de la donnée personnelle. L’article 2 de la directive européenne 95/46 du 24 octobre 1995 ainsi que l’article 2 de la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 définissent les « données à caractère personnel » comme « toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable ; est réputée indentifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à une numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale. » Cette définition concerne aussi bien les données directement nominatives que celles qui le sont indirectement comme une adresse, un numéro de téléphone, une adresse IP, les traces des données de connexion – tout ce qui permet de remonter indirectement à un individu. Ainsi, les données à caractère personnel qui font l’objet de collecte et de traitement dans un environnement numérique sont très diverses ; elles peuvent être transactionnelles, collaboratives, issues de système de gestion, de registres officiels, de médias sociaux, de capteurs d’objets connectés. Les données structurées, comme les fiches clients ou les bases de données, différentes des données non structurées, comme les requêtes des utilisateurs d’un moteur de recherche, qui permettent d’analyser leurs discours et leurs comportements. De plus, contrairement aux bases de données statiques, elles se présentent sous forme de flux, sont constamment mises à jour, et se renouvellent en permanence16 . - La donnée personnelle comme trace Ainsi, les données personnelles peuvent également être automatiquement produites à l’occasion d’un calcul, d’une connexion, sans que le sujet en soit conscient. À chaque fois que 15 Trésor de la Langue Française Informatisé 16 CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection « Entreprendre - Développement professionnel », 2015.
  • 18. 18 l’internaute effectue une recherche sur Google, il crée des traces, des empreintes de connexion, et laisse derrière lui des informations à son sujet. Nous pouvons alors reprendre le premier des cinq axiomes de la communication développés par Watzlawick, Bavelas et Beavin17 : « on ne peut pas ne pas communiquer ». Tout comportement porte un message, et même un non comportement a un sens dans une situation d’interaction. Ainsi, on peut dire qu’en matière de comportement numérique, on ne peut pas ne pas laisser de traces et de données personnelles dans un environnement numérique. Les données personnelles des internautes peuvent être considérées comme des traces, « construite[s] ou retrouvée[s], d’une communication en même temps qu’un élément de systèmes identitaires. »18 En effet, la trace est ce qui subsiste de quelque chose, d’un passage, d’une action réalisée dans le passé. Dispositif de mémoire, elle agit comme un témoignage qui doit être analysé pour créer du sens. La trace n’est pas un message, et doit être combinée à d’autres pour faire sens. Les données produites par les individus sont des données chiffrées, des bits, des logs et non des informations. Alexandre Serres19 distingue deux types de traces : celles qui résultent d’une « interaction homme/machines » et celles qui réfèrent à une suite d’événements ordonnés. On peut distinguer les traces « profilaires », liées au support technique utilisé (adresse IP, cookie), les traces déclaratives (les données nominatives ou démographiques volontairement inscrites), les traces navigationnelles (les requêtes effectuées sur Google, les achats effectués en ligne ; toute action prise sur un site web), et les traces comportementales (l’historique de navigation). La trace assigne une signature invisible à un comportement informationnel. Ces données personnelles sont reliées à une énonciation incertaine, différée, et sans marqueurs corporels. Les données personnelles sont des déictiques qui signalent une identité, de manière contextuelle, en reliant l’activité d’un individu à son identité, mais elles sont dissociables de leur production, car ce sont des « unités solvables, agençables et calculables »20 . Les données personnelles ne dépendent donc d’aucun support matériel et ne font pas l’objet d’un droit de propriété au niveau juridique. Ainsi, les données de tous types, y compris celles à caractère personnel sont très malléables, et transformables à 17 WATZLAWICK, JACKSON & BEAVIN, Pragmatics of Human Communication, W. W. Norton & Company, 2011. Disponible : https://books.google.fr/books?id=Ob9UAgAAQBAJ&pg=PA29&source=gbs_toc_r&cad=4#v=onepage&q&f=false, p. 29 18 PEDAUQUE T. Roger, La redocumentarisation du monde, Editions Cépaduès, 2007. 19 SERRES Alexandre, « Quelle(s) problématique(s) de la trace ? », Texte d’une communication prononcée lors du séminaire du CERCOR (actuellement CERSIC), le 13 décembre 2002. Disponible : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001397/document (Consulté le 12 janvier 2015) 20 PEDAUQUE T. Roger, La redocumentarisation du monde, Editions Cépaduès, 2007.
  • 19. 19 l’infini21 et elles doivent être exploitées et transformées pour devenir une information : les données personnelles ne prennent de sens que quand elles sont collectées en masse et exploitées, transformées pour y extraire de la valeur marchande. - La valeur de la donnée22 Il convient alors d’interroger la valeur de la donnée personnelle. En effet, l’essor d’Internet et l’explosion de ses usages ont fait croître de manière importante le nombre de données produites par les internautes. Dans ce cadre, les entreprises se sont intéressées à ces données reliées à des individus dans un but commercial. En effet, les données personnelles permettent d’identifier des consommateurs de manière ultra précise pour leur proposer des produits adaptés, garantissant ainsi l’acte d’achat. Un prix, soit une somme d’argent, est attribué aux données personnelles qui acquièrent alors une valeur marchande dans un environnement numérique. Il convient alors d’interroger le statut économique de ces données personnelles et de déterminer comment un prix correspondant à ces données peut être appliqué. La donnée est un bien non rival, public et de non exclusion car sa consommation ne prive pas les autres agents de son usage ; elle peut être faîte simultanément par plusieurs agents économiques sans que ses caractéristiques soient affectées ; et son usage ne peut être exclu sans dispositifs techniques spécifiques ou droits de propriété. D. Quah précise en plus que la donnée est « reproductible à l’infini, a-spatiale, indivisible et recomposable »23 . La donnée personnelle est un « capital circulant » dont la valeur, loin d’être détruite, s’accroît au cours des transmissions entre les différents agents24 . Ainsi, elle est un bien d’abondance, car non destructible et reproductible. Les données sont des biens informationnels et intangibles (comme les services) mais qui peuvent être stockées (comme les produits), d’où son statut économique hybride. 21 MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l’information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015) 22 CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection « Entreprendre - Développement professionnel », 2015. 23 Cité par BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, Sociétés de l’information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L’Harmattan, Paris, 2006, p. 35 24 Sous la direction de BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, Sociétés de l’information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L’Harmattan, Paris, 2006. p.16
  • 20. 20 Il est intéressant de noter que la donnée peut avoir plusieurs valeurs, selon le temps, le lieu, les personnes interrogées, et le contexte. En effet, la valeur de la donnée est changeante, et dépend notamment de la finalité et de l’objectif que la donnée permet d’atteindre. Elle a une valeur immédiate : la donnée d’aujourd’hui a plus de valeur que celle d’hier. En effet, le volume et la vitesse de croissance de ces données personnelles les rendent obsolètes dans le temps, car changeantes et instables. Cependant, la somme des données passées acquiert de la valeur dans la mesure où elle permet de définir les algorithmes des moteurs de recherche par exemple, ou de définir le profil d’un individu. La donnée possède une valeur d’option, soit une valeur attribuée à un usage potentiel futur. Simon Chinard explique que « la première valeur d’une donnée n’est pas monétaire. C’est d’abord et avant tout une valeur de levier : l’usage qui va en être fait et qui va permettre de changer les processus de décisions ou de produire différemment certains services. C’est donc la capacité de relier une donnée à une autre, de la croiser, qui va faire sa valeur »25 . Ainsi, les données personnelles brutes, ne valent pas tant pour ce qu’elles sont, mais plutôt pour ce qu’elles permettent de faire ; c’est un bien d’expérience, dont la qualité ne se révèle qu’à l’usage. En effet, la valeur de la donnée se co-construit avec d’autres données. En reprenant les termes de la loi de Metcalfe, la valeur d’une donnée est proportionnelle au carré du nombre de données auxquelles elle est associée26 . Ainsi, la donnée ne prend de la valeur que quand elle est utilisée et transformée pour donner du sens. La donnée est collectée à l’état brut par une entreprise et elle doit subir une transformation et être croisée avec d’autres données pour la rendre propre à l’échange et à l’utilisation. La loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 définit le traitement des données à caractère personnel comme « toute opération de collecte de traitement de la donnée » (art.2). De plus, le responsable du traitement des données réfère « à toute personne physique ou morale qui détermine les finalités et les 25 Simon Chignard, dans « Les données personnelles, une denrée sous-utilisées par les collectivités », la Gazette des Communes, publié le 2 juillet 2015, par Claire Chevrier. Disponible : http://www.lagazettedescommunes.com/374186/la-capacite-a-croiser-une-donnee-a-une-autre- fait-sa-valeur/# (consulté le 3 juillet 2015) 26 La loi de Metcalfe, énoncée par Robert Metcalfe, un ingénieur américain à l’origine du protocole Ethernet, annonce que « la valeur d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs ». Cette loi annonce que plus il y a d’utilisateurs de réseau, plus ce réseau a de la valeur. Ainsi, plus il y a d’utilisateurs de Google Inc., plus les services de l’entreprise ont de la valeur d’utilité pour les utilisateurs, et de la valeur économique. Citée dans Sociétés de l’information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L’Harmattan, 2006, Paris, sous la direction de BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, p.42
  • 21. 21 moyens du traitement » (art.3) et réfère à la personne ou l‘entreprise qui engage sa responsabilité en mettant en place un fichier de collecte et des outils de traitements des données à caractère personnel. Dans le cas de Google Inc., la donnée personnelle acquiert une valeur car elle permet d’établir le profil des utilisateurs pour leur proposer les publicités adéquates. Ainsi, « l’information, c’est-à-dire, la décision que permet l’analyse de données a une valeur d’utilité plus forte que la donnée elle-même »27 . Il convient alors d’interroger le modèle économique de Google Inc. et de comprendre la place de la donnée personnelle au sein de ce modèle. 2. Le fonctionnement de Google et son business model Le modèle d’affaire de Google Inc. n’est pas basé sur la production et la vente de contenus, mais sur le profit de contenus déjà existants sur le web. Par le biais de la publicité en ligne, juxtaposée à des contenus externes, Google Inc. propose des plateformes de services gratuits. Ainsi, l’entreprise joue un rôle d’intermédiaire entre les contenus et les annonceurs, en récoltant des informations marketing à partir des données personnelles de ses utilisateurs. « L’économie du médium a remplacé l’économie du message »28 . Ce sont les plateformes et les dispositifs que Google Inc. met à disposition de ses utilisateurs qui rapportent de l’argent à l’entreprise, et en aucun cas les contenus qui y sont hébergés. Google Inc. a ainsi pour objectif de se positionner comme un point de rencontre exclusif et obligé entre les internautes, les contenus et les annonceurs. 29 - La publicité selon Google Inc. Le modèle économique de Google Inc. est donc basé sur la publicité, dont 89%30 de son chiffre d’affaire est issu. L’entreprise propose des services aux entreprises et annonceurs qui 27 CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection « Entreprendre - Développement professionnel », 2015, p.43 28 MELOT M., préface de PEDAUQUE T. Roger, Le Document à la lumière du numérique, 2006. 29 BOUQUILLON Philippe & MATTHEWS Jacob T., Le web collaboratif, mutations des industries de la culture et de la communication, Ed. Presse Universitaire de Grenoble, coll. « La communication en + », 2010. p.42 30 « Google Inc. announces Fourth Quarter and Fiscal Year Results 2014 », 29 Janvier 2015, Disponible : https://investor.google.com/earnings/2014/Q4_google_earnings.html (Consulté le 12 juillet 2015)
  • 22. 22 veulent faire de la publicité pour leurs produits. Ces services se caractérisent par le ciblage des publics, pour rendre les publicités plus efficaces, pertinentes et rentables pour l’annonceur. Selon Hervé Le Crosnier31 , trois types de publicités ciblées peuvent être distinguées. En premier lieu, la publicité personnalisée qui consiste à savoir, selon plusieurs critères, qui est la personne derrière l’écran en fonction des sites web qu’il aura visités. L’autre forme de publicité ciblée est contextuelle où l’analyse se porte sur le contenu que recherche l’internaute et donc, quels sont ses désirs et ses besoins à un moment précis. Enfin, la publicité comportementale est le type de publicité le plus complet : l’individu est suivi en permanence et tout ce qu’il fait est enregistré. Lors de chaque visite d’un site web, un cookie est déposé sur l’ordinateur de l’individu qui l’identifie et regroupe toutes ses informations en matière de comportement. Ainsi, Google Inc. propose à la fois de la publicité personnalisée, contextuelle et comportementale, comme nous allons le détailler ci-dessous. Le premier service de publicité proposé par Google Inc. est AdWords, soit de la publicité contextuelle. Les annonceurs créent des annonces publicitaires sous forme de liens, comme les résultats des requêtes sur le moteur de recherche Google. Ces annonces sont combinées à des mots clés en rapport avec l’activité des annonceurs, qui misent dessus. Quand un utilisateur effectue une requête avec un de ces mots clés, l’annonce apparaît sur la même page que les résultats naturels, dans un encart dédié aux annonces commerciales. L’annonceur qui a misé la plus grosse somme d’argent sur un mot clé verra son lien commercial apparaître en premier. Quand l’utilisateur clique sur le lien sponsorisé, l’annonceur va payer la somme mise en enchère à Google Inc. ; on parle de CPC (Coût par Clic). Ce système permet d’afficher de la publicité en rapport avec la recherche effectuée par l’utilisateur. On parle alors de marketing ciblé : cette stratégie permet d’afficher des résultats pertinents pour l’utilisateur, ce qui augmente les chances pour l’annonceur de voir l’utilisateur cliquer sur son lien proposé. À noter que le classement des annonces dépend à la fois des enchères faîtes par les annonceurs et du taux de clics effectués par les utilisateurs sur ces annonces. Ainsi, le système 31 LE CROSNIER Hervé., « Usage des traces par la publicité comportementale », Traces numériques, de la production à l'interprétation, CNRS Editions, 2013
  • 23. 23 d’AdWords prend en compte à la fois la somme d’argent dépensée par les annonceurs et le retour des utilisateurs : si un lien sponsorisé n’est jamais cliqué, il n’apparaîtra plus. Grâce à ce système de revenus, Google Inc. met ainsi en relation une recherche de contenus avec une entreprise. Les mots-clés de recherche sur Google sont « monétisés » et deviennent des objets de ventes aux enchères selon des critères de popularité. Google Inc. possède également une régie publicitaire, AdSense. Ce programme permet aux producteurs de contenus sur Internet, propriétaire d’un nom de domaine, de générer des revenus en diffusant des annonces publicitaires ciblées sur leur site Web. La publicité affichée est déterminée en fonction du contenu de la page web : on peut parler de publicité personnalisée. Ainsi, Google Inc. est également présent sur le marché du display, soit l’affichage de bannières publicitaires sur les sites web. Ici, Google Inc. peut être rémunéré financièrement de deux façons ; le CPM (coût par mille), où l’annonceur paie en fonction du nombre supposé d’internautes exposés à l’annonce, et le CPC (Coût par clic), où l’annonceur ne paie qu’en proportion du nombre de clics sur le lien sponsorisé ou l’annonce. En plus de ces deux services de publicité, Google Inc. propose des solutions de retargeting. L’entreprise utilise des cookies32 pour profiler les internautes et récupérer leurs données de navigation. Le cookie est un petit fichier texte stocké sur le navigateur d’un utilisateur qui permet de faciliter sa navigation en conservant ses données ; l’utilisateur pourra voir des messages publicitaires apparaître en fonction des recherches qu’il a effectuées auparavant et des sites qu’il a pu consulter. Ainsi, les revenus de Google Inc. sont issus de la somme que les annonceurs paient pour que leurs publicités soient visibles par les utilisateurs de Google Inc. Le modèle économique de Google Inc. est donc celui d’une régie publicitaire qui vend des espaces à des annonceurs sous forme de liens dits « commerciaux » ou « sponsorisés ». Cette pratique joue sur une illusion de surgissement contextuel pertinent.33 En effet, plus que de l’espace, qui est infini sur le web, Google Inc. vend les intentions des utilisateurs qu’ils ont exprimées sous la forme d’une simple requête sur le moteur de recherche. Cette pratique est 32 « Types of cookies used by Google » https://www.google.com/policies/technologies/types/ (consulté le 19 août 2015) 33 ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p.125
  • 24. 24 également une transformation radicale de l’économie de l’information, puisque ce n’est plus le résultat qui fait l’objet d’une certaine valeur, mais la requête en elle-même34 . C’est donc le besoin d’information de l’utilisateur qui se monétise, car les entreprises accordent de la valeur au fait de se trouver au bon endroit et au bon moment pour combler ce besoin d’information de l’utilisateur, futur consommateur. La visibilité possède une importance toute particulière pour les annonceurs qui souhaitent être immanquables pour le consommateur. Google Inc. revendique l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs pour satisfaire au mieux ses besoins d’information et satisfaire le besoin de rentabilité des entreprises qui utilisent ces services de publicité. « Le moteur de recherche […] exploite et trace entièrement et continuellement les comportements de tous ceux qui utilisent ses services, afin de « profiler » leurs habitudes et d’insérer dans leurs activités (navigation, courrier électronique, gestion des dossiers…) une publicité personnalisée, contextualisée, légère et omniprésente. »35 La mise en réseau des ordinateurs et la mise en commun de tous les sites Internet par Google, permettent de capter des informations sur les internautes et ces ressources sont mises à dispositions d’acteurs externes pour développer leurs activités. Le modèle d’affaire de Google Inc. est basé sur un échange entre l’entreprise et ses utilisateurs, et l’entreprise et les annonceurs. - La donnée personnelle au cœur des échanges économiques Le web et les services de Google Inc. sont fondés sur une interconnexion de sites et les données personnelles des utilisateurs sont disséminées à travers le réseau. En effet, la collecte et l’utilisation des données sont au cœur du modèle d’affaire de Google Inc., grâce à ses services de moteur de recherche, courrier électronique, et autres. Google Inc. recueille des informations sur ses utilisateurs pour parfaire la segmentation de ses utilisateurs et leur proposer les informations qui ont le plus de chance d’attirer leur attention. 34 SIMONOT Brigitte, « De l’usage des moteurs de recherche par les étudiants », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p 101 35 KYROU Ariel, Google God, Ed. Inculte, Paris, 2010.
  • 25. 25 Le moteur de recherche aspire les données des utilisateurs et leur « expédie » également des messages personnalisés36 . En ce qui concerne les coûts de collecte, de traitement et d’exploitation des données personnelles par Google Inc., ils sont très bas et chutent très vite, en raison de ses économies d’échelles. Les volumes de données produits par les utilisateurs des services de Google Inc. sont tels, et augmentent tellement que les coûts de traitement de ces données baissent drastiquement, et l’entreprise peut négocier les meilleurs tarifs pour ses matériels de traitement et de stockage, la bande passante et l’électricité nécessaire à son activité, et ainsi accroître sa rentabilité, en fournissant ces données aux annonceurs. Ainsi, la stratégie commerciale de Google Inc. est basée sur le marketing relationnel, soit « la politique et les outils destinés à établir des relations individualisées et interactives avec les clients, en vue de créer et d’entretenir chez eux des attitudes positives et durables à l’égard de l’entreprise et de la marque »37 . Cependant, ce n’est pas au profit direct de Google Inc. que cette stratégie est mise en place ; ce sont les annonceurs qui ont besoin de cette relation individualisée avec les consommateurs, et c’est Google Inc. qui met en place les dispositifs qui identifient le consommateur personnellement et enregistrent sa manière de consommer pour accroître la rentabilité de l’annonceur, et indirectement de Google Inc. si ces dispositifs sont efficaces. En effet, en utilisant les données personnelles des utilisateurs, les annonceurs qui payent pour avoir des publicités ciblées réduisent les coûts des publicités qui seront montrées à des consommateurs non réceptifs, et augmentent leur revenus en proposant des informations utiles et ajustées à l’intérêt des consommateurs. Les données personnelles permettent également de mesurer et d’améliorer l’efficacité de ces publicités en ligne. Elles acquièrent alors une valeur marchande pour les entreprises qui visent une valorisation publicitaire. Google Inc. possède donc un modèle économique biface : l’entreprise exerce un rôle d’intermédiaire entre deux acteurs du marché, que sont les utilisateurs de ses services et les annonceurs. L’existence d’une face représente de la valeur pour l’autre ; si l’un des deux 36 DUJARIER Marie-Anne, Le travail du consommateur : de McDo à Ebay, comment nous coproduisons ce que nous achetons, Ed. La Découverte, Collection Poche/Essais, 2014, p.89 37 idem, p.91
  • 26. 26 acteurs du marché (utilisateur ou annonceur) se retire, Google Inc. n’a plus de raison d’être, et sa rentabilité n’est plus assurée. Ainsi, Google Inc. est dépendant à la fois de ses utilisateurs, et des annonceurs pour exister. L’on peut alors constater que la seule limite de la croissance de Google Inc. est le rythme de croissance du Web lui-même : si le nombre de pages web augmente trop et que l’algorithme de Google Inc. n’est pas capable d’indexer les sites et de satisfaire les besoins des utilisateurs, ces derniers n’utiliseront plus les services de Google Inc., entraînant le retrait des annonceurs. Ainsi, les services de Google Inc. produisent des effets de réseaux : l’utilité réelle de ses différents services techniques dépend en effet de la quantité d’utilisateurs de ses services. C’est également cet effet de réseau qui permet à Google Inc. de proposer des services gratuits. - Du gratuit rentable ? Essai sur le don - tome 2 D’un point de vue économique, le modèle d’affaire de Google Inc. ne semble pas relever du modèle marchand puisque ses services sont entièrement gratuits et qu’il n’y a pas d’échange d’argent entre l’entreprise et ses consommateurs finaux. Il convient alors d’interroger ce modèle d’affaires et de comprendre comment l’entreprise peut être bénéficiaire tout en proposant des services gratuits. À noter que la gratuité des services de Google Inc. n’est pas uniquement une étape intermédiaire dans son modèle économique avant de passer à un modèle payant : la gratuité est bien au cœur de la philosophie de Google Inc. Chris Anderson, dans Free ! Entrez dans l’économie du gratuit38 , explique comment Google Inc. a adopté un modèle basé sur la gratuité selon trois phases historiques : - En 1998, Serguey Brin et Larry Page ont inventé un moteur de recherche basé sur un modèle algorithmique et automatique, qui classe les sites web selon le degré de confiance et de recommandation accordé par les internautes. Entre 1999 et 2001, la société Google Inc. a transformé son moteur de recherche pour qu’il s’améliore au lieu de se dégrader au fur et à mesure que le Web prenait de l’ampleur. 38 ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 139
  • 27. 27 - À partir de 2001, l’entreprise a adopté une méthode qui permet aux annonceurs de créer en libre-service des annonces publicitaires correspondant à des mots-clés de requêtes ou des contenus. Pour que les annonces soient les mieux placées dans les résultats de requête, les annonceurs doivent d’enchérir entre eux. Avec la création d’AdWords et d’AdSense, Google Inc. est vite devenu une entreprise rentable qui réalise des bénéfices. - À partir de 2003, grâce aux bénéfices réalisés par la publicité sur son moteur de recherche, Google Inc. a pu investir dans de nouvelles ressources pour créer d’innombrables services et produits qui élargissent la présence de l’entreprise, renforçant l’attachement des consommateurs à son égard. Il est intéressant de noter que à sa création, Google a été pensé comme un service gratuit et accessible à tous. Le besoin de rentabilité et de bénéfices monétaires est apparu face au succès grandissant de Google et le besoin de toujours l’améliorer au niveau technique et commercial. Par la suite, les bénéfices liés à la publicité ont seulement permis de créer de nouveaux services gratuits, utiles pour les internautes. À noter que ce modèle d’affaire basé sur la gratuité est également la meilleure manière de toucher un marché le plus vaste possible et de faire adopter massivement ses produits et services. Eric Schmidt, CEO de Google Inc. de 2001 à 2011, parle de « mass strategy » et affirme que cette stratégie deviendra la règle sur les marchés de l’information39 . En effet, la gratuité permet d’accroître le volume de consommateurs et de monétiser cette audience croissante. Si le nombre de consommateurs croît, les publicités sont d’autant plus rentables car elles touchent plus d’audience, et les revenus de ces publicités permettent de créer de nouveaux services qui accroissent encore le nombre de consommateurs et, par corrélation, le revenu des publicités. Le modèle d’affaire de Google Inc. est donc un cercle vertueux, basé sur le nombre croissant de ses utilisateurs. Cependant, la gratuité pour l’acteur final, ici l’utilisateur des services de Google Inc., ne signifie pas que son modèle est hors du modèle marchand. Un service gratuit ne l’est jamais réellement : « Le coût est loin d’être nul, il est simplement invisible », explique Pierre-Michel 39 ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 142
  • 28. 28 Menger, professeur de sociologie au Collège de France, dans un entretien accordé à Marianne40 . Le terme « gratuit » vient du latin « gratia », et s’applique aux deux parties en présence lors d’un échange : celui qui accueille avec faveur et celui qui est accueilli avec faveur. Benveniste parle de « valeur réciproque » dans un échange gratuit41 . Dans le cadre marchand, gratuit signifie sans valeur d’échange. Or dans le système économique de Google Inc. il existe une valeur d’échange qu’il convient d’interroger. De plus, la pensée marchande affirme que la gratuité est impossible dans les faits, le récepteur devrait toujours finir par payer « There is no such thing such as free lunch » soit « un repas gratuit gratuit, ça n’existe pas » : il existe toujours des coûts d’opportunités dans la gratuité, soit le fait de renoncer à quelque chose pour avoir accès à autre chose. On peut donc parler du modèle d’affaires de Google Inc. comme du « troc implicite de données contre services »42 . En effet, le troc réfère à l’échange d’un bien contre un autre, sans aucune intervention de monnaie. La logique du troc réfère également à la logique du don explicitée par les ethnologues, qui fait référence à l’action de donner quelque chose à quelqu’un. Il est intéressant de noter que le terme « don » trouve son étymologie dans le latin « data », terme qui est aujourd’hui utilisé en anglais pour désigner la donnée informatique. Ainsi, la donnée personnelle peut être considérée comme un don de la part de l’utilisateur envers Google Inc. en attente d’un retour de services, comme ceux que Google Inc. propose. Le don rejette donc le modèle d’affaires basé sur la gratuité prôné par Google Inc. qui indique l’absence de valeur d’échange, car la relation du don n’est que phénomène de réciprocité et implique une valeur d’échange43 . De plus, les services de Google Inc. valent les données personnelles de ses utilisateurs ; or dans le marché, il y a « la nécessité psychologique d’obtenir une chose d’une valeur égale ou sacrifiée », dit Simmel44 et dans la logique du don, le contre-don doit être égal ou supérieur au don pour être valable. De plus, dans une logique 40 Entretien de Pierre-Michel Menger réalisé par Elodie Emery, « Un enjeu démocratique sans précédent », Marianne, le 13 avril 2015. Disponible : http://www.marianne.net/enjeu-democratique-precedent-100232625.html (Consulté le 2 mai 2015) 41 GODBOUT T. Jacques, en collaboration avec CAILLE Alain, L’esprit du don, Ed. La découverte & Syros, Paris, 2000, p.248 42 CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection « Entreprendre - Développement professionnel », 2015. 43 GODBOUT T. Jacques, en collaboration avec CAILLE Alain, ibid, p.17 44 Cité par GODBOUT T. Jacques, en collaboration avec CAILLE Alain, L’esprit du don, Ed. La découverte & Syros, Paris, 2000, p.252
  • 29. 29 de don et de contre-don, « la valeur réside dans le lien entre les deux entités »45 , le don étant symbole et « performateur » des relations. Ainsi, c’est par la valeur des biens échangés (services contre données) que la relation entre les deux entités (utilisateur et entreprise) prend de la valeur. En effet, Google Inc. ne saurait se passer de la relation avec l’utilisateur, sans quoi ses services n’existeraient plus. Enfin, selon Marcel Mauss, les relations de don sont soumises à des contraintes, notamment dues à la nature de la chose donnée : « Ce qui, dans le cadeau reçu, échangé, oblige, c'est que la chose reçue n'est pas inerte. Même abandonnée par le donateur, elle est encore quelque chose de lui »46 . En effet, les données personnelles, données par les utilisateurs sont quelque chose d’eux, puisqu’on l’a vu précédemment, elles permettent de leur donner une identité. Ainsi, les données personnelles liées à l’utilisateur, comme objet de don, deviennent des produits de l’échange. - L’utilisateur, produit de Google Inc. « Google vend des consommateurs à des annonceurs ». Cette phrase pourrait résumer à elle seule le modèle d’affaire de Google Inc., basé sur la collecte et le traitement des données personnelles des utilisateurs pour affiner les publicités aux profits des annonceurs. L’utilisateur peut être considéré comme le produit de Google Inc. que l’annonceur achète avec de la publicité. Il convient d’interroger le terme « produit » qui a plusieurs acceptations dans la langue française : il peut référer à « une substance, marchandise, richesse économique née de l’activité de l’homme » ou « à des choses que l’industrie a su créer. Il est rare qu’un produit soit le résultat d’un seul genre d’industrie »47 . Le consommateur peut être considéré comme « une richesse économique » pour Google Inc., « une marchandise » qui permet de créer de la valeur économique. Le profilage est indispensable à la survie d’un modèle économique qui a la gratuité comme principe et la publicité comme outil. Ainsi, le financement du gratuit 45 ibid, p.252 46 MAUSS Marcel, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, version numérique produit par Jean-Marie Tremblay, coll. Les classiques des sciences sociales, 2002. Disponible : http://www.congoforum.be/upldocs/essai_sur_le_don.pdf (Consulté le 7 août 2015) 47 Trésor de la Langue Française Informatisé
  • 30. 30 suppose d’exploiter la « valeur des consommateurs ». L’utilisateur devient alors une marchandise comme les autres. Les vrais clients de Google Inc. sont les annonceurs, qui achètent de l’espace et des mots clés à Google Inc., et achètent indirectement de l’audience ciblée et des consommateurs. Le produit est l’utilisateur des services de Google Inc. Le terme produit peut également référer au sens figuré à « ce qui rapporte quelque chose, ce qui est le résultat de quelque chose »48 . Dans ce sens, l’utilisateur est ce qui rapporte de l’argent à Google Inc. ; c’est parce que l’internaute utilise les services de Google Inc. qu’il crée de la valeur économique. Avec l’omniprésence de la publicité et notamment la présence de liens sponsorisés sur la même page que les liens de résultats, la recherche d’information peut s’apparenter à une nouvelle forme d’ « économie-casino », dans laquelle le langage (les mots-clés) et le comportement des internautes (le clic) sont une source inépuisable de richesse49 . Ainsi, l’échange qui s’opère entre Google Inc. et l’utilisateur de ses services repose sur un échange de données personnelles contre un service gratuit. « Objet de toutes les attentions et de toutes les convoitises, cette entité [le consommateur] est en passe de devenir la principale monnaie d’une économie numérique où chaque échange se paie en données personnelles. »50 L’utilisateur est produit de Google Inc. en tant que création de l’entreprise qui restitue toutes ses données personnelles échangées de manière indirecte sous forme de produit, qui sont alors vendues contre de l’argent aux annonceurs. Le consommateur, alors délié de ses données personnelles qui ne lui appartiennent pas, devient une monnaie d’échange contre de services. De plus, grâce à la technique, l’individu externalise ses fonctions humaines : grâce à la technologie proposée par Google Inc. l’individu externalise ses fonctions de mémoire, en effectuant des recherches sur le moteur de recherche Google et il externalise également son 48 Trésor de la Langue Française Informatisé 49 SIMONOT Brigitte, « De l’usage des moteurs de recherche par les étudiants », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p.101 50 MERZEAU Louise, « Présence numérique : les médiations de l’identité », Les enjeux de l’information et de la communication n°3, CNRS, Paris, 2009. Disponible : https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2009-1-page-79.htm (consulté le 12 janvier 2015)
  • 31. 31 identité51 , ce qui consiste en ses préférences, ses intérêts, ses désirs et ses besoins au profit de Google Inc. Lorsque le service est gratuit, l’utilisateur est à la fois le produit et la monnaie. 3. Le produit-utilisateur au cœur d’une économie foucaldienne Google Inc. a donc mis en place un modèle d’affaire basé sur la gratuité de ses services, et l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Pour Google Inc., les données sont à la fois la ressource principale de ses services, le moteur de la réalisation de son revenu et l’arme stratégique de conquête de positions concurrentielles. Il convient alors d’interroger cette troisième affirmation. - Le sur-mesure de masse Le fonctionnement de Google Inc. propose donc un sur-mesure de masse : avec plus de 90%52 de parts de marché dans le monde, Google Inc. possède la plus grande base utilisateur du monde. Ces produits d’adressent donc à une masse d’utilisateurs, et pourtant Google Inc. propose à chacun une expérience personnalisée. La donnée personnelle des utilisateurs en tant que trace permet de calibrer les informations sur mesure. En effet, le numérique tend à personnaliser l’information qu’il dissémine, notamment par son architecture décentralisée. Le web donne à chacun son information, en faisant de la pertinence le seul critère valable. Cette personnalisation suppose un traçage des facteurs singuliers qui affectent l’identité. Sackmaan, Strucker et Accorsi53 définissent trois formes de personnalisation : les services personnalisés fondés sur l’exploitation des données personnelles qui permettent une communication one-to-one comme de la recommandation, ou la facilitation d’achats selon l’historique de navigation des utilisateurs ; les services individualisés qui ne nécessitent pas d’identification de l’utilisateur mais des données de contexte comme une requête effectuée sur 51 MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l’information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015) 52 Chiffres Google – 2015, via Le blog du modérateur. Dernière mise à jour le 3 août 2015. Disponible : http://www.blogdumoderateur.com/chiffres-google/ 53 ROCHELANDET Fabrice, Economie des données personnelles de la vie privée, Ed. La Découverte, coll. Repères, Paris, 2010, p.63
  • 32. 32 Google ; et le service universel accessible à chacun et portant sur des données individuelles émises et utilisées par les individus eux-mêmes (commentaires sur un forum) ou sur des fonctionnalités individualisables (comme la recherche sur Google), chaque utilisateur se servant du service en fonction de ses besoins à un moment donné. Google Inc. applique ainsi ces trois formes de personnalisations. En effet, Google Inc. utilise des techniques de tracking qui consistent à pister les singularités des individus pour cibler toujours plus finement les consommateurs. Les comportements et les préférences des utilisateurs n’existent que par rapport aux autres usages, préférences ou opinions des utilisateurs. Ainsi, la personnalisation s’opère dans un contexte où la communauté est la plus importante, et on peut parler de sur-mesure de masse. Comme l’explique Louise Merzeau54 , les données personnelles et personnalisées sont aujourd’hui favorisées ; le but des annonceurs et de Google Inc. n’est pas de connaître les habitudes communes à toute une masse d’individus, mais plutôt celle d’un individu en particulier pour lui proposer un message personnalisé et positif à ses attentes. Ainsi, les entreprises, grâce aux fonctionnalités publicitaires de Google Inc. ciblent les publicités de manière précise sur les internautes. Les utilisateurs de Google sont à la recherche d’une information, et le service leur propose une information personnalisée et sur mesure. Bill Davidow parle de prison algorithmique55 pour désigner ce phénomène d’hyperpersonnalisation induit par l’utilisation des données massives. Cette prison est telle qu’elle n’est pas connue par les utilisateurs : ils ne savent pas à quelles informations ils n’ont pas accès. On peut donc parler d’un changement de paradigme, où le modèle d’affaires de Google Inc. n’est plus uniquement basé sur l’économie de l’information, mais également sur celle de l’attention. - De l’économie de l’information à et l’économie de l’attention Google Inc. base son modèle d’affaires sur le marché d’abondance qu’est celui de l’information. D’une part, les contenus informationnels qui sont sur le Web et que les utilisateurs recherchent, d’autre part les informations de la masse des utilisateurs de Google 54 MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l’information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015) 55 DAVIDOW Bill, « Welcome to Algorithmic prison », The Atlantic, le 20 février 2014. Disponible : http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/02/welcome-to-algorithmic-prison/283985/ (consulté le 13 août 2015)
  • 33. 33 Inc. Parce que les contenus augmentent et que les prix de stockage sont en constante réduction, les prix de l’information publique, soit les contenus sur le web, tombent à des prix marginaux. L’information n’est alors plus un bien rare et ne possède presque plus de valeur économique : l’accès à l’information est facile et simple pour tous les individus qui disposent d’un ordinateur et d’une connexion Internet. En effet, en économie, les produits fait d’idées, au lieu de matière, deviennent plus vite bon marché ; étant des bien non rivaux, qui ne se détruisent pas à l’utilisation, l’information est un bien d’abondance. Ainsi, l’information conserve un coût marginal, qui est si proche de zéro qu’il est préférable d’arrondir. En effet, si la loi veut que les prix chutent jusqu’au coût marginal, la gratuité n’est pas une option, mais un aboutissement inéluctable de l’économie. C’est la racine de l’abondance qui mène à la gratuité56 . De plus, l’aspect intangible de l’information favorise sa gratuité. Étant un bien non rival, l’information devient un produit abstrait, qui semble ne rien coûter pour le consommateur. En réalité, Google Inc. a intérêt à ce que l’information soit gratuite, car « plus le coût de l’information diminue, plus l’entreprise gagne de l’argent », explique Nicolas Carr dans The Big Switch. En effet, si l’information est gratuite, les internautes vont utiliser Google pour y avoir accès, et devenir alors consommateurs des publicités. La multiplication de l’information et son accessibilité font ainsi naître un nouveau paradigme ; c’est l’attention qui a de la valeur, et non plus l’information. « Dans un monde riche en information, l’abondance des informations signifie une privation d’autre chose, la rareté de quoi que ce soit que l’information consomme. Ce que l’information consomme est l’attention du destinataire. Une abondance d’information crée une disette d’attention. »57 Ainsi, l’information atteint un coût zéro, tandis que l’attention atteint un coût élevé, puisqu’elle se raréfie étant donné le nombre d’informations croissant auquel l’utilisateur a accès. C’est le contact entre l’utilisateur qui cherche de l’information et Google Inc. qui classe 56 ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 96 57 SIMON Herbert, cité par ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l’économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 209
  • 34. 34 et donne accès aux informations, qui est porteur de valeur58 . La notion d’attention réfère donc au « temps de cerveau disponible », nécessaire pour que la publicité soit reçue par les consommateurs. Il convient donc de trouver des stratégies efficaces pour que l’utilisateur des services de Google Inc. soit en contact avec les publicités, et AdWords et AdSense sont des moyens efficaces de montrer de la publicité adaptée aux besoins des utilisateurs. Cependant, la notion d’économie d’attention est à questionner. Pour que l’utilisateur de Google soit réceptif aux publicités, et y accorde son attention, l’entreprise met en place des méthodes pour collecter ses données de recherche et ses données personnelles afin de lui afficher des publicités contextuelles et adaptées. Ainsi, en mettant en place de nombreux services pour les utilisateurs, Google Inc. a accès à un ensemble d’informations qui relèvent de la sphère publique, de la sphère privée ou professionnelle et de la sphère intime des utilisateurs. Avec cette nouvelle configuration des espaces informationnels émerge une nouvelle écologie cognitive, soit « l’étude des interactions entre les déterminants biologiques, sociaux et techniques de la connaissance »59 , qui consacre l’interpénétration des deux sphères : celle de la recherche d’informations publiques sur le web, et celle de la recherche d’informations concernant les données personnelles des utilisateurs et possibles consommateurs. En effet, le moteur de recherche de Google permet à la fois aux utilisateurs d’avoir accès à de l’information publique, et à la fois aux annonceurs d’avoir accès à de l’information sur leurs consommateurs. « Ainsi, les individus sont considérés comme des petits éléments dans une machine d’information, quand ils ne sont pas les seules sources ou destinations d’informations. »60 Ce changement de paradigme ouvre des espaces pour le suivi et le traçage des individus à la fois à leur insu et avec leur consentement61 . 58 KESSOUS Emmanuel et REY Bénédicte, « Economie numérique et vie privée », Hermès, N°53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : http://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2009-1-page-49.htm (Consulté le 12 janvier 2015) 59 BATESON Gregory, cité par ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p..119. 60 LANIER Jaron, Who owns the future ?, Penguin Books, 2014. 61 ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p.119.
  • 35. 35 - De l’économie de l’attention à l’économie de surveillance La publicité sur le web est partie intégrante d’une nouvelle forme d’économie, qui n’est plus l’économie de l’attention, mais l’économie de la surveillance62 , qui consiste à ce que toutes les informations qui constituent les individus soient dévoilées pour permettre un ciblage et une personnalisation toujours plus accrue. Les faits et gestes des utilisateurs de Google sont constamment surveillés, et les données personnelles sont collectées pour adapter et affiner au maximum les publicités auxquelles l’utilisateur est confronté. Les méthodes de profilage de Google Inc. peuvent être reliées à l’idée du panoptique développée par Michel Foucault dans Surveiller et Punir. En effet, Google Inc. « voit sans être vu » les comportements des utilisateurs de ses différents services, et est capable de collecter toutes les traces des utilisateurs et d’analyser leur comportements. « La surveillance prend appui sur un système d’enregistrement permanent, […] constant et centralisé. » 63 En effet, Google Inc. enregistre de manière permanente et constante tous les comportements de ses utilisateurs, en centralisant ses données personnelles. C’est par la surveillance de ces utilisateurs et la centralisation de ces informations que Google Inc. dégage de la valeur financière. En reprenant les termes de Michel Foucault dans l’introduction de Surveiller et Punir, Google Inc. peut être décrit comme « un espace clos, découpé, surveillé en tout points » ; de la page d’accueil de Google, à la page d’un Google Doc, les espaces où l’utilisateur se sert des services de Google Inc. sont des espaces cloisonnés, et surveillés par l’entreprise. « Les moindres mouvements sont contrôlés, les événements sont enregistrés » ; chaque action, chaque clic, chaque nouvelle requête ou nouvel e-mail est enregistré par Google Inc., qui les centralise pour établir un profil presque parfait de l’utilisateur. L’espace de Google Inc. est également caractérisé par « un travail ininterrompu d’écriture qui relie le centre et la périphérie » ; le centre étant Google Inc. et la périphérie étant les annonceurs qui utilisent les services publicitaires de Google Inc., un travail d’écriture et d’analyse est constamment en marche entre ces deux acteurs, entre lesquels les utilisateurs évoluent et se comportent grâce à l’écriture. 62 SCHNEIER Bruce, « ‘Stalker economy’ here to stay », CNN.com, le 26 novembre 2013. Disponible : http://edition.cnn.com/2013/11/20/opinion/schneier-stalker-economy/index.html (Consulté le 1er mai) 63 FOUCAULT Michel, Surveiller ou Punir, Gallimard, Paris, 1979, Introduction.
  • 36. 36 De plus, les méthodes de tracking et de profilage de l’utilisateur réfèrent à un assujettissement politique et économique des individus. Grâce à l’analyse croisée de millions de requêtes, aux fonctions d’historiques de navigation et à l’analyse des données personnelles des utilisateurs, Google Inc. est capable de prédire que l’affichage de tel lien sponsorisé entraînera un clic. L’action prédictive devient un aspect incitatif pour le consommateur, le lien sponsorisé acquérant une valeur de suggestion efficace pour orienter la recherche d’information des internautes64 . Ainsi, l’algorithme utilisé pour générer des revenus publicitaires devient un algorithme d’orientation65 . Google Inc. « impose une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque »66 et, comme le panoptique de Michel Foucault, met en place « un ensemble de prescriptions, calculées et raisonnées, selon lesquelles on devrait […] régler des comportements. » Ce programme de sur-mesure instauré par Google Inc. a sa « régularité propre », et la surveillance, consciente ou non, des utilisateurs instaure des comportements orientés et définis non plus par l’individu mais par Google Inc. Ainsi, le paradigme se déplace : dans l’économie de l’attention, l’utilisateur contrôle ses agissements, et décide ou non de prendre le temps de voir les publicités selon son intérêt pour elles. Dans l’économie de surveillance, l’utilisateur subit entièrement les publicités, et son comportement est constamment surveillé et orienté pour que la décision de voir et d’agir en fonction des publicités affichées ne se fasse plus. Ainsi, l’utilisateur actif qui prend des décisions pour prêter de l’attention à telle ou telle publicité devient sujet passif et soumis aux règles imposées par Google Inc., et est produit de richesse pour les annonceurs. Jaron Lanier conclue que « Gratuit signifie inévitablement que votre vie va être décidée par quelqu’un d’autre. »67 Ainsi, la donnée personnelle, comme trace de l’utilisateur de Google Inc. prend de la valeur lorsqu’elle est associée à toutes les données personnelles qu’un utilisateur peut laisser lors de son utilisation d’Internet. Ces données sont ensuite valorisées dans un système économique où Google Inc. se place comme un intermédiaire entre les annonceurs et les utilisateurs. Une relation d’échange et de don se met en place entre l’entreprise et l’utilisateur, et on peut 64 ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, , C&F Editions, Paris, 2009, p.125 65 idem p.125-126 66 FOUCAULT Michel, Surveiller ou Punir, Gallimard, Paris, 1979, Préface de Gilles Deleuze. 67 LANIER Jaron, Who owns the future ?, Penguin Books, 2014.
  • 37. 37 conclure que la donnée personnelle devient un moyen de paiement, comme dans un échange de troc. Cependant, ce système économique et symbolique complexe font de l’utilisateur un simple produit d’échange, entre Google Inc. et les annonceurs, qui se retrouve à être surveillé tout le temps et partout pour devenir rentable. Cependant, au sein de ces échanges économiques complexes, il convient d’interroger cette notion de produit et d’examiner les relations qu’entretient l’utilisateur avec l’entreprise Google Inc. Le produit pourrait-il être en même temps le producteur de la richesse et du bon fonctionnement de Google Inc. ?
  • 38. 38 II. « Je te déteste, mais je reste » ; le paradoxe des internautes au cœur de l’écosystème de Google Inc. Il s’agit de comprendre quelle est la position de l’utilisateur face à ces logiques marchandes et aux échanges qui se jouent entre lui-même et Google Inc. Si l’utilisateur de Google Inc. est le produit de la richesse de Google Inc., et est une monnaie d’échange assujettie et contrôlée par l’entreprise et les annonceurs, il s’agit de déterminer s’il a conscience de ce rôle, et comment il conçoit sa relation avec l’entreprise. J’émets l’hypothèse que l’utilisateur est conscient de la collecte et du traitement de ses données personnelles, et qu’il se sait à la fois produit et producteur de la richesse de Google Inc. En effet, en utilisant les services de Google Inc., l’utilisateur participe à la production de la richesse de l’entreprise et à son amélioration technique. Ainsi, si l’utilisateur est le produit d’échange entre Google Inc. et les annonceurs, il est également producteur des services de Google Inc., lui rapportant indirectement de la richesse. Pour appuyer mon argumentaire, j’ai choisi de réaliser un questionnaire sur les habitudes d’utilisation des services de Google Inc. J’ai réalisé ce questionnaire sur la plateforme Google Forms qui a été diffusé sur les plateformes des réseaux sociaux et par mail auprès de mon entourage. Le questionnaire est disponible en annexe68 , avec les justifications de chaque question et les résultats. 160 personnes ont répondu au questionnaire entre le 8 et le 20 juillet 2015. Les résultats ont été arrondis au dixième. Le nombre de réponses est suffisamment important pour que je puisse récolter des réponses et faire des analyses, cependant, je considère que mon échantillon n’est pas assez large pour qu’il soit représentatif de la population française. Dans un premier temps, le profil des sondés sera détaillé, ainsi que leur habitudes d’utilisation des services de Google Inc. Ensuite, l’opinion des utilisateurs face à l’utilisation de leurs données personnelles par l’entreprise sera explicité, afin de montrer s’ils sont conscients des enjeux que supposent l’utilisation de leurs données personnelles, pour enfin détailler leur rôle actif et conscient au sein du système économique mis en place par Google Inc. 68 Annexe 1, p. 92
  • 39. 39 1. Le profil des sondés - Démographie Le profil des sondés est composé à 68,1% de personnes entre 15 et 30 ans ; ce sont des « digital natives »69 , soit la génération qui a grandi dans un environnement numérique. 10,7% des sondés ont plus de 50 ans. De plus, 53,8% des sondés sont étudiants. À noter que 22,5% des sondés évoluent dans le milieu professionnel de la communication et du marketing, qu’ils soient étudiants ou actifs : ce résultat, non représentatif de la population, est lié au fait que j’ai diffusé le questionnaire dans mon entourage, composé d’individus évoluant dans la même sphère professionnelle que moi. 69 PRENSKY Marc, « Digital Natives, Digital Immigrants », extrait de On the Horizon (MCB University Press, Vol. 9 no. 5, Octobre 2001) Disponible : http://www.marcprensky.com/writing/Prensky%20-%20Digital%20Natives,%20Digital%20Immigrants%20-%20Part1.pdf (Consulté le 2 août 2015) 8,10% 60,00% 2,50% 1,90% 6,25% 4,40% Âge 15-20 ans 20-30 ans 30-40 ans 40-50 ans 50-60 ans Plus de 60 ans
  • 40. 40 - Utilisation des services de Google Inc. En ce qui concerne l’utilisation des services de Google Inc., 95.2% des sondés utilisent les services de Google. Ainsi, ces résultats sont proches du taux d’utilisation du moteur de recherche Google en France, qui est d’environ 93.5%70 . 92.9% des sondés utilisant les services de Google Inc. possèdent un compte Google. Les sondés qui ont indiqué ne pas avoir de compte Google ont plus de 50 ans (70%). À noter qu’un sondé dit ne pas avoir un compte Google, mais utilise le service de messagerie Gmail, ce qui implique d’avoir un compte Google. Il est intéressant de noter que les utilisateurs ne sont pas forcément au courant de l’existence d’un compte Google et que la multiplicité des services que l’entreprise propose n’est pas comprise pour certains sondés comme un « package », mais comme différents services indépendants les uns des autres. Enfin, concernant les services utilisés par les sondés, une écrasante majorité de sondés qui utilisent les services de Google Inc. utilisent le moteur de recherche Google. À noter que 4.5% des sondés utilisent les services de Google Inc. comme Gmail ou Google Drive mais ne se servent pas du moteur de recherche et utilisent Ecosia ou DuckDuckGo. Les services les plus utilisés sont Youtube avec un taux d’utilisation de 78%, Gmail (68.8%) et Google Drive (56.8%). Des sondés ont également mentionné Google Calendar, qui est utilisé dans certaines entreprises, et sur les smartphones Android, et Blogpost. 70 StatCounter Global Stats, Top 5 Desktop, Tablet & Console Search Engines from July 2014 to July 2015 in France. http://gs.statcounter.com/#search_engine-FR-monthly-201407-201507 (consulté le 3 août) 18,10% 17,50% 36,30% 3,10% 5,60% 5,00% 5,00% 4,40% 6,30% Situation professionnelle Salarié Etudiant en communication/ marketing Etudiant dans une autre filière Lycéen Fonctionnaire Professionnel de la communication/marketing Retraité Sans activité Autres
  • 41. 41 J’ai ensuite demandé aux utilisateurs des services de Google Inc. quelles étaient les raisons pour lesquelles ils les utilisaient. En effet, quand le prix n’est pas mentionné et qu’il est de zéro, les individus appliquent les normes sociales pour déterminer leur choix et leur effort. Quand un produit ou un service comme ceux de Google Inc. est gratuit, le prix n’est plus un critère de choix pour l’utilisateur ; il se base alors sur les recommandations de ses pairs, sa réputation, son efficacité et son éthique, ainsi que sur l’utilité qu’un tel service peut lui apporter, selon ses besoins et le degré de satisfaction qu’il souhaite accomplir. Pour une grande majorité des sondés, les raisons d’utilisation du moteur de recherche de Google sont liées à sa facilité d’utilisation. Pour la moitié d’entre eux, le moteur de recherche de Google est le plus pertinent par rapport à ses concurrents : ainsi, la notion d’efficacité est un critère de choix prédominant pour les utilisateurs, qui se base également sur la recommandation de leurs pairs. 32% des sondés évoquent le fait qu’il soit standardisé, et que tout le monde l’utilise. Ainsi, pour un tiers des utilisateurs, la recommandation par les pairs et la réputation sont des critères de choix. De plus, 30,5% des utilisateurs évoquent le fait que le moteur de recherche soit installé par défaut sur le navigateur. En effet, Google a été le moteur de recherche par défaut sur le navigateur Firefox jusqu’en Novembre 201471 , et sur Google Chrome, le logiciel de navigation édité par Google Inc. le moteur de recherche y est installé par défaut. 71 « New search Strategy : Promoting Choice and Innovation », The Mozilla Blog, 19 novembre 2014. Disponible : https://blog.mozilla.org/blog/2014/11/19/promoting-choice-and-innovation-on-the-web/ (consulté le 13 août 2015) 95,50% 68,80%56,50% 14,30% 78% 1,30% 1,30% Quels sont les services de Google utilisés par ses utilisateurs ? Le moteur de recherche Gmail Google Drive Google + Youtube Google Calendar Blogpost
  • 42. 42 3.2% des sondés ont répondu « Autres » et ont détaillé leur réponses. Trois sondés citent le design et l’esthétisme du moteur de recherche. L’objet du moteur de recherche apporte un plaisir d’utilisation aux utilisateurs. La page d’accueil, simplissime et ergonomique du moteur de recherche est un critère de choix : elle ne présente qu’une barre de recherche, surmonté du logo de l’entreprise. Une seule action est possible, et l’utilisateur peut se passer de l’usage de la souris ou du pad, en tapant sur entrée. Le design apporte donc une facilité d’utilisation et la sobriété un plaisir d’utilisation. Deux sondés citent l’interopérabilité entre les différents services et les différents appareils. En effet, Google Inc. a conçu ses services pour qu’ils puissent tous fonctionner entre eux, et être disponibles sur toutes les plateformes et appareils utilisés. Le protocole SaaS qui permet d’avoir toutes ses applications (mail, traitement de textes, stockage de photos) au même endroit, en ligne, qui permet alors de se passer de la possession d’un terminal, est un critère d’utilisation et de satisfaction important pour les utilisateurs. Deux sondés citent également l’efficacité et la rapidité du moteur de recherche. Les utilisateurs recherchent un outil capable de répondre de manière rapide et efficace à leurs besoins. La performance est un critère de choix important, qui est également lié à la pertinence des résultats d’une requête. Les utilisateurs veulent que leurs besoins en information soient satisfaits rapidement et de manière pertinente, afin que les coûts de recherche (soit le temps passé à effectuer une recherche) soient les moins élevés possible. Un sondé cite également la personnalisation des requêtes comme critère de choix. Cet élément fait écho à l’hyper-personnalisation que propose Google en matière de recherche, grâce à l’utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Ainsi, ce sondé souhaite avoir accès à de l’information sur mesure, qui satisfait entièrement ses besoins selon ses préférences et ses intérêts. Enfin, à noter qu’un sondé explique ne pas connaître d’alternatives au moteur de recherche de Google. Le monopole de Google Inc. est tel que les internautes ne connaissent pas ses concurrents et ne sont pas capables de choisir entre plusieurs services. Cette situation de monopole sera examinée plus tard dans mon argumentaire.
  • 43. 43 Ainsi, une grande majorité des sondés utilise les services de Google Inc. et plus particulièrement le moteur de recherche de Google. Il est intéressant de noter que les critères d’utilisation sont d’abord liés à son utilisation qui est facile et ne nécessite pas de manuel d’emploi. De plus, la recommandation par les pairs est également un critère de choix : Google devient un point de repère pour toute une population donnée, et son utilisation ne fait pas débat au sein d’une communauté. L’utilisation de Google est standardisée et même institutionnalisée au sein d’une population, qui en fait un objet de référence commune. Enfin, la situation de monopole de Google comme moteur de recherche par défaut est également un critère d’utilisation dominant : les utilisateurs utilisent Google sans avoir auparavant étudié les différentes alternatives sur le marché. Les coûts de transaction liés à la recherche (de prospection, de comparaison, d’études de marché) sont totalement supprimés pour l’utilisateur. On peut donc remarquer que les critères d’utilisation de Google abaissent les coûts liés au temps pour l’utilisateur : le temps de recherche d’un autre moteur de recherche, le temps de compréhension de la plateforme, le temps de recherche de résultats pertinents, etc. La réduction de ces coûts rend Google satisfaisant pour les utilisateurs. Après ce premier tour d’horizon concernant les habitudes d’utilisation des services de Google Inc. par les sondés, il convient désormais de comprendre quelles sont les relations qui se jouent entre les utilisateurs de Google Inc. et l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’utilisation de leurs données personnelles. 72,10% 32,00% 58,40% 30,50% 3,20%0 Raisons des utilisations du moteur de recherche de Google Il est facile d'utilisation Tout le monde l'utilise, c'est standardisé Les résultats des autres moteurs de recherche ne sont pas aussi pertinents Il est installé par défaut sur le navigateur L'habitude
  • 44. 44 2. Les utilisateurs face à l’utilisation de leurs données personnelles Après avoir montré dans une première partie que les services de Google Inc. n’étaient pas gratuits pour l’utilisateur, car un échange de données personnelles s’effectuait entre l’utilisateur et l’entreprise, il m’est apparu évident de savoir si les utilisateurs étaient conscients de cet échange économique qui se jouait avec Google Inc. et de comprendre quelle était leur position par rapport à la gratuité des services et à l’utilisation de leurs données personnelles comme monnaie d’échange. - La position des utilisateurs par rapport à leurs données personnelles La vie personnelle est aujourd’hui quelque chose d’individuel, dont la définition collective est difficile à trouver. La vie privée peut être définie comme « le droit à être laisser tranquille et à être seul »72 , soit le droit de ne pas dévoiler des informations sur soi et de ne pas être importuné par autrui, que ce soit des individus ou des organisations privées. Ainsi, ce droit est de plus en plus revendiqué par les citoyens du monde, notamment en ce qui concerne l’environnement numérique. Selon l’enquête réalisée par PewResearch Center en mai 201573 , 90% des internautes américains veulent garder le contrôle sur leurs données privées, 40% d’entre eux n’approuvent pas le business model de Google Inc. et 66% ne font pas confiance aux moteurs de recherche. J’ai cherché à vérifier ces chiffres grâce à mon questionnaire. Je suis partie du postulat que tous les sondés sont donc conscients de l’utilisation de leurs données personnelles par Google Inc., et si ce n’était pas le cas, j’ai laissé entendre dans mes questions que l’entreprise collectait, traitait et exploitait les données personnelles de ses utilisateurs. Suite aux réponses, il en ressort que la majorité des sondés sont dérangés par cette pratique. 72 WARREN & BRANDEIS, « The Right to Privacy », Harvard Law Review, Vol. IV, No 5, le 5 décembre 1890. Disponible : http://groups.csail.mit.edu/mac/classes/6.805/articles/privacy/Privacy_brand_warr2.html (Consulté le 13 août 2015) 73 « American’s Atittudes about Privacy, Security and Surveillance », PewResearchCenter, 20 mai 2015. Disponible : http://www.pewinternet.org/2015/05/20/americans-attitudes-about-privacy-security-and-surveillance/ (consulté le 6 juin 2015)