1. Mini-revue
Panniculite mésentérique
Dominique Béchade, Jérôme Desramé,
Jean-Pierre Algayres
Service de Clinique médicale, hôpital du Val-de-Grâce, 74, boulevard de Port Royal,
75230 Paris cedex 05, France
<bechade.dominique@wanadoo.fr>
La multiplication des examens scanographiques abdominaux
conduit souvent à la découverte fortuite de lésions de panniculite
mésentérique. Leur signification, primitive ou secondaire à une
autre affection, notamment lymphomateuse, est un sujet de contro-
verses, faisant dès lors poser le problème de la nécessité d’une
enquête étiologique. En dehors d’un antécédent de chirurgie abdo-
minale ou d’un contexte carcinologique évolutif, la réalisation de
biopsies sous cœlioscopie ou sous scanner est indispensable. En
cas de négativité, une surveillance annuelle par scanner est recom-
mandée.
Mots clés : panniculite mésentérique, scanner abdominal, lymphome non
hodgkinien
L
a panniculite mésentérique (PM) est un processus inflammatoire
aspécifique rare, affectant le tissu adipeux du mésentère [1]. Les
lésions atteignent la racine du mésentère de l’intestin grêle, plus
rarement le mésocôlon [2] et exceptionnellement la région péripancréati-
que ou le pelvis [3]. Sur le plan nosologique, il vaudrait mieux parler de
mésentérite sclérosante qui regroupe trois types anatomopathologiques
en fonction du tissu prédominant et de l’ancienneté des lésions : la PM,
définie par des lésions inflammatoires aiguës ou subaiguës ; la lipodys-
trophie mésentérique, définie par une nécrose graisseuse et la mésentérite
rétractile, définie par une évolution chronique fibrosante [4, 5]. Pour des
raisons d’usage courant dans les publications, nous parlerons de PM,
cette entité mêlant à des degrés divers ces trois types anatomopathologi-
ques au sein d’une même lésion [5]. Le terme de PM a été proposé en
1961 par Ogden et al. [6]. Cette pathologie survient essentiellement au
cours de la sixième décennie [1, 5, 7], avec peut-être une prédominance
masculine (ratio = 1,8/1) [1, 8], non retrouvée dans une série de 49
patients [9] où la prédominance féminine était de 65 %. La physiopatho-
logie de la PM reste inconnue [4, 8, 9], bien qu’un mécanisme auto-
immun ou ischémique ait pu être suggéré dans un contexte de maladie de
système [9].
Circonstances de découverte
Les lésions peuvent être découvertes fortuitement chez des patients totale-
ment asymptomatiques : sur une série de 7 620 scanners abdominaux
réalisés pour une autre cause, une PM était décelée dans 49 cas, soit une
prévalence de 0,6 % [9]. Les manifestations cliniques sont dominées par
des douleurs abdominales, isolées ou associées à une diarrhée chronique
[4, 10], voire à une constipation dans les rares localisations rectosigmoï-
diennes où l’examen clinique peut mettre en évidence une masse abdo-
Hépato-Gastro, vol. 14, n°1, janvier-février 2007
Tirés à part : D. Béchade
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2. minale [4, 8]. La fièvre est fréquente, isolée et prolon-
gée [11], ou survenant dans un contexte d’altération
de l’état général ou d’atteinte systémique (arthralgies,
érythème noueux) [6]. Une complication peut être
révélatrice : syndrome occlusif [2], thrombose veineuse
mésentérique [12], perforation iléale [13] ou syn-
drome appendiculaire [14]. Les examens biologiques
sont normaux ou montrent un syndrome inflammatoire
[4, 9].
Diagnostic
Sur le scanner abdominal, les lésions sont localisées au
niveau de la racine du mésentère, avec une extension
fréquente vers l’hémi-abdomen gauche. Il s’agit le plus
souvent d’une masse unique [1] se présentant au mini-
mum comme une densification localisée de la graisse
de la racine du mésentère [15, 16]. Mais la PM peut se
traduire par une masse hétérogène, bien limitée, conte-
nant des plages de densité graisseuse variant de –28 à
–85 UH [9], supérieure à la densité de la graisse
sous-cutanée ou de la graisse rétropéritonéale (–105 à
–135 UH), avec des zones de densité tissulaire ou
liquidienne disposées en fines travées (figure 1). Les
zones non graisseuses sont en rapport avec des plages
de nécrose, de fibrose ou des structures vasculaires [1,
5, 17]. Des calcifications ponctuées secondaires à la
nécrose graisseuse sont parfois présentes [17]. L’injec-
tion de produit de contraste peut montrer un rehausse-
ment de densité des zones tissulaires [18], bien
qu’inconstamment retrouvé [9]. Des masses multiples
épaississant de manière diffuse le mésentère sont plus
rares [5, 7]. Le diamètre transversal moyen de la masse
graisseuse varie de 7 à 25 cm [1, 9]. La masse peut
envelopper les vaisseaux mésentériques expliquant le
possible développement d’une circulation collatérale
[4] ; les séquences d’angioscanner et les coupes coro-
nales sont utiles pour préciser les rapports vasculaires,
notamment avant chirurgie ou ponction (figure 2) [19].
Il existe souvent une préservation de la graisse autour
des vaisseaux mésentériques représentant le signe de
l’anneau graisseux, repéré dans 75 % des cas des
formes surtout inflammatoires (figure 3) [1]. Ce signe
est important pour distinguer d’autres lésions mésenté-
riques : lymphomes, tumeurs carcinoïdes, carcinoses
péritonéales et surtout liposarcomes lipogéniques qui
Figure 1. Masse hétérogène entourée d’une pseudocapsule.
Figure 2. Coupe coronale.
Figure 3. Signe de l’anneau graisseux.
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3. en sont constamment dépourvus [1, 4, 15]. Une pseu-
docapsule est décrite dans 50 % des cas (figure 1) [1].
Sabaté et al. [1] ont essayé de corréler les aspects
tomodensitométriques aux lésions anatomopathologi-
ques (tableau 1), indiquant que le signe de l’anneau
graisseux et la pseudocapsule disparaissaient dans les
formes fibrosantes de mésentérite rétractile. L’échogra-
phie abdominale apporte peu par rapport au scanner
[20].
L’aspect IRM est variable en fonction de l’intensité de la
composante inflammatoire [21-23]. D’une manière
générale, il s’agit d’une masse de signal intermédiaire
dans les séquences pondérées T1 et légèrement hyper-
intense dans les séquences pondérées T2 ; le rehaus-
sement est variable après injection de gadolinium. Les
séquences réalisées après saturation de la graisse
permettent de mieux distinguer les rapports entre la
masse et le tissu adipeux sain environnant et l’angio-
IRM apprécie les rapports vasculaires. A l’inverse de ce
qui est décrit au scanner, l’IRM permettrait d’observer
une pseudocapsule dans les lésions évoluées plus fibro-
santes [24].
La scintigraphie au 18-FDG, couplée au scanner abdo-
minal (PET-scan), serait utile aux diagnostics positif et
différentiel des formes fibrosantes de mésentérite
rétractile [25, 26] et aurait probablement un intérêt
d’orientation vers une pathologie maligne [26].
Recherche d’une étiologie
La recherche d’antécédents de chirurgie abdominale
est fondamentale dans la démarche étiologique des
PM. M. Daskalogiannaki et al. [9] les signalant chez
28 patients sur 49 (57 %). Dans cette même série [9],
les étiologies malignes, dominées par les lymphomes
non hodgkiniens (LNH), sont notées chez 34 patients
(69,4 %).
La présence de multiples ganglions au sein de la masse
peut constituer un élément d’orientation diagnostique
important (figure 4). Dans ce cas, la réalisation de
biopsies par voie chirurgicale cœlioscopique ou sous
scanner, en vu d’un examen anatomopathologique
avec immunomarquages, est indispensable. Des can-
Tableau 1. Données tomodensitométriques comparant la mésentérite rétractile
et la panniculite mésentérique chez 17 patients (d’après [1]).
Images TDM Mésentérite rétractile
(n = 5)
Panniculite mésentérique
(n = 12)
N % N %
Densité
Tissu mou plus dense que la graisse 5 100 0 0
Graisse plus dense que les tissus mous 0 0 12 100
Apparence de la masse
Homogène 3 60 0 0
Moins homogène 2 40 0 0
Hétérogène 0 0 12 100
Calcifications 1 20 1 8
Hypertrophie ganglionnaire 2 40 1 8
Effet de masse sur les anses intestinales 5 100 4 33
Effet de masse sur les vaisseaux 2 40 7 58
Envahissement de la racine du mésentère 1 20 6 50
Signe de l’anneau graisseux 0 0 9 75
Pseudocapsule 0 0 6 50
Envahissement rétropéritonéal 1 20 0 0
Figure 4. Présence de multiples ganglions au sein des lésions de
panniculite mésentérique.
Mini-revue
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4. cers extra-abdominaux sont également décrits [9], en
particulier du sein, du poumon et mélanomes. Onze
autres patients dans cette série présentent une patholo-
gie « bénigne », parfois difficile à rattacher formelle-
ment à la PM, en dehors des anévrysmes de l’aorte
abdominale retrouvés dans 3 cas. Les maladies de
système, notamment le lupus érythémateux aigu dissé-
miné, sont rarement associées à une PM [27, 28].
Parmi les autres pathologies non néoplasiques, citons
des observations de tuberculose ganglionnaire mésen-
térique [29] et des observations de PM symptomati-
ques au cours d’un déficit immunitaire commun varia-
ble [30], du syndrome d’immunodéficience acquise
[31] ou des rejets de greffe d’intestin grêle [32] : ces
observations ont pu conforter l’hypothèse d’un méca-
nisme immunologique à l’origine de cette affection [33].
Enfin, comme dans 4 cas de la série de Daskalogian-
naki et al. [9], la PM peut être isolée ; dans ce cas, une
surveillance clinique et tomodensitométrique annuelle
est souhaitable.
Traitement
En dehors du traitement spécifique de la cause, le
bénéfice des traitements associés n’est pas formel :
corticothérapie (1 mg/kg/jour) [1, 34], seule ou asso-
ciée à la colchicine (1 mg/jour) [35] ; progestérone
orale (10 mg/jour pendant 6 mois) [36] ou immuno-
suppresseurs (azathioprine, cyclophosphamide) [34,
37]. En l’absence de pathologie néoplasique associée,
le pronostic est dominé par le risque de complications
mécaniques propres à la PM, en notant cependant que
des évolutions spontanément favorables ont pu être
décrites [1, 9, 38].
Conclusion
La PM est une pathologie complexe, rare et mal
connue, pour laquelle les manifestations cliniques sont
très variables. L’analyse précise des données tomoden-
sitométriques, et probablement du PET-scan, est utile au
diagnostic positif et différentiel avec les pathologies
malignes du mésentère. Au vu des données de la
littérature, la biopsie des lésions de PM peut aider au
diagnostic, mais le bénéfice escompté doit être mis en
balance avec les risques inhérents à la procédure,
notamment en cas d’antécédent de chirurgie abdomi-
nale ou dans un contexte carcinologique évolutif.
Une surveillance clinique et tomodensitométrique
annuelle doit être recommandée dans les cas de PM
isolée.
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En résumé
• La panniculite mésentérique est un processus inflammatoire
aspécifique rare, affectant le tissu adipeux du mésentère.
• L’aspect tomodensitométrique correspond le plus souvent à une
masse unique se présentant au minimum comme une densification
localisée de la graisse de la racine du mésentère.
• Les principales étiologies sont la conséquence d’une chirurgie
abdominale, les lymphomes non hodgkiniens, des cancers extra-
abdominaux (sein, poumon et mélanomes) et plus rarement un
anévrysme de l’aorte abdominale ou une maladie de système,
notamment le lupus érythémateux aigu disséminé.
• Quand la panniculite mésentérique parait isolée une sur-
veillance clinique et tomodensitométrique annuelle est
souhaitable.
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