More Related Content
Similar to Adreg 08 marchesnay management
Similar to Adreg 08 marchesnay management (20)
Adreg 08 marchesnay management
- 2. Michel Marchesnay
2
Les Ă©ditions de lâADREG ont comme objectif de promouvoir la diffusion par Internet de travaux et de
rĂ©flexions acadĂ©miques trop volumineux pour faire lâobjet dâun article dans une revue scientifique, trop courts
pour donner lieu Ă la production dâouvrages diffusables dans le format papier classique, ou aux publics trop
confidentiels pour que ce format puisse ĂȘtre amorti. Elles offrent ainsi la possibilitĂ© de publier des recherches
avec tous leurs dĂ©tails mĂ©thodologiques, des essais et, avec lâautorisation des revues concernĂ©es, des rĂ©Ă©ditions
dâouvrages Ă©puisĂ©s ou dâarticles regroupĂ©s autour dâune problĂ©matique trĂšs serrĂ©e. Les tapuscrits reçus et
acceptĂ©s sont Ă©tudiĂ©s par trois lecteurs, de façon non anonyme. LâADREG est lâAssociation pour la Diffusion
des Recherches sur lâEntrepreneuriat et la Gestion. Pour connaĂźtre la liste des ouvrages Ă©lectroniques Ă paraĂźtre,
consulter le site :
http://www.editions-adreg.net ou le site
http://asso.nordnet.fr/adreg/Publications.htm
Impression et visualisation de lâouvrage : pour tirer cet exemplaire sur papier (Ă titre personnel), le logiciel
permettant sa lecture offre, dans son module dâimpression, la possibilitĂ© dâajuster la taille. Il est ainsi possible de
respecter celle de la conception (20cm x 13,5), prĂ©vue pour optimiser la lecture Ă lâĂ©cran, ou lui faire couvrir la
surface de votre papier (par exemple A4, US). Ce mĂȘme logiciel offre une fonction permettant lâaffichage plein
écran pour une lecture confortable du document. Les touches « PgDn » et « PgUp » (parfois représentées par une
flĂšche vers le bas pour lâune, vers le haut pour lâautre) du clavier font alors dĂ©filer respectivement les pages vers
la suivante ou la précédente.
Selon le code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, le contenu du prĂ©sent ouvrage ne peut faire lâobjet dâune
appropriation par autrui. La diffusion, dans le respect de sa forme Ă©lectronique actuelle, de cet ouvrage est
autorisĂ©e par lâauteur, les directeurs de collection et lâADREG.
- 3. Management Stratégique
3
Michel MARCHESNAY, Management stratĂ©gique, Les Editions de lâADREG, mai 2004 (ISBN : 2-9518007-1-1)
Autres ouvrages du mĂȘme auteur :
MARCHESNAY M., Pour une approche entrepreneuriale de la dynamique Ressources-CompĂ©tences â essai de
praxĂ©ologie, Les Editions de lâADREG, mai 2002 (ISBN : 2-9518007-1-1)
MARCHESNAY M. ; MESSEGHEM K. (2001). Cas commentés de stratégies de PME, Editions Management et
Société
DESREUMAUX A. ; MARCHESNAY M. ; PALPACUER F. (2001). Perspectives en management stratégique,
Editions Management et Société
MARCHESNAY M. ; FOURCADE C. (1998) Gestion de la PME-PMI, Nathan 1998
MARCHESNAY M. ; JULIEN P-A. (1997). Economie et stratégie industrielles, Economica poche
MARCHESNAY M. ; JULIEN P-A. (1996). Lâentrepreneuriat, Economica poche
MARCHESNAY M. (1993). Management stratégique Eyrolles
MARCHESNAY M. (1990). Economie dâentreprise, Eyrolles
JULIEN P-A. ; MARCHESNAY M. (1988). La petite entreprise, Vuibert
MARCHESNAY M. (1986). La stratégie, Chotard
MARCHESNAY M. ; MAUREL P. (1983). Economie dâentreprise, ISTRA (5e Ă©dition)
MARCHESNAY M. ; MAUREL P. (1983). Organisation de lâentreprise, ISTRA (5e Ă©dition)
MARCHESNAY M. ; BIALES C. (1083). Economie générale et Initiation économique et sociale, 3 tomes,
ISTRA
- 5. Management Stratégique
5
SOMMAIRE
INTRODUCTION 12
CHAPITRE 1. APPROCHE DE LA STRATEGIE 16
Essai de définition 16
Une discipline aux origines multiples 21
StratĂ©gie militaire et stratĂ©gie dâentreprise 22
Analyse stratégique et analyse économique 24
Stratégie et histoire des entreprises 27
StratĂ©gie et sciences de lâhomme et de la sociĂ©tĂ© 28
Stratégie et sciences de gestion 29
Une discipline aux courants multiples 31
Les Ă©coles formalistes 31
Les Ă©coles contingentes 33
Les écoles axées sur les processus 34
Vers une approche intégrative 34
CHAPITRE 2. LA POLITIQUE GENERALE (CORPORATE STRATEGY) 39
Les modĂšles dominants 40
Prolongements et critiques 45
- 6. Michel Marchesnay
6
Critiques dâordre mĂ©thodologiques 45
La méconnaissance des buts 49
La mĂ©connaissance de lâenvironnement 53
CHAPITRE 3. LA PLANIFICATION STRATEGIQUE 58
La planification dâentreprise (corporate planning) 58
La planification stratégique (strategic planning) 65
Vers le management stratégique 69
Le contrÎle stratégique 74
CHAPITRE 4. LE MARKETING STRATEGIQUE 79
Les origines du marketing stratĂ©gique â cycle de vie et diversification 80
La matrice BCG 90
Les matrices de positionnements concurrentiels 100
CHAPITRE 5. LES STRATEGIES TECHNOLOGIQUES 107
Les grilles dâanalyse technologiques 109
Définition et modalités 109
Le modĂšle de Woodward 112
Le cycle de vie technologique 113
Les matrices technologiques 115
- 7. Management Stratégique
7
La dynamique des technologies 117
Les stratĂ©gies dâinnovation technologique 120
Le processus de décision 120
Les mĂ©tiers de lâentreprise 125
CHAPITRE 6. LâENVIRONNEMENT CONCURRENTIEL 128
La notion dâenvironnement concurrentiel 129
Un environnement complexe et turbulent 129
Lâorganisation industrielle 132
Lâorganisation des transactions 135
Lâanalyse industrielle 139
Le paradigme SCP 139
Le groupe stratégique 143
La vulnérabilité 146
Lâanalyse de filiĂšre 149
Lâanalyse de concurrence
CHAPITRE 7. LâORGANISATION 156
Les approches rationnelles 158
La différenciation des tùches 159
LâintĂ©gration des individus 160
- 8. Michel Marchesnay
8
Les approches contingentes 162
Les approches volontaristes (constructivistes) 165
Lâapproche en termes de compĂ©tences distinctives 172
Les facteurs clés de succÚs 172
La chaĂźne de valeur 173
CHAPITRE 8. LES STRATEGIES DE DOMAINE 178
La notion de domaine 178
Le domaine dâactivitĂ© stratĂ©gique (Strategic Business Unit) 179
Le champ stratégique 182
Les stratégies de développement du domaine stratégique 185
Les voies de la croissance patrimoniale 188
Les voies de la croissance contractuelle 194
Les stratégies de valorisation du domaine 199
La diversification 199
La spécialisation 203
Lâinternationalisation 206
CHAPITRE 9. LA DECISION STRATEGIQUE 209
Nature de la prise de décision stratégique 210
Les décisions programmées 210
- 9. Management Stratégique
9
Les décisions semi-programmées 211
Les décisions non-programmables 212
Lâapport de la thĂ©orie des jeux 215
Prise de dĂ©cision stratĂ©gique et taille de lâorganisation 218
La prise de décision stratégique dans les grandes entreprises 219
La prise de décision stratégique dans les petites entreprises 223
CHAPITRE 10. ENTREPRENEUR ET ENTREPRENEURIAT 228
Lâentrepreneur 228
Lâentrepreneur, « hĂ©ro de lâĂ©conomie ? » 228
Les classifications de lâentrepreneur 231
Lâentrepreneuriat 238
La création 238
Les aides 239
Evaluation 240
CHAPITRE 11. ANALYSE STRATEGIQUE 246
ProblÚmes soulevées 246
Du diagnostic à la décision 246
Le rĂŽle des outils 247
Lâapprentissage de la dĂ©cision stratĂ©gique 249
- 10. Michel Marchesnay
10
Une grille pour le diagnostic stratégique 250
Illustration par un cas simple 253
Une grille pour lâaction stratĂ©gique 257
LâĂ©laboration dâun plan dâaction 258
La mise en Ćuvre du plan dâaction stratĂ©gique 260
CONCLUSION. PROBLEMES ET PERSPECTIVES EN MANAGEMENT STRATEGIQUE 263
ANNEXES : QUELQUES DEFINITIONS DE LA STRATEGIE 267
BIBLIOGRAPHIE 277
- 11. Management Stratégique
11
Ce texte est une rĂ©Ă©dition de lâouvrage du mĂȘme auteur, et du mĂȘme titre, Ă©ditĂ© par Eyrolles
(collection Eyrolles Université) dont la deuxiÚme édition date de 1995.
- 12. Michel Marchesnay
12
INTRODUCTION
Depuis une dizaine dâannĂ©es, lâenseignement de la stratĂ©gie a connu des avancĂ©es importantes.
AssimilĂ©e pendant longtemps Ă lâĂ©conomie dâentreprise, au management, voire au marketing, la
discipline a maintenant droit de citĂ©. Cette reconnaissance sâest traduite, en France, par une
multiplication des travaux scientifiques et pĂ©dagogiques, et notamment par des manuels, surtout Ă
partir de 1985. Ces ouvrages reprennent les modÚles, théories et grilles couramment enseignés aux
Etats-Unis.
Notre propos nâest pas de rĂ©Ă©crire un nouveau manuel classique, dont le marchĂ© est maintenant bien
rĂ©alisĂ©. Notre objectif a Ă©tĂ© dâĂ©crire un ouvrage aux dimensions volontairement rĂ©duites. LâidĂ©e a Ă©tĂ©
de faire une synthĂšse des diffĂ©rents courants qui se sont dĂ©veloppĂ©s en stratĂ©gie, en sâappuyant, peu ou
prou, sur leur classement tel quâil a Ă©tĂ© rĂ©cemment dressĂ© par le spĂ©cialiste canadien Henry Mintzberg.
Celui-ci a distingué les écoles listées dans le tableau de la page suivante.
- 13. Management Stratégique
13
Ăcole de pensĂ©e Formation de la stratĂ©gie
Modélisation
Planification
Positionnement
Entrepreneuriale
Cognitive
Apprentissage
Politique
Culturelle
Environnementale
Configurationnelle
Conceptuelle
Formelle
Analytique
Visionnaire
Mentale
Ămergente
Ă base de pouvoir
Idéologique
Passive
Ăpisodique
Cette classification est fort discutable, mais elle permet de faire apparaĂźtre un point important :
largement fondée sur une rationalité instrumentale au départ, et sur des problÚmes de politique
gĂ©nĂ©rale, la stratĂ©gie sâest progressivement intĂ©ressĂ©e aux problĂšmes de choix des activitĂ©s,
distinguant la « corporate » de la « business strategy », dont lâarticulation correspond au management
stratégique. Par la suite, les auteurs en pointe ont de plus en plus critiqué les modÚles et grilles toutes
faites ; dĂ©laissant les procĂ©dures, assez inefficaces en des temps troublĂ©s, les auteurs ont tendu Ă
- 14. Michel Marchesnay
14
privilégier les processus de prise de décision collectifs dans les organisations, et individuels, de la part
du stratĂšge (« lâentrepreneur »). Actuellement, le souhait exprimĂ© serait de dĂ©boucher sur des
démarches qui intÚgrent les procédures et les processus, qui utilisent grilles, modÚles et théories au
sein de démarches tournées vers la détection des problÚmes et le suivi des actions.
Câest pourquoi nous proposons le plan suivant :
- Le chapitre premier expose les données du problÚme, à savoir la multiplicité des conceptions et
des domaines de lâanalyse stratĂ©gique.
- Le chapitre second aborde la « corporate strategy », la politique générale (la « design school »
de Mintzberg).
- Le chapitre troisiÚme aborde le problÚme de la planification stratégique.
- Le chapitre quatre traite du marketing stratégique, le cinquiÚme des stratégies technologiques.
- Le chapitre six aborde la notion dâenvironnement concurrentiel, le chapitre sept les problĂšmes
liĂ©s Ă lâorganisation, ce qui permet, dans le chapitre huit, dâaborder la notion de champ
concurrentiel.
- On est ainsi conduit aux problÚmes liés à la décision stratégique (chapitre neuf), puis au décideur
et Ă lâesprit dâentreprise (chapitre dix).
- Le onziĂšme et dernier chapitre est une sensibilisation Ă lâanalyse stratĂ©gique (cas, conseil) au
travers dâune approche intĂ©grative que nous prĂ©conisons.
- 15. Management Stratégique
15
Il est assez remarquable de constater que ce déroulement correspond assez largement à la succession
dans le temps, au cours des trente derniÚres années, des apports théoriques. Actuellement, les
spĂ©cialistes sont focalisĂ©s sur un aspect ou un autre, souvent en fonction de leur discipline dâorigine
(lâĂ©conomie industrielle, le marketing, le management, le contrĂŽle de gestion, etc.). Notre ambition,
sans doute mal tenue, a consisté à présenter les diverses facettes, de façon trÚs synthétique. Nous
avons limitĂ© au maximum les rĂ©fĂ©rences aux auteurs, pour ne retenir que la progression logique dâune
Ă©tape Ă lâautre. Nous avons souvent cherchĂ© Ă adapter les modĂšles les plus courants pour les
homogénéiser. Dans la bibliographie, nous avons rejeté les ouvrages en anglais, ou difficilement
trouvables pour lâĂ©tudiant moyen. Nous nous sommes permis de faire rĂ©fĂ©rence Ă nos propres
ouvrages et articles, craignant dâavoir Ă©tĂ© parfois trop elliptique sur certains points.
Ce livre a été plus conçu pour instruire les étudiants que pour impressionner les collÚgues... Je
remercie donc mes Ă©tudiants qui, avec une patiente courtoisie, mâont entretenu dans lâillusion que cet
ouvrage Ă©tait lisible, et â qui sait ? â quâil les avaient incitĂ©s Ă en connaĂźtre davantage sur cette
matiÚre passionnante et complexe: la stratégie.
.
- 16. Michel Marchesnay
16
CHAPITRE 1.
APPROCHE DE LA STRATEGIE
ESSAI DE DEFINITION
Si bizarre que cela puisse paraĂźtre, lâenseignement systĂ©matique de la stratĂ©gie, conçue comme une
discipline des sciences de gestion, est finalement assez rĂ©cent. Si lâon excepte le manuel de Harvard,
dont il sera question dans le chapitre second (modÚle « LCAG »), paru dans les années 50, il faudra
attendre les travaux amĂ©ricains de la fin des annĂ©es 60 pour voir sâesquisser des « modĂšles
stratĂ©giques », susceptibles dâĂȘtre enseignĂ©s « Ă part entiĂšre », dans des cours appropriĂ©s. Au dĂ©but des
années 80, les manuels de référence se multiplient, le plus souvent aux Etats-Unis ; ils « inspirent »
alors nombre dâouvrages en Europe, en sorte que, Ă la fin des annĂ©es 80, on peut penser quâil y a une
sorte de consensus sur le contenu de la discipline de stratégie des entreprises.
Les choses ne sont pas aussi claires. En fait, lâenseignement de la stratĂ©gie subit diverses influences
qui trahissent la diversité de ses origines et de ses apports. Bien souvent, dans les Business Schools ou
dans les Ăcoles de Commerce, ce cours Ă©tait confiĂ© Ă un praticien dâentreprise (un « professionnel »),
qui proposait surtout des recettes « la stratĂ©gie ne peut pas sâapprendre, câest un art ». Ă lâinverse,
- 17. Management Stratégique
17
dans les Universités, ce cours était confié à des spécialistes de micro-économie, et consistait bien
souvent en lâexposition de modĂšles trĂšs thĂ©oriques ; ou bien, il Ă©tait confiĂ© Ă des enseignants de
techniques de gestion, qui mettaient lâaccent sur les techniques de planification et de contrĂŽle, plus que
sur la rĂ©flexion stratĂ©gique. Finalement, les « professionnels » sâintĂ©ressaient surtout aux problĂšmes de
politique générale, à la prise concrÚte de décision, alors que les « enseignants » accordaient leur
préférence soit à la formalisation de la démarche, soit aux techniques du management stratégique.
On aura compris que la discipline de stratégie est, par excellence, le lieu de confrontation de la
pensĂ©e et de lâaction. Le cours de stratĂ©gie exige une intelligence de concepts et de rĂ©flexions, dont la
lecture reste banale tant quâon ne les a pas confrontĂ©s Ă une mise en pratique, par des exemples, par
des cas, par sa propre expérience des affaires.
Cette symbiose apparaĂźt parfaitement dans lâenseignement nord-amĂ©ricain. Au dĂ©but des annĂ©es 80,
les autoritĂ©s gouvernementales sâinquiĂštent de la pauvretĂ© conceptuelle des cours de politique gĂ©nĂ©rale
et stratégie dans les M.B.A., car ces cours sont dévolus à des praticiens, le plus souvent. Les
UniversitĂ©s, pour maintenir leur position concurrentielle (car elles font lâobjet de classements, qui
justifient les droits dâinscription...), recrutent alors des chercheurs venus de disciplines plus « dures »,
comme lâĂ©conomie industrielle ; ces chercheurs, comme Porter Ă Harvard, proposeront des dĂ©marches
plus formalisées. Au début des années 90, la voie est désormais ouverte pour une intégration plus
poussée entre la conception des modÚles et leur mise en pratique.
- 18. Michel Marchesnay
18
ArrivĂ© Ă ce stade, le lecteur attend avec impatience une dĂ©finition de la stratĂ©gie... et lâauteur avoue
son embarras. La liste donnée en annexe des définitions proposées dans des ouvrages marquants révÚle
lâabsence de total consensus en lâĂ©tat actuel de la discipline. On peut toutefois classer ces dĂ©finitions
autour de quelques thÚmes répétitifs.
â Le thĂšme des buts : est stratĂ©gique toute dĂ©marche qui repose sur la dĂ©finition de buts Ă long
terme, et la dĂ©termination des moyens pour les rĂ©aliser. Ce type de dĂ©finition sâintĂ©resse plutĂŽt aux
problĂšmes de politique gĂ©nĂ©rale de lâentreprise ou de lâorganisation.
â Le thĂšme du plan : est stratĂ©gique toute dĂ©marche reposant sur une planification de
lâengagement des ressources sur un horizon donnĂ©. Sans plan, pas de stratĂ©gie, dans cette conception
extrĂȘme. Le management stratĂ©gique sâidentifie alors Ă la planification stratĂ©gique.
â Le thĂšme de lâenvironnement : est stratĂ©gique toute dĂ©cision qui a pour but de rendre
lâentreprise compĂ©titive Ă long terme, de se renforcer par rapport Ă un environnement oĂč rĂšgne la
concurrence. Le management stratĂ©gique sâidentifie alors Ă la lutte sur les marchĂ©s, et se rapproche du
marketing stratégique.
â Le thĂšme du changement : est stratĂ©gique toute dĂ©cision impliquant des changements
importants, structurels, dans le management de lâentreprise (ses buts, ses activitĂ©s, son organisation,
etc.).
- 19. Management Stratégique
19
Souvent, ces diverses acceptions sont regroupées sous une formulation trÚs banale, du type : « La
stratĂ©gie consiste Ă planifier le changement, dans le but dâadapter les ressources de lâorganisation aux
exigences de lâenvironnement concurrentiel, pour rĂ©aliser les objectifs et les buts fondamentaux ».
II est vrai que la plupart des manuels nord-amĂ©ricains sont conçus dans cet esprit. On dĂ©finit dâabord
les buts et la politique gĂ©nĂ©rale, puis on pose les Ă©lĂ©ments du diagnostic sur lâenvironnement, et sur
lâorganisation, avant de mettre en oeuvre une planification des moyens pour rĂ©aliser des stratĂ©gies
dâactivitĂ©s dont on contrĂŽlera les performances.
Toutefois, on voit quâil y a deux niveaux en principe distincts :
â Le niveau de la corporate strategy, Ă©laborĂ©e par la Haute Direction, qui correspond largement
Ă ce que lâon appelle la « politique gĂ©nĂ©rale ».
â Le niveau de la business strategy, que nous traduirons par « stratĂ©gie dâactivitĂ©s », Ă©laborĂ©e au
niveau des divisions opérationnelles de produits et de marchés, et qui correspond largement au
management stratégique.
Bien entendu, ces deux niveaux sont étroitement reliés (dans la petite entreprise, ils sont
parfaitement confondus). Mais ils correspondent à des problÚmes distincts, y compris dans la façon
dont sont prises les dĂ©cisions comme dans leur objet. Or, selon lâimportance accordĂ©e Ă chacun de ces
niveaux comme Ă chacun des thĂšmes dominants, des Ă©coles de pensĂ©es et dâenseignement de la
stratégie se font jour, comme on le verra en fin de ce chapitre.
- 20. Michel Marchesnay
20
Pour sa part, le spécialiste canadien de management, Henry Mintzberg, dont il sera souvent question
par la suite, recense ce quâil appelle les 5 P pour dĂ©finir le concept de stratĂ©gie :
â P comme plan, soit un type dâaction voulu consciemment.
â P comme pattern (modĂšle), soit un type dâaction formalisĂ©, structurĂ©.
â P comme ploy (manoeuvre), soit une action destinĂ©e Ă rĂ©aliser un objectif prĂ©cis (il ne sâagit
que de tactique).
â P comme position, soit la recherche dâune localisation favorable dans lâenvironnement, pour
soutenir durablement la concurrence.
â P comme perspective, soit une perception de la position dans le futur.
Ces cinq P sont interreliĂ©s, et sâexpriment globalement sous la forme de dĂ©marches stratĂ©giques
différentes, selon notamment ceux qui les mettent en oeuvre, ce qui vient encore souligner le tien trÚs
fort entre la rĂ©flexion et lâaction en stratĂ©gie.
Par exemple, on peut imaginer les séquences types suivantes :
â Dans les grandes organisations bureaucratiques, la rĂ©daction du plan joue un rĂŽle dĂ©terminant
dans le processus stratĂ©gique. Le plan va se formaliser (Pattern), sâexĂ©cuter au travers de manoeuvres
(Ploy), se dérouler dans le temps (Perspective) et entraßner un certain positionnement sur le marché.
- 21. Management Stratégique
21
â Dans les petites organisations, le processus est diffĂ©rent. Les manoeuvres jouent un rĂŽle
important (la stratégie est réactive, chapitre IX), la stratégie émerge de ces manoeuvres : elle se
structure sur le tas, progressivement, acquiert une certaine durée, une certaine perspective de temps, et
contribue Ă positionner lâentreprise, sans quâil y ait de plan formalisĂ© au dĂ©part.
On donnera donc une définition de synthÚse de la stratégie :
Câest « lâensemble constituĂ© par les rĂ©flexions, les dĂ©cisions, les actions ayant pour objet de
déterminer les buts généraux, puis les objectifs, de fixer le choix des moyens pour réaliser ces
buts, de mettre en oeuvre les actions et les activités en conséquence, de contrÎler les
performances attachées à cette exécution et à la réalisation des buts ».
Cette définition lapidaire ne saurait cacher des divergences de conception de la stratégie, qui
sâexpliquent avant tout par la diversitĂ© des disciplines qui ont contribuĂ© Ă forger cette discipline
nouvelle: la stratégie des organisations.
UNE DISCIPLINE AUX ORIGINES MULTIPLES
Comme nous lâavons dit, la conception dâun cours de stratĂ©gie est fortement liĂ©e Ă la « culture » de
lâenseignant : en tĂ©moigne la diversitĂ© du contenu des manuels de stratĂ©gie â du moins en France â
- 22. Michel Marchesnay
22
de la Terminale aux cours de doctorat ! Cette diversitĂ© sâexplique Ă la fois par la jeunesse de la
discipline, comme objet dâĂ©tude en gestion, et par lâanciennetĂ© de la pratique stratĂ©gique. Il sâagit donc
de remonter aux sources, et de faire un examen critique de celles-ci.
StratĂ©gie militaires et stratĂ©gie dâentreprise
La relation est simple: les stratÚges, dans la Cité athénienne, étaient chargés de la conduite de la
guerre, sous lâoeil vigilant des archontes, notables chargĂ©s de gĂ©rer la CitĂ© (polis, en grec : on voit
ainsi une premiĂšre figuration de la distinction entre la politique gĂ©nĂ©rale et la stratĂ©gie dâactivitĂ©s). Il
fallut attendre les guerres napoléoniennes pour que des théoriciens dépassent la simple conduite des
batailles pour se pencher sur lâart de la guerre. Un gĂ©nĂ©ral prussien, Karl von Clausewitz, observant les
campagnes de NapolĂ©on, Ă©largit le dĂ©bat, en montrant que la guerre nâest quâune des formes de la
politique extĂ©rieure, diplomatique dâun pays, forme violente, subordonnĂ©e Ă la poursuite des objectifs
politiques.
AprÚs la Seconde Guerre mondiale, les conditions géopolitiques de la Guerre Froide et des guerres
dâindĂ©pendance remirent au premier plan cette idĂ©e de subordination du « management stratĂ©gique » Ă
la « politique générale ».
Or, dans les années 50, les grandes entreprises américaines cherchÚrent des éléments de réflexion
pour développer leur stratégie, et crurent en trouver dans les théories militaires sur la conduite des
guerres, des campagnes et des batailles. On vit ainsi fleurir de nombreux ouvrages sur lâart de la guerre
- 23. Management Stratégique
23
appliquĂ© aux affaires, et mĂȘme des livres dĂ©crivant des batailles cĂ©lĂšbres pour les appliquer aux
problÚmes stratégiques des entreprises.
On débat beaucoup des affinités entre les deux stratégies. De ces débats, on peut tirer les
observations suivantes :
â Au niveau le plus simple, lâimage guerriĂšre donne lieu Ă de nombreuses expressions
(guerre de prix, capitaine dâindustrie, campagne promotionnelle, etc.) sans rĂ©elle rĂ©flexion de
fond.
â Ă un autre niveau, on observe certaines analogies entre la conduite des affaires et celle
des batailles : dâabord sur la relation entre les forces respectives (les ressources de
lâorganisation, lâavantage concurrentiel), lâĂ©tat du terrain et les conditions de lâengagement (le
positionnement concurrentiel) ; ensuite, sur les conditions de déroulement de la bataille ou de
la guerre (manoeuvres tactiques). Toutefois, lâobjection fondamentale est que, dans la guerre
des affaires, il ne sâagit gĂ©nĂ©ralement pas de dĂ©truire le concurrent (les forces du marchĂ© sâen
chargent).
â Les affinitĂ©s sont en fait beaucoup plus fortes dans les deux cas suivants : dâune part,
lorsque la stratĂ©gie de lâentreprise est une stratĂ©gie dâĂ©limination directe des concurrents, ou
lorsque lâenvironnement est fortement hostile (cf. chapitre 6); dâautre part, lorsque la guerre
militaire nâa pas pour but lâanĂ©antissement de lâadversaire, ou lorsque les batailles sont
- 24. Michel Marchesnay
24
conduites sans rechercher la victoire totale (la guerre du Golfe, les guerrillas en donnent de
nombreux exemples).
Analyse stratégique et analyse économique
Lâanalyse Ă©conomique « officielle » (en particulier lâanalyse micro-Ă©conomique des marchĂ©s)
accorde une faible place Ă la stratĂ©gie des entreprises. SâintĂ©ressant avant tout Ă lâĂ©quilibre gĂ©nĂ©ral,
rĂ©sultat des Ă©quilibres partiels (sur chaque marchĂ©), lâanalyse Ă©conomique part du principe que, pour
optimiser ses performances, soit le profit maximum, lâentreprise doit se contenter dâobĂ©ir aveuglĂ©ment
aux signaux du marchĂ© que sont les prix (taux de salaire, taux dâintĂ©rĂȘt, taux de profit, prix des
produits). Le chef dâentreprise doit se contenter dâutiliser de façon optimale ses ressources, sâil est
rationnel.
Cette analyse a longtemps prĂ©dominĂ©. De nos jours, les Ă©conomistes qui sâintĂ©ressent Ă lâentreprise
et Ă lâindustrie accordent une place croissante, voire dĂ©terminante, Ă la stratĂ©gie, au point dâapporter,
comme Michael Porter, des outils et des modÚles essentiels. Les principaux amendements apportés à la
théorie économique traditionnelle sont les suivants :
â Il existe des situations thĂ©oriques qui sont diffĂ©rentes de la concurrence pure et
parfaite, et permettent Ă lâentreprise de choisir le couple quantitĂ©/prix optimal. Tel est le cas
des situations suivantes: monopole (seul), duopole (deux), oligopole (quelques-uns).
Lâoptimum peut ĂȘtre obtenu par des voies diffĂ©rentes, selon quâil y a affrontement (conflit),
- 25. Management Stratégique
25
entente tacite (collusion), ou entente explicite (coopĂ©ration). Il nâest mĂȘme pas sĂ»r quâon
puisse déterminer logiquement le résultat optimum, comme le montre la théorie des jeux
(chapitre 9).
â La situation thĂ©orique plus rĂ©aliste est sans nul doute celle de la concurrence
imparfaite et monopolistique : chaque entreprise cherche à avoir une part de marché stable et
adopte une stratégie de survie, et non de guerre à outrance, aux résultats trop incertains.
â LâidĂ©e selon laquelle les entreprises cherchent Ă maximiser leur profit, en allouant
leurs ressources de façon optimale, est une vue de lâesprit : elles adoptent plutĂŽt un
comportement de satisfaction dâobjectifs rĂ©alistes. Cette approche, qualifiĂ©e de
« bĂ©havioriste » est prĂŽnĂ©e par lâAmĂ©ricain Herbert Simon, prix Nobel dâĂconomie.
â Il nâest pas vrai que le taux de profit dans une industrie soit seulement dĂ©terminĂ© par
les structures de cette industrie (chapitre 6). Il faut tenir compte des stratégies des entreprises,
qui contribuent Ă modifier les structures (demande, technologie, etc.) de lâindustrie dans cette
optique, on prĂ©fĂšre parler dâOrganisation Industrielle (O.I.) plutĂŽt que dâĂconomie Industrielle
(E.I.).
â Lâanalyse Ă©conomique traditionnelle nâaccorde aucun rĂŽle dĂ©terminant Ă lâentreprise et
Ă lâentrepreneur. A la fin des annĂ©es 30, lâĂ©conomiste autrichien, alors exilĂ© aux Etats-Unis,
Joseph Schumpeter, va montrer le rĂŽle moteur de lâentrepreneur dans le capitalisme, de par sa
stratĂ©gie dâinnovation. De mĂȘme, Ă la mĂȘme Ă©poque, lâAnglo-AmĂ©ricain Coase (prix Nobel
dâĂconomie) va montrer que les Ă©changes peuvent se faire, soit sur un marchĂ©, soit dans une
organisation : le fait que les transactions internes soient moins « coûteuses » au sens large que
- 26. Michel Marchesnay
26
les transactions externes, justifie lâexistence de la firme dans une Ă©conomie de marchĂ©. AprĂšs
1950, un courant trĂšs important en Ă©conomie dâentreprise sâintĂ©ressera Ă la thĂ©orie de la firme,
accordant une place croissante aux rapports entre les structures et les stratégies, au niveau de
la firme comme de lâindustrie.
Lâapport de lâanalyse Ă©conomique, ainsi amendĂ©e, a consistĂ© avant tout Ă donner plus de rigueur aux
exposés sur la stratégie, en précisant la portée de certaines notions (par exemple la diversification -
chapitre 6 - ou la fixation des buts - chapitre 2). Certains manuels sâappuient fortement sur cette
relation, notamment dans lâĂ©cole française de stratĂ©gie.
Dans la littĂ©rature amĂ©ricaine de stratĂ©gie, lâappui sur lâanalyse Ă©conomique porte plus prĂ©cisĂ©ment
sur les points suivants :
â La croyance en une primautĂ© de lâĂ©conomie de marchĂ©, en la libre concurrence,
comme sélecteurs de performance, et en conséquence, le rÎle directeur du profit (chapitre 2).
â LâintĂ©rĂȘt accordĂ© Ă une dĂ©marche rationnelle, mĂ©thodique, dans lâanalyse stratĂ©gique
(diagnostic, position du problĂšme, choix, Ă partir de critĂšres rationnels, de la meilleure
solution, mise en oeuvre, contrÎle des résultats).
â Le recours Ă des outils dâanalyse relevant de la logique « substantive » (H. Simon),
logico-mathématique, comme aide à la décision stratégique (chapitre 9).
- 27. Management Stratégique
27
Stratégie et histoire des entreprises
Lâanalyse historique consiste Ă suivre ou Ă recomposer Ă partir de documents lâĂ©volution de la
démarche stratégique (décisions essentielles, changements déterminants) suivie par une entreprise ou
un groupe dâentreprises. Lâobjectif est double :
â Essayer de dĂ©gager des « lois », ou des tendances lourdes. Ainsi, lâhistorien amĂ©ricain
Chandler (Harvard) a Ă©mis lâidĂ©e que les grandes modifications structurelles apparues dans les
entreprises américaines dans les années trente avaient pour origine des changements de
stratégie, dans les choix de produits et de marchés. La grande entreprise, selon cet auteur,
oppose Ă la « Main Invisible » des lois du MarchĂ©, la « Main Visible » de lâOrganisation
(coĂ»ts de transactions internes) quâelle façonne en fonction de ses choix stratĂ©giques.
â Observer lâĂ©volution des techniques et des principes de management, souvent en
partant du principe selon lequel le succĂšs dâune entreprise est dĂ» Ă lâadoption de principes «
modernes » ou de techniques « avancĂ©es » quâil convient de transposer aux autres entreprises.
Par exemple, deux auteurs, Peters et Waterman, observant tes entreprises les plus performantes
aux Ătats-Unis, Ă©numĂšrent les « clĂ©s » de leur succĂšs: malheureusement, quelques annĂ©es plus
tard, la plupart dâentre elles avaient pĂ©riclitĂ©...
Il nâen reste pas moins que lâobservation des stratĂ©gies des entreprises, mĂȘme au niveau de lâhistoire
immĂ©diate, de lâactualitĂ© quotidienne, constitue une source inĂ©puisable dâinformations. La lecture
- 28. Michel Marchesnay
28
rĂ©guliĂšre dâarticles consacrĂ©s Ă la vie des affaires offre des applications constantes des notions
énoncées dans les manuels et autres ouvrages consacrés à la stratégie.
StratĂ©gie et sciences de lâhomme et de la sociĂ©tĂ©
Sous ce vocable, on englobera avant tout les travaux en sociologie des organisations et en
psychologie.
En effet, si lâon abandonne le postulat, souvent avancĂ© par les Ă©conomistes, selon lequel la stratĂ©gie
de lâentreprise est uniquement dĂ©terminĂ©e par les forces du marchĂ© et de la concurrence, on est conduit
Ă accorder une grande importance au rĂŽle des individus et aux structures de lâorganisation dans le
management stratégique. En particulier, les choix se ramÚneront à des rapports de pouvoir, ou au
moins Ă des relations interpersonnelles ou intergroupes.
La sociologie des organisations sâest fortement dĂ©veloppĂ©e aprĂšs la Seconde Guerre mondiale. Sans
dĂ©florer ce qui sera dit dans le chapitre 7, lâapport essentiel rĂ©side Ă nos yeux dans le point de vue
appelĂ© « contingent » : on considĂšre que la stratĂ©gie nâest pas dĂ©terminĂ©e a priori, mais quâelle rĂ©sulte
du jeu de forces et dâĂ©vĂ©nements qui influenceront les choix, sĂ©parĂ©ment ou globalement.
La psychologie joue Ă©galement un rĂŽle croissant, comme on le verra dans le chapitre 8, dans la
mesure oĂč elle permet de mieux comprendre le processus de prise de dĂ©cision. Elle sâintĂ©resse aux
façons dont les décideurs « savent » (processus cognitif), dont ils « apprennent » (processus
dâapprentissage), dont ils « choisissent » (processus dĂ©cisionnels).
- 29. Management Stratégique
29
Stratégie et sciences de gestion
Si bizarre que cela puisse paraĂźtre, la relation nâest pas si Ă©vidente. En effet, la gestion dâune
entreprise a pour objet dâuser au mieux des ressources dont dispose lâentreprise ; le gestionnaire
sâappuie sur des techniques bien Ă©tablies, en gĂ©nĂ©ral, et celles-ci font lâobjet dâun enseignement, dâune
transmission somme toute assez simple (exemple: les techniques comptables). En stratégie, on se
heurte Ă des situations complexes, Ă des problĂšmes « mal structurĂ©s », pour lesquels la rĂ©ponse nâest
pas toujours techniquement possible. Comme on peut le constater avec des Ă©tudiants de gestion, la
sensibilisation à la démarche stratégique, une fois enseignés les modÚles traditionnels et les pratiques
observĂ©es, peut se heurter Ă de fortes rĂ©sistances. En effet, il est demandĂ© dâadopter, selon lâexpression
dâHenry Mintzberg, une attitude « artisanale », de recourir Ă lâintuition beaucoup plus quâĂ la logique
« substantive » (Simon) : au point que Mintzberg a suggĂ©rĂ© de ne dispenser ces cours quâĂ des
personnes ayant dĂ©jĂ une expĂ©rience de lâentreprise !
En fait, les choses Ă©voluent dans le sens dâun rĂŽle croissant dâune attitude « stratĂ©gique » dans les
divers domaines de la gestion. En effet, les techniques de gestion sont devenues, dans nombre de
domaines, hautement programmĂ©es, au point que lâordinateur peut « prendre la dĂ©cision ». En
conséquence, le gestionnaire doit maintenant se préoccuper des décisions plus risquées, plus
complexes, peu programmables. Ainsi, lâexpert-comptable fera de plus en plus du conseil en gestion,
le chef du personnel fera moins de paie et plus de recrutement, etc. Bref, les aspects stratĂ©giques liĂ©s Ă
une fonction tendent Ă devenir dominants, comme le titre de nombreux ouvrages de gestion le montre
(mĂȘme si le terme de stratĂ©gie nâest pas toujours bien dĂ©fini...). Cela signifie que lâon sâintĂ©resse de
- 30. Michel Marchesnay
30
plus en plus aux décisions difficilement programmables, ayant des effets en dehors de la fonction,
nĂ©cessitant une tournure dâesprit diffĂ©rente (ainsi, dans un cas de stratĂ©gie, on ne cherche pas « la »
solution, mais « une » solution, ce qui est trĂšs dĂ©routant pour lâĂ©tudiant).
La relation entre le management et la stratégie est bien entendu plus forte, au point que les termes
sont souvent confondus. Le management trouve son origine dans la fonction dâadministration gĂ©nĂ©rale
de lâentreprise, telle que dĂ©crite dans les Ă©crits du Français Henri Fayol au dĂ©but de ce siĂšcle, et
dĂ©veloppĂ©e par nombre dâauteurs amĂ©ricains dont, au milieu du siĂšcle, Chester Barnard, et, plus
rĂ©cemment, Peter Drucker. Mais lâon peut reprocher Ă cette assimilation de cantonner la stratĂ©gie Ă
lâaspect interne Ă lâentreprise, de mise en oeuvre dâune stratĂ©gie dĂ©terminĂ©e de lâextĂ©rieur.
Le marketing, qui se dĂ©veloppe aprĂšs 1950 (Levitt, Kotler) a le mĂ©rite dâouvrir le raisonnement
stratégique sur le rÎle vis-à -vis du marché, et de la satisfaction de besoins. Nombre de modÚles
stratégiques sont en fait empruntés au marketing stratégique (telles les matrices de portefeuille).
Toutefois, la stratégie va bien au-delà du seul marketing : ainsi, au niveau de la business strategy (cf.
supra), il faut tenir compte également des stratégies technologiques.
On pourrait citer dâautres influences (lâingĂ©nierie, la science politique). Ce qui vient dâĂȘtre dit suffit
Ă souligner lâextrĂȘme diversitĂ© des influences. Or, les auteurs en stratĂ©gie sont eux-mĂȘmes dâorigines
scientifiques différentes, et leurs travaux révÚlent cette diversité. Il en découle plusieurs écoles,
plusieurs courants en stratégie, que nous allons maintenant évoquer.
- 31. Management Stratégique
31
UNE DISCIPLINE AUX COURANTS MULTIPLES
RĂ©cemment, Mintzberg a prĂ©sentĂ© les diffĂ©rents courants actuels en stratĂ©gie dâentreprise en les
situant sur une horloge : au fur et Ă mesure que « lâheure avance », on irait de courants mettant lâaccent
sur les procédures de décision, reposant sur des modÚles et des techniques éprouvés, vers des écoles ou
des mĂ©thodologies plus contingentes, pour dĂ©boucher sur des approches sâintĂ©ressant aux processus de
prise de dĂ©cision, dans les organisations, puis chez les individus. Aux yeux de Mintzberg, lâidĂ©al, loin
dâĂȘtre atteint, serait dâaboutir Ă une approche intĂ©grant lâensemble de ces prĂ©occupations, les
procĂ©dures et les processus, au sein dâune « configuration » englobant tous ces problĂšmes.
Nous nous inspirerons de sa présentation pour énumérer ces écoles de pensée stratégique, puis pour
présenter le plan de cet ouvrage.
Les Ă©coles formalistes
On peut situer, dans le temps et dans lâespace, les origines de lâenseignement de la stratĂ©gie Ă la
Business School de Harvard, dans les années 50. La philosophie de cette école sera présentée dans le
chapitre 2, consacré à la corporate policy, à titre principal.
LâidĂ©e essentielle est que les objectifs sont fixĂ©s par les propriĂ©taires, et mis en oeuvre par les
dirigeants aprÚs examen de la situation interne et externe, au travers du management stratégique. Cette
approche est trĂšs logique : on lui reproche maintenant de lâĂȘtre trop, de ne pas intĂ©grer les
- 32. Michel Marchesnay
32
comportements et les alĂ©as, dâinsister plus sur les procĂ©dures que sur les processus, de ne pas
appréhender les problÚmes de mise en oeuvre.
Câest pourquoi, au dĂ©but des annĂ©es 60, une autre Ă©cole, dite de San Diego, sâintĂ©ressera aux
problĂšmes de management stratĂ©gique, câest-Ă -dire de conception dâoutils de gestion planifiĂ©e et de
modes de dĂ©veloppement de lâentreprise, au travers des activitĂ©s, analysĂ©es en technologies, produits
et marchĂ©s. Le reprĂ©sentant le plus cĂ©lĂšbre de cette approche est lâAmĂ©ricain Igor Ansoff. Elle fera
lâobjet du chapitre 3. On observera, pour lâinstant, que la dĂ©marche reste encore trĂšs formalisĂ©e : or, on
lui a reprochĂ© sa rigiditĂ©, la difficultĂ© de sâadapter Ă des changements brutaux pour changer de
stratĂ©gie. DâoĂč de profonds remaniements.
Au cours des années 70, marquées par de fortes ruptures dans le capitalisme mondial, le problÚme de
la compétitivité se pose de façon cruciale. Les activités traditionnelles ne sont plus le moteur de
lâexpansion (automobile, Ă©lectro-manager, biens de consommation courante), et il faut « inventer » de
nouvelles stratĂ©gies commerciales et technologiques. DâoĂč le dĂ©veloppement des analyses dâactivitĂ©s,
en termes de compétitivité (possibilités de croissance et de profit). Le problÚme sera analysé de deux
points de vue : dâune part, la compĂ©titivitĂ© repose sur des aptitudes particuliĂšres de lâentreprise
(approche resource-based), et, dâautre part, sur un avantage relatif par rapport aux concurrents, liĂ© Ă un
bon positionnement de marché (approche environnementale ou écologique), les deux problÚmes
interagissant. On est alors confrontĂ© Ă des choix de stratĂ©gie dâactivitĂ©s, les auteurs hĂ©sitant entre un
- 33. Management Stratégique
33
certain déterminisme (le positionnement entraßne le niveau de performance) et une certaine
contingence (« ça dépend de plusieurs facteurs »). Ceci sera analysé dans le chapitre 4.
Cet aspect de contingence prend le pas sur la simple formalisation lorsque lâon aborde les stratĂ©gies
de développement des entreprises : les analyses deviennent plus complexes, les choix sont fortement
relativisĂ©s, il nây a guĂšre de modĂšle dĂ©terminant, ni dâĂ©cole rĂ©ellement dominante. Ces stratĂ©gies
seront abordées dans le chapitre 5.
Les Ă©coles contingentes
Dire que lâenvironnement est complexe et incertain est une banalitĂ©. Mais cet aphorisme trivial
recouvre une réalité difficile à appréhender dans les modÚles stratégiques. Au cours des années 80, la
recherche a fortement avancĂ© dans ce domaine, mĂȘme si elle sâest essoufflĂ©e Ă suivre les
transformations parfois brutales, « catastrophiques » de lâenvironnement technique, Ă©conomique,
gĂ©opolitique, des entreprises. Lâapport de lâĂ©conomie industrielle a Ă©tĂ© important, lâauteur le plus
connu Ă©tant lâAmĂ©ricain Michael Porter, professeur Ă Harvard. Ces problĂšmes seront Ă©voquĂ©s dans le
chapitre 6.
Le sentiment qui prĂ©vaut est que, dans cette approche, il nây a pas de solution dĂ©finitive pour
lâentreprise. Le caractĂšre dynamique des variables stratĂ©giques est prĂ©dominant, et les choix doivent
ĂȘtre rĂ©visĂ©s en permanence.
Ce sentiment de contingence est exacerbĂ© avec lâanalyse des relations entre la stratĂ©gie et
lâorganisation. Celle-ci apparaĂźt comme un systĂšme de gestion, mouvant, interactif, soumis Ă de
- 34. Michel Marchesnay
34
perpĂ©tuels changements: la notion de flexibilitĂ© est dĂ©terminante. Ces problĂšmes dâorganisation seront
abordĂ©s dans le chapitre 7. Dâores et dĂ©jĂ , on peut retenir que, pour nombre dâauteurs, lâaccent doit
ĂȘtre mis sur les comportements, plus que sur les procĂ©dures, en matiĂšre de management stratĂ©gique.
Les écoles axées sur les processus
Un constat sâimpose : on connaĂźt finalement peu de choses sur la façon dont les gens prennent une
dĂ©cision ayant un caractĂšre stratĂ©gique. Mintzberg et Simon accordent une place essentielle Ă
lâintuition. Mais ils montrent quâil existe plusieurs façons de prendre une dĂ©cision, et que le processus
est influencĂ© par une multitude de facteurs. Lâobjet du chapitre 9 sera de sâintĂ©resser aux divers
processus possibles, en essayant de voir dans quelles conditions ils se développent.
Enfin, reste le grand oubliĂ© de lâanalyse stratĂ©gique: le stratĂšge. Celui-ci sera lâentrepreneur, dĂ©fini
comme celui qui prend les dĂ©cisions stratĂ©giques. Mais les formes concrĂštes dâentrepreneuriat sont
extrĂȘmement diverses, Il existe notamment des typologies dâentrepreneurs, qui ont fait, au cours de ces
dix derniĂšres annĂ©es, lâobjet de nombreuses recherches, liĂ©es notamment Ă lâexplosion du phĂ©nomĂšne
de crĂ©ation dâentreprises de petite taille dans les Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es. Tel sera lâobjet du chapitre
10, au cours duquel on observera notamment les processus de crĂ©ation dâentreprise.
Vers une approche intégrative
Dans le onziÚme et dernier chapitre, on présentera des analyses intégratives, susceptibles de servir
au diagnostic stratĂ©gique. On prĂ©sentera Ă©galement une mĂ©thodologie pour aborder lâĂ©tude de cas de
stratĂ©gie. Car lâĂ©tude de la stratĂ©gie nâest dâaucun intĂ©rĂȘt si elle ne dĂ©bouche pas sur la mise en oeuvre
- 35. Management Stratégique
35
de dĂ©cisions et dâactions â sachant que la maĂźtrise des concepts et des outils qui auront Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s
dans cet ouvrage est indispensable.
Cette rĂ©flexion nous conduit Ă insister sur lâaspect global, systĂ©mique, intĂ©gratif, de la pensĂ©e
stratĂ©gique. Celle-ci doit inĂ©vitablement traiter de questions complexes, dans la mesure oĂč les
phĂ©nomĂšnes sont inextricablement, et parfois inexplicablement, reliĂ©s entre eux. Lâanalyste doit
accepter modestement une ignorance partielle. Pour les besoins pédagogiques, les problÚmes sont
abordĂ©s les uns aprĂšs les autres. Mais le lecteur doit avoir sans cesse Ă lâesprit que chacun dâentre eux
est relié aux autres.
Pour faire comprendre cette nĂ©cessaire interaction, on a coutume dâutiliser un schĂ©ma « en
diamant », en distinguant des « pĂŽles » ou « piliers » de lâanalyse, puis en les reliant Ă lâaide de flĂšches
à double sens, pour bien indiquer les relations réciproques.
Nous suggĂ©rons pour notre part quatre pĂŽles: les buts, lâactivitĂ©, lâorganisation, lâenvironnement,
dans le schéma ci-dessous, que nous compléterons lors du dernier chapitre :
- 36. Michel Marchesnay
36
Notre cheminement nous conduira assez largement dans lâitinĂ©raire suivant, sur les dix chapitres Ă
venir (numérotés de 2 à 10) :
Environnement Organisation
Buts
Activité
- 38. Michel Marchesnay
38
Courants et écoles ModÚles représentatifs Auteurs représentatifs Observations
Design School de Harvard
Corporate Strategy
SOWT (Forces, Faiblesses, Menaces,
Opportunités)
Andrews Ă©quipe de Harvard 1960-
1965
Approche rationnelle
«conceptuelle» pour Mintzberg
Planification stratégique ModÚle de planification Ansoff Ackoff 1965-1975 Approche systématique et analytique
« formelle » pour Mintzberg
Business Strategy
Stratégies opérationnelle
Marketing stratégique
ModĂšles de portefeuille
ModĂšles de positionnement
Stratégies génériques
Levitt, Kotler
Henderson 1965-1980
Abell
Grilles, check lists
Processus « analytique » pour Mintzberg
Management stratĂ©gique Domaines dâactivitĂ©s stratĂ©giques Hofer et Schendel 1978
Stratégies de développement ModÚles de croissance :
Ăconomiques, financiers, organisationnels,
etc.
Ansoff, Marris, Penrose
1960-1970
Forte diversité des approches.
Non mentionné par Mintzberg
Courant environnemental ModĂšles dâĂ©conomie et dâorganisation
industrielles
Approche Ă©volutionniste
Transaction
Porter 1975-1990
Nelson, Winter 1980-1990
Williamson 1975-1990
Conflit entre les approches déductives
(déterministes) et empiriques
(contingentes) qualifié de « processus
passif » (?) par Mintzberg
Courant organisationnel ModÚle de capacités
ModĂšles contingents
Transaction (interne) et Ă©conomie des
organisations
Mintzberg
Lawrence et Lorsch
Chandler, Cyert et March
1960-1990
Grande diversité des approches.
Mintzberg retient lâapproche « politique »
et « culturelle »
Courant décisionnel ModÚle IMC et heuristique de la décision.
Processus de prise de décision individueks
et organisationnels
Simon et Mintzberg
Crozier 1955-1990
Approche empirique. Mintzberg distingue
les approches «cognitives» et
«dâapprentissage»
Courant entrepreneurial Typologies dâentrepreneurs Smith, Gasse 1960-1990 Approche typologique
Processus « visionnaire »
- 39. Management Stratégique
39
CHAPITRE 2.
LA POLITIQUE GENERALE (CORPORATE STRATEGY)
Lâapproche la plus classique de la stratĂ©gie, et apparemment la plus logique, trouve ses origines dans
les enseignements de lâUniversitĂ© Harvard, dĂšs la fin des annĂ©es 50. La Harvard Business School
forme de futurs dirigeants ou cadres (trĂšs) supĂ©rieurs de (trĂšs) grandes entreprises : lâobjectif de
lâenseignement est de les prĂ©parer aux tĂąches de dĂ©finition de la politique gĂ©nĂ©rale, sous le contrĂŽle de
lâĂ©quivalent du conseil dâadministration, qui reprĂ©sente les actionnaires. Le but de la politique gĂ©nĂ©rale
est donc simple : il sâagit de maximiser la valeur des actions, ce qui revient Ă maximiser le profit. Par
ailleurs, ces grandes entreprises sont en fait des groupes de sociétés, qui fabriquent, conçoivent et
vendent une multitude de produits, dans des secteurs trÚs différents: les stratégies au niveau de chacun
de ces produits-marchĂ©s doivent ĂȘtre cohĂ©rentes avec la « grande stratĂ©gie » Ă©laborĂ©e au niveau de la
Direction générale (distinction de la Corporate Strategy et de la Business Strategy). On voit donc dans
quel esprit ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s les modĂšles qui vont suivre, ce qui nous permettra dâen souligner les
limites.
- 40. Michel Marchesnay
40
LES MODELES DOMINANTS
Le modÚle le plus connu a été élaboré initialement par Learned, Christensen, Andrews et Guth,
professeurs Ă Harvard : dâoĂč le nom de modĂšle « LCAG » qui lui est donnĂ©. Lâauteur le plus marquant
est sans doute Kenneth Andrews, auteur dâun Concept of Corporate Strategy, qui a fait lâobjet dâune
nouvelle Ă©dition rĂ©cente, ouvrage qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme la « Bible » en la matiĂšre.
LâidĂ©e de dĂ©part est fort logique : la prise de dĂ©cision stratĂ©gique consiste Ă formuler des buts
généraux au préalable, à identifier les problÚmes stratégiques majeurs, à choisir la meilleure solution et
Ă la mettre en oeuvre. La plupart des manuels de stratĂ©gie nord-amĂ©ricains sâappuient peu ou prou sur
ce canevas :
Formulation ->
du but
Identification ->
du problĂšme
Proposition ->
de solutions
alternatives
Evaluation -> Choix -> Mise en oeuvre
Dans la version actualisée du modÚle, les auteurs soulignent que le processus se heurte aux
problĂšmes suivants :
â Une fois le but gĂ©nĂ©ral dĂ©terminĂ©, on se heurte Ă la multiplicitĂ© des objectifs (on
reviendra sur la liaison complexe buts-objectifs).
â Lâidentification du problĂšme clĂ© et des options se heurte Ă lâignorance partielle
(information limitée au sens de Simon).
- 41. Management Stratégique
41
â Le choix de la solution repose sur des critĂšres tirĂ©s de la thĂ©orie financiĂšre
(maximisation de la valeur de lâaction). Mais ces critĂšres doivent tenir compte des problĂšmes
occasionnés par la nature des compétences distinctives, par la recherche de synergies, par
lâincertitude sur les cash flows futurs.
Toutefois, ces limites ne semblent pas remettre en cause le modĂšle gĂ©nĂ©ral dâAndrews :
Identifier
les objectifs,
la stratégie et
les politiques
Opportunités
et menaces
stratégiques
majeures
Identifier
les stratégies
alternatives
Prise de
décision
stratégique
Objectifs,
stratégie et
politiques
révisés
Analyse de
lâenvironnement
Analyse des
ressources
Valeur de la
direction
Responsabilité
sociale
- 42. Michel Marchesnay
42
Ce modÚle porte parfois le nom de modÚle « SWOT », car il met en balance les « forces » (strength) et
« faiblesses » (weakness) au sein de lâorganisation, et les « menaces » (threat) et « opportunitĂ©s »
(opportunity) dĂ©tectables dans lâenvironnement.
Dâautres prĂ©sentations de la corporate strategy sont Ă©galement offertes par les auteurs de Harvard.
Par exemple :
FORMULATION
(DĂ©cider que faire)
1- Identification
Opportunité/risque
2- DĂ©termination des
ressources matérielles,
techniques, financiĂšres et
managériales de la société
3- Valeurs personnelles et
aspirations des dirigeants
4- Prise en compte de la
responsabilité non
Ă©conomique envers la
Société
CORPORATE
STRATEGY
Ensembles de projets
(purposes) et de politiques
définissant la société et son
domaine dâactivitĂ©.
MISE EN OEUVRE
5- Structures et
relations/organisation :
âą Division du travail
âą Coordination de la
responsabilité partagée
âą SystĂšmes dâinformation
6- Processus et comportements
organisationnels
âą Standards et mesures
âą Motivations et systĂšmes
dâincitation
âą SystĂšmes de contrĂŽle
⹠Recrutement et développement
des cadres
7- Direction au sommet
Stratégique
Organisationnelle
Personnelle
- 43. Management Stratégique
43
Les auteurs explicitent Ă©galement lâanalyse « SWOT », laquelle doit aboutir Ă la stratĂ©gie
« Ă©conomique », câest-Ă -dire au choix des produits et des marchĂ©s :
CONDITIONS ET
TENDANCES DE
LâENVIRONNEMENT
(Ăconomiques,
politiques, techniques,
sociales)
OPPORTUNITĂS
ET RISQUES
(Identification,
recherche, repérage du
risque)
PRISE EN COMPTE
DE TOUTES LES
COMBINAISONS
ĂVALUATION DE LA
MEILLEURE
CONFRONTATION
CHOIX DES
PRODUITS ET DES
MARCHĂS
COMPĂTENCE
DISTINCTIVE
(Capacité : financiÚre,
managériale, fonctionnelle,
organisationnelle)
(Communauté, Nation,
Monde)
(RĂ©putation, histoire)
RESSOURCES DE LA
SOCIĂTĂ
Renforçant ou limitant
lâopportunitĂ©.
Identifiant les forces et les
faiblesses.
Programmant un
accroissement de capacité.
- 44. Michel Marchesnay
44
Au total, lâanalyse « SWOT » tirĂ©e de lâapproche LCAG peut se rĂ©sumer Ă lâaide du schĂ©ma suivant
:
BUTS
DIAGNOSTIC :
ENVIRONNEMENT :
MENACES,
OPPORTUNITĂS
ORGANISATION :
FORCES, FAIBLESSES
CHOIX STRATĂGIQUES :
(BUSINESS STRATEGY)
OBJECTIFSDOMAINES DâACTIVITĂ PLAN DâACTION ET
PROGRAMMES
PRĂVISIONNELS
Croissance,
Diversification,
etc
(Produits-Marché)
- 45. Management Stratégique
45
Cette démarche semble fort logique ; on retrouve notamment le lien « vertical » entre le choix des
buts et le plan, et le lien « horizontal » entre lâavantage concurrentiel de lâorganisation et le
positionnement concurrentiel dans lâenvironnement. Ces deux liaisons alimentent largement les grands
dĂ©bats en stratĂ©gie. Il nâen reste pas moins que cette analyse, qui a dĂ©jĂ trente ans dâexistence au bas
mot, a subi des aménagements, voire des critiques des plus vigoureuses.
PROLONGEMENTS ET CRITIQUES
Critiques dâordre mĂ©thodologique
Examinons dâemblĂ©e les critiques qui sont faites actuellement de la façon dont lâenseignement de la
stratégie a été abordé pendant longtemps. La critique essentielle vient de ceux qui estiment que le
problĂšme fondamental est de comprendre et dâĂ©tudier comment sont prises les dĂ©cisions stratĂ©giques,
quel est le processus effectivement suivi par les dĂ©cideurs. En cela, ils sâopposent aux spĂ©cialistes qui
mettent en avant une démarche trÚs logique, trÚs cartésienne, consistant à analyser les problÚmes, en se
rĂ©fĂ©rant Ă des modĂšles de dĂ©marche, afin de rationaliser les choix stratĂ©giques. Dâun cĂŽtĂ©, les uns
prÎnent une démarche « gradualiste », ou « émergente », ou « incrémentale », car ils estiment que les
problĂšmes stratĂ©giques doivent ĂȘtre abordĂ©s en permanence dans lâentreprise ; les autres prĂŽnent une
démarche « rationaliste », « procédurale », car ils estiment que les problÚmes stratégiques doivent faire
- 46. Michel Marchesnay
46
lâobjet de choix dĂ©libĂ©rĂ©s, planifiĂ©s, et lourdement argumentĂ©s. Comme on le verra dans le chapitre 8,
les deux approches ne sont pas si inconciliables quâil y paraĂźt.
Il nâempĂȘche que lâattitude trĂšs rationalisatrice a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e Ă partir des travaux de lâĂcole de
Harvard. Lâobjet de la Business School est de former des dirigeants de trĂšs grandes entreprises, de les
habituer à la prise de décisions de portée générale. Le modÚle LCAG et sa version « SOWT »
constitue un cadre sur lequel doit sâappuyer le diagnostic, puis la dĂ©tection du problĂšme, puis
lâexamen des solutions possibles, et, enfin, le choix de « la » solution. Les Ă©tudiants disposent de cas
extrĂȘmement complets, le plus souvent de grandes entreprises ou organisations (hĂŽpitaux, par
exemple), dans lesquels se trouvent toutes les informations nécessaires. Il leur faut arriver à une
solution dans un dĂ©lai donnĂ©. Lâenseignement magistral, en MBA, reste limitĂ©.
Ce type dâenseignement de la stratĂ©gie est de plus en plus contestĂ©, en particulier par les
« incrĂ©mentalistes » â notamment Henry Mintzberg, qui a brocardĂ© la Design School. Les objections
fondamentales sont les suivantes :
â Cette mĂ©thodologie laisse entendre que les dĂ©cisions stratĂ©giques sont, et doivent ĂȘtre,
prises de façon rationnelle, logique. Or, nous dit Mintzberg, elles sont prises, mĂȘme pour les
plus importantes, de façon artisanale et intuitive. Les raisons en sont fort simples :
âą Tout dâabord, le dĂ©cideur ne dispose jamais de toutes les informations nĂ©cessaires et
utiles. Parfois, il en a trop, mais souvent, il nâen a pas assez : par exemple, sur lâĂ©volution
future, sur les intentions ou les rĂ©sultats des concurrents. Bref, lâinformation est limitĂ©e, ce
qui limite la rationalité.
- 47. Management Stratégique
47
⹠Les décisions prises ne sont jamais linéaires: il faut « reboucler » en arriÚre, revenir
sur des hypothĂšses, sur des dĂ©cisions, au vu de rĂ©sultats ou dâĂ©vĂ©nements nouveaux. En
particulier, les décisions prises entraßnent des réactions, et des modifications de
lâenvironnement. Bref, le processus est plutĂŽt systĂ©mique.
Aussi, le rĂŽle du flair, de lâexpĂ©rience du dirigeant est-il essentiel, comme on le verra dans
les derniers chapitres. Il sâagit de faire travailler la partie droite du cerveau (intuitive), plutĂŽt
que la partie gauche (analytique) selon une image (dâailleurs contestable au plan
scientifique...).
â En second lieu, cette mĂ©thodologie est appliquĂ©e Ă de grandes entreprises, qui maĂźtrisent
largement leur secteur dâactivitĂ©, mĂȘme si elles sont en concurrence intense. Lâenvironnement
est donnĂ©, sa structure est stable, et il dĂ©termine lâaction de lâentreprise, si elle veut maximiser
son profit. Dans la rĂ©alitĂ©, lâenvironnement est trĂšs instable, et mĂȘme discontinu : cela est dĂ»
au fait que des modifications brutales, des ruptures sont apparues à la fin des années 70 dans la
technologie et dans les modes de consommation des pays industrialisés. En fait, le modÚle
LCAG est valable surtout pour les industries de grande consommation oĂč les grandes
entreprises dominent leur marchĂ© â biens alimentaires (ex : NestlĂ©), lessives et dĂ©tergents
(Procter et Gamble), etc.â le plus souvent Ă quelques-uns. Il sâagit avant tout de gagner ou de
préserver des parts de marché.
Ceci ne concerne quâun petit nombre dâentreprises. LâĂ©crasante majoritĂ© des dĂ©cisions
stratĂ©giques sont prises en incertitude forte sur lâenvironnement. On ne peut se contenter de
planifier des actions : il faut sâadapter en permanence. Or, la dĂ©marche LCAG laisse entendre
- 48. Michel Marchesnay
48
que « lâintendance suivra » sans problĂšme, quâil suffira de planifier la mise en oeuvre Ă lâaide
de procĂ©dures appliquĂ©es dans lâorganisation. Mintzberg a beau jeu de montrer que les grandes
organisations ont connu dâĂ©normes difficultĂ©s Ă sâadapter aux ruptures stratĂ©giques (IBM Ă©tant
en lâespĂšce un cas dâĂ©cole). En dâautres termes, la flexibilitĂ© stratĂ©gique est incompatible avec
la démarche rationnelle.
â En troisiĂšme et dernier lieu, cette dĂ©marche laisse entendre quâil y a « la » solution, en
quelque sorte cachĂ©e, mais que lâon doit retrouver grĂące Ă un raisonnement logique. Dans la
réalité, le décideur recherche une solution, aussi satisfaisante que possible: satisfaisante pour
lui, dans la mesure oĂč elle lui permet dâaller vers ses objectifs, voire de rĂ©aliser ses aspirations
; satisfaisante pour son entourage, dans la mesure oĂč elle aboutit Ă des performances «
positives ». A notre sens, cette critique est essentielle au stade de lâinitialion Ă la stratĂ©gie :
lâĂ©tudiant (bien souvent sĂ©lectionnĂ© sur des aptitudes logiques) sâattend Ă devoir trouver « la »
solution du cas, ce qui ne va pas sans quiproquos et frustrations... au point quâHenry
Mintzberg sâest demandĂ© sâil fallait conserver cet enseignement en MBA... La frustration peut
venir Ă©galement de chefs dâentreprise qui ont recours Ă des consultants en stratĂ©gie
dâentreprise: pour lâĂ©viter, les sociĂ©tĂ©s de conseil prĂ©fĂšrent recourir Ă des « grilles » et «
modĂšles » qui rationalisent les propositions... et rassurent leurs clients, tout en sâintĂ©grant dans
leurs propres procĂ©dures de formation et dâĂ©valuation de leurs conseillers.
Bref, le dĂ©bat entre « rationalistes » et « incrĂ©mentalistes » nâest pas clos...
- 49. Management Stratégique
49
La méconnaissance des buts
Lâapproche prĂ©conisĂ©e dans le modĂšle LCAG repose sur une croyance fondamentale Ă lâefficience
du marché et de la concurrence dans une économie capitaliste, fondée sur la propriété privée des
moyens de production. Le processus de valorisation des capitaux engagés dans la production se réalise
de la façon suivante :
Les capitaux financiers servent à acquérir des ressources (matérielles, humaines, financiÚres et
dâinformation) qui sont gĂ©rĂ©es au sein dâune organisation de la façon la plus efficiente possible; elles
permettent dâoffrir sur les marchĂ©s des biens et des services, au-delĂ de la rĂ©munĂ©ration « normale »
RISQUE
Investissement
MARCHĂ
Innovation
INCERTITUDE
Rentabilité
PROFIT
ORGANISATIONCAPITAUX
- 50. Michel Marchesnay
50
des capitaux et du travail du chef dâentreprise, un surprofit apparaĂźt transitoirement, du fait de
lâinnovation, selon la thĂšse centrale de Schumpeter, ce qui accroĂźt la rentabilitĂ© des capitaux. Trois
personnages se profilent ainsi : le capitaliste, le manager et lâinnovateur (« lâentrepreneur »).
Dans la grande entreprise capitaliste, on suppose que les managers sont au service des capitalistes :
ceux-ci sont reprĂ©sentĂ©s par le conseil dâadministration, qui veille Ă ce que les dirigeants dĂ»ment
mandatés valorisent leurs capitaux, en cherchant à maximiser le profit. Pour les sociétés anonymes par
action, cela revient Ă maximiser la capitalisation boursiĂšre, câest-Ă -dire la valeur de lâaction et les
perspectives de plus-value sur revente : les critÚres financiers sont déterminants pour vérifier que le
but est atteint.
Cette hypothĂšse peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme « hĂ©roĂŻque ». Nombre dâauteurs ont mis en cause
lâunicitĂ© et lâunilatĂ©ralitĂ© de la fixation du but. Plus prĂ©cisĂ©ment, les objections sont les suivantes :
1°) La maximisation du profit nâest pas claire.
Il sâagit de savoir sâil sâagit du profit Ă court ou Ă long terme. En effet, la maximisation du
profit Ă court terme peut conduire Ă sous-estimer les besoins dâinvestissement, indispensables
pour la survie Ă long terme. Par exemple, lâentreprise doit accroĂźtre ses parts de marchĂ©: elle
doit engager des dépenses de modernisation, de publicité, de formation, etc., qui seront
payantes ultérieurement. Une logique purement financiÚre pourra conduire à refuser ces
dépenses, pour ne pas mécontenter les actionnaires, au nom de la sacro-sainte loi du marché.
- 51. Management Stratégique
51
Le modĂšle LCAG nâaborde ce problĂšme quâau travers de la thĂ©orie financiĂšre pure, laquelle
suppose la connaissance parfaite des profits futurs.
2°) La maximisation du profit nâest pas opĂ©rationnelle.
Dans la thĂ©orie des marchĂ©s, lâoptimisation est liĂ©e Ă une connaissance parfaite de toutes les
données du problÚme. En réalité, les connaissances sont imparfaites, la rationalité des
décisions est donc limitée et les dirigeants rechercheront des solutions satisfaisantes.
Par ailleurs, le choix du taux de profit visĂ© sera lâobjet de nĂ©gociations dans lâorganisation.
Chaque division produit/marché fixera ses propres objectifs de profit, et le profit global sera
une rĂ©sultante: les membres de lâorganisation, en dâautres termes, ont leur mot Ă dire, comme
les actionnaires.
3°) 11 faut tenir compte de la relation entre la propriété et la direction.
Vers 1930, des auteurs américains ont montré que les décisions stratégiques appartenaient,
dans une grande majoritĂ©, aux dirigeants salariĂ©s des grandes entreprises : celles-ci nâĂ©taient
pas totalement contrÎlées par les actionnaires, trop nombreux, absentéistes et dispersés (le
capital est « diluĂ© »). Or, ces managers vont privilĂ©gier dâautres buts: la croissance, leur
revenu monétaire et autre (la « compensation »), etc., et ce, au détriment du profit maximum.
Cette thĂšse, appelĂ©e managĂ©rialisme, doit ĂȘtre sĂ©rieusement nuancĂ©e :
- 52. Michel Marchesnay
52
â La recherche du plus grand profit possible est dâautant plus plausible que le
propriétaire et le dirigeant sont confondus, comme dans la petite entreprise. Toutefois,
on verra au chapitre VIII que les aspirations sont beaucoup plus complexes.
â Le dirigeant recherchera dâautant plus le profit maximum quâil sera Ă©troitement
contrÎlé par les propriétaires-actionnaires, et que ceux-ci sont sensibles à la
valorisation de leurs capitaux. Les cas tes plus courants sont les suivants:
âą Le dirigeant est contrĂŽlĂ© par la famille. Ce peut ĂȘtre le cas de PME, mais aussi
de trĂšs grandes entreprises, car le capitalisme familial est encore trĂšs vivace.
âą Le capital est contrĂŽlĂ© par un bloc dâactionnaires, qui recherchent un profit
immédiat ou à plus long terme, et entendent juger le dirigeant et son équipe sur ses
performances financiĂšres.
âą Le capital est soumis Ă des pressions violentes en Bourse, de la part
notamment de concurrents dĂ©sireux de racheter Ă bon prix lâentreprise: moins elle
offre de profit à ses actionnaires, moins sa valeur est élevée, et plus elle risque une
attaque boursiĂšre (Offre Publique dâAchat).
â Le dirigeant recherchera dâautant moins le profit Ă court terme que:
âą ses performances seront Ă©valuĂ©es sur dâautres critĂšres (croissance, excellence
technique, paix sociale, etc.);
⹠le capital sera dilué dans le public;
- 53. Management Stratégique
53
⹠les actionnaires attendent des revenus stables, réguliers et sûrs (cas des «
actionnaires dormants » : banques, compagnies dâassurance, pour les grands
groupes ; héritiers lointains pour les entreprises familiales);
⹠le capital est protégé par des artifices (« pilules empoisonnées ») ou dispose
dâalliĂ©s, en cas dâĂ©ventuelles attaques boursiĂšres (« chevaliers blancs »).
Dans la réalité, on constate que les choses sont fort complexes : ainsi, les entreprises passent par des
stades dâaccumulation, dâinvestissements stratĂ©giques importants, puis de valorisation, avec
distribution de bénéfices, comme le montre la grille BCG (chapitre IV).
Au total, lâidentification au seul but de maximisation du profit, considĂ©rĂ© comme lâobjet ultime de
toute entreprise capitaliste, méconnaßt les processus concrets de fixation des buts au sein des
organisations. Au demeurant, les tenants de lâapproche rationaliste se sont efforcĂ©s dâintĂ©grer dâautres
institutions, telles les organisations Ă but non lucratif.
La mĂ©connaissance de lâenvironnement
Dans cette approche, lâenvironnement est vu comme une entitĂ© faite de menaces et
« dâopportunitĂ©s » (terme franglais, mais hĂ©las consacrĂ©...), que lâon peut repĂ©rer sur la base de faits et
dâobservations quantifiĂ©es (bilans, parts de marchĂ©, etc.). Plus simplement, lâenvironnement est
assimilé au marché et aux concurrents. Par ailleurs, le jeu du marché, sa structure, sont censés imposer
largement Ă lâentreprise les limites de sa stratĂ©gie. Les critiques ont Ă©tĂ© dans deux directions :
- 54. Michel Marchesnay
54
â Dâune part, lâenvironnement concurrentiel est beaucoup plus complexe. Ce sera lâun
des apports de Michael Porter, lors de son intĂ©gration dans lâĂ©quipe de Harvard, au cours des
annĂ©es 80, de montrer que lâindustrie oĂč opĂšre lâentreprise est soumise Ă de multiples
pressions concurrentielles, qui ne se limitent pas au seul jeu de la concurrence directe. Par
ailleurs les stratégies concurrentielles ne se limitent pas à la seule « lutte à couteaux tirés » :
les entreprises ont besoin de stabilité, et préfÚrent souvent la collusion (évitement du conflit),
voire la coopération. Bien plus: par leurs stratégies, elles modÚlent les structures de leur
industrie ; à des stratégies différentes, correspondent des positionnements concurrentiels
différents, comme on le verra dans le chapitre six. Bref, au déterminisme de la stratégie sous-
jacent dans le modĂšle LCAG, rĂ©pond, dans lâanalyse stratĂ©gique moderne, une vision
beaucoup plus contingente des choix concurrentiels. Au demeurant, lâaffirmation pĂ©remptoire,
selon laquelle les structures du marché déterminent le type de concurrence, et, partant, les
performances de lâentreprise, relĂšve davantage dâune conviction idĂ©ologique que dâune
démarche scientifique...
â Dâautre part, il faut aller au-delĂ de lâenvironnement concurrentiel, et tenir compte de
lâenvironnement sociĂ©tal. Dans le modĂšle dâAndrews ci-dessus, la SociĂ©tĂ© est apprĂ©hendĂ©e
sous lâangle des valeurs, afin de prĂ©ciser dans quelles mesures celles-ci influencent le choix
des plans dâaction, mais aprĂšs que les buts et que le diagnostic ont Ă©tĂ© dĂ©finis. Ceci correspond
en fait Ă une sociĂ©tĂ© ultralibĂ©rale, oĂč les lois Ă©conomiques du marchĂ© imposent des buts
indépendamment des valeurs sociales. Cette conception a subi, au cours des années 70, et, a
fortiori, des années 80, de trÚs vives critiques fondées sur les arguments suivants :
- 55. Management Stratégique
55
⹠Les valeurs de la société libérale de consommation ont été remises en cause:
excĂšs dâhĂ©donisme et dâindividualisme, absence de prise en cause des prĂ©occupations
sociales (inĂ©galitĂ©s, discrimination) et Ă©cologiques. Cette remise en cause est telle quâon
peut parler dâune situation dâanomie, câest-Ă -dire dâune difficultĂ© Ă fonder la SociĂ©tĂ©
industrielle sur des valeurs communes, comme le rĂ©vĂšle lâimportance du phĂ©nomĂšne
Ă©cologique, les nouvelles attitudes face aux structures familiales, au travail, Ă lâidentitĂ©
nationale, Ă lâenvironnement, etc. Ces diverses crises dâidentitĂ© remettent en cause le
seul but de maximisation du profit, mĂȘme si lâidĂ©ologie de marchĂ© a connu au cours des
annĂ©es 80 un regain de faveur (dĂ» notamment Ă lâĂ©chec des Ă©conomies planifiĂ©es).
âą Ces valeurs, en consĂ©quence, doivent influencer les buts de lâentreprise. Cette
rĂ©habilitation sâest opĂ©rĂ©e au travers de la notion de responsabilitĂ© morale de lâentreprise
et de ce que lâon a appelĂ© la « vague Ă©thique » dans les mĂ©dias.
Mais il convient de bien préciser des termes souvent confondus.
Dans notre systÚme philosophique dominant, un jugement moral répond à la question de savoir ce
qui est « bien » ou « mal », « juste » ou « injuste » (comme le jugement esthétique ou logique). Un
comportement éthique est évalué à partir de ces critÚres moraux : chaque individu ou organisation aura
sa propre éthique, évidemment influencée par ceux-ci (chacun perçoit différemment ce qui est bien ou
mal, selon notamment la sociĂ©tĂ© oĂč il vit, son caractĂšre, sa culture). Par exemple, on peut porter un
jugement moral sur des comportements en affaire tels que : la vente de produits dangereux, le copiage
de logiciels de concurrents, le dĂ©bauchage de vendeurs de la concurrence, etc. Au mĂȘme titre que, par
- 56. Michel Marchesnay
56
rapport Ă la fraude aux examens, chaque Ă©tudiant a sa propre Ă©thique, mĂȘme sâil sait que cela est
immoral...
Le fait nouveau est que, dans lâidĂ©ologie libĂ©rale, on proclame que « Ethics pays » : face Ă la remise
en cause des valeurs hĂ©donistes, une entreprise « loyale », « honnĂȘte », etc., gagnera des clients et fera
plus de profit, ce qui va de pair avec la constatation selon laquelle lâavantage concurrentiel se fonde de
plus en plus sur les services fournis par, ou à cÎté du produit : il vaut mieux vendre des piles ayant
vraiment la durĂ©e dâusage annoncĂ©e â ce comportement Ă©thique sera rentable Ă terme. De mĂȘme,
vaut-il mieux vendre des produits « écologiques », etc.
Enfin, cette Ă©thique personnelle peut ĂȘtre canalisĂ©e au travers dâun code de dĂ©ontologie, commun Ă
une communauté (entreprise, organisation, profession), qui prescrit des rÚgles de comportement
collectives. Tel est le cas des Ordres professionnels (qui pourront justement limiter les excĂšs de la
concurrence).
Ces valeurs, propres Ă la SociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral, ou Ă lâentreprise, voire Ă une profession en particulier,
influenceront les buts des dirigeants.
Cette adĂ©quation des buts de la direction gĂ©nĂ©rale et des propriĂ©taires de lâentreprise pose la question
de la lĂ©gitimitĂ©. Celle-ci peut ĂȘtre dĂ©finie comme la raison dâĂȘtre de lâexistence de telle entreprise, en
tant quâinstitution sociale, dans une SociĂ©tĂ© donnĂ©e. Cette lĂ©gitimitĂ© repose sur des fondements
appelĂ©s Ă Ă©voluer, en mĂȘme temps que lâentreprise et que la SociĂ©tĂ©. Compte tenu des ruptures dans la
Société industrielle, on assiste à des remises en cause de légitimité. Ainsi, les producteurs de
détergents, trÚs légitimés dans la Société de consommation, sont fortement mis en cause dans une
SociĂ©tĂ© prĂ©occupĂ©e par les problĂšmes dâenvironnement.
- 57. Management Stratégique
57
Les dirigeants doivent alors faire passer un message â la philosophie de direction â qui exprime
les valeurs auxquelles lâentreprise adhĂšre. On retrouve cette prĂ©occupation dans les projets
dâentreprise. Cette communication sâadressera Ă©galement aux membres de lâorganisation. Cette
recherche de légitimisation est particuliÚrement délicate pour les entreprises multinationales qui se
trouvent dans des pays oĂč les diffĂ©rences culturelles peuvent se rĂ©vĂ©ler trĂšs fortes, suscitant des
rĂ©ticences (implantation dâEurodisney en France, par exemple).
Enfin, lâune des derniĂšres objections rĂ©side dans le fait que cette approche reste peu prolixe sur les
conditions de mise en oeuvre de la stratĂ©gie. Cette tĂąche est dĂ©volue aux planificateurs dâentreprise,
chargĂ©s de dĂ©terminer les objectifs qui seront assignĂ©s Ă tous les Ă©chelons de lâentreprise, selon des
procĂ©dures complexes. LâidĂ©e sous-jacente est que la « grande » stratĂ©gie est dĂ©volue aux dirigeants, la
mise en oeuvre Ă©tant le fait des opĂ©rationnels, avec lâaide et sous le contrĂŽle des fonctionnels.
Au cours des annĂ©es 70, on a tendu Ă adopter une dĂ©marche plus complexe, liĂ©e notamment Ă
lâexigence dâune dĂ©centralisation accrue des dĂ©cisions, en sorte que les niveaux dâexĂ©cution ont
accaparĂ© une partie de la dĂ©cision stratĂ©gique : ce que lâon appelle la business strategy. Le
management stratĂ©gique se prĂ©occupe alors largement de lâarticulation entre la corporate et la business
strategy. Ce sera lâobjet du chapitre suivant.
- 58. Michel Marchesnay
58
CHAPITRE 3.
LA PLANIFICATION STRATEGIQUE
Au cours des années 60, le problÚme de la stratégie est le plus souvent confondu avec celui de
lâĂ©dification dâun plan, et la mise en oeuvre de procĂ©dures budgĂ©taires. Ă la limite, une entreprise sans
plan est considĂ©rĂ©e comme nâayant pas de stratĂ©gie.
Il y a dans cette conception un fond de vĂ©ritĂ©. Mais, au cours des annĂ©es 70, les limites dâune telle
assimilation vont apparaĂźtre. Pour lâessentiel, lâidĂ©e majeure de cette remise en cause est que la
procĂ©dure de planification ne peut ĂȘtre isolĂ©e de lâensemble des problĂšmes dâordre stratĂ©gique qui se
posent Ă lâentreprise. Le plan ne devient alors quâun outil au service de lâarticulation entre la politique
gĂ©nĂ©rale (corporate strategy) et les stratĂ©gies dâactivitĂ© (business strategy), câest-Ă -dire au service du
management stratégique.
LA PLANIFICATION DâENTREPRISE (CORPORATE PLANNING)
La planification dâentreprise constitue une vĂ©ritable discipline de gestion, avec ses outils et ses
mĂ©thodes. Ses origines remontent au dĂ©but du siĂšcle. Le Français Henri Fayol dĂ©veloppe lâidĂ©e que
- 59. Management Stratégique
59
lâune des tĂąches de la direction gĂ©nĂ©rale consiste à « prĂ©voir » et à « contrĂŽler » : pour cela, il faut
fixer des objectifs, prévoir des moyens pour les réaliser, et vérifier que les dits objectifs ont bien été
rĂ©alisĂ©s. Fayol suggĂšre des plans Ă cinq ans, soumis Ă modifications annuelles, au vu de lâĂ©volution
interne et externe.
Ce souci de la planification va animer les tenants amĂ©ricains de lâĂcole du Management (Barnard,
Drucker) : le bon manager planifie ses activités. Cette idée, somme toute évidente, connaßt un grand
développement aprÚs la Seconde Guerre mondiale, pour les raisons suivantes :
â Les progrĂšs accomplis dans les techniques financiĂšres et comptables (notamment la
comptabilité analytique). La méthode du point mort se généralise dans les années 50, ainsi que
les mĂ©thodes de coĂ»t partiel (en France, Ă la fin des annĂ©es 60). lI en va de mĂȘme des critĂšres
financiers fondĂ©s sur les mĂ©thodes dâactualisation. Un vĂ©ritable corps de planificateurs
dâentreprises se met en place (une Association Française pour la Planification dâEntreprise â
AFPLANE â est crĂ©Ă©e).
â Lâaccroissement de la taille des entreprises, accompagnĂ© le plus souvent dâune extension
du champ de leurs activités, en termes géographiques, mais aussi en termes de produits
proposĂ©s. Câest en effet une pĂ©riode oĂč la croissance de la demande est forte et rĂ©guliĂšre.
LâĂ©lĂ©ment essentiel dâincertitude rĂ©side dans le dĂ©marrage de produits nouveaux, et les
conditions dâaccĂšs aux nouveaux marchĂ©s.
- 60. Michel Marchesnay
60
Mais ces grandes entreprises deviennent plus complexes dans leur organisation, et il convient
dâallouer de la façon la plus rationnelle possible les ressources dont elles ont besoin pour suivre les
perspectives de développement.
â Le dĂ©veloppement des techniques macro-Ă©conomiques de planification et de prĂ©vision
(comptabilité nationale, planification indicative) constitue un modÚle pour les grandes entreprises
gérées par des spécialistes (la technostructure, selon Kenneth Galbraith), qui privilégient un
modÚle technocratique de gouvernement des entreprises privées (en France, les entreprises
publiques et nationalisées seront planifiées trÚs rapidement, et serviront de modÚle aux autres
grandes entreprises).
â Le dĂ©veloppement des techniques quantitatives (mathĂ©matiques et statistiques) de
prĂ©vision et dâĂ©tudes de marchĂ©.
Pour ces diverses raisons, la planification dâentreprise se dĂ©veloppe dans les grandes entreprises,
entre 1950 et 1970. La démarche logique est trÚs simple, et consiste en trois étapes: élaboration
dâobjectifs, mise au point de programmes, Ă©tablissement de budgets.
1°) La premiĂšre Ă©tape consiste Ă Ă©tablir des objectifs. Ceux-ci doivent ĂȘtre distinguĂ©s des buts
gĂ©nĂ©raux que poursuit lâentreprise, tels que : rĂ©munĂ©rer convenablement les actionnaires, ĂȘtre le leader
sur son marché, voire assumer une responsabilité sociale ou satisfaire ses employés. Les objectifs sont
le plus souvent quantifiables (chiffre dâaffaires, profit, taux de croissance) et ils sont dĂ©limitĂ©s dans le
- 61. Management Stratégique
61
temps, généralement sur plusieurs années. Les objectifs sont ensuite « dynamisés », transformés en
actions précises, sous la forme de cibles précises, à plus court terme, à devoir atteindre.
2°) La seconde Ă©tape consiste Ă Ă©tablir des programmes dâaction. Ces programmes sont le plus
souvent Ă©tablis par fonctions majeures (programmes dâaction commerciale, de recrutement ou de
gestion du personnel, de production, etc.). Ils visent à atteindre certains résultats, à réaliser certaines
performances: si le but est dâĂȘtre plus compĂ©titif, lâobjectif sera une rĂ©duction du coĂ»t de production,
qui entraßnera des cibles de gains de productivité annuels, mais nécessitera des programmes
dâinvestissement en biens de production, de formation du personnel, de rĂ©organisation du travail, etc.
Ces programmes sont gĂ©nĂ©ralement Ă©laborĂ©s sur plusieurs annĂ©es. Ils sont chiffrĂ©s, dans la mesure oĂč
ils vont donner lieu à des engagements de dépenses pluriannuelles.
3°) Une fois déterminés les programmes, le plan est annualisé sous la forme de budgets. Ces budgets
sont décomposés par services, correspondant à une fonction précise: le responsable du service est
responsable de lâexĂ©culion du budget, et de lâatteinte des rĂ©sultats qui avaient Ă©tĂ© prĂ©alablement fixĂ©s.
4°) Ceux-ci sont exprimés sous une forme chiffrée: production, vente, rebut, productivité, kilomÚtres
parcourus, etc. Les performances sont analysĂ©es Ă lâissue de chaque annĂ©e, voire plus souvent. Les
écarts sont analysés (écarts en quantités et en valeur) par le contrÎleur budgétaire, afin de vérifier dans
quelle mesure le plan a été réalisé.
- 62. Michel Marchesnay
62
SchĂ©ma simplifiĂ© de planification dâentreprise
POLITIQUE GĂNĂRALE PLAN BUTS
GESTION PRĂVISIONNELLE
GESTION BUDGĂTAIRE
CONTRĂLE BUDGĂTAIRE
PROGRAMMES
BUDGETS
OBJECTIF
CIBLES
ĂCARTS
RĂVISION :
DISCIPLINE FONCTIONNELLE ĂTAPES INDICATEURS
âą des budgets (cibles)
âą des programmes (objectifs)
- 63. Management Stratégique
63
Cette conception de la planification dâentreprise est encore largement rĂ©pandue, notamment dans les
grandes entreprises trÚs formalisées. Toutefois, une telle conception du plan a subi de nombreuses
critiques au cours des années 1970. Les principales sont les suivantes :
â Le plan est trop facilement assimilĂ© Ă lâexistence de procĂ©dures de planification, câest-
Ă -dire Ă lâexplicitation Ă©crite de buts, dâobjectifs, de cibles Ă atteindre, et des moyens dây
parvenir. Cela revient Ă mettre lâaccent sur les procĂ©dures de formalisation, plutĂŽt que sur les
processus de formulation du plan, câest-Ă -dire de la stratĂ©gie. Par exemple, dans la conception
âprocĂ©duraleâ, on a coutume de dire que les PME nâont pas de stratĂ©gie, dans la mesure oĂč
elles nâont pas, bien souvent, de plan Ă©crit : or, une stratĂ©gie, comme on le verra tout au long
de cet ouvrage, nâest pas toujours totalement formulĂ©e pour un horizon de temps de plusieurs
années.
â Une telle conception conduit Ă accroĂźtre la lourdeur bureaucratique, Ă multiplier les
formulaires. Par ailleurs, ce que lâon a appelĂ© le « phĂ©nomĂšne bureaucratique » (Crozier)
apparaßt également dans les procédures de négociation des budgets, des objectifs alloués aux
services. Généralement, chaque service tend à gonfler ses demandes de ressources, à sous-
Ă©valuer les cibles Ă atteindre, etc. Il en dĂ©coule une sorte de « graisse » dans lâorganisation, des
ressources mal utilisĂ©es, ce que lâon appelle le « slack » organisationnel. La lourdeur
bureaucratique apparaĂźt Ă©galement dans le fait que lâon cherche avant tout Ă rĂ©aliser les
objectifs fixés, sans chercher à innover.
- 64. Michel Marchesnay
64
â Cette conception peut ĂȘtre qualifiĂ©e de technocratique, dans la mesure oĂč elle
privilĂ©gie lâoutil (la planification) par rapport aux fins (la stratĂ©gie). Elle laisse entendre que
les entreprises qui planifient, ont, ipso facto, une stratégie, et seront en conséquence plus
performantes que les entreprises qui ne planifient pas. Cette idée, largement répandue dans les
ouvrages de management au cours des années 70, est de nos jours vivement combattue : les
enquĂȘtes ne font pas apparaĂźtre a priori de supĂ©rioritĂ© manifeste des entreprises
« planificatrices », par rapport aux entreprises nâayant pas de plan Ă©crit.
â En fait, lâusage dâune planification dâentreprise est apparue comme une nĂ©cessitĂ© et un
progrÚs dans le management des grandes entreprises, situées dans des marchés plus ou moins
diversifiés, mais pour lesquels il existe une croissance stable, pas de grands changements
brutaux Ă prĂ©voir. Tel Ă©tait le cas des industries de lâaprĂšs-guerre, de 1945 Ă 1975 (les « Trente
Glorieuses »), pour lesquelles lâĂ©volution de lâenvironnement (la demande, la technologie, la
concurrence, etc.) Ă©tait assez facilement prĂ©visible. Il nâen va plus de mĂȘme au cours des
années 70, marquées par des ruptures brutales (crise pétroliÚre, innovations majeures, telle la
puce Ă©lectronique), et une succession de perturbations qui vont atteindre toutes les industries.
Or, les entreprises Ă planification lourde seront justement celles qui auront le plus de
difficultĂ©s Ă modifier leur stratĂ©gie et Ă sâadapter aux discontinuitĂ©s stratĂ©giques. DĂ©sormais, la
planification doit intégrer la dimension environnementale : on passe alors à la planification
stratégique.
- 65. Management Stratégique
65
LA PLANIFICATION STRATEGIQUE (STRATEGIC PLANNING)
II revient Ă lâAmĂ©ricain Igor Ansoff dâavoir dĂ©veloppĂ© la notion de planification stratĂ©gique au
cours des années 70. Les avancées essentielles sont les suivantes :
â La planification ne peut plus ĂȘtre conçue dans une hypothĂšse dâenvironnement stable.
Il faut prendre en compte lâenvironnement et ses discontinuitĂ©s. Celles-ci se manifestent par le
fait que cet environnement est devenu plus complexe (plus dâacteurs, plus dâinter-relations
entre ces acteurs) et turbulent (changements plus frĂ©quents et plus profonds quâauparavant).
â Ă cĂŽtĂ© des procĂ©dures de planification, qui impliquent la rĂ©daction dâun plan Ă©crit, la
formulation explicite de buts et dâobjectifs, des directives adressĂ©es aux Ă©chelons infĂ©rieurs de
la hiérarchie, des systÚmes de contrÎle aussi explicites que possible, etc., il convient de mettre
lâaccent sur les processus de mise en oeuvre de ces procĂ©dures, dans la mesure oĂč ce sont ces
processus de choix, de prise de dĂ©cision et de vĂ©rification qui contribuent Ă expliciter, Ă
Ă©lucider ce que sera la stratĂ©gie poursuivie par lâentreprise au cours des prochaines annĂ©es. Par
« processus », il faut entendre les points suivants:
⹠Le processus a un caractÚre quasi analytique, voire « non analytique », selon
Ansoff : les informations sont entachĂ©es dâincertitude. DâoĂč le caractĂšre heuristique de
la prise de décision : on a recours à de multiples critÚres, pas toujours quantitatifs,
pour trier les informations, choisir des options et décider de celle qui sera retenue.
âą Le processus a un caractĂšre adaptatif: le plan nâest pas dĂ©terminĂ© une fois pour
toutes. Lâentreprise procĂšde par approximations successives, par essais-erreurs et
- 66. Michel Marchesnay
66
corrections. De mĂȘme, la hiĂ©rarchisation buts-objectifs programmatiques-cibles
annuelles est amendée par la possibilité de reboucler, de revenir sur des options prises
Ă un niveau supĂ©rieur, de remettre en cause des choix stratĂ©giques. Bref : lâentreprise
doit ĂȘtre en mesure de faire preuve de « rĂ©activitĂ© » forte, face Ă des Ă©vĂ©nements
perturbateurs (les « discontinuités stratégiques »). Le processus est donc structuré,
dĂ©cortiquĂ©, en une sĂ©rie dâĂ©tapes qui donnent lieu Ă des Ă©valuations de cohĂ©rence et de
faisabilité.
Le schĂ©ma ci-aprĂšs, inspirĂ© des modĂšles beaucoup plus complexes prĂ©sentĂ©s par Ansoff lui-mĂȘme,
montre le cheminement du processus dâĂ©laboration de la planification stratĂ©gique. Le plan stratĂ©gique
nâest que la rĂ©sultante dâune succession de choix, impliquant Ă©ventuellement un retour en arriĂšre pour
assurer la cohĂ©rence et la faisabilitĂ©. Une fois les objectifs fixĂ©s (qui pourront ĂȘtre remis en cause Ă
lâissue de lâexĂ©cution du plan), on procĂšde Ă une analyse « SWOT » (cf. chapitre prĂ©cĂ©dent), qui
dĂ©bouche, une fois les ajustements faits, sur des perspectives dâexpansion et de diversification.
- 67. Management Stratégique
67
OBJECTIFS
POTENTIEL DE
LâINDUSTRIE
FORCES ET
FAIBLESSES
PRĂVISIONS
EXPANSION ET
DIVERSIFICATION
OBJECTIFS
RĂVISĂS
PHILOSOPHIE DES
OBJECTIFS DĂCISION DE DIVERSIFICATION
SYNERGIE STRUCTURE DĂCISION
STRAT.
ADM.
STRAT.
FIN. OBJECTIFS
STRATĂGIE
PRODUIT-
MARCHĂ
BUDGET
STRATĂGIQUE
«MAKE
OR BUY» SYNERGIE
AVANTAGE
CONCUR-
RENTIEL
CHAMP ET
VECTEUR DE
CROISSANCE
FAISABILITĂ ET
ALTERNATIVES
PLAN STRATĂGIQUE
RESSOURCES
DISPONIBLES
- 68. Michel Marchesnay
68
Ces perspectives ne deviennent vĂ©ritablement objectifs quâaprĂšs vĂ©rification des synergies possibles.
La synergie est définie par Ansoff comme la rÚgle du « 2 + 2 = 5 » : les activités additionnelles
viennent renforcer la compétitivité des activités existantes (ce point sera développé dans le chapitre
consacré aux stratégies de croissance). La concrétisation de ces objectifs révisés implique de se poser
des questions de faisabilité, en fonction des ressources existantes, de délimitation du champ
stratégique et des axes de croissance (existe-t-il un « fil conducteur », un axe directeur ?), de définition
de lâavantage concurrentiel, de choix entre faire soi-mĂȘme ou acheter. Une fois ces choix fixĂ©s, les
actions dĂ©limitĂ©es, il reste Ă mettre en oeuvre ces options au travers dâun plan stratĂ©gique ; on retrouve
alors la procĂ©dure Ă©voquĂ©e prĂ©cĂ©demment, Ă savoir, lâĂ©laboration de programmes dâaction
commerciale (« stratĂ©gie produit-marchĂ© »), dâorganisation (« stratĂ©gie administrative »), financiers
(« stratégie financiÚre »), qui se concrétisent dans le budget « stratégique » (appelé ainsi dans la
mesure oĂč il dĂ©coule de choix stratĂ©giques).
Cette approche de planification stratégique constitue un indéniable progrÚs par rapport aux méthodes
traditionnelles de planification dâentreprise. Toutefois, elle a encouru un certain nombre de critiques :
â En dĂ©pit du recours Ă lâanalyse dâĂ©carts (« gaps ») la mĂ©thode reste encore largement
linéaire et analytique. En décomposant les étapes du processus, celui-ci risque rapidement de
se transformer en procĂ©dures de diagnostic et de dĂ©cision â sans doute contre le voeu
dâAnsoff lui-mĂȘme.
â Le processus reste peu explicite sur les conditions de mise en oeuvre de la planification
stratégique, qui semble aller de soi. Cette vision reste finalement trÚs mécaniste et trÚs
rationnelle. Cette mĂ©thode ignore les problĂšmes posĂ©s au sein de lâorganisation.
- 69. Management Stratégique
69
â Enfin, la mĂ©thode nâexpose que de façon sommaire les problĂšmes posĂ©s par
lâenvironnement Celui-ci reste peu spĂ©cifiĂ©, mal inventoriĂ©.
II faut ajouter que les expressions utilisées par Ansoff, intéressantes par leur caractÚre trÚs suggestif
(« synergie », « rĂ©activitĂ© », etc.), restent mal dĂ©finies et finalement peu opĂ©rationnelles, mĂȘme si elles
ont contribué à faire formidablement avancer la réflexion stratégique au cours des années 70.
Câest pourquoi, Ă partir du congrĂšs de Pittsburgh (Ătats-Unis) de 1977, de nouvelles perspectives
sâouvrent, pour approfondir les problĂšmes internes (organisation) et externes (environnement)
soulevés par la planification stratégique. On passe alors aux problÚmes de management stratégique et
de contrÎle de gestion stratégique.
VERS LE MANAGEMENT STRATEGIQUE
Lâapproche de management stratĂ©gique trouve son origine dans les progrĂšs rĂ©alisĂ©s en matiĂšre de
marketing stratĂ©gique au cours de la pĂ©riode 1965-1975. Ces progrĂšs sâexpliquent largement du fait
que les entreprises situées dans les industries de biens de consommation de masse se heurtent dÚs cette
époque à un tassement des marchés, à une évolution des goûts des consommateurs vers plus de
diversité dans les produits et dans les modes de consommation, entraßnant une concurrence beaucoup
plus vive, et la nécessité de conquérir une part de marché suffisante (« masse critique ») pour soutenir
- 70. Michel Marchesnay
70
durablement la concurrence. En dâautres termes, les problĂšmes de compĂ©titivitĂ© commerciale vont
dominer durant cette pĂ©riode, la pĂ©riode suivante (75-85) mettant davantage lâaccent sur les problĂšmes
de compétitivité technologique.
Par ailleurs, ces grandes entreprises ont poursuivi un mouvement important de diversification de
leurs produits et de leurs marchés. Elles ont adopté une structure staff and line, dans laquelle les
divisions produits-marchés ont acquis une autonomie de décision pour tout ce qui touche à la maßtrise
du cycle de vie des produits sur leurs marchĂ©s respectifs â ce qui pose, comme on le verra plus loin,
des problĂšmes de contrĂŽle de leur gestion.
Il en résulte que les problÚmes de planification stratégique se posent désormais, pour ces entreprises
diversifiées, à deux niveaux :
â celui de lâensemble du groupe dâentreprises (le niveau corporate),
â et celui de chaque division produit-marchĂ© (le niveau business).
Le problĂšme essentiel est alors celui de lâarticulation entre ces deux niveaux, de la cohĂ©rence
dâensemble de la stratĂ©gie, afin dâĂ©viter notamment une dĂ©rive de lâune des divisions dans des secteurs
qui ne soient pas compatibles avec le projet dâensemble du groupe. Mais, dâun autre cĂŽtĂ©, il sâagit
dâassurer le maximum de souplesse, de capacitĂ© de rĂ©action face Ă lâĂ©volution plus ou moins prĂ©visible
de la demande de produits actuels ou nouveaux, et, dans cette perspective, il est bon de laisser le
maximum dâinitiative stratĂ©gique aux divisions opĂ©rationnelles.
- 71. Management Stratégique
71
Le schéma suivant, inspiré du modÚle de Hofer et Schendel, traduit cette double dimension de la
planification stratégique au début des années 80.
Cette articulation est dâabord obtenue en procĂ©dant Ă une formulation de la stratĂ©gie en deux Ă©tapes.
La premiĂšre concerne les buts de lâensemble du groupe (corporate goals), la seconde la formulation
des objectifs au niveau des domaines dâactivitĂ© stratĂ©gique (DAS). Le DAS correspond Ă un ensemble
de produits-marchĂ©s soumis Ă une mĂȘme logique dâaction stratĂ©gique il sâidentifie assez largement Ă
une division produits-marchĂ©s. Comme on le verra dans le chapitre suivant, lâanalyse des DAS va
beaucoup plus loin que la seule approche de marketing stratĂ©gique, qui ne sâintĂ©resse en principe
quâaux seuls problĂšmes liĂ©s Ă lâexploitation des marchĂ©s, puisquâelle inclut lâanalyse des ressources du
groupe, affectées à la division.
- 72. Michel Marchesnay
72
PROCESSUS DE
FORMULATION DES
BUTS AU NIVEAU
CORPORATE
ĂCART
OBJECTIFS
CORPORATE
DĂSIRĂS
ENGAGEMENT DANS
DâAUTRES DAS
ĂCARTS
RĂVISĂS
OPPORTUNITĂS
ET RISQUES
PROJET DâENSEMBLE AU NIVEAU CORPORATE
ATTRACTIVITĂĂ
DE LâINDUSTRIE
DES DAS
PRĂVISION DE
POSITION ET
PERFORMANCE
CHOIX DE
DAS
PRISE DE DĂCISION
STRATĂGIQUE
âą Objectifs corporate finals
âą StratĂ©gie dâacquisition finale
âą StratĂ©gie dâinvestissement et dâacquisition au
niveau des DAS
⹠Stratégie de désinvestissement
âą Plan de contingence corporate
NOUVEAU
PORTEFEUILLE
DĂSENGAGEMENT
ANALYSE POLITIQUE
SYSTĂMES ET
PROCĂDURES
STRATĂGIQUES
IDENTIFICATION
DES DAS
RESSOURCES ET
APTITUDES DES DAS
POSITION
CONCURRENTIELLE
PROCESSUS DE
FORMULATION DE
LA STRATĂGIE
- 73. Management Stratégique
73
Ainsi, les objectifs corporate pourront-ils ĂȘtre remis en cause par lâexamen des perspectives de
développement des DAS actuels, impliquant des engagements et des désengagements. Ceux-ci
pourront ĂȘtre rĂ©alisĂ©s dans un laps de temps spĂ©cifique Ă chaque opĂ©ration (la planification stratĂ©gique
nâest plus dominĂ©e par « la tyrannie de lâexercice comptable annuel » en dâautres termes,
lâĂ©tablissement du budget annuel nâest plus la prĂ©occupation premiĂšre).
Au total, la planification stratĂ©gique dĂ©bouche sur un portefeuille dâactivitĂ©s qui doivent contribuer Ă
la rĂ©alisation des objectifs dâensemble, permettant la satisfaction des buts gĂ©nĂ©raux.
Une telle approche a incontestablement contribué à renforcer le rÎle du management stratégique
dans les grandes, voire les trÚs grandes entreprises multidivisionnelles, diversifiées et décentralisées.
Elle a accru la flexibilitĂ© stratĂ©gique, la capacitĂ© dâadaptation face Ă un environnement extrĂȘmement
changeant et incertain. Mais elle doit ĂȘtre raccordĂ©e Ă un autre mouvement, issu cette fois, non pas des
progrĂšs dans le marketing, mais dans le contrĂŽle de gestion.
- 74. Michel Marchesnay
74
LE CONTROLE STRATEGIQUE
Au cours des années 50, les grandes entreprises américaines avaient implanté des systÚmes de
contrÎle budgétaire. Dans un environnement stable, avec des marchés en croissance réguliÚre,
lâanalyse des Ă©carts entre les prĂ©visions et les rĂ©alisations pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un exercice
relativement simple (les écarts étaient analysés en écarts sur prix et écarts sur quantités). à partir du
milieu des années 60, les contrÎleurs de budget vont devoir élargir leurs qualifications, à mesure que la
notion de planification devient plus complexe, et ne peut plus sâassimiler Ă la simple prĂ©vision
annuelle.
En premier lieu, la structure des entreprises se fait plus complexe. Dans les organigrammes staff and
line, on est conduit à distinguer trois niveaux de décision :
â Le niveau supĂ©rieur, appelĂ© sous-systĂšme de finalisation, oĂč sont prises les dĂ©cisions corporate
strategy, de politique générale, les orientations majeures.
â Le niveau infĂ©rieur, appelĂ© sous-systĂšme dâopĂ©rations, oĂč sont prises les dĂ©cisions business
strategy, de mise en oeuvre des activités opérationnelles sur les couples produits-marchés.
â Enfin, le niveau intermĂ©diaire, appelĂ© sous-systĂšme dâanimation, chargĂ© dâassurer le relais
entre les deux niveaux (et devant donc disposer dâun systĂšme dâinformations ascendant et
descendant). Câest Ă ce niveau que se situent les contrĂŽleurs de gestion. Ceux-ci doivent dĂ©sormais
sâassurer du degrĂ© de rĂ©alisation de trois types de performances : efficacitĂ©, efficience et ce que nous
appellerons effectivité.
- 75. Management Stratégique
75
En effet, traditionnellement, on tend Ă distinguer :
â au niveau politique, le degrĂ© dâefficacitĂ©, câest-Ă -dire dans quelle mesure les buts
(objectifs) sont atteints, soit : résultats atteints / buts visés;
â au niveau opĂ©rationnel, le degrĂ© dâefficience, câest-Ă -dire le rapport des rĂ©sultats atteints
aux ressources (matĂ©rielles, humaines, financiĂšres, dâinformation, de temps, etc.) consommĂ©es Ă
cet effet. Ces ressources apparaissent en principe dans les budgets.
Mais il convient dâajouter lâeffectivitĂ©, câest-Ă -dire le degrĂ© de satisfaction des membres de
lâorganisation en fonction des rĂ©sultats atteints. En effet, au cours des annĂ©es 70, les grandes
entreprises diversifiĂ©es et dĂ©centralisĂ©es se heurtent au problĂšme de la motivation des cadres. Lâune
des pierres dâachoppement rĂ©side dans lâimplication de tous en faveur de la rĂ©alisation des objectifs.
Généralement, les cadres se retranchent derriÚre les cibles fixées lors des négociations budgétaires,
privilĂ©giant lâapplication des procĂ©dures par rapport Ă la mise en oeuvre de processus dâadaptation aux
changements dans lâenvironnement.
Les contrĂŽleurs de gestion doivent alors adopter une dĂ©marche dâintĂ©gration du contrĂŽle dans les
objectifs et les préoccupations du management stratégique. Le contrÎle est alors pris dans le sens de
processus de pilotage, davantage que dans le sens de procĂ©dure de vĂ©rification â du moins dans les
manuels de management... Plusieurs techniques sont alors proposées :