La dimension de mobilité est devenue constitutive des organisations du travail. Le métier repose sur une logique de flexibilité. dimension communautaire C’est dans les fablabs, infolabs et laboratoires de coworking que se réinventent un travail créatif et collaboratif et une forme de maîtrise de l’emploi...
La politique sociale francaise tiraillée de toutes parts !
Les Mégavilles du travail ou comment réinventer le travail qui fait ville ?
1. Libération Mardi 23 Juin 2015
Les mégavilles du travail
ou les nouveaux
Panopticon
Après l’urbanisme fonctionnel des quartiers
d’affaires, de type La Défense, peut-on faire
encore pire? Il semble que oui.
L’
électronicien chinois
Huawei a installé à
Shenzhen un campus
de 30000 employés, bref une
usine à travail. Le Campus 2 d’Ap-
ple à Cupertino, projet livrable
en 2016, hébergera moitié moins
d’employés, mais dans un seul
bâtiment 100% circulaire.
D’aucuns y ont vu l’image du Pa-
nopticon, espace carcéral ima-
giné par Jeremy Bentham au
XVIe siècle. Il manque juste le mi-
rador central pour surveiller tous
les employés simultanément
dans la logique d’efficience prô-
née par le philosophe anglais. Il
ressemble étrangement au Centre
des communications (Govern-
ment Communications Head-
quarters, lire espionnage) britan-
nique. Allez savoir pourquoi!
Le projet pharaonique de Face-
book City n’en est qu’aux ma-
quettes, tandis que Google se dis-
pute avec LinkedIn les terrains
de Mountain View pour étendre
son Googleplex. Googleplex!
Google a ainsi popularisé cette
figure réconfortante de l’immo-
bilier massif de bureau, où le
travailleur –tellement cocooné
par des ressources gratuites n’a
plus de raisons de rentrer chez
lui. Constant dans cette logique
de l’enfermement, Google a
même inventé les bus de travail
qui desservent son siège.
Question de productivité au nom
de l’attention portée à l’employé.
Mais où nous mènent ces
mégavilles du travail et leur phi-
losophie paternaliste? Est-ce là
le devenir du travail et de la ville?
La prochaine génération des
quartiers d’affaires ressemblera-
t-elle à La Défense? En pire, car
nous y passerions toutes nos vies,
tant professionnelles, sociales
que personnelles. L’abomination
de l’urbanisme fonctionnel peut-
elle être encore dépassée? Est-ce
là le futur de l’immobilier d’en-
treprise? Qu’est-ce cela raconte
de la transformation du travail,
de l’emploi, des métiers et de leur
place dans le quotidien de la
ville? Qui osera tuer le «bureau»
et le «quartier d’affaires» pour-
réinventer le travail qui fait ville?
Les prochaines sélections du
projet Réinventer Paris (1) et de
ses 23 sites (nombre d’entre eux
intègrent le travail) apporteront
un éclairage sur le sens de l’his-
toire. Les choix du Grand Paris
quant à ses gares futures seront
un autre baromètre de la capacité
de la société à entendre des
transformations; tant la dimen-
sion de mobilité est devenue
constitutive des organisations du
travail, avec des boulets de deux
heures vingt de déplacement
par jour pour les commuters de la
seconde couronne francilienne,
ou encore avec les 240% de taux
d’occupation que connaît le
Transilien à certaines heures de
pointe. Quand le travail quitte ses
oripeaux fordistes; quand l’acti-
vité professionnelle se démem-
bre dans le temps pour meubler
aussi parfois des soirées et des
week-ends; quand le métier re-
pose sur une logique de flexibilité
au risque de l’envahissement de
tous les espaces, domicile com-
pris; quand le travail est là où
est le smartphone, c’est sans
conteste une invitation à tuer le
concept de bureau et à inventer
un autre travail et la ville qui va
avec. «La vie, l’amour sont précai-
res, pourquoi le travail ne le se-
rait-il pas?» Laurence Parisot a
une manière expéditive de dia-
gnostiquer l’évolution du travail.
Il s’agit en fait de prendre la me-
sure d’un glissement de certitude
d’emploi forgé dans un siècle de
taylorisme à un contrôle par soi-
même de son propre travail. La
génération mutante des «sans
bureau fixe» admet qu’une forme
de précarité est en train de s’ins-
taller dans l’emploi. Cela ne l’em-
pêche pas d’apporter des répon-
ses à considérer avec attention.
L’autonomisation des pratiques
n’y est pas exclusive d’une di-
mension communautaire des
pratiques. C’est même justement
là, dans les fablabs, infolabs et
autres laboratoires de coworking
que se réinventent un travail
créatif et collaboratif et une
forme de maîtrise de l’emploi.
Manifestement, la cause s’entend
dans les grandes villes, Paris en
tête, mais pas du tout dans
les périphéries, qui en ont
pourtant un besoin ardent.
Reste la question de l’urbanité
du travail, c’est-à-dire la manière
qu’a la ville d’accueillir ses
travailleurs, d’en intégrer les
sociabilités, d’accompagner
les porosités entre les sphères
personnelles, sociales et profes-
sionnelles, de façonner les
passerelles entre le monde du
quotidien et le temps du travail,
de casser définitivement les
bunkers de bureaux.
Ce difficile équilibre reste à
construire. Il est une des clés
du travail qui fait ville.
(1) www.reinventer.paris
Dernier ouvrage paru:
«Sans bureau fixe», FYP éditions (2013).
DR
Par
BRUNO
MARZLOFF
Quand le travail
quitte ses oripeaux
fordistes, quand le
travail est là où est
le smartphone, c’est
sans conteste une
invitation à tuer le
concept de bureau
et à inventer un
autre travail et la
ville qui va avec.
Sociologue
spécialisé sur
les questions de mobilité.