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1971-1973

                      Jean-Jacques Barbot • Restaurateur



J   'habitais St Lô.
    Mon père travaillait dans la haute métal-
lurgie et sur les plateformes ! La voie de cuisi-
nier est donc issue d'une passion innée quand
j'étais en 6e. Une vraie vocation survenue sans
explication.

Avec mon ami Larsonneur qui la partageait,
nous voulions entrer à Thonon. Notre provi-
seur de CES ricanait, jurant qu'on ne serait
jamais pris. Et pourtant nous avons réussi, et
malgré une grève des trains qui nous a obligés
à faire St-Lô-Thonon-St-Lô et passer l’exa-
men en une seule journée et deux nuits !

Nous formions des classes d’une vingtaine           connaître : nous apprenions toutes les facettes
d’élèves, sans filles, avec des cuisines qui         du métier de l’hôtellerie et de la restauration
étaient assez obsolètes, encore au charbon.         et choisissions bien nos spécialités en connais-
Mais nous vivions dans une                          sance de cause !
excellente ambiance, et aux côtés de
quelques grandes " figures », comme                  J’ai ensuite eu la chance d’enchaîner quantité
le responsable de la buanderie qui                  de grandes maisons : l’Oustau de Baumanière
                                                    (où j’ai servi la Reine d’Angleterre, le Shah
nous amusait tant, avec son fort
                                                    d’Iran, le président Pompidou…), le Grand Vé-
accent des pays de l’est.                           four, Prunier et Taillevent, avant d’entrer à
                                                    l’Élysée pour mon service militaire, et d’y res-
Et ce qui était formidable aussi, c’est que nous
                                                    ter ensuite en tant que cuisinier civil.
passions par tous les services. Nul ne pouvait
                                                    Forcément une expérience à part, avec des
renoncer à une voie sous prétexte de ne pas la
                                                    réceptions hors normes et aussi des voyages
                                                    où il nous fallait gérer la cuisine et les repas
                                                    selon les pays, les invités, et leurs cultures.

                                                    Après quelques Relais & Châteaux, une chef
                 C’est                              pâtissière est devenue la femme de ma vie,
         ainsi que j’ai fait ma                     et nous nous sommes mis à notre compte en
         plus belle rencontre :                     1989 en ouvrant l’Alambic à Vichy, où nous
                                                    vivons heureux avec une douzaine de couverts
     Sa Sainteté Jean-Paul //                       midi et soir.
    qui me fit même l’honneur d’un
        échange personnel que
         je n’oublierai jamais.
1960-1963

                           Gérard Barnier • Restaurateur




P    etit-fils de restauratrice et fils de
     restaurateur, j’ai pris la suite parce que
j’ai baigné dedans…
Mais j’étais content : c’était mon univers, et
j’ai même du faire jouer les relations pour                                 Parmi
obtenir une dérogation car je n’avais que 15                         les anecdotes, j’ai
ans quand il fallait en avoir 16, sans oublier                     celle de la lingerie, où
l’année où je me suis cassé la jambe, et j’ai du              j’étais de corvée régulièrement
redoubler !                                                 : on faisait exprès d’allonger les
Ce redoublement m’a valu d’échapper aux
brimades réservées aux 1e année : quand j’ai
                                                            maillots en les repassant, comme
redoublé, j’étais en 1e année mais en même                   ça les "copains" se retrouvaient
temps cela faisait 2 ans que j’étais là…                         avec des tricots d’ 1 m 50
                                                                    de haut : ridicules !
On avait choisi Thonon pour sa réputation et
jamais je n’ai regretté. Je garde des souvenirs
mémorables de M. Romanet, « Mimile »,
avec qui tout le monde filait doux mais qui en
même temps était si gentil avec chacun, tout
comme M. Pinget.
                                                     Et comme mon père s’est tout de suite beaucoup
                                                     impliqué dans le COJO, il fallait quelqu’un
Et puis en 3e année nous étions « internes
                                                     pour le remplacer à l’hôtel familial, alors je
externés ». Je logeais en ville en colocation avec
                                                     suis venu immédiatement. Par la suite on a
des camarades (Bonnaz, Viandoz, Gomez… on
                                                     fait des transformations, acquis des étoiles,
était 8 en tout !) et de temps en temps le
                                                     creusé une piscine qu’on a ensuite couverte,
SurGé de l’école venait nous voir. Un jour ce
                                                     etc. Mais cela n’a plus rien à voir avec l’école.
fut assez chaud, car on avait rapporté des
bouteilles du dîner en l’honneur des hospices
de Beaune… et il les a trouvées..                    L’important pour moi est de dire à quel
                                                     point je dois ma vie professionnelle
Après ce sont les Jeux Olympiques qui ont            à l’école hôtelière de thonon, car elle
décidé pour moi. J’avais un poste tout désigné       m’a enseigné toutes les valeurs, non
sur le paquebot Le France quant Grenoble a           seulement de ma vie mais que j’ai
été désignée ville olympique.                        transmises à mes employés.
1966-1969

                 Pierre Basille • Management de restauration



T    oute ma famille baignait peu ou prou
     dans la restauration et je voulais être
steward. C’est pourquoi j’ai privilégié Thonon,
hélas la section a été annulée. Je pensais opter
pour la spécialité cuisine et j’ai obliqué vers la
réception et toute ma carrière s’est faite dans              Comment chasser de ma
le management.                                            mémoire le jour où M. Romanet
Je débarquais de ma 3e et j’ai trouvé le bizu-
                                                               a laissé deux doigts
tage un peu lourd parce que même si ce n’était              dans le hachoir à viande
pas méchant, ça durait des mois et des mois.                   parce que l’élève qui
Et même dehors : par exemple si on allait à                 le manipulait n’allait pas
La Pinte au lieu d’aller Chez Zinette, il fal-                      assez vite !
lait payer la tournée. Cela dit nous étions très
solidaires dans notre promo et durant les trois
années.

Parmi les profs j’ai de grands souvenirs aussi,
bien sûr. Tel M. Ravinet, dit « Bambam », en
anglais, qui pour l’orthographe avait des trucs
mnémotechniques que je n’ai jamais oublié et
m’ont beaucoup servi.                                Plus tard, que ce soit chez Mövenpick,
Toujours en cuisine, le jour de l’examen je          Accor ou dans tous autres établisse-
devais faire des choux à la Chantilly et on          ments, j’ai recruté des stagiaires et
m’a passé la Maïzena au lieu de la farine ;          employés de plusieurs écoles.
évidemment la Chantilly ne montait pas mais          Eh bien, sans chauvinisme et très
le chef Charpin s’est aperçu de la mauvaise
blague et m’a aidé à récupérer l’affaire…
                                                     honnêtement, je n’ai jamais été déçu
                                                     par un ancien de Thonon !
Et puis M. Robert, notre prof de sport, à qui
je dois d’avoir porté la flamme olympique en
1968 ! Sur un petit parcours, certes : juste le
sentier du Grand Corzent, mais ce fut quand
même un grand honneur d’avoir été choisi
pour cela !

M. Boisier aussi, surveillant général très
craint mais qui en réalité avait très bon cœur
et savait faire la part des choses et prendre
la défense des élèves s’il le fallait.
1963-1966

           Jean-Pierre Battin • Chef de cuisine puis formateur



J   ’avais choisi Thonon pour sa filière
    steward… qui fut supprimée, alors j’ai pris
cuisine.
L’ambiance était excellente, avec une grande
solidarité. On travaillait souvent en équipe de
deux niveaux de classe, et les plus âgés fai-
saient des blagues aux plus jeunes.
Le cours de « cru des vins » à 8h du matin
était un grand moment ! Après avoir dégusté,
nous étions très mal pour l’éducation physique
à 10h ! Je me souviens aussi de M. Romanet,
pâtissier, qui prenait à mains nues des char-      Recueilli à Feurs, j’ai répondu à une annonce
bons ardents pour travailler le sucre.             originale : pour être cuisinier personnel d’un
Mais surtout, ces études m’ont                     milliardaire américain. Le jour où je l’ai ren-
apporté une rare polyvalence grâce                 contré (son avion et son hélicoptère privés
à la variété des matières, qui rendait             m’avaient emmené dans sa résidence aux
                                                   Bahamas), il avait Neil Armstrong comme
la formation très riche.
                                                   invité ! Et j’ai vu passer des dizaines d’autres
                                                   personnalités. Comme il avait des propriétés et
Après un an à Ville d’Avray, je suis parti
                                                   des yachts partout, j’ai recruté plusieurs cuisi-
en Australie. Si j’ai pu avoir du travail là-
                                                   niers et suis devenu son « conseiller culinaire
bas, c’est en bonne partie grâce à Mme Rebet,
                                                   » car il était diabétique et je devais veiller à
qui nous avait donné d’excellentes bases en
                                                   tout ce qu’on lui préparait.
anglais…
                                                   Lorsqu’il est décédé, je suis devenu formateur
De retour après 5 ans, j’ai postulé chez la
                                                   au Touquet, où j’ai retrouvé M. Hetzel que
Mère Brazier, au Col de la Luère, et y suis
                                                   j’avais eu à Thonon. Il m’a poussé à devenir
allé en taxi ! Elle a vu ça d’un très mauvais
                                                   professeur. Et à l’oral de l’examen, il y avait
œil, me disant que si à mon âge je commen-
                                                   dans le jury le fils de M. Saulnier, mon ancien
çais déjà à gaspiller mon argent… mais bon,
                                                   prof de cuisine !
comme j’avais une cravate et un beau cos-
tume, elle m’a testé, observé, et gardé jusqu’à
ce qu’elle décide de s’arrêter, un an plus tard,
me laissant une belle expérience !                             ...j’ai répondu à une
                                                            annonce originale : pour
                                                          être cuisinier personnel d’un
                                                             milliardaire américain.
                                                           Le jour où je l’ai rencontré
                                                          (son avion et son hélicoptère
                                                        privés m’avaient emmené dans sa
                                                           résidence aux Bahamas),
                                                            il avait Neil Armstrong
                                                                   comme invité !
1958-1961

                            Alain Béchis • Restaurateur



F  ils de cheminot, j’étais attiré par la
   restauration et l’école de Thonon était la
mieux cotée.
J’ai un souvenir impérissable de Mme Robet,
jeune professeur d’anglais. Ses cours étaient
sûrement très bien… mais je n’ai jamais eu de
bonnes notes car elle était si belle que je la
regardais plus que ne l’écoutais !
Et puis M. Chevalier qui avait toujours une
aiguille et piquait les fesses de ceux qui ne
faisaient pas les choses correctement ;
                                                   C’est à l’école que j’ai rencontré une jeune fille…
M. Romanet aussi, un véritable colosse, mais
                                                   que j’ai mise enceinte à 17 ans ! Le proviseur
ultra-sensible. Enfin il y eut cet événement
                                                   était furieux, nous reprochant de mettre en
incroyable du décès subit de M. Desgranges en
                                                   péril la réputation de l’établissement. Nous
cuisine en plein service : le temps qu’on finisse
                                                   avons donc vite « régularisé la situation »…
notre travail, on avait allongé son corps sur le
                                                   et venons de fêter nos 50 ans de mariage !
marbre à pâtisserie !
                                                   Avec les anciens, nous nous rencontrons tous
                                                   les deux ans depuis plus de 20 ans ! Il en
L’ambiance était bonne mais les brimades
                                                   vient de partout, même de Nouvelle-Calédonie
envers les bizuths duraient toute l’année,
                                                   comme André Glantenet qui y est aumônier
au point que certains se décourageaient et
                                                   de prison ! J’ai aussi connu Henri Tachdjian,
quittaient l’école.
                                                   plus connu sous son pseudonyme de chanteur
                                                   Henri Tachan.

            J’ai un souvenir                       À dire vrai je ne tenais pas à être cuisinier
                                                   : je voulais être en salle pour le costume, le
     impérissable de Mme Robet,                    contact… et les pourboires ! Et puis un jour j’ai
      jeune professeur d’anglais.                  dû remplacer quelqu’un en cuisine, et y suis
 Ses cours étaient sûrement très bien...           resté.
 mais je n’ai jamais eu de bonnes notes            Après 7 ans au Casino de Divonne, j’ai
     car elle était si belle que je la             ouvert Le Pirate à Ferney-Voltaire, d’abord
             regardais plus                        dans un petit endroit puis dans un lieu où
                                                   nous pouvions servir jusqu’à 200 couverts,
           que ne l’écoutais !                     avec 47 employés dont 20 en cuisine.
                                                   Nous l’avons vendu en 2000, notre fille ne
                                                   souhaitant pas prend la suite.
                                                                    prendre
1985-1987

            Jean-Michel Bellemin • Pâtissier puis enseignant



C   e sont ma grand-mère et ma mère qui m’ont
    donné le goût de la cuisine, où elles excel-
laient. J’ai d’abord fait un CAP à Challes-
les-Eaux, puis suis entré à Thonon pour aller
jusqu’au BTH.

C’était un vrai dépaysement, avec des trajets en
train interminables mais la beauté du Léman
à l’arrivée, la vie en internat, les discussions
sans fin, le foyer où le Top 50 résonnait
à chaque pause… et les filles. M. Marquis
disait qu’elles agissaient sur notre motivation
au printemps lorsqu’elles sortaient leurs mini-
jupes !
                                                   Mais c’est avec MM. Guillemard et Sueur
Les cours généraux étaient excellents, avec des    que j’eus ma révélation : je serais pâtissier !
professeurs toujours présents pour aider, et       M. Sueur m’a poussé jusqu’à la finale Lycée
j’en ai bien profité puisqu’étant passé directe-    du Championnat de France des Desserts. Et
ment du niveau de 3e (CAP) à la classe de          cela a achevé de me convaincre que j’avais
1e, j’avais du retard à rattraper !                trouvé ma voie. Alors après l’obtention de mon
Les TP étaient également passionnants, avec        BTH je suis retourné à Challes-les-Eaux pour
la notion d’entraide en plus, que tout le monde    le CAP de pâtissier.
pratiquait et qui soudait les équipes et promos.
J’ai de grands souvenirs de Mme Joubert et         J’ai passé une dizaine d’années dans des pâ-
M. Gardette qui officiaient en Réception, et de     tisseries savoyardes avant de me tourner vers
MM. Barenqui, Casassus, Cassani, Forneris,         l’enseignement, d’abord privé pour l’associa-
Hetzel, Masgonty et bien d’autres…                 tion Belle Étoile à l’Arlequin de Montmélian.
                                                   Et j’étais en même temps – et depuis 1995 –
                                                   jury pour les bac pro Cuisine et Pâtisserie.

                                                   De fil en aiguille, après quelques remplace-
        Mais c’est avec MM.                        ments ici et là, j’ai fini par passer le concours
   Guillemard et Sueur que j’eus ma                et suis entré dans l’enseignement public.
    révélation : je serai pâtissier !              J’exerce à Bellegarde, heureux d’avoir
                                                   des jeunes autour de moi et de leur
                                                   transmettre mon savoir, qui ne serait
                                                   pas ce qu’il est si je n’avais pas
                                                   bénéficié des innombrables talents de
                                                   l’École de Thonon.
1970-1973

                      Antoine Berger • 5 ans chef de rang...
                                   puis gérant d’un JouéClub




J  ’étais en 3e quand un garçon m’a parlé de
   son école hôtelière et je me suis dit : « c’est
ce que je veux faire ! » Surpris car étrangers
à ce milieu, mes parents m’ont envoyé faire
la plonge dans un restau du coin. Comme je
n’ai pas rechigné, ils ont enquêté et inscrit à
Thonon, pour sa réputation.

Je n’avais pas d’ambition hormis que
l’hôtellerie n’était pas touchée par le chômage            À part des profs il y avait de
et permettait de voyager. Sinon je me sentais          grandes figures, telles M. Boisier,
plutôt fait pour la salle et non la cuisine.
                                                     le surveillant général, plutôt terrorisant
La 1e année fut difficile à cause des brimades         en 1 ère année, pour ensuite se montrer
des anciens : on m’appelait « la forte tête              sympathique et attentif à chacun.
» et j’ai subi un premier trimestre de folie
furieuse. En même temps, les 3e année nous
ont beaucoup protégés quand ils ont fait leur
grève : ils nous mettaient au fond du préau
pour qu’on ne soit pas les premiers punis. On        Je donne un quitus total sur la qualité des
a quand même tous été renvoyés et l’affaire fit       profs pour une raison particulière : il y en
grand bruit jusque dans les médias nationaux.        a une qui dénotait dans le paysage, n’avait
Sinon l’ambiance était excellente, solidaire         ni attention ni tolérance, n’acceptait aucune
entre tous, surtout les 1e et 2e années, et au       excuse et se fichait qu’on soit en rade. Je ne
sein de l’internat où nous organisions quelques      dirai pas de nom mais serais étonné qu’elle
nuits de fête assez mémorables !                     soit restée longtemps car elle ne collait pas à
                                                     l’image de Thonon !
                                                     À part des profs il y avait de grandes figures,
                                                     telles M. Boisier, le surveillant général, plutôt
                                                     terrorisant en 1ère année, pour ensuite se
                                                     montrer sympathique et attentif à chacun.

                                                     Je retiens de l’école d’avoir été opé-
                                                     rationnel tout de suite, grâce à un
                                                     stage qui m’avait beaucoup appris,
                                                     et à notre prof d’anglais qui a placé
                                                     plusieurs élèves dans des établisse-
                                                     ments de très haut rang en Grande-
                                                     Bretagne.
                                                     Je n’ai fait que 5 ans d’hôtellerie avant de
                                                     reprendre la boutique JouéClub de mes parents,
                                                     mais même dans ce cadre j’ai utilisé ce que
                                                     j’avais appris à Thonon : la rigueur, la tenue,
                                                     le comportement, la discipline et la gestion.
1992-1997

                          Alexandre Blanc • Chef, Patron
               du restaurant L’Arbre Blanc à Chevagny-les-Chevrières




T    rès jeune, j’étais conditionné pour être
     dans la restauration : mon père, son
maître d’hôtel, avaient fait l’École, une des
plus réputées de France : j’ai toujours voulu y
aller, et j’ai eu la chance d’être accepté…
En sortant de l’enseignement général, ça fait
quelque chose : plus d’heures de travail, le
port de la cravate imposé… Au début c’est un
peu dur ! Mais rétrospectivement on se rend
compte de tout ce que ça a apporté.

Je suis arrivé en 2de, en béquilles à cause
d’un accident de ski ! Les premiers travaux
pratiques, en béquilles, c’était pas évident… Je
n’étais pas un élève très studieux au collège,
mais à Thonon je me suis révélé !

Après mon BEP de cuisine, je voulais laisser
tomber les études et continuer sur le tas. Et puis,
pendant l’été, le boulot dans un restaurant m’a       Dans l’équipe d’été de l’École hôtelière, je
montré que ce n’était pas si évident que ça…          me suis retrouvé pendant un mois valet de
Du coup je suis retourné vers l’École qui m’a         chambre ! C’était dur, ça tournait beaucoup,
réintégré dans le BEP restaurant, avant de            fallait pas traîner. Un des moments les plus
repartir vers une 1e d’adaptation et le bac…          durs de ma carrière, tout le monde fuyait ce
Finalement ça m’a permis de toucher à tout.           boulot assez physique !
L’ambiance était super. On était insouciants ;        On passait à tous les services, à la plonge,
pour la plupart d’entre nous c’était le début de      etc., c’était très formateur. Tous les week-ends
la liberté. On se retrouvait après les cours, les     une classe était bloquée pour faire tourner le
week-ends, on faisait des repas chez les uns          restaurant de l’hôtel : c’est là qu’on apprenait
les autres, on allait réviser au bord du lac…         le plus, on se rendait vraiment compte de ce
C’était un cadre magnifique !                          qu’était la restauration.

                                                      La rigueur, l’intégrité de certains
                En sortant de                         profs continuent de m’inspirer. Pour
                                                      moi, un chef, c’est ça. L’École m’a
          l’enseignement général,                     transmis la passion pour le métier
        ça fait quelque chose : plus                  et la diversité de ses aspects. Je suis
       d’heures de travail, le port de                nostalgique de cette époque, les plus
            la cravate imposé...                      belles années de ma vie.
        Au début c’est un peu dur !
       Mais rétrospectivement on se
         rend compte de tout ce que
                ça a apporté.
1959-1962

                           Georges Blanc • Restaurateur



C   e centenaire revêt pour moi un intérêt
    tout particulier… car c’est aussi mon
cinquantenaire ! C’est en effet en 1962 que
                                                   Je rêvais d’aventure et de voyages, et en
                                                   sortant j’ai donc tout fait pour être steward,
                                                   mais les dépaysements furent plutôt décevants
je suis sorti de l’École (Major de Promotion,      car la préoccupation majeure était de rapatrier
ndlr).                                             les Français d’Algérie, donc je ne faisais
                                                   quasiment que des « navettes »… mais en
À l’époque il y avait 6 ou 7 écoles mais           Caravelle, tout de même !
choisir Thonon était évident. D’abord pour sa      J’espérais obtenir une base aérienne pour
réputation, et la proximité avec l’établissement   mon service militaire et cela ne se fit pas…
familial lancé à Vonnas par ma grand-mère.         mais beau lot de consolation : je fus affecté
M’envoyer dans une école semblait saugrenu         à la cuisine du porte-avions Clémenceau. J’ai
à beaucoup de restaurateurs. Pour eux, la          d’ailleurs gardé des attaches privilégiées avec
cuisine s’apprenait sur le tas : en cuisine        son amiral jusqu’à son décès.
et nulle part ailleurs ! Et ils raillaient mes
parents de cet argent pour eux « jeté par les      Nous sommes une vingtaine de la promo 62
fenêtres ».                                        à être restés en contact, et nous réunissons
                                                   tous les ans en décembre dans mon restaurant.
Mais c’est faux, je peux assurer que j’ai
appris énormément de choses, avec des              Après mon service, je suis revenu très vite
professeurs passionnés et de qualité, même         dans la maison familiale : mes parents
l’anglais grâce à l’excellent M. Ravinet. Mes      étaient âgés et mon père très occupé comme
stages (notamment à La Réserve à Beaulieu-         maire. J’ai repris l’affaire en 1968, à
sur-Mer, et à Divonne) furent aussi très           seulement 25 ans. Il y avait alors 7
enrichissants.
Et je garde un souvenir très particulier des
                                                   employés… aujourd’hui plus de 250
Accords d’Évian, que nous avons suivis de          ! Ma grand-mère avait acquis ses
très près avec les ballets d’hélicoptères, les     deux étoiles en 1929 et 1931, j’ai
limousines et les centaines de CRS et motards.     obtenu la troisième en 1981.




                                     J’espérais obtenir
                                   une base aérienne pour
                                  mon service militaire et
                                     cela ne se fit pas...
                               mais beau lot de consolation :
                                 je fus affecté à la cuisine
                                      du porte-avions
                                        Clémenceau.
1947-1950

                    Jean Blanc • Concessionnaire automobile



N     ous habitions St-Claude dans le Jura
      et Thonon était l’évidence lorsque ma
mère m’orienta vers l’hôtellerie. Cette idée lui
venait du fait que j’aidais assez souvent et
avec grand plaisir mes tantes qui tenaient
des cafés et restaurants. Et quand je suis venu
en visite avec elle à Thonon et que j’ai vu le
magnifique bâtiment (il ne datait que de 10
ans auparavant) et le lac en contrebas, j’ai été
totalement séduit.

Passer à l’internat ne m’a pas posé de
difficultés, nous nous sommes vite liés selon
les régions ou autres critères et l’intégration
s’est bien passée.

Je préférais la réception et la salle à la cuisine,
mais de tous les profs je ne me souviens
d’aucun nom, à part Antonietti bien sûr. Je           En sortant j’ai obtenu non sans mal un poste
passais tous mes week-ends et vacances à              de chef de salle au Trocadero à Londres ; puis
faire des extras et des stages chez lui, ou au        avec mon ami Perotton nous sommes allés
Casino d’Évian.                                       à Fez, où nous nous occupions quasiment
En revanche tous appliquaient une discipline          de tout dans les palaces Palais Jamaï et La
infaillible et étaient d’une grande disponibilité.    Mamounia.
Je ne mesurais pas leurs compétences, mais
nul doute que leur enseignement était reconnu         La formation de l’École était vraiment
car lorsque l’on sortait de Thonon, on était          très complète, bien au-delà des
pris quasiment n’importe où.                          métiers de la restauration. Et comme
Ensemble 24h/24 à cause de l’internat,                j’en ai fait très peu de temps pour m’orienter
nous constituions une grande famille où               sur les concessions et stations-services, je peux
régnait une autorité parfaitement acceptée par        témoigner que les cours de gestion, comptabilité
les élèves. Car en même temps les profs nous          et autres m’ont été bien utiles… et même dans
témoignaient beaucoup de respect ; et nous            mes fonctions de maire, pendant 24 ans.
qui étions pour la grande majorité issus de
familles d’hôteliers, nous étions totalement à
l’écoute et avides d’apprendre le métier de nos
parents.
                                                             Et quand je suis venu en visite
                                                           avec elle à Thonon et que j’ai vu
                                                                  le magnifique bâtiment
                                                           (il ne datait que de 10 ans aupa-
                                                             ravant) et le lac en contrebas,
                                                                j’ai été totalement séduit.
1980-1983

              Gilles Blandin • Professeur de cuisine à Thonon.
                                  MOF 2000. Savoyard.




M        otivé par la cuisine et la pâtisserie
         depuis mon adolescence et grâce aux
efforts de mes parents issus d’un milieu mo-
deste je rentre au LTH et obtient un Brevet de
Technicien Hôtelier.                                                En 1982
                                                                    E
Le LTH c’était un enseignement très diversifié,
exigeant qui m’a donné une vision globale de
                                                            M. Guy Lacroix chef des
l’hôtellerie. Je me souviens de tout le monde,          travaux m’envoie en stage après de
des proviseurs M. Bernard (1980 1981 ),               minutieuses recommandations dans le
Mme Grangé (1981-1983) ; du Chef des                  restaurant gastronomique où il a per-
travaux, M. Lacroix ; des CPE M. Gaillard              sonnellement fait son apprentissage.
et M. Le Dilasser . Et biensûr de mes princi-
paux professeurs : M. Robert, M. Chappuis,
M. Saunier, Mme Joubert, M. Forneris, M.
Lequeux, M. Marquis, M. Haas, M. Lau-
gier, M. Guillemard, M. Sueur, M. Cassani,          C’est le début de mon expérience profession-
M. Furlan, M. Giusti, M. Gras, M. Garnier,          nelle de 20 ans en gastronomie auprès de
Mme Bokhami, M. Perrot, M. Carrano , M.             Mr Billoux, Mr Lacombe, Mr Cressac, Mr
Prim, Mme Richard, Mme Colle…                       Henri-Roux, Mr Pérardel, Mr Alain Du-
                                                    casse.
Dans notre classe il y avait des élèves de toute    L’art culinaire avec sa part de créativité est
la France, des Internationaux, peu de filles.        ma grande passion.
M. Robert le prof de sport savait extirper de       Sur les conseils de Mr C. Malhomme MOF
l’être humain le meilleur : le respect, l’esprit    ébéniste et MOF menuisier je m’inscris au
d’équipe, la motivation, le dépassement de soi…     concours du Meilleur Ouvrier de France cui-
Les casse-croûtes à l’internat avec la chambrée     sine, je suis lauréat à la Sorbonne en 2000.
(mon numéro d’interne était le 290). Chacun         En 2002, après l’obtention du CAPET, je
apportait des produits artisanaux que nous          reviens à Thonon avec beaucoup d’émotion
dégustions après le service du soir.                pour ma deuxième passion la formation.
Dans cette ambiance rude il y avait une grosse      Maintenant j’ai grand plaisir à enseigner et
solidarité avec les copains. Mon ami Pascal         surtout poursuivre la transmission du savoir
Brunelli un des rares à vouloir œuvrer en           aux jeunes générations qui sont très réceptives
binôme avec moi en TP, j’étais déjà un peu          aux conseils. Humainement ils m’apportent
perfectionniste !                                   beaucoup.
La seule sortie du LTH : les hospices de            La qualité de l’enseignement d’un lycée se per-
Beaune. Mémorable !                                 çoit aussi dans le devenir de ses étudiants.
En TP cuisine je brulais souvent les roux, je les   J’espère leur transmettre le meilleur, surtout la
oubliais dans le four !                             motivation, la passion et en voir revenir nous
Les cours de pâtisserie, nous essayions de dé-      saluer avec le sacre.
toquer le chef avec la grande pelle à four, sans    Dans ce monde de l’hôtellerie restauration en
succès !                                            pleine évolution et mondialisation, je souhaite
L’épreuve du second tour et le découpage du         que notre école la plus ancienne de France
canard passé pour rien car j’avais déjà obtenu      trouve toujours les ressources matérielles et
le nombre de points nécessaire à l’obtention du     humaines pour poursuivre la qualité de sa
BTH mais la mauvaise case avait été entou-          formation auprès de nos jeunes encore de
rée !                                               nombreuses années.
1987-1992

                   Thierry Boéro • Directeur & Propriétaire,
                          Upstairs/Downstairs, North Yorkshire




M        on père possédait un bar-restaurant
         à Tarascon, et je lui donnais un coup
de main… Alors ça m’a pris, et j’aime toujours
                                                    On apprenait tout là, même la découpe du
                                                    jambon, du canard, etc. On apprenait les pro-
                                                    cédures, et ça nous faisait 3 ans d’expérience
ce travail !                                        très proche de la réalité. C’était des outils for-
Thonon, c’était surprenant, en venant d’une         midables : en Angleterre où je vis, ils n’ont rien
école standard ! Mais on s’y prend vite ; on        de tout ça. Et on voit tout de suite les jeunes
se fait des camarades, et surtout on bossait !      d’une école d’application et les autres.
                                                    Je n’étais pas l’élève modèle, ça non, mais en-
Ainsi au resto d’application, on passait dans       suite on voit ce que ça a apporté. Ça m’a aidé
tous les départements : en 2de, comme com-          plus tard en restaurant puis en hôtellerie de
mis ; ensuite en 1e on était chef de rang, en       luxe, parce qu’on retrouve des situations qu’on
charge des 2des… Et en Tle on passait maître        a déjà vécues avec les profs.
d’hôtel, directeur de la restauration ! On avait
en charge la salle (bien sûr sous l’œil du prof),   Tous les profs étaient pour nous un exemple.
l’accueil, le service — on était notés là-dessus…   On apprenait le respect et la discipline : si
                                                    on arrivait en cours un peu négligé, ça ne se
Pareil en cuisine : on était un jour chef de        passait pas bien, il fallait être nickel.
cuisine, un autre jour aboyeur ; à la réception,    Ce que j’ai appris, c’est l’importance de la pré-
on était d’abord commis, puis chef de réception     sentation et de l’accueil. Quand les gens ont le
et alors, à nous de prendre en charge les plus      choix entre plusieurs établissements de même
jeunes. Ça forge des relations, ça établissait      standing, ils iront là où ils sont bien accueillis.
des liens entre les promos, des amitiés que j’ai
toujours !                                          C’était une expérience exceptionnelle.
                                                    Si je pouvais le refaire aujourd’hui,
                                                    je le referais… Je serais juste un peu
                                                    plus sérieux !



                                        Les profs de pra-
                              tique surtout m’ont marqué. Par
                            exemple, monsieur Gardette : il était
                          à la réception et, quand on laissait notre
                             caisse ouverte, il "volait" l’argent !
                           Je peux vous dire que c’est formateur ...
                                et je le fais encore aujourd’hui
                                       avec mes employés !
1958-1961

           Bernard Brack • Manager de grands établissements



R    ien ne me prédisposait à l’hôtellerie mis
     à part le goût des belles choses, des belles
tables… et un test psychologique (en première,
j’en avais assez de l’enseignement général) a                     Les cours étaient
confirmé que ce serait une bonne idée.                            sympas aussi, avec
J’ai présenté Paris, Strasbourg et Thonon,
réussi les trois et choisi la dernière pour
                                                             les profs qui avaient leurs
sa réputation. Cette vocation s’est tout de                petites manies, comme ce chef
suite confirmée être la bonne : j’étais ravi de             cuisinier qui craignait qu’on
découvrir de nouvelles choses concrètes, des                lui chaparde des pistaches
professionnels passionnés ; toutes les matières               quand on allait dans la
m’intéressaient et j’avais des bonnes notes.                       chambre froide.
Même avec les promotions aînées, nous
constituions véritablement une deuxième
famille, qui se retrouvait en ville à La Pinte et
Chez Zinette, deux endroits incontournables.        J’ai fait beaucoup d’extras, y compris les très
Et il régnait une entente cordiale entre élèves     longs week-ends puisque mes parents étant au
et professeurs. Ils se sentaient investis d’une     Cameroun, je ne rentrais pas du tout chez moi.
mission, parlaient de nous entre eux et étaient     Je suis notamment allé aux Carroz d’Arraches
toujours attentif envers ceux en difficulté.         chez Hubert Dabère (promo 49), et puis en
Les cours étaient sympas aussi, avec les profs      stage au bord du lac d’Annecy. Là, j’étais censé
qui avaient leurs petites manies, comme ce chef     être en cuisine mais la patronne m’appelait
cuisinier qui craignait qu’on lui chaparde des      plusieurs fois par jour chaque fois qu’un client
pistaches quand on allait dans la chambre           anglais ou américain lui demandait quelque
froide. Alors quand on y entrait, on devait         chose car elle n’y comprenait rien. À la fin du
siffler quelque chose sans s’arrêter ; ainsi il      stage, elle me suggéra même de stopper mes
était sûr que nous n’étions pas en train de         études pour m’embaucher !
manger quelque chose…
                                                     Et après l’école je suis effectivement devenu
                                                     réceptionniste, dans des hôtels de plus en
                                                     plus grands et réputés. J’ai gravi les échelons
                                                    jjusqu’à la direction générale de plusieurs
                                                     Hilton à travers le monde, pour conclure au
                                                    RRoyal Plaza à Montreux.
1976-1979

              Michel Brelière • Cuisinier dans le monde entier



J   ’étais Mâconnais et j’étais fasciné par des
    anciennes pâtissières qui n’avaient plus
de magasin mais conservaient leur atelier
                                                   J’ai le souvenir à la fois mémorable et honteux
                                                   d’un prof de gestion. Mémorable car c’était un
                                                   type formidable, honteux car je ne me rappelle
où elles fabriquaient des merveilles qui me        pas son nom.
réjouissaient.                                     Et puis M. Robert et son satané cross du Corzent
C’est cela qui ma donné le goût, il n’y a aucun    en plein hiver dans la neige et la gadoue…
doute. Car en fin de troisième j’étais très bon     on vous a dit que certains empruntaient des
élève et pouvais sans souci poursuivre en classe   raccourcis ? ah ben oh ben non… je ne suis pas
générale. Mais au conseil d’orientation j’ai dit   au courant...
que je voulais faire hôtellerie, et même si mes
profs et mes parents étaient aussi abasourdis,
                                                   L’essentiel que j’ai retiré de Thonon
ils m’ont écoutés et j’ai présenté les concours.
Reçu à Thonon, j’ai pris pour la proximité         est que les profs ne venaient pas pour
mais surtout pour la notoriété.                    « travailler » mais pour transmettre
C’était quand même un truc de fou : j’avais        leur savoir. Il étaient passionnés, et
14ans ½, je n’avais jamais quitté les jupes        plus encore d’adapter ce savoir à une
de ma mère, et je filais pour trois mois sans       spécialité, l’hôtellerie.
vacances…
                                                   Par la suite je n’ai jamais quitté les fourneaux,
En plus il y a eu le bizutage… où j’ai été assez   de par le monde, de palaces en hôtels moins
épargné parce que j’étais maigre et petit, alors   gourmands. Et j’ai constaté une chose : il y a
on ne m’en rajoutait pas trop…                     « un clan » entre les anciens de Thonon. Peu
Mais il y avait surtout un truc qui était          importe qu’on ait été bon où qu’on ait fait quoi
mauvais signe : si un 3e année vous emmenait       que ce soit : on a été à Thonon et ça suffit.
à La Pinte, c’était soit pour y faire le zèbre,
soit pour payer la tournée ! On allait aussi
beaucoup à l’Excelsior, un bar à jeu d’échecs
: il y avait un damier sur chaque table, le
patron était passionné et nous prodiguait ses
conseils jusqu’à oublier ses clients au bar !




                                      Et puis M. Robert
                              et son satané cross du Corzent
                                en plein hiver dans la neige
                                et la gadoue... on vous a dit
                               que certains empruntaient des
                             raccourcis ? ah ben oh ben non...
                                 je ne suis pas au courant...
1987-1992

                 Sébastien Buet • Directeur & Propriétaire,
                                   Hôtel des Cygnes, Évian




J   ’habitais à 100m de l’École, et mes grands-
    parents étaient dans l’hôtellerie… Je voulais
faire ça depuis tout petit !
Mes parents n’étaient pas chauds, mais ils
ont dû céder. Je suis arrivé à l’École très en-
thousiaste et je n’ai pas été déçu !                     Lors du banquet des Hospices
                                                       de Beaune, on me mettait toujours au
Le message principal que je veux faire                 service de la table d’honneur, je me
passer c’est que j’avais la chance                     souviens de Jean-Claude Brialy,
d’avoir une passion et un rêve, et                     extrêmement sympa... Et de Carole
c’est grâce à l’École que j’ai réalisé                 Bouquet, parce qu’un jéroboam de
ça, même sans le sou, grâce au côté                    champagne m’avait échappé, et je
technique et débrouillard que j’y ai                   lui avais crêpi le dos ! Mais, très
acquis.                                                grande dame, elle n’avait même pas
Mais c’était une période un peu charnière, le
                                                       bronché, ne m’avait adressé aucun
lycée périclitait dans ses vieux locaux. Quand         reproche, alors que sa robe était
je suis arrivé il était même question de fusion-       trempée...
ner avec Glion… Ç’a été un tollé. Il y avait
de gros problèmes de tenue (alcool, drogue)…
Mais les nouveaux locaux ont donné un               Lors de l’inauguration du CERN, on servait
souffle nouveau ; le conseil d’administration a      le banquet des chefs d’État, nous en avions
pris des mesures drastiques, hésitant à adop-       chacun deux : pour moi, le président Fran-
ter carrément l’uniforme, avant de se décider       çois Mitterrand, très malade déjà, et la reine
pour le costume. Je garde de bons souvenirs         d’Angleterre ! À la fin du banquet, le pré-
des manifestations extérieures ; de ma saison       sident nous avait salués un par un, tous en
d’été au Savoie-Léman ; de la soirée et du          rang d’oignons. J’étais le dernier du rang, juste
voyage de promo.                                    avant Georges Blanc qui était chef…
Une année, on avait présenté au théâtre une         On avait à peu près cinquante-cinq heures
série d’imitations de nos profs sur le modèle       de cours par semaine, auxquels s’ajoutaient
des Exercices de style de Queneau. Mais on          les extras, les sorties, les DM ! Mes parents
était en BTS1 et, comme j’étais un des prin-        étaient épouvantés : on sortait tous les soirs
cipaux imitateurs, j’ai subi des représailles de    de la semaine, puisque chacun rentrait chez
certains profs durant toute l’année suivante !      soi le week-end…
En réaction contre l’obligation de porter un        Je ne suis pas nostalgique parce que je suis
costume, on avait fait un journal, L’Écho des       très heureux aujourd’hui. Et je garde des liens
Costards, vite censuré par le proviseur !           assez étroits et des contacts fréquents avec
                                                    l’École ! Et j’observe avec plaisir son dévelop-
On était aussi à la charnière d’une ancienne        pement actuel. Elle a une bonne tournure.
génération de professeurs en fin de carrière,        Cette École nous permet de faire ce qu’on a
aux méthodes un peu désuètes y compris en           envie de faire. D’aller au bout de nos envies,
terme de discipline (les coups de pied au cul) !    de réaliser nos rêves.
1972-1974

           Yann Caillère • Cuisine puis management et direction



N     ous habitions Agadir et j’étais en pension
      à Marrakech. Le goût de la cuisine
m’est venu par ma mère qui avait des doigts
de fée ! Et puis j’ai vu Agadir détruit, et se
reconstruire notamment via l’hôtellerie.
                                                            Le souvenir qui me fait
Thonon fut un choix familial parce que ma                  encore rire est celui de M.
mère avait des amis dans cette ville. J’ai passé         Romanet, en cuisine, qui nous
les tests à Casablanca, fait un stage à La              regardait éplucher des pommes
Baule et été pris.                                        de terre et nous demandait :
                                                           "votre père est ministre ? "
J’avais déjà mon bac donc quand je suis
arrivé. J’étais assez âgé (19 ans) pour loger
                                                               parce que bien sûr
en ville, à la MJC, et l’intégration s’est faite             nous pelions trop épais.
sans souci.

Le souvenir qui me fait encore rire est celui de
M. Romanet, en cuisine, qui nous regardait
éplucher des pommes de terre et nous               Et puis il y eut l’épisode du premier four à
demandait : « votre père est ministre » ?          micro-ondes installé en 1974. M. Lacroix
» parce que bien sûr nous pelions trop épais.      était à la fois impressionné et sidéré par
Romanet avait toujours des petites phrases         le saut technologique, et effrayé par le côté
bien à lui, un grand humour pour un grand          dénaturant. Finalement il a été conquis.
colosse, que nous respections et admirions.
                                                   Les week-ends je ne faisais pas trop d’extras,
M. Robert m’avait intégré dans son équipe          à part une semaine au Corbier dont je garde
de hand alors j’étais un peu privilégié ; et M.    un bon souvenir ; c’est ensuite que j’ai vraiment
Plays, le prof d’anglais, nous a tous beaucoup     fait mes classes pour de bon, dans des hôtels à
marqués parce que parmi les élèves… il y avait     Tanger et Agadir.
sa fille ! Dans le même genre et juste après
lui, j’ai eu Mme Rebet dont le profil nous          Quand je suis passé à Disneyland Paris,
captivait plus que ses cours, même s’ils étaient   j’étais à la méthode américaine bien que je sois
excellents…                                        directeur général délégué ! : c’était comme ça,
                                                   il fallait passer par tous les services ! Donc
                                                   je me suis retrouvé quelque temps derrière
                                                   les fourneaux, et c’est vrai que pour manager
                                                   ensuite, c’est une bonne chose.

                                                   En qualité d’employeur, j’ai beaucoup
                                                   recruté, et je dois dire que deux écoles
                                                   sortaient toujours du lot : Thonon et
                                                   Strasbourg.
1960-1963

                                 Pierre Caron • Cuisinier



E   n Secondaire, mes parents m’ont fait passer
    des tests qui me menaient vers l’horlogerie,
la bijouterie… Ce fut donc une surprise quand
je dis que je voulais être cuisinier, d’autant que
rien dans mon entourage ne m’avait influencé.

J’ai raté Thonon en 1959 et réussi l’année           Les 3e année avaient lancé le truc, et comme
suivante. C’était le départ d’une nouvelle vie,      on suivait leur action, ils nous avaient à la
difficile à cause de l’internat par trimestres :      bonne.
on ne rentrait qu’à Noël et Pâques !
Nous avions un uniforme imposé, tant en              Les deux années suivantes, l’ambiance était
cours que lors de nos sorties en ville. Sorties      bien meilleure, quand même ; avec beaucoup
limitées aux jeudi et dimanche après-midi, et        plus d’entraide et de solidarité entre les
le dimanche sous condition de ne pas avoir           élèves. On se regroupait pour des TP… et on
eu une seule note en-dessous de 5 sur 20             rigolait bien. Je me souviens de la nuit où M.
durant la semaine. Et bien sûr notre tenue était     Hautefeuille m’a descendu du dortoir par la
vérifiée au pli près avant que l’on sorte.            peau du cou parce que je faisais du chahut,
Je me souviens du bizutage mais il ne m’a            et j’en ai pris pour mon grade. Mais il avait
pas traumatisé ; c’était juste un peu pénible,       raison : d’ailleurs les profs et cadres de l’École
surtout le racket de cigarettes. Mais il y a         ne punissaient jamais pour rien.
aussi eu des trucs drôles; comme le jour où les
3e année nous ont fait frotter les carreaux du       Ma carrière s’est spécialisée dans la rôtisserie
restaurant avec nos brosses à dents.                 et les sauces, puis ce qu’on appelle « le garde-
Et puis cette même année 1960 il y eût une           manger » (réceptionner et trier les produits,
grève de la faim car la nourriture était vraiment    et les distribuer à chaque cuisinier selon sa
infecte (le comble pour un lycée hôtelier !).        tâche).

                                                     Cette école nous a appris la vie et surtout
                                                     la réalité de l’hôtellerie. Les professeurs ne
                                                     nous ont jamais laissé croire que c’était un
                                                     métier facile, et leur exigence de rigueur était
                                                     maximale.




                                                            Je me souviens de la nuit où
                                                                  M. Hautefeuille
                                                            m’a descendu du dortoir par
                                                             la peau du cou parce que
                                                               je faisais du chahut,
1962-1965

                   Daniel Carroué • Hôtelier - Restaurateur



A      près 4 concours réussis pour intégrer
       une école de commerce ou une école
hôtelière à Paris et Thonon, j’ai choisi l’école
qui jouissait de la plus grande notoriété :
Thonon.
Ce choix impliquait d’être en pension, ce qui
répondait à un besoin mais je le redoutais
malgré tout.
Après un pré-stage à l’Hôtel du Midi à
Annemasse où l’on m’a donné vraiment envie
d’apprendre ce métier, malgré 14 heures de
travail quotidien 6 jours sur 7 (par la suite
cet établissement est devenu le siège de la
CGT locale !), la rentrée fut particulièrement     sous la pédagogie de M. Dargaignon, tout
difficile. Dès le 3ème jour pour une broutille,     comme de mon cahier de crus des vins tenu
j’étais sévèrement corrigé par Monsieur            avec autant de sérieux que M. Triolet en
Hautefeuille, surveillant général. Profondément    exigeait, attentif au pragmatisme de Mme
marqués par la forme violente que pouvait          Barthas pour nous enseigner une comptabilité
prendre son autorité, en 1968 nous sommes          rébarbative, je regrette de ne pas avoir été
allés avec Yves Jeannot nous en expliquer et       meilleur élève ! Et que dire de M. Robert qui
faire la paix avec lui alors qu’il terminait sa    nous a ouvert à presque tous les sports dans
carrière à Ville d’Avray.                          le respect d’une technique parfaite et d’une
                                                   discipline assumée et surtout motivé pour que
La blouse grise obligatoire n’était pas de         chacun conquière son propre Everest.
nature non plus à égayer mes premiers jours
de pensionnat ; aussi malgré des regards           Si je devais dégager les temps forts de ces 3
réprobateurs nous pratiquions joyeusement          années, je choisirais la fraternité qui rassemble
«la customisation». Rapidement une bonne           encore 32 camarades le 27/09/2012 à
ambiance de camaraderie s’est installée, les       Thonon ; le banquet de la vente des vins à
surnoms fleurissaient au gré des qualités et        Beaune ; l’émotion incommensurable ressentie
défauts de chacun. Ainsi certains m’appellent      dans le triste préau à l’annonce de l’assassinat
encore Max aujourd’hui, surnom hérité des          de Kennedy le samedi 23 novembre 1963 ;
«Bien jeté, Max !» adressé à Max Meynier           nos premiers baisers ; la Bise qui alimentait
animateur d’une émission de radio pour ses         nos bourdons l’hiver venu ; mais aussi les
répliques ironiques bien senties. Je confesse      nuits où nous refaisions le monde…
avoir effectivement contribué à une certaine
bonne humeur, comme aux manifestations             En retraite je nourris plusieurs passions au
nocturnes de rigueur dans l’internat !             gré de mes inspirations mais il n’y en a qu’une
                                                   à laquelle je m’adonne 2 fois par jour : la
Rares sont les professeurs qui ne m’ont            cuisine. Elle a guidé mes pas une bonne partie
                                                   de ma vie et si elle vagabonde un peu dans
pas marqués et aujourd’hui encore je               les idées d’aujourd’hui, je continue à faire mon
sais mettre un nom et des souvenirs                fond de veau comme nos chefs me l’ont appris.
sur 21 visages. En admiration devant les
délicates roses façonnées sous les gros pouces     Merci !
de M. Romanet, fier des blanquettes réussies
1960-1963

                    Michel Charpentier • Hôtelier et cuisinier




                                                             En fait, l’école était une
                                                            véritable famille au sein de
E   n fin de 3e, j’ai passé trois concours très
    différents : Technique, Chimie et Hôtellerie.
J’ai réussi les trois, et choisi Thonon parce
                                                        laquelle tout le monde travaillait
                                                        en bonne intelligence, sans jamais
que j’y avais un ami, André Mazin, entré en                     chercher à écraser
1966, qui m’en avait parlé. Cela avait été une                    qui que ce soit...
révélation.
                                                              "Un esprit de famille ",
On a eu droit aux brimades mais nous étions              mais pas seulement. Il y avait
11 savoyards costauds, et cette coalition de               un état d’esprit très spécial,
poids a calmé un peu les ardeurs de nos «                       j’en suis convaincu.
bourreaux »…
Je me souviens de mai 68 car une délégation
de 3e année est allée à Paris, mais surtout à
cause d’une explosion de gaz qui a failli faire     bonne intelligence, sans jamais chercher à
un mort à l’école. On n’a jamais su si c’était      écraser qui que ce soit. Personne n’était laissé
criminel ou accidentel mais il y avait un doute     en rade, que ce soit par les enseignants ou les
à cause des événements, et le proviseur a           camarades.
décidé de fermer l’école quelques jours.            Le fait d’être 24h sur 24, en internat des
                                                    trimestres entiers, joua bien sûr beaucoup sur
Ceci et beaucoup d’autres choses nous ont tous      cet « esprit de famille », mais pas seulement.
beaucoup soudés et nous le sommes restés : en       Il y avait un état d’esprit très spécial, j’en suis
2010, nous étions tout de même 19 réunis à          convaincu.
Beaune pour fêter nos 40 ans !
Et puis il y a le souvenir des profs, tous très     D’ailleurs par la suite, en tant qu’employeur
compétents car dotés de bonnes expériences.         pendant 40 ans dans mon propre hôtel à
Le plus étonnant était M. Sueur, pâtissier          La Féclaz, j’ai eu des élèves d’autres écoles.
qui n’avait qu’une seule main, l’autre étant        Et je ne leur ai jamais trouvé cet esprit, ni
atrophiée ; et aussi M. Sylvestre, chef de          le même degré de motivation que celui qu’on
cuisine que je n’ai eu qu’un an mais cela a suffit   nous avait inculqué, et qu’on ressent toujours
pour m’enseigner l’exigence et la perfection.       chez les élèves de Thonon.
                                                    C’est à Thonon que j’ai toujours versé ma taxe
En fait, l’école était une véritable famille au     d’apprentissage, et je suis fier de voir qu’elle
sein de laquelle tout le monde travaillait en       continue d’être employée à bon escient.
1975-1979

                            Bruno Chartron • Restaurateur



M        a grand-tante et ma tante avaient une
         pension de famille et à les voir faire
j’ai immédiatement voulu être cuisinier, mais
                                                     Le sport nous a beaucoup soudés, lui aussi,
                                                     grâce à M. Robert qui était à la fois sévère
                                                     mais juste, à la fois passionné par quelques
pas forcément dans le but de reprendre cette         disciplines et ouvert à tout. D’autres m’ont
affaire.                                             marqué, bien sûr, et quelques cadres tels que
                                                     le proviseur M. Sénéchal et le surveillant
Je n’ai présenté que Thonon et n’ai pas été          général Le Dilasser.
dérouté par l’internat car je connaissais déjà,
sauf par le fait qu’on rentrait moins souvent        En fait je n’ai jamais terminé ma dernière
chez soi. Mais c’est aussi grâce à ces week-         année car j’accumulais tellement de mauvaises
ends sur place que l’on faisait des extras et l’on   notes que j’en ai eu marre et j’ai démissionné.
gagnait de l’argent de poche dont on profitait        J’ai aussitôt fait une saison à Vars chez un
bien. Sauf bien sûr le week-end mensuel              ancien, Rostalan (décédé dans une avalanche),
d’astreinte à l’hôtel-restaurant de l’école, qui     puis juste après avoir intégré l’armée j’ai eu
faisait partie de notre enseignement pratique        un très grave accident de la route qui m’a
et concret.                                          valu tellement de complications que j’ai passé
                                                     quatre ans dans les hôpitaux militaires !
La première année avait son côté pénible des
brimades récurrentes. Ce n’était que rarement        En sortant, j’ai racheté un fonds de commerce :
méchant ou humiliant, mais à la longue, ça           l’établissement que ma grand-tante et ma
devenait lourd… Cela n’a pas empêché – voire         tante avaient entre temps vendu. Je poursuis
peut-être favorisé – une bonne camaraderie entre     donc finalement leur histoire !
nous, qui a soudé la promo. Dans les dortoirs
par exemple, on en a fait de belles : bien sûr on
se virait les uns les autres, et parfois même
on virait le surveillant ! Mais le plus beau et
le plus drôle était lorsqu’on s’organisait des
fondues savoyardes, et on laissait le caquelon
sale pendant des jours dans un placard, cela
devenait vite insupportable.



                                        Mais le plus beau
                                       et le plus drôle était
                                      lorsqu’on s’organisait
                                     des fondues savoyardes,
                                  et on laissait le caquelon sale
                                         pendant des jours
                                         dans un placard,
                                         cela devenait vite
                                           insupportable.
1953-1956

                           René Cherbouquet • Restaurateur




                                                            Ma préférée est celle du
                                                                jour où, alors que
                                                      je traversais la salle de restaurant
                                                            avec une pile d’assiettes,
                                                          un camarade en a lancé une
                                                      sur le dessus. Je l’ai parfaitement
                                                        rattrapée au vol... mais ça m’a
                                                            fait lâcher toute la pile !

J  ’ai toujours voulu être cuisinier et m’étais
   bien documenté : je savais que Thonon était
la meilleure et n’en ai pas présenté d’autre.         d’assiettes, un camarade en a lancé une sur le
                                                      dessus. Je l’ai parfaitement rattrapée au vol…
Au début, des clans se sont formés en fonction des    mais ça m’a fait lâcher toute la pile !
régions d’origine et des niveaux d’études ; puis en   On ne cesse de reparler de M. Quillot qui
2e et 3e années nous étions plus réunis, plus         suivait à la loupe notre travail en salle, et de
proches.                                              M. Triollet, surnommé « le Sioux » à cause
Près de 60 ans plus tard, je me souviens              de son visage buriné et son grand nez, et sa
encore de la très belle Mme Rebet, qui m’a            manie de toujours arriver sans qu’on l’attende
donné les seules heures de colle dont j’ai écopé      ni ne l’entende.
en 3 ans ! C’était une excellente prof mais
j’avais du mal à suivre et c’est d’ailleurs cette     À cette époque le proviseur était M. Chapert,
matière qui m’a fait rater le CAP de garçon           très dur, sévère, et le surveillant général
de salle, malgré des cours particuliers.              était… sa femme. Elle aussi très ferme mais
Bon, de toutes façons j’étais plus intéressé          avec moins de poigne et certainement plus de
par la cuisine, un endroit indissociable dans         compréhension à l’égard de notre éloignement
ma mémoire de notre fameux « Mimile »                 de nos familles.
Romanet, si grande gueule et en même temps
si attentionné.                                       J’ai mené ma carrière avec ma
J’ai aussi connu M. Saunier mais pas                  femme à travers deux établissements
comme prof : comme chef de cuisine à Évian
                                                      successifs, et jamais je n’ai eu besoin
où il m’avait pris en stage. Un autre grand
monsieur…
                                                      d’en apprendre plus que ce que
                                                      Thonon m’avait enseigné.
L’esprit d’école est resté, on le sent chez chaque
ancien, et l’esprit de camaraderie aussi. Tous
les deux ans nous nous réunissons, avec nos
épouses qui s’entendent à merveille. C’est un
vrai bonheur de reparler de Thonon, de nous
raconter de vieilles histoires.
Ma préférée est celle du jour où, alors que je
traversais la salle de restaurant avec une pile
1988-1990

                          Christophe Chalvidal • Directeur
                                    Hôtel Imperator, Nîmes




 L   a vocation m’est venue par hasard : depuis
     l’âge de 6 ans je voulais être pâtissier !
                                                      Finalement, j’ai moins de souvenirs avec les
                                                      profs. Mais quand même, le premier cours de
                                                      M. Barrenqui, prof de pratique : en guise de «
À la rentrée j’étais heureux et stressé. Mais         préliminaire », il nous a fait vider les canards
je rentrais à l’internat, et mes parents étaient      et les poissons, à 7h du matin ! C’était un
plus stressés que moi ! On avait marqué le            homme pétri d’humanisme et de gentillesse.
linge avec mon numéro, le 567 ; récupéré la           La présence du restaurant et de l’hôtel
mallette, les couteaux, les uniformes, les vestes     d’application était un véritable privilège.
de serveur… C’était loin de chez moi, je partais
pour la semaine : j’ai aimé ça.                       Aujourd’hui, je donne des cours à Vatel, à
                                                      Nîmes : il manque ce côté traditionnel, la
Il y avait un peu d’oppression de la part des         base du métier. J’ai appris le goût du travail,
3e année sur nous, les 1e année : par exemple         la rigueur : les fondamentaux du savoir-
le premier week-end, je suis allé à la gare           vivre. L’École a pris le relais de l’éducation
avec 5 sacs sur le dos ! L’ambiance dans le           parentale, c’est le démarrage de ma vie : avec
train était très intense, toute notre vie était là.   mon charisme et mon envie de réussir, tout
Ç’a été fédérateur, comme on le dit au sujet du       cela a forgé mon tempérament.
service militaire : mes camarades de promo            C’était dur, à tous points de vue ! Nous faisions
sont comme mes « frères d’armes » !                   14 heures par jour, 6 jours par semaine...
J’avais un copain fils de charcutier : on apportait    Nous vivions à contretemps des copains des
des victuailles et on se faisait nos petits casse-    autres lycées, etc.
croûte en salle d’étude, en jouant aux cartes…
On montait au dortoir des filles : l’appartement       Mais nous avions un fil conducteur :
du CPE était situé au bout du dortoir, et plus        l’amour du métier. Ç’a été les meilleurs
d’une fois on était planqué sous les lits quand       moments de mon adolescence et
il nous cherchait avec sa lampe de poche !
                                                      ça m’a mis le pied à l’étrier dans
                                                      ma vie professionnelle. Ça m’a fait
                                                      comprendre que « si je te mène la vie
                                                      dure, c’est pour ton bien. »



                     On montait
                au dortoir des filles :
            l’appartement du CPE était
          situé au bout du dortoir, et plus
          d’une fois on était planqué sous
          les lits quand il nous cherchait
              avec sa lampe de poche !
1958-1962

         Daniel Coccoli • Steward puis manager chaîne hôtelière



A     imer bien cuisiner est juste un virus
      familial : mes tantes faisaient sans cesse
de petits plats gourmands et mon père italien
n’était pas en reste quand il rentrait, pour                       Et on allait
ajouter sa petite pincée d’origine. Mais cela               draguer les Thononaises
en restait là, jusqu’à ce que je sois le premier                  Chez Zinette,
à me décider à en faire un métier.                            ouvert de 7 h à 23 h
Originaire de Lyon, Thonon était le choix
                                                           une femme extraordinaire ;
logique, la réputation en plus. J’ai tout de
                                                                  à La Pinte,
même fait un stage à l’hôtel Beau-Site avant                    avec son sous-sol
d’intégrer l’École, où tout s’est bien passé.                où on pouvait danser...
Avec mon mètre quatre-vingts, j’échappais
aux brimades d’autant que M. Robert
m’avait enrôlé dans son équipe de judo. Avec
ce physique et cette activité martiale qui en
impressionnait plus d’un, j’étais tranquille !

Nous étions une promo très soudée, avec
Claude Aubineau qui menait un peu le groupe
et en a gardé tous les trésors. C’est d’ailleurs
lui qui a lancé l’idée de se retrouver en 1972 ;
et depuis c’est même tous les deux ans.
J’ai fait la section « steward »             qui
m’intéressait vraiment. D’autres y étaient plus
attirés par l’habitacle d’avion entièrement
reconstitué dans la rotonde en haut de l’école
et qui était assez fascinant. Mais c’est peut-
être parce que le décorum était trop beau que
finalement la spécialité n’a pas perduré… ?

Nous sortions en ville sans devoir porter une
tenue spéciale, juste être corrects. Et on allait
draguer les Thononaises Chez Zinette, ouvert
de 7h à 23h par une femme extraordinaire
; à La Pinte, avec son sous-sol où on pouvait
danser ; ou aux Baladins, un restaurant sur
l’esplanade.
                                                    Et puis j’ai fait mes premiers stages à l’Albert
Les deux premières années nous n’avions des         1er chez M. Antonietti, comme chef de rang.
vacances qu’à la Toussaint, Noël et Pâques,         C’était dur, pas super bien logés ni bien payés !
et un week-end d’astreinte chaque mois. Sinon,      En revanche j’y ai beaucoup appris.
nous faisions des extras ; moi, j’allais beaucoup
à La Zonette, à Chens-sur-Léman, car les            Tout ce que je n’ai appris à l’école, je
clients y donnaient de généreux pourboires.         l’ai appris chez lui.
2007-2010

                    Aude Cochard • En Master 1 à Savignac



C’    est sans m’en rendre compte que j’ai
      appris à aimer la cuisine ! Parce que ma
mère cuisine bien, alors chaque repas est un
                                                      Mes grands souvenirs de l’école, ce sont
                                                      d’abord MM. Schirman, Coudurier et Haas.
                                                      De très grands professionnels qui m’ont
régal dominical.                                      appris beaucoup, pas forcément plus que leurs
Cela dit je n’avais pas d’idée préconçue sur la       homologues mais avec un naturel qui forçait
cuisine : l’hôtellerie en général m’intéressait, et   le respect et ne prêtait pas à contestation. Et
la première année j’étais plutôt tentée par la        puis ce formidable stage que nous avons fait
salle. Mais bon, je me donnais un an pour y           en Californie à la Nappa Valley, grâce à M.
réfléchir.                                             Ferraud, un autre prof exceptionnel.

La journée d’intégration fut hyper-sympa et           J’ai choisi de compléter ma formation à l’école
cool, rien d’humiliant ou gênant. Et ensuite nous     de Savignac et me destine plutôt à la réception
avons connu une excellente année de promo,            qu’à tout ce qui est cuisine et salle. C’est un
suivie de deux autres années mythiques.               choix à ambition personnelle et familiale :
Il se peut que j’ai passé à Thonon les trois          il est vrai qu’être en cuisine ou en salle au
meilleures années de ma vie d’étudiante.              moment de coucher les enfants, ce n’est pas
                                                      forcément compatible (pas du tout, en fait !).
Ce qui m’a frappé, surtout, c’est qu’à une            Dans l’hôtellerie c’est toujours tendu mais avec
époque où on ne cessait de taper sur les profs,       des horaires plus cadrés.
les nôtres s’investissaient totalement ! Non
seulement très disponibles mais rassurants,           De toutes façons, Thonon m’a préparée
parfois maternels.                                    aux deux !
Étant en colocation externe je ne souffrais pas
trop du spleen d’être partie de chez papa-
maman ; n’empêche que de temps en temps le
soutien moral et psychologique d’un prof était
bienvenu. C’est simplement humain… mais pas
si simplement automatique et je l’ai apprécié de
la part de quelques-uns qui ont su m’épauler
quand il fallait.




                                          Mes grands
                                      souvenirs de l’école,
                               ce sont d’abord MM. Schirman,
                              Coudurier et Haas. De très grands
                                professionnels qui m’ont appris
                               beaucoup, pas forcément plus que
                                leurs homologues mais avec un
                                  naturel qui forçait le respect
                                        et ne prêtait pas
                                         à contestation.
1987-1990

                        Damien Combet • Directeur d’hôtels
                                       Mercure et Kyriad
                  Président de la Compagnie hôtelière de Lyon


J   e suis venu à Thonon à la suite d’un séjour
    dans une petite station de ski, à l’âge où
je commençais à m’orienter : on avait discuté                        Un jour,
avec le propriétaire de l’hôtel, qui avait fait              à la pâtisserie de l’hôtel
l’École — je ne sais plus son nom, dommage                Savoie-Léman, après avoir
! — et c’est comme ça qu’on l’a connue…Mes                   rempli nos attributions,
parents, artisans pâtissiers, me poussaient à
avoir un métier assez tôt, et je suis entré à
                                                        on s’est échappés par la fenêtre...
l’École à 15 ans pour en sortir à 18.                   Quand le chef, qui se demandait
                                                           où on était passés, s’est mis
J’ai plein de souvenirs de potache ! Un jour,              à nous appeler, on s’est fait
à la pâtisserie de l’hôtel Savoie-Léman,                    recevoir d’un bon coup de
après avoir rempli nos attributions, on s’est                      pied au cul !
échappés par la fenêtre… Quand le chef, qui se
demandait où on était passés, s’est mis à nous
appeler, on s’est fait recevoir d’un bon coup de
pied au cul !

À l’internat, les batailles de polochon étaient
fréquentes : un jour c’est le CPE, M. Caillat,
qui s’est pris l’oreiller sur la tête… Un autre
jour on avait retiré tous les boulons du lit d’un
camarade assez costaud et, quand il s’est jeté
dessus, tout s’est cassé la figure !Enfin bref,
on a enchaîné les blagues de potache, c’est
bête mais pour moi c’est aussi un marqueur
de l’ambiance spéciale qu’il y avait dans cette
école-là, par rapport à d’autres où je suis
passé…

Dans les événements, on avait fait
l’inauguration du CERN à Genève, avec
François Mitterrand. On devait faire le
cocktail et M. Marquis m’avait retenu pour
le service du Président… Mais dans le car           Les relations avec le corps enseignant étaient
qui nous emmenait à Genève, j’ai dû faire une       des « relations hôtelières », une espèce de
sottise, j’ai oublié laquelle, et j’ai été privé    complicité hiérarchique, si particulière à ce
de ce service ! Une belle expérience que j’ai       métier, faite de respect et de convivialité…
manquée, par ma faute…
                                                    Tout ça a créé un lien affectif, presque
Toutes ces blagues c’était une manière de
témoigner notre affection, et pour moi cette
                                                    une relation amoureuse, avec l’École…
jovialité c’est lié à notre métier, un métier de    J’étais rentré sans intention précise
service et d’affabilité, au contact des gens…       mais Thonon a été le révélateur de
                                                    ma vocation !
1946-1949

                      Hubert Dabère • Hôtelier-restaurateur




Q     uand j’étais en première je voulais
      faire médecine, mais c’était une charge
financière trop longue et lourde pour ma
famille. Un ami m’a parlé de l’École Hôtelière                  J’ai l’impression
et cela m’a tenté, d’autant qu’habitant Thonon,
je pouvais même être externe.
                                                       que c’est une école qui a su évoluer
                                                       en gardant son âme, et un esprit de
Le bâtiment avait encore quelques séquelles                corps que l’on ne trouve pas
de la guerre et nous avons d’abord du nous                     forcément ailleurs.
contenter de classes équipées sommairement.
On devait même aller au collège de filles pour
quelques cours, notamment de dactylo.
Heureusement la cuisine n’avait pas souffert
de la guerre et j’y ai passé de bien grands
                                                    À la sortie de l’École, les chasseurs de tête
moments avec notre chef M. Desgranges, un
                                                    étaient là ! Y compris le gouvernement
aussi grand monsieur que son homologue
                                                    canadien qui nous proposait des contrats
Antonietti, qui nous dirigeait au restaurant.
                                                    de 5 ans. Mais je devais faire mon service
                                                    militaire, dix-huit mois en Algérie. Après quoi
L’ambiance générale était très bonne d’autant
                                                    je suis rentré dans le Chablais pour travailler
que nous sortions de la guerre et des privations,
                                                    avec M. Antonietti et au Royal d’Évian.
alors un rien nous réjouissait et nous faisait
plaisir. Les profs avaient leur métier dans la
                                                    Puis j’ai pris une affaire en gérance aux
peau et nos relations étaient excellentes sept
                                                    Carroz d’Arraches. J’étais en cuisine et ma
jours sur sept, et en dehors de l’école que ce
                                                    femme en salle, et en 1968 nous avons ouvert
soit en ville ou lors de stages et d’extras les
                                                    l’hôtel L’Arbaron.
week-ends.
Nous faisions aussi des échanges avec l’École
de Lausanne : à tour de rôle plusieurs fois dans    De toute ma carrière de patron je
l’année les élèves de l’une ou l’autre prenaient    n’ai toujours pris que des anciens
le bateau pour venir découvrir et travailler        de Thonon et n’ai jamais eu à m’en
dans un autre cadre, avec d’autres professeurs.     plaindre, d’ailleurs certains sont
                                                    devenus de grandes figures.
                                                    J’ai l’impression que c’est une école
                                                    qui a su évoluer en gardant son âme,
                                                    et un esprit de corps que l’on ne
                                                    trouve pas forcément ailleurs.
1989-1991

          Fernand Deuss Frandi • Propriétaire et chef de cuisine,
                                  Restaurant Côté Lac, Thonon.




Dès l’âgemonn’estans, j’aistage, jetous lestombé
   Et à
            de 13

amoureux : ce
                premier
                            eu envie de cuisiner.

                   jamais pareil,
                                     suis
                                            jours
différent, à la fois manuel et mental ! On m’a
dirigé sur Thonon : c’était très sélectif, et ce qui
a joué en ma faveur, c’est que je parlais déjà
couramment cinq langues : l’italien, l’espagnol,
l’allemand, l’anglais, le français.

Dans ma génération, il y avait trois écoles,
dont Thonon, qui étaient les meilleures. Arriver
à Thonon, c’était rentrer dans un autre monde.
L’internat, c’était la découverte du vivre avec
les autres, une véritable coupure avec le
monde de l’adolescence. On sortait du cocon «          Thonon, c’est une école qui donne des bases.
famille + école » pour entrer directement dans         Ceux qui sont sortis de cette formation n’ont
le monde professionnel. Il fallait apprendre           pas la même rigueur, la même discipline que
à s’appuyer sur ceux avec qui on bosse. J’ai           les autres. J’y ai appris le sérieux, le respect
vite pris ma scolarité à Thonon comme partie           du client, le goût du travail bien fait. M.
intégrante du parcours professionnel.                  Lacroix, qui était chef, entrant un jour dans la
Aujourd’hui, entre anciens de Thonon, il y a un        cuisine, ne l’avait pas trouvée assez propre : il
rapport spécial, l’impression que c’est « comme        nous a tout fait nettoyer de A à Z !
autrefois », une sorte d’attachement indélébile.
                                                       C’était un cadre qui me correspondait, droit,
Le rapport avec les profs était très pro. Je           franc, clair. On apprenait tellement de choses !
me souviens que pour les stages d’été, alors           J’aimais ça. C’était travailler une passion que
qu’on voulait tous des palaces, on m’a mis,            j’avais déjà : la cuisine ; c’était de l’or.
moi, dans un petit resto sur les hauteurs
d’Évian. Au début je n’étais pas content, mais         Et puis j’ai découvert le vin : je ne connaissais
en fait ça m’a permis de toucher à tout ! Ceux         pas du tout, mais ils m’ont ouvert ces portes.
qui avaient obtenu leur palace ont répété les          J’ai appris à reconnaître un bon vin, à accorder
mêmes choses pendant tout leur stage… En               un vin avec un plat : rien de plus précieux !
somme, ceux qui avaient vraiment envie, on             Vers cette époque, Euro Disney allait ouvrir,
les envoyait là où ils pouvaient se frotter à          et ils essayaient de nous recruter. On avait
toutes les tâches.                                     pris un bus pour y aller, 600 élèves d’écoles
Au restaurant d’application, je me souviens            hôtelières étaient là, à qui on proposait un
d’avoir eu 200 truites à tuer et vider !               emploi ! Mais il n’y avait pas d’humain
                                                       derrière, pas d’âme. D’ailleurs à l’époque,
Toute la cuisine était organisée comme je l’ai         on était tout en bas de l’échelle sociale, pas
retrouvée ensuite dans le métier ; on travaillait      comme aujourd’hui où on est des stars, grâce
de beaux produits, des produits de luxe. Et            à des gens comme Bocuse.
c’était une époque spéciale, celle des premières
cuissons sous vide, des premières cuissons à           En somme tout ça a été encore plus une
basse température : il y avait un beau mariage         révélation sur ma passion et ma motivation.
entre l’ancien et le moderne.                          D’ailleurs, aujourd’hui, mon resto est à 100
                                                       m de l’École, j’y suis attaché ! C’est une région
On nous apprenait plusieurs cuisines, par              incroyable et peu exploitée.
rapport à d’autres écoles où on enseignait «
la » vérité — une aberration, en cuisine ! Ça          Mes souvenirs de l’École, c’est toutes les
a été des années agréables : elles m’ont donné         choses qu’on a su me transmettre. Ils ont fait
les bonnes clés. Avec l’expérience du resto            leur boulot, ils ont fait exactement ce pourquoi
d’application, je sais ce qu’endure quelqu’un          ils étaient là. L’École a été pour moi
en salle. C’était très intelligent de nous faire       une clé professionnelle.
faire les jobs les uns des autres. Nous avons
appris à travailler ensemble et ainsi nous
avons appris le respect.
1989-1992
           Régis Douysset • Propriétaire et chef, des restaurants
                    "L’Escarbille", Meudon (une étoile au Michelin) ;
                    "L’Angélique", Versailles (une étoile au Michelin)




J’ai unonbondesouvenir3 deque de voulaisAvec ma
   mère    avait fait à 4
depuis l’âge    10 ans
                            l’entretien.

                               je
                                  route : je savais
                                            devenir
cuisinier. Et pourtant, juste avant l’entretien,
j’ai eu un gros stress, je ne voulais plus y aller
! Ma mère m’a engueulé, alors j’y suis allé… Et
ça a marché !
Au début, le costume, la cravate, c’était un
choc ! Puis, on était fiers d’être reconnus dans        Au Savoie-Léman aussi on travaillait en
Thonon. J’avais le sentiment d’avoir passé             brigades, c’était super. On touchait le firmament,
une étape. Et puis le premier cours de cuisine,        c’était presque une vraie cuisine. À l’époque,
on mettait la veste de cuisinier et le tablier…        tout le travail était bien plus physique : on
C’était comme avoir atteint un objectif. On a          avait des fourneaux sans gaz, au charbon…
attaqué par le taillage des légumes : et j’ai tout     Nos profs avaient appris et travaillé dans ces
de suite eu l’impression d’avoir appris quelque        conditions, à l’ancienne !
chose de concret, j’ai eu envie de me précipiter
chez moi pour tailler des légumes !                    Ce qui était intéressant c’est qu’on pouvait
C’était ça, le rôle de l’École, enseigner les bases.   travailler à la fois le restaurant, la cuisine,
                                                       et l’hébergement. Au restaurant de l’hôtel, on
Les cours de cuisine, c’était toujours sympa,          apprenait à gérer la main courante sur un
avec une vraie envie d’apprendre. D’ailleurs           énorme registre, à une petite table dans un
j’ai généralement un bon souvenir de l’École           coin du resto. C’était assez sympa de faire
hôtelière de Thonon, non seulement pour les            tous ces petits ateliers. Officier : le café, les
copains, mais aussi pour l’apprentissage. Je           bouteilles de vin, les bouteilles d’eau… Valet
me souviens de M. Sueur, le professeur de              de chambre : faire les lits, les salles de bains…
pâtisserie : c’était un prof incroyable, il avait      Plein d’activités, de choses différentes, toutes
une seule main par suite d’une malformation,           les facettes du métier. On avait tout vu et
mais il accomplissait un boulot incroyable.            on savait tout faire. Je voulais toujours être
                                                       entremétier parce que c’est là où il y avait
Or, on apprenait la connaissance des produits,         le plus de boulot ! Ma hantise, c’était qu’il
des découpes ; le management, la gestion des           n’y ait pas assez de clients. Même pour la
hommes. En T.P. de cuisine, on devait faire une        plonge on était accompagné par un pro : on
entrée et un plat, chacun le sien : c’était très       y passait une journée ou une demi-journée. Ce
individuel.                                            n’était pas passionnant, mais ce n’est pas un
                                                       mauvais souvenir !
Au resto d’application c’était différent : on          J’étais loin de mes parents, je me suis fait de
était par équipes, 2 à 3 personnes par partie.         supers amis, et je les ai toujours !
On formait des brigades d’élèves : «entrée et
plat», «dessert», «service», «élèves-clients».         Aujourd’hui, le succès de ma carrière,
On y allait souvent avec ma bande de 4 amis.
On ne se sentait pas à la cantine, il y avait
                                                       en tant que propriétaire de deux
une ambiance de famille, des moments de                restaurants étoilés, tout ça remonte à
partage.Ce concept-là était très sympa.                la formation de l’École !
1980-1983

                              Laurent Duc • Propriétaire
                               de l’hôtel Ariana, Villeurbanne
       Président national de la fédération française de l’hôtellerie
                                      au sein de l’UMIH




 L   a cuisine de ma mère et de ma grand-
     mère m’ont inspiré, dès l’âge de 7 ans,
l’envie d’être un grand cuisinier. Mais j’ai été
plus intéressé par la gestion, l’exploitation, le
contact avec les clients.                                             L’École
L’École était une Institution, une vieille dame
                                                                         était
aux grandes qualités. Et c’était aller loin de                     une Institution,
chez soi, un cadre exceptionnel : en plein                         une vieille dame
centre-ville, la proximité du lac… Le port du                       aux grandes
costume, l’internat — 66 ados dans la même                            qualités.
pièce, c’était délicat !

D’ailleurs la classe était très masculine : 4
filles et 28 garçons ! On insistait beaucoup
sur le côté très physique du métier ; mais ces
4 filles vivaient à l’extérieur, c’était notre       Toute la formation, d’ailleurs, était orientée.
bouffée d’oxygène !                                 Même les matières générales : à un cours
                                                    de physique, la prof nous détaillait le temps
Ç’a été la découverte de l’excellence en            nécessaire pour chauffer 500 litres d’eau
cuisine, le meilleur du goût. Les brigades          en fonction des conditions. Je ne voyais pas
d’élèves cuisinant pour les autres élèves nous      du tout l’intérêt… Mais des années plus
permettaient de manger « à la cantine » des         tard, quand j’ai dû changer l’alimentation de
choses inouïes : une éducation au goût…             mon hôtel (12 000 litres !), j’ai repris mes
                                                    anciens cours !
Une chose remarquable, c’était l’hôtel-
restaurant. Mon associé actuel est encore           L’association des élèves et une coopérative
surnommé « groom » parce qu’il a été le             hôtelière nous ont permis de financer un foyer
premier à ce poste ! Ça donne une vision            d’étudiant et le voyage de fin d’année, en Italie !
transversale du fonctionnement d’un hôtel.          On y reversait la rémunération des élèves sur
                                                    les événements extérieurs, et les bénéfices des
                                                    soirées à thème. C’était de grands événements,
                                                    avec deux brigades cuisine, deux salles, et
                                                    plus de deux cents convives !

                                                    J’étais et je reste très fier que l’École soit
                                                    publique. Ça me paraît très important que
                                                    l’État soit en prise directe avec ce domaine.

                                                    « Vous êtes la base de l’organisation,
                                                    mais vous êtes l’élite de demain »,
                                                    nous disait-on — et c’était vrai !
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  • 1.
  • 2. 1971-1973 Jean-Jacques Barbot • Restaurateur J 'habitais St Lô. Mon père travaillait dans la haute métal- lurgie et sur les plateformes ! La voie de cuisi- nier est donc issue d'une passion innée quand j'étais en 6e. Une vraie vocation survenue sans explication. Avec mon ami Larsonneur qui la partageait, nous voulions entrer à Thonon. Notre provi- seur de CES ricanait, jurant qu'on ne serait jamais pris. Et pourtant nous avons réussi, et malgré une grève des trains qui nous a obligés à faire St-Lô-Thonon-St-Lô et passer l’exa- men en une seule journée et deux nuits ! Nous formions des classes d’une vingtaine connaître : nous apprenions toutes les facettes d’élèves, sans filles, avec des cuisines qui du métier de l’hôtellerie et de la restauration étaient assez obsolètes, encore au charbon. et choisissions bien nos spécialités en connais- Mais nous vivions dans une sance de cause ! excellente ambiance, et aux côtés de quelques grandes " figures », comme J’ai ensuite eu la chance d’enchaîner quantité le responsable de la buanderie qui de grandes maisons : l’Oustau de Baumanière (où j’ai servi la Reine d’Angleterre, le Shah nous amusait tant, avec son fort d’Iran, le président Pompidou…), le Grand Vé- accent des pays de l’est. four, Prunier et Taillevent, avant d’entrer à l’Élysée pour mon service militaire, et d’y res- Et ce qui était formidable aussi, c’est que nous ter ensuite en tant que cuisinier civil. passions par tous les services. Nul ne pouvait Forcément une expérience à part, avec des renoncer à une voie sous prétexte de ne pas la réceptions hors normes et aussi des voyages où il nous fallait gérer la cuisine et les repas selon les pays, les invités, et leurs cultures. Après quelques Relais & Châteaux, une chef C’est pâtissière est devenue la femme de ma vie, ainsi que j’ai fait ma et nous nous sommes mis à notre compte en plus belle rencontre : 1989 en ouvrant l’Alambic à Vichy, où nous vivons heureux avec une douzaine de couverts Sa Sainteté Jean-Paul // midi et soir. qui me fit même l’honneur d’un échange personnel que je n’oublierai jamais.
  • 3. 1960-1963 Gérard Barnier • Restaurateur P etit-fils de restauratrice et fils de restaurateur, j’ai pris la suite parce que j’ai baigné dedans… Mais j’étais content : c’était mon univers, et j’ai même du faire jouer les relations pour Parmi obtenir une dérogation car je n’avais que 15 les anecdotes, j’ai ans quand il fallait en avoir 16, sans oublier celle de la lingerie, où l’année où je me suis cassé la jambe, et j’ai du j’étais de corvée régulièrement redoubler ! : on faisait exprès d’allonger les Ce redoublement m’a valu d’échapper aux brimades réservées aux 1e année : quand j’ai maillots en les repassant, comme redoublé, j’étais en 1e année mais en même ça les "copains" se retrouvaient temps cela faisait 2 ans que j’étais là… avec des tricots d’ 1 m 50 de haut : ridicules ! On avait choisi Thonon pour sa réputation et jamais je n’ai regretté. Je garde des souvenirs mémorables de M. Romanet, « Mimile », avec qui tout le monde filait doux mais qui en même temps était si gentil avec chacun, tout comme M. Pinget. Et comme mon père s’est tout de suite beaucoup impliqué dans le COJO, il fallait quelqu’un Et puis en 3e année nous étions « internes pour le remplacer à l’hôtel familial, alors je externés ». Je logeais en ville en colocation avec suis venu immédiatement. Par la suite on a des camarades (Bonnaz, Viandoz, Gomez… on fait des transformations, acquis des étoiles, était 8 en tout !) et de temps en temps le creusé une piscine qu’on a ensuite couverte, SurGé de l’école venait nous voir. Un jour ce etc. Mais cela n’a plus rien à voir avec l’école. fut assez chaud, car on avait rapporté des bouteilles du dîner en l’honneur des hospices de Beaune… et il les a trouvées.. L’important pour moi est de dire à quel point je dois ma vie professionnelle Après ce sont les Jeux Olympiques qui ont à l’école hôtelière de thonon, car elle décidé pour moi. J’avais un poste tout désigné m’a enseigné toutes les valeurs, non sur le paquebot Le France quant Grenoble a seulement de ma vie mais que j’ai été désignée ville olympique. transmises à mes employés.
  • 4. 1966-1969 Pierre Basille • Management de restauration T oute ma famille baignait peu ou prou dans la restauration et je voulais être steward. C’est pourquoi j’ai privilégié Thonon, hélas la section a été annulée. Je pensais opter pour la spécialité cuisine et j’ai obliqué vers la réception et toute ma carrière s’est faite dans Comment chasser de ma le management. mémoire le jour où M. Romanet Je débarquais de ma 3e et j’ai trouvé le bizu- a laissé deux doigts tage un peu lourd parce que même si ce n’était dans le hachoir à viande pas méchant, ça durait des mois et des mois. parce que l’élève qui Et même dehors : par exemple si on allait à le manipulait n’allait pas La Pinte au lieu d’aller Chez Zinette, il fal- assez vite ! lait payer la tournée. Cela dit nous étions très solidaires dans notre promo et durant les trois années. Parmi les profs j’ai de grands souvenirs aussi, bien sûr. Tel M. Ravinet, dit « Bambam », en anglais, qui pour l’orthographe avait des trucs mnémotechniques que je n’ai jamais oublié et m’ont beaucoup servi. Plus tard, que ce soit chez Mövenpick, Toujours en cuisine, le jour de l’examen je Accor ou dans tous autres établisse- devais faire des choux à la Chantilly et on ments, j’ai recruté des stagiaires et m’a passé la Maïzena au lieu de la farine ; employés de plusieurs écoles. évidemment la Chantilly ne montait pas mais Eh bien, sans chauvinisme et très le chef Charpin s’est aperçu de la mauvaise blague et m’a aidé à récupérer l’affaire… honnêtement, je n’ai jamais été déçu par un ancien de Thonon ! Et puis M. Robert, notre prof de sport, à qui je dois d’avoir porté la flamme olympique en 1968 ! Sur un petit parcours, certes : juste le sentier du Grand Corzent, mais ce fut quand même un grand honneur d’avoir été choisi pour cela ! M. Boisier aussi, surveillant général très craint mais qui en réalité avait très bon cœur et savait faire la part des choses et prendre la défense des élèves s’il le fallait.
  • 5. 1963-1966 Jean-Pierre Battin • Chef de cuisine puis formateur J ’avais choisi Thonon pour sa filière steward… qui fut supprimée, alors j’ai pris cuisine. L’ambiance était excellente, avec une grande solidarité. On travaillait souvent en équipe de deux niveaux de classe, et les plus âgés fai- saient des blagues aux plus jeunes. Le cours de « cru des vins » à 8h du matin était un grand moment ! Après avoir dégusté, nous étions très mal pour l’éducation physique à 10h ! Je me souviens aussi de M. Romanet, pâtissier, qui prenait à mains nues des char- Recueilli à Feurs, j’ai répondu à une annonce bons ardents pour travailler le sucre. originale : pour être cuisinier personnel d’un Mais surtout, ces études m’ont milliardaire américain. Le jour où je l’ai ren- apporté une rare polyvalence grâce contré (son avion et son hélicoptère privés à la variété des matières, qui rendait m’avaient emmené dans sa résidence aux Bahamas), il avait Neil Armstrong comme la formation très riche. invité ! Et j’ai vu passer des dizaines d’autres personnalités. Comme il avait des propriétés et Après un an à Ville d’Avray, je suis parti des yachts partout, j’ai recruté plusieurs cuisi- en Australie. Si j’ai pu avoir du travail là- niers et suis devenu son « conseiller culinaire bas, c’est en bonne partie grâce à Mme Rebet, » car il était diabétique et je devais veiller à qui nous avait donné d’excellentes bases en tout ce qu’on lui préparait. anglais… Lorsqu’il est décédé, je suis devenu formateur De retour après 5 ans, j’ai postulé chez la au Touquet, où j’ai retrouvé M. Hetzel que Mère Brazier, au Col de la Luère, et y suis j’avais eu à Thonon. Il m’a poussé à devenir allé en taxi ! Elle a vu ça d’un très mauvais professeur. Et à l’oral de l’examen, il y avait œil, me disant que si à mon âge je commen- dans le jury le fils de M. Saulnier, mon ancien çais déjà à gaspiller mon argent… mais bon, prof de cuisine ! comme j’avais une cravate et un beau cos- tume, elle m’a testé, observé, et gardé jusqu’à ce qu’elle décide de s’arrêter, un an plus tard, me laissant une belle expérience ! ...j’ai répondu à une annonce originale : pour être cuisinier personnel d’un milliardaire américain. Le jour où je l’ai rencontré (son avion et son hélicoptère privés m’avaient emmené dans sa résidence aux Bahamas), il avait Neil Armstrong comme invité !
  • 6. 1958-1961 Alain Béchis • Restaurateur F ils de cheminot, j’étais attiré par la restauration et l’école de Thonon était la mieux cotée. J’ai un souvenir impérissable de Mme Robet, jeune professeur d’anglais. Ses cours étaient sûrement très bien… mais je n’ai jamais eu de bonnes notes car elle était si belle que je la regardais plus que ne l’écoutais ! Et puis M. Chevalier qui avait toujours une aiguille et piquait les fesses de ceux qui ne faisaient pas les choses correctement ; C’est à l’école que j’ai rencontré une jeune fille… M. Romanet aussi, un véritable colosse, mais que j’ai mise enceinte à 17 ans ! Le proviseur ultra-sensible. Enfin il y eut cet événement était furieux, nous reprochant de mettre en incroyable du décès subit de M. Desgranges en péril la réputation de l’établissement. Nous cuisine en plein service : le temps qu’on finisse avons donc vite « régularisé la situation »… notre travail, on avait allongé son corps sur le et venons de fêter nos 50 ans de mariage ! marbre à pâtisserie ! Avec les anciens, nous nous rencontrons tous les deux ans depuis plus de 20 ans ! Il en L’ambiance était bonne mais les brimades vient de partout, même de Nouvelle-Calédonie envers les bizuths duraient toute l’année, comme André Glantenet qui y est aumônier au point que certains se décourageaient et de prison ! J’ai aussi connu Henri Tachdjian, quittaient l’école. plus connu sous son pseudonyme de chanteur Henri Tachan. J’ai un souvenir À dire vrai je ne tenais pas à être cuisinier : je voulais être en salle pour le costume, le impérissable de Mme Robet, contact… et les pourboires ! Et puis un jour j’ai jeune professeur d’anglais. dû remplacer quelqu’un en cuisine, et y suis Ses cours étaient sûrement très bien... resté. mais je n’ai jamais eu de bonnes notes Après 7 ans au Casino de Divonne, j’ai car elle était si belle que je la ouvert Le Pirate à Ferney-Voltaire, d’abord regardais plus dans un petit endroit puis dans un lieu où nous pouvions servir jusqu’à 200 couverts, que ne l’écoutais ! avec 47 employés dont 20 en cuisine. Nous l’avons vendu en 2000, notre fille ne souhaitant pas prend la suite. prendre
  • 7. 1985-1987 Jean-Michel Bellemin • Pâtissier puis enseignant C e sont ma grand-mère et ma mère qui m’ont donné le goût de la cuisine, où elles excel- laient. J’ai d’abord fait un CAP à Challes- les-Eaux, puis suis entré à Thonon pour aller jusqu’au BTH. C’était un vrai dépaysement, avec des trajets en train interminables mais la beauté du Léman à l’arrivée, la vie en internat, les discussions sans fin, le foyer où le Top 50 résonnait à chaque pause… et les filles. M. Marquis disait qu’elles agissaient sur notre motivation au printemps lorsqu’elles sortaient leurs mini- jupes ! Mais c’est avec MM. Guillemard et Sueur Les cours généraux étaient excellents, avec des que j’eus ma révélation : je serais pâtissier ! professeurs toujours présents pour aider, et M. Sueur m’a poussé jusqu’à la finale Lycée j’en ai bien profité puisqu’étant passé directe- du Championnat de France des Desserts. Et ment du niveau de 3e (CAP) à la classe de cela a achevé de me convaincre que j’avais 1e, j’avais du retard à rattraper ! trouvé ma voie. Alors après l’obtention de mon Les TP étaient également passionnants, avec BTH je suis retourné à Challes-les-Eaux pour la notion d’entraide en plus, que tout le monde le CAP de pâtissier. pratiquait et qui soudait les équipes et promos. J’ai de grands souvenirs de Mme Joubert et J’ai passé une dizaine d’années dans des pâ- M. Gardette qui officiaient en Réception, et de tisseries savoyardes avant de me tourner vers MM. Barenqui, Casassus, Cassani, Forneris, l’enseignement, d’abord privé pour l’associa- Hetzel, Masgonty et bien d’autres… tion Belle Étoile à l’Arlequin de Montmélian. Et j’étais en même temps – et depuis 1995 – jury pour les bac pro Cuisine et Pâtisserie. De fil en aiguille, après quelques remplace- Mais c’est avec MM. ments ici et là, j’ai fini par passer le concours Guillemard et Sueur que j’eus ma et suis entré dans l’enseignement public. révélation : je serai pâtissier ! J’exerce à Bellegarde, heureux d’avoir des jeunes autour de moi et de leur transmettre mon savoir, qui ne serait pas ce qu’il est si je n’avais pas bénéficié des innombrables talents de l’École de Thonon.
  • 8. 1970-1973 Antoine Berger • 5 ans chef de rang... puis gérant d’un JouéClub J ’étais en 3e quand un garçon m’a parlé de son école hôtelière et je me suis dit : « c’est ce que je veux faire ! » Surpris car étrangers à ce milieu, mes parents m’ont envoyé faire la plonge dans un restau du coin. Comme je n’ai pas rechigné, ils ont enquêté et inscrit à Thonon, pour sa réputation. Je n’avais pas d’ambition hormis que l’hôtellerie n’était pas touchée par le chômage À part des profs il y avait de et permettait de voyager. Sinon je me sentais grandes figures, telles M. Boisier, plutôt fait pour la salle et non la cuisine. le surveillant général, plutôt terrorisant La 1e année fut difficile à cause des brimades en 1 ère année, pour ensuite se montrer des anciens : on m’appelait « la forte tête sympathique et attentif à chacun. » et j’ai subi un premier trimestre de folie furieuse. En même temps, les 3e année nous ont beaucoup protégés quand ils ont fait leur grève : ils nous mettaient au fond du préau pour qu’on ne soit pas les premiers punis. On Je donne un quitus total sur la qualité des a quand même tous été renvoyés et l’affaire fit profs pour une raison particulière : il y en grand bruit jusque dans les médias nationaux. a une qui dénotait dans le paysage, n’avait Sinon l’ambiance était excellente, solidaire ni attention ni tolérance, n’acceptait aucune entre tous, surtout les 1e et 2e années, et au excuse et se fichait qu’on soit en rade. Je ne sein de l’internat où nous organisions quelques dirai pas de nom mais serais étonné qu’elle nuits de fête assez mémorables ! soit restée longtemps car elle ne collait pas à l’image de Thonon ! À part des profs il y avait de grandes figures, telles M. Boisier, le surveillant général, plutôt terrorisant en 1ère année, pour ensuite se montrer sympathique et attentif à chacun. Je retiens de l’école d’avoir été opé- rationnel tout de suite, grâce à un stage qui m’avait beaucoup appris, et à notre prof d’anglais qui a placé plusieurs élèves dans des établisse- ments de très haut rang en Grande- Bretagne. Je n’ai fait que 5 ans d’hôtellerie avant de reprendre la boutique JouéClub de mes parents, mais même dans ce cadre j’ai utilisé ce que j’avais appris à Thonon : la rigueur, la tenue, le comportement, la discipline et la gestion.
  • 9. 1992-1997 Alexandre Blanc • Chef, Patron du restaurant L’Arbre Blanc à Chevagny-les-Chevrières T rès jeune, j’étais conditionné pour être dans la restauration : mon père, son maître d’hôtel, avaient fait l’École, une des plus réputées de France : j’ai toujours voulu y aller, et j’ai eu la chance d’être accepté… En sortant de l’enseignement général, ça fait quelque chose : plus d’heures de travail, le port de la cravate imposé… Au début c’est un peu dur ! Mais rétrospectivement on se rend compte de tout ce que ça a apporté. Je suis arrivé en 2de, en béquilles à cause d’un accident de ski ! Les premiers travaux pratiques, en béquilles, c’était pas évident… Je n’étais pas un élève très studieux au collège, mais à Thonon je me suis révélé ! Après mon BEP de cuisine, je voulais laisser tomber les études et continuer sur le tas. Et puis, pendant l’été, le boulot dans un restaurant m’a Dans l’équipe d’été de l’École hôtelière, je montré que ce n’était pas si évident que ça… me suis retrouvé pendant un mois valet de Du coup je suis retourné vers l’École qui m’a chambre ! C’était dur, ça tournait beaucoup, réintégré dans le BEP restaurant, avant de fallait pas traîner. Un des moments les plus repartir vers une 1e d’adaptation et le bac… durs de ma carrière, tout le monde fuyait ce Finalement ça m’a permis de toucher à tout. boulot assez physique ! L’ambiance était super. On était insouciants ; On passait à tous les services, à la plonge, pour la plupart d’entre nous c’était le début de etc., c’était très formateur. Tous les week-ends la liberté. On se retrouvait après les cours, les une classe était bloquée pour faire tourner le week-ends, on faisait des repas chez les uns restaurant de l’hôtel : c’est là qu’on apprenait les autres, on allait réviser au bord du lac… le plus, on se rendait vraiment compte de ce C’était un cadre magnifique ! qu’était la restauration. La rigueur, l’intégrité de certains En sortant de profs continuent de m’inspirer. Pour moi, un chef, c’est ça. L’École m’a l’enseignement général, transmis la passion pour le métier ça fait quelque chose : plus et la diversité de ses aspects. Je suis d’heures de travail, le port de nostalgique de cette époque, les plus la cravate imposé... belles années de ma vie. Au début c’est un peu dur ! Mais rétrospectivement on se rend compte de tout ce que ça a apporté.
  • 10. 1959-1962 Georges Blanc • Restaurateur C e centenaire revêt pour moi un intérêt tout particulier… car c’est aussi mon cinquantenaire ! C’est en effet en 1962 que Je rêvais d’aventure et de voyages, et en sortant j’ai donc tout fait pour être steward, mais les dépaysements furent plutôt décevants je suis sorti de l’École (Major de Promotion, car la préoccupation majeure était de rapatrier ndlr). les Français d’Algérie, donc je ne faisais quasiment que des « navettes »… mais en À l’époque il y avait 6 ou 7 écoles mais Caravelle, tout de même ! choisir Thonon était évident. D’abord pour sa J’espérais obtenir une base aérienne pour réputation, et la proximité avec l’établissement mon service militaire et cela ne se fit pas… familial lancé à Vonnas par ma grand-mère. mais beau lot de consolation : je fus affecté M’envoyer dans une école semblait saugrenu à la cuisine du porte-avions Clémenceau. J’ai à beaucoup de restaurateurs. Pour eux, la d’ailleurs gardé des attaches privilégiées avec cuisine s’apprenait sur le tas : en cuisine son amiral jusqu’à son décès. et nulle part ailleurs ! Et ils raillaient mes parents de cet argent pour eux « jeté par les Nous sommes une vingtaine de la promo 62 fenêtres ». à être restés en contact, et nous réunissons tous les ans en décembre dans mon restaurant. Mais c’est faux, je peux assurer que j’ai appris énormément de choses, avec des Après mon service, je suis revenu très vite professeurs passionnés et de qualité, même dans la maison familiale : mes parents l’anglais grâce à l’excellent M. Ravinet. Mes étaient âgés et mon père très occupé comme stages (notamment à La Réserve à Beaulieu- maire. J’ai repris l’affaire en 1968, à sur-Mer, et à Divonne) furent aussi très seulement 25 ans. Il y avait alors 7 enrichissants. Et je garde un souvenir très particulier des employés… aujourd’hui plus de 250 Accords d’Évian, que nous avons suivis de ! Ma grand-mère avait acquis ses très près avec les ballets d’hélicoptères, les deux étoiles en 1929 et 1931, j’ai limousines et les centaines de CRS et motards. obtenu la troisième en 1981. J’espérais obtenir une base aérienne pour mon service militaire et cela ne se fit pas... mais beau lot de consolation : je fus affecté à la cuisine du porte-avions Clémenceau.
  • 11. 1947-1950 Jean Blanc • Concessionnaire automobile N ous habitions St-Claude dans le Jura et Thonon était l’évidence lorsque ma mère m’orienta vers l’hôtellerie. Cette idée lui venait du fait que j’aidais assez souvent et avec grand plaisir mes tantes qui tenaient des cafés et restaurants. Et quand je suis venu en visite avec elle à Thonon et que j’ai vu le magnifique bâtiment (il ne datait que de 10 ans auparavant) et le lac en contrebas, j’ai été totalement séduit. Passer à l’internat ne m’a pas posé de difficultés, nous nous sommes vite liés selon les régions ou autres critères et l’intégration s’est bien passée. Je préférais la réception et la salle à la cuisine, mais de tous les profs je ne me souviens d’aucun nom, à part Antonietti bien sûr. Je En sortant j’ai obtenu non sans mal un poste passais tous mes week-ends et vacances à de chef de salle au Trocadero à Londres ; puis faire des extras et des stages chez lui, ou au avec mon ami Perotton nous sommes allés Casino d’Évian. à Fez, où nous nous occupions quasiment En revanche tous appliquaient une discipline de tout dans les palaces Palais Jamaï et La infaillible et étaient d’une grande disponibilité. Mamounia. Je ne mesurais pas leurs compétences, mais nul doute que leur enseignement était reconnu La formation de l’École était vraiment car lorsque l’on sortait de Thonon, on était très complète, bien au-delà des pris quasiment n’importe où. métiers de la restauration. Et comme Ensemble 24h/24 à cause de l’internat, j’en ai fait très peu de temps pour m’orienter nous constituions une grande famille où sur les concessions et stations-services, je peux régnait une autorité parfaitement acceptée par témoigner que les cours de gestion, comptabilité les élèves. Car en même temps les profs nous et autres m’ont été bien utiles… et même dans témoignaient beaucoup de respect ; et nous mes fonctions de maire, pendant 24 ans. qui étions pour la grande majorité issus de familles d’hôteliers, nous étions totalement à l’écoute et avides d’apprendre le métier de nos parents. Et quand je suis venu en visite avec elle à Thonon et que j’ai vu le magnifique bâtiment (il ne datait que de 10 ans aupa- ravant) et le lac en contrebas, j’ai été totalement séduit.
  • 12. 1980-1983 Gilles Blandin • Professeur de cuisine à Thonon. MOF 2000. Savoyard. M otivé par la cuisine et la pâtisserie depuis mon adolescence et grâce aux efforts de mes parents issus d’un milieu mo- deste je rentre au LTH et obtient un Brevet de Technicien Hôtelier. En 1982 E Le LTH c’était un enseignement très diversifié, exigeant qui m’a donné une vision globale de M. Guy Lacroix chef des l’hôtellerie. Je me souviens de tout le monde, travaux m’envoie en stage après de des proviseurs M. Bernard (1980 1981 ), minutieuses recommandations dans le Mme Grangé (1981-1983) ; du Chef des restaurant gastronomique où il a per- travaux, M. Lacroix ; des CPE M. Gaillard sonnellement fait son apprentissage. et M. Le Dilasser . Et biensûr de mes princi- paux professeurs : M. Robert, M. Chappuis, M. Saunier, Mme Joubert, M. Forneris, M. Lequeux, M. Marquis, M. Haas, M. Lau- gier, M. Guillemard, M. Sueur, M. Cassani, C’est le début de mon expérience profession- M. Furlan, M. Giusti, M. Gras, M. Garnier, nelle de 20 ans en gastronomie auprès de Mme Bokhami, M. Perrot, M. Carrano , M. Mr Billoux, Mr Lacombe, Mr Cressac, Mr Prim, Mme Richard, Mme Colle… Henri-Roux, Mr Pérardel, Mr Alain Du- casse. Dans notre classe il y avait des élèves de toute L’art culinaire avec sa part de créativité est la France, des Internationaux, peu de filles. ma grande passion. M. Robert le prof de sport savait extirper de Sur les conseils de Mr C. Malhomme MOF l’être humain le meilleur : le respect, l’esprit ébéniste et MOF menuisier je m’inscris au d’équipe, la motivation, le dépassement de soi… concours du Meilleur Ouvrier de France cui- Les casse-croûtes à l’internat avec la chambrée sine, je suis lauréat à la Sorbonne en 2000. (mon numéro d’interne était le 290). Chacun En 2002, après l’obtention du CAPET, je apportait des produits artisanaux que nous reviens à Thonon avec beaucoup d’émotion dégustions après le service du soir. pour ma deuxième passion la formation. Dans cette ambiance rude il y avait une grosse Maintenant j’ai grand plaisir à enseigner et solidarité avec les copains. Mon ami Pascal surtout poursuivre la transmission du savoir Brunelli un des rares à vouloir œuvrer en aux jeunes générations qui sont très réceptives binôme avec moi en TP, j’étais déjà un peu aux conseils. Humainement ils m’apportent perfectionniste ! beaucoup. La seule sortie du LTH : les hospices de La qualité de l’enseignement d’un lycée se per- Beaune. Mémorable ! çoit aussi dans le devenir de ses étudiants. En TP cuisine je brulais souvent les roux, je les J’espère leur transmettre le meilleur, surtout la oubliais dans le four ! motivation, la passion et en voir revenir nous Les cours de pâtisserie, nous essayions de dé- saluer avec le sacre. toquer le chef avec la grande pelle à four, sans Dans ce monde de l’hôtellerie restauration en succès ! pleine évolution et mondialisation, je souhaite L’épreuve du second tour et le découpage du que notre école la plus ancienne de France canard passé pour rien car j’avais déjà obtenu trouve toujours les ressources matérielles et le nombre de points nécessaire à l’obtention du humaines pour poursuivre la qualité de sa BTH mais la mauvaise case avait été entou- formation auprès de nos jeunes encore de rée ! nombreuses années.
  • 13. 1987-1992 Thierry Boéro • Directeur & Propriétaire, Upstairs/Downstairs, North Yorkshire M on père possédait un bar-restaurant à Tarascon, et je lui donnais un coup de main… Alors ça m’a pris, et j’aime toujours On apprenait tout là, même la découpe du jambon, du canard, etc. On apprenait les pro- cédures, et ça nous faisait 3 ans d’expérience ce travail ! très proche de la réalité. C’était des outils for- Thonon, c’était surprenant, en venant d’une midables : en Angleterre où je vis, ils n’ont rien école standard ! Mais on s’y prend vite ; on de tout ça. Et on voit tout de suite les jeunes se fait des camarades, et surtout on bossait ! d’une école d’application et les autres. Je n’étais pas l’élève modèle, ça non, mais en- Ainsi au resto d’application, on passait dans suite on voit ce que ça a apporté. Ça m’a aidé tous les départements : en 2de, comme com- plus tard en restaurant puis en hôtellerie de mis ; ensuite en 1e on était chef de rang, en luxe, parce qu’on retrouve des situations qu’on charge des 2des… Et en Tle on passait maître a déjà vécues avec les profs. d’hôtel, directeur de la restauration ! On avait en charge la salle (bien sûr sous l’œil du prof), Tous les profs étaient pour nous un exemple. l’accueil, le service — on était notés là-dessus… On apprenait le respect et la discipline : si on arrivait en cours un peu négligé, ça ne se Pareil en cuisine : on était un jour chef de passait pas bien, il fallait être nickel. cuisine, un autre jour aboyeur ; à la réception, Ce que j’ai appris, c’est l’importance de la pré- on était d’abord commis, puis chef de réception sentation et de l’accueil. Quand les gens ont le et alors, à nous de prendre en charge les plus choix entre plusieurs établissements de même jeunes. Ça forge des relations, ça établissait standing, ils iront là où ils sont bien accueillis. des liens entre les promos, des amitiés que j’ai toujours ! C’était une expérience exceptionnelle. Si je pouvais le refaire aujourd’hui, je le referais… Je serais juste un peu plus sérieux ! Les profs de pra- tique surtout m’ont marqué. Par exemple, monsieur Gardette : il était à la réception et, quand on laissait notre caisse ouverte, il "volait" l’argent ! Je peux vous dire que c’est formateur ... et je le fais encore aujourd’hui avec mes employés !
  • 14. 1958-1961 Bernard Brack • Manager de grands établissements R ien ne me prédisposait à l’hôtellerie mis à part le goût des belles choses, des belles tables… et un test psychologique (en première, j’en avais assez de l’enseignement général) a Les cours étaient confirmé que ce serait une bonne idée. sympas aussi, avec J’ai présenté Paris, Strasbourg et Thonon, réussi les trois et choisi la dernière pour les profs qui avaient leurs sa réputation. Cette vocation s’est tout de petites manies, comme ce chef suite confirmée être la bonne : j’étais ravi de cuisinier qui craignait qu’on découvrir de nouvelles choses concrètes, des lui chaparde des pistaches professionnels passionnés ; toutes les matières quand on allait dans la m’intéressaient et j’avais des bonnes notes. chambre froide. Même avec les promotions aînées, nous constituions véritablement une deuxième famille, qui se retrouvait en ville à La Pinte et Chez Zinette, deux endroits incontournables. J’ai fait beaucoup d’extras, y compris les très Et il régnait une entente cordiale entre élèves longs week-ends puisque mes parents étant au et professeurs. Ils se sentaient investis d’une Cameroun, je ne rentrais pas du tout chez moi. mission, parlaient de nous entre eux et étaient Je suis notamment allé aux Carroz d’Arraches toujours attentif envers ceux en difficulté. chez Hubert Dabère (promo 49), et puis en Les cours étaient sympas aussi, avec les profs stage au bord du lac d’Annecy. Là, j’étais censé qui avaient leurs petites manies, comme ce chef être en cuisine mais la patronne m’appelait cuisinier qui craignait qu’on lui chaparde des plusieurs fois par jour chaque fois qu’un client pistaches quand on allait dans la chambre anglais ou américain lui demandait quelque froide. Alors quand on y entrait, on devait chose car elle n’y comprenait rien. À la fin du siffler quelque chose sans s’arrêter ; ainsi il stage, elle me suggéra même de stopper mes était sûr que nous n’étions pas en train de études pour m’embaucher ! manger quelque chose… Et après l’école je suis effectivement devenu réceptionniste, dans des hôtels de plus en plus grands et réputés. J’ai gravi les échelons jjusqu’à la direction générale de plusieurs Hilton à travers le monde, pour conclure au RRoyal Plaza à Montreux.
  • 15. 1976-1979 Michel Brelière • Cuisinier dans le monde entier J ’étais Mâconnais et j’étais fasciné par des anciennes pâtissières qui n’avaient plus de magasin mais conservaient leur atelier J’ai le souvenir à la fois mémorable et honteux d’un prof de gestion. Mémorable car c’était un type formidable, honteux car je ne me rappelle où elles fabriquaient des merveilles qui me pas son nom. réjouissaient. Et puis M. Robert et son satané cross du Corzent C’est cela qui ma donné le goût, il n’y a aucun en plein hiver dans la neige et la gadoue… doute. Car en fin de troisième j’étais très bon on vous a dit que certains empruntaient des élève et pouvais sans souci poursuivre en classe raccourcis ? ah ben oh ben non… je ne suis pas générale. Mais au conseil d’orientation j’ai dit au courant... que je voulais faire hôtellerie, et même si mes profs et mes parents étaient aussi abasourdis, L’essentiel que j’ai retiré de Thonon ils m’ont écoutés et j’ai présenté les concours. Reçu à Thonon, j’ai pris pour la proximité est que les profs ne venaient pas pour mais surtout pour la notoriété. « travailler » mais pour transmettre C’était quand même un truc de fou : j’avais leur savoir. Il étaient passionnés, et 14ans ½, je n’avais jamais quitté les jupes plus encore d’adapter ce savoir à une de ma mère, et je filais pour trois mois sans spécialité, l’hôtellerie. vacances… Par la suite je n’ai jamais quitté les fourneaux, En plus il y a eu le bizutage… où j’ai été assez de par le monde, de palaces en hôtels moins épargné parce que j’étais maigre et petit, alors gourmands. Et j’ai constaté une chose : il y a on ne m’en rajoutait pas trop… « un clan » entre les anciens de Thonon. Peu Mais il y avait surtout un truc qui était importe qu’on ait été bon où qu’on ait fait quoi mauvais signe : si un 3e année vous emmenait que ce soit : on a été à Thonon et ça suffit. à La Pinte, c’était soit pour y faire le zèbre, soit pour payer la tournée ! On allait aussi beaucoup à l’Excelsior, un bar à jeu d’échecs : il y avait un damier sur chaque table, le patron était passionné et nous prodiguait ses conseils jusqu’à oublier ses clients au bar ! Et puis M. Robert et son satané cross du Corzent en plein hiver dans la neige et la gadoue... on vous a dit que certains empruntaient des raccourcis ? ah ben oh ben non... je ne suis pas au courant...
  • 16. 1987-1992 Sébastien Buet • Directeur & Propriétaire, Hôtel des Cygnes, Évian J ’habitais à 100m de l’École, et mes grands- parents étaient dans l’hôtellerie… Je voulais faire ça depuis tout petit ! Mes parents n’étaient pas chauds, mais ils ont dû céder. Je suis arrivé à l’École très en- thousiaste et je n’ai pas été déçu ! Lors du banquet des Hospices de Beaune, on me mettait toujours au Le message principal que je veux faire service de la table d’honneur, je me passer c’est que j’avais la chance souviens de Jean-Claude Brialy, d’avoir une passion et un rêve, et extrêmement sympa... Et de Carole c’est grâce à l’École que j’ai réalisé Bouquet, parce qu’un jéroboam de ça, même sans le sou, grâce au côté champagne m’avait échappé, et je technique et débrouillard que j’y ai lui avais crêpi le dos ! Mais, très acquis. grande dame, elle n’avait même pas Mais c’était une période un peu charnière, le bronché, ne m’avait adressé aucun lycée périclitait dans ses vieux locaux. Quand reproche, alors que sa robe était je suis arrivé il était même question de fusion- trempée... ner avec Glion… Ç’a été un tollé. Il y avait de gros problèmes de tenue (alcool, drogue)… Mais les nouveaux locaux ont donné un Lors de l’inauguration du CERN, on servait souffle nouveau ; le conseil d’administration a le banquet des chefs d’État, nous en avions pris des mesures drastiques, hésitant à adop- chacun deux : pour moi, le président Fran- ter carrément l’uniforme, avant de se décider çois Mitterrand, très malade déjà, et la reine pour le costume. Je garde de bons souvenirs d’Angleterre ! À la fin du banquet, le pré- des manifestations extérieures ; de ma saison sident nous avait salués un par un, tous en d’été au Savoie-Léman ; de la soirée et du rang d’oignons. J’étais le dernier du rang, juste voyage de promo. avant Georges Blanc qui était chef… Une année, on avait présenté au théâtre une On avait à peu près cinquante-cinq heures série d’imitations de nos profs sur le modèle de cours par semaine, auxquels s’ajoutaient des Exercices de style de Queneau. Mais on les extras, les sorties, les DM ! Mes parents était en BTS1 et, comme j’étais un des prin- étaient épouvantés : on sortait tous les soirs cipaux imitateurs, j’ai subi des représailles de de la semaine, puisque chacun rentrait chez certains profs durant toute l’année suivante ! soi le week-end… En réaction contre l’obligation de porter un Je ne suis pas nostalgique parce que je suis costume, on avait fait un journal, L’Écho des très heureux aujourd’hui. Et je garde des liens Costards, vite censuré par le proviseur ! assez étroits et des contacts fréquents avec l’École ! Et j’observe avec plaisir son dévelop- On était aussi à la charnière d’une ancienne pement actuel. Elle a une bonne tournure. génération de professeurs en fin de carrière, Cette École nous permet de faire ce qu’on a aux méthodes un peu désuètes y compris en envie de faire. D’aller au bout de nos envies, terme de discipline (les coups de pied au cul) ! de réaliser nos rêves.
  • 17. 1972-1974 Yann Caillère • Cuisine puis management et direction N ous habitions Agadir et j’étais en pension à Marrakech. Le goût de la cuisine m’est venu par ma mère qui avait des doigts de fée ! Et puis j’ai vu Agadir détruit, et se reconstruire notamment via l’hôtellerie. Le souvenir qui me fait Thonon fut un choix familial parce que ma encore rire est celui de M. mère avait des amis dans cette ville. J’ai passé Romanet, en cuisine, qui nous les tests à Casablanca, fait un stage à La regardait éplucher des pommes Baule et été pris. de terre et nous demandait : "votre père est ministre ? " J’avais déjà mon bac donc quand je suis arrivé. J’étais assez âgé (19 ans) pour loger parce que bien sûr en ville, à la MJC, et l’intégration s’est faite nous pelions trop épais. sans souci. Le souvenir qui me fait encore rire est celui de M. Romanet, en cuisine, qui nous regardait éplucher des pommes de terre et nous Et puis il y eut l’épisode du premier four à demandait : « votre père est ministre » ? micro-ondes installé en 1974. M. Lacroix » parce que bien sûr nous pelions trop épais. était à la fois impressionné et sidéré par Romanet avait toujours des petites phrases le saut technologique, et effrayé par le côté bien à lui, un grand humour pour un grand dénaturant. Finalement il a été conquis. colosse, que nous respections et admirions. Les week-ends je ne faisais pas trop d’extras, M. Robert m’avait intégré dans son équipe à part une semaine au Corbier dont je garde de hand alors j’étais un peu privilégié ; et M. un bon souvenir ; c’est ensuite que j’ai vraiment Plays, le prof d’anglais, nous a tous beaucoup fait mes classes pour de bon, dans des hôtels à marqués parce que parmi les élèves… il y avait Tanger et Agadir. sa fille ! Dans le même genre et juste après lui, j’ai eu Mme Rebet dont le profil nous Quand je suis passé à Disneyland Paris, captivait plus que ses cours, même s’ils étaient j’étais à la méthode américaine bien que je sois excellents… directeur général délégué ! : c’était comme ça, il fallait passer par tous les services ! Donc je me suis retrouvé quelque temps derrière les fourneaux, et c’est vrai que pour manager ensuite, c’est une bonne chose. En qualité d’employeur, j’ai beaucoup recruté, et je dois dire que deux écoles sortaient toujours du lot : Thonon et Strasbourg.
  • 18. 1960-1963 Pierre Caron • Cuisinier E n Secondaire, mes parents m’ont fait passer des tests qui me menaient vers l’horlogerie, la bijouterie… Ce fut donc une surprise quand je dis que je voulais être cuisinier, d’autant que rien dans mon entourage ne m’avait influencé. J’ai raté Thonon en 1959 et réussi l’année Les 3e année avaient lancé le truc, et comme suivante. C’était le départ d’une nouvelle vie, on suivait leur action, ils nous avaient à la difficile à cause de l’internat par trimestres : bonne. on ne rentrait qu’à Noël et Pâques ! Nous avions un uniforme imposé, tant en Les deux années suivantes, l’ambiance était cours que lors de nos sorties en ville. Sorties bien meilleure, quand même ; avec beaucoup limitées aux jeudi et dimanche après-midi, et plus d’entraide et de solidarité entre les le dimanche sous condition de ne pas avoir élèves. On se regroupait pour des TP… et on eu une seule note en-dessous de 5 sur 20 rigolait bien. Je me souviens de la nuit où M. durant la semaine. Et bien sûr notre tenue était Hautefeuille m’a descendu du dortoir par la vérifiée au pli près avant que l’on sorte. peau du cou parce que je faisais du chahut, Je me souviens du bizutage mais il ne m’a et j’en ai pris pour mon grade. Mais il avait pas traumatisé ; c’était juste un peu pénible, raison : d’ailleurs les profs et cadres de l’École surtout le racket de cigarettes. Mais il y a ne punissaient jamais pour rien. aussi eu des trucs drôles; comme le jour où les 3e année nous ont fait frotter les carreaux du Ma carrière s’est spécialisée dans la rôtisserie restaurant avec nos brosses à dents. et les sauces, puis ce qu’on appelle « le garde- Et puis cette même année 1960 il y eût une manger » (réceptionner et trier les produits, grève de la faim car la nourriture était vraiment et les distribuer à chaque cuisinier selon sa infecte (le comble pour un lycée hôtelier !). tâche). Cette école nous a appris la vie et surtout la réalité de l’hôtellerie. Les professeurs ne nous ont jamais laissé croire que c’était un métier facile, et leur exigence de rigueur était maximale. Je me souviens de la nuit où M. Hautefeuille m’a descendu du dortoir par la peau du cou parce que je faisais du chahut,
  • 19. 1962-1965 Daniel Carroué • Hôtelier - Restaurateur A près 4 concours réussis pour intégrer une école de commerce ou une école hôtelière à Paris et Thonon, j’ai choisi l’école qui jouissait de la plus grande notoriété : Thonon. Ce choix impliquait d’être en pension, ce qui répondait à un besoin mais je le redoutais malgré tout. Après un pré-stage à l’Hôtel du Midi à Annemasse où l’on m’a donné vraiment envie d’apprendre ce métier, malgré 14 heures de travail quotidien 6 jours sur 7 (par la suite cet établissement est devenu le siège de la CGT locale !), la rentrée fut particulièrement sous la pédagogie de M. Dargaignon, tout difficile. Dès le 3ème jour pour une broutille, comme de mon cahier de crus des vins tenu j’étais sévèrement corrigé par Monsieur avec autant de sérieux que M. Triolet en Hautefeuille, surveillant général. Profondément exigeait, attentif au pragmatisme de Mme marqués par la forme violente que pouvait Barthas pour nous enseigner une comptabilité prendre son autorité, en 1968 nous sommes rébarbative, je regrette de ne pas avoir été allés avec Yves Jeannot nous en expliquer et meilleur élève ! Et que dire de M. Robert qui faire la paix avec lui alors qu’il terminait sa nous a ouvert à presque tous les sports dans carrière à Ville d’Avray. le respect d’une technique parfaite et d’une discipline assumée et surtout motivé pour que La blouse grise obligatoire n’était pas de chacun conquière son propre Everest. nature non plus à égayer mes premiers jours de pensionnat ; aussi malgré des regards Si je devais dégager les temps forts de ces 3 réprobateurs nous pratiquions joyeusement années, je choisirais la fraternité qui rassemble «la customisation». Rapidement une bonne encore 32 camarades le 27/09/2012 à ambiance de camaraderie s’est installée, les Thonon ; le banquet de la vente des vins à surnoms fleurissaient au gré des qualités et Beaune ; l’émotion incommensurable ressentie défauts de chacun. Ainsi certains m’appellent dans le triste préau à l’annonce de l’assassinat encore Max aujourd’hui, surnom hérité des de Kennedy le samedi 23 novembre 1963 ; «Bien jeté, Max !» adressé à Max Meynier nos premiers baisers ; la Bise qui alimentait animateur d’une émission de radio pour ses nos bourdons l’hiver venu ; mais aussi les répliques ironiques bien senties. Je confesse nuits où nous refaisions le monde… avoir effectivement contribué à une certaine bonne humeur, comme aux manifestations En retraite je nourris plusieurs passions au nocturnes de rigueur dans l’internat ! gré de mes inspirations mais il n’y en a qu’une à laquelle je m’adonne 2 fois par jour : la Rares sont les professeurs qui ne m’ont cuisine. Elle a guidé mes pas une bonne partie de ma vie et si elle vagabonde un peu dans pas marqués et aujourd’hui encore je les idées d’aujourd’hui, je continue à faire mon sais mettre un nom et des souvenirs fond de veau comme nos chefs me l’ont appris. sur 21 visages. En admiration devant les délicates roses façonnées sous les gros pouces Merci ! de M. Romanet, fier des blanquettes réussies
  • 20. 1960-1963 Michel Charpentier • Hôtelier et cuisinier En fait, l’école était une véritable famille au sein de E n fin de 3e, j’ai passé trois concours très différents : Technique, Chimie et Hôtellerie. J’ai réussi les trois, et choisi Thonon parce laquelle tout le monde travaillait en bonne intelligence, sans jamais que j’y avais un ami, André Mazin, entré en chercher à écraser 1966, qui m’en avait parlé. Cela avait été une qui que ce soit... révélation. "Un esprit de famille ", On a eu droit aux brimades mais nous étions mais pas seulement. Il y avait 11 savoyards costauds, et cette coalition de un état d’esprit très spécial, poids a calmé un peu les ardeurs de nos « j’en suis convaincu. bourreaux »… Je me souviens de mai 68 car une délégation de 3e année est allée à Paris, mais surtout à cause d’une explosion de gaz qui a failli faire bonne intelligence, sans jamais chercher à un mort à l’école. On n’a jamais su si c’était écraser qui que ce soit. Personne n’était laissé criminel ou accidentel mais il y avait un doute en rade, que ce soit par les enseignants ou les à cause des événements, et le proviseur a camarades. décidé de fermer l’école quelques jours. Le fait d’être 24h sur 24, en internat des trimestres entiers, joua bien sûr beaucoup sur Ceci et beaucoup d’autres choses nous ont tous cet « esprit de famille », mais pas seulement. beaucoup soudés et nous le sommes restés : en Il y avait un état d’esprit très spécial, j’en suis 2010, nous étions tout de même 19 réunis à convaincu. Beaune pour fêter nos 40 ans ! Et puis il y a le souvenir des profs, tous très D’ailleurs par la suite, en tant qu’employeur compétents car dotés de bonnes expériences. pendant 40 ans dans mon propre hôtel à Le plus étonnant était M. Sueur, pâtissier La Féclaz, j’ai eu des élèves d’autres écoles. qui n’avait qu’une seule main, l’autre étant Et je ne leur ai jamais trouvé cet esprit, ni atrophiée ; et aussi M. Sylvestre, chef de le même degré de motivation que celui qu’on cuisine que je n’ai eu qu’un an mais cela a suffit nous avait inculqué, et qu’on ressent toujours pour m’enseigner l’exigence et la perfection. chez les élèves de Thonon. C’est à Thonon que j’ai toujours versé ma taxe En fait, l’école était une véritable famille au d’apprentissage, et je suis fier de voir qu’elle sein de laquelle tout le monde travaillait en continue d’être employée à bon escient.
  • 21. 1975-1979 Bruno Chartron • Restaurateur M a grand-tante et ma tante avaient une pension de famille et à les voir faire j’ai immédiatement voulu être cuisinier, mais Le sport nous a beaucoup soudés, lui aussi, grâce à M. Robert qui était à la fois sévère mais juste, à la fois passionné par quelques pas forcément dans le but de reprendre cette disciplines et ouvert à tout. D’autres m’ont affaire. marqué, bien sûr, et quelques cadres tels que le proviseur M. Sénéchal et le surveillant Je n’ai présenté que Thonon et n’ai pas été général Le Dilasser. dérouté par l’internat car je connaissais déjà, sauf par le fait qu’on rentrait moins souvent En fait je n’ai jamais terminé ma dernière chez soi. Mais c’est aussi grâce à ces week- année car j’accumulais tellement de mauvaises ends sur place que l’on faisait des extras et l’on notes que j’en ai eu marre et j’ai démissionné. gagnait de l’argent de poche dont on profitait J’ai aussitôt fait une saison à Vars chez un bien. Sauf bien sûr le week-end mensuel ancien, Rostalan (décédé dans une avalanche), d’astreinte à l’hôtel-restaurant de l’école, qui puis juste après avoir intégré l’armée j’ai eu faisait partie de notre enseignement pratique un très grave accident de la route qui m’a et concret. valu tellement de complications que j’ai passé quatre ans dans les hôpitaux militaires ! La première année avait son côté pénible des brimades récurrentes. Ce n’était que rarement En sortant, j’ai racheté un fonds de commerce : méchant ou humiliant, mais à la longue, ça l’établissement que ma grand-tante et ma devenait lourd… Cela n’a pas empêché – voire tante avaient entre temps vendu. Je poursuis peut-être favorisé – une bonne camaraderie entre donc finalement leur histoire ! nous, qui a soudé la promo. Dans les dortoirs par exemple, on en a fait de belles : bien sûr on se virait les uns les autres, et parfois même on virait le surveillant ! Mais le plus beau et le plus drôle était lorsqu’on s’organisait des fondues savoyardes, et on laissait le caquelon sale pendant des jours dans un placard, cela devenait vite insupportable. Mais le plus beau et le plus drôle était lorsqu’on s’organisait des fondues savoyardes, et on laissait le caquelon sale pendant des jours dans un placard, cela devenait vite insupportable.
  • 22. 1953-1956 René Cherbouquet • Restaurateur Ma préférée est celle du jour où, alors que je traversais la salle de restaurant avec une pile d’assiettes, un camarade en a lancé une sur le dessus. Je l’ai parfaitement rattrapée au vol... mais ça m’a fait lâcher toute la pile ! J ’ai toujours voulu être cuisinier et m’étais bien documenté : je savais que Thonon était la meilleure et n’en ai pas présenté d’autre. d’assiettes, un camarade en a lancé une sur le dessus. Je l’ai parfaitement rattrapée au vol… Au début, des clans se sont formés en fonction des mais ça m’a fait lâcher toute la pile ! régions d’origine et des niveaux d’études ; puis en On ne cesse de reparler de M. Quillot qui 2e et 3e années nous étions plus réunis, plus suivait à la loupe notre travail en salle, et de proches. M. Triollet, surnommé « le Sioux » à cause Près de 60 ans plus tard, je me souviens de son visage buriné et son grand nez, et sa encore de la très belle Mme Rebet, qui m’a manie de toujours arriver sans qu’on l’attende donné les seules heures de colle dont j’ai écopé ni ne l’entende. en 3 ans ! C’était une excellente prof mais j’avais du mal à suivre et c’est d’ailleurs cette À cette époque le proviseur était M. Chapert, matière qui m’a fait rater le CAP de garçon très dur, sévère, et le surveillant général de salle, malgré des cours particuliers. était… sa femme. Elle aussi très ferme mais Bon, de toutes façons j’étais plus intéressé avec moins de poigne et certainement plus de par la cuisine, un endroit indissociable dans compréhension à l’égard de notre éloignement ma mémoire de notre fameux « Mimile » de nos familles. Romanet, si grande gueule et en même temps si attentionné. J’ai mené ma carrière avec ma J’ai aussi connu M. Saunier mais pas femme à travers deux établissements comme prof : comme chef de cuisine à Évian successifs, et jamais je n’ai eu besoin où il m’avait pris en stage. Un autre grand monsieur… d’en apprendre plus que ce que Thonon m’avait enseigné. L’esprit d’école est resté, on le sent chez chaque ancien, et l’esprit de camaraderie aussi. Tous les deux ans nous nous réunissons, avec nos épouses qui s’entendent à merveille. C’est un vrai bonheur de reparler de Thonon, de nous raconter de vieilles histoires. Ma préférée est celle du jour où, alors que je traversais la salle de restaurant avec une pile
  • 23. 1988-1990 Christophe Chalvidal • Directeur Hôtel Imperator, Nîmes L a vocation m’est venue par hasard : depuis l’âge de 6 ans je voulais être pâtissier ! Finalement, j’ai moins de souvenirs avec les profs. Mais quand même, le premier cours de M. Barrenqui, prof de pratique : en guise de « À la rentrée j’étais heureux et stressé. Mais préliminaire », il nous a fait vider les canards je rentrais à l’internat, et mes parents étaient et les poissons, à 7h du matin ! C’était un plus stressés que moi ! On avait marqué le homme pétri d’humanisme et de gentillesse. linge avec mon numéro, le 567 ; récupéré la La présence du restaurant et de l’hôtel mallette, les couteaux, les uniformes, les vestes d’application était un véritable privilège. de serveur… C’était loin de chez moi, je partais pour la semaine : j’ai aimé ça. Aujourd’hui, je donne des cours à Vatel, à Nîmes : il manque ce côté traditionnel, la Il y avait un peu d’oppression de la part des base du métier. J’ai appris le goût du travail, 3e année sur nous, les 1e année : par exemple la rigueur : les fondamentaux du savoir- le premier week-end, je suis allé à la gare vivre. L’École a pris le relais de l’éducation avec 5 sacs sur le dos ! L’ambiance dans le parentale, c’est le démarrage de ma vie : avec train était très intense, toute notre vie était là. mon charisme et mon envie de réussir, tout Ç’a été fédérateur, comme on le dit au sujet du cela a forgé mon tempérament. service militaire : mes camarades de promo C’était dur, à tous points de vue ! Nous faisions sont comme mes « frères d’armes » ! 14 heures par jour, 6 jours par semaine... J’avais un copain fils de charcutier : on apportait Nous vivions à contretemps des copains des des victuailles et on se faisait nos petits casse- autres lycées, etc. croûte en salle d’étude, en jouant aux cartes… On montait au dortoir des filles : l’appartement Mais nous avions un fil conducteur : du CPE était situé au bout du dortoir, et plus l’amour du métier. Ç’a été les meilleurs d’une fois on était planqué sous les lits quand moments de mon adolescence et il nous cherchait avec sa lampe de poche ! ça m’a mis le pied à l’étrier dans ma vie professionnelle. Ça m’a fait comprendre que « si je te mène la vie dure, c’est pour ton bien. » On montait au dortoir des filles : l’appartement du CPE était situé au bout du dortoir, et plus d’une fois on était planqué sous les lits quand il nous cherchait avec sa lampe de poche !
  • 24. 1958-1962 Daniel Coccoli • Steward puis manager chaîne hôtelière A imer bien cuisiner est juste un virus familial : mes tantes faisaient sans cesse de petits plats gourmands et mon père italien n’était pas en reste quand il rentrait, pour Et on allait ajouter sa petite pincée d’origine. Mais cela draguer les Thononaises en restait là, jusqu’à ce que je sois le premier Chez Zinette, à me décider à en faire un métier. ouvert de 7 h à 23 h Originaire de Lyon, Thonon était le choix une femme extraordinaire ; logique, la réputation en plus. J’ai tout de à La Pinte, même fait un stage à l’hôtel Beau-Site avant avec son sous-sol d’intégrer l’École, où tout s’est bien passé. où on pouvait danser... Avec mon mètre quatre-vingts, j’échappais aux brimades d’autant que M. Robert m’avait enrôlé dans son équipe de judo. Avec ce physique et cette activité martiale qui en impressionnait plus d’un, j’étais tranquille ! Nous étions une promo très soudée, avec Claude Aubineau qui menait un peu le groupe et en a gardé tous les trésors. C’est d’ailleurs lui qui a lancé l’idée de se retrouver en 1972 ; et depuis c’est même tous les deux ans. J’ai fait la section « steward » qui m’intéressait vraiment. D’autres y étaient plus attirés par l’habitacle d’avion entièrement reconstitué dans la rotonde en haut de l’école et qui était assez fascinant. Mais c’est peut- être parce que le décorum était trop beau que finalement la spécialité n’a pas perduré… ? Nous sortions en ville sans devoir porter une tenue spéciale, juste être corrects. Et on allait draguer les Thononaises Chez Zinette, ouvert de 7h à 23h par une femme extraordinaire ; à La Pinte, avec son sous-sol où on pouvait danser ; ou aux Baladins, un restaurant sur l’esplanade. Et puis j’ai fait mes premiers stages à l’Albert Les deux premières années nous n’avions des 1er chez M. Antonietti, comme chef de rang. vacances qu’à la Toussaint, Noël et Pâques, C’était dur, pas super bien logés ni bien payés ! et un week-end d’astreinte chaque mois. Sinon, En revanche j’y ai beaucoup appris. nous faisions des extras ; moi, j’allais beaucoup à La Zonette, à Chens-sur-Léman, car les Tout ce que je n’ai appris à l’école, je clients y donnaient de généreux pourboires. l’ai appris chez lui.
  • 25. 2007-2010 Aude Cochard • En Master 1 à Savignac C’ est sans m’en rendre compte que j’ai appris à aimer la cuisine ! Parce que ma mère cuisine bien, alors chaque repas est un Mes grands souvenirs de l’école, ce sont d’abord MM. Schirman, Coudurier et Haas. De très grands professionnels qui m’ont régal dominical. appris beaucoup, pas forcément plus que leurs Cela dit je n’avais pas d’idée préconçue sur la homologues mais avec un naturel qui forçait cuisine : l’hôtellerie en général m’intéressait, et le respect et ne prêtait pas à contestation. Et la première année j’étais plutôt tentée par la puis ce formidable stage que nous avons fait salle. Mais bon, je me donnais un an pour y en Californie à la Nappa Valley, grâce à M. réfléchir. Ferraud, un autre prof exceptionnel. La journée d’intégration fut hyper-sympa et J’ai choisi de compléter ma formation à l’école cool, rien d’humiliant ou gênant. Et ensuite nous de Savignac et me destine plutôt à la réception avons connu une excellente année de promo, qu’à tout ce qui est cuisine et salle. C’est un suivie de deux autres années mythiques. choix à ambition personnelle et familiale : Il se peut que j’ai passé à Thonon les trois il est vrai qu’être en cuisine ou en salle au meilleures années de ma vie d’étudiante. moment de coucher les enfants, ce n’est pas forcément compatible (pas du tout, en fait !). Ce qui m’a frappé, surtout, c’est qu’à une Dans l’hôtellerie c’est toujours tendu mais avec époque où on ne cessait de taper sur les profs, des horaires plus cadrés. les nôtres s’investissaient totalement ! Non seulement très disponibles mais rassurants, De toutes façons, Thonon m’a préparée parfois maternels. aux deux ! Étant en colocation externe je ne souffrais pas trop du spleen d’être partie de chez papa- maman ; n’empêche que de temps en temps le soutien moral et psychologique d’un prof était bienvenu. C’est simplement humain… mais pas si simplement automatique et je l’ai apprécié de la part de quelques-uns qui ont su m’épauler quand il fallait. Mes grands souvenirs de l’école, ce sont d’abord MM. Schirman, Coudurier et Haas. De très grands professionnels qui m’ont appris beaucoup, pas forcément plus que leurs homologues mais avec un naturel qui forçait le respect et ne prêtait pas à contestation.
  • 26. 1987-1990 Damien Combet • Directeur d’hôtels Mercure et Kyriad Président de la Compagnie hôtelière de Lyon J e suis venu à Thonon à la suite d’un séjour dans une petite station de ski, à l’âge où je commençais à m’orienter : on avait discuté Un jour, avec le propriétaire de l’hôtel, qui avait fait à la pâtisserie de l’hôtel l’École — je ne sais plus son nom, dommage Savoie-Léman, après avoir ! — et c’est comme ça qu’on l’a connue…Mes rempli nos attributions, parents, artisans pâtissiers, me poussaient à avoir un métier assez tôt, et je suis entré à on s’est échappés par la fenêtre... l’École à 15 ans pour en sortir à 18. Quand le chef, qui se demandait où on était passés, s’est mis J’ai plein de souvenirs de potache ! Un jour, à nous appeler, on s’est fait à la pâtisserie de l’hôtel Savoie-Léman, recevoir d’un bon coup de après avoir rempli nos attributions, on s’est pied au cul ! échappés par la fenêtre… Quand le chef, qui se demandait où on était passés, s’est mis à nous appeler, on s’est fait recevoir d’un bon coup de pied au cul ! À l’internat, les batailles de polochon étaient fréquentes : un jour c’est le CPE, M. Caillat, qui s’est pris l’oreiller sur la tête… Un autre jour on avait retiré tous les boulons du lit d’un camarade assez costaud et, quand il s’est jeté dessus, tout s’est cassé la figure !Enfin bref, on a enchaîné les blagues de potache, c’est bête mais pour moi c’est aussi un marqueur de l’ambiance spéciale qu’il y avait dans cette école-là, par rapport à d’autres où je suis passé… Dans les événements, on avait fait l’inauguration du CERN à Genève, avec François Mitterrand. On devait faire le cocktail et M. Marquis m’avait retenu pour le service du Président… Mais dans le car Les relations avec le corps enseignant étaient qui nous emmenait à Genève, j’ai dû faire une des « relations hôtelières », une espèce de sottise, j’ai oublié laquelle, et j’ai été privé complicité hiérarchique, si particulière à ce de ce service ! Une belle expérience que j’ai métier, faite de respect et de convivialité… manquée, par ma faute… Tout ça a créé un lien affectif, presque Toutes ces blagues c’était une manière de témoigner notre affection, et pour moi cette une relation amoureuse, avec l’École… jovialité c’est lié à notre métier, un métier de J’étais rentré sans intention précise service et d’affabilité, au contact des gens… mais Thonon a été le révélateur de ma vocation !
  • 27. 1946-1949 Hubert Dabère • Hôtelier-restaurateur Q uand j’étais en première je voulais faire médecine, mais c’était une charge financière trop longue et lourde pour ma famille. Un ami m’a parlé de l’École Hôtelière J’ai l’impression et cela m’a tenté, d’autant qu’habitant Thonon, je pouvais même être externe. que c’est une école qui a su évoluer en gardant son âme, et un esprit de Le bâtiment avait encore quelques séquelles corps que l’on ne trouve pas de la guerre et nous avons d’abord du nous forcément ailleurs. contenter de classes équipées sommairement. On devait même aller au collège de filles pour quelques cours, notamment de dactylo. Heureusement la cuisine n’avait pas souffert de la guerre et j’y ai passé de bien grands À la sortie de l’École, les chasseurs de tête moments avec notre chef M. Desgranges, un étaient là ! Y compris le gouvernement aussi grand monsieur que son homologue canadien qui nous proposait des contrats Antonietti, qui nous dirigeait au restaurant. de 5 ans. Mais je devais faire mon service militaire, dix-huit mois en Algérie. Après quoi L’ambiance générale était très bonne d’autant je suis rentré dans le Chablais pour travailler que nous sortions de la guerre et des privations, avec M. Antonietti et au Royal d’Évian. alors un rien nous réjouissait et nous faisait plaisir. Les profs avaient leur métier dans la Puis j’ai pris une affaire en gérance aux peau et nos relations étaient excellentes sept Carroz d’Arraches. J’étais en cuisine et ma jours sur sept, et en dehors de l’école que ce femme en salle, et en 1968 nous avons ouvert soit en ville ou lors de stages et d’extras les l’hôtel L’Arbaron. week-ends. Nous faisions aussi des échanges avec l’École de Lausanne : à tour de rôle plusieurs fois dans De toute ma carrière de patron je l’année les élèves de l’une ou l’autre prenaient n’ai toujours pris que des anciens le bateau pour venir découvrir et travailler de Thonon et n’ai jamais eu à m’en dans un autre cadre, avec d’autres professeurs. plaindre, d’ailleurs certains sont devenus de grandes figures. J’ai l’impression que c’est une école qui a su évoluer en gardant son âme, et un esprit de corps que l’on ne trouve pas forcément ailleurs.
  • 28. 1989-1991 Fernand Deuss Frandi • Propriétaire et chef de cuisine, Restaurant Côté Lac, Thonon. Dès l’âgemonn’estans, j’aistage, jetous lestombé Et à de 13 amoureux : ce premier eu envie de cuisiner. jamais pareil, suis jours différent, à la fois manuel et mental ! On m’a dirigé sur Thonon : c’était très sélectif, et ce qui a joué en ma faveur, c’est que je parlais déjà couramment cinq langues : l’italien, l’espagnol, l’allemand, l’anglais, le français. Dans ma génération, il y avait trois écoles, dont Thonon, qui étaient les meilleures. Arriver à Thonon, c’était rentrer dans un autre monde. L’internat, c’était la découverte du vivre avec les autres, une véritable coupure avec le monde de l’adolescence. On sortait du cocon « Thonon, c’est une école qui donne des bases. famille + école » pour entrer directement dans Ceux qui sont sortis de cette formation n’ont le monde professionnel. Il fallait apprendre pas la même rigueur, la même discipline que à s’appuyer sur ceux avec qui on bosse. J’ai les autres. J’y ai appris le sérieux, le respect vite pris ma scolarité à Thonon comme partie du client, le goût du travail bien fait. M. intégrante du parcours professionnel. Lacroix, qui était chef, entrant un jour dans la Aujourd’hui, entre anciens de Thonon, il y a un cuisine, ne l’avait pas trouvée assez propre : il rapport spécial, l’impression que c’est « comme nous a tout fait nettoyer de A à Z ! autrefois », une sorte d’attachement indélébile. C’était un cadre qui me correspondait, droit, Le rapport avec les profs était très pro. Je franc, clair. On apprenait tellement de choses ! me souviens que pour les stages d’été, alors J’aimais ça. C’était travailler une passion que qu’on voulait tous des palaces, on m’a mis, j’avais déjà : la cuisine ; c’était de l’or. moi, dans un petit resto sur les hauteurs d’Évian. Au début je n’étais pas content, mais Et puis j’ai découvert le vin : je ne connaissais en fait ça m’a permis de toucher à tout ! Ceux pas du tout, mais ils m’ont ouvert ces portes. qui avaient obtenu leur palace ont répété les J’ai appris à reconnaître un bon vin, à accorder mêmes choses pendant tout leur stage… En un vin avec un plat : rien de plus précieux ! somme, ceux qui avaient vraiment envie, on Vers cette époque, Euro Disney allait ouvrir, les envoyait là où ils pouvaient se frotter à et ils essayaient de nous recruter. On avait toutes les tâches. pris un bus pour y aller, 600 élèves d’écoles Au restaurant d’application, je me souviens hôtelières étaient là, à qui on proposait un d’avoir eu 200 truites à tuer et vider ! emploi ! Mais il n’y avait pas d’humain derrière, pas d’âme. D’ailleurs à l’époque, Toute la cuisine était organisée comme je l’ai on était tout en bas de l’échelle sociale, pas retrouvée ensuite dans le métier ; on travaillait comme aujourd’hui où on est des stars, grâce de beaux produits, des produits de luxe. Et à des gens comme Bocuse. c’était une époque spéciale, celle des premières cuissons sous vide, des premières cuissons à En somme tout ça a été encore plus une basse température : il y avait un beau mariage révélation sur ma passion et ma motivation. entre l’ancien et le moderne. D’ailleurs, aujourd’hui, mon resto est à 100 m de l’École, j’y suis attaché ! C’est une région On nous apprenait plusieurs cuisines, par incroyable et peu exploitée. rapport à d’autres écoles où on enseignait « la » vérité — une aberration, en cuisine ! Ça Mes souvenirs de l’École, c’est toutes les a été des années agréables : elles m’ont donné choses qu’on a su me transmettre. Ils ont fait les bonnes clés. Avec l’expérience du resto leur boulot, ils ont fait exactement ce pourquoi d’application, je sais ce qu’endure quelqu’un ils étaient là. L’École a été pour moi en salle. C’était très intelligent de nous faire une clé professionnelle. faire les jobs les uns des autres. Nous avons appris à travailler ensemble et ainsi nous avons appris le respect.
  • 29. 1989-1992 Régis Douysset • Propriétaire et chef, des restaurants "L’Escarbille", Meudon (une étoile au Michelin) ; "L’Angélique", Versailles (une étoile au Michelin) J’ai unonbondesouvenir3 deque de voulaisAvec ma mère avait fait à 4 depuis l’âge 10 ans l’entretien. je route : je savais devenir cuisinier. Et pourtant, juste avant l’entretien, j’ai eu un gros stress, je ne voulais plus y aller ! Ma mère m’a engueulé, alors j’y suis allé… Et ça a marché ! Au début, le costume, la cravate, c’était un choc ! Puis, on était fiers d’être reconnus dans Au Savoie-Léman aussi on travaillait en Thonon. J’avais le sentiment d’avoir passé brigades, c’était super. On touchait le firmament, une étape. Et puis le premier cours de cuisine, c’était presque une vraie cuisine. À l’époque, on mettait la veste de cuisinier et le tablier… tout le travail était bien plus physique : on C’était comme avoir atteint un objectif. On a avait des fourneaux sans gaz, au charbon… attaqué par le taillage des légumes : et j’ai tout Nos profs avaient appris et travaillé dans ces de suite eu l’impression d’avoir appris quelque conditions, à l’ancienne ! chose de concret, j’ai eu envie de me précipiter chez moi pour tailler des légumes ! Ce qui était intéressant c’est qu’on pouvait C’était ça, le rôle de l’École, enseigner les bases. travailler à la fois le restaurant, la cuisine, et l’hébergement. Au restaurant de l’hôtel, on Les cours de cuisine, c’était toujours sympa, apprenait à gérer la main courante sur un avec une vraie envie d’apprendre. D’ailleurs énorme registre, à une petite table dans un j’ai généralement un bon souvenir de l’École coin du resto. C’était assez sympa de faire hôtelière de Thonon, non seulement pour les tous ces petits ateliers. Officier : le café, les copains, mais aussi pour l’apprentissage. Je bouteilles de vin, les bouteilles d’eau… Valet me souviens de M. Sueur, le professeur de de chambre : faire les lits, les salles de bains… pâtisserie : c’était un prof incroyable, il avait Plein d’activités, de choses différentes, toutes une seule main par suite d’une malformation, les facettes du métier. On avait tout vu et mais il accomplissait un boulot incroyable. on savait tout faire. Je voulais toujours être entremétier parce que c’est là où il y avait Or, on apprenait la connaissance des produits, le plus de boulot ! Ma hantise, c’était qu’il des découpes ; le management, la gestion des n’y ait pas assez de clients. Même pour la hommes. En T.P. de cuisine, on devait faire une plonge on était accompagné par un pro : on entrée et un plat, chacun le sien : c’était très y passait une journée ou une demi-journée. Ce individuel. n’était pas passionnant, mais ce n’est pas un mauvais souvenir ! Au resto d’application c’était différent : on J’étais loin de mes parents, je me suis fait de était par équipes, 2 à 3 personnes par partie. supers amis, et je les ai toujours ! On formait des brigades d’élèves : «entrée et plat», «dessert», «service», «élèves-clients». Aujourd’hui, le succès de ma carrière, On y allait souvent avec ma bande de 4 amis. On ne se sentait pas à la cantine, il y avait en tant que propriétaire de deux une ambiance de famille, des moments de restaurants étoilés, tout ça remonte à partage.Ce concept-là était très sympa. la formation de l’École !
  • 30. 1980-1983 Laurent Duc • Propriétaire de l’hôtel Ariana, Villeurbanne Président national de la fédération française de l’hôtellerie au sein de l’UMIH L a cuisine de ma mère et de ma grand- mère m’ont inspiré, dès l’âge de 7 ans, l’envie d’être un grand cuisinier. Mais j’ai été plus intéressé par la gestion, l’exploitation, le contact avec les clients. L’École L’École était une Institution, une vieille dame était aux grandes qualités. Et c’était aller loin de une Institution, chez soi, un cadre exceptionnel : en plein une vieille dame centre-ville, la proximité du lac… Le port du aux grandes costume, l’internat — 66 ados dans la même qualités. pièce, c’était délicat ! D’ailleurs la classe était très masculine : 4 filles et 28 garçons ! On insistait beaucoup sur le côté très physique du métier ; mais ces 4 filles vivaient à l’extérieur, c’était notre Toute la formation, d’ailleurs, était orientée. bouffée d’oxygène ! Même les matières générales : à un cours de physique, la prof nous détaillait le temps Ç’a été la découverte de l’excellence en nécessaire pour chauffer 500 litres d’eau cuisine, le meilleur du goût. Les brigades en fonction des conditions. Je ne voyais pas d’élèves cuisinant pour les autres élèves nous du tout l’intérêt… Mais des années plus permettaient de manger « à la cantine » des tard, quand j’ai dû changer l’alimentation de choses inouïes : une éducation au goût… mon hôtel (12 000 litres !), j’ai repris mes anciens cours ! Une chose remarquable, c’était l’hôtel- restaurant. Mon associé actuel est encore L’association des élèves et une coopérative surnommé « groom » parce qu’il a été le hôtelière nous ont permis de financer un foyer premier à ce poste ! Ça donne une vision d’étudiant et le voyage de fin d’année, en Italie ! transversale du fonctionnement d’un hôtel. On y reversait la rémunération des élèves sur les événements extérieurs, et les bénéfices des soirées à thème. C’était de grands événements, avec deux brigades cuisine, deux salles, et plus de deux cents convives ! J’étais et je reste très fier que l’École soit publique. Ça me paraît très important que l’État soit en prise directe avec ce domaine. « Vous êtes la base de l’organisation, mais vous êtes l’élite de demain », nous disait-on — et c’était vrai !