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MICHEL MARCHESNAY
MANAGEMENT STRATEGIQUE
© LES ÉDITIONS DE
L’ADREG
ISBN : 2-9518007-7-0
Michel Marchesnay
2
Les Ă©ditions de l’ADREG ont comme objectif de promouvoir la diffusion par Internet de travaux et de
rĂ©flexions acadĂ©miques trop volumineux pour faire l’objet d’un article dans une revue scientifique, trop courts
pour donner lieu à la production d’ouvrages diffusables dans le format papier classique, ou aux publics trop
confidentiels pour que ce format puisse ĂȘtre amorti. Elles offrent ainsi la possibilitĂ© de publier des recherches
avec tous leurs dĂ©tails mĂ©thodologiques, des essais et, avec l’autorisation des revues concernĂ©es, des rĂ©Ă©ditions
d’ouvrages Ă©puisĂ©s ou d’articles regroupĂ©s autour d’une problĂ©matique trĂšs serrĂ©e. Les tapuscrits reçus et
acceptĂ©s sont Ă©tudiĂ©s par trois lecteurs, de façon non anonyme. L’ADREG est l’Association pour la Diffusion
des Recherches sur l’Entrepreneuriat et la Gestion. Pour connaĂźtre la liste des ouvrages Ă©lectroniques Ă  paraĂźtre,
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appropriation par autrui. La diffusion, dans le respect de sa forme Ă©lectronique actuelle, de cet ouvrage est
autorisĂ©e par l’auteur, les directeurs de collection et l’ADREG.
Management Stratégique
3
Michel MARCHESNAY, Management stratĂ©gique, Les Editions de l’ADREG, mai 2004 (ISBN : 2-9518007-1-1)
Autres ouvrages du mĂȘme auteur :
MARCHESNAY M., Pour une approche entrepreneuriale de la dynamique Ressources-CompĂ©tences – essai de
praxĂ©ologie, Les Editions de l’ADREG, mai 2002 (ISBN : 2-9518007-1-1)
MARCHESNAY M. ; MESSEGHEM K. (2001). Cas commentés de stratégies de PME, Editions Management et
Société
DESREUMAUX A. ; MARCHESNAY M. ; PALPACUER F. (2001). Perspectives en management stratégique,
Editions Management et Société
MARCHESNAY M. ; FOURCADE C. (1998) Gestion de la PME-PMI, Nathan 1998
MARCHESNAY M. ; JULIEN P-A. (1997). Economie et stratégie industrielles, Economica poche
MARCHESNAY M. ; JULIEN P-A. (1996). L’entrepreneuriat, Economica poche
MARCHESNAY M. (1993). Management stratégique Eyrolles
MARCHESNAY M. (1990). Economie d’entreprise, Eyrolles
JULIEN P-A. ; MARCHESNAY M. (1988). La petite entreprise, Vuibert
MARCHESNAY M. (1986). La stratégie, Chotard
MARCHESNAY M. ; MAUREL P. (1983). Economie d’entreprise, ISTRA (5e Ă©dition)
MARCHESNAY M. ; MAUREL P. (1983). Organisation de l’entreprise, ISTRA (5e Ă©dition)
MARCHESNAY M. ; BIALES C. (1083). Economie générale et Initiation économique et sociale, 3 tomes,
ISTRA
Michel Marchesnay
4
Collection dirigée par
Alain DESREUMAUX et Thierry VERSTRAETE
MANAGEMENT STRATEGIQUE
Michel MARCHESNAY
© Les Ă©ditions de l’ADREG
septembre 2004
ISBN : 2-9518007-7-0
Management Stratégique
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SOMMAIRE
INTRODUCTION 12
CHAPITRE 1. APPROCHE DE LA STRATEGIE 16
Essai de définition 16
Une discipline aux origines multiples 21
StratĂ©gie militaire et stratĂ©gie d’entreprise 22
Analyse stratégique et analyse économique 24
Stratégie et histoire des entreprises 27
StratĂ©gie et sciences de l’homme et de la sociĂ©tĂ© 28
Stratégie et sciences de gestion 29
Une discipline aux courants multiples 31
Les Ă©coles formalistes 31
Les Ă©coles contingentes 33
Les écoles axées sur les processus 34
Vers une approche intégrative 34
CHAPITRE 2. LA POLITIQUE GENERALE (CORPORATE STRATEGY) 39
Les modĂšles dominants 40
Prolongements et critiques 45
Michel Marchesnay
6
Critiques d’ordre mĂ©thodologiques 45
La méconnaissance des buts 49
La mĂ©connaissance de l’environnement 53
CHAPITRE 3. LA PLANIFICATION STRATEGIQUE 58
La planification d’entreprise (corporate planning) 58
La planification stratégique (strategic planning) 65
Vers le management stratégique 69
Le contrÎle stratégique 74
CHAPITRE 4. LE MARKETING STRATEGIQUE 79
Les origines du marketing stratĂ©gique – cycle de vie et diversification 80
La matrice BCG 90
Les matrices de positionnements concurrentiels 100
CHAPITRE 5. LES STRATEGIES TECHNOLOGIQUES 107
Les grilles d’analyse technologiques 109
Définition et modalités 109
Le modĂšle de Woodward 112
Le cycle de vie technologique 113
Les matrices technologiques 115
Management Stratégique
7
La dynamique des technologies 117
Les stratĂ©gies d’innovation technologique 120
Le processus de décision 120
Les mĂ©tiers de l’entreprise 125
CHAPITRE 6. L’ENVIRONNEMENT CONCURRENTIEL 128
La notion d’environnement concurrentiel 129
Un environnement complexe et turbulent 129
L’organisation industrielle 132
L’organisation des transactions 135
L’analyse industrielle 139
Le paradigme SCP 139
Le groupe stratégique 143
La vulnérabilité 146
L’analyse de filiùre 149
L’analyse de concurrence
CHAPITRE 7. L’ORGANISATION 156
Les approches rationnelles 158
La différenciation des tùches 159
L’intĂ©gration des individus 160
Michel Marchesnay
8
Les approches contingentes 162
Les approches volontaristes (constructivistes) 165
L’approche en termes de compĂ©tences distinctives 172
Les facteurs clés de succÚs 172
La chaĂźne de valeur 173
CHAPITRE 8. LES STRATEGIES DE DOMAINE 178
La notion de domaine 178
Le domaine d’activitĂ© stratĂ©gique (Strategic Business Unit) 179
Le champ stratégique 182
Les stratégies de développement du domaine stratégique 185
Les voies de la croissance patrimoniale 188
Les voies de la croissance contractuelle 194
Les stratégies de valorisation du domaine 199
La diversification 199
La spécialisation 203
L’internationalisation 206
CHAPITRE 9. LA DECISION STRATEGIQUE 209
Nature de la prise de décision stratégique 210
Les décisions programmées 210
Management Stratégique
9
Les décisions semi-programmées 211
Les décisions non-programmables 212
L’apport de la thĂ©orie des jeux 215
Prise de dĂ©cision stratĂ©gique et taille de l’organisation 218
La prise de décision stratégique dans les grandes entreprises 219
La prise de décision stratégique dans les petites entreprises 223
CHAPITRE 10. ENTREPRENEUR ET ENTREPRENEURIAT 228
L’entrepreneur 228
L’entrepreneur, « hĂ©ro de l’économie ? » 228
Les classifications de l’entrepreneur 231
L’entrepreneuriat 238
La création 238
Les aides 239
Evaluation 240
CHAPITRE 11. ANALYSE STRATEGIQUE 246
ProblÚmes soulevées 246
Du diagnostic à la décision 246
Le rĂŽle des outils 247
L’apprentissage de la dĂ©cision stratĂ©gique 249
Michel Marchesnay
10
Une grille pour le diagnostic stratégique 250
Illustration par un cas simple 253
Une grille pour l’action stratĂ©gique 257
L’élaboration d’un plan d’action 258
La mise en Ɠuvre du plan d’action stratĂ©gique 260
CONCLUSION. PROBLEMES ET PERSPECTIVES EN MANAGEMENT STRATEGIQUE 263
ANNEXES : QUELQUES DEFINITIONS DE LA STRATEGIE 267
BIBLIOGRAPHIE 277
Management Stratégique
11
Ce texte est une rĂ©Ă©dition de l’ouvrage du mĂȘme auteur, et du mĂȘme titre, Ă©ditĂ© par Eyrolles
(collection Eyrolles Université) dont la deuxiÚme édition date de 1995.
Michel Marchesnay
12
INTRODUCTION
Depuis une dizaine d’annĂ©es, l’enseignement de la stratĂ©gie a connu des avancĂ©es importantes.
AssimilĂ©e pendant longtemps Ă  l’économie d’entreprise, au management, voire au marketing, la
discipline a maintenant droit de citĂ©. Cette reconnaissance s’est traduite, en France, par une
multiplication des travaux scientifiques et pédagogiques, et notamment par des manuels, surtout à
partir de 1985. Ces ouvrages reprennent les modÚles, théories et grilles couramment enseignés aux
Etats-Unis.
Notre propos n’est pas de rĂ©Ă©crire un nouveau manuel classique, dont le marchĂ© est maintenant bien
rĂ©alisĂ©. Notre objectif a Ă©tĂ© d’écrire un ouvrage aux dimensions volontairement rĂ©duites. L’idĂ©e a Ă©tĂ©
de faire une synthĂšse des diffĂ©rents courants qui se sont dĂ©veloppĂ©s en stratĂ©gie, en s’appuyant, peu ou
prou, sur leur classement tel qu’il a Ă©tĂ© rĂ©cemment dressĂ© par le spĂ©cialiste canadien Henry Mintzberg.
Celui-ci a distingué les écoles listées dans le tableau de la page suivante.
Management Stratégique
13
École de pensĂ©e Formation de la stratĂ©gie
Modélisation
Planification
Positionnement
Entrepreneuriale
Cognitive
Apprentissage
Politique
Culturelle
Environnementale
Configurationnelle
Conceptuelle
Formelle
Analytique
Visionnaire
Mentale
Émergente
À base de pouvoir
Idéologique
Passive
Épisodique
Cette classification est fort discutable, mais elle permet de faire apparaĂźtre un point important :
largement fondée sur une rationalité instrumentale au départ, et sur des problÚmes de politique
gĂ©nĂ©rale, la stratĂ©gie s’est progressivement intĂ©ressĂ©e aux problĂšmes de choix des activitĂ©s,
distinguant la « corporate » de la « business strategy », dont l’articulation correspond au management
stratégique. Par la suite, les auteurs en pointe ont de plus en plus critiqué les modÚles et grilles toutes
faites ; délaissant les procédures, assez inefficaces en des temps troublés, les auteurs ont tendu à
Michel Marchesnay
14
privilégier les processus de prise de décision collectifs dans les organisations, et individuels, de la part
du stratĂšge (« l’entrepreneur »). Actuellement, le souhait exprimĂ© serait de dĂ©boucher sur des
démarches qui intÚgrent les procédures et les processus, qui utilisent grilles, modÚles et théories au
sein de démarches tournées vers la détection des problÚmes et le suivi des actions.
C’est pourquoi nous proposons le plan suivant :
- Le chapitre premier expose les données du problÚme, à savoir la multiplicité des conceptions et
des domaines de l’analyse stratĂ©gique.
- Le chapitre second aborde la « corporate strategy », la politique générale (la « design school »
de Mintzberg).
- Le chapitre troisiÚme aborde le problÚme de la planification stratégique.
- Le chapitre quatre traite du marketing stratégique, le cinquiÚme des stratégies technologiques.
- Le chapitre six aborde la notion d’environnement concurrentiel, le chapitre sept les problùmes
liĂ©s Ă  l’organisation, ce qui permet, dans le chapitre huit, d’aborder la notion de champ
concurrentiel.
- On est ainsi conduit aux problÚmes liés à la décision stratégique (chapitre neuf), puis au décideur
et à l’esprit d’entreprise (chapitre dix).
- Le onziĂšme et dernier chapitre est une sensibilisation Ă  l’analyse stratĂ©gique (cas, conseil) au
travers d’une approche intĂ©grative que nous prĂ©conisons.
Management Stratégique
15
Il est assez remarquable de constater que ce déroulement correspond assez largement à la succession
dans le temps, au cours des trente derniÚres années, des apports théoriques. Actuellement, les
spĂ©cialistes sont focalisĂ©s sur un aspect ou un autre, souvent en fonction de leur discipline d’origine
(l’économie industrielle, le marketing, le management, le contrĂŽle de gestion, etc.). Notre ambition,
sans doute mal tenue, a consisté à présenter les diverses facettes, de façon trÚs synthétique. Nous
avons limitĂ© au maximum les rĂ©fĂ©rences aux auteurs, pour ne retenir que la progression logique d’une
Ă©tape Ă  l’autre. Nous avons souvent cherchĂ© Ă  adapter les modĂšles les plus courants pour les
homogénéiser. Dans la bibliographie, nous avons rejeté les ouvrages en anglais, ou difficilement
trouvables pour l’étudiant moyen. Nous nous sommes permis de faire rĂ©fĂ©rence Ă  nos propres
ouvrages et articles, craignant d’avoir Ă©tĂ© parfois trop elliptique sur certains points.
Ce livre a été plus conçu pour instruire les étudiants que pour impressionner les collÚgues... Je
remercie donc mes Ă©tudiants qui, avec une patiente courtoisie, m’ont entretenu dans l’illusion que cet
ouvrage Ă©tait lisible, et — qui sait ? — qu’il les avaient incitĂ©s Ă  en connaĂźtre davantage sur cette
matiÚre passionnante et complexe: la stratégie.
.
Michel Marchesnay
16
CHAPITRE 1.
APPROCHE DE LA STRATEGIE
ESSAI DE DEFINITION
Si bizarre que cela puisse paraĂźtre, l’enseignement systĂ©matique de la stratĂ©gie, conçue comme une
discipline des sciences de gestion, est finalement assez rĂ©cent. Si l’on excepte le manuel de Harvard,
dont il sera question dans le chapitre second (modÚle « LCAG »), paru dans les années 50, il faudra
attendre les travaux amĂ©ricains de la fin des annĂ©es 60 pour voir s’esquisser des « modĂšles
stratĂ©giques », susceptibles d’ĂȘtre enseignĂ©s « Ă  part entiĂšre », dans des cours appropriĂ©s. Au dĂ©but des
années 80, les manuels de référence se multiplient, le plus souvent aux Etats-Unis ; ils « inspirent »
alors nombre d’ouvrages en Europe, en sorte que, Ă  la fin des annĂ©es 80, on peut penser qu’il y a une
sorte de consensus sur le contenu de la discipline de stratégie des entreprises.
Les choses ne sont pas aussi claires. En fait, l’enseignement de la stratĂ©gie subit diverses influences
qui trahissent la diversité de ses origines et de ses apports. Bien souvent, dans les Business Schools ou
dans les Écoles de Commerce, ce cours Ă©tait confiĂ© Ă  un praticien d’entreprise (un « professionnel »),
qui proposait surtout des recettes « la stratĂ©gie ne peut pas s’apprendre, c’est un art ». À l’inverse,
Management Stratégique
17
dans les Universités, ce cours était confié à des spécialistes de micro-économie, et consistait bien
souvent en l’exposition de modĂšles trĂšs thĂ©oriques ; ou bien, il Ă©tait confiĂ© Ă  des enseignants de
techniques de gestion, qui mettaient l’accent sur les techniques de planification et de contrîle, plus que
sur la rĂ©flexion stratĂ©gique. Finalement, les « professionnels » s’intĂ©ressaient surtout aux problĂšmes de
politique générale, à la prise concrÚte de décision, alors que les « enseignants » accordaient leur
préférence soit à la formalisation de la démarche, soit aux techniques du management stratégique.
On aura compris que la discipline de stratégie est, par excellence, le lieu de confrontation de la
pensĂ©e et de l’action. Le cours de stratĂ©gie exige une intelligence de concepts et de rĂ©flexions, dont la
lecture reste banale tant qu’on ne les a pas confrontĂ©s Ă  une mise en pratique, par des exemples, par
des cas, par sa propre expérience des affaires.
Cette symbiose apparaĂźt parfaitement dans l’enseignement nord-amĂ©ricain. Au dĂ©but des annĂ©es 80,
les autoritĂ©s gouvernementales s’inquiĂštent de la pauvretĂ© conceptuelle des cours de politique gĂ©nĂ©rale
et stratégie dans les M.B.A., car ces cours sont dévolus à des praticiens, le plus souvent. Les
UniversitĂ©s, pour maintenir leur position concurrentielle (car elles font l’objet de classements, qui
justifient les droits d’inscription...), recrutent alors des chercheurs venus de disciplines plus « dures »,
comme l’économie industrielle ; ces chercheurs, comme Porter Ă  Harvard, proposeront des dĂ©marches
plus formalisées. Au début des années 90, la voie est désormais ouverte pour une intégration plus
poussée entre la conception des modÚles et leur mise en pratique.
Michel Marchesnay
18
ArrivĂ© Ă  ce stade, le lecteur attend avec impatience une dĂ©finition de la stratĂ©gie... et l’auteur avoue
son embarras. La liste donnée en annexe des définitions proposées dans des ouvrages marquants révÚle
l’absence de total consensus en l’état actuel de la discipline. On peut toutefois classer ces dĂ©finitions
autour de quelques thÚmes répétitifs.
— Le thĂšme des buts : est stratĂ©gique toute dĂ©marche qui repose sur la dĂ©finition de buts Ă  long
terme, et la dĂ©termination des moyens pour les rĂ©aliser. Ce type de dĂ©finition s’intĂ©resse plutĂŽt aux
problĂšmes de politique gĂ©nĂ©rale de l’entreprise ou de l’organisation.
— Le thĂšme du plan : est stratĂ©gique toute dĂ©marche reposant sur une planification de
l’engagement des ressources sur un horizon donnĂ©. Sans plan, pas de stratĂ©gie, dans cette conception
extrĂȘme. Le management stratĂ©gique s’identifie alors Ă  la planification stratĂ©gique.
— Le thĂšme de l’environnement : est stratĂ©gique toute dĂ©cision qui a pour but de rendre
l’entreprise compĂ©titive Ă  long terme, de se renforcer par rapport Ă  un environnement oĂč rĂšgne la
concurrence. Le management stratĂ©gique s’identifie alors Ă  la lutte sur les marchĂ©s, et se rapproche du
marketing stratégique.
— Le thĂšme du changement : est stratĂ©gique toute dĂ©cision impliquant des changements
importants, structurels, dans le management de l’entreprise (ses buts, ses activitĂ©s, son organisation,
etc.).
Management Stratégique
19
Souvent, ces diverses acceptions sont regroupées sous une formulation trÚs banale, du type : « La
stratĂ©gie consiste Ă  planifier le changement, dans le but d’adapter les ressources de l’organisation aux
exigences de l’environnement concurrentiel, pour rĂ©aliser les objectifs et les buts fondamentaux ».
II est vrai que la plupart des manuels nord-amĂ©ricains sont conçus dans cet esprit. On dĂ©finit d’abord
les buts et la politique gĂ©nĂ©rale, puis on pose les Ă©lĂ©ments du diagnostic sur l’environnement, et sur
l’organisation, avant de mettre en oeuvre une planification des moyens pour rĂ©aliser des stratĂ©gies
d’activitĂ©s dont on contrĂŽlera les performances.
Toutefois, on voit qu’il y a deux niveaux en principe distincts :
— Le niveau de la corporate strategy, Ă©laborĂ©e par la Haute Direction, qui correspond largement
Ă  ce que l’on appelle la « politique gĂ©nĂ©rale ».
— Le niveau de la business strategy, que nous traduirons par « stratĂ©gie d’activitĂ©s », Ă©laborĂ©e au
niveau des divisions opérationnelles de produits et de marchés, et qui correspond largement au
management stratégique.
Bien entendu, ces deux niveaux sont étroitement reliés (dans la petite entreprise, ils sont
parfaitement confondus). Mais ils correspondent à des problÚmes distincts, y compris dans la façon
dont sont prises les dĂ©cisions comme dans leur objet. Or, selon l’importance accordĂ©e Ă  chacun de ces
niveaux comme Ă  chacun des thĂšmes dominants, des Ă©coles de pensĂ©es et d’enseignement de la
stratégie se font jour, comme on le verra en fin de ce chapitre.
Michel Marchesnay
20
Pour sa part, le spécialiste canadien de management, Henry Mintzberg, dont il sera souvent question
par la suite, recense ce qu’il appelle les 5 P pour dĂ©finir le concept de stratĂ©gie :
— P comme plan, soit un type d’action voulu consciemment.
— P comme pattern (modĂšle), soit un type d’action formalisĂ©, structurĂ©.
— P comme ploy (manoeuvre), soit une action destinĂ©e Ă  rĂ©aliser un objectif prĂ©cis (il ne s’agit
que de tactique).
— P comme position, soit la recherche d’une localisation favorable dans l’environnement, pour
soutenir durablement la concurrence.
— P comme perspective, soit une perception de la position dans le futur.
Ces cinq P sont interreliĂ©s, et s’expriment globalement sous la forme de dĂ©marches stratĂ©giques
différentes, selon notamment ceux qui les mettent en oeuvre, ce qui vient encore souligner le tien trÚs
fort entre la rĂ©flexion et l’action en stratĂ©gie.
Par exemple, on peut imaginer les séquences types suivantes :
— Dans les grandes organisations bureaucratiques, la rĂ©daction du plan joue un rĂŽle dĂ©terminant
dans le processus stratĂ©gique. Le plan va se formaliser (Pattern), s’exĂ©cuter au travers de manoeuvres
(Ploy), se dérouler dans le temps (Perspective) et entraßner un certain positionnement sur le marché.
Management Stratégique
21
— Dans les petites organisations, le processus est diffĂ©rent. Les manoeuvres jouent un rĂŽle
important (la stratégie est réactive, chapitre IX), la stratégie émerge de ces manoeuvres : elle se
structure sur le tas, progressivement, acquiert une certaine durée, une certaine perspective de temps, et
contribue Ă  positionner l’entreprise, sans qu’il y ait de plan formalisĂ© au dĂ©part.
On donnera donc une définition de synthÚse de la stratégie :
C’est « l’ensemble constituĂ© par les rĂ©flexions, les dĂ©cisions, les actions ayant pour objet de
déterminer les buts généraux, puis les objectifs, de fixer le choix des moyens pour réaliser ces
buts, de mettre en oeuvre les actions et les activités en conséquence, de contrÎler les
performances attachées à cette exécution et à la réalisation des buts ».
Cette définition lapidaire ne saurait cacher des divergences de conception de la stratégie, qui
s’expliquent avant tout par la diversitĂ© des disciplines qui ont contribuĂ© Ă  forger cette discipline
nouvelle: la stratégie des organisations.
UNE DISCIPLINE AUX ORIGINES MULTIPLES
Comme nous l’avons dit, la conception d’un cours de stratĂ©gie est fortement liĂ©e Ă  la « culture » de
l’enseignant : en tĂ©moigne la diversitĂ© du contenu des manuels de stratĂ©gie — du moins en France —
Michel Marchesnay
22
de la Terminale aux cours de doctorat ! Cette diversitĂ© s’explique Ă  la fois par la jeunesse de la
discipline, comme objet d’étude en gestion, et par l’anciennetĂ© de la pratique stratĂ©gique. Il s’agit donc
de remonter aux sources, et de faire un examen critique de celles-ci.
StratĂ©gie militaires et stratĂ©gie d’entreprise
La relation est simple: les stratÚges, dans la Cité athénienne, étaient chargés de la conduite de la
guerre, sous l’oeil vigilant des archontes, notables chargĂ©s de gĂ©rer la CitĂ© (polis, en grec : on voit
ainsi une premiĂšre figuration de la distinction entre la politique gĂ©nĂ©rale et la stratĂ©gie d’activitĂ©s). Il
fallut attendre les guerres napoléoniennes pour que des théoriciens dépassent la simple conduite des
batailles pour se pencher sur l’art de la guerre. Un gĂ©nĂ©ral prussien, Karl von Clausewitz, observant les
campagnes de NapolĂ©on, Ă©largit le dĂ©bat, en montrant que la guerre n’est qu’une des formes de la
politique extĂ©rieure, diplomatique d’un pays, forme violente, subordonnĂ©e Ă  la poursuite des objectifs
politiques.
AprÚs la Seconde Guerre mondiale, les conditions géopolitiques de la Guerre Froide et des guerres
d’indĂ©pendance remirent au premier plan cette idĂ©e de subordination du « management stratĂ©gique » Ă 
la « politique générale ».
Or, dans les années 50, les grandes entreprises américaines cherchÚrent des éléments de réflexion
pour développer leur stratégie, et crurent en trouver dans les théories militaires sur la conduite des
guerres, des campagnes et des batailles. On vit ainsi fleurir de nombreux ouvrages sur l’art de la guerre
Management Stratégique
23
appliquĂ© aux affaires, et mĂȘme des livres dĂ©crivant des batailles cĂ©lĂšbres pour les appliquer aux
problÚmes stratégiques des entreprises.
On débat beaucoup des affinités entre les deux stratégies. De ces débats, on peut tirer les
observations suivantes :
— Au niveau le plus simple, l’image guerriùre donne lieu à de nombreuses expressions
(guerre de prix, capitaine d’industrie, campagne promotionnelle, etc.) sans rĂ©elle rĂ©flexion de
fond.
— À un autre niveau, on observe certaines analogies entre la conduite des affaires et celle
des batailles : d’abord sur la relation entre les forces respectives (les ressources de
l’organisation, l’avantage concurrentiel), l’état du terrain et les conditions de l’engagement (le
positionnement concurrentiel) ; ensuite, sur les conditions de déroulement de la bataille ou de
la guerre (manoeuvres tactiques). Toutefois, l’objection fondamentale est que, dans la guerre
des affaires, il ne s’agit gĂ©nĂ©ralement pas de dĂ©truire le concurrent (les forces du marchĂ© s’en
chargent).
— Les affinitĂ©s sont en fait beaucoup plus fortes dans les deux cas suivants : d’une part,
lorsque la stratĂ©gie de l’entreprise est une stratĂ©gie d’élimination directe des concurrents, ou
lorsque l’environnement est fortement hostile (cf. chapitre 6); d’autre part, lorsque la guerre
militaire n’a pas pour but l’anĂ©antissement de l’adversaire, ou lorsque les batailles sont
Michel Marchesnay
24
conduites sans rechercher la victoire totale (la guerre du Golfe, les guerrillas en donnent de
nombreux exemples).
Analyse stratégique et analyse économique
L’analyse Ă©conomique « officielle » (en particulier l’analyse micro-Ă©conomique des marchĂ©s)
accorde une faible place Ă  la stratĂ©gie des entreprises. S’intĂ©ressant avant tout Ă  l’équilibre gĂ©nĂ©ral,
rĂ©sultat des Ă©quilibres partiels (sur chaque marchĂ©), l’analyse Ă©conomique part du principe que, pour
optimiser ses performances, soit le profit maximum, l’entreprise doit se contenter d’obĂ©ir aveuglĂ©ment
aux signaux du marchĂ© que sont les prix (taux de salaire, taux d’intĂ©rĂȘt, taux de profit, prix des
produits). Le chef d’entreprise doit se contenter d’utiliser de façon optimale ses ressources, s’il est
rationnel.
Cette analyse a longtemps prĂ©dominĂ©. De nos jours, les Ă©conomistes qui s’intĂ©ressent Ă  l’entreprise
et Ă  l’industrie accordent une place croissante, voire dĂ©terminante, Ă  la stratĂ©gie, au point d’apporter,
comme Michael Porter, des outils et des modÚles essentiels. Les principaux amendements apportés à la
théorie économique traditionnelle sont les suivants :
— Il existe des situations thĂ©oriques qui sont diffĂ©rentes de la concurrence pure et
parfaite, et permettent Ă  l’entreprise de choisir le couple quantitĂ©/prix optimal. Tel est le cas
des situations suivantes: monopole (seul), duopole (deux), oligopole (quelques-uns).
L’optimum peut ĂȘtre obtenu par des voies diffĂ©rentes, selon qu’il y a affrontement (conflit),
Management Stratégique
25
entente tacite (collusion), ou entente explicite (coopĂ©ration). Il n’est mĂȘme pas sĂ»r qu’on
puisse déterminer logiquement le résultat optimum, comme le montre la théorie des jeux
(chapitre 9).
— La situation thĂ©orique plus rĂ©aliste est sans nul doute celle de la concurrence
imparfaite et monopolistique : chaque entreprise cherche à avoir une part de marché stable et
adopte une stratégie de survie, et non de guerre à outrance, aux résultats trop incertains.
— L’idĂ©e selon laquelle les entreprises cherchent Ă  maximiser leur profit, en allouant
leurs ressources de façon optimale, est une vue de l’esprit : elles adoptent plutît un
comportement de satisfaction d’objectifs rĂ©alistes. Cette approche, qualifiĂ©e de
« bĂ©havioriste » est prĂŽnĂ©e par l’AmĂ©ricain Herbert Simon, prix Nobel d’Économie.
— Il n’est pas vrai que le taux de profit dans une industrie soit seulement dĂ©terminĂ© par
les structures de cette industrie (chapitre 6). Il faut tenir compte des stratégies des entreprises,
qui contribuent à modifier les structures (demande, technologie, etc.) de l’industrie dans cette
optique, on prĂ©fĂšre parler d’Organisation Industrielle (O.I.) plutĂŽt que d’Économie Industrielle
(E.I.).
— L’analyse Ă©conomique traditionnelle n’accorde aucun rĂŽle dĂ©terminant Ă  l’entreprise et
Ă  l’entrepreneur. A la fin des annĂ©es 30, l’économiste autrichien, alors exilĂ© aux Etats-Unis,
Joseph Schumpeter, va montrer le rîle moteur de l’entrepreneur dans le capitalisme, de par sa
stratĂ©gie d’innovation. De mĂȘme, Ă  la mĂȘme Ă©poque, l’Anglo-AmĂ©ricain Coase (prix Nobel
d’Économie) va montrer que les Ă©changes peuvent se faire, soit sur un marchĂ©, soit dans une
organisation : le fait que les transactions internes soient moins « coûteuses » au sens large que
Michel Marchesnay
26
les transactions externes, justifie l’existence de la firme dans une Ă©conomie de marchĂ©. AprĂšs
1950, un courant trĂšs important en Ă©conomie d’entreprise s’intĂ©ressera Ă  la thĂ©orie de la firme,
accordant une place croissante aux rapports entre les structures et les stratégies, au niveau de
la firme comme de l’industrie.
L’apport de l’analyse Ă©conomique, ainsi amendĂ©e, a consistĂ© avant tout Ă  donner plus de rigueur aux
exposés sur la stratégie, en précisant la portée de certaines notions (par exemple la diversification -
chapitre 6 - ou la fixation des buts - chapitre 2). Certains manuels s’appuient fortement sur cette
relation, notamment dans l’école française de stratĂ©gie.
Dans la littĂ©rature amĂ©ricaine de stratĂ©gie, l’appui sur l’analyse Ă©conomique porte plus prĂ©cisĂ©ment
sur les points suivants :
— La croyance en une primautĂ© de l’économie de marchĂ©, en la libre concurrence,
comme sélecteurs de performance, et en conséquence, le rÎle directeur du profit (chapitre 2).
— L’intĂ©rĂȘt accordĂ© Ă  une dĂ©marche rationnelle, mĂ©thodique, dans l’analyse stratĂ©gique
(diagnostic, position du problĂšme, choix, Ă  partir de critĂšres rationnels, de la meilleure
solution, mise en oeuvre, contrÎle des résultats).
— Le recours Ă  des outils d’analyse relevant de la logique « substantive » (H. Simon),
logico-mathématique, comme aide à la décision stratégique (chapitre 9).
Management Stratégique
27
Stratégie et histoire des entreprises
L’analyse historique consiste Ă  suivre ou Ă  recomposer Ă  partir de documents l’évolution de la
démarche stratégique (décisions essentielles, changements déterminants) suivie par une entreprise ou
un groupe d’entreprises. L’objectif est double :
— Essayer de dĂ©gager des « lois », ou des tendances lourdes. Ainsi, l’historien amĂ©ricain
Chandler (Harvard) a Ă©mis l’idĂ©e que les grandes modifications structurelles apparues dans les
entreprises américaines dans les années trente avaient pour origine des changements de
stratégie, dans les choix de produits et de marchés. La grande entreprise, selon cet auteur,
oppose Ă  la « Main Invisible » des lois du MarchĂ©, la « Main Visible » de l’Organisation
(coĂ»ts de transactions internes) qu’elle façonne en fonction de ses choix stratĂ©giques.
— Observer l’évolution des techniques et des principes de management, souvent en
partant du principe selon lequel le succĂšs d’une entreprise est dĂ» Ă  l’adoption de principes «
modernes » ou de techniques « avancĂ©es » qu’il convient de transposer aux autres entreprises.
Par exemple, deux auteurs, Peters et Waterman, observant tes entreprises les plus performantes
aux États-Unis, Ă©numĂšrent les « clĂ©s » de leur succĂšs: malheureusement, quelques annĂ©es plus
tard, la plupart d’entre elles avaient pĂ©riclitĂ©...
Il n’en reste pas moins que l’observation des stratĂ©gies des entreprises, mĂȘme au niveau de l’histoire
immĂ©diate, de l’actualitĂ© quotidienne, constitue une source inĂ©puisable d’informations. La lecture
Michel Marchesnay
28
rĂ©guliĂšre d’articles consacrĂ©s Ă  la vie des affaires offre des applications constantes des notions
énoncées dans les manuels et autres ouvrages consacrés à la stratégie.
StratĂ©gie et sciences de l’homme et de la sociĂ©tĂ©
Sous ce vocable, on englobera avant tout les travaux en sociologie des organisations et en
psychologie.
En effet, si l’on abandonne le postulat, souvent avancĂ© par les Ă©conomistes, selon lequel la stratĂ©gie
de l’entreprise est uniquement dĂ©terminĂ©e par les forces du marchĂ© et de la concurrence, on est conduit
à accorder une grande importance au rîle des individus et aux structures de l’organisation dans le
management stratégique. En particulier, les choix se ramÚneront à des rapports de pouvoir, ou au
moins Ă  des relations interpersonnelles ou intergroupes.
La sociologie des organisations s’est fortement dĂ©veloppĂ©e aprĂšs la Seconde Guerre mondiale. Sans
dĂ©florer ce qui sera dit dans le chapitre 7, l’apport essentiel rĂ©side Ă  nos yeux dans le point de vue
appelĂ© « contingent » : on considĂšre que la stratĂ©gie n’est pas dĂ©terminĂ©e a priori, mais qu’elle rĂ©sulte
du jeu de forces et d’évĂ©nements qui influenceront les choix, sĂ©parĂ©ment ou globalement.
La psychologie joue Ă©galement un rĂŽle croissant, comme on le verra dans le chapitre 8, dans la
mesure oĂč elle permet de mieux comprendre le processus de prise de dĂ©cision. Elle s’intĂ©resse aux
façons dont les décideurs « savent » (processus cognitif), dont ils « apprennent » (processus
d’apprentissage), dont ils « choisissent » (processus dĂ©cisionnels).
Management Stratégique
29
Stratégie et sciences de gestion
Si bizarre que cela puisse paraĂźtre, la relation n’est pas si Ă©vidente. En effet, la gestion d’une
entreprise a pour objet d’user au mieux des ressources dont dispose l’entreprise ; le gestionnaire
s’appuie sur des techniques bien Ă©tablies, en gĂ©nĂ©ral, et celles-ci font l’objet d’un enseignement, d’une
transmission somme toute assez simple (exemple: les techniques comptables). En stratégie, on se
heurte Ă  des situations complexes, Ă  des problĂšmes « mal structurĂ©s », pour lesquels la rĂ©ponse n’est
pas toujours techniquement possible. Comme on peut le constater avec des Ă©tudiants de gestion, la
sensibilisation à la démarche stratégique, une fois enseignés les modÚles traditionnels et les pratiques
observĂ©es, peut se heurter Ă  de fortes rĂ©sistances. En effet, il est demandĂ© d’adopter, selon l’expression
d’Henry Mintzberg, une attitude « artisanale », de recourir Ă  l’intuition beaucoup plus qu’à la logique
« substantive » (Simon) : au point que Mintzberg a suggĂ©rĂ© de ne dispenser ces cours qu’à des
personnes ayant dĂ©jĂ  une expĂ©rience de l’entreprise !
En fait, les choses Ă©voluent dans le sens d’un rĂŽle croissant d’une attitude « stratĂ©gique » dans les
divers domaines de la gestion. En effet, les techniques de gestion sont devenues, dans nombre de
domaines, hautement programmĂ©es, au point que l’ordinateur peut « prendre la dĂ©cision ». En
conséquence, le gestionnaire doit maintenant se préoccuper des décisions plus risquées, plus
complexes, peu programmables. Ainsi, l’expert-comptable fera de plus en plus du conseil en gestion,
le chef du personnel fera moins de paie et plus de recrutement, etc. Bref, les aspects stratégiques liés à
une fonction tendent Ă  devenir dominants, comme le titre de nombreux ouvrages de gestion le montre
(mĂȘme si le terme de stratĂ©gie n’est pas toujours bien dĂ©fini...). Cela signifie que l’on s’intĂ©resse de
Michel Marchesnay
30
plus en plus aux décisions difficilement programmables, ayant des effets en dehors de la fonction,
nĂ©cessitant une tournure d’esprit diffĂ©rente (ainsi, dans un cas de stratĂ©gie, on ne cherche pas « la »
solution, mais « une » solution, ce qui est trĂšs dĂ©routant pour l’étudiant).
La relation entre le management et la stratégie est bien entendu plus forte, au point que les termes
sont souvent confondus. Le management trouve son origine dans la fonction d’administration gĂ©nĂ©rale
de l’entreprise, telle que dĂ©crite dans les Ă©crits du Français Henri Fayol au dĂ©but de ce siĂšcle, et
dĂ©veloppĂ©e par nombre d’auteurs amĂ©ricains dont, au milieu du siĂšcle, Chester Barnard, et, plus
rĂ©cemment, Peter Drucker. Mais l’on peut reprocher Ă  cette assimilation de cantonner la stratĂ©gie Ă 
l’aspect interne Ă  l’entreprise, de mise en oeuvre d’une stratĂ©gie dĂ©terminĂ©e de l’extĂ©rieur.
Le marketing, qui se dĂ©veloppe aprĂšs 1950 (Levitt, Kotler) a le mĂ©rite d’ouvrir le raisonnement
stratégique sur le rÎle vis-à-vis du marché, et de la satisfaction de besoins. Nombre de modÚles
stratégiques sont en fait empruntés au marketing stratégique (telles les matrices de portefeuille).
Toutefois, la stratégie va bien au-delà du seul marketing : ainsi, au niveau de la business strategy (cf.
supra), il faut tenir compte également des stratégies technologiques.
On pourrait citer d’autres influences (l’ingĂ©nierie, la science politique). Ce qui vient d’ĂȘtre dit suffit
Ă  souligner l’extrĂȘme diversitĂ© des influences. Or, les auteurs en stratĂ©gie sont eux-mĂȘmes d’origines
scientifiques différentes, et leurs travaux révÚlent cette diversité. Il en découle plusieurs écoles,
plusieurs courants en stratégie, que nous allons maintenant évoquer.
Management Stratégique
31
UNE DISCIPLINE AUX COURANTS MULTIPLES
RĂ©cemment, Mintzberg a prĂ©sentĂ© les diffĂ©rents courants actuels en stratĂ©gie d’entreprise en les
situant sur une horloge : au fur et Ă  mesure que « l’heure avance », on irait de courants mettant l’accent
sur les procédures de décision, reposant sur des modÚles et des techniques éprouvés, vers des écoles ou
des mĂ©thodologies plus contingentes, pour dĂ©boucher sur des approches s’intĂ©ressant aux processus de
prise de dĂ©cision, dans les organisations, puis chez les individus. Aux yeux de Mintzberg, l’idĂ©al, loin
d’ĂȘtre atteint, serait d’aboutir Ă  une approche intĂ©grant l’ensemble de ces prĂ©occupations, les
procĂ©dures et les processus, au sein d’une « configuration » englobant tous ces problĂšmes.
Nous nous inspirerons de sa présentation pour énumérer ces écoles de pensée stratégique, puis pour
présenter le plan de cet ouvrage.
Les Ă©coles formalistes
On peut situer, dans le temps et dans l’espace, les origines de l’enseignement de la stratĂ©gie Ă  la
Business School de Harvard, dans les années 50. La philosophie de cette école sera présentée dans le
chapitre 2, consacré à la corporate policy, à titre principal.
L’idĂ©e essentielle est que les objectifs sont fixĂ©s par les propriĂ©taires, et mis en oeuvre par les
dirigeants aprÚs examen de la situation interne et externe, au travers du management stratégique. Cette
approche est trĂšs logique : on lui reproche maintenant de l’ĂȘtre trop, de ne pas intĂ©grer les
Michel Marchesnay
32
comportements et les alĂ©as, d’insister plus sur les procĂ©dures que sur les processus, de ne pas
appréhender les problÚmes de mise en oeuvre.
C’est pourquoi, au dĂ©but des annĂ©es 60, une autre Ă©cole, dite de San Diego, s’intĂ©ressera aux
problĂšmes de management stratĂ©gique, c’est-Ă -dire de conception d’outils de gestion planifiĂ©e et de
modes de dĂ©veloppement de l’entreprise, au travers des activitĂ©s, analysĂ©es en technologies, produits
et marchĂ©s. Le reprĂ©sentant le plus cĂ©lĂšbre de cette approche est l’AmĂ©ricain Igor Ansoff. Elle fera
l’objet du chapitre 3. On observera, pour l’instant, que la dĂ©marche reste encore trĂšs formalisĂ©e : or, on
lui a reprochĂ© sa rigiditĂ©, la difficultĂ© de s’adapter Ă  des changements brutaux pour changer de
stratĂ©gie. D’oĂč de profonds remaniements.
Au cours des années 70, marquées par de fortes ruptures dans le capitalisme mondial, le problÚme de
la compétitivité se pose de façon cruciale. Les activités traditionnelles ne sont plus le moteur de
l’expansion (automobile, Ă©lectro-manager, biens de consommation courante), et il faut « inventer » de
nouvelles stratĂ©gies commerciales et technologiques. D’oĂč le dĂ©veloppement des analyses d’activitĂ©s,
en termes de compétitivité (possibilités de croissance et de profit). Le problÚme sera analysé de deux
points de vue : d’une part, la compĂ©titivitĂ© repose sur des aptitudes particuliĂšres de l’entreprise
(approche resource-based), et, d’autre part, sur un avantage relatif par rapport aux concurrents, liĂ© Ă  un
bon positionnement de marché (approche environnementale ou écologique), les deux problÚmes
interagissant. On est alors confrontĂ© Ă  des choix de stratĂ©gie d’activitĂ©s, les auteurs hĂ©sitant entre un
Management Stratégique
33
certain déterminisme (le positionnement entraßne le niveau de performance) et une certaine
contingence (« ça dépend de plusieurs facteurs »). Ceci sera analysé dans le chapitre 4.
Cet aspect de contingence prend le pas sur la simple formalisation lorsque l’on aborde les stratĂ©gies
de développement des entreprises : les analyses deviennent plus complexes, les choix sont fortement
relativisĂ©s, il n’y a guĂšre de modĂšle dĂ©terminant, ni d’école rĂ©ellement dominante. Ces stratĂ©gies
seront abordées dans le chapitre 5.
Les Ă©coles contingentes
Dire que l’environnement est complexe et incertain est une banalitĂ©. Mais cet aphorisme trivial
recouvre une réalité difficile à appréhender dans les modÚles stratégiques. Au cours des années 80, la
recherche a fortement avancĂ© dans ce domaine, mĂȘme si elle s’est essoufflĂ©e Ă  suivre les
transformations parfois brutales, « catastrophiques » de l’environnement technique, Ă©conomique,
gĂ©opolitique, des entreprises. L’apport de l’économie industrielle a Ă©tĂ© important, l’auteur le plus
connu Ă©tant l’AmĂ©ricain Michael Porter, professeur Ă  Harvard. Ces problĂšmes seront Ă©voquĂ©s dans le
chapitre 6.
Le sentiment qui prĂ©vaut est que, dans cette approche, il n’y a pas de solution dĂ©finitive pour
l’entreprise. Le caractĂšre dynamique des variables stratĂ©giques est prĂ©dominant, et les choix doivent
ĂȘtre rĂ©visĂ©s en permanence.
Ce sentiment de contingence est exacerbĂ© avec l’analyse des relations entre la stratĂ©gie et
l’organisation. Celle-ci apparaüt comme un systùme de gestion, mouvant, interactif, soumis à de
Michel Marchesnay
34
perpĂ©tuels changements: la notion de flexibilitĂ© est dĂ©terminante. Ces problĂšmes d’organisation seront
abordĂ©s dans le chapitre 7. D’ores et dĂ©jĂ , on peut retenir que, pour nombre d’auteurs, l’accent doit
ĂȘtre mis sur les comportements, plus que sur les procĂ©dures, en matiĂšre de management stratĂ©gique.
Les écoles axées sur les processus
Un constat s’impose : on connaüt finalement peu de choses sur la façon dont les gens prennent une
décision ayant un caractÚre stratégique. Mintzberg et Simon accordent une place essentielle à
l’intuition. Mais ils montrent qu’il existe plusieurs façons de prendre une dĂ©cision, et que le processus
est influencĂ© par une multitude de facteurs. L’objet du chapitre 9 sera de s’intĂ©resser aux divers
processus possibles, en essayant de voir dans quelles conditions ils se développent.
Enfin, reste le grand oubliĂ© de l’analyse stratĂ©gique: le stratĂšge. Celui-ci sera l’entrepreneur, dĂ©fini
comme celui qui prend les dĂ©cisions stratĂ©giques. Mais les formes concrĂštes d’entrepreneuriat sont
extrĂȘmement diverses, Il existe notamment des typologies d’entrepreneurs, qui ont fait, au cours de ces
dix derniĂšres annĂ©es, l’objet de nombreuses recherches, liĂ©es notamment Ă  l’explosion du phĂ©nomĂšne
de crĂ©ation d’entreprises de petite taille dans les Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es. Tel sera l’objet du chapitre
10, au cours duquel on observera notamment les processus de crĂ©ation d’entreprise.
Vers une approche intégrative
Dans le onziÚme et dernier chapitre, on présentera des analyses intégratives, susceptibles de servir
au diagnostic stratĂ©gique. On prĂ©sentera Ă©galement une mĂ©thodologie pour aborder l’étude de cas de
stratĂ©gie. Car l’étude de la stratĂ©gie n’est d’aucun intĂ©rĂȘt si elle ne dĂ©bouche pas sur la mise en oeuvre
Management Stratégique
35
de dĂ©cisions et d’actions — sachant que la maĂźtrise des concepts et des outils qui auront Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s
dans cet ouvrage est indispensable.
Cette rĂ©flexion nous conduit Ă  insister sur l’aspect global, systĂ©mique, intĂ©gratif, de la pensĂ©e
stratĂ©gique. Celle-ci doit inĂ©vitablement traiter de questions complexes, dans la mesure oĂč les
phĂ©nomĂšnes sont inextricablement, et parfois inexplicablement, reliĂ©s entre eux. L’analyste doit
accepter modestement une ignorance partielle. Pour les besoins pédagogiques, les problÚmes sont
abordĂ©s les uns aprĂšs les autres. Mais le lecteur doit avoir sans cesse Ă  l’esprit que chacun d’entre eux
est relié aux autres.
Pour faire comprendre cette nĂ©cessaire interaction, on a coutume d’utiliser un schĂ©ma « en
diamant », en distinguant des « pĂŽles » ou « piliers » de l’analyse, puis en les reliant Ă  l’aide de flĂšches
à double sens, pour bien indiquer les relations réciproques.
Nous suggĂ©rons pour notre part quatre pĂŽles: les buts, l’activitĂ©, l’organisation, l’environnement,
dans le schéma ci-dessous, que nous compléterons lors du dernier chapitre :
Michel Marchesnay
36
Notre cheminement nous conduira assez largement dans l’itinĂ©raire suivant, sur les dix chapitres Ă 
venir (numérotés de 2 à 10) :
Environnement Organisation
Buts
Activité
Management Stratégique
37
Buts
Organisation
7
Politique
générale
2
Activité
Domaine 8
Environnement
6
Marché 4
Plan 3
Technologie 5
DĂ©cision 9
Entrepreneur 10
Michel Marchesnay
38
Courants et écoles ModÚles représentatifs Auteurs représentatifs Observations
Design School de Harvard
Corporate Strategy
SOWT (Forces, Faiblesses, Menaces,
Opportunités)
Andrews Ă©quipe de Harvard 1960-
1965
Approche rationnelle
«conceptuelle» pour Mintzberg
Planification stratégique ModÚle de planification Ansoff Ackoff 1965-1975 Approche systématique et analytique
« formelle » pour Mintzberg
Business Strategy
Stratégies opérationnelle
Marketing stratégique
ModĂšles de portefeuille
ModĂšles de positionnement
Stratégies génériques
Levitt, Kotler
Henderson 1965-1980
Abell
Grilles, check lists
Processus « analytique » pour Mintzberg
Management stratĂ©gique Domaines d’activitĂ©s stratĂ©giques Hofer et Schendel 1978
Stratégies de développement ModÚles de croissance :
Économiques, financiers, organisationnels,
etc.
Ansoff, Marris, Penrose
1960-1970
Forte diversité des approches.
Non mentionné par Mintzberg
Courant environnemental ModĂšles d’économie et d’organisation
industrielles
Approche Ă©volutionniste
Transaction
Porter 1975-1990
Nelson, Winter 1980-1990
Williamson 1975-1990
Conflit entre les approches déductives
(déterministes) et empiriques
(contingentes) qualifié de « processus
passif » (?) par Mintzberg
Courant organisationnel ModÚle de capacités
ModĂšles contingents
Transaction (interne) et Ă©conomie des
organisations
Mintzberg
Lawrence et Lorsch
Chandler, Cyert et March
1960-1990
Grande diversité des approches.
Mintzberg retient l’approche « politique »
et « culturelle »
Courant décisionnel ModÚle IMC et heuristique de la décision.
Processus de prise de décision individueks
et organisationnels
Simon et Mintzberg
Crozier 1955-1990
Approche empirique. Mintzberg distingue
les approches «cognitives» et
«d’apprentissage»
Courant entrepreneurial Typologies d’entrepreneurs Smith, Gasse 1960-1990 Approche typologique
Processus « visionnaire »
Management Stratégique
39
CHAPITRE 2.
LA POLITIQUE GENERALE (CORPORATE STRATEGY)
L’approche la plus classique de la stratĂ©gie, et apparemment la plus logique, trouve ses origines dans
les enseignements de l’UniversitĂ© Harvard, dĂšs la fin des annĂ©es 50. La Harvard Business School
forme de futurs dirigeants ou cadres (trĂšs) supĂ©rieurs de (trĂšs) grandes entreprises : l’objectif de
l’enseignement est de les prĂ©parer aux tĂąches de dĂ©finition de la politique gĂ©nĂ©rale, sous le contrĂŽle de
l’équivalent du conseil d’administration, qui reprĂ©sente les actionnaires. Le but de la politique gĂ©nĂ©rale
est donc simple : il s’agit de maximiser la valeur des actions, ce qui revient à maximiser le profit. Par
ailleurs, ces grandes entreprises sont en fait des groupes de sociétés, qui fabriquent, conçoivent et
vendent une multitude de produits, dans des secteurs trÚs différents: les stratégies au niveau de chacun
de ces produits-marchĂ©s doivent ĂȘtre cohĂ©rentes avec la « grande stratĂ©gie » Ă©laborĂ©e au niveau de la
Direction générale (distinction de la Corporate Strategy et de la Business Strategy). On voit donc dans
quel esprit ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s les modĂšles qui vont suivre, ce qui nous permettra d’en souligner les
limites.
Michel Marchesnay
40
LES MODELES DOMINANTS
Le modÚle le plus connu a été élaboré initialement par Learned, Christensen, Andrews et Guth,
professeurs Ă  Harvard : d’oĂč le nom de modĂšle « LCAG » qui lui est donnĂ©. L’auteur le plus marquant
est sans doute Kenneth Andrews, auteur d’un Concept of Corporate Strategy, qui a fait l’objet d’une
nouvelle Ă©dition rĂ©cente, ouvrage qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme la « Bible » en la matiĂšre.
L’idĂ©e de dĂ©part est fort logique : la prise de dĂ©cision stratĂ©gique consiste Ă  formuler des buts
généraux au préalable, à identifier les problÚmes stratégiques majeurs, à choisir la meilleure solution et
Ă  la mettre en oeuvre. La plupart des manuels de stratĂ©gie nord-amĂ©ricains s’appuient peu ou prou sur
ce canevas :
Formulation ->
du but
Identification ->
du problĂšme
Proposition ->
de solutions
alternatives
Evaluation -> Choix -> Mise en oeuvre
Dans la version actualisée du modÚle, les auteurs soulignent que le processus se heurte aux
problĂšmes suivants :
— Une fois le but gĂ©nĂ©ral dĂ©terminĂ©, on se heurte Ă  la multiplicitĂ© des objectifs (on
reviendra sur la liaison complexe buts-objectifs).
— L’identification du problĂšme clĂ© et des options se heurte Ă  l’ignorance partielle
(information limitée au sens de Simon).
Management Stratégique
41
— Le choix de la solution repose sur des critĂšres tirĂ©s de la thĂ©orie financiĂšre
(maximisation de la valeur de l’action). Mais ces critùres doivent tenir compte des problùmes
occasionnés par la nature des compétences distinctives, par la recherche de synergies, par
l’incertitude sur les cash flows futurs.
Toutefois, ces limites ne semblent pas remettre en cause le modĂšle gĂ©nĂ©ral d’Andrews :
Identifier
les objectifs,
la stratégie et
les politiques
Opportunités
et menaces
stratégiques
majeures
Identifier
les stratégies
alternatives
Prise de
décision
stratégique
Objectifs,
stratégie et
politiques
révisés
Analyse de
l’environnement
Analyse des
ressources
Valeur de la
direction
Responsabilité
sociale
Michel Marchesnay
42
Ce modÚle porte parfois le nom de modÚle « SWOT », car il met en balance les « forces » (strength) et
« faiblesses » (weakness) au sein de l’organisation, et les « menaces » (threat) et « opportunitĂ©s »
(opportunity) dĂ©tectables dans l’environnement.
D’autres prĂ©sentations de la corporate strategy sont Ă©galement offertes par les auteurs de Harvard.
Par exemple :
FORMULATION
(DĂ©cider que faire)
1- Identification
Opportunité/risque
2- DĂ©termination des
ressources matérielles,
techniques, financiĂšres et
managériales de la société
3- Valeurs personnelles et
aspirations des dirigeants
4- Prise en compte de la
responsabilité non
Ă©conomique envers la
Société
CORPORATE
STRATEGY
Ensembles de projets
(purposes) et de politiques
définissant la société et son
domaine d’activitĂ©.
MISE EN OEUVRE
5- Structures et
relations/organisation :
‱ Division du travail
‱ Coordination de la
responsabilité partagée
‱ Systùmes d’information
6- Processus et comportements
organisationnels
‱ Standards et mesures
‱ Motivations et systùmes
d’incitation
‱ Systùmes de contrîle
‱ Recrutement et dĂ©veloppement
des cadres
7- Direction au sommet
Stratégique
Organisationnelle
Personnelle
Management Stratégique
43
Les auteurs explicitent Ă©galement l’analyse « SWOT », laquelle doit aboutir Ă  la stratĂ©gie
« Ă©conomique », c’est-Ă -dire au choix des produits et des marchĂ©s :
CONDITIONS ET
TENDANCES DE
L’ENVIRONNEMENT
(Économiques,
politiques, techniques,
sociales)
OPPORTUNITÉS
ET RISQUES
(Identification,
recherche, repérage du
risque)
PRISE EN COMPTE
DE TOUTES LES
COMBINAISONS
ÉVALUATION DE LA
MEILLEURE
CONFRONTATION
CHOIX DES
PRODUITS ET DES
MARCHÉS
COMPÉTENCE
DISTINCTIVE
(Capacité : financiÚre,
managériale, fonctionnelle,
organisationnelle)
(Communauté, Nation,
Monde)
(RĂ©putation, histoire)
RESSOURCES DE LA
SOCIÉTÉ
Renforçant ou limitant
l’opportunitĂ©.
Identifiant les forces et les
faiblesses.
Programmant un
accroissement de capacité.
Michel Marchesnay
44
Au total, l’analyse « SWOT » tirĂ©e de l’approche LCAG peut se rĂ©sumer Ă  l’aide du schĂ©ma suivant
:
BUTS
DIAGNOSTIC :
ENVIRONNEMENT :
MENACES,
OPPORTUNITÉS
ORGANISATION :
FORCES, FAIBLESSES
CHOIX STRATÉGIQUES :
(BUSINESS STRATEGY)
OBJECTIFSDOMAINES D’ACTIVITÉ PLAN D’ACTION ET
PROGRAMMES
PRÉVISIONNELS
Croissance,
Diversification,
etc
(Produits-Marché)
Management Stratégique
45
Cette démarche semble fort logique ; on retrouve notamment le lien « vertical » entre le choix des
buts et le plan, et le lien « horizontal » entre l’avantage concurrentiel de l’organisation et le
positionnement concurrentiel dans l’environnement. Ces deux liaisons alimentent largement les grands
dĂ©bats en stratĂ©gie. Il n’en reste pas moins que cette analyse, qui a dĂ©jĂ  trente ans d’existence au bas
mot, a subi des aménagements, voire des critiques des plus vigoureuses.
PROLONGEMENTS ET CRITIQUES
Critiques d’ordre mĂ©thodologique
Examinons d’emblĂ©e les critiques qui sont faites actuellement de la façon dont l’enseignement de la
stratégie a été abordé pendant longtemps. La critique essentielle vient de ceux qui estiment que le
problĂšme fondamental est de comprendre et d’étudier comment sont prises les dĂ©cisions stratĂ©giques,
quel est le processus effectivement suivi par les dĂ©cideurs. En cela, ils s’opposent aux spĂ©cialistes qui
mettent en avant une démarche trÚs logique, trÚs cartésienne, consistant à analyser les problÚmes, en se
rĂ©fĂ©rant Ă  des modĂšles de dĂ©marche, afin de rationaliser les choix stratĂ©giques. D’un cĂŽtĂ©, les uns
prÎnent une démarche « gradualiste », ou « émergente », ou « incrémentale », car ils estiment que les
problĂšmes stratĂ©giques doivent ĂȘtre abordĂ©s en permanence dans l’entreprise ; les autres prĂŽnent une
démarche « rationaliste », « procédurale », car ils estiment que les problÚmes stratégiques doivent faire
Michel Marchesnay
46
l’objet de choix dĂ©libĂ©rĂ©s, planifiĂ©s, et lourdement argumentĂ©s. Comme on le verra dans le chapitre 8,
les deux approches ne sont pas si inconciliables qu’il y paraüt.
Il n’empĂȘche que l’attitude trĂšs rationalisatrice a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e Ă  partir des travaux de l’École de
Harvard. L’objet de la Business School est de former des dirigeants de trùs grandes entreprises, de les
habituer à la prise de décisions de portée générale. Le modÚle LCAG et sa version « SOWT »
constitue un cadre sur lequel doit s’appuyer le diagnostic, puis la dĂ©tection du problĂšme, puis
l’examen des solutions possibles, et, enfin, le choix de « la » solution. Les Ă©tudiants disposent de cas
extrĂȘmement complets, le plus souvent de grandes entreprises ou organisations (hĂŽpitaux, par
exemple), dans lesquels se trouvent toutes les informations nécessaires. Il leur faut arriver à une
solution dans un dĂ©lai donnĂ©. L’enseignement magistral, en MBA, reste limitĂ©.
Ce type d’enseignement de la stratĂ©gie est de plus en plus contestĂ©, en particulier par les
« incrĂ©mentalistes » — notamment Henry Mintzberg, qui a brocardĂ© la Design School. Les objections
fondamentales sont les suivantes :
— Cette mĂ©thodologie laisse entendre que les dĂ©cisions stratĂ©giques sont, et doivent ĂȘtre,
prises de façon rationnelle, logique. Or, nous dit Mintzberg, elles sont prises, mĂȘme pour les
plus importantes, de façon artisanale et intuitive. Les raisons en sont fort simples :
‱ Tout d’abord, le dĂ©cideur ne dispose jamais de toutes les informations nĂ©cessaires et
utiles. Parfois, il en a trop, mais souvent, il n’en a pas assez : par exemple, sur l’évolution
future, sur les intentions ou les rĂ©sultats des concurrents. Bref, l’information est limitĂ©e, ce
qui limite la rationalité.
Management Stratégique
47
‱ Les dĂ©cisions prises ne sont jamais linĂ©aires: il faut « reboucler » en arriĂšre, revenir
sur des hypothĂšses, sur des dĂ©cisions, au vu de rĂ©sultats ou d’évĂ©nements nouveaux. En
particulier, les décisions prises entraßnent des réactions, et des modifications de
l’environnement. Bref, le processus est plutĂŽt systĂ©mique.
Aussi, le rĂŽle du flair, de l’expĂ©rience du dirigeant est-il essentiel, comme on le verra dans
les derniers chapitres. Il s’agit de faire travailler la partie droite du cerveau (intuitive), plutît
que la partie gauche (analytique) selon une image (d’ailleurs contestable au plan
scientifique...).
— En second lieu, cette mĂ©thodologie est appliquĂ©e Ă  de grandes entreprises, qui maĂźtrisent
largement leur secteur d’activitĂ©, mĂȘme si elles sont en concurrence intense. L’environnement
est donnĂ©, sa structure est stable, et il dĂ©termine l’action de l’entreprise, si elle veut maximiser
son profit. Dans la rĂ©alitĂ©, l’environnement est trĂšs instable, et mĂȘme discontinu : cela est dĂ»
au fait que des modifications brutales, des ruptures sont apparues à la fin des années 70 dans la
technologie et dans les modes de consommation des pays industrialisés. En fait, le modÚle
LCAG est valable surtout pour les industries de grande consommation oĂč les grandes
entreprises dominent leur marchĂ© — biens alimentaires (ex : NestlĂ©), lessives et dĂ©tergents
(Procter et Gamble), etc.— le plus souvent à quelques-uns. Il s’agit avant tout de gagner ou de
préserver des parts de marché.
Ceci ne concerne qu’un petit nombre d’entreprises. L’écrasante majoritĂ© des dĂ©cisions
stratĂ©giques sont prises en incertitude forte sur l’environnement. On ne peut se contenter de
planifier des actions : il faut s’adapter en permanence. Or, la dĂ©marche LCAG laisse entendre
Michel Marchesnay
48
que « l’intendance suivra » sans problĂšme, qu’il suffira de planifier la mise en oeuvre Ă  l’aide
de procĂ©dures appliquĂ©es dans l’organisation. Mintzberg a beau jeu de montrer que les grandes
organisations ont connu d’énormes difficultĂ©s Ă  s’adapter aux ruptures stratĂ©giques (IBM Ă©tant
en l’espĂšce un cas d’école). En d’autres termes, la flexibilitĂ© stratĂ©gique est incompatible avec
la démarche rationnelle.
— En troisiĂšme et dernier lieu, cette dĂ©marche laisse entendre qu’il y a « la » solution, en
quelque sorte cachĂ©e, mais que l’on doit retrouver grĂące Ă  un raisonnement logique. Dans la
réalité, le décideur recherche une solution, aussi satisfaisante que possible: satisfaisante pour
lui, dans la mesure oĂč elle lui permet d’aller vers ses objectifs, voire de rĂ©aliser ses aspirations
; satisfaisante pour son entourage, dans la mesure oĂč elle aboutit Ă  des performances «
positives ». A notre sens, cette critique est essentielle au stade de l’initialion Ă  la stratĂ©gie :
l’étudiant (bien souvent sĂ©lectionnĂ© sur des aptitudes logiques) s’attend Ă  devoir trouver « la »
solution du cas, ce qui ne va pas sans quiproquos et frustrations... au point qu’Henry
Mintzberg s’est demandĂ© s’il fallait conserver cet enseignement en MBA... La frustration peut
venir Ă©galement de chefs d’entreprise qui ont recours Ă  des consultants en stratĂ©gie
d’entreprise: pour l’éviter, les sociĂ©tĂ©s de conseil prĂ©fĂšrent recourir Ă  des « grilles » et «
modĂšles » qui rationalisent les propositions... et rassurent leurs clients, tout en s’intĂ©grant dans
leurs propres procĂ©dures de formation et d’évaluation de leurs conseillers.
Bref, le dĂ©bat entre « rationalistes » et « incrĂ©mentalistes » n’est pas clos...
Management Stratégique
49
La méconnaissance des buts
L’approche prĂ©conisĂ©e dans le modĂšle LCAG repose sur une croyance fondamentale Ă  l’efficience
du marché et de la concurrence dans une économie capitaliste, fondée sur la propriété privée des
moyens de production. Le processus de valorisation des capitaux engagés dans la production se réalise
de la façon suivante :
Les capitaux financiers servent à acquérir des ressources (matérielles, humaines, financiÚres et
d’information) qui sont gĂ©rĂ©es au sein d’une organisation de la façon la plus efficiente possible; elles
permettent d’offrir sur les marchĂ©s des biens et des services, au-delĂ  de la rĂ©munĂ©ration « normale »
RISQUE
Investissement
MARCHÉ
Innovation
INCERTITUDE
Rentabilité
PROFIT
ORGANISATIONCAPITAUX
Michel Marchesnay
50
des capitaux et du travail du chef d’entreprise, un surprofit apparaüt transitoirement, du fait de
l’innovation, selon la thĂšse centrale de Schumpeter, ce qui accroĂźt la rentabilitĂ© des capitaux. Trois
personnages se profilent ainsi : le capitaliste, le manager et l’innovateur (« l’entrepreneur »).
Dans la grande entreprise capitaliste, on suppose que les managers sont au service des capitalistes :
ceux-ci sont reprĂ©sentĂ©s par le conseil d’administration, qui veille Ă  ce que les dirigeants dĂ»ment
mandatés valorisent leurs capitaux, en cherchant à maximiser le profit. Pour les sociétés anonymes par
action, cela revient à maximiser la capitalisation boursiùre, c’est-à-dire la valeur de l’action et les
perspectives de plus-value sur revente : les critÚres financiers sont déterminants pour vérifier que le
but est atteint.
Cette hypothĂšse peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme « hĂ©roĂŻque ». Nombre d’auteurs ont mis en cause
l’unicitĂ© et l’unilatĂ©ralitĂ© de la fixation du but. Plus prĂ©cisĂ©ment, les objections sont les suivantes :
1°) La maximisation du profit n’est pas claire.
Il s’agit de savoir s’il s’agit du profit à court ou à long terme. En effet, la maximisation du
profit à court terme peut conduire à sous-estimer les besoins d’investissement, indispensables
pour la survie Ă  long terme. Par exemple, l’entreprise doit accroĂźtre ses parts de marchĂ©: elle
doit engager des dépenses de modernisation, de publicité, de formation, etc., qui seront
payantes ultérieurement. Une logique purement financiÚre pourra conduire à refuser ces
dépenses, pour ne pas mécontenter les actionnaires, au nom de la sacro-sainte loi du marché.
Management Stratégique
51
Le modĂšle LCAG n’aborde ce problĂšme qu’au travers de la thĂ©orie financiĂšre pure, laquelle
suppose la connaissance parfaite des profits futurs.
2°) La maximisation du profit n’est pas opĂ©rationnelle.
Dans la thĂ©orie des marchĂ©s, l’optimisation est liĂ©e Ă  une connaissance parfaite de toutes les
données du problÚme. En réalité, les connaissances sont imparfaites, la rationalité des
décisions est donc limitée et les dirigeants rechercheront des solutions satisfaisantes.
Par ailleurs, le choix du taux de profit visĂ© sera l’objet de nĂ©gociations dans l’organisation.
Chaque division produit/marché fixera ses propres objectifs de profit, et le profit global sera
une rĂ©sultante: les membres de l’organisation, en d’autres termes, ont leur mot Ă  dire, comme
les actionnaires.
3°) 11 faut tenir compte de la relation entre la propriété et la direction.
Vers 1930, des auteurs américains ont montré que les décisions stratégiques appartenaient,
dans une grande majoritĂ©, aux dirigeants salariĂ©s des grandes entreprises : celles-ci n’étaient
pas totalement contrÎlées par les actionnaires, trop nombreux, absentéistes et dispersés (le
capital est « diluĂ© »). Or, ces managers vont privilĂ©gier d’autres buts: la croissance, leur
revenu monétaire et autre (la « compensation »), etc., et ce, au détriment du profit maximum.
Cette thĂšse, appelĂ©e managĂ©rialisme, doit ĂȘtre sĂ©rieusement nuancĂ©e :
Michel Marchesnay
52
— La recherche du plus grand profit possible est d’autant plus plausible que le
propriétaire et le dirigeant sont confondus, comme dans la petite entreprise. Toutefois,
on verra au chapitre VIII que les aspirations sont beaucoup plus complexes.
— Le dirigeant recherchera d’autant plus le profit maximum qu’il sera Ă©troitement
contrÎlé par les propriétaires-actionnaires, et que ceux-ci sont sensibles à la
valorisation de leurs capitaux. Les cas tes plus courants sont les suivants:
‱ Le dirigeant est contrĂŽlĂ© par la famille. Ce peut ĂȘtre le cas de PME, mais aussi
de trĂšs grandes entreprises, car le capitalisme familial est encore trĂšs vivace.
‱ Le capital est contrĂŽlĂ© par un bloc d’actionnaires, qui recherchent un profit
immédiat ou à plus long terme, et entendent juger le dirigeant et son équipe sur ses
performances financiĂšres.
‱ Le capital est soumis à des pressions violentes en Bourse, de la part
notamment de concurrents dĂ©sireux de racheter Ă  bon prix l’entreprise: moins elle
offre de profit à ses actionnaires, moins sa valeur est élevée, et plus elle risque une
attaque boursiùre (Offre Publique d’Achat).
— Le dirigeant recherchera d’autant moins le profit à court terme que:
‱ ses performances seront Ă©valuĂ©es sur d’autres critĂšres (croissance, excellence
technique, paix sociale, etc.);
‱ le capital sera diluĂ© dans le public;
Management Stratégique
53
‱ les actionnaires attendent des revenus stables, rĂ©guliers et sĂ»rs (cas des «
actionnaires dormants » : banques, compagnies d’assurance, pour les grands
groupes ; héritiers lointains pour les entreprises familiales);
‱ le capital est protĂ©gĂ© par des artifices (« pilules empoisonnĂ©es ») ou dispose
d’alliĂ©s, en cas d’éventuelles attaques boursiĂšres (« chevaliers blancs »).
Dans la réalité, on constate que les choses sont fort complexes : ainsi, les entreprises passent par des
stades d’accumulation, d’investissements stratĂ©giques importants, puis de valorisation, avec
distribution de bénéfices, comme le montre la grille BCG (chapitre IV).
Au total, l’identification au seul but de maximisation du profit, considĂ©rĂ© comme l’objet ultime de
toute entreprise capitaliste, méconnaßt les processus concrets de fixation des buts au sein des
organisations. Au demeurant, les tenants de l’approche rationaliste se sont efforcĂ©s d’intĂ©grer d’autres
institutions, telles les organisations Ă  but non lucratif.
La mĂ©connaissance de l’environnement
Dans cette approche, l’environnement est vu comme une entitĂ© faite de menaces et
« d’opportunitĂ©s » (terme franglais, mais hĂ©las consacrĂ©...), que l’on peut repĂ©rer sur la base de faits et
d’observations quantifiĂ©es (bilans, parts de marchĂ©, etc.). Plus simplement, l’environnement est
assimilé au marché et aux concurrents. Par ailleurs, le jeu du marché, sa structure, sont censés imposer
largement Ă  l’entreprise les limites de sa stratĂ©gie. Les critiques ont Ă©tĂ© dans deux directions :
Michel Marchesnay
54
— D’une part, l’environnement concurrentiel est beaucoup plus complexe. Ce sera l’un
des apports de Michael Porter, lors de son intĂ©gration dans l’équipe de Harvard, au cours des
annĂ©es 80, de montrer que l’industrie oĂč opĂšre l’entreprise est soumise Ă  de multiples
pressions concurrentielles, qui ne se limitent pas au seul jeu de la concurrence directe. Par
ailleurs les stratégies concurrentielles ne se limitent pas à la seule « lutte à couteaux tirés » :
les entreprises ont besoin de stabilité, et préfÚrent souvent la collusion (évitement du conflit),
voire la coopération. Bien plus: par leurs stratégies, elles modÚlent les structures de leur
industrie ; à des stratégies différentes, correspondent des positionnements concurrentiels
différents, comme on le verra dans le chapitre six. Bref, au déterminisme de la stratégie sous-
jacent dans le modĂšle LCAG, rĂ©pond, dans l’analyse stratĂ©gique moderne, une vision
beaucoup plus contingente des choix concurrentiels. Au demeurant, l’affirmation pĂ©remptoire,
selon laquelle les structures du marché déterminent le type de concurrence, et, partant, les
performances de l’entreprise, relĂšve davantage d’une conviction idĂ©ologique que d’une
démarche scientifique...
— D’autre part, il faut aller au-delà de l’environnement concurrentiel, et tenir compte de
l’environnement sociĂ©tal. Dans le modĂšle d’Andrews ci-dessus, la SociĂ©tĂ© est apprĂ©hendĂ©e
sous l’angle des valeurs, afin de prĂ©ciser dans quelles mesures celles-ci influencent le choix
des plans d’action, mais aprĂšs que les buts et que le diagnostic ont Ă©tĂ© dĂ©finis. Ceci correspond
en fait Ă  une sociĂ©tĂ© ultralibĂ©rale, oĂč les lois Ă©conomiques du marchĂ© imposent des buts
indépendamment des valeurs sociales. Cette conception a subi, au cours des années 70, et, a
fortiori, des années 80, de trÚs vives critiques fondées sur les arguments suivants :
Management Stratégique
55
‱ Les valeurs de la sociĂ©tĂ© libĂ©rale de consommation ont Ă©tĂ© remises en cause:
excĂšs d’hĂ©donisme et d’individualisme, absence de prise en cause des prĂ©occupations
sociales (inĂ©galitĂ©s, discrimination) et Ă©cologiques. Cette remise en cause est telle qu’on
peut parler d’une situation d’anomie, c’est-Ă -dire d’une difficultĂ© Ă  fonder la SociĂ©tĂ©
industrielle sur des valeurs communes, comme le rĂ©vĂšle l’importance du phĂ©nomĂšne
Ă©cologique, les nouvelles attitudes face aux structures familiales, au travail, Ă  l’identitĂ©
nationale, Ă  l’environnement, etc. Ces diverses crises d’identitĂ© remettent en cause le
seul but de maximisation du profit, mĂȘme si l’idĂ©ologie de marchĂ© a connu au cours des
annĂ©es 80 un regain de faveur (dĂ» notamment Ă  l’échec des Ă©conomies planifiĂ©es).
‱ Ces valeurs, en consĂ©quence, doivent influencer les buts de l’entreprise. Cette
rĂ©habilitation s’est opĂ©rĂ©e au travers de la notion de responsabilitĂ© morale de l’entreprise
et de ce que l’on a appelĂ© la « vague Ă©thique » dans les mĂ©dias.
Mais il convient de bien préciser des termes souvent confondus.
Dans notre systÚme philosophique dominant, un jugement moral répond à la question de savoir ce
qui est « bien » ou « mal », « juste » ou « injuste » (comme le jugement esthétique ou logique). Un
comportement éthique est évalué à partir de ces critÚres moraux : chaque individu ou organisation aura
sa propre éthique, évidemment influencée par ceux-ci (chacun perçoit différemment ce qui est bien ou
mal, selon notamment la sociĂ©tĂ© oĂč il vit, son caractĂšre, sa culture). Par exemple, on peut porter un
jugement moral sur des comportements en affaire tels que : la vente de produits dangereux, le copiage
de logiciels de concurrents, le dĂ©bauchage de vendeurs de la concurrence, etc. Au mĂȘme titre que, par
Michel Marchesnay
56
rapport Ă  la fraude aux examens, chaque Ă©tudiant a sa propre Ă©thique, mĂȘme s’il sait que cela est
immoral...
Le fait nouveau est que, dans l’idĂ©ologie libĂ©rale, on proclame que « Ethics pays » : face Ă  la remise
en cause des valeurs hĂ©donistes, une entreprise « loyale », « honnĂȘte », etc., gagnera des clients et fera
plus de profit, ce qui va de pair avec la constatation selon laquelle l’avantage concurrentiel se fonde de
plus en plus sur les services fournis par, ou à cÎté du produit : il vaut mieux vendre des piles ayant
vraiment la durĂ©e d’usage annoncĂ©e — ce comportement Ă©thique sera rentable Ă  terme. De mĂȘme,
vaut-il mieux vendre des produits « écologiques », etc.
Enfin, cette Ă©thique personnelle peut ĂȘtre canalisĂ©e au travers d’un code de dĂ©ontologie, commun Ă 
une communauté (entreprise, organisation, profession), qui prescrit des rÚgles de comportement
collectives. Tel est le cas des Ordres professionnels (qui pourront justement limiter les excĂšs de la
concurrence).
Ces valeurs, propres Ă  la SociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral, ou Ă  l’entreprise, voire Ă  une profession en particulier,
influenceront les buts des dirigeants.
Cette adĂ©quation des buts de la direction gĂ©nĂ©rale et des propriĂ©taires de l’entreprise pose la question
de la lĂ©gitimitĂ©. Celle-ci peut ĂȘtre dĂ©finie comme la raison d’ĂȘtre de l’existence de telle entreprise, en
tant qu’institution sociale, dans une SociĂ©tĂ© donnĂ©e. Cette lĂ©gitimitĂ© repose sur des fondements
appelĂ©s Ă  Ă©voluer, en mĂȘme temps que l’entreprise et que la SociĂ©tĂ©. Compte tenu des ruptures dans la
Société industrielle, on assiste à des remises en cause de légitimité. Ainsi, les producteurs de
détergents, trÚs légitimés dans la Société de consommation, sont fortement mis en cause dans une
SociĂ©tĂ© prĂ©occupĂ©e par les problĂšmes d’environnement.
Management Stratégique
57
Les dirigeants doivent alors faire passer un message — la philosophie de direction — qui exprime
les valeurs auxquelles l’entreprise adhĂšre. On retrouve cette prĂ©occupation dans les projets
d’entreprise. Cette communication s’adressera Ă©galement aux membres de l’organisation. Cette
recherche de légitimisation est particuliÚrement délicate pour les entreprises multinationales qui se
trouvent dans des pays oĂč les diffĂ©rences culturelles peuvent se rĂ©vĂ©ler trĂšs fortes, suscitant des
rĂ©ticences (implantation d’Eurodisney en France, par exemple).
Enfin, l’une des derniĂšres objections rĂ©side dans le fait que cette approche reste peu prolixe sur les
conditions de mise en oeuvre de la stratĂ©gie. Cette tĂąche est dĂ©volue aux planificateurs d’entreprise,
chargĂ©s de dĂ©terminer les objectifs qui seront assignĂ©s Ă  tous les Ă©chelons de l’entreprise, selon des
procĂ©dures complexes. L’idĂ©e sous-jacente est que la « grande » stratĂ©gie est dĂ©volue aux dirigeants, la
mise en oeuvre Ă©tant le fait des opĂ©rationnels, avec l’aide et sous le contrĂŽle des fonctionnels.
Au cours des années 70, on a tendu à adopter une démarche plus complexe, liée notamment à
l’exigence d’une dĂ©centralisation accrue des dĂ©cisions, en sorte que les niveaux d’exĂ©cution ont
accaparĂ© une partie de la dĂ©cision stratĂ©gique : ce que l’on appelle la business strategy. Le
management stratĂ©gique se prĂ©occupe alors largement de l’articulation entre la corporate et la business
strategy. Ce sera l’objet du chapitre suivant.
Michel Marchesnay
58
CHAPITRE 3.
LA PLANIFICATION STRATEGIQUE
Au cours des années 60, le problÚme de la stratégie est le plus souvent confondu avec celui de
l’édification d’un plan, et la mise en oeuvre de procĂ©dures budgĂ©taires. À la limite, une entreprise sans
plan est considĂ©rĂ©e comme n’ayant pas de stratĂ©gie.
Il y a dans cette conception un fond de vĂ©ritĂ©. Mais, au cours des annĂ©es 70, les limites d’une telle
assimilation vont apparaĂźtre. Pour l’essentiel, l’idĂ©e majeure de cette remise en cause est que la
procĂ©dure de planification ne peut ĂȘtre isolĂ©e de l’ensemble des problĂšmes d’ordre stratĂ©gique qui se
posent à l’entreprise. Le plan ne devient alors qu’un outil au service de l’articulation entre la politique
gĂ©nĂ©rale (corporate strategy) et les stratĂ©gies d’activitĂ© (business strategy), c’est-Ă -dire au service du
management stratégique.
LA PLANIFICATION D’ENTREPRISE (CORPORATE PLANNING)
La planification d’entreprise constitue une vĂ©ritable discipline de gestion, avec ses outils et ses
mĂ©thodes. Ses origines remontent au dĂ©but du siĂšcle. Le Français Henri Fayol dĂ©veloppe l’idĂ©e que
Management Stratégique
59
l’une des tĂąches de la direction gĂ©nĂ©rale consiste Ă  « prĂ©voir » et Ă  « contrĂŽler » : pour cela, il faut
fixer des objectifs, prévoir des moyens pour les réaliser, et vérifier que les dits objectifs ont bien été
rĂ©alisĂ©s. Fayol suggĂšre des plans Ă  cinq ans, soumis Ă  modifications annuelles, au vu de l’évolution
interne et externe.
Ce souci de la planification va animer les tenants amĂ©ricains de l’École du Management (Barnard,
Drucker) : le bon manager planifie ses activités. Cette idée, somme toute évidente, connaßt un grand
développement aprÚs la Seconde Guerre mondiale, pour les raisons suivantes :
— Les progrùs accomplis dans les techniques financiùres et comptables (notamment la
comptabilité analytique). La méthode du point mort se généralise dans les années 50, ainsi que
les mĂ©thodes de coĂ»t partiel (en France, Ă  la fin des annĂ©es 60). lI en va de mĂȘme des critĂšres
financiers fondĂ©s sur les mĂ©thodes d’actualisation. Un vĂ©ritable corps de planificateurs
d’entreprises se met en place (une Association Française pour la Planification d’Entreprise —
AFPLANE — est crĂ©Ă©e).
— L’accroissement de la taille des entreprises, accompagnĂ© le plus souvent d’une extension
du champ de leurs activités, en termes géographiques, mais aussi en termes de produits
proposĂ©s. C’est en effet une pĂ©riode oĂč la croissance de la demande est forte et rĂ©guliĂšre.
L’élĂ©ment essentiel d’incertitude rĂ©side dans le dĂ©marrage de produits nouveaux, et les
conditions d’accĂšs aux nouveaux marchĂ©s.
Michel Marchesnay
60
Mais ces grandes entreprises deviennent plus complexes dans leur organisation, et il convient
d’allouer de la façon la plus rationnelle possible les ressources dont elles ont besoin pour suivre les
perspectives de développement.
— Le dĂ©veloppement des techniques macro-Ă©conomiques de planification et de prĂ©vision
(comptabilité nationale, planification indicative) constitue un modÚle pour les grandes entreprises
gérées par des spécialistes (la technostructure, selon Kenneth Galbraith), qui privilégient un
modÚle technocratique de gouvernement des entreprises privées (en France, les entreprises
publiques et nationalisées seront planifiées trÚs rapidement, et serviront de modÚle aux autres
grandes entreprises).
— Le dĂ©veloppement des techniques quantitatives (mathĂ©matiques et statistiques) de
prĂ©vision et d’études de marchĂ©.
Pour ces diverses raisons, la planification d’entreprise se dĂ©veloppe dans les grandes entreprises,
entre 1950 et 1970. La démarche logique est trÚs simple, et consiste en trois étapes: élaboration
d’objectifs, mise au point de programmes, Ă©tablissement de budgets.
1°) La premiĂšre Ă©tape consiste Ă  Ă©tablir des objectifs. Ceux-ci doivent ĂȘtre distinguĂ©s des buts
gĂ©nĂ©raux que poursuit l’entreprise, tels que : rĂ©munĂ©rer convenablement les actionnaires, ĂȘtre le leader
sur son marché, voire assumer une responsabilité sociale ou satisfaire ses employés. Les objectifs sont
le plus souvent quantifiables (chiffre d’affaires, profit, taux de croissance) et ils sont dĂ©limitĂ©s dans le
Management Stratégique
61
temps, généralement sur plusieurs années. Les objectifs sont ensuite « dynamisés », transformés en
actions précises, sous la forme de cibles précises, à plus court terme, à devoir atteindre.
2°) La seconde Ă©tape consiste Ă  Ă©tablir des programmes d’action. Ces programmes sont le plus
souvent Ă©tablis par fonctions majeures (programmes d’action commerciale, de recrutement ou de
gestion du personnel, de production, etc.). Ils visent à atteindre certains résultats, à réaliser certaines
performances: si le but est d’ĂȘtre plus compĂ©titif, l’objectif sera une rĂ©duction du coĂ»t de production,
qui entraßnera des cibles de gains de productivité annuels, mais nécessitera des programmes
d’investissement en biens de production, de formation du personnel, de rĂ©organisation du travail, etc.
Ces programmes sont gĂ©nĂ©ralement Ă©laborĂ©s sur plusieurs annĂ©es. Ils sont chiffrĂ©s, dans la mesure oĂč
ils vont donner lieu à des engagements de dépenses pluriannuelles.
3°) Une fois déterminés les programmes, le plan est annualisé sous la forme de budgets. Ces budgets
sont décomposés par services, correspondant à une fonction précise: le responsable du service est
responsable de l’exĂ©culion du budget, et de l’atteinte des rĂ©sultats qui avaient Ă©tĂ© prĂ©alablement fixĂ©s.
4°) Ceux-ci sont exprimés sous une forme chiffrée: production, vente, rebut, productivité, kilomÚtres
parcourus, etc. Les performances sont analysĂ©es Ă  l’issue de chaque annĂ©e, voire plus souvent. Les
écarts sont analysés (écarts en quantités et en valeur) par le contrÎleur budgétaire, afin de vérifier dans
quelle mesure le plan a été réalisé.
Michel Marchesnay
62
SchĂ©ma simplifiĂ© de planification d’entreprise
POLITIQUE GÉNÉRALE PLAN BUTS
GESTION PRÉVISIONNELLE
GESTION BUDGÉTAIRE
CONTRÔLE BUDGÉTAIRE
PROGRAMMES
BUDGETS
OBJECTIF
CIBLES
ÉCARTS
RÉVISION :
DISCIPLINE FONCTIONNELLE ÉTAPES INDICATEURS
‱ des budgets (cibles)
‱ des programmes (objectifs)
Management Stratégique
63
Cette conception de la planification d’entreprise est encore largement rĂ©pandue, notamment dans les
grandes entreprises trÚs formalisées. Toutefois, une telle conception du plan a subi de nombreuses
critiques au cours des années 1970. Les principales sont les suivantes :
— Le plan est trop facilement assimilĂ© Ă  l’existence de procĂ©dures de planification, c’est-
Ă -dire Ă  l’explicitation Ă©crite de buts, d’objectifs, de cibles Ă  atteindre, et des moyens d’y
parvenir. Cela revient Ă  mettre l’accent sur les procĂ©dures de formalisation, plutĂŽt que sur les
processus de formulation du plan, c’est-Ă -dire de la stratĂ©gie. Par exemple, dans la conception
“procĂ©durale”, on a coutume de dire que les PME n’ont pas de stratĂ©gie, dans la mesure oĂč
elles n’ont pas, bien souvent, de plan Ă©crit : or, une stratĂ©gie, comme on le verra tout au long
de cet ouvrage, n’est pas toujours totalement formulĂ©e pour un horizon de temps de plusieurs
années.
— Une telle conception conduit à accroütre la lourdeur bureaucratique, à multiplier les
formulaires. Par ailleurs, ce que l’on a appelĂ© le « phĂ©nomĂšne bureaucratique » (Crozier)
apparaßt également dans les procédures de négociation des budgets, des objectifs alloués aux
services. Généralement, chaque service tend à gonfler ses demandes de ressources, à sous-
Ă©valuer les cibles Ă  atteindre, etc. Il en dĂ©coule une sorte de « graisse » dans l’organisation, des
ressources mal utilisĂ©es, ce que l’on appelle le « slack » organisationnel. La lourdeur
bureaucratique apparaĂźt Ă©galement dans le fait que l’on cherche avant tout Ă  rĂ©aliser les
objectifs fixés, sans chercher à innover.
Michel Marchesnay
64
— Cette conception peut ĂȘtre qualifiĂ©e de technocratique, dans la mesure oĂč elle
privilĂ©gie l’outil (la planification) par rapport aux fins (la stratĂ©gie). Elle laisse entendre que
les entreprises qui planifient, ont, ipso facto, une stratégie, et seront en conséquence plus
performantes que les entreprises qui ne planifient pas. Cette idée, largement répandue dans les
ouvrages de management au cours des années 70, est de nos jours vivement combattue : les
enquĂȘtes ne font pas apparaĂźtre a priori de supĂ©rioritĂ© manifeste des entreprises
« planificatrices », par rapport aux entreprises n’ayant pas de plan Ă©crit.
— En fait, l’usage d’une planification d’entreprise est apparue comme une nĂ©cessitĂ© et un
progrÚs dans le management des grandes entreprises, situées dans des marchés plus ou moins
diversifiés, mais pour lesquels il existe une croissance stable, pas de grands changements
brutaux Ă  prĂ©voir. Tel Ă©tait le cas des industries de l’aprĂšs-guerre, de 1945 Ă  1975 (les « Trente
Glorieuses »), pour lesquelles l’évolution de l’environnement (la demande, la technologie, la
concurrence, etc.) Ă©tait assez facilement prĂ©visible. Il n’en va plus de mĂȘme au cours des
années 70, marquées par des ruptures brutales (crise pétroliÚre, innovations majeures, telle la
puce Ă©lectronique), et une succession de perturbations qui vont atteindre toutes les industries.
Or, les entreprises Ă  planification lourde seront justement celles qui auront le plus de
difficultĂ©s Ă  modifier leur stratĂ©gie et Ă  s’adapter aux discontinuitĂ©s stratĂ©giques. DĂ©sormais, la
planification doit intégrer la dimension environnementale : on passe alors à la planification
stratégique.
Management Stratégique
65
LA PLANIFICATION STRATEGIQUE (STRATEGIC PLANNING)
II revient Ă  l’AmĂ©ricain Igor Ansoff d’avoir dĂ©veloppĂ© la notion de planification stratĂ©gique au
cours des années 70. Les avancées essentielles sont les suivantes :
— La planification ne peut plus ĂȘtre conçue dans une hypothĂšse d’environnement stable.
Il faut prendre en compte l’environnement et ses discontinuitĂ©s. Celles-ci se manifestent par le
fait que cet environnement est devenu plus complexe (plus d’acteurs, plus d’inter-relations
entre ces acteurs) et turbulent (changements plus frĂ©quents et plus profonds qu’auparavant).
— À cĂŽtĂ© des procĂ©dures de planification, qui impliquent la rĂ©daction d’un plan Ă©crit, la
formulation explicite de buts et d’objectifs, des directives adressĂ©es aux Ă©chelons infĂ©rieurs de
la hiérarchie, des systÚmes de contrÎle aussi explicites que possible, etc., il convient de mettre
l’accent sur les processus de mise en oeuvre de ces procĂ©dures, dans la mesure oĂč ce sont ces
processus de choix, de prise de décision et de vérification qui contribuent à expliciter, à
Ă©lucider ce que sera la stratĂ©gie poursuivie par l’entreprise au cours des prochaines annĂ©es. Par
« processus », il faut entendre les points suivants:
‱ Le processus a un caractĂšre quasi analytique, voire « non analytique », selon
Ansoff : les informations sont entachĂ©es d’incertitude. D’oĂč le caractĂšre heuristique de
la prise de décision : on a recours à de multiples critÚres, pas toujours quantitatifs,
pour trier les informations, choisir des options et décider de celle qui sera retenue.
‱ Le processus a un caractĂšre adaptatif: le plan n’est pas dĂ©terminĂ© une fois pour
toutes. L’entreprise procùde par approximations successives, par essais-erreurs et
Michel Marchesnay
66
corrections. De mĂȘme, la hiĂ©rarchisation buts-objectifs programmatiques-cibles
annuelles est amendée par la possibilité de reboucler, de revenir sur des options prises
Ă  un niveau supĂ©rieur, de remettre en cause des choix stratĂ©giques. Bref : l’entreprise
doit ĂȘtre en mesure de faire preuve de « rĂ©activitĂ© » forte, face Ă  des Ă©vĂ©nements
perturbateurs (les « discontinuités stratégiques »). Le processus est donc structuré,
dĂ©cortiquĂ©, en une sĂ©rie d’étapes qui donnent lieu Ă  des Ă©valuations de cohĂ©rence et de
faisabilité.
Le schĂ©ma ci-aprĂšs, inspirĂ© des modĂšles beaucoup plus complexes prĂ©sentĂ©s par Ansoff lui-mĂȘme,
montre le cheminement du processus d’élaboration de la planification stratĂ©gique. Le plan stratĂ©gique
n’est que la rĂ©sultante d’une succession de choix, impliquant Ă©ventuellement un retour en arriĂšre pour
assurer la cohĂ©rence et la faisabilitĂ©. Une fois les objectifs fixĂ©s (qui pourront ĂȘtre remis en cause Ă 
l’issue de l’exĂ©cution du plan), on procĂšde Ă  une analyse « SWOT » (cf. chapitre prĂ©cĂ©dent), qui
dĂ©bouche, une fois les ajustements faits, sur des perspectives d’expansion et de diversification.
Management Stratégique
67
OBJECTIFS
POTENTIEL DE
L’INDUSTRIE
FORCES ET
FAIBLESSES
PRÉVISIONS
EXPANSION ET
DIVERSIFICATION
OBJECTIFS
RÉVISÉS
PHILOSOPHIE DES
OBJECTIFS DÉCISION DE DIVERSIFICATION
SYNERGIE STRUCTURE DÉCISION
STRAT.
ADM.
STRAT.
FIN. OBJECTIFS
STRATÉGIE
PRODUIT-
MARCHÉ
BUDGET
STRATÉGIQUE
«MAKE
OR BUY» SYNERGIE
AVANTAGE
CONCUR-
RENTIEL
CHAMP ET
VECTEUR DE
CROISSANCE
FAISABILITÉ ET
ALTERNATIVES
PLAN STRATÉGIQUE
RESSOURCES
DISPONIBLES
Michel Marchesnay
68
Ces perspectives ne deviennent vĂ©ritablement objectifs qu’aprĂšs vĂ©rification des synergies possibles.
La synergie est définie par Ansoff comme la rÚgle du « 2 + 2 = 5 » : les activités additionnelles
viennent renforcer la compétitivité des activités existantes (ce point sera développé dans le chapitre
consacré aux stratégies de croissance). La concrétisation de ces objectifs révisés implique de se poser
des questions de faisabilité, en fonction des ressources existantes, de délimitation du champ
stratégique et des axes de croissance (existe-t-il un « fil conducteur », un axe directeur ?), de définition
de l’avantage concurrentiel, de choix entre faire soi-mĂȘme ou acheter. Une fois ces choix fixĂ©s, les
actions dĂ©limitĂ©es, il reste Ă  mettre en oeuvre ces options au travers d’un plan stratĂ©gique ; on retrouve
alors la procĂ©dure Ă©voquĂ©e prĂ©cĂ©demment, Ă  savoir, l’élaboration de programmes d’action
commerciale (« stratĂ©gie produit-marchĂ© »), d’organisation (« stratĂ©gie administrative »), financiers
(« stratégie financiÚre »), qui se concrétisent dans le budget « stratégique » (appelé ainsi dans la
mesure oĂč il dĂ©coule de choix stratĂ©giques).
Cette approche de planification stratégique constitue un indéniable progrÚs par rapport aux méthodes
traditionnelles de planification d’entreprise. Toutefois, elle a encouru un certain nombre de critiques :
— En dĂ©pit du recours Ă  l’analyse d’écarts (« gaps ») la mĂ©thode reste encore largement
linéaire et analytique. En décomposant les étapes du processus, celui-ci risque rapidement de
se transformer en procĂ©dures de diagnostic et de dĂ©cision — sans doute contre le voeu
d’Ansoff lui-mĂȘme.
— Le processus reste peu explicite sur les conditions de mise en oeuvre de la planification
stratégique, qui semble aller de soi. Cette vision reste finalement trÚs mécaniste et trÚs
rationnelle. Cette mĂ©thode ignore les problĂšmes posĂ©s au sein de l’organisation.
Management Stratégique
69
— Enfin, la mĂ©thode n’expose que de façon sommaire les problĂšmes posĂ©s par
l’environnement Celui-ci reste peu spĂ©cifiĂ©, mal inventoriĂ©.
II faut ajouter que les expressions utilisées par Ansoff, intéressantes par leur caractÚre trÚs suggestif
(« synergie », « rĂ©activitĂ© », etc.), restent mal dĂ©finies et finalement peu opĂ©rationnelles, mĂȘme si elles
ont contribué à faire formidablement avancer la réflexion stratégique au cours des années 70.
C’est pourquoi, à partir du congrùs de Pittsburgh (États-Unis) de 1977, de nouvelles perspectives
s’ouvrent, pour approfondir les problùmes internes (organisation) et externes (environnement)
soulevés par la planification stratégique. On passe alors aux problÚmes de management stratégique et
de contrÎle de gestion stratégique.
VERS LE MANAGEMENT STRATEGIQUE
L’approche de management stratĂ©gique trouve son origine dans les progrĂšs rĂ©alisĂ©s en matiĂšre de
marketing stratĂ©gique au cours de la pĂ©riode 1965-1975. Ces progrĂšs s’expliquent largement du fait
que les entreprises situées dans les industries de biens de consommation de masse se heurtent dÚs cette
époque à un tassement des marchés, à une évolution des goûts des consommateurs vers plus de
diversité dans les produits et dans les modes de consommation, entraßnant une concurrence beaucoup
plus vive, et la nécessité de conquérir une part de marché suffisante (« masse critique ») pour soutenir
Michel Marchesnay
70
durablement la concurrence. En d’autres termes, les problĂšmes de compĂ©titivitĂ© commerciale vont
dominer durant cette pĂ©riode, la pĂ©riode suivante (75-85) mettant davantage l’accent sur les problĂšmes
de compétitivité technologique.
Par ailleurs, ces grandes entreprises ont poursuivi un mouvement important de diversification de
leurs produits et de leurs marchés. Elles ont adopté une structure staff and line, dans laquelle les
divisions produits-marchés ont acquis une autonomie de décision pour tout ce qui touche à la maßtrise
du cycle de vie des produits sur leurs marchĂ©s respectifs — ce qui pose, comme on le verra plus loin,
des problĂšmes de contrĂŽle de leur gestion.
Il en résulte que les problÚmes de planification stratégique se posent désormais, pour ces entreprises
diversifiées, à deux niveaux :
— celui de l’ensemble du groupe d’entreprises (le niveau corporate),
— et celui de chaque division produit-marchĂ© (le niveau business).
Le problĂšme essentiel est alors celui de l’articulation entre ces deux niveaux, de la cohĂ©rence
d’ensemble de la stratĂ©gie, afin d’éviter notamment une dĂ©rive de l’une des divisions dans des secteurs
qui ne soient pas compatibles avec le projet d’ensemble du groupe. Mais, d’un autre cĂŽtĂ©, il s’agit
d’assurer le maximum de souplesse, de capacitĂ© de rĂ©action face Ă  l’évolution plus ou moins prĂ©visible
de la demande de produits actuels ou nouveaux, et, dans cette perspective, il est bon de laisser le
maximum d’initiative stratĂ©gique aux divisions opĂ©rationnelles.
Management Stratégique
71
Le schéma suivant, inspiré du modÚle de Hofer et Schendel, traduit cette double dimension de la
planification stratégique au début des années 80.
Cette articulation est d’abord obtenue en procĂ©dant Ă  une formulation de la stratĂ©gie en deux Ă©tapes.
La premiùre concerne les buts de l’ensemble du groupe (corporate goals), la seconde la formulation
des objectifs au niveau des domaines d’activitĂ© stratĂ©gique (DAS). Le DAS correspond Ă  un ensemble
de produits-marchĂ©s soumis Ă  une mĂȘme logique d’action stratĂ©gique il s’identifie assez largement Ă 
une division produits-marchĂ©s. Comme on le verra dans le chapitre suivant, l’analyse des DAS va
beaucoup plus loin que la seule approche de marketing stratĂ©gique, qui ne s’intĂ©resse en principe
qu’aux seuls problĂšmes liĂ©s Ă  l’exploitation des marchĂ©s, puisqu’elle inclut l’analyse des ressources du
groupe, affectées à la division.
Michel Marchesnay
72
PROCESSUS DE
FORMULATION DES
BUTS AU NIVEAU
CORPORATE
ÉCART
OBJECTIFS
CORPORATE
DÉSIRÉS
ENGAGEMENT DANS
D’AUTRES DAS
ÉCARTS
RÉVISÉS
OPPORTUNITÉS
ET RISQUES
PROJET D’ENSEMBLE AU NIVEAU CORPORATE
ATTRACTIVITÉÉ
DE L’INDUSTRIE
DES DAS
PRÉVISION DE
POSITION ET
PERFORMANCE
CHOIX DE
DAS
PRISE DE DÉCISION
STRATÉGIQUE
‱ Objectifs corporate finals
‱ StratĂ©gie d’acquisition finale
‱ StratĂ©gie d’investissement et d’acquisition au
niveau des DAS
‱ StratĂ©gie de dĂ©sinvestissement
‱ Plan de contingence corporate
NOUVEAU
PORTEFEUILLE
DÉSENGAGEMENT
ANALYSE POLITIQUE
SYSTÈMES ET
PROCÉDURES
STRATÉGIQUES
IDENTIFICATION
DES DAS
RESSOURCES ET
APTITUDES DES DAS
POSITION
CONCURRENTIELLE
PROCESSUS DE
FORMULATION DE
LA STRATÉGIE
Management Stratégique
73
Ainsi, les objectifs corporate pourront-ils ĂȘtre remis en cause par l’examen des perspectives de
développement des DAS actuels, impliquant des engagements et des désengagements. Ceux-ci
pourront ĂȘtre rĂ©alisĂ©s dans un laps de temps spĂ©cifique Ă  chaque opĂ©ration (la planification stratĂ©gique
n’est plus dominĂ©e par « la tyrannie de l’exercice comptable annuel » en d’autres termes,
l’établissement du budget annuel n’est plus la prĂ©occupation premiĂšre).
Au total, la planification stratĂ©gique dĂ©bouche sur un portefeuille d’activitĂ©s qui doivent contribuer Ă 
la rĂ©alisation des objectifs d’ensemble, permettant la satisfaction des buts gĂ©nĂ©raux.
Une telle approche a incontestablement contribué à renforcer le rÎle du management stratégique
dans les grandes, voire les trÚs grandes entreprises multidivisionnelles, diversifiées et décentralisées.
Elle a accru la flexibilitĂ© stratĂ©gique, la capacitĂ© d’adaptation face Ă  un environnement extrĂȘmement
changeant et incertain. Mais elle doit ĂȘtre raccordĂ©e Ă  un autre mouvement, issu cette fois, non pas des
progrĂšs dans le marketing, mais dans le contrĂŽle de gestion.
Michel Marchesnay
74
LE CONTROLE STRATEGIQUE
Au cours des années 50, les grandes entreprises américaines avaient implanté des systÚmes de
contrÎle budgétaire. Dans un environnement stable, avec des marchés en croissance réguliÚre,
l’analyse des Ă©carts entre les prĂ©visions et les rĂ©alisations pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un exercice
relativement simple (les Ă©carts Ă©taient analysĂ©s en Ă©carts sur prix et Ă©carts sur quantitĂ©s). À partir du
milieu des années 60, les contrÎleurs de budget vont devoir élargir leurs qualifications, à mesure que la
notion de planification devient plus complexe, et ne peut plus s’assimiler Ă  la simple prĂ©vision
annuelle.
En premier lieu, la structure des entreprises se fait plus complexe. Dans les organigrammes staff and
line, on est conduit à distinguer trois niveaux de décision :
— Le niveau supĂ©rieur, appelĂ© sous-systĂšme de finalisation, oĂč sont prises les dĂ©cisions corporate
strategy, de politique générale, les orientations majeures.
— Le niveau infĂ©rieur, appelĂ© sous-systĂšme d’opĂ©rations, oĂč sont prises les dĂ©cisions business
strategy, de mise en oeuvre des activités opérationnelles sur les couples produits-marchés.
— Enfin, le niveau intermĂ©diaire, appelĂ© sous-systĂšme d’animation, chargĂ© d’assurer le relais
entre les deux niveaux (et devant donc disposer d’un systùme d’informations ascendant et
descendant). C’est Ă  ce niveau que se situent les contrĂŽleurs de gestion. Ceux-ci doivent dĂ©sormais
s’assurer du degrĂ© de rĂ©alisation de trois types de performances : efficacitĂ©, efficience et ce que nous
appellerons effectivité.
Management Stratégique
75
En effet, traditionnellement, on tend Ă  distinguer :
— au niveau politique, le degrĂ© d’efficacitĂ©, c’est-Ă -dire dans quelle mesure les buts
(objectifs) sont atteints, soit : résultats atteints / buts visés;
— au niveau opĂ©rationnel, le degrĂ© d’efficience, c’est-Ă -dire le rapport des rĂ©sultats atteints
aux ressources (matĂ©rielles, humaines, financiĂšres, d’information, de temps, etc.) consommĂ©es Ă 
cet effet. Ces ressources apparaissent en principe dans les budgets.
Mais il convient d’ajouter l’effectivitĂ©, c’est-Ă -dire le degrĂ© de satisfaction des membres de
l’organisation en fonction des rĂ©sultats atteints. En effet, au cours des annĂ©es 70, les grandes
entreprises diversifiĂ©es et dĂ©centralisĂ©es se heurtent au problĂšme de la motivation des cadres. L’une
des pierres d’achoppement rĂ©side dans l’implication de tous en faveur de la rĂ©alisation des objectifs.
Généralement, les cadres se retranchent derriÚre les cibles fixées lors des négociations budgétaires,
privilĂ©giant l’application des procĂ©dures par rapport Ă  la mise en oeuvre de processus d’adaptation aux
changements dans l’environnement.
Les contrĂŽleurs de gestion doivent alors adopter une dĂ©marche d’intĂ©gration du contrĂŽle dans les
objectifs et les préoccupations du management stratégique. Le contrÎle est alors pris dans le sens de
processus de pilotage, davantage que dans le sens de procĂ©dure de vĂ©rification — du moins dans les
manuels de management... Plusieurs techniques sont alors proposées :
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Adreg 08 marchesnay management

  • 1. MICHEL MARCHESNAY MANAGEMENT STRATEGIQUE © LES ÉDITIONS DE L’ADREG ISBN : 2-9518007-7-0
  • 2. Michel Marchesnay 2 Les Ă©ditions de l’ADREG ont comme objectif de promouvoir la diffusion par Internet de travaux et de rĂ©flexions acadĂ©miques trop volumineux pour faire l’objet d’un article dans une revue scientifique, trop courts pour donner lieu Ă  la production d’ouvrages diffusables dans le format papier classique, ou aux publics trop confidentiels pour que ce format puisse ĂȘtre amorti. Elles offrent ainsi la possibilitĂ© de publier des recherches avec tous leurs dĂ©tails mĂ©thodologiques, des essais et, avec l’autorisation des revues concernĂ©es, des rĂ©Ă©ditions d’ouvrages Ă©puisĂ©s ou d’articles regroupĂ©s autour d’une problĂ©matique trĂšs serrĂ©e. Les tapuscrits reçus et acceptĂ©s sont Ă©tudiĂ©s par trois lecteurs, de façon non anonyme. L’ADREG est l’Association pour la Diffusion des Recherches sur l’Entrepreneuriat et la Gestion. Pour connaĂźtre la liste des ouvrages Ă©lectroniques Ă  paraĂźtre, consulter le site : http://www.editions-adreg.net ou le site http://asso.nordnet.fr/adreg/Publications.htm Impression et visualisation de l’ouvrage : pour tirer cet exemplaire sur papier (Ă  titre personnel), le logiciel permettant sa lecture offre, dans son module d’impression, la possibilitĂ© d’ajuster la taille. Il est ainsi possible de respecter celle de la conception (20cm x 13,5), prĂ©vue pour optimiser la lecture Ă  l’écran, ou lui faire couvrir la surface de votre papier (par exemple A4, US). Ce mĂȘme logiciel offre une fonction permettant l’affichage plein Ă©cran pour une lecture confortable du document. Les touches « PgDn » et « PgUp » (parfois reprĂ©sentĂ©es par une flĂšche vers le bas pour l’une, vers le haut pour l’autre) du clavier font alors dĂ©filer respectivement les pages vers la suivante ou la prĂ©cĂ©dente. Selon le code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, le contenu du prĂ©sent ouvrage ne peut faire l’objet d’une appropriation par autrui. La diffusion, dans le respect de sa forme Ă©lectronique actuelle, de cet ouvrage est autorisĂ©e par l’auteur, les directeurs de collection et l’ADREG.
  • 3. Management StratĂ©gique 3 Michel MARCHESNAY, Management stratĂ©gique, Les Editions de l’ADREG, mai 2004 (ISBN : 2-9518007-1-1) Autres ouvrages du mĂȘme auteur : MARCHESNAY M., Pour une approche entrepreneuriale de la dynamique Ressources-CompĂ©tences – essai de praxĂ©ologie, Les Editions de l’ADREG, mai 2002 (ISBN : 2-9518007-1-1) MARCHESNAY M. ; MESSEGHEM K. (2001). Cas commentĂ©s de stratĂ©gies de PME, Editions Management et SociĂ©tĂ© DESREUMAUX A. ; MARCHESNAY M. ; PALPACUER F. (2001). Perspectives en management stratĂ©gique, Editions Management et SociĂ©tĂ© MARCHESNAY M. ; FOURCADE C. (1998) Gestion de la PME-PMI, Nathan 1998 MARCHESNAY M. ; JULIEN P-A. (1997). Economie et stratĂ©gie industrielles, Economica poche MARCHESNAY M. ; JULIEN P-A. (1996). L’entrepreneuriat, Economica poche MARCHESNAY M. (1993). Management stratĂ©gique Eyrolles MARCHESNAY M. (1990). Economie d’entreprise, Eyrolles JULIEN P-A. ; MARCHESNAY M. (1988). La petite entreprise, Vuibert MARCHESNAY M. (1986). La stratĂ©gie, Chotard MARCHESNAY M. ; MAUREL P. (1983). Economie d’entreprise, ISTRA (5e Ă©dition) MARCHESNAY M. ; MAUREL P. (1983). Organisation de l’entreprise, ISTRA (5e Ă©dition) MARCHESNAY M. ; BIALES C. (1083). Economie gĂ©nĂ©rale et Initiation Ă©conomique et sociale, 3 tomes, ISTRA
  • 4. Michel Marchesnay 4 Collection dirigĂ©e par Alain DESREUMAUX et Thierry VERSTRAETE MANAGEMENT STRATEGIQUE Michel MARCHESNAY © Les Ă©ditions de l’ADREG septembre 2004 ISBN : 2-9518007-7-0
  • 5. Management StratĂ©gique 5 SOMMAIRE INTRODUCTION 12 CHAPITRE 1. APPROCHE DE LA STRATEGIE 16 Essai de dĂ©finition 16 Une discipline aux origines multiples 21 StratĂ©gie militaire et stratĂ©gie d’entreprise 22 Analyse stratĂ©gique et analyse Ă©conomique 24 StratĂ©gie et histoire des entreprises 27 StratĂ©gie et sciences de l’homme et de la sociĂ©tĂ© 28 StratĂ©gie et sciences de gestion 29 Une discipline aux courants multiples 31 Les Ă©coles formalistes 31 Les Ă©coles contingentes 33 Les Ă©coles axĂ©es sur les processus 34 Vers une approche intĂ©grative 34 CHAPITRE 2. LA POLITIQUE GENERALE (CORPORATE STRATEGY) 39 Les modĂšles dominants 40 Prolongements et critiques 45
  • 6. Michel Marchesnay 6 Critiques d’ordre mĂ©thodologiques 45 La mĂ©connaissance des buts 49 La mĂ©connaissance de l’environnement 53 CHAPITRE 3. LA PLANIFICATION STRATEGIQUE 58 La planification d’entreprise (corporate planning) 58 La planification stratĂ©gique (strategic planning) 65 Vers le management stratĂ©gique 69 Le contrĂŽle stratĂ©gique 74 CHAPITRE 4. LE MARKETING STRATEGIQUE 79 Les origines du marketing stratĂ©gique – cycle de vie et diversification 80 La matrice BCG 90 Les matrices de positionnements concurrentiels 100 CHAPITRE 5. LES STRATEGIES TECHNOLOGIQUES 107 Les grilles d’analyse technologiques 109 DĂ©finition et modalitĂ©s 109 Le modĂšle de Woodward 112 Le cycle de vie technologique 113 Les matrices technologiques 115
  • 7. Management StratĂ©gique 7 La dynamique des technologies 117 Les stratĂ©gies d’innovation technologique 120 Le processus de dĂ©cision 120 Les mĂ©tiers de l’entreprise 125 CHAPITRE 6. L’ENVIRONNEMENT CONCURRENTIEL 128 La notion d’environnement concurrentiel 129 Un environnement complexe et turbulent 129 L’organisation industrielle 132 L’organisation des transactions 135 L’analyse industrielle 139 Le paradigme SCP 139 Le groupe stratĂ©gique 143 La vulnĂ©rabilitĂ© 146 L’analyse de filiĂšre 149 L’analyse de concurrence CHAPITRE 7. L’ORGANISATION 156 Les approches rationnelles 158 La diffĂ©renciation des tĂąches 159 L’intĂ©gration des individus 160
  • 8. Michel Marchesnay 8 Les approches contingentes 162 Les approches volontaristes (constructivistes) 165 L’approche en termes de compĂ©tences distinctives 172 Les facteurs clĂ©s de succĂšs 172 La chaĂźne de valeur 173 CHAPITRE 8. LES STRATEGIES DE DOMAINE 178 La notion de domaine 178 Le domaine d’activitĂ© stratĂ©gique (Strategic Business Unit) 179 Le champ stratĂ©gique 182 Les stratĂ©gies de dĂ©veloppement du domaine stratĂ©gique 185 Les voies de la croissance patrimoniale 188 Les voies de la croissance contractuelle 194 Les stratĂ©gies de valorisation du domaine 199 La diversification 199 La spĂ©cialisation 203 L’internationalisation 206 CHAPITRE 9. LA DECISION STRATEGIQUE 209 Nature de la prise de dĂ©cision stratĂ©gique 210 Les dĂ©cisions programmĂ©es 210
  • 9. Management StratĂ©gique 9 Les dĂ©cisions semi-programmĂ©es 211 Les dĂ©cisions non-programmables 212 L’apport de la thĂ©orie des jeux 215 Prise de dĂ©cision stratĂ©gique et taille de l’organisation 218 La prise de dĂ©cision stratĂ©gique dans les grandes entreprises 219 La prise de dĂ©cision stratĂ©gique dans les petites entreprises 223 CHAPITRE 10. ENTREPRENEUR ET ENTREPRENEURIAT 228 L’entrepreneur 228 L’entrepreneur, « hĂ©ro de l’économie ? » 228 Les classifications de l’entrepreneur 231 L’entrepreneuriat 238 La crĂ©ation 238 Les aides 239 Evaluation 240 CHAPITRE 11. ANALYSE STRATEGIQUE 246 ProblĂšmes soulevĂ©es 246 Du diagnostic Ă  la dĂ©cision 246 Le rĂŽle des outils 247 L’apprentissage de la dĂ©cision stratĂ©gique 249
  • 10. Michel Marchesnay 10 Une grille pour le diagnostic stratĂ©gique 250 Illustration par un cas simple 253 Une grille pour l’action stratĂ©gique 257 L’élaboration d’un plan d’action 258 La mise en Ɠuvre du plan d’action stratĂ©gique 260 CONCLUSION. PROBLEMES ET PERSPECTIVES EN MANAGEMENT STRATEGIQUE 263 ANNEXES : QUELQUES DEFINITIONS DE LA STRATEGIE 267 BIBLIOGRAPHIE 277
  • 11. Management StratĂ©gique 11 Ce texte est une rĂ©Ă©dition de l’ouvrage du mĂȘme auteur, et du mĂȘme titre, Ă©ditĂ© par Eyrolles (collection Eyrolles UniversitĂ©) dont la deuxiĂšme Ă©dition date de 1995.
  • 12. Michel Marchesnay 12 INTRODUCTION Depuis une dizaine d’annĂ©es, l’enseignement de la stratĂ©gie a connu des avancĂ©es importantes. AssimilĂ©e pendant longtemps Ă  l’économie d’entreprise, au management, voire au marketing, la discipline a maintenant droit de citĂ©. Cette reconnaissance s’est traduite, en France, par une multiplication des travaux scientifiques et pĂ©dagogiques, et notamment par des manuels, surtout Ă  partir de 1985. Ces ouvrages reprennent les modĂšles, thĂ©ories et grilles couramment enseignĂ©s aux Etats-Unis. Notre propos n’est pas de rĂ©Ă©crire un nouveau manuel classique, dont le marchĂ© est maintenant bien rĂ©alisĂ©. Notre objectif a Ă©tĂ© d’écrire un ouvrage aux dimensions volontairement rĂ©duites. L’idĂ©e a Ă©tĂ© de faire une synthĂšse des diffĂ©rents courants qui se sont dĂ©veloppĂ©s en stratĂ©gie, en s’appuyant, peu ou prou, sur leur classement tel qu’il a Ă©tĂ© rĂ©cemment dressĂ© par le spĂ©cialiste canadien Henry Mintzberg. Celui-ci a distinguĂ© les Ă©coles listĂ©es dans le tableau de la page suivante.
  • 13. Management StratĂ©gique 13 École de pensĂ©e Formation de la stratĂ©gie ModĂ©lisation Planification Positionnement Entrepreneuriale Cognitive Apprentissage Politique Culturelle Environnementale Configurationnelle Conceptuelle Formelle Analytique Visionnaire Mentale Émergente À base de pouvoir IdĂ©ologique Passive Épisodique Cette classification est fort discutable, mais elle permet de faire apparaĂźtre un point important : largement fondĂ©e sur une rationalitĂ© instrumentale au dĂ©part, et sur des problĂšmes de politique gĂ©nĂ©rale, la stratĂ©gie s’est progressivement intĂ©ressĂ©e aux problĂšmes de choix des activitĂ©s, distinguant la « corporate » de la « business strategy », dont l’articulation correspond au management stratĂ©gique. Par la suite, les auteurs en pointe ont de plus en plus critiquĂ© les modĂšles et grilles toutes faites ; dĂ©laissant les procĂ©dures, assez inefficaces en des temps troublĂ©s, les auteurs ont tendu Ă 
  • 14. Michel Marchesnay 14 privilĂ©gier les processus de prise de dĂ©cision collectifs dans les organisations, et individuels, de la part du stratĂšge (« l’entrepreneur »). Actuellement, le souhait exprimĂ© serait de dĂ©boucher sur des dĂ©marches qui intĂšgrent les procĂ©dures et les processus, qui utilisent grilles, modĂšles et thĂ©ories au sein de dĂ©marches tournĂ©es vers la dĂ©tection des problĂšmes et le suivi des actions. C’est pourquoi nous proposons le plan suivant : - Le chapitre premier expose les donnĂ©es du problĂšme, Ă  savoir la multiplicitĂ© des conceptions et des domaines de l’analyse stratĂ©gique. - Le chapitre second aborde la « corporate strategy », la politique gĂ©nĂ©rale (la « design school » de Mintzberg). - Le chapitre troisiĂšme aborde le problĂšme de la planification stratĂ©gique. - Le chapitre quatre traite du marketing stratĂ©gique, le cinquiĂšme des stratĂ©gies technologiques. - Le chapitre six aborde la notion d’environnement concurrentiel, le chapitre sept les problĂšmes liĂ©s Ă  l’organisation, ce qui permet, dans le chapitre huit, d’aborder la notion de champ concurrentiel. - On est ainsi conduit aux problĂšmes liĂ©s Ă  la dĂ©cision stratĂ©gique (chapitre neuf), puis au dĂ©cideur et Ă  l’esprit d’entreprise (chapitre dix). - Le onziĂšme et dernier chapitre est une sensibilisation Ă  l’analyse stratĂ©gique (cas, conseil) au travers d’une approche intĂ©grative que nous prĂ©conisons.
  • 15. Management StratĂ©gique 15 Il est assez remarquable de constater que ce dĂ©roulement correspond assez largement Ă  la succession dans le temps, au cours des trente derniĂšres annĂ©es, des apports thĂ©oriques. Actuellement, les spĂ©cialistes sont focalisĂ©s sur un aspect ou un autre, souvent en fonction de leur discipline d’origine (l’économie industrielle, le marketing, le management, le contrĂŽle de gestion, etc.). Notre ambition, sans doute mal tenue, a consistĂ© Ă  prĂ©senter les diverses facettes, de façon trĂšs synthĂ©tique. Nous avons limitĂ© au maximum les rĂ©fĂ©rences aux auteurs, pour ne retenir que la progression logique d’une Ă©tape Ă  l’autre. Nous avons souvent cherchĂ© Ă  adapter les modĂšles les plus courants pour les homogĂ©nĂ©iser. Dans la bibliographie, nous avons rejetĂ© les ouvrages en anglais, ou difficilement trouvables pour l’étudiant moyen. Nous nous sommes permis de faire rĂ©fĂ©rence Ă  nos propres ouvrages et articles, craignant d’avoir Ă©tĂ© parfois trop elliptique sur certains points. Ce livre a Ă©tĂ© plus conçu pour instruire les Ă©tudiants que pour impressionner les collĂšgues... Je remercie donc mes Ă©tudiants qui, avec une patiente courtoisie, m’ont entretenu dans l’illusion que cet ouvrage Ă©tait lisible, et — qui sait ? — qu’il les avaient incitĂ©s Ă  en connaĂźtre davantage sur cette matiĂšre passionnante et complexe: la stratĂ©gie. .
  • 16. Michel Marchesnay 16 CHAPITRE 1. APPROCHE DE LA STRATEGIE ESSAI DE DEFINITION Si bizarre que cela puisse paraĂźtre, l’enseignement systĂ©matique de la stratĂ©gie, conçue comme une discipline des sciences de gestion, est finalement assez rĂ©cent. Si l’on excepte le manuel de Harvard, dont il sera question dans le chapitre second (modĂšle « LCAG »), paru dans les annĂ©es 50, il faudra attendre les travaux amĂ©ricains de la fin des annĂ©es 60 pour voir s’esquisser des « modĂšles stratĂ©giques », susceptibles d’ĂȘtre enseignĂ©s « Ă  part entiĂšre », dans des cours appropriĂ©s. Au dĂ©but des annĂ©es 80, les manuels de rĂ©fĂ©rence se multiplient, le plus souvent aux Etats-Unis ; ils « inspirent » alors nombre d’ouvrages en Europe, en sorte que, Ă  la fin des annĂ©es 80, on peut penser qu’il y a une sorte de consensus sur le contenu de la discipline de stratĂ©gie des entreprises. Les choses ne sont pas aussi claires. En fait, l’enseignement de la stratĂ©gie subit diverses influences qui trahissent la diversitĂ© de ses origines et de ses apports. Bien souvent, dans les Business Schools ou dans les Écoles de Commerce, ce cours Ă©tait confiĂ© Ă  un praticien d’entreprise (un « professionnel »), qui proposait surtout des recettes « la stratĂ©gie ne peut pas s’apprendre, c’est un art ». À l’inverse,
  • 17. Management StratĂ©gique 17 dans les UniversitĂ©s, ce cours Ă©tait confiĂ© Ă  des spĂ©cialistes de micro-Ă©conomie, et consistait bien souvent en l’exposition de modĂšles trĂšs thĂ©oriques ; ou bien, il Ă©tait confiĂ© Ă  des enseignants de techniques de gestion, qui mettaient l’accent sur les techniques de planification et de contrĂŽle, plus que sur la rĂ©flexion stratĂ©gique. Finalement, les « professionnels » s’intĂ©ressaient surtout aux problĂšmes de politique gĂ©nĂ©rale, Ă  la prise concrĂšte de dĂ©cision, alors que les « enseignants » accordaient leur prĂ©fĂ©rence soit Ă  la formalisation de la dĂ©marche, soit aux techniques du management stratĂ©gique. On aura compris que la discipline de stratĂ©gie est, par excellence, le lieu de confrontation de la pensĂ©e et de l’action. Le cours de stratĂ©gie exige une intelligence de concepts et de rĂ©flexions, dont la lecture reste banale tant qu’on ne les a pas confrontĂ©s Ă  une mise en pratique, par des exemples, par des cas, par sa propre expĂ©rience des affaires. Cette symbiose apparaĂźt parfaitement dans l’enseignement nord-amĂ©ricain. Au dĂ©but des annĂ©es 80, les autoritĂ©s gouvernementales s’inquiĂštent de la pauvretĂ© conceptuelle des cours de politique gĂ©nĂ©rale et stratĂ©gie dans les M.B.A., car ces cours sont dĂ©volus Ă  des praticiens, le plus souvent. Les UniversitĂ©s, pour maintenir leur position concurrentielle (car elles font l’objet de classements, qui justifient les droits d’inscription...), recrutent alors des chercheurs venus de disciplines plus « dures », comme l’économie industrielle ; ces chercheurs, comme Porter Ă  Harvard, proposeront des dĂ©marches plus formalisĂ©es. Au dĂ©but des annĂ©es 90, la voie est dĂ©sormais ouverte pour une intĂ©gration plus poussĂ©e entre la conception des modĂšles et leur mise en pratique.
  • 18. Michel Marchesnay 18 ArrivĂ© Ă  ce stade, le lecteur attend avec impatience une dĂ©finition de la stratĂ©gie... et l’auteur avoue son embarras. La liste donnĂ©e en annexe des dĂ©finitions proposĂ©es dans des ouvrages marquants rĂ©vĂšle l’absence de total consensus en l’état actuel de la discipline. On peut toutefois classer ces dĂ©finitions autour de quelques thĂšmes rĂ©pĂ©titifs. — Le thĂšme des buts : est stratĂ©gique toute dĂ©marche qui repose sur la dĂ©finition de buts Ă  long terme, et la dĂ©termination des moyens pour les rĂ©aliser. Ce type de dĂ©finition s’intĂ©resse plutĂŽt aux problĂšmes de politique gĂ©nĂ©rale de l’entreprise ou de l’organisation. — Le thĂšme du plan : est stratĂ©gique toute dĂ©marche reposant sur une planification de l’engagement des ressources sur un horizon donnĂ©. Sans plan, pas de stratĂ©gie, dans cette conception extrĂȘme. Le management stratĂ©gique s’identifie alors Ă  la planification stratĂ©gique. — Le thĂšme de l’environnement : est stratĂ©gique toute dĂ©cision qui a pour but de rendre l’entreprise compĂ©titive Ă  long terme, de se renforcer par rapport Ă  un environnement oĂč rĂšgne la concurrence. Le management stratĂ©gique s’identifie alors Ă  la lutte sur les marchĂ©s, et se rapproche du marketing stratĂ©gique. — Le thĂšme du changement : est stratĂ©gique toute dĂ©cision impliquant des changements importants, structurels, dans le management de l’entreprise (ses buts, ses activitĂ©s, son organisation, etc.).
  • 19. Management StratĂ©gique 19 Souvent, ces diverses acceptions sont regroupĂ©es sous une formulation trĂšs banale, du type : « La stratĂ©gie consiste Ă  planifier le changement, dans le but d’adapter les ressources de l’organisation aux exigences de l’environnement concurrentiel, pour rĂ©aliser les objectifs et les buts fondamentaux ». II est vrai que la plupart des manuels nord-amĂ©ricains sont conçus dans cet esprit. On dĂ©finit d’abord les buts et la politique gĂ©nĂ©rale, puis on pose les Ă©lĂ©ments du diagnostic sur l’environnement, et sur l’organisation, avant de mettre en oeuvre une planification des moyens pour rĂ©aliser des stratĂ©gies d’activitĂ©s dont on contrĂŽlera les performances. Toutefois, on voit qu’il y a deux niveaux en principe distincts : — Le niveau de la corporate strategy, Ă©laborĂ©e par la Haute Direction, qui correspond largement Ă  ce que l’on appelle la « politique gĂ©nĂ©rale ». — Le niveau de la business strategy, que nous traduirons par « stratĂ©gie d’activitĂ©s », Ă©laborĂ©e au niveau des divisions opĂ©rationnelles de produits et de marchĂ©s, et qui correspond largement au management stratĂ©gique. Bien entendu, ces deux niveaux sont Ă©troitement reliĂ©s (dans la petite entreprise, ils sont parfaitement confondus). Mais ils correspondent Ă  des problĂšmes distincts, y compris dans la façon dont sont prises les dĂ©cisions comme dans leur objet. Or, selon l’importance accordĂ©e Ă  chacun de ces niveaux comme Ă  chacun des thĂšmes dominants, des Ă©coles de pensĂ©es et d’enseignement de la stratĂ©gie se font jour, comme on le verra en fin de ce chapitre.
  • 20. Michel Marchesnay 20 Pour sa part, le spĂ©cialiste canadien de management, Henry Mintzberg, dont il sera souvent question par la suite, recense ce qu’il appelle les 5 P pour dĂ©finir le concept de stratĂ©gie : — P comme plan, soit un type d’action voulu consciemment. — P comme pattern (modĂšle), soit un type d’action formalisĂ©, structurĂ©. — P comme ploy (manoeuvre), soit une action destinĂ©e Ă  rĂ©aliser un objectif prĂ©cis (il ne s’agit que de tactique). — P comme position, soit la recherche d’une localisation favorable dans l’environnement, pour soutenir durablement la concurrence. — P comme perspective, soit une perception de la position dans le futur. Ces cinq P sont interreliĂ©s, et s’expriment globalement sous la forme de dĂ©marches stratĂ©giques diffĂ©rentes, selon notamment ceux qui les mettent en oeuvre, ce qui vient encore souligner le tien trĂšs fort entre la rĂ©flexion et l’action en stratĂ©gie. Par exemple, on peut imaginer les sĂ©quences types suivantes : — Dans les grandes organisations bureaucratiques, la rĂ©daction du plan joue un rĂŽle dĂ©terminant dans le processus stratĂ©gique. Le plan va se formaliser (Pattern), s’exĂ©cuter au travers de manoeuvres (Ploy), se dĂ©rouler dans le temps (Perspective) et entraĂźner un certain positionnement sur le marchĂ©.
  • 21. Management StratĂ©gique 21 — Dans les petites organisations, le processus est diffĂ©rent. Les manoeuvres jouent un rĂŽle important (la stratĂ©gie est rĂ©active, chapitre IX), la stratĂ©gie Ă©merge de ces manoeuvres : elle se structure sur le tas, progressivement, acquiert une certaine durĂ©e, une certaine perspective de temps, et contribue Ă  positionner l’entreprise, sans qu’il y ait de plan formalisĂ© au dĂ©part. On donnera donc une dĂ©finition de synthĂšse de la stratĂ©gie : C’est « l’ensemble constituĂ© par les rĂ©flexions, les dĂ©cisions, les actions ayant pour objet de dĂ©terminer les buts gĂ©nĂ©raux, puis les objectifs, de fixer le choix des moyens pour rĂ©aliser ces buts, de mettre en oeuvre les actions et les activitĂ©s en consĂ©quence, de contrĂŽler les performances attachĂ©es Ă  cette exĂ©cution et Ă  la rĂ©alisation des buts ». Cette dĂ©finition lapidaire ne saurait cacher des divergences de conception de la stratĂ©gie, qui s’expliquent avant tout par la diversitĂ© des disciplines qui ont contribuĂ© Ă  forger cette discipline nouvelle: la stratĂ©gie des organisations. UNE DISCIPLINE AUX ORIGINES MULTIPLES Comme nous l’avons dit, la conception d’un cours de stratĂ©gie est fortement liĂ©e Ă  la « culture » de l’enseignant : en tĂ©moigne la diversitĂ© du contenu des manuels de stratĂ©gie — du moins en France —
  • 22. Michel Marchesnay 22 de la Terminale aux cours de doctorat ! Cette diversitĂ© s’explique Ă  la fois par la jeunesse de la discipline, comme objet d’étude en gestion, et par l’anciennetĂ© de la pratique stratĂ©gique. Il s’agit donc de remonter aux sources, et de faire un examen critique de celles-ci. StratĂ©gie militaires et stratĂ©gie d’entreprise La relation est simple: les stratĂšges, dans la CitĂ© athĂ©nienne, Ă©taient chargĂ©s de la conduite de la guerre, sous l’oeil vigilant des archontes, notables chargĂ©s de gĂ©rer la CitĂ© (polis, en grec : on voit ainsi une premiĂšre figuration de la distinction entre la politique gĂ©nĂ©rale et la stratĂ©gie d’activitĂ©s). Il fallut attendre les guerres napolĂ©oniennes pour que des thĂ©oriciens dĂ©passent la simple conduite des batailles pour se pencher sur l’art de la guerre. Un gĂ©nĂ©ral prussien, Karl von Clausewitz, observant les campagnes de NapolĂ©on, Ă©largit le dĂ©bat, en montrant que la guerre n’est qu’une des formes de la politique extĂ©rieure, diplomatique d’un pays, forme violente, subordonnĂ©e Ă  la poursuite des objectifs politiques. AprĂšs la Seconde Guerre mondiale, les conditions gĂ©opolitiques de la Guerre Froide et des guerres d’indĂ©pendance remirent au premier plan cette idĂ©e de subordination du « management stratĂ©gique » Ă  la « politique gĂ©nĂ©rale ». Or, dans les annĂ©es 50, les grandes entreprises amĂ©ricaines cherchĂšrent des Ă©lĂ©ments de rĂ©flexion pour dĂ©velopper leur stratĂ©gie, et crurent en trouver dans les thĂ©ories militaires sur la conduite des guerres, des campagnes et des batailles. On vit ainsi fleurir de nombreux ouvrages sur l’art de la guerre
  • 23. Management StratĂ©gique 23 appliquĂ© aux affaires, et mĂȘme des livres dĂ©crivant des batailles cĂ©lĂšbres pour les appliquer aux problĂšmes stratĂ©giques des entreprises. On dĂ©bat beaucoup des affinitĂ©s entre les deux stratĂ©gies. De ces dĂ©bats, on peut tirer les observations suivantes : — Au niveau le plus simple, l’image guerriĂšre donne lieu Ă  de nombreuses expressions (guerre de prix, capitaine d’industrie, campagne promotionnelle, etc.) sans rĂ©elle rĂ©flexion de fond. — À un autre niveau, on observe certaines analogies entre la conduite des affaires et celle des batailles : d’abord sur la relation entre les forces respectives (les ressources de l’organisation, l’avantage concurrentiel), l’état du terrain et les conditions de l’engagement (le positionnement concurrentiel) ; ensuite, sur les conditions de dĂ©roulement de la bataille ou de la guerre (manoeuvres tactiques). Toutefois, l’objection fondamentale est que, dans la guerre des affaires, il ne s’agit gĂ©nĂ©ralement pas de dĂ©truire le concurrent (les forces du marchĂ© s’en chargent). — Les affinitĂ©s sont en fait beaucoup plus fortes dans les deux cas suivants : d’une part, lorsque la stratĂ©gie de l’entreprise est une stratĂ©gie d’élimination directe des concurrents, ou lorsque l’environnement est fortement hostile (cf. chapitre 6); d’autre part, lorsque la guerre militaire n’a pas pour but l’anĂ©antissement de l’adversaire, ou lorsque les batailles sont
  • 24. Michel Marchesnay 24 conduites sans rechercher la victoire totale (la guerre du Golfe, les guerrillas en donnent de nombreux exemples). Analyse stratĂ©gique et analyse Ă©conomique L’analyse Ă©conomique « officielle » (en particulier l’analyse micro-Ă©conomique des marchĂ©s) accorde une faible place Ă  la stratĂ©gie des entreprises. S’intĂ©ressant avant tout Ă  l’équilibre gĂ©nĂ©ral, rĂ©sultat des Ă©quilibres partiels (sur chaque marchĂ©), l’analyse Ă©conomique part du principe que, pour optimiser ses performances, soit le profit maximum, l’entreprise doit se contenter d’obĂ©ir aveuglĂ©ment aux signaux du marchĂ© que sont les prix (taux de salaire, taux d’intĂ©rĂȘt, taux de profit, prix des produits). Le chef d’entreprise doit se contenter d’utiliser de façon optimale ses ressources, s’il est rationnel. Cette analyse a longtemps prĂ©dominĂ©. De nos jours, les Ă©conomistes qui s’intĂ©ressent Ă  l’entreprise et Ă  l’industrie accordent une place croissante, voire dĂ©terminante, Ă  la stratĂ©gie, au point d’apporter, comme Michael Porter, des outils et des modĂšles essentiels. Les principaux amendements apportĂ©s Ă  la thĂ©orie Ă©conomique traditionnelle sont les suivants : — Il existe des situations thĂ©oriques qui sont diffĂ©rentes de la concurrence pure et parfaite, et permettent Ă  l’entreprise de choisir le couple quantitĂ©/prix optimal. Tel est le cas des situations suivantes: monopole (seul), duopole (deux), oligopole (quelques-uns). L’optimum peut ĂȘtre obtenu par des voies diffĂ©rentes, selon qu’il y a affrontement (conflit),
  • 25. Management StratĂ©gique 25 entente tacite (collusion), ou entente explicite (coopĂ©ration). Il n’est mĂȘme pas sĂ»r qu’on puisse dĂ©terminer logiquement le rĂ©sultat optimum, comme le montre la thĂ©orie des jeux (chapitre 9). — La situation thĂ©orique plus rĂ©aliste est sans nul doute celle de la concurrence imparfaite et monopolistique : chaque entreprise cherche Ă  avoir une part de marchĂ© stable et adopte une stratĂ©gie de survie, et non de guerre Ă  outrance, aux rĂ©sultats trop incertains. — L’idĂ©e selon laquelle les entreprises cherchent Ă  maximiser leur profit, en allouant leurs ressources de façon optimale, est une vue de l’esprit : elles adoptent plutĂŽt un comportement de satisfaction d’objectifs rĂ©alistes. Cette approche, qualifiĂ©e de « bĂ©havioriste » est prĂŽnĂ©e par l’AmĂ©ricain Herbert Simon, prix Nobel d’Économie. — Il n’est pas vrai que le taux de profit dans une industrie soit seulement dĂ©terminĂ© par les structures de cette industrie (chapitre 6). Il faut tenir compte des stratĂ©gies des entreprises, qui contribuent Ă  modifier les structures (demande, technologie, etc.) de l’industrie dans cette optique, on prĂ©fĂšre parler d’Organisation Industrielle (O.I.) plutĂŽt que d’Économie Industrielle (E.I.). — L’analyse Ă©conomique traditionnelle n’accorde aucun rĂŽle dĂ©terminant Ă  l’entreprise et Ă  l’entrepreneur. A la fin des annĂ©es 30, l’économiste autrichien, alors exilĂ© aux Etats-Unis, Joseph Schumpeter, va montrer le rĂŽle moteur de l’entrepreneur dans le capitalisme, de par sa stratĂ©gie d’innovation. De mĂȘme, Ă  la mĂȘme Ă©poque, l’Anglo-AmĂ©ricain Coase (prix Nobel d’Économie) va montrer que les Ă©changes peuvent se faire, soit sur un marchĂ©, soit dans une organisation : le fait que les transactions internes soient moins « coĂ»teuses » au sens large que
  • 26. Michel Marchesnay 26 les transactions externes, justifie l’existence de la firme dans une Ă©conomie de marchĂ©. AprĂšs 1950, un courant trĂšs important en Ă©conomie d’entreprise s’intĂ©ressera Ă  la thĂ©orie de la firme, accordant une place croissante aux rapports entre les structures et les stratĂ©gies, au niveau de la firme comme de l’industrie. L’apport de l’analyse Ă©conomique, ainsi amendĂ©e, a consistĂ© avant tout Ă  donner plus de rigueur aux exposĂ©s sur la stratĂ©gie, en prĂ©cisant la portĂ©e de certaines notions (par exemple la diversification - chapitre 6 - ou la fixation des buts - chapitre 2). Certains manuels s’appuient fortement sur cette relation, notamment dans l’école française de stratĂ©gie. Dans la littĂ©rature amĂ©ricaine de stratĂ©gie, l’appui sur l’analyse Ă©conomique porte plus prĂ©cisĂ©ment sur les points suivants : — La croyance en une primautĂ© de l’économie de marchĂ©, en la libre concurrence, comme sĂ©lecteurs de performance, et en consĂ©quence, le rĂŽle directeur du profit (chapitre 2). — L’intĂ©rĂȘt accordĂ© Ă  une dĂ©marche rationnelle, mĂ©thodique, dans l’analyse stratĂ©gique (diagnostic, position du problĂšme, choix, Ă  partir de critĂšres rationnels, de la meilleure solution, mise en oeuvre, contrĂŽle des rĂ©sultats). — Le recours Ă  des outils d’analyse relevant de la logique « substantive » (H. Simon), logico-mathĂ©matique, comme aide Ă  la dĂ©cision stratĂ©gique (chapitre 9).
  • 27. Management StratĂ©gique 27 StratĂ©gie et histoire des entreprises L’analyse historique consiste Ă  suivre ou Ă  recomposer Ă  partir de documents l’évolution de la dĂ©marche stratĂ©gique (dĂ©cisions essentielles, changements dĂ©terminants) suivie par une entreprise ou un groupe d’entreprises. L’objectif est double : — Essayer de dĂ©gager des « lois », ou des tendances lourdes. Ainsi, l’historien amĂ©ricain Chandler (Harvard) a Ă©mis l’idĂ©e que les grandes modifications structurelles apparues dans les entreprises amĂ©ricaines dans les annĂ©es trente avaient pour origine des changements de stratĂ©gie, dans les choix de produits et de marchĂ©s. La grande entreprise, selon cet auteur, oppose Ă  la « Main Invisible » des lois du MarchĂ©, la « Main Visible » de l’Organisation (coĂ»ts de transactions internes) qu’elle façonne en fonction de ses choix stratĂ©giques. — Observer l’évolution des techniques et des principes de management, souvent en partant du principe selon lequel le succĂšs d’une entreprise est dĂ» Ă  l’adoption de principes « modernes » ou de techniques « avancĂ©es » qu’il convient de transposer aux autres entreprises. Par exemple, deux auteurs, Peters et Waterman, observant tes entreprises les plus performantes aux États-Unis, Ă©numĂšrent les « clĂ©s » de leur succĂšs: malheureusement, quelques annĂ©es plus tard, la plupart d’entre elles avaient pĂ©riclitĂ©... Il n’en reste pas moins que l’observation des stratĂ©gies des entreprises, mĂȘme au niveau de l’histoire immĂ©diate, de l’actualitĂ© quotidienne, constitue une source inĂ©puisable d’informations. La lecture
  • 28. Michel Marchesnay 28 rĂ©guliĂšre d’articles consacrĂ©s Ă  la vie des affaires offre des applications constantes des notions Ă©noncĂ©es dans les manuels et autres ouvrages consacrĂ©s Ă  la stratĂ©gie. StratĂ©gie et sciences de l’homme et de la sociĂ©tĂ© Sous ce vocable, on englobera avant tout les travaux en sociologie des organisations et en psychologie. En effet, si l’on abandonne le postulat, souvent avancĂ© par les Ă©conomistes, selon lequel la stratĂ©gie de l’entreprise est uniquement dĂ©terminĂ©e par les forces du marchĂ© et de la concurrence, on est conduit Ă  accorder une grande importance au rĂŽle des individus et aux structures de l’organisation dans le management stratĂ©gique. En particulier, les choix se ramĂšneront Ă  des rapports de pouvoir, ou au moins Ă  des relations interpersonnelles ou intergroupes. La sociologie des organisations s’est fortement dĂ©veloppĂ©e aprĂšs la Seconde Guerre mondiale. Sans dĂ©florer ce qui sera dit dans le chapitre 7, l’apport essentiel rĂ©side Ă  nos yeux dans le point de vue appelĂ© « contingent » : on considĂšre que la stratĂ©gie n’est pas dĂ©terminĂ©e a priori, mais qu’elle rĂ©sulte du jeu de forces et d’évĂ©nements qui influenceront les choix, sĂ©parĂ©ment ou globalement. La psychologie joue Ă©galement un rĂŽle croissant, comme on le verra dans le chapitre 8, dans la mesure oĂč elle permet de mieux comprendre le processus de prise de dĂ©cision. Elle s’intĂ©resse aux façons dont les dĂ©cideurs « savent » (processus cognitif), dont ils « apprennent » (processus d’apprentissage), dont ils « choisissent » (processus dĂ©cisionnels).
  • 29. Management StratĂ©gique 29 StratĂ©gie et sciences de gestion Si bizarre que cela puisse paraĂźtre, la relation n’est pas si Ă©vidente. En effet, la gestion d’une entreprise a pour objet d’user au mieux des ressources dont dispose l’entreprise ; le gestionnaire s’appuie sur des techniques bien Ă©tablies, en gĂ©nĂ©ral, et celles-ci font l’objet d’un enseignement, d’une transmission somme toute assez simple (exemple: les techniques comptables). En stratĂ©gie, on se heurte Ă  des situations complexes, Ă  des problĂšmes « mal structurĂ©s », pour lesquels la rĂ©ponse n’est pas toujours techniquement possible. Comme on peut le constater avec des Ă©tudiants de gestion, la sensibilisation Ă  la dĂ©marche stratĂ©gique, une fois enseignĂ©s les modĂšles traditionnels et les pratiques observĂ©es, peut se heurter Ă  de fortes rĂ©sistances. En effet, il est demandĂ© d’adopter, selon l’expression d’Henry Mintzberg, une attitude « artisanale », de recourir Ă  l’intuition beaucoup plus qu’à la logique « substantive » (Simon) : au point que Mintzberg a suggĂ©rĂ© de ne dispenser ces cours qu’à des personnes ayant dĂ©jĂ  une expĂ©rience de l’entreprise ! En fait, les choses Ă©voluent dans le sens d’un rĂŽle croissant d’une attitude « stratĂ©gique » dans les divers domaines de la gestion. En effet, les techniques de gestion sont devenues, dans nombre de domaines, hautement programmĂ©es, au point que l’ordinateur peut « prendre la dĂ©cision ». En consĂ©quence, le gestionnaire doit maintenant se prĂ©occuper des dĂ©cisions plus risquĂ©es, plus complexes, peu programmables. Ainsi, l’expert-comptable fera de plus en plus du conseil en gestion, le chef du personnel fera moins de paie et plus de recrutement, etc. Bref, les aspects stratĂ©giques liĂ©s Ă  une fonction tendent Ă  devenir dominants, comme le titre de nombreux ouvrages de gestion le montre (mĂȘme si le terme de stratĂ©gie n’est pas toujours bien dĂ©fini...). Cela signifie que l’on s’intĂ©resse de
  • 30. Michel Marchesnay 30 plus en plus aux dĂ©cisions difficilement programmables, ayant des effets en dehors de la fonction, nĂ©cessitant une tournure d’esprit diffĂ©rente (ainsi, dans un cas de stratĂ©gie, on ne cherche pas « la » solution, mais « une » solution, ce qui est trĂšs dĂ©routant pour l’étudiant). La relation entre le management et la stratĂ©gie est bien entendu plus forte, au point que les termes sont souvent confondus. Le management trouve son origine dans la fonction d’administration gĂ©nĂ©rale de l’entreprise, telle que dĂ©crite dans les Ă©crits du Français Henri Fayol au dĂ©but de ce siĂšcle, et dĂ©veloppĂ©e par nombre d’auteurs amĂ©ricains dont, au milieu du siĂšcle, Chester Barnard, et, plus rĂ©cemment, Peter Drucker. Mais l’on peut reprocher Ă  cette assimilation de cantonner la stratĂ©gie Ă  l’aspect interne Ă  l’entreprise, de mise en oeuvre d’une stratĂ©gie dĂ©terminĂ©e de l’extĂ©rieur. Le marketing, qui se dĂ©veloppe aprĂšs 1950 (Levitt, Kotler) a le mĂ©rite d’ouvrir le raisonnement stratĂ©gique sur le rĂŽle vis-Ă -vis du marchĂ©, et de la satisfaction de besoins. Nombre de modĂšles stratĂ©giques sont en fait empruntĂ©s au marketing stratĂ©gique (telles les matrices de portefeuille). Toutefois, la stratĂ©gie va bien au-delĂ  du seul marketing : ainsi, au niveau de la business strategy (cf. supra), il faut tenir compte Ă©galement des stratĂ©gies technologiques. On pourrait citer d’autres influences (l’ingĂ©nierie, la science politique). Ce qui vient d’ĂȘtre dit suffit Ă  souligner l’extrĂȘme diversitĂ© des influences. Or, les auteurs en stratĂ©gie sont eux-mĂȘmes d’origines scientifiques diffĂ©rentes, et leurs travaux rĂ©vĂšlent cette diversitĂ©. Il en dĂ©coule plusieurs Ă©coles, plusieurs courants en stratĂ©gie, que nous allons maintenant Ă©voquer.
  • 31. Management StratĂ©gique 31 UNE DISCIPLINE AUX COURANTS MULTIPLES RĂ©cemment, Mintzberg a prĂ©sentĂ© les diffĂ©rents courants actuels en stratĂ©gie d’entreprise en les situant sur une horloge : au fur et Ă  mesure que « l’heure avance », on irait de courants mettant l’accent sur les procĂ©dures de dĂ©cision, reposant sur des modĂšles et des techniques Ă©prouvĂ©s, vers des Ă©coles ou des mĂ©thodologies plus contingentes, pour dĂ©boucher sur des approches s’intĂ©ressant aux processus de prise de dĂ©cision, dans les organisations, puis chez les individus. Aux yeux de Mintzberg, l’idĂ©al, loin d’ĂȘtre atteint, serait d’aboutir Ă  une approche intĂ©grant l’ensemble de ces prĂ©occupations, les procĂ©dures et les processus, au sein d’une « configuration » englobant tous ces problĂšmes. Nous nous inspirerons de sa prĂ©sentation pour Ă©numĂ©rer ces Ă©coles de pensĂ©e stratĂ©gique, puis pour prĂ©senter le plan de cet ouvrage. Les Ă©coles formalistes On peut situer, dans le temps et dans l’espace, les origines de l’enseignement de la stratĂ©gie Ă  la Business School de Harvard, dans les annĂ©es 50. La philosophie de cette Ă©cole sera prĂ©sentĂ©e dans le chapitre 2, consacrĂ© Ă  la corporate policy, Ă  titre principal. L’idĂ©e essentielle est que les objectifs sont fixĂ©s par les propriĂ©taires, et mis en oeuvre par les dirigeants aprĂšs examen de la situation interne et externe, au travers du management stratĂ©gique. Cette approche est trĂšs logique : on lui reproche maintenant de l’ĂȘtre trop, de ne pas intĂ©grer les
  • 32. Michel Marchesnay 32 comportements et les alĂ©as, d’insister plus sur les procĂ©dures que sur les processus, de ne pas apprĂ©hender les problĂšmes de mise en oeuvre. C’est pourquoi, au dĂ©but des annĂ©es 60, une autre Ă©cole, dite de San Diego, s’intĂ©ressera aux problĂšmes de management stratĂ©gique, c’est-Ă -dire de conception d’outils de gestion planifiĂ©e et de modes de dĂ©veloppement de l’entreprise, au travers des activitĂ©s, analysĂ©es en technologies, produits et marchĂ©s. Le reprĂ©sentant le plus cĂ©lĂšbre de cette approche est l’AmĂ©ricain Igor Ansoff. Elle fera l’objet du chapitre 3. On observera, pour l’instant, que la dĂ©marche reste encore trĂšs formalisĂ©e : or, on lui a reprochĂ© sa rigiditĂ©, la difficultĂ© de s’adapter Ă  des changements brutaux pour changer de stratĂ©gie. D’oĂč de profonds remaniements. Au cours des annĂ©es 70, marquĂ©es par de fortes ruptures dans le capitalisme mondial, le problĂšme de la compĂ©titivitĂ© se pose de façon cruciale. Les activitĂ©s traditionnelles ne sont plus le moteur de l’expansion (automobile, Ă©lectro-manager, biens de consommation courante), et il faut « inventer » de nouvelles stratĂ©gies commerciales et technologiques. D’oĂč le dĂ©veloppement des analyses d’activitĂ©s, en termes de compĂ©titivitĂ© (possibilitĂ©s de croissance et de profit). Le problĂšme sera analysĂ© de deux points de vue : d’une part, la compĂ©titivitĂ© repose sur des aptitudes particuliĂšres de l’entreprise (approche resource-based), et, d’autre part, sur un avantage relatif par rapport aux concurrents, liĂ© Ă  un bon positionnement de marchĂ© (approche environnementale ou Ă©cologique), les deux problĂšmes interagissant. On est alors confrontĂ© Ă  des choix de stratĂ©gie d’activitĂ©s, les auteurs hĂ©sitant entre un
  • 33. Management StratĂ©gique 33 certain dĂ©terminisme (le positionnement entraĂźne le niveau de performance) et une certaine contingence (« ça dĂ©pend de plusieurs facteurs »). Ceci sera analysĂ© dans le chapitre 4. Cet aspect de contingence prend le pas sur la simple formalisation lorsque l’on aborde les stratĂ©gies de dĂ©veloppement des entreprises : les analyses deviennent plus complexes, les choix sont fortement relativisĂ©s, il n’y a guĂšre de modĂšle dĂ©terminant, ni d’école rĂ©ellement dominante. Ces stratĂ©gies seront abordĂ©es dans le chapitre 5. Les Ă©coles contingentes Dire que l’environnement est complexe et incertain est une banalitĂ©. Mais cet aphorisme trivial recouvre une rĂ©alitĂ© difficile Ă  apprĂ©hender dans les modĂšles stratĂ©giques. Au cours des annĂ©es 80, la recherche a fortement avancĂ© dans ce domaine, mĂȘme si elle s’est essoufflĂ©e Ă  suivre les transformations parfois brutales, « catastrophiques » de l’environnement technique, Ă©conomique, gĂ©opolitique, des entreprises. L’apport de l’économie industrielle a Ă©tĂ© important, l’auteur le plus connu Ă©tant l’AmĂ©ricain Michael Porter, professeur Ă  Harvard. Ces problĂšmes seront Ă©voquĂ©s dans le chapitre 6. Le sentiment qui prĂ©vaut est que, dans cette approche, il n’y a pas de solution dĂ©finitive pour l’entreprise. Le caractĂšre dynamique des variables stratĂ©giques est prĂ©dominant, et les choix doivent ĂȘtre rĂ©visĂ©s en permanence. Ce sentiment de contingence est exacerbĂ© avec l’analyse des relations entre la stratĂ©gie et l’organisation. Celle-ci apparaĂźt comme un systĂšme de gestion, mouvant, interactif, soumis Ă  de
  • 34. Michel Marchesnay 34 perpĂ©tuels changements: la notion de flexibilitĂ© est dĂ©terminante. Ces problĂšmes d’organisation seront abordĂ©s dans le chapitre 7. D’ores et dĂ©jĂ , on peut retenir que, pour nombre d’auteurs, l’accent doit ĂȘtre mis sur les comportements, plus que sur les procĂ©dures, en matiĂšre de management stratĂ©gique. Les Ă©coles axĂ©es sur les processus Un constat s’impose : on connaĂźt finalement peu de choses sur la façon dont les gens prennent une dĂ©cision ayant un caractĂšre stratĂ©gique. Mintzberg et Simon accordent une place essentielle Ă  l’intuition. Mais ils montrent qu’il existe plusieurs façons de prendre une dĂ©cision, et que le processus est influencĂ© par une multitude de facteurs. L’objet du chapitre 9 sera de s’intĂ©resser aux divers processus possibles, en essayant de voir dans quelles conditions ils se dĂ©veloppent. Enfin, reste le grand oubliĂ© de l’analyse stratĂ©gique: le stratĂšge. Celui-ci sera l’entrepreneur, dĂ©fini comme celui qui prend les dĂ©cisions stratĂ©giques. Mais les formes concrĂštes d’entrepreneuriat sont extrĂȘmement diverses, Il existe notamment des typologies d’entrepreneurs, qui ont fait, au cours de ces dix derniĂšres annĂ©es, l’objet de nombreuses recherches, liĂ©es notamment Ă  l’explosion du phĂ©nomĂšne de crĂ©ation d’entreprises de petite taille dans les Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es. Tel sera l’objet du chapitre 10, au cours duquel on observera notamment les processus de crĂ©ation d’entreprise. Vers une approche intĂ©grative Dans le onziĂšme et dernier chapitre, on prĂ©sentera des analyses intĂ©gratives, susceptibles de servir au diagnostic stratĂ©gique. On prĂ©sentera Ă©galement une mĂ©thodologie pour aborder l’étude de cas de stratĂ©gie. Car l’étude de la stratĂ©gie n’est d’aucun intĂ©rĂȘt si elle ne dĂ©bouche pas sur la mise en oeuvre
  • 35. Management StratĂ©gique 35 de dĂ©cisions et d’actions — sachant que la maĂźtrise des concepts et des outils qui auront Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s dans cet ouvrage est indispensable. Cette rĂ©flexion nous conduit Ă  insister sur l’aspect global, systĂ©mique, intĂ©gratif, de la pensĂ©e stratĂ©gique. Celle-ci doit inĂ©vitablement traiter de questions complexes, dans la mesure oĂč les phĂ©nomĂšnes sont inextricablement, et parfois inexplicablement, reliĂ©s entre eux. L’analyste doit accepter modestement une ignorance partielle. Pour les besoins pĂ©dagogiques, les problĂšmes sont abordĂ©s les uns aprĂšs les autres. Mais le lecteur doit avoir sans cesse Ă  l’esprit que chacun d’entre eux est reliĂ© aux autres. Pour faire comprendre cette nĂ©cessaire interaction, on a coutume d’utiliser un schĂ©ma « en diamant », en distinguant des « pĂŽles » ou « piliers » de l’analyse, puis en les reliant Ă  l’aide de flĂšches Ă  double sens, pour bien indiquer les relations rĂ©ciproques. Nous suggĂ©rons pour notre part quatre pĂŽles: les buts, l’activitĂ©, l’organisation, l’environnement, dans le schĂ©ma ci-dessous, que nous complĂ©terons lors du dernier chapitre :
  • 36. Michel Marchesnay 36 Notre cheminement nous conduira assez largement dans l’itinĂ©raire suivant, sur les dix chapitres Ă  venir (numĂ©rotĂ©s de 2 Ă  10) : Environnement Organisation Buts ActivitĂ©
  • 38. Michel Marchesnay 38 Courants et Ă©coles ModĂšles reprĂ©sentatifs Auteurs reprĂ©sentatifs Observations Design School de Harvard Corporate Strategy SOWT (Forces, Faiblesses, Menaces, OpportunitĂ©s) Andrews Ă©quipe de Harvard 1960- 1965 Approche rationnelle «conceptuelle» pour Mintzberg Planification stratĂ©gique ModĂšle de planification Ansoff Ackoff 1965-1975 Approche systĂ©matique et analytique « formelle » pour Mintzberg Business Strategy StratĂ©gies opĂ©rationnelle Marketing stratĂ©gique ModĂšles de portefeuille ModĂšles de positionnement StratĂ©gies gĂ©nĂ©riques Levitt, Kotler Henderson 1965-1980 Abell Grilles, check lists Processus « analytique » pour Mintzberg Management stratĂ©gique Domaines d’activitĂ©s stratĂ©giques Hofer et Schendel 1978 StratĂ©gies de dĂ©veloppement ModĂšles de croissance : Économiques, financiers, organisationnels, etc. Ansoff, Marris, Penrose 1960-1970 Forte diversitĂ© des approches. Non mentionnĂ© par Mintzberg Courant environnemental ModĂšles d’économie et d’organisation industrielles Approche Ă©volutionniste Transaction Porter 1975-1990 Nelson, Winter 1980-1990 Williamson 1975-1990 Conflit entre les approches dĂ©ductives (dĂ©terministes) et empiriques (contingentes) qualifiĂ© de « processus passif » (?) par Mintzberg Courant organisationnel ModĂšle de capacitĂ©s ModĂšles contingents Transaction (interne) et Ă©conomie des organisations Mintzberg Lawrence et Lorsch Chandler, Cyert et March 1960-1990 Grande diversitĂ© des approches. Mintzberg retient l’approche « politique » et « culturelle » Courant dĂ©cisionnel ModĂšle IMC et heuristique de la dĂ©cision. Processus de prise de dĂ©cision individueks et organisationnels Simon et Mintzberg Crozier 1955-1990 Approche empirique. Mintzberg distingue les approches «cognitives» et «d’apprentissage» Courant entrepreneurial Typologies d’entrepreneurs Smith, Gasse 1960-1990 Approche typologique Processus « visionnaire »
  • 39. Management StratĂ©gique 39 CHAPITRE 2. LA POLITIQUE GENERALE (CORPORATE STRATEGY) L’approche la plus classique de la stratĂ©gie, et apparemment la plus logique, trouve ses origines dans les enseignements de l’UniversitĂ© Harvard, dĂšs la fin des annĂ©es 50. La Harvard Business School forme de futurs dirigeants ou cadres (trĂšs) supĂ©rieurs de (trĂšs) grandes entreprises : l’objectif de l’enseignement est de les prĂ©parer aux tĂąches de dĂ©finition de la politique gĂ©nĂ©rale, sous le contrĂŽle de l’équivalent du conseil d’administration, qui reprĂ©sente les actionnaires. Le but de la politique gĂ©nĂ©rale est donc simple : il s’agit de maximiser la valeur des actions, ce qui revient Ă  maximiser le profit. Par ailleurs, ces grandes entreprises sont en fait des groupes de sociĂ©tĂ©s, qui fabriquent, conçoivent et vendent une multitude de produits, dans des secteurs trĂšs diffĂ©rents: les stratĂ©gies au niveau de chacun de ces produits-marchĂ©s doivent ĂȘtre cohĂ©rentes avec la « grande stratĂ©gie » Ă©laborĂ©e au niveau de la Direction gĂ©nĂ©rale (distinction de la Corporate Strategy et de la Business Strategy). On voit donc dans quel esprit ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s les modĂšles qui vont suivre, ce qui nous permettra d’en souligner les limites.
  • 40. Michel Marchesnay 40 LES MODELES DOMINANTS Le modĂšle le plus connu a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© initialement par Learned, Christensen, Andrews et Guth, professeurs Ă  Harvard : d’oĂč le nom de modĂšle « LCAG » qui lui est donnĂ©. L’auteur le plus marquant est sans doute Kenneth Andrews, auteur d’un Concept of Corporate Strategy, qui a fait l’objet d’une nouvelle Ă©dition rĂ©cente, ouvrage qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme la « Bible » en la matiĂšre. L’idĂ©e de dĂ©part est fort logique : la prise de dĂ©cision stratĂ©gique consiste Ă  formuler des buts gĂ©nĂ©raux au prĂ©alable, Ă  identifier les problĂšmes stratĂ©giques majeurs, Ă  choisir la meilleure solution et Ă  la mettre en oeuvre. La plupart des manuels de stratĂ©gie nord-amĂ©ricains s’appuient peu ou prou sur ce canevas : Formulation -> du but Identification -> du problĂšme Proposition -> de solutions alternatives Evaluation -> Choix -> Mise en oeuvre Dans la version actualisĂ©e du modĂšle, les auteurs soulignent que le processus se heurte aux problĂšmes suivants : — Une fois le but gĂ©nĂ©ral dĂ©terminĂ©, on se heurte Ă  la multiplicitĂ© des objectifs (on reviendra sur la liaison complexe buts-objectifs). — L’identification du problĂšme clĂ© et des options se heurte Ă  l’ignorance partielle (information limitĂ©e au sens de Simon).
  • 41. Management StratĂ©gique 41 — Le choix de la solution repose sur des critĂšres tirĂ©s de la thĂ©orie financiĂšre (maximisation de la valeur de l’action). Mais ces critĂšres doivent tenir compte des problĂšmes occasionnĂ©s par la nature des compĂ©tences distinctives, par la recherche de synergies, par l’incertitude sur les cash flows futurs. Toutefois, ces limites ne semblent pas remettre en cause le modĂšle gĂ©nĂ©ral d’Andrews : Identifier les objectifs, la stratĂ©gie et les politiques OpportunitĂ©s et menaces stratĂ©giques majeures Identifier les stratĂ©gies alternatives Prise de dĂ©cision stratĂ©gique Objectifs, stratĂ©gie et politiques rĂ©visĂ©s Analyse de l’environnement Analyse des ressources Valeur de la direction ResponsabilitĂ© sociale
  • 42. Michel Marchesnay 42 Ce modĂšle porte parfois le nom de modĂšle « SWOT », car il met en balance les « forces » (strength) et « faiblesses » (weakness) au sein de l’organisation, et les « menaces » (threat) et « opportunitĂ©s » (opportunity) dĂ©tectables dans l’environnement. D’autres prĂ©sentations de la corporate strategy sont Ă©galement offertes par les auteurs de Harvard. Par exemple : FORMULATION (DĂ©cider que faire) 1- Identification OpportunitĂ©/risque 2- DĂ©termination des ressources matĂ©rielles, techniques, financiĂšres et managĂ©riales de la sociĂ©tĂ© 3- Valeurs personnelles et aspirations des dirigeants 4- Prise en compte de la responsabilitĂ© non Ă©conomique envers la SociĂ©tĂ© CORPORATE STRATEGY Ensembles de projets (purposes) et de politiques dĂ©finissant la sociĂ©tĂ© et son domaine d’activitĂ©. MISE EN OEUVRE 5- Structures et relations/organisation : ‱ Division du travail ‱ Coordination de la responsabilitĂ© partagĂ©e ‱ SystĂšmes d’information 6- Processus et comportements organisationnels ‱ Standards et mesures ‱ Motivations et systĂšmes d’incitation ‱ SystĂšmes de contrĂŽle ‱ Recrutement et dĂ©veloppement des cadres 7- Direction au sommet StratĂ©gique Organisationnelle Personnelle
  • 43. Management StratĂ©gique 43 Les auteurs explicitent Ă©galement l’analyse « SWOT », laquelle doit aboutir Ă  la stratĂ©gie « Ă©conomique », c’est-Ă -dire au choix des produits et des marchĂ©s : CONDITIONS ET TENDANCES DE L’ENVIRONNEMENT (Économiques, politiques, techniques, sociales) OPPORTUNITÉS ET RISQUES (Identification, recherche, repĂ©rage du risque) PRISE EN COMPTE DE TOUTES LES COMBINAISONS ÉVALUATION DE LA MEILLEURE CONFRONTATION CHOIX DES PRODUITS ET DES MARCHÉS COMPÉTENCE DISTINCTIVE (CapacitĂ© : financiĂšre, managĂ©riale, fonctionnelle, organisationnelle) (CommunautĂ©, Nation, Monde) (RĂ©putation, histoire) RESSOURCES DE LA SOCIÉTÉ Renforçant ou limitant l’opportunitĂ©. Identifiant les forces et les faiblesses. Programmant un accroissement de capacitĂ©.
  • 44. Michel Marchesnay 44 Au total, l’analyse « SWOT » tirĂ©e de l’approche LCAG peut se rĂ©sumer Ă  l’aide du schĂ©ma suivant : BUTS DIAGNOSTIC : ENVIRONNEMENT : MENACES, OPPORTUNITÉS ORGANISATION : FORCES, FAIBLESSES CHOIX STRATÉGIQUES : (BUSINESS STRATEGY) OBJECTIFSDOMAINES D’ACTIVITÉ PLAN D’ACTION ET PROGRAMMES PRÉVISIONNELS Croissance, Diversification, etc (Produits-MarchĂ©)
  • 45. Management StratĂ©gique 45 Cette dĂ©marche semble fort logique ; on retrouve notamment le lien « vertical » entre le choix des buts et le plan, et le lien « horizontal » entre l’avantage concurrentiel de l’organisation et le positionnement concurrentiel dans l’environnement. Ces deux liaisons alimentent largement les grands dĂ©bats en stratĂ©gie. Il n’en reste pas moins que cette analyse, qui a dĂ©jĂ  trente ans d’existence au bas mot, a subi des amĂ©nagements, voire des critiques des plus vigoureuses. PROLONGEMENTS ET CRITIQUES Critiques d’ordre mĂ©thodologique Examinons d’emblĂ©e les critiques qui sont faites actuellement de la façon dont l’enseignement de la stratĂ©gie a Ă©tĂ© abordĂ© pendant longtemps. La critique essentielle vient de ceux qui estiment que le problĂšme fondamental est de comprendre et d’étudier comment sont prises les dĂ©cisions stratĂ©giques, quel est le processus effectivement suivi par les dĂ©cideurs. En cela, ils s’opposent aux spĂ©cialistes qui mettent en avant une dĂ©marche trĂšs logique, trĂšs cartĂ©sienne, consistant Ă  analyser les problĂšmes, en se rĂ©fĂ©rant Ă  des modĂšles de dĂ©marche, afin de rationaliser les choix stratĂ©giques. D’un cĂŽtĂ©, les uns prĂŽnent une dĂ©marche « gradualiste », ou « Ă©mergente », ou « incrĂ©mentale », car ils estiment que les problĂšmes stratĂ©giques doivent ĂȘtre abordĂ©s en permanence dans l’entreprise ; les autres prĂŽnent une dĂ©marche « rationaliste », « procĂ©durale », car ils estiment que les problĂšmes stratĂ©giques doivent faire
  • 46. Michel Marchesnay 46 l’objet de choix dĂ©libĂ©rĂ©s, planifiĂ©s, et lourdement argumentĂ©s. Comme on le verra dans le chapitre 8, les deux approches ne sont pas si inconciliables qu’il y paraĂźt. Il n’empĂȘche que l’attitude trĂšs rationalisatrice a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e Ă  partir des travaux de l’École de Harvard. L’objet de la Business School est de former des dirigeants de trĂšs grandes entreprises, de les habituer Ă  la prise de dĂ©cisions de portĂ©e gĂ©nĂ©rale. Le modĂšle LCAG et sa version « SOWT » constitue un cadre sur lequel doit s’appuyer le diagnostic, puis la dĂ©tection du problĂšme, puis l’examen des solutions possibles, et, enfin, le choix de « la » solution. Les Ă©tudiants disposent de cas extrĂȘmement complets, le plus souvent de grandes entreprises ou organisations (hĂŽpitaux, par exemple), dans lesquels se trouvent toutes les informations nĂ©cessaires. Il leur faut arriver Ă  une solution dans un dĂ©lai donnĂ©. L’enseignement magistral, en MBA, reste limitĂ©. Ce type d’enseignement de la stratĂ©gie est de plus en plus contestĂ©, en particulier par les « incrĂ©mentalistes » — notamment Henry Mintzberg, qui a brocardĂ© la Design School. Les objections fondamentales sont les suivantes : — Cette mĂ©thodologie laisse entendre que les dĂ©cisions stratĂ©giques sont, et doivent ĂȘtre, prises de façon rationnelle, logique. Or, nous dit Mintzberg, elles sont prises, mĂȘme pour les plus importantes, de façon artisanale et intuitive. Les raisons en sont fort simples : ‱ Tout d’abord, le dĂ©cideur ne dispose jamais de toutes les informations nĂ©cessaires et utiles. Parfois, il en a trop, mais souvent, il n’en a pas assez : par exemple, sur l’évolution future, sur les intentions ou les rĂ©sultats des concurrents. Bref, l’information est limitĂ©e, ce qui limite la rationalitĂ©.
  • 47. Management StratĂ©gique 47 ‱ Les dĂ©cisions prises ne sont jamais linĂ©aires: il faut « reboucler » en arriĂšre, revenir sur des hypothĂšses, sur des dĂ©cisions, au vu de rĂ©sultats ou d’évĂ©nements nouveaux. En particulier, les dĂ©cisions prises entraĂźnent des rĂ©actions, et des modifications de l’environnement. Bref, le processus est plutĂŽt systĂ©mique. Aussi, le rĂŽle du flair, de l’expĂ©rience du dirigeant est-il essentiel, comme on le verra dans les derniers chapitres. Il s’agit de faire travailler la partie droite du cerveau (intuitive), plutĂŽt que la partie gauche (analytique) selon une image (d’ailleurs contestable au plan scientifique...). — En second lieu, cette mĂ©thodologie est appliquĂ©e Ă  de grandes entreprises, qui maĂźtrisent largement leur secteur d’activitĂ©, mĂȘme si elles sont en concurrence intense. L’environnement est donnĂ©, sa structure est stable, et il dĂ©termine l’action de l’entreprise, si elle veut maximiser son profit. Dans la rĂ©alitĂ©, l’environnement est trĂšs instable, et mĂȘme discontinu : cela est dĂ» au fait que des modifications brutales, des ruptures sont apparues Ă  la fin des annĂ©es 70 dans la technologie et dans les modes de consommation des pays industrialisĂ©s. En fait, le modĂšle LCAG est valable surtout pour les industries de grande consommation oĂč les grandes entreprises dominent leur marchĂ© — biens alimentaires (ex : NestlĂ©), lessives et dĂ©tergents (Procter et Gamble), etc.— le plus souvent Ă  quelques-uns. Il s’agit avant tout de gagner ou de prĂ©server des parts de marchĂ©. Ceci ne concerne qu’un petit nombre d’entreprises. L’écrasante majoritĂ© des dĂ©cisions stratĂ©giques sont prises en incertitude forte sur l’environnement. On ne peut se contenter de planifier des actions : il faut s’adapter en permanence. Or, la dĂ©marche LCAG laisse entendre
  • 48. Michel Marchesnay 48 que « l’intendance suivra » sans problĂšme, qu’il suffira de planifier la mise en oeuvre Ă  l’aide de procĂ©dures appliquĂ©es dans l’organisation. Mintzberg a beau jeu de montrer que les grandes organisations ont connu d’énormes difficultĂ©s Ă  s’adapter aux ruptures stratĂ©giques (IBM Ă©tant en l’espĂšce un cas d’école). En d’autres termes, la flexibilitĂ© stratĂ©gique est incompatible avec la dĂ©marche rationnelle. — En troisiĂšme et dernier lieu, cette dĂ©marche laisse entendre qu’il y a « la » solution, en quelque sorte cachĂ©e, mais que l’on doit retrouver grĂące Ă  un raisonnement logique. Dans la rĂ©alitĂ©, le dĂ©cideur recherche une solution, aussi satisfaisante que possible: satisfaisante pour lui, dans la mesure oĂč elle lui permet d’aller vers ses objectifs, voire de rĂ©aliser ses aspirations ; satisfaisante pour son entourage, dans la mesure oĂč elle aboutit Ă  des performances « positives ». A notre sens, cette critique est essentielle au stade de l’initialion Ă  la stratĂ©gie : l’étudiant (bien souvent sĂ©lectionnĂ© sur des aptitudes logiques) s’attend Ă  devoir trouver « la » solution du cas, ce qui ne va pas sans quiproquos et frustrations... au point qu’Henry Mintzberg s’est demandĂ© s’il fallait conserver cet enseignement en MBA... La frustration peut venir Ă©galement de chefs d’entreprise qui ont recours Ă  des consultants en stratĂ©gie d’entreprise: pour l’éviter, les sociĂ©tĂ©s de conseil prĂ©fĂšrent recourir Ă  des « grilles » et « modĂšles » qui rationalisent les propositions... et rassurent leurs clients, tout en s’intĂ©grant dans leurs propres procĂ©dures de formation et d’évaluation de leurs conseillers. Bref, le dĂ©bat entre « rationalistes » et « incrĂ©mentalistes » n’est pas clos...
  • 49. Management StratĂ©gique 49 La mĂ©connaissance des buts L’approche prĂ©conisĂ©e dans le modĂšle LCAG repose sur une croyance fondamentale Ă  l’efficience du marchĂ© et de la concurrence dans une Ă©conomie capitaliste, fondĂ©e sur la propriĂ©tĂ© privĂ©e des moyens de production. Le processus de valorisation des capitaux engagĂ©s dans la production se rĂ©alise de la façon suivante : Les capitaux financiers servent Ă  acquĂ©rir des ressources (matĂ©rielles, humaines, financiĂšres et d’information) qui sont gĂ©rĂ©es au sein d’une organisation de la façon la plus efficiente possible; elles permettent d’offrir sur les marchĂ©s des biens et des services, au-delĂ  de la rĂ©munĂ©ration « normale » RISQUE Investissement MARCHÉ Innovation INCERTITUDE RentabilitĂ© PROFIT ORGANISATIONCAPITAUX
  • 50. Michel Marchesnay 50 des capitaux et du travail du chef d’entreprise, un surprofit apparaĂźt transitoirement, du fait de l’innovation, selon la thĂšse centrale de Schumpeter, ce qui accroĂźt la rentabilitĂ© des capitaux. Trois personnages se profilent ainsi : le capitaliste, le manager et l’innovateur (« l’entrepreneur »). Dans la grande entreprise capitaliste, on suppose que les managers sont au service des capitalistes : ceux-ci sont reprĂ©sentĂ©s par le conseil d’administration, qui veille Ă  ce que les dirigeants dĂ»ment mandatĂ©s valorisent leurs capitaux, en cherchant Ă  maximiser le profit. Pour les sociĂ©tĂ©s anonymes par action, cela revient Ă  maximiser la capitalisation boursiĂšre, c’est-Ă -dire la valeur de l’action et les perspectives de plus-value sur revente : les critĂšres financiers sont dĂ©terminants pour vĂ©rifier que le but est atteint. Cette hypothĂšse peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme « hĂ©roĂŻque ». Nombre d’auteurs ont mis en cause l’unicitĂ© et l’unilatĂ©ralitĂ© de la fixation du but. Plus prĂ©cisĂ©ment, les objections sont les suivantes : 1°) La maximisation du profit n’est pas claire. Il s’agit de savoir s’il s’agit du profit Ă  court ou Ă  long terme. En effet, la maximisation du profit Ă  court terme peut conduire Ă  sous-estimer les besoins d’investissement, indispensables pour la survie Ă  long terme. Par exemple, l’entreprise doit accroĂźtre ses parts de marchĂ©: elle doit engager des dĂ©penses de modernisation, de publicitĂ©, de formation, etc., qui seront payantes ultĂ©rieurement. Une logique purement financiĂšre pourra conduire Ă  refuser ces dĂ©penses, pour ne pas mĂ©contenter les actionnaires, au nom de la sacro-sainte loi du marchĂ©.
  • 51. Management StratĂ©gique 51 Le modĂšle LCAG n’aborde ce problĂšme qu’au travers de la thĂ©orie financiĂšre pure, laquelle suppose la connaissance parfaite des profits futurs. 2°) La maximisation du profit n’est pas opĂ©rationnelle. Dans la thĂ©orie des marchĂ©s, l’optimisation est liĂ©e Ă  une connaissance parfaite de toutes les donnĂ©es du problĂšme. En rĂ©alitĂ©, les connaissances sont imparfaites, la rationalitĂ© des dĂ©cisions est donc limitĂ©e et les dirigeants rechercheront des solutions satisfaisantes. Par ailleurs, le choix du taux de profit visĂ© sera l’objet de nĂ©gociations dans l’organisation. Chaque division produit/marchĂ© fixera ses propres objectifs de profit, et le profit global sera une rĂ©sultante: les membres de l’organisation, en d’autres termes, ont leur mot Ă  dire, comme les actionnaires. 3°) 11 faut tenir compte de la relation entre la propriĂ©tĂ© et la direction. Vers 1930, des auteurs amĂ©ricains ont montrĂ© que les dĂ©cisions stratĂ©giques appartenaient, dans une grande majoritĂ©, aux dirigeants salariĂ©s des grandes entreprises : celles-ci n’étaient pas totalement contrĂŽlĂ©es par les actionnaires, trop nombreux, absentĂ©istes et dispersĂ©s (le capital est « diluĂ© »). Or, ces managers vont privilĂ©gier d’autres buts: la croissance, leur revenu monĂ©taire et autre (la « compensation »), etc., et ce, au dĂ©triment du profit maximum. Cette thĂšse, appelĂ©e managĂ©rialisme, doit ĂȘtre sĂ©rieusement nuancĂ©e :
  • 52. Michel Marchesnay 52 — La recherche du plus grand profit possible est d’autant plus plausible que le propriĂ©taire et le dirigeant sont confondus, comme dans la petite entreprise. Toutefois, on verra au chapitre VIII que les aspirations sont beaucoup plus complexes. — Le dirigeant recherchera d’autant plus le profit maximum qu’il sera Ă©troitement contrĂŽlĂ© par les propriĂ©taires-actionnaires, et que ceux-ci sont sensibles Ă  la valorisation de leurs capitaux. Les cas tes plus courants sont les suivants: ‱ Le dirigeant est contrĂŽlĂ© par la famille. Ce peut ĂȘtre le cas de PME, mais aussi de trĂšs grandes entreprises, car le capitalisme familial est encore trĂšs vivace. ‱ Le capital est contrĂŽlĂ© par un bloc d’actionnaires, qui recherchent un profit immĂ©diat ou Ă  plus long terme, et entendent juger le dirigeant et son Ă©quipe sur ses performances financiĂšres. ‱ Le capital est soumis Ă  des pressions violentes en Bourse, de la part notamment de concurrents dĂ©sireux de racheter Ă  bon prix l’entreprise: moins elle offre de profit Ă  ses actionnaires, moins sa valeur est Ă©levĂ©e, et plus elle risque une attaque boursiĂšre (Offre Publique d’Achat). — Le dirigeant recherchera d’autant moins le profit Ă  court terme que: ‱ ses performances seront Ă©valuĂ©es sur d’autres critĂšres (croissance, excellence technique, paix sociale, etc.); ‱ le capital sera diluĂ© dans le public;
  • 53. Management StratĂ©gique 53 ‱ les actionnaires attendent des revenus stables, rĂ©guliers et sĂ»rs (cas des « actionnaires dormants » : banques, compagnies d’assurance, pour les grands groupes ; hĂ©ritiers lointains pour les entreprises familiales); ‱ le capital est protĂ©gĂ© par des artifices (« pilules empoisonnĂ©es ») ou dispose d’alliĂ©s, en cas d’éventuelles attaques boursiĂšres (« chevaliers blancs »). Dans la rĂ©alitĂ©, on constate que les choses sont fort complexes : ainsi, les entreprises passent par des stades d’accumulation, d’investissements stratĂ©giques importants, puis de valorisation, avec distribution de bĂ©nĂ©fices, comme le montre la grille BCG (chapitre IV). Au total, l’identification au seul but de maximisation du profit, considĂ©rĂ© comme l’objet ultime de toute entreprise capitaliste, mĂ©connaĂźt les processus concrets de fixation des buts au sein des organisations. Au demeurant, les tenants de l’approche rationaliste se sont efforcĂ©s d’intĂ©grer d’autres institutions, telles les organisations Ă  but non lucratif. La mĂ©connaissance de l’environnement Dans cette approche, l’environnement est vu comme une entitĂ© faite de menaces et « d’opportunitĂ©s » (terme franglais, mais hĂ©las consacrĂ©...), que l’on peut repĂ©rer sur la base de faits et d’observations quantifiĂ©es (bilans, parts de marchĂ©, etc.). Plus simplement, l’environnement est assimilĂ© au marchĂ© et aux concurrents. Par ailleurs, le jeu du marchĂ©, sa structure, sont censĂ©s imposer largement Ă  l’entreprise les limites de sa stratĂ©gie. Les critiques ont Ă©tĂ© dans deux directions :
  • 54. Michel Marchesnay 54 — D’une part, l’environnement concurrentiel est beaucoup plus complexe. Ce sera l’un des apports de Michael Porter, lors de son intĂ©gration dans l’équipe de Harvard, au cours des annĂ©es 80, de montrer que l’industrie oĂč opĂšre l’entreprise est soumise Ă  de multiples pressions concurrentielles, qui ne se limitent pas au seul jeu de la concurrence directe. Par ailleurs les stratĂ©gies concurrentielles ne se limitent pas Ă  la seule « lutte Ă  couteaux tirĂ©s » : les entreprises ont besoin de stabilitĂ©, et prĂ©fĂšrent souvent la collusion (Ă©vitement du conflit), voire la coopĂ©ration. Bien plus: par leurs stratĂ©gies, elles modĂšlent les structures de leur industrie ; Ă  des stratĂ©gies diffĂ©rentes, correspondent des positionnements concurrentiels diffĂ©rents, comme on le verra dans le chapitre six. Bref, au dĂ©terminisme de la stratĂ©gie sous- jacent dans le modĂšle LCAG, rĂ©pond, dans l’analyse stratĂ©gique moderne, une vision beaucoup plus contingente des choix concurrentiels. Au demeurant, l’affirmation pĂ©remptoire, selon laquelle les structures du marchĂ© dĂ©terminent le type de concurrence, et, partant, les performances de l’entreprise, relĂšve davantage d’une conviction idĂ©ologique que d’une dĂ©marche scientifique... — D’autre part, il faut aller au-delĂ  de l’environnement concurrentiel, et tenir compte de l’environnement sociĂ©tal. Dans le modĂšle d’Andrews ci-dessus, la SociĂ©tĂ© est apprĂ©hendĂ©e sous l’angle des valeurs, afin de prĂ©ciser dans quelles mesures celles-ci influencent le choix des plans d’action, mais aprĂšs que les buts et que le diagnostic ont Ă©tĂ© dĂ©finis. Ceci correspond en fait Ă  une sociĂ©tĂ© ultralibĂ©rale, oĂč les lois Ă©conomiques du marchĂ© imposent des buts indĂ©pendamment des valeurs sociales. Cette conception a subi, au cours des annĂ©es 70, et, a fortiori, des annĂ©es 80, de trĂšs vives critiques fondĂ©es sur les arguments suivants :
  • 55. Management StratĂ©gique 55 ‱ Les valeurs de la sociĂ©tĂ© libĂ©rale de consommation ont Ă©tĂ© remises en cause: excĂšs d’hĂ©donisme et d’individualisme, absence de prise en cause des prĂ©occupations sociales (inĂ©galitĂ©s, discrimination) et Ă©cologiques. Cette remise en cause est telle qu’on peut parler d’une situation d’anomie, c’est-Ă -dire d’une difficultĂ© Ă  fonder la SociĂ©tĂ© industrielle sur des valeurs communes, comme le rĂ©vĂšle l’importance du phĂ©nomĂšne Ă©cologique, les nouvelles attitudes face aux structures familiales, au travail, Ă  l’identitĂ© nationale, Ă  l’environnement, etc. Ces diverses crises d’identitĂ© remettent en cause le seul but de maximisation du profit, mĂȘme si l’idĂ©ologie de marchĂ© a connu au cours des annĂ©es 80 un regain de faveur (dĂ» notamment Ă  l’échec des Ă©conomies planifiĂ©es). ‱ Ces valeurs, en consĂ©quence, doivent influencer les buts de l’entreprise. Cette rĂ©habilitation s’est opĂ©rĂ©e au travers de la notion de responsabilitĂ© morale de l’entreprise et de ce que l’on a appelĂ© la « vague Ă©thique » dans les mĂ©dias. Mais il convient de bien prĂ©ciser des termes souvent confondus. Dans notre systĂšme philosophique dominant, un jugement moral rĂ©pond Ă  la question de savoir ce qui est « bien » ou « mal », « juste » ou « injuste » (comme le jugement esthĂ©tique ou logique). Un comportement Ă©thique est Ă©valuĂ© Ă  partir de ces critĂšres moraux : chaque individu ou organisation aura sa propre Ă©thique, Ă©videmment influencĂ©e par ceux-ci (chacun perçoit diffĂ©remment ce qui est bien ou mal, selon notamment la sociĂ©tĂ© oĂč il vit, son caractĂšre, sa culture). Par exemple, on peut porter un jugement moral sur des comportements en affaire tels que : la vente de produits dangereux, le copiage de logiciels de concurrents, le dĂ©bauchage de vendeurs de la concurrence, etc. Au mĂȘme titre que, par
  • 56. Michel Marchesnay 56 rapport Ă  la fraude aux examens, chaque Ă©tudiant a sa propre Ă©thique, mĂȘme s’il sait que cela est immoral... Le fait nouveau est que, dans l’idĂ©ologie libĂ©rale, on proclame que « Ethics pays » : face Ă  la remise en cause des valeurs hĂ©donistes, une entreprise « loyale », « honnĂȘte », etc., gagnera des clients et fera plus de profit, ce qui va de pair avec la constatation selon laquelle l’avantage concurrentiel se fonde de plus en plus sur les services fournis par, ou Ă  cĂŽtĂ© du produit : il vaut mieux vendre des piles ayant vraiment la durĂ©e d’usage annoncĂ©e — ce comportement Ă©thique sera rentable Ă  terme. De mĂȘme, vaut-il mieux vendre des produits « Ă©cologiques », etc. Enfin, cette Ă©thique personnelle peut ĂȘtre canalisĂ©e au travers d’un code de dĂ©ontologie, commun Ă  une communautĂ© (entreprise, organisation, profession), qui prescrit des rĂšgles de comportement collectives. Tel est le cas des Ordres professionnels (qui pourront justement limiter les excĂšs de la concurrence). Ces valeurs, propres Ă  la SociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral, ou Ă  l’entreprise, voire Ă  une profession en particulier, influenceront les buts des dirigeants. Cette adĂ©quation des buts de la direction gĂ©nĂ©rale et des propriĂ©taires de l’entreprise pose la question de la lĂ©gitimitĂ©. Celle-ci peut ĂȘtre dĂ©finie comme la raison d’ĂȘtre de l’existence de telle entreprise, en tant qu’institution sociale, dans une SociĂ©tĂ© donnĂ©e. Cette lĂ©gitimitĂ© repose sur des fondements appelĂ©s Ă  Ă©voluer, en mĂȘme temps que l’entreprise et que la SociĂ©tĂ©. Compte tenu des ruptures dans la SociĂ©tĂ© industrielle, on assiste Ă  des remises en cause de lĂ©gitimitĂ©. Ainsi, les producteurs de dĂ©tergents, trĂšs lĂ©gitimĂ©s dans la SociĂ©tĂ© de consommation, sont fortement mis en cause dans une SociĂ©tĂ© prĂ©occupĂ©e par les problĂšmes d’environnement.
  • 57. Management StratĂ©gique 57 Les dirigeants doivent alors faire passer un message — la philosophie de direction — qui exprime les valeurs auxquelles l’entreprise adhĂšre. On retrouve cette prĂ©occupation dans les projets d’entreprise. Cette communication s’adressera Ă©galement aux membres de l’organisation. Cette recherche de lĂ©gitimisation est particuliĂšrement dĂ©licate pour les entreprises multinationales qui se trouvent dans des pays oĂč les diffĂ©rences culturelles peuvent se rĂ©vĂ©ler trĂšs fortes, suscitant des rĂ©ticences (implantation d’Eurodisney en France, par exemple). Enfin, l’une des derniĂšres objections rĂ©side dans le fait que cette approche reste peu prolixe sur les conditions de mise en oeuvre de la stratĂ©gie. Cette tĂąche est dĂ©volue aux planificateurs d’entreprise, chargĂ©s de dĂ©terminer les objectifs qui seront assignĂ©s Ă  tous les Ă©chelons de l’entreprise, selon des procĂ©dures complexes. L’idĂ©e sous-jacente est que la « grande » stratĂ©gie est dĂ©volue aux dirigeants, la mise en oeuvre Ă©tant le fait des opĂ©rationnels, avec l’aide et sous le contrĂŽle des fonctionnels. Au cours des annĂ©es 70, on a tendu Ă  adopter une dĂ©marche plus complexe, liĂ©e notamment Ă  l’exigence d’une dĂ©centralisation accrue des dĂ©cisions, en sorte que les niveaux d’exĂ©cution ont accaparĂ© une partie de la dĂ©cision stratĂ©gique : ce que l’on appelle la business strategy. Le management stratĂ©gique se prĂ©occupe alors largement de l’articulation entre la corporate et la business strategy. Ce sera l’objet du chapitre suivant.
  • 58. Michel Marchesnay 58 CHAPITRE 3. LA PLANIFICATION STRATEGIQUE Au cours des annĂ©es 60, le problĂšme de la stratĂ©gie est le plus souvent confondu avec celui de l’édification d’un plan, et la mise en oeuvre de procĂ©dures budgĂ©taires. À la limite, une entreprise sans plan est considĂ©rĂ©e comme n’ayant pas de stratĂ©gie. Il y a dans cette conception un fond de vĂ©ritĂ©. Mais, au cours des annĂ©es 70, les limites d’une telle assimilation vont apparaĂźtre. Pour l’essentiel, l’idĂ©e majeure de cette remise en cause est que la procĂ©dure de planification ne peut ĂȘtre isolĂ©e de l’ensemble des problĂšmes d’ordre stratĂ©gique qui se posent Ă  l’entreprise. Le plan ne devient alors qu’un outil au service de l’articulation entre la politique gĂ©nĂ©rale (corporate strategy) et les stratĂ©gies d’activitĂ© (business strategy), c’est-Ă -dire au service du management stratĂ©gique. LA PLANIFICATION D’ENTREPRISE (CORPORATE PLANNING) La planification d’entreprise constitue une vĂ©ritable discipline de gestion, avec ses outils et ses mĂ©thodes. Ses origines remontent au dĂ©but du siĂšcle. Le Français Henri Fayol dĂ©veloppe l’idĂ©e que
  • 59. Management StratĂ©gique 59 l’une des tĂąches de la direction gĂ©nĂ©rale consiste Ă  « prĂ©voir » et Ă  « contrĂŽler » : pour cela, il faut fixer des objectifs, prĂ©voir des moyens pour les rĂ©aliser, et vĂ©rifier que les dits objectifs ont bien Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s. Fayol suggĂšre des plans Ă  cinq ans, soumis Ă  modifications annuelles, au vu de l’évolution interne et externe. Ce souci de la planification va animer les tenants amĂ©ricains de l’École du Management (Barnard, Drucker) : le bon manager planifie ses activitĂ©s. Cette idĂ©e, somme toute Ă©vidente, connaĂźt un grand dĂ©veloppement aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, pour les raisons suivantes : — Les progrĂšs accomplis dans les techniques financiĂšres et comptables (notamment la comptabilitĂ© analytique). La mĂ©thode du point mort se gĂ©nĂ©ralise dans les annĂ©es 50, ainsi que les mĂ©thodes de coĂ»t partiel (en France, Ă  la fin des annĂ©es 60). lI en va de mĂȘme des critĂšres financiers fondĂ©s sur les mĂ©thodes d’actualisation. Un vĂ©ritable corps de planificateurs d’entreprises se met en place (une Association Française pour la Planification d’Entreprise — AFPLANE — est crĂ©Ă©e). — L’accroissement de la taille des entreprises, accompagnĂ© le plus souvent d’une extension du champ de leurs activitĂ©s, en termes gĂ©ographiques, mais aussi en termes de produits proposĂ©s. C’est en effet une pĂ©riode oĂč la croissance de la demande est forte et rĂ©guliĂšre. L’élĂ©ment essentiel d’incertitude rĂ©side dans le dĂ©marrage de produits nouveaux, et les conditions d’accĂšs aux nouveaux marchĂ©s.
  • 60. Michel Marchesnay 60 Mais ces grandes entreprises deviennent plus complexes dans leur organisation, et il convient d’allouer de la façon la plus rationnelle possible les ressources dont elles ont besoin pour suivre les perspectives de dĂ©veloppement. — Le dĂ©veloppement des techniques macro-Ă©conomiques de planification et de prĂ©vision (comptabilitĂ© nationale, planification indicative) constitue un modĂšle pour les grandes entreprises gĂ©rĂ©es par des spĂ©cialistes (la technostructure, selon Kenneth Galbraith), qui privilĂ©gient un modĂšle technocratique de gouvernement des entreprises privĂ©es (en France, les entreprises publiques et nationalisĂ©es seront planifiĂ©es trĂšs rapidement, et serviront de modĂšle aux autres grandes entreprises). — Le dĂ©veloppement des techniques quantitatives (mathĂ©matiques et statistiques) de prĂ©vision et d’études de marchĂ©. Pour ces diverses raisons, la planification d’entreprise se dĂ©veloppe dans les grandes entreprises, entre 1950 et 1970. La dĂ©marche logique est trĂšs simple, et consiste en trois Ă©tapes: Ă©laboration d’objectifs, mise au point de programmes, Ă©tablissement de budgets. 1°) La premiĂšre Ă©tape consiste Ă  Ă©tablir des objectifs. Ceux-ci doivent ĂȘtre distinguĂ©s des buts gĂ©nĂ©raux que poursuit l’entreprise, tels que : rĂ©munĂ©rer convenablement les actionnaires, ĂȘtre le leader sur son marchĂ©, voire assumer une responsabilitĂ© sociale ou satisfaire ses employĂ©s. Les objectifs sont le plus souvent quantifiables (chiffre d’affaires, profit, taux de croissance) et ils sont dĂ©limitĂ©s dans le
  • 61. Management StratĂ©gique 61 temps, gĂ©nĂ©ralement sur plusieurs annĂ©es. Les objectifs sont ensuite « dynamisĂ©s », transformĂ©s en actions prĂ©cises, sous la forme de cibles prĂ©cises, Ă  plus court terme, Ă  devoir atteindre. 2°) La seconde Ă©tape consiste Ă  Ă©tablir des programmes d’action. Ces programmes sont le plus souvent Ă©tablis par fonctions majeures (programmes d’action commerciale, de recrutement ou de gestion du personnel, de production, etc.). Ils visent Ă  atteindre certains rĂ©sultats, Ă  rĂ©aliser certaines performances: si le but est d’ĂȘtre plus compĂ©titif, l’objectif sera une rĂ©duction du coĂ»t de production, qui entraĂźnera des cibles de gains de productivitĂ© annuels, mais nĂ©cessitera des programmes d’investissement en biens de production, de formation du personnel, de rĂ©organisation du travail, etc. Ces programmes sont gĂ©nĂ©ralement Ă©laborĂ©s sur plusieurs annĂ©es. Ils sont chiffrĂ©s, dans la mesure oĂč ils vont donner lieu Ă  des engagements de dĂ©penses pluriannuelles. 3°) Une fois dĂ©terminĂ©s les programmes, le plan est annualisĂ© sous la forme de budgets. Ces budgets sont dĂ©composĂ©s par services, correspondant Ă  une fonction prĂ©cise: le responsable du service est responsable de l’exĂ©culion du budget, et de l’atteinte des rĂ©sultats qui avaient Ă©tĂ© prĂ©alablement fixĂ©s. 4°) Ceux-ci sont exprimĂ©s sous une forme chiffrĂ©e: production, vente, rebut, productivitĂ©, kilomĂštres parcourus, etc. Les performances sont analysĂ©es Ă  l’issue de chaque annĂ©e, voire plus souvent. Les Ă©carts sont analysĂ©s (Ă©carts en quantitĂ©s et en valeur) par le contrĂŽleur budgĂ©taire, afin de vĂ©rifier dans quelle mesure le plan a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©.
  • 62. Michel Marchesnay 62 SchĂ©ma simplifiĂ© de planification d’entreprise POLITIQUE GÉNÉRALE PLAN BUTS GESTION PRÉVISIONNELLE GESTION BUDGÉTAIRE CONTRÔLE BUDGÉTAIRE PROGRAMMES BUDGETS OBJECTIF CIBLES ÉCARTS RÉVISION : DISCIPLINE FONCTIONNELLE ÉTAPES INDICATEURS ‱ des budgets (cibles) ‱ des programmes (objectifs)
  • 63. Management StratĂ©gique 63 Cette conception de la planification d’entreprise est encore largement rĂ©pandue, notamment dans les grandes entreprises trĂšs formalisĂ©es. Toutefois, une telle conception du plan a subi de nombreuses critiques au cours des annĂ©es 1970. Les principales sont les suivantes : — Le plan est trop facilement assimilĂ© Ă  l’existence de procĂ©dures de planification, c’est- Ă -dire Ă  l’explicitation Ă©crite de buts, d’objectifs, de cibles Ă  atteindre, et des moyens d’y parvenir. Cela revient Ă  mettre l’accent sur les procĂ©dures de formalisation, plutĂŽt que sur les processus de formulation du plan, c’est-Ă -dire de la stratĂ©gie. Par exemple, dans la conception “procĂ©durale”, on a coutume de dire que les PME n’ont pas de stratĂ©gie, dans la mesure oĂč elles n’ont pas, bien souvent, de plan Ă©crit : or, une stratĂ©gie, comme on le verra tout au long de cet ouvrage, n’est pas toujours totalement formulĂ©e pour un horizon de temps de plusieurs annĂ©es. — Une telle conception conduit Ă  accroĂźtre la lourdeur bureaucratique, Ă  multiplier les formulaires. Par ailleurs, ce que l’on a appelĂ© le « phĂ©nomĂšne bureaucratique » (Crozier) apparaĂźt Ă©galement dans les procĂ©dures de nĂ©gociation des budgets, des objectifs allouĂ©s aux services. GĂ©nĂ©ralement, chaque service tend Ă  gonfler ses demandes de ressources, Ă  sous- Ă©valuer les cibles Ă  atteindre, etc. Il en dĂ©coule une sorte de « graisse » dans l’organisation, des ressources mal utilisĂ©es, ce que l’on appelle le « slack » organisationnel. La lourdeur bureaucratique apparaĂźt Ă©galement dans le fait que l’on cherche avant tout Ă  rĂ©aliser les objectifs fixĂ©s, sans chercher Ă  innover.
  • 64. Michel Marchesnay 64 — Cette conception peut ĂȘtre qualifiĂ©e de technocratique, dans la mesure oĂč elle privilĂ©gie l’outil (la planification) par rapport aux fins (la stratĂ©gie). Elle laisse entendre que les entreprises qui planifient, ont, ipso facto, une stratĂ©gie, et seront en consĂ©quence plus performantes que les entreprises qui ne planifient pas. Cette idĂ©e, largement rĂ©pandue dans les ouvrages de management au cours des annĂ©es 70, est de nos jours vivement combattue : les enquĂȘtes ne font pas apparaĂźtre a priori de supĂ©rioritĂ© manifeste des entreprises « planificatrices », par rapport aux entreprises n’ayant pas de plan Ă©crit. — En fait, l’usage d’une planification d’entreprise est apparue comme une nĂ©cessitĂ© et un progrĂšs dans le management des grandes entreprises, situĂ©es dans des marchĂ©s plus ou moins diversifiĂ©s, mais pour lesquels il existe une croissance stable, pas de grands changements brutaux Ă  prĂ©voir. Tel Ă©tait le cas des industries de l’aprĂšs-guerre, de 1945 Ă  1975 (les « Trente Glorieuses »), pour lesquelles l’évolution de l’environnement (la demande, la technologie, la concurrence, etc.) Ă©tait assez facilement prĂ©visible. Il n’en va plus de mĂȘme au cours des annĂ©es 70, marquĂ©es par des ruptures brutales (crise pĂ©troliĂšre, innovations majeures, telle la puce Ă©lectronique), et une succession de perturbations qui vont atteindre toutes les industries. Or, les entreprises Ă  planification lourde seront justement celles qui auront le plus de difficultĂ©s Ă  modifier leur stratĂ©gie et Ă  s’adapter aux discontinuitĂ©s stratĂ©giques. DĂ©sormais, la planification doit intĂ©grer la dimension environnementale : on passe alors Ă  la planification stratĂ©gique.
  • 65. Management StratĂ©gique 65 LA PLANIFICATION STRATEGIQUE (STRATEGIC PLANNING) II revient Ă  l’AmĂ©ricain Igor Ansoff d’avoir dĂ©veloppĂ© la notion de planification stratĂ©gique au cours des annĂ©es 70. Les avancĂ©es essentielles sont les suivantes : — La planification ne peut plus ĂȘtre conçue dans une hypothĂšse d’environnement stable. Il faut prendre en compte l’environnement et ses discontinuitĂ©s. Celles-ci se manifestent par le fait que cet environnement est devenu plus complexe (plus d’acteurs, plus d’inter-relations entre ces acteurs) et turbulent (changements plus frĂ©quents et plus profonds qu’auparavant). — À cĂŽtĂ© des procĂ©dures de planification, qui impliquent la rĂ©daction d’un plan Ă©crit, la formulation explicite de buts et d’objectifs, des directives adressĂ©es aux Ă©chelons infĂ©rieurs de la hiĂ©rarchie, des systĂšmes de contrĂŽle aussi explicites que possible, etc., il convient de mettre l’accent sur les processus de mise en oeuvre de ces procĂ©dures, dans la mesure oĂč ce sont ces processus de choix, de prise de dĂ©cision et de vĂ©rification qui contribuent Ă  expliciter, Ă  Ă©lucider ce que sera la stratĂ©gie poursuivie par l’entreprise au cours des prochaines annĂ©es. Par « processus », il faut entendre les points suivants: ‱ Le processus a un caractĂšre quasi analytique, voire « non analytique », selon Ansoff : les informations sont entachĂ©es d’incertitude. D’oĂč le caractĂšre heuristique de la prise de dĂ©cision : on a recours Ă  de multiples critĂšres, pas toujours quantitatifs, pour trier les informations, choisir des options et dĂ©cider de celle qui sera retenue. ‱ Le processus a un caractĂšre adaptatif: le plan n’est pas dĂ©terminĂ© une fois pour toutes. L’entreprise procĂšde par approximations successives, par essais-erreurs et
  • 66. Michel Marchesnay 66 corrections. De mĂȘme, la hiĂ©rarchisation buts-objectifs programmatiques-cibles annuelles est amendĂ©e par la possibilitĂ© de reboucler, de revenir sur des options prises Ă  un niveau supĂ©rieur, de remettre en cause des choix stratĂ©giques. Bref : l’entreprise doit ĂȘtre en mesure de faire preuve de « rĂ©activitĂ© » forte, face Ă  des Ă©vĂ©nements perturbateurs (les « discontinuitĂ©s stratĂ©giques »). Le processus est donc structurĂ©, dĂ©cortiquĂ©, en une sĂ©rie d’étapes qui donnent lieu Ă  des Ă©valuations de cohĂ©rence et de faisabilitĂ©. Le schĂ©ma ci-aprĂšs, inspirĂ© des modĂšles beaucoup plus complexes prĂ©sentĂ©s par Ansoff lui-mĂȘme, montre le cheminement du processus d’élaboration de la planification stratĂ©gique. Le plan stratĂ©gique n’est que la rĂ©sultante d’une succession de choix, impliquant Ă©ventuellement un retour en arriĂšre pour assurer la cohĂ©rence et la faisabilitĂ©. Une fois les objectifs fixĂ©s (qui pourront ĂȘtre remis en cause Ă  l’issue de l’exĂ©cution du plan), on procĂšde Ă  une analyse « SWOT » (cf. chapitre prĂ©cĂ©dent), qui dĂ©bouche, une fois les ajustements faits, sur des perspectives d’expansion et de diversification.
  • 67. Management StratĂ©gique 67 OBJECTIFS POTENTIEL DE L’INDUSTRIE FORCES ET FAIBLESSES PRÉVISIONS EXPANSION ET DIVERSIFICATION OBJECTIFS RÉVISÉS PHILOSOPHIE DES OBJECTIFS DÉCISION DE DIVERSIFICATION SYNERGIE STRUCTURE DÉCISION STRAT. ADM. STRAT. FIN. OBJECTIFS STRATÉGIE PRODUIT- MARCHÉ BUDGET STRATÉGIQUE «MAKE OR BUY» SYNERGIE AVANTAGE CONCUR- RENTIEL CHAMP ET VECTEUR DE CROISSANCE FAISABILITÉ ET ALTERNATIVES PLAN STRATÉGIQUE RESSOURCES DISPONIBLES
  • 68. Michel Marchesnay 68 Ces perspectives ne deviennent vĂ©ritablement objectifs qu’aprĂšs vĂ©rification des synergies possibles. La synergie est dĂ©finie par Ansoff comme la rĂšgle du « 2 + 2 = 5 » : les activitĂ©s additionnelles viennent renforcer la compĂ©titivitĂ© des activitĂ©s existantes (ce point sera dĂ©veloppĂ© dans le chapitre consacrĂ© aux stratĂ©gies de croissance). La concrĂ©tisation de ces objectifs rĂ©visĂ©s implique de se poser des questions de faisabilitĂ©, en fonction des ressources existantes, de dĂ©limitation du champ stratĂ©gique et des axes de croissance (existe-t-il un « fil conducteur », un axe directeur ?), de dĂ©finition de l’avantage concurrentiel, de choix entre faire soi-mĂȘme ou acheter. Une fois ces choix fixĂ©s, les actions dĂ©limitĂ©es, il reste Ă  mettre en oeuvre ces options au travers d’un plan stratĂ©gique ; on retrouve alors la procĂ©dure Ă©voquĂ©e prĂ©cĂ©demment, Ă  savoir, l’élaboration de programmes d’action commerciale (« stratĂ©gie produit-marchĂ© »), d’organisation (« stratĂ©gie administrative »), financiers (« stratĂ©gie financiĂšre »), qui se concrĂ©tisent dans le budget « stratĂ©gique » (appelĂ© ainsi dans la mesure oĂč il dĂ©coule de choix stratĂ©giques). Cette approche de planification stratĂ©gique constitue un indĂ©niable progrĂšs par rapport aux mĂ©thodes traditionnelles de planification d’entreprise. Toutefois, elle a encouru un certain nombre de critiques : — En dĂ©pit du recours Ă  l’analyse d’écarts (« gaps ») la mĂ©thode reste encore largement linĂ©aire et analytique. En dĂ©composant les Ă©tapes du processus, celui-ci risque rapidement de se transformer en procĂ©dures de diagnostic et de dĂ©cision — sans doute contre le voeu d’Ansoff lui-mĂȘme. — Le processus reste peu explicite sur les conditions de mise en oeuvre de la planification stratĂ©gique, qui semble aller de soi. Cette vision reste finalement trĂšs mĂ©caniste et trĂšs rationnelle. Cette mĂ©thode ignore les problĂšmes posĂ©s au sein de l’organisation.
  • 69. Management StratĂ©gique 69 — Enfin, la mĂ©thode n’expose que de façon sommaire les problĂšmes posĂ©s par l’environnement Celui-ci reste peu spĂ©cifiĂ©, mal inventoriĂ©. II faut ajouter que les expressions utilisĂ©es par Ansoff, intĂ©ressantes par leur caractĂšre trĂšs suggestif (« synergie », « rĂ©activitĂ© », etc.), restent mal dĂ©finies et finalement peu opĂ©rationnelles, mĂȘme si elles ont contribuĂ© Ă  faire formidablement avancer la rĂ©flexion stratĂ©gique au cours des annĂ©es 70. C’est pourquoi, Ă  partir du congrĂšs de Pittsburgh (États-Unis) de 1977, de nouvelles perspectives s’ouvrent, pour approfondir les problĂšmes internes (organisation) et externes (environnement) soulevĂ©s par la planification stratĂ©gique. On passe alors aux problĂšmes de management stratĂ©gique et de contrĂŽle de gestion stratĂ©gique. VERS LE MANAGEMENT STRATEGIQUE L’approche de management stratĂ©gique trouve son origine dans les progrĂšs rĂ©alisĂ©s en matiĂšre de marketing stratĂ©gique au cours de la pĂ©riode 1965-1975. Ces progrĂšs s’expliquent largement du fait que les entreprises situĂ©es dans les industries de biens de consommation de masse se heurtent dĂšs cette Ă©poque Ă  un tassement des marchĂ©s, Ă  une Ă©volution des goĂ»ts des consommateurs vers plus de diversitĂ© dans les produits et dans les modes de consommation, entraĂźnant une concurrence beaucoup plus vive, et la nĂ©cessitĂ© de conquĂ©rir une part de marchĂ© suffisante (« masse critique ») pour soutenir
  • 70. Michel Marchesnay 70 durablement la concurrence. En d’autres termes, les problĂšmes de compĂ©titivitĂ© commerciale vont dominer durant cette pĂ©riode, la pĂ©riode suivante (75-85) mettant davantage l’accent sur les problĂšmes de compĂ©titivitĂ© technologique. Par ailleurs, ces grandes entreprises ont poursuivi un mouvement important de diversification de leurs produits et de leurs marchĂ©s. Elles ont adoptĂ© une structure staff and line, dans laquelle les divisions produits-marchĂ©s ont acquis une autonomie de dĂ©cision pour tout ce qui touche Ă  la maĂźtrise du cycle de vie des produits sur leurs marchĂ©s respectifs — ce qui pose, comme on le verra plus loin, des problĂšmes de contrĂŽle de leur gestion. Il en rĂ©sulte que les problĂšmes de planification stratĂ©gique se posent dĂ©sormais, pour ces entreprises diversifiĂ©es, Ă  deux niveaux : — celui de l’ensemble du groupe d’entreprises (le niveau corporate), — et celui de chaque division produit-marchĂ© (le niveau business). Le problĂšme essentiel est alors celui de l’articulation entre ces deux niveaux, de la cohĂ©rence d’ensemble de la stratĂ©gie, afin d’éviter notamment une dĂ©rive de l’une des divisions dans des secteurs qui ne soient pas compatibles avec le projet d’ensemble du groupe. Mais, d’un autre cĂŽtĂ©, il s’agit d’assurer le maximum de souplesse, de capacitĂ© de rĂ©action face Ă  l’évolution plus ou moins prĂ©visible de la demande de produits actuels ou nouveaux, et, dans cette perspective, il est bon de laisser le maximum d’initiative stratĂ©gique aux divisions opĂ©rationnelles.
  • 71. Management StratĂ©gique 71 Le schĂ©ma suivant, inspirĂ© du modĂšle de Hofer et Schendel, traduit cette double dimension de la planification stratĂ©gique au dĂ©but des annĂ©es 80. Cette articulation est d’abord obtenue en procĂ©dant Ă  une formulation de la stratĂ©gie en deux Ă©tapes. La premiĂšre concerne les buts de l’ensemble du groupe (corporate goals), la seconde la formulation des objectifs au niveau des domaines d’activitĂ© stratĂ©gique (DAS). Le DAS correspond Ă  un ensemble de produits-marchĂ©s soumis Ă  une mĂȘme logique d’action stratĂ©gique il s’identifie assez largement Ă  une division produits-marchĂ©s. Comme on le verra dans le chapitre suivant, l’analyse des DAS va beaucoup plus loin que la seule approche de marketing stratĂ©gique, qui ne s’intĂ©resse en principe qu’aux seuls problĂšmes liĂ©s Ă  l’exploitation des marchĂ©s, puisqu’elle inclut l’analyse des ressources du groupe, affectĂ©es Ă  la division.
  • 72. Michel Marchesnay 72 PROCESSUS DE FORMULATION DES BUTS AU NIVEAU CORPORATE ÉCART OBJECTIFS CORPORATE DÉSIRÉS ENGAGEMENT DANS D’AUTRES DAS ÉCARTS RÉVISÉS OPPORTUNITÉS ET RISQUES PROJET D’ENSEMBLE AU NIVEAU CORPORATE ATTRACTIVITÉÉ DE L’INDUSTRIE DES DAS PRÉVISION DE POSITION ET PERFORMANCE CHOIX DE DAS PRISE DE DÉCISION STRATÉGIQUE ‱ Objectifs corporate finals ‱ StratĂ©gie d’acquisition finale ‱ StratĂ©gie d’investissement et d’acquisition au niveau des DAS ‱ StratĂ©gie de dĂ©sinvestissement ‱ Plan de contingence corporate NOUVEAU PORTEFEUILLE DÉSENGAGEMENT ANALYSE POLITIQUE SYSTÈMES ET PROCÉDURES STRATÉGIQUES IDENTIFICATION DES DAS RESSOURCES ET APTITUDES DES DAS POSITION CONCURRENTIELLE PROCESSUS DE FORMULATION DE LA STRATÉGIE
  • 73. Management StratĂ©gique 73 Ainsi, les objectifs corporate pourront-ils ĂȘtre remis en cause par l’examen des perspectives de dĂ©veloppement des DAS actuels, impliquant des engagements et des dĂ©sengagements. Ceux-ci pourront ĂȘtre rĂ©alisĂ©s dans un laps de temps spĂ©cifique Ă  chaque opĂ©ration (la planification stratĂ©gique n’est plus dominĂ©e par « la tyrannie de l’exercice comptable annuel » en d’autres termes, l’établissement du budget annuel n’est plus la prĂ©occupation premiĂšre). Au total, la planification stratĂ©gique dĂ©bouche sur un portefeuille d’activitĂ©s qui doivent contribuer Ă  la rĂ©alisation des objectifs d’ensemble, permettant la satisfaction des buts gĂ©nĂ©raux. Une telle approche a incontestablement contribuĂ© Ă  renforcer le rĂŽle du management stratĂ©gique dans les grandes, voire les trĂšs grandes entreprises multidivisionnelles, diversifiĂ©es et dĂ©centralisĂ©es. Elle a accru la flexibilitĂ© stratĂ©gique, la capacitĂ© d’adaptation face Ă  un environnement extrĂȘmement changeant et incertain. Mais elle doit ĂȘtre raccordĂ©e Ă  un autre mouvement, issu cette fois, non pas des progrĂšs dans le marketing, mais dans le contrĂŽle de gestion.
  • 74. Michel Marchesnay 74 LE CONTROLE STRATEGIQUE Au cours des annĂ©es 50, les grandes entreprises amĂ©ricaines avaient implantĂ© des systĂšmes de contrĂŽle budgĂ©taire. Dans un environnement stable, avec des marchĂ©s en croissance rĂ©guliĂšre, l’analyse des Ă©carts entre les prĂ©visions et les rĂ©alisations pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un exercice relativement simple (les Ă©carts Ă©taient analysĂ©s en Ă©carts sur prix et Ă©carts sur quantitĂ©s). À partir du milieu des annĂ©es 60, les contrĂŽleurs de budget vont devoir Ă©largir leurs qualifications, Ă  mesure que la notion de planification devient plus complexe, et ne peut plus s’assimiler Ă  la simple prĂ©vision annuelle. En premier lieu, la structure des entreprises se fait plus complexe. Dans les organigrammes staff and line, on est conduit Ă  distinguer trois niveaux de dĂ©cision : — Le niveau supĂ©rieur, appelĂ© sous-systĂšme de finalisation, oĂč sont prises les dĂ©cisions corporate strategy, de politique gĂ©nĂ©rale, les orientations majeures. — Le niveau infĂ©rieur, appelĂ© sous-systĂšme d’opĂ©rations, oĂč sont prises les dĂ©cisions business strategy, de mise en oeuvre des activitĂ©s opĂ©rationnelles sur les couples produits-marchĂ©s. — Enfin, le niveau intermĂ©diaire, appelĂ© sous-systĂšme d’animation, chargĂ© d’assurer le relais entre les deux niveaux (et devant donc disposer d’un systĂšme d’informations ascendant et descendant). C’est Ă  ce niveau que se situent les contrĂŽleurs de gestion. Ceux-ci doivent dĂ©sormais s’assurer du degrĂ© de rĂ©alisation de trois types de performances : efficacitĂ©, efficience et ce que nous appellerons effectivitĂ©.
  • 75. Management StratĂ©gique 75 En effet, traditionnellement, on tend Ă  distinguer : — au niveau politique, le degrĂ© d’efficacitĂ©, c’est-Ă -dire dans quelle mesure les buts (objectifs) sont atteints, soit : rĂ©sultats atteints / buts visĂ©s; — au niveau opĂ©rationnel, le degrĂ© d’efficience, c’est-Ă -dire le rapport des rĂ©sultats atteints aux ressources (matĂ©rielles, humaines, financiĂšres, d’information, de temps, etc.) consommĂ©es Ă  cet effet. Ces ressources apparaissent en principe dans les budgets. Mais il convient d’ajouter l’effectivitĂ©, c’est-Ă -dire le degrĂ© de satisfaction des membres de l’organisation en fonction des rĂ©sultats atteints. En effet, au cours des annĂ©es 70, les grandes entreprises diversifiĂ©es et dĂ©centralisĂ©es se heurtent au problĂšme de la motivation des cadres. L’une des pierres d’achoppement rĂ©side dans l’implication de tous en faveur de la rĂ©alisation des objectifs. GĂ©nĂ©ralement, les cadres se retranchent derriĂšre les cibles fixĂ©es lors des nĂ©gociations budgĂ©taires, privilĂ©giant l’application des procĂ©dures par rapport Ă  la mise en oeuvre de processus d’adaptation aux changements dans l’environnement. Les contrĂŽleurs de gestion doivent alors adopter une dĂ©marche d’intĂ©gration du contrĂŽle dans les objectifs et les prĂ©occupations du management stratĂ©gique. Le contrĂŽle est alors pris dans le sens de processus de pilotage, davantage que dans le sens de procĂ©dure de vĂ©rification — du moins dans les manuels de management... Plusieurs techniques sont alors proposĂ©es :