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20 ans pour
restaurer le climat




        Le livre blanc de
        l’économie positive
  Anne Gouyon et Maximilien Rouer, mars 2007
  livreblanc@becitizen.com
Les auteurs
                      Ingénieur agronome et                                       Biologiste cellulaire et
                      Docteur en Sciences                                         ingénieur agronome,
                      Economiques et Sociales,                                    Maximilien Rouer est
                      Anne Gouyon a démarré sa                                    Président et co-fondateur de
                      carrière en Asie et Afrique                                 BeCitizen depuis 2000. En tant
                      comme chercheuse en agro-                                   que conférencier ou au cours
                      foresterie au CIRAD,                                        de missions de conseil, il s’est
                      organisme français de                                       adressé à des centaines de
                      coopération scientifique. Elle                              décideurs locaux et de chefs
est ensuite devenue consultante pour des                  d’entreprise, de la PME aux multinationales, pour
entreprises du secteur agricole et environnemental,       les aider à faire évoluer leur activité vers la
et pour des organismes internationaux. Expert             restauration de l’environnement. Infatigable
auprès de la Banque Mondiale, puis du côté des            avocat de l’Economie Positive, il est aussi membre
ONGs (WWF, Rainforest Alliance), elle a créé la           du Conseil National du Développement Durable,
Fondation Bumi Kita (« Notre Terre à Tous »),             enseignant à HEC, et chroniqueur au quotidien La
spécialisée en développement rural et en                  Tribune. À la TV, sur FR2, il a été à l’origine du
écotourisme. Elle est co-fondatrice et associée de        Climaction et a réalisé les commentaires d’Objectif
BeCitizen depuis 2000.                                    Terre pour Yann Arthus-Bertrand.




                            BeCitizen est un acteur de référence en matière de conseil stratégique auprès des
                            entreprises et des collectivités sur les enjeux clés de l’avenir : changement
                            climatique, renchérissement de l’énergie et des matières premières, gestion des
                            déchets, santé et toxicité, préservation des ressources en eau et du vivant, accès
                            à l’emploi et revitalisation des territoires. BeCitizen propose des solutions
                            innovantes, fondées sur le concept d’Economie PositiveTM, intégrant les
                            technologies environnementales les plus performantes et des solutions de
                            financement adaptées. Créateur du concept d’Economie Positive, BeCitizen
                            souhaite en assurer la plus grande diffusion dans le respect de son sens original.


Ont contribué à ce document :

Philippe Freund, Ingénieur agronome, associé                 Rodolphe Deborre, Ingénieur agronome,
cofondateur de BeCitizen, Directeur scientifique             Directeur offre construction positive, expert
et Directeur offre finance carbone.                          carbone.

Walid Malouf, Master en Sciences Economiques                 Vincent Bovet, Ingénieur des Mines, spécialiste
et Politiques, Univ. de Berkeley et MBA HEC,                 nouveaux matériaux et construction positive
associé de BeCitizen, Directeur général et
Directeur offre Cleantech.                                   Marion Huet, École supérieure de commerce
                                                             de Paris, spécialiste de l’éco-conception.
Flora Bernard, MSc. London School of
Economics, Directeur offre ressources, déchets               Marion Bonnet, Ingénieur agronome, spécialiste
et revalorisation des sols.                                  risques toxicités.

Capucine Laurent, Ingénieur agronome,                        Jean-Baptiste Brochier, Ingénieur UTC
Directeur offre biomasse / agro-ressources,                  Compiègne et Univ. de Saragosse.
expert carbone.

Léna Spinazzé, École supérieure de commerce
de Lyon, Directeur offre nouveaux marchés.                   Merci à Sarah Kefi pour son appui administratif.




Le livre blanc de l’Economie Positive v 1.0                                                                      1
Préambule

Les conditions de vie de la société, des territoires et de l’entreprise changent sous l’action conjointe de
défis sans précédents. Des défis qui s’apparentent à une déclaration de guerre : la guerre pour la survie
de notre civilisation, dans un climat qui se réchauffe.

Le climat régit les conditions de la vie.

À la déstabilisation du climat, s’ajoutent l’insécurité énergétique, la raréfaction des ressources, la
destruction des sols, des réserves d’eau et de la biodiversité… tout cela dans un monde qui s’apprête à
intégrer 3 milliards de nouveaux consommateurs, engagés dans une course effrénée pour accéder aux
mêmes ressources limitées.

Face à ces défis, certains parlent de décroissance, ou d’ajustement de la consommation. Est-il
acceptable de parler de décroissance quand 4 milliards d’humains n’ont pas accès à une alimentation,
une santé, une sécurité, une éducation de qualité ? Quand les habitants du Brésil, de la Russie, de l’Inde
et de la Chine sont déjà engagés dans une croissance à 7% par an ? Est-il suffisant de penser que des
réductions marginales des consommations permettront de retrouver un climat stable, des sols fertiles, des
stocks de ressources et d’eau propre ?

C’est dans ce contexte que BeCitizen a choisi de s’engager pour une autre croissance. Nous
accompagnons les entreprises, les territoires, vers une nouvelle révolution économique. Nous les aidons à
identifier les technologies, les business models, les financements qui leur permettent de créer plus de
valeur en stockant du carbone, en produisant des énergies et des ressources renouvelables et non
toxiques, en reconstituant des sols fertiles, en dépolluant les nappes phréatiques.

Cette nouvelle économie, nous lui avons donné un nom : l’économie positive, une économie qui crée
plus de ressources qu’elle n’en détruit. Une économie qui stocke du carbone grâce à la production
massive de biomasse, au service de la croissance. Une économie où la croissance est tirée par les
chantiers de la restauration du climat, de l’environnement, du capital écologique de l’humanité.

Depuis la création de BeCitizen il y a 7 ans, j’ai senti monter le besoin d’un espoir, loin du catastrophisme.
C’est de ce besoin qu’est née l’économie positive. Depuis plus de 2 ans, je débats de ses principes et de
sa faisabilité avec des chefs d’entreprise, des politiques, des dirigeants d’ONGs et des scientifiques, afin
que BeCitizen puisse concevoir avec ses clients des solutions innovantes à la hauteur des nouveaux défis.

Ce livre blanc est le fruit de ces échanges. Il clarifie les enjeux, propose des principes d’action concrets,
dessine les contours d’un monde positif. Il s’inspire des innovations et du succès de centaines de pionniers.
Certains ont été sélectionnés lors de la préparation des Trophées de l’économie positive, d’autres
proviennent de nos rencontres, de nos expériences de terrain. Ils sont les gagnants de la nouvelle
économie, les gagnants de l’économie positive.

Rendez-vous dans quelques mois pour une version 2 de ce livre blanc, que nous vous invitons à enrichir de
vos critiques, de vos suggestions, et de vos expériences, en déposant vos commentaires sur
livreblanc@becitizen.com.

Nous ne sommes qu’au début de l’économie positive. Retenez le cadre de lecture proposé, observez le
monde en marche avec cette nouvelle vision, participez avec nous au changement : pour restaurer le
climat, le temps nous est compté.

                                                            Maximilien Rouer,
                                                            Président de BeCitizen




Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                         2
Crédits photographiques et illustrations
Couverture (d’en haut à gauche à en bas à droite) :
Sécheresse au Brésil, Bernard Osès @ IRD.
Palmeraie en Egypte, Yann Arthus-Bertrand.
Destruction d’HLM à Mantes, Paris-Skycrapers.
Bâtiment positif à Bedzed, Bill Dunster.

Introduction
Rendu artistique de l’éco-ville de Dongtan,© Arup
Zoom n°1, rizières à Bali, Ulung Wicaksono
Zoom n°2, Pervenche de Madagascar, Claudine Campa © IRD
Idée reçue n°1, graphique d’après Redefining Progress
Idée reçue n°2, Savane à Imperata, Ken Langeland, Institute of Food and Agricultural Sciences, University of Florida.

Première partie :
Sécheresse au Brésil , Bernard Osès @ IRD.
Palmeraie en Egypte, Yann Arthus-Bertrand,
Plate forme pétrolière, Shell
Éoliennes au Danemark, Yann Arthus-Bertrand
Évolution du climat, Pierre Thomas
Zoom n°5, Nodules photosynthétiques, Université de Koblenz

Seconde partie
Décharge publique en Indonésie, Anne Gouyon
Compostage et taillis de bois-énergie : Ademe.
Solution n°26, graine de jatropha, Daimler Chrysler
Zoom n°9, Culture de Lactobacillus sakei, A. Marceau @ INRA




20 ans pour restaurer le climat, le livre blanc de l’économie positive,
par Anne Gouyon et Maximilien Rouer © BeCitizen Editions.

Version 1.0, mise en ligne sur www.becitizen.com le 22 mars 2007.

Directeur de la publication : Anne Gouyon,

Contacts et commentaires : livreblanc@becitizen.com




ISBN en cours




Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                                   3
Table des matières

Introduction : une révolution positive
             Réinventer la croissance
             Les origines
             Du développement durable à l’économie positive
             Echapper à l’entropie
             Vers une éco-intelligence


Première partie : 3 objectifs

        Restaurer le climat
            La crise climatique
            Eviter l’emballement
            Arrêter la fuite en avant
            Des scénarios pour 20 ans
        Renouveler les ressources
            Sécuriser les énergies
            Renouveler les matériaux
            Restaurer l’eau et les sols
        Recréer de la diversité
            L'érosion de la diversité
            La valeur de la diversité
            Revitaliser les territoires
            Intégrer 6,5 milliards de personnes



Deuxième partie : 6 principes
        Plus avec moins
            Finalité
            Circularité
            Complémentarité
        Plus avec la biosphère
            Substitution
            Valorisation
            Diversité



Conclusion : un monde positif




Le livre blanc de l’Economie Positive                         4
Introduction :
    une révolution positive
     Réinventer la croissance
!   !!!!!!!!!!!!!!!
    Depuis le début de l’ère industrielle, la popu-          Aujourd’hui, l’humanité dispose du plus puissant
    lation mondiale et la production individuelle1           réseau d’innovation et d’échanges qui ait
    ont cru d’un facteur 8. En 250 ans, l’espérance          jamais existé : 3 millions de chercheurs5,
    de vie a doublé dans les pays pauvres, et                plusieurs dizaines de millions d’entreprises, et 1
    quadruplé dans les pays riches. Un ouvrier               milliard d’individus connectés par le biais
    français payé au SMIC jouit d’un niveau de               d’Internet. Il reste à chacun de décider dans
    confort, de sécurité, d’accès à l’information et         quel sens utiliser cette capacité créative.
    de possibilités de déplacements qui feraient
    rêver un aristocrate de la Renaissance.                  Déjà, des pionniers ont fait le choix. Ils mettent
                                                             en place une nouvelle économie, qui produit de
    Cette croissance est menacée par la                      l’énergie et des matériaux renouvelables, qui
    raréfaction des ressources naturelles (pétrole,          stocke du carbone, qui restitue des sols fertiles et
    minerais, eau, sols, biodiversité) et leur corollaire,   des stocks d’eau propre : une économie
    la hausse du prix de l’énergie et des matières           positive, qui crée de la croissance pour tous,
    premières. Le réchauffement du climat                    en restaurant le capital écologique de
    bouleverse déjà la production agricole et les            l’humanité. Une économie fondée sur l’éco-
    modèles de prévision du risque. D’ici 20 ans, en         intelligence, qui se nourrit de diversité, et inclut 6,5
    cas        d’accélération     du       changement        milliards d’humains pour créer plus de prospérité
    climatique, ce sont les conditions mêmes de              de manière pérenne.
    la vie sur terre qui pourraient être remises en
    cause – ou, tout au moins, la survie de notre            Ce livre blanc vous invite sur les traces de ces
    civilisation.                                            pionniers, qui sont les gagnants du monde de
                                                             demain. Il définit les nouveaux enjeux
    Alors, faut-il stopper la croissance ? Impensable,       économiques : restaurer le climat et renouveler
    alors que 4 milliards d’êtres humains vivent             les ressources, en recréant de la diversité. À
                                          2
    avec moins de 1,5 ! par jour . Impossible,               travers 27 exemples, il révèle les principes
    lorsque le Brésil, la Russie, l’Inde, et la Chine        d’action des pionniers de l’économie positive :
    représentent 3 milliards de personnes et 7% de           fonctionnalité, circularité, complémentarité, sub-
    croissance économique annuelle. Inaccep-                 stitution, valorisation, diversité. Il dessine les
    table, alors que même dans les pays riches,              contours d’un monde positif.
    l’anxiété croît face à l’érosion des revenus des
    classes moyennes, à la montée du chômage et              Il nous reste 20 ans pour construire l’économie
    de la précarité3. Dans ce contexte, la                   positive, 20 ans pour restaurer le climat et
    globalisation des échanges, qui est pourtant l’un        l’environnement. Vingt ans pour décider du sort
    des moteurs de l’économie, devient une source            de l’humanité. Le défi est immense, les
    de menaces : compétition entre les individus au          opportunités sont là. Le chantier est passionnant.
    niveau mondial4, flux migratoires, terrorisme, etc.

    Plus que jamais, la croissance est donc néces-
    saire. Une croissance qui, au lieu de puiser dans                                                 Dongtan, Chine :
    l’environnement, devra aussi en restaurer la                                                     une éco-ville pour
    capacité à remplir les besoins de l’humanité.                                                    500 000 personnes

    Impossible ? Et pourquoi ?         L’histoire   de
    l’humanité est ponctuée de crises, surmontées
    par des innovations qui ont abouti à des
    changements systémiques. Il y a 10 000 ans, des
    chasseurs-cueilleurs affamés ont semé des
    céréales sauvages. En devenant agriculteurs, ils
    se sont sédentarisés, ont pu créer un surplus, puis
    développer l’artisanat et le commerce. Il y a 400
    ans, c’est grâce à la crise du bois en Angleterre
    que des compagnies minières se sont lancées
    dans l’extraction du charbon, qui a mis en
    mouvement la première Révolution industrielle.



    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                          5
Les origines
!   !!!!!!!!!!!!!!!                                            Sols fertilisés par la fumure, oasis, rizières irriguées :
    Toutes les sociétés ont exploité, à des degrés             autant d’écosystèmes artificialisés qui peuvent
    divers, les ressources de leur environnement. Les          nourrir de 50 à 500 habitants par km2, contre à
    premiers chasseurs-cueilleurs exploitaient les             peine 5 pour la forêt naturelle. Le surplus dégagé
    ressources naturelles de manière marginale,                et la main d’œuvre libérée alimentent le
    globalement compatibles avec leur renouvel-                commerce et l’industrie. Toutes les sociétés
    lement. Cette période de l’humanité cor-                   n’ont pas su entretenir leur capital écologique.
    respond à une vision animiste de la Nature,                Les habitants de l’île de Pâques ont abattu tous
    perçue comme toute-puissante et infinie. L’idée            les arbres de leur territoire pour transporter les
                                                                                   8
    d’un impact de l’Homme sur la Nature, dont il              célèbres statues . On sait moins que la chute de
    fait partie, n’est même pas concevable6.                   Rome est liée à la surexploitation de son
                                                               environnement. Au début de l’histoire romaine,
    Avec l’agriculture, l’Homme transforme son                 l’Italie était riche en forêts. Pour financer les
    environnement : il crée de nouvelles variétés de           dépenses croissantes de l’Empire, il fallut
    céréales, domestique des animaux, défriche des             déboiser, puis réduire les jachères, jusqu’à
                                                                                                                    9
    forêts. Il est désormais capable d’augmenter son           appauvrir les sols et les transformer en désert .
    capital écologique, c’est-à-dire la capacité de
    son environnement à fournir les biens et les               Les premières sociétés agricoles restent incons-
    services dont il a besoin (zooms n°1 et 2).                cientes de leur impact sur l’environnement. Les
                                                               changements s’étalent sur des périodes trop
                                                               longues pour leurs moyens d’observation. Par
    Zoom n°1 L’île-jardin                                      ailleurs, en l’absence de pensée systémique,
    Comment les habitants de Bali – et d’autres régions        comment faire le lien entre l’épuisement des sols
    rizicoles d’Indonésie, de Chine, ou du Viêt-Nam7 –         de Rome, et sa décadence économique et
    arrivent-ils à nourrir plus de 500 habitants/km2, soit 5   politique ? Ainsi, l’Homme croit encore la Nature
    fois plus qu’en France, avec peu de dépenses en            toute-puissante. Il est vrai que l’effondrement
    énergie ? Grâce au capital écologique accumulé             des sociétés agricoles reste de portée limitée :
    sur leur territoire. Ce capital est en partie naturel :    aucune civilisation n’a encore les moyens
    les rizières se nourrissent des cendres des volcans et     d’avoir un impact global sur l’environnement.
    d’une forte pluviométrie. Il a été enrichi par des
    générations de cultivateurs qui ont construit des          La révolution industrielle induit un changement
    terrasses et des canaux d’irrigation, sélectionné des      d’échelle. En exploitant les énergies fossiles,
    variétés de riz adaptées aux conditions locales, et        l’Homme se dote d’une puissance sans
    mis en place des associations entre élevage,               précédent : la consommation d’énergie d’un
    pêche et cultures, complétées par des jardins agro-        Européen d’aujourd’hui correspond au labeur
    forestiers qui abritent des dizaines d’espèces utiles.                                            10
                                                               de 100 esclaves, 8 heures par jour . Désormais,
                                                               l’économie exploite le capital écologique
                                                               global à des taux supérieurs à son
                                                               renouvellement. Dans le même temps, le rapport
                                                               à la nature change. Les grands monothéismes,
                                                               suivis par Descartes et Bacon, puis Marx, placent
                                                               l’Homme au-dessus d’une nature instru-
                                                               mentalisée11 – dont il ne perçoit toujours pas les
                                                               limites. C’est l’ère de la toute-puissance.

                                                               Le réveil sera brutal. Dans les années 1970, après
    Cette richesse est le fruit d’une interaction positive     une nouvelle accélération de la croissance, les
    entre le travail et l’intelligence collectifs d’une        premières conséquences globales se font sentir :
    société, et son écosystème. Grâce à ce capital,            mort des océans, pluies acides, chocs pétroliers.
    l’économie locale dégage un surplus de ressources          Ainsi émerge la notion d’un écosystème
    et de main d’œuvre, qui ont permis une                     planétaire à préserver. En 1972, le rapport
    abondante production artistique, inspirée par la           Meadows12, commandé par le Club de Rome,
    beauté des paysages. À son tour, cette culture             s’interroge sur les limites de la croissance. La
    devient un capital, exploité par un tourisme qui           même année, les Nations Unies s’emparent du
    attire 1 million de visiteurs par an sur une superficie    sujet avec la conférence de Stockholm, suivie
    égale à 1% de celle de la France.                          en 1992 du Sommet de la Terre de Rio.

                                                               Deux courants commencent à s’opposer : le
                                                               courant radical et le courant néoclassique. Le
    Les sociétés qui ont connu une croissance                  premier considère que le capitalisme est
    soutenue sur une longue période sont celles                incompatible avec la préservation de l’environ-
    qui ont su nourrir ce capital écologique. C’est            nement. Mêlant politique, économie et philo-
    le cas de l’Europe depuis le Moyen-Âge, ou des             sophie, il prône un changement de société13, sur
    grandes civilisations rizicoles d’Asie.                    fond de sacralisation de la Nature.




    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                             6
Du développement durable
    à l’économie positive
!   !!!!!!!!!!!!!!!
    Le second courant, dans lequel s’inscrit ce livre        Le mouvement de la RSE trouve ses limites pour
    blanc, cherche à résoudre les défis environ-             avoir tenté de faire oublier la réalité du marché.
    nementaux dans le cadre de l’économie de                 Les entreprises n’ont bien qu’une seule bottom-
    marché, sans exclure bien sûr l’intervention de          line, celle qui détermine leur croissance et leur
    l’Etat. La discipline qui en découle, l’économie         survie : leur profit. Or le concept de
    de     l’environnement      ou    économie        des    « responsabilité », avec sa connotation de
    ressources, est très présente aux Etats-Unis, avec       charge, entretient l’idée que le développement
    notamment          Pearce,     Freeman,        Oates,    durable est un coût pour l’entreprise. Un coût qu’il
    Markandya ou Stiglitz. Elle repose sur la prise en       faut donc limiter au maximum, en appliquant des
    compte du capital naturel, formé par les                 mesures marginales. Ainsi, la RSE ne permet pas
    ressources naturelles et les services environ-           de proposer des stratégies motivantes pour
    nementaux (zoom n°2). Préserver ce capital               l’entreprise, à la hauteur des nouveaux enjeux.
    suppose d’ « internaliser les externalités », c’est-à-
    dire faire en sorte que chacun prenne en                 Pourtant, dès les années 1990, certaines
    charge les coûts de ses atteintes à                      entreprises commencent à percevoir les
    l’environnement – jusque-là supportés par la             opportunités liées aux mesures sociales et
    société, en hypothéquant le futur.                       environnementales :      réduction      de coûts,
                                                             anticipation des risques, création de nouveaux
    En 1972, dans cette lignée, l’OCDE introduit le          business models, confiance accrue des marchés
    principe « pollueur payeur » dans ses principes          financiers. Ainsi, entre 1990 et 2005, le leader
    directeurs en matière d’économie. Les Etats              mondial de la chimie, DuPont, a réduit ses
    commencent à légiférer dans ce sens.                     émissions de gaz à effet de serre de 70% – plus
    L’environnement perd son statut de ressource             que son objectif de 65% fixé pour 201017 ! Il a
    infinie et gratuite, et devient un facteur de            ainsi baissé sa consommation d’énergie de 9%,
    coût. Ainsi, dans les années 1970, les entreprises       et économisé plus de 2 milliards de dollars.
    commencent à mettre en place des mesures de              DuPont a aussi développé de nouveaux
    protection de l’environnement, qui cor-                  matériaux pour panneaux solaires. L’idée
    respondent en général à ce que Hart appelle les          émerge d’une convergence possible entre les
    mesures « end of pipe » (« au bout du tuyau »)14.        intérêts de l’entreprise et l’environnement, qui
    Il ne s’agit pas de remettre en cause les                devient ainsi un levier de rentabilité.
    procédés de production, mais de « faire moins
    mal », par exemple en plaçant des filtres au bout
    des cheminées d’usine.

    En 1987, le rapport Bruntdland introduit la notion
    de développement durable, qui doit « répondre
    aux besoins de tous, en préservant la capacité
    des générations futures à remplir leurs besoins ».
    Dans la décennie suivante, ce concept
    débouche sur la notion de responsabilité sociale
    des entreprises (RSE) et sur l’idée de « triple
    bottom-line » : les entreprises doivent prendre en
    compte les intérêts de leurs parties prenantes à
    travers un triple bilan économique, social et
    environnemental15. Sous la pression de la société               DuPont Photovoltaic Solutions : l’environnement
    civile et des gouvernements, un nombre                                                comme facteur de gains
    croissant de sociétés mettent en place des
    programmes de RSE et publient des rapports de            Une nouvelle génération d’économistes propose
    développement durable16.                                 alors de réconcilier économie et environnement.
                                                             Aux Etats-Unis, Hawken et Lovins18 ont
    Vingt ans après le rapport Bruntdland, force est         développé la notion de capitalisme naturel,
    de constater que le développement durable                fondée sur 4 principes : maximiser la productivité
    semble dans l’impasse. Si certaines entreprises          des ressources, s’inspirer des écosystèmes,
    jouent le jeu et tentent de redéfinir leur stratégie     vendre des services plutôt que des biens, et
    dans le sens de la « durabilité », d’autres se           investir dans le capital naturel et humain. Ce
    contentent de créer des postes de RSE sans réel          courant     débouche       sur  des     concepts
    pouvoir, et mettent en place des mesures sans            opérationnels inspirés du fonctionnement des
    impact réel. Et tandis que s’empilent les rapports       écosystèmes: écoconception19, biomimétisme20,
    de développement durable, les émissions de               écologie industrielle21 (développée sous le nom
    gaz à effet de serre continuent d’augmenter et           d’économie circulaire en Allemagne, puis au
    les déserts d’avancer.                                   Japon et en Chine22).


                                                             Le terme de capital « naturel », cependant,

    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                        7
donne à penser qu’il existe d’un côté                            est donc remplacée par celle de capital
l’économie, et de l’autre des écosystèmes                        écologique, qui comprend l’ensemble des
naturels dans lequel l’Homme puise, et qu’il                     ressources et des services fournis par les
peut, au mieux, protéger de son influence.                       écosystèmes, que ceux-ci soient naturels ou
Pourtant,      l’Humanité      aurait-elle  inventé              artificiels (zoom n°2). Toute entreprise, tout
l’agriculture, puis construit des cathédrales en se              système économique croît en développant son
contentant de « protéger la planète »? Depuis                    capital. Le projet de l’économie positive est de
plus de 10 000 ans, l’Homme n’a eu de cesse                      restaurer,     puis  développer   ce     capital
que d’améliorer un environnement qui n’est plus                  écologique, comme moteur de la croissance.
« naturel ».
Dans ce livre blanc, la notion de capital naturel



 Zoom n°2 Qu’est-ce que le capital écologique?
 L’écosystème planétaire correspond à l’ensemble des êtres vivants, y compris l’Homme, et de leur milieu
 physique. Il est caractérisé par les relations entre ses composantes : compétitions pour l’énergie, la matière et
 l’espace, mais aussi complémentarités, voire symbioses. Les organismes les plus évolués, les plus complexes,
 les plus autonomes par rapport à leur environnement – comme l’Homme – sont aussi, paradoxalement, ceux
 qui ont tissé le plus grand réseau d’interdépendance avec d’autres d’espèces23.
 L’économie tire de multiples ressources matérielles de l’écosystème :
 !    des matériaux issus de processus physiques (métaux, roches), ou de processus biologiques. Ces processus
      biologiques peuvent être anciens (roches calcaires provenant de la sédimentation du squelette
      d’organismes marins), ou contemporains (biomatériaux : bois, latex, coton...)
 !    des carburants fossiles, issus de processus biologiques anciens (charbon, pétrole, gaz)
 !    des biocarburants, issus de processus biologiques contemporains (bois, biogaz, biodiesel, bioéthanol…)
 !    des flux d’énergie sous forme de rayonnement calorifique et lumineux (géothermie, énergie solaire). Ces
      flux créent des différentiels de température qui à leur tour créent de l’énergie sous forme de fluides en
      mouvement (énergie hydraulique, éolienne, houlomotrice…).
 !    des sols fertiles, issus de la dégradation de roches et de matières organiques par les éléments et les
      organismes vivants, et ainsi rendus aptes à l‘agriculture et la foresterie
 !    des eaux terrestres ou marines aptes à la pêche et à la pisciculture, et de l’eau douce (0,3% du total)
      apte à la consommation humaine ou aux besoins de l’industrie.
 L’écosystème fournit aussi des services :
 !    régulation du climat au niveau global (stockage du carbone dans l’océan, l’atmosphère, les sols, et les
      végétaux) et local (les arbres dissipent les vents, et augmentent la pluviométrie et l’humidité).
 !    régulation des flux hydriques dans les sols par le couvert végétal : à l’inverse, la déforestation et le
      bétonnage de larges surfaces augmentent l’incidence des sécheresses et des inondations.
 !    information issue de la diversité du vivant, utilisée pour la
      création de nouveaux produits et procédés industriels :
      création de nouveaux médicaments à partir de molécules
      issues de plantes sauvages, amélioration des variétés de blé
      cultivées à partir des variétés sauvages ou traditionnelles.
 !    valeur récréative, esthétique et spirituelle des formes du
      vivant, valorisées par le tourisme et par la création artistique
      et culturelle : que serait le Club Med sans la beauté des
      plages tropicales, que serait Disney sans l’émotion suscitée            La pervenche de Madagascar, exploitée
                                                                                  pour ses alcaloïdes anti-leucémiques
      par les animaux de la jungle ?
 Ainsi, le capital écologique représente la capacité des écosystèmes à fournir à l’économie les biens et
 services dont elle a besoin.



L’économie actuelle fonctionne de manière                        Les conséquences se font sentir pour les
linéaire, selon le modèle « extraire, transformer,               entreprises, pour les territoires, qui voient
jeter ». Elle puise dans les ressources des                      augmenter à la fois de prix de l’énergie, des
écosystèmes, et diminue leur capacité à fournir                  matières premières, de l’eau, de la gestion des
plus de ressources et de services : elle épuise son              déchets, des émissions de CO2. Et qui, dans le
capital écologique – un peu comme une                            même temps, font face à des risques nouveaux :
entreprise qui aurait hérité d’un stock, et se                   catastrophes       naturelles,  crises   sanitaires,
contenterait de le vendre sans le renouveler. De                 interdiction d’utilisation de molécules jusqu’alors
fait, et malgré une hausse du PIB mondial de                     courantes, et identifiées comme toxiques.
près de 5% en 2006, l’économie est
probablement       en   décroissance,      si   l’on
comptabilise la valeur du capital écologique
détruit et non remplacé (idée reçue n°1).


Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                                8
Les acteurs économiques – entreprises,
Idée reçue n°1 L’économie mondiale a                     collectivités territoriales – qui contribuent à cette
crû de 5% en 2006                                        nouvelle croissance rentrent dans une stratégie
Les calculs de croissance des pays se basent sur le      doublement gagnante.
PIB, un indicateur qui ne prend en compte que la
production de biens et services. Le PIB ne dit rien de   D’une part, ils réduisent les coûts et les risques
l’état des stocks de ressources du pays : un peu         liés à la dépendance à des ressources en voie
comme une entreprise qui présenterait un compte          de raréfaction. D’autre part, ils créent de
de résultats sans bilan. La vente de bois de forêts      nouvelles opportunités : nouveaux services,
centenaires est comptabilisée comme une                  nouveaux produits, dont la valeur est appelée à
« production ». La Banque Mondiale estime ainsi que      augmenter sur le marché au fur et à mesure que
2/3 de la croissance chinoise récente ont été            les ressources qu’elles remplacent se raréfient.
réalisés sur un « découvert écologique » : une
destruction de capital non compensée24.
Par ailleurs, le PIB ne prend en compte que les flux
monétaires, en l’absence de toute réflexion sur la
fonctionnalité de l’économie. Ainsi, les biens et
                                                         Idée reçue n°2 Il suffirait d’arrêter la
services non marchands ne sont pas comptabilisés,        croissance pour restaurer l’environnement
mais les accidents de la route contribuent à la          Il ne suffirait pas de ralentir notre économie pour
croissance du PIB.                                       restaurer un climat stable, des eaux propres, des
Un Institut californien, Redefining Progress, a défini   territoires riches en biodiversité. Et ce, en raison des
l’IPV, ou Indice de Progrès Véritable, qui prend en      phénomènes d’inertie et d’irréversibilité.
compte la valeur des ressources naturelles, ainsi que    L’effet d’inertie est à l’œuvre dans le changement
la valeur des services non marchands et des coûts        climatique. Dans les conditions actuelles de
sociaux de la croissance. L’IPV de nombreux pays         végétation, le gaz carbonique reste plus de 100 ans
est en fait négatif ou nul. De même, bien des            dans l’atmosphère, avant d’être capturé par un
entreprises seraient déficitaires si elles devaient      puits naturel : forêt, océan…. Même si nous arrêtions
payer à leur valeur réelle, c’est-à-dire à leur valeur   nos émissions, sa présence suffirait à maintenir l’effet
de remplacement, les éléments du capital                 de serre à un niveau tel, que l’océan et
écologique qu’elles utilisent.                           l’atmosphère continueraient de se réchauffer. Il est
                                                         donc indispensable d’investir pour augmenter le
                                                         stockage de carbone dans la biosphère, et réduire
                                                         le CO2 atmosphérique.

                                                         D’autres changements sont irréversibles, à notre
                                                         échelle, par les seuls mécanismes naturels. En
                                                         Asie, 350 000 km2 de terres déforestées sont
                                                         envahies par l’Imperata, une herbe riche en silice,
                                                         incomestible pour les vaches et propice aux
                                                         incendies. Cette végétation est un climax, une
                                                         forme écologique stable. La forêt ne peut pas la
                                                         recoloniser naturellement à notre échelle de
                                                         temps. En revanche, il est possible de reboiser ces
                                                         zones, en investissant de l’énergie pour retourner
             Fig 1. PIB et IPV aux USA, 1950-2000        les sols, et du travail intelligent pour choisir des
                                                         variétés d’arbres adaptées25.



Face à cette dégradation, une simple réduction
des dégâts, selon le modèle de la
« décroissance », ne suffirait pas à restaurer la
stabilité du climat et le capital écologique de
l’humanité – en tout cas, pas à notre échelle de
temps. Et ce, en raison des effets d’inertie et
d’irréversibilité à l’œuvre dans les écosystèmes
(idée reçue n°2). Une intervention humaine
adaptée est au contraire nécessaire pour
recréer, au sein des écosystèmes, une
dynamique favorable à l’Homme. Il s’agit bien
                                                                                            Savane à Imperata
d’une logique de croissance, puisque ces
interventions nécessiteront des investissements
en énergie, en travail et en savoir.




Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                           9
Échapper à l’entropie
!   !!!!!!!!!!!!!!!
    Comment restaurer le capital écologique ? En                    Heureusement, la loi de l’entropie croissante ne
    agissant différemment sur les deux types de                     s’applique qu’aux systèmes clos, qui ne
    ressources fournies par les écosystèmes : les                   reçoivent pas d’énergie. Or, l’écosystème est
    ressources d’origine ancienne, et les ressources                alimenté en permanence par deux sources
    renouvelables.                                                  d’énergie : le soleil (rayonnement calorifique et
                                                                    lumineux) et la terre (géothermie). Exploiter ces
    Tout d’abord, les ressources d’origine ancienne :               deux sources d’énergie permet de fonctionner
    c’est le cas des minerais métallifères, des                     en néguentropie, c’est-à-dire en entropie
    carburants fossiles, de la biodiversité des forêts              décroissante.
    primaires, etc. Il est impossible de les reconstituer
    à notre échelle de temps. En revanche, il est                   Tous les écosystèmes naturels, et tous les
    possible de prolonger leur usage en améliorant                  écosystèmes artificialisés durables, fonctionnent
    la productivité de ces ressources, et en les                    en néguentropie. À la base, des végétaux et des
    utilisant de manière circulaire.                                bactéries exploitent l’énergie du soleil, et la
                                                                    transforment en matière structurée – donc,
    C’est la première partie des principes de                       créent de l’ordre. Au « sommet », des animaux
    l’économie positive : faire plus avec moins.                    exploitent cette énergie stockée dans les
    Cette seule stratégie, à terme, se heurte toutefois             plantes pour produire encore plus de matière
    aux principes de la thermodynamique. Le premier                 structurée. Et partout, des champignons et des
    principe postule que l’énergie d’un système fermé               micro-organismes      transforment    les   restes
    reste constante : rien ne se perd, rien ne se crée,             d’organismes vivants en ressources prêtes à être
    tout se transforme. Le second correspond à la                   réutilisées dans un autre cycle.
    notion d’entropie croissante : dans un système
    fermé,     l’entropie      augmente       à     chaque          L’économie        positive        fonctionne       en
    transformation. Or, plus il y a d’entropie dans un              néguentropie. Elle utilise la biosphère – l’énergie
    système, moins il y a d’ordre, de structure, et moins           du soleil et les mécanismes du vivant – pour
    les ressources sont utilisables par l’économie (zoom            renouveler les ressources dont elle a besoin.
    n° 3). Une économie ou un écosystème qui                        Ainsi, progressivement, elle remplace des
    fonctionnerait de manière fermée, sans apport                   ressources d’origine ancienne par des ressources
    d’énergie extérieur, serait condamné à voir baisser             fournies en temps réel par la biosphère. Elle crée
    la qualité des ressources à sa disposition. C’est ce            de nouveaux écosystèmes, qui fournissent des
    qui se passe aujourd’hui, par exemple dans le                   énergies renouvelables, des biomatériaux, qui
    domaine des métaux ou des carburants fossiles : les             stockent du carbone, qui dépolluent les eaux,
    meilleurs gisements, les plus faciles à utiliser sont en        qui recréent des sols fertiles et de la biodiversité.
    voie d’épuisement. Il reste des ressources moins
    concentrées, plus difficiles à exploiter.                       C’est la deuxième partie des principes de
                                                                    l’économie positive : faire plus avec la biosphère.
    Zoom n°3 Condamnés par l’entropie ?
    La circulation de la chaleur entre deux bacs d’eau
    illustre le problème de l’entropie croissante.
    Au départ, un système composé de deux bacs
    d’eau de 1 litre chacun, dont l’un à 0°C et l’autre à
                                                                    Vers une éco-intelligence
    60°C. Laissé à lui-même, il va évoluer vers plus            !   !!!!!!!!!!!!!!!
    d’entropie : les deux bacs échangent de la chaleur              Ces principes – faire plus avec moins, faire plus
    et au bout de quelques jours, ils sont tous les deux à          avec la biosphère – ne sont rien d’autre que les
    30°C. La quantité de chaleur totale est la même.                principes de base des économies agricoles
    mais elle est moins utile. Ainsi, une pompe à chaleur           d’autrefois. Alors, quoi de nouveau dans
    permet d’exploiter la différence de température
                                                                    l’économie positive ?
    entre deux bacs d’eau pour produire de l’énergie.
    C’est impossible si toute l’eau est à la même                   La nouveauté, c’est la connaissance acquise
    température.                                                    par l’humanité, principalement au cours des 50
                                                                    dernières années, sur le fonctionnement des
    Ainsi, certains économistes26 ont théorisé que la
    décroissance économique est inéluctable : tôt ou                organismes vivants et des écosystèmes. Ce sont
    tard, l’économie se heurte à la hausse de l’entropie            les progrès réalisés en matières d’utilisation des
    et son corollaire, la dégradation de l’ « utilisabilité »       flux d’énergie renouvelables. Pendant des
    des ressources. Par exemple, à chaque cycle de                  millénaires, la connaissance du vivant s’est
    recyclage d’un métal, il y a nécessairement des                 limitée à l’échelle de la vie quotidienne : les
    pertes. Au bout d’un grand nombre de cycles, tout               organismes vivants visibles à l’œil nu, le champ
    le métal sera transformé en poussière répartie sur              cultivé. Les progrès systémiques des sciences de
    tout le globe, et très difficile à utiliser.                    la vie ont commencé lorsqu’elle a abordé
                                                                    l’échelle microscopique (biologie cellulaire et
    Ce raisonnement ignore pourtant un fait essentiel :
                                                                    moléculaire)     et   l’échelle  macroscopique
    la Terre n’est pas un système clos. La vie sur Terre a
    toujours fonctionné en entropie décroissante, grâce             (écologie scientifique). Ces développements
    à l’énergie apportée par le soleil. Ainsi, elle produit         datent de moins de 50 ans.
    de l’ordre, de la structure : de la néguentropie.


    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                              10
Ainsi, la génétique moderne est née avec la          Dans ce monde positif, la réussite économique
découverte de l’ADN en 1953, et s’est ensuite        ne reposera plus principalement sur la
développée avec les travaux de Jacob, Monod          mobilisation de capital financier27. La réussite ne
et Lwoff sur la biologie moléculaire. La science     dépendra pas de la capacité à accéder à des
des écosystèmes, née au XIXè siècle, ne s’est        ressources rares, mais de la capacité à les
réellement développée qu’à partir des années         valoriser au mieux, et à en produire de nouvelles,
1960. L’analyse chimique de la photosynthèse,        de manière renouvelable. La réussite reposera,
source de toute l’énergie utile de la biosphère,     de plus en plus, sur la capacité des acteurs –
date de 1950. Ces progrès scientifiques ont été      Nations, territoires, entreprises – à mobiliser les
possibles grâce à de nouveaux outils : pour          savoirs nécessaires pour développer leur capital
l’échelle micro, des microscopes électroniques       écologique. Les gagnants du monde de demain
de plus en plus puissants, pour l’échelle macro,     sont ceux qui investissent dans l’éco-
des ordinateurs permettant des modélisations de      intelligence : en développant des programmes
plus en plus complexes.                              de recherche-développement, de formation de
                                                     spécialistes opérationnels (ingénieurs, agents de
De     même,       les    premières     cellules
                                                     maîtrise) et en favorisant l’emploi de personnels
photovoltaïques ne datent que des années 1950.
                                                     qualifiés par les entreprises et les collectivités.
Leur développement a suivi les progrès des
                                                     L’économie positive crée les emplois de demain.
connaissances sur les semi-conducteurs, et celui
des satellites, premiers utilisateurs de cette
technologie.
L’économie positive exploite l’éco-intelligence
issue des progrès scientifiques et techniques des
50 dernières années :
-   compréhension accrue des mécanismes de
    la biosphère au niveau de l’infiniment petit ;
-   intelligence      systémique,     c’est-à-dire
    compréhension accrue du fonctionnement
    des      systèmes     au    niveau    global,
    macroscopique.
Cette éco-intelligence équivaut à une meilleure
compréhension des mécanismes à l’œuvre dans
la biosphère, qui permet d’en exploiter les
ressources sans les détruire et, au contraire, en
les restaurant et en les enrichissant.
Grâce à l’éco-intelligence, l’économie positive
s’inspire du modèle de l’arbre : sa croissance est
continue,      mais,    loin    d’affaiblir   son
environnement, il le nourrit en allant chercher
l’énergie de la lumière et en puisant dans la
Terre les minéraux et l’eau dont il a besoin. Ce
faisant, il fournit à des milliers d’autres êtres
vivants un substrat de croissance, un abri, des
aliments, un microclimat favorable. Ainsi se
dessinent les contours d’un monde positif, où la
restauration du capital écologique alimente la
croissance économique.




Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                 11
Première partie

3 objectifs

                                        Sécheresse au Brésil   Oasis en Egypte

                      Plate-forme pétrolière après Katrina     Eoliennes au Danemark




Restaurer le climat
Renouveler les ressources
Recréer de la diversité



Le livre blanc de l’Economie Positive                                                  12
Restaurer
    le climat
    La crise climatique
!   !!!!!!!!!!!!!!!
    Le climat régit les conditions de la vie. Il ne             Depuis que la Terre existe, la concentration de
    servira à rien de vouloir restaurer les eaux, la forêt      gaz     carbonique     dans     l’atmosphère    a
    ou la croissance économique si le changement                globalement diminué, grâce à la photosynthèse
    climatique assèche les cours d’eau et remet en              (fig n°2, en bas). Cette réaction chimique, qui
    cause les conditions de survie de milliers                  est à la base de la vie, permet aux végétaux et
    d’espèces vivantes. Le premier chantier de                  à certaines bactéries d’absorber du carbone,
    l’économie positive, qui conditionne tous les               de le transformer en sucres (glucose, amidon,
    autres, est donc bien la restauration de la                 cellulose…) et de le stocker dans leurs tissus
    stabilité du climat.                                        (zoom n°5, p.19). Ce carbone s’est ensuite
                                                                accumulé dans les roches calcaires, formées à
    Le climat globalement tempéré et stable que                 partir de squelettes sédimentés d’organismes
    nous connaissons aujourd’hui est dû à un                    marins, et, depuis 500 millions d’années, dans le
    équilibre fragile entre des stocks de carbone               charbon, le pétrole et le gaz, issus de la
    naturels. Ces réservoirs – l’océan, l’atmosphère,           décomposition d’êtres vivants.
    la végétation, les sols, les roches calcaires, les
    carburants fossiles – échangent en permanence
    du carbone, sous forme de gaz carbonique
    (CO2) et du méthane (CH4). Ces deux gaz sont
    les principaux responsables de l’effet de serre
    d’origine anthropique (tableau n°1). Ils piègent
    les rayons de chaleur émis par la terre sous l’effet
    du rayonnement solaire, et renforcent l’effet de
    serre    naturel.   Leur    concentration      dans
    l’atmosphère est un des déterminants de la
    température terrestre.


    Tab n°1 Les gaz à effet de serre (GES)28
                    %*    Prg**     Durée**    Sources
                    68    1         > 100      Énergies
    Gaz
                                    ans        fossiles,
    carbonique
                                               cimenteries,
    (CO2)
                                               déforestation.
                     18 23          > 10       Agriculture,
    Méthane                         ans        déchets,
    (CH4)                                      exploitation
                                               pétrolière
                     9    140 à     Jusqu’à Réfrigérants,
    Gaz fluorés
                          11700     50000      aérosols,
    (CFC, HFCs,
                                    ans        industrie
    PFCs, SF6 )
                                               électronique
    Protoxyde        5    300       120 ans    Engrais
    d’azote                                    azotés,
    (N2O)                                      chimie.
    * Pourcentage de contribution à l’effet de serre
    ** Pouvoir de réchauffement global, par rapport au
    gaz carbonique.
    *** Durée de séjour dans l’atmosphère. Pour le gaz
    carbonique, sa durée de séjour dépend du niveau de                Fig. n°2 Variations historiques des taux de
    l’activité photosynthétique des plantes : plus il y a de          gaz carbonique dans l’atmosphère29.
    plantes en croissance, plus elles absorbent du                    Le trait rouge correspond à la concentration
    carbone, moins celui-ci reste longtemps dans                      mesurée en juin 2005, soit 380 ppm (parties
    l’atmosphère.                                                     pour millions).




    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                       13
En absorbant du carbone pendant des milliards           Les perturbations climatiques coûtent chaque
d’années, la vie a permis à la température              année des centaines de milliards d’euros, tant
terrestre de descendre à des niveaux                    pour les territoires que pour les entreprises gérant
compatibles avec l’existence de l’Homme. Ainsi,         des    infrastructures     lourdes.    L’agriculture
depuis plus de 400 000 ans et semble-t-il, sur le       commence à souffrir : par manque d’eau, le
dernier million d’années, la concentration de           sud-ouest de la France pourrait être amené à
gaz carbonique est restée comprise entre 190 et         renoncer à la culture du maïs, base de son
300 ppm (fig n°2, milieu) – avec des variations         économie agricole. Les modèles de prédiction
liées à la position du soleil par rapport à la Terre.   du risque des assurances sont remis en cause
                                                        (zoom n°4).
La révolution industrielle est venue bouleverser
cet équilibre : en brûlant des carburants fossiles,
l’activité économique a commencé à rejeter              Zoom n°4 Un monde sans assurances ?
dans l’atmosphère le carbone stocké par les
végétaux de la préhistoire. Ainsi, en 250 ans, la       En Floride, l’ensemble des cyclones de 2004 et
                                                        2005, les 2 années les plus touchées de mémoire
concentration de CO2 dans l’atmosphère est
                                                        d’homme, ont coûté 345 milliards de dollars, dont
passée de 280 ppm à 380 ppm. Ce niveau est
                                                        135 pour Katrina. Les climatologues du GIEC, parmi
35% supérieur à son niveau le plus élevé depuis
                                                        les plus prudents, estiment probable31 que de tels
plus de 400 000 ans (fig. n°2, en haut).                évènements vont continuer d’augmenter en
                                                        fréquence, mais sans pouvoir quantifier ce
Le CO2 rejeté par les carburants fossiles et les        changement. Ces évolutions remettent en cause le
cimenteries n’est pas le seul produit de la             modèle économique des compagnies
révolution industrielle à causer problème. Il s’y       d’assurance, qui ont besoin d’asseoir leurs calculs
ajoute celui issu de la calcination du calcaire         de primes sur des probabilités de risques connues.
dans les cimenteries (5% des émissions), et
                                                        Les compagnies d’assurance pourraient se révéler
surtout celui de la déforestation et de
                                                        incapables de prendre en charge des événements
l’appauvrissement des sols. Par ailleurs,
                                                        échappant aux prévisions, ou augmenter tellement
l’agriculture et l’industrie chimique rejettent         les primes que de plus en plus d’individus et
d’autres gaz à effet de serre (GES), qui                d’entreprises, renonceront à s’assurer32. C’est déjà
contribuent à plus de 30% de l’effet de serre           le cas aux Etats-Unis, où l’Etat a dû se substituer aux
anthropique (tableau n°1), voire 40% si l’on y          compagnies d’assurance pour indemniser les
ajoute l’ozone.                                         victimes d’ouragans.

L’accumulation de ces gaz déstabilise le
système climatique. En effet, le climat est un
système complexe, instable, régi par des
équations non linéaires de la théorie du chaos.
Ces systèmes montrent une forte dépendance
aux conditions initiales : un changement très
faible peut suffire à les faire basculer
brutalement d’un état à l’autre.

Depuis le début de la révolution industrielle, la                               Vallée de la Somme, 2001
température terrestre moyenne s’est réchauffée
de 1°C en moyenne. L’océan, lui ne s’est
réchauffé que d’à peine 0,5°C en surface. Ces
différences encore faibles sont inégalement
réparties, et, suffisent déjà à provoquer des
perturbations importantes. Ainsi, aux pôles, la
hausse atteint 6°C, assez pour provoquer le
dégel des glaces polaires et la montée des
eaux. La hausse de température de 0,5°C de
l’océan a suffi pour augmenter l’intensité des
ouragans en Floride, et doubler la fréquence des
plus violents d’entre eux sur les 30 dernières
années30.

On assiste ainsi à une augmentation des
événements extrêmes, souvent catastrophiques :
canicules, sécheresses, inondations, cyclones.
Onze des années les plus chaudes depuis 1880
se situent dans les douze dernières années, et la
fréquence des ouragans a doublé en 30 ans.
Ces perturbations détruisent des milliers de vies
humaines : 35 000 morts en Europe pour la
canicule de 2005.



Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                        14
Eviter l’emballement
!   !!!!!!!!!!!!!!!
    Alors, que se passera-t-il si les températures         Vingt ans ont suffi pour moderniser l’agriculture
    continuent d’augmenter ? Le risque d’une               française et passer du cheval (1950) au tracteur
    déstabilisation    complète      du   climat,    in-   (1970). Vingt ans ont suffi pour sortir l’Asie de la
    compatible avec le maintien de notre économie          famine (1955) et la mettre sur la voie de la
    et de notre civilisation, est proche. C’est ce que     croissance (1975). Certains assimilent cette
    rappelle par exemple Hansen, un climatologue           volonté à celle du plan Marshall , par lequel les
    de la NASA : « En poursuivant la tendance              Américains ont fourni à l’Europe les moyens de
    actuelle, on arrive à une augmentation de la           se reconstruire après 1945. Les enjeux du climat
    température de 2 ou 3°C. On verrait alors des          appellent un plan Marshall planétaire.
    changements qui feraient de la Terre une tout
    autre planète que celle que l’on connaît
    aujourd’hui. La dernière fois dans l’Histoire que la   Idée reçue n°3 Les coûts du changement
    Terre a été aussi chaude, c’était il y a environ 3
                                                           climatique peuvent être chiffrés
    millions d’années – et le niveau des mers était 25
    m plus élevé qu’aujourd’hui.33 »                       Le rapport Stern36 chiffre le coût global sur les 10 ans
                                                           à venir du changement climatique : 5.500 milliards
    Le dernier rapport du GIEC (février 2007)              d’euros, soit 15% du PIB mondial annuel ou 18 fois le
    envisage des hausses de 1,1 à 6,4°C pour le            budget de l’Etat français. De tels calculs
    prochain siècle. Ces prévisions sont modérées :        entretiennent l’illusion qu’il est possible de
    le GIEC est un groupe intergouvernemental, dont        modéliser les conséquences du changement
                                                           climatique sur l’économie. Ils reposent sur une vision
    les conclusions résultent de compromis entre des
                                                           obsolète de la physique et de l’économie, qui
    positions très diverses. Or, un nombre croissant
                                                           obéiraient à des lois linéaires, comme la physique
    d’experts     refusent    de   cautionner     cette
                                                           de Newton. En réalité, l’atmosphère et le climat,
    fourchette : au-delà d’une hausse de 2°C, la           tout comme les marchés financiers, sont régis par la
    modélisation devient impossible34. En effet, à         théorie du chaos. Ils peuvent changer brutalement
    partir de certains seuils, la hausse de la             d’état suite à une faible perturbation. C’est ainsi
    température est un phénomène auto-renforcé :           que sur une place boursière, le retrait d’un seul
    les réservoirs de carbone naturels que sont les        agent financier peut entraîner tous les autres à sa
    sols, les permafrosts, la végétation et les océans     suite et provoquer un krach.
    se mettent à vider leurs stocks. Un emballement
                                                           Le climat est proche du krach. La hausse des
    du réchauffement climatique, aux effets par
                                                           températures est telle, que le comportement des
    nature imprévisibles, est alors probable (Idée
                                                           océans, des sols et de la végétation menace de
    reçue n°3).                                            s’inverser. Au lieu d’absorber du carbone, ils
                                                           commencent à en rejeter. Ainsi, pendant les
    Sur les 30 dernières années, le taux de CO2 dans       canicules, les végétaux freinent leur croissance
    l’atmosphère s’est accru en moyenne de 1,5             pour éviter les pertes en eau : ils émettent alors du
    ppm par an, soit un flux net de 3 GtC/an (3            carbone au lieu d’en stocker. Dans le Grand Nord,
    milliards de tonnes d’équivalent carbone). Mais        le dégel des permafrosts a commencé. Ces sols
    les émissions ont augmenté, et la capacité de          gelés représentent 20% des terres émergées, et
    stockage des puits naturels diminue. Ainsi, entre      atteignent jusqu’à 440 m d’épaisseur... Ils
    1995 et 2005, l’accroissement moyen a été de           contiennent des milliards de tonnes de carbone,
    1,9 ppm/an35 - et 2,5 pendant les années les plus      piégés sous formes d’hydrates de méthane, que la
    chaudes, du fait du ralentissement de la               fonte transforme en CO2 et en CH4. Selon
    croissance des végétaux pendant les canicules.         l’expression d’Hubert Reeves, l’Homme s’apprête
    Par     ailleurs, il  faut  tenir   compte    de       ainsi à « libérer les dragons » .
    l’accroissement des émissions des pays                 Plus inquiétant encore est le rôle des océans. Le
    émergents. Ainsi, en l’absence de mesures              carbone qu’ils ont absorbé depuis 250 ans
    correctrices, la concentration de CO2 dépassera        provoque une acidification des eaux, qui limite la
    450 ppm dans environ 20 ans, ce qui correspond         capacité du plancton à fixer du carbone. En cas
    à une hausse de température de 2°C,                    de réchauffement continu, les océans pourraient
    rapprochant sérieusement le risque d’un                même libérer les hydrates de méthane stockés en
    emballement (cf. tab n°2, scénario 1).                 profondeur. En raison de leur inertie thermique, les
                                                           océans se sont encore peu réchauffés : ils
    Bonne nouvelle : cela signifie qu’il nous reste 20     représentent une véritable bombe à retardement.
    ans pour mettre en place une économie                  Aucun modèle physique ne permet de prédire les
    positive, qui stocke du carbone et restaure la         effets d’un emballement du réchauffement
    stabilité du climat. Vingt ans, C’est suffisant pour   climatique. Une chose est sûre : les conséquences
    transformer les bases de l’économie, à condition       économiques – catastrophes naturelles, famines,
    de démarrer vite. Vingt ans ont suffi pour             épidémies, déplacements de population –
    reconstruire les économies d’Europe après la           dépasseront elles aussi toute capacité de calcul.
    seconde guerre mondiale, et transformer un
    champ de ruines (1945) en une économie en
    plein boom (1965).


    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                        15
Arrêter la fuite en avant
!   !!!!!!!!!!!!!!!
    D’ores et déjà, un nombre croissant de
    consommateurs, d’entreprises et de territoires         Idée reçue n°4 Le changement
    ont pris acte du réchauffement et mettent en           climatique ? Il faut s’adapter !
    place des solutions visant à s’adapter à ce qui        Une stratégie classique, face au réchauffement
    paraît inéluctable. Les stratégies d’adaptation au     climatique, consiste à investir dans la climatisation :
    changement climatique relèvent le plus souvent         un bel exemple de renforcement du changement
    de la fuite en avant : en s’adaptant, les acteurs      climatique dû à l’Homme. Les climatisations
    économiques renforcent le problème. C’est le           automobiles, par exemple, engendrent une
    cas par exemple de la climatisation des                surconsommation de 15%, soit autant de rejets de
    automobiles et des bâtiments, lorsqu’elle est          CO2. Quant aux entreprises qui investissent dans la
    alimentée par des énergies fossiles, ce qui est        vente de climatiseurs en croyant y déceler le
    majoritairement le cas à l’échelle planétaire          marché de demain, elles risquent des déceptions
    (Idée reçue n°4).                                      lorsque le prix du carburant et des quotas de
                                                           carbone rendra leur utilisation prohibitive… à moins
    De la même manière, les réponses à la hausse           d’investir dans des climatisations solaires.
    des prix de l’énergie relèvent de la fuite en          Comment relancer l’économie de la Mongolie ou
    avant. Pour remplacer le pétrole, la tentation est     du Maroc, pays frappés par des sécheresses sans
    grande d’utiliser le charbon, moins cher mais          précédent, dues au changement climatique ? Dans
    plus fortement émetteur de carbone, ou de faire        ces deux pays, la même solution est avancée : le
    appel aux gisements de sables bitumineux, dont         développement du tourisme, et de préférence en
    l’exploitation est fortement consommatrice             provenance des pays riches, donc reposant sur
    d’énergie. Il est ainsi illusoire d’espérer que        l’avion... le mode de transport qui contribue le plus
    l’épuisement des réserves de pétrole sauvera           au réchauffement climatique, par kilomètre-
    l’économie de l’emballement climatique.                passager. Et en effet, les compagnies aériennes
                                                           « low-cost » se multiplient, baissant leur niveau de
                                                           service pour conserver des clients malgré la hausse
    Comment se fait-il qu’autant de « réponses » aux
                                                           du prix du pétrole. Jusqu’à quand ce modèle
    nouveaux enjeux de l’économie aggravent le
                                                           d’investissement sera-t-il rentable ?
    problème ? Parce que les acteurs économiques
    qui les mettent en œuvre sont prisonniers d’un
    modèle linéaire, dépendant des énergies
    fossiles, qui ne sait intervenir sur un problème       Oasis, première compagnie low-cost longue
    qu’en dépensant plus d’énergie, et en rejetant         distance : adaptation ou fuite en avant ?
    plus de carbone.

    Les entreprises et les territoires qui s’adaptent de
    cette manière s’enferment dans un modèle qui,
    demain, deviendra impossible à maintenir en
    raison du coût croissant de l’énergie et de la
    tonne de carbone émise. C’est à la racine du
    problème qu’il faut agir : en mettant en place
    des stratégies de croissance qui réduisent les
    émissions et absorbent du carbone.




    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                       16
Des scénarios pour 20 ans
!   !!!!!!!!!!!!!!!
    Les solutions avancées pour le changement
    climatique visent à limiter l’augmentation de
    carbone dans l’atmosphère, et à stabiliser sa
    concentration en dessous de 450 à 550 ppm d’ici
    à 2050. Cela correspond à une division par 2 des
    émissions globales, soit une division par 4 dans les
    pays industrialisés, en considérant que les pays
    pauvres et émergents ne seront pas en mesure
    de réduire leurs émissions. Cet objectif
    correspond au « facteur 4 » de réduction défini
    pour la première fois dans un rapport au Club de
    Rom en 199737, et repris dans la plupart des
                                                              Fig n°3 Stocks et flux de carbone en Gt40
    politiques de lutte contre le changement
                                                             Emissions en rouge, absorptions en vert. Les chiffres
    climatique, notamment en France38.
                                                             dans chaque case représentent les stocks. Pour
                                                             chaque flux, l’incertitude est de +/- 1 Gt. Rappelons
    Cet objectif est-il suffisant ? Sans doute pas :         que 1 t de CO2 contient 0,27 t de carbone, donc 1
    compte tenu de l’inertie des océans, même en             GTC correspond à 3,27 t de CO2.
    cas de stabilisation de la concentration de CO2 à
    des valeurs égales ou supérieures aux valeurs
    actuelles,      la    température      continuerait
    d’augmenter, jusqu’à l’emballement. La seule
                                                             Réduire les émissions fossiles
    solution permettant de stabiliser le climat de           Les émissions proviennent essentiellement de la
    manière durable est de revenir aux niveaux de            combustion des carburants fossiles, et, pour 5%,
    concentrations de gaz carbonique antérieurs à la         à la calcination du calcaire pour les cimenteries.
    révolution industrielles, et qui ont permis à            En effet, l’économie actuelle repose à 77% sur
    l’humanité de jouir un climat relativement stable        les énergies fossiles : pétrole (32%), charbon
    sur les 10 000 dernières années39.                       (26%), gaz (19%). Mais compte-tenu de sa teneur
                                                             en carbone, c’est le charbon qui contribue le
                                                             plus aux rejets de CO2 (42%), suivi du pétrole
    L’objectif à atteindre est donc bien la restauration
                                                             (40%) et du gaz (18%).
    du climat. Cela suppose de travailler sur le
    « scénario manquant » qui suppose de ramener
                                                             Tab n°2 Emissions de carbone dues à la
    le taux de CO2 atmosphérique au niveau
                                                             combustion des carburants fossiles (kg/tep)
    antérieur à l’ère industrielle : 280 ppm. Pour cela,
    il faut mettre en place une économie qui stocke                          Kg éq. C/tep Index
    plus de carbone qu’elle n’en émet.                       Gaz naturel     650               1
                                                             GPL             730               1,12 (+12%)
                                                             Essence         830               1,28 (+28%)
    Il s’agit bien d’un « scénario manquant », absent
                                                             Kérosène        850               1,31 (+31%)
    de tous les scénarios officiels. Pourquoi cette
                                                             Diesel, fioul   860               1,32 (+32%)
    absence ? Pour réduire la quantité de CO2
                                                             Charbon         1120              1,72 (+72%)
    atmosphérique, il faudra réduire les émissions,
                                                             Sources : ADEME et EDF41. 1 tep = 12MWh = 43 GJ.
    mais aussi utiliser les sols et la végétation pour
    capter et stocker durablement du carbone. Or
    les connaissances dans ce domaine sont encore            Chaque         année,      l’économie       mondiale
    balbutiantes, et les spécialistes qui rédigent les       consomme 10 milliards de tep (tonnes
    scénarios officiels sont rarement formés à la            équivalent pétrole) d’énergie, qui rejettent ainsi
    gestion des sols et de la forêt. Une lacune qu’il        7 Gt d’équivalent carbone42. Pour réduire ces
    est temps de combler. Explications.                      émissions, il est possible d’ agir sur deux facteurs :
                                                             l’intensité énergétique de la croissance
    Pour     ramener        le   taux      de    carbone     (quantité d’énergie par Euro produit), et
    atmosphérique à ses concentrations pré-                  l’intensité carbone (quantité de carbone par
    industrielles, il faut agir sur les différents flux de   unité d’énergie, ou par Euro produit).
    carbone :
    !   8 à 9 GtC rejetés par l’économie, dont 7 par         Ainsi, entre 1970 et 1985, les mesures d’efficience
        les carburants fossiles et la combustion de          énergétiques et le développement d’énergies
        calcaire, et 1 à 2 par la déforestation et les       alternatives au pétrole ont permis une baisse de
        changements d’utilisation des sols. La première      2 à 3% par an de l’intensité carbone de
        étape est de réduire ces émissions.                  l’économie aux Etats-Unis et en Europe43. En
                                                             Europe, ces mesures ont été maintenues dans
    !   3 GtC absorbés par les puits de carbone, dont        les années 1990, grâce aux politiques de
        2 par les océans et 1 par les sols et la             taxation de l’énergie fossile. Aux Etats-Unis, par
        végétation. Cette capacité d’absorption              contre, la baisse du pétrole, pendant la même
        diminue avec la température. Il est donc             période, a été répercutée aux entreprises et aux
        urgent de restaurer, puis d’augmenter le             particuliers, qui ont alors réduit leurs efforts.
        stockage de carbone dans la biosphère.

    Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                        17
L’industrie dispose aujourd’hui d’une panoplie          d’efficience énergétique (scénario 4). Il est aussi
de techniques beaucoup plus large que dans              possible d’imaginer un scénario dans lequel
les années 1970, en particulier dans le domaine         l’effort de réduction des émissions est plus fort
de l’efficience énergétique. Dès aujourd’hui, les       dans les pays industrialisés, qui ont le plus de
technologies permettant de diviser par 5 la             moyens d’investissements. Le résultat est une
consommation d’énergie d’un bâtiment, et de             parité des niveaux d’émissions en 2025, qui
diviser par 4 celle des véhicules, sont disponibles.    permet elle aussi de stabiliser les émissions en-
Il ne manque que la volonté de les appliquer de         dessous de 415 ppm (scénario 5).
manière générale.
                                                        Ces réductions d’émissions peuvent aussi être
Une baisse de 5% par an, sur les vingt ans à            obtenues par le stockage géologique du
venir, de l’intensité énergétique de l’économie,        carbone. Ce procédé consiste à capter du CO2
serait suffisante pour compenser la hausse du PIB       et à l’injecter dans des mines de sels ou des
mondial et stabiliser les émissions de CO2              gisements de pétrole désaffectés. La limite
mondiales à leur niveau actuel. Cela                    principale de cette technique est qu’elle ne
correspond au scénario 3 du tableau ci-dessous.         permet pas de repomper le carbone émis dans
C’est une première étape, indispensable mais            l’atmosphère depuis la révolution industrielle. Elle
insuffisante. Elle doit absolument mobiliser les        présente cependant un potentiel de réduction
pays émergents, sans quoi la hausse de leurs            des rejets de CO2 sur des sites à émissions
émissions suffira à provoquer un emballement du         concentrées, comme les centrales thermiques
climat (scénario 1 et 2). Cela signifie qu’il est       ou les sites industriels, soit environ 25% des
nécessaire d’investir pour améliorer l’efficience       émissions     mondiales      annuelles     (usines
énergétique, non seulement dans les pays                principalement).
industrialisés, mais dans les pays émergents.
                                                        Il est donc possible de se donner pour objectif,
L’économie dispose aussi d’une panoplie plus            en 20 ans, de réduire les émissions de carbone à
large de technologies de production d’énergie.          un niveau permettant une stabilisation des
En substituant chaque année 5% des carburants           concentrations de CO2. Cela suppose toutefois
fossiles par des énergies non émettrices de             un engagement, dès maintenant, de tous les
carbone – énergies renouvelables et nucléaires          acteurs      économiques        pour     modifier
– il est possible de stabiliser à 415 ppm la            radicalement la base de l’économie – le pétrole
concentration de carbone dans l’atmosphère à            et les énergies fossiles – et passer à une
l’horizon de vingt ans, et ce même avec une             économie efficace en énergie et reposant sur
croissance de 5% par an du PIB mondial – mais à         des énergies n’émettant pas de carbone :
condition d’avoir réalisé la première étape             nucléaire et énergies renouvelables.


Tab 3. Quelques scénarios d’évolution des émissions de carbone par les carburants fossiles
                   Scénario 1         Scénario 2       Scénario 3        Scénario 4        Scénario 5
Pays riches (OCDE, 1,25 milliards d’habitants)
Evolution des      0% (stables)       -7%              0%                -5%               -9%
émissions par
habitant, 2007-
2027 (%/par an)
Emissions par      2,8                0,66 (4 fois     2,8               1                 0,33 (8 fois
habitant, 2027 (t)                    moins qu’en                                          moins qu’en
                                      2007)                                                2007)
Emissions totales  3,5                0,82             3,5               1,25              0,43
2027 (Gt)
Pays pauvres (hors OCDE, 5,25 milliards d’habitants)
Evolution des      +5%                +5%              0%                -5%               -3,5%
émissions par
habitant, 2007-
2027 (%/par an)
Emissions par      1,77               1,77             0,67              0,24              0,33 (2 fois
habitant, 2027 (t)                                                                         moins qu’en
                                                                                           2007)
Emissions totales     11,11            11,11            4,38               1,5             2,05
2027 (Gt)
CO2                   465              450              455                412           408
atmosphérique,
2027, ppm
Idem, 2050            (793)*                (740)*      (523)*             415           412
* Les chiffres entre parenthèses correspondent à des concentrations de carbone au-delà lesquels les
risques d’emballement sont tels que les prévisions deviennent impossibles.



Le livre blanc de l’Economie Positive                                                                     18
Inverser la pompe à carbone : les
sols et les végétaux
En réduisant de manière significative les               Aujourd’hui, la végétation et les sols en place
émissions de carbone fossile, il est possible de        rejettent environ 60 Gt de carbone par an (fig
stabiliser la concentration de carbone autour de        n°3) : ces rejets sont dûs à l’activité normale des
415 ppm. Cet effort n’est pas suffisant, à lui seul,    plantes et des micro-organismes du sol, qui
pour stabiliser le climat, en raison de l’inertie du    consomment des réserves de sucre. Dans le
réchauffement. Il est donc nécessaire de faire          même temps, pendant les périodes où la
redescendre le taux de carbone dans                     photosynthèse est active (la journée, en dehors
l’atmosphère, ce qui suppose des méthodes de            des périodes de canicule), les végétaux et les
captage et stockage durable du carbone.                 bactéries absorbent du carbone. On estime à
                                                        environ 61 Gt cette absorption annuelle. Ainsi, la
Or, le seul moyen disponible aujourd’hui pour           pompe à carbone des végétaux (zoom n°5)
capter du carbone diffus dans l’atmosphère et le        absorbe en net 1 Gt de carbone par an. Mais
stocker de manière durable réside dans la               par      ailleurs,     la      déforestation     et
biosphère : stockage dans les sols, dans la             l’appauvrissement des sols agricoles aboutissent
végétation en croissance, dans les biomatériaux.        à rejeter chaque année environ 1,6 Gt de
La restauration du climat passe donc par une            carbone dans l’atmosphère.
combinaison de réduction des émissions de gaz
à effet de serre et de stockage de carbone              Ainsi, l’ensemble « sols-végétaux » rejette plus de
dans la biosphère.                                      CO2 qu’il n’en absorbe. Cette situation est
                                                        l’inverse de ce qu’a connu la Terre dans le
                                                        passé. Pendant toute la préhistoire, au
                                                        contraire ; les sols et les végétaux ont permis
Zoom n°5 La pompe à carbone                             d’absorber du carbone (cf. ci-dessus). Il est
Les végétaux et les bactéries sont le plus ancien       temps de relancer la pompe à carbone
moyen d’absorber du carbone. En présence de             constituée par les sols et la végétation.
chlorophylle, la photosynthèse permet aux
végétaux de capter l’énergie lumineuse pour             La première stratégie, la plus urgente, consiste à
agréger des atomes de carbone et d’hydrogène,           stopper la destruction des forêts dans le monde
prélevés dans l’atmosphère et dans le sol, selon la     entier, et de remplacer l’abattage des forêts par
réaction : 6 x (CO2 + H2O) " C6H12O6+ 6 O2              l’exploitation   de      ressources     en    bois
                                                        renouvelables,    par     exemples    issues   de
                                                        plantations ou de forêts gérées de façon
                                                        durable, selon les normes définies par le Forest
                                                        Stewardship Council (FSC).

                                                        La deuxième stratégie consiste à inverser la
                                                        dégradation des sols agricoles. L’agriculture
                                                        motorisée et chimisée, à base de labours
                                                        profonds et d’engrais chimiques, a abouti à une
                                                        baisse des taux de matière organique, et donc
                                                        de carbone, dans les sols. Cette baisse peut
                                                        atteindre 70% par endroits. Il est possible
   Chlorophylle dans les cellules végétales : la plus   d’augmenter le stockage de carbone dans les
   efficace des pompes à carbone                        sols en mettant en place des techniques
                                                        agricoles qui améliorent les taux de matière
                                                        organique des sols – avec pour corollaire une
                                                        meilleure fertilité, et moins de besoins en
Les chaînes hydrocarbonées ainsi constituées sont la    irrigation. Plusieurs techniques ont été mises au
base des sucres : glucose, amidon, cellulose, etc.      point pour parvenir à ces objectifs, comme par
(CnH2n), réserves d’énergie de la plante. En            exemple les pratiques de zero tillage ou
présence de chaleur et d’oxygène, les chaînes
                                                        conservation tillage (suppression du labour, ou
hydrocarbonées se cassent : c’est la combustion,
                                                        labours peu profonds). Toutes les techniques qui
qui restitue l’énergie… et le carbone stocké (tab
                                                        reposent sur des engrais organiques et non
n°1). Le pétrole est lui-même une longue chaîne
hydrocarbonée issue de la transformation, sous
                                                        chimiques permettent aussi de restaurer le taux
pression, de déchets animaux et végétaux au cours       de carbone dans les sols.
de la préhistoire. Le charbon a une origine
semblable, avec une durée et une pression telles        Il faut citer également l’utilisation du bois raméal
que la plupart de l’hydrogène a été expulsé. Le         fragmenté (BRF) une technique issue du
calcaire (CaCO3), quant à lui, est constitué des        Canada, qui permet d’accélérer le stockage de
restes de coquilles et squelettes de milliards          carbone dans les sols en épandant du bois de
d’organismes marins.                                    jeunes branches finement broyées. Elle permet
                                                        de reconstituer des sols fertiles, riches en
                                                        carbone, sur des régions désertifiées, et
                                                        d’enrichir les sols appauvris en matière
                                                        organique par l’utilisation des engrais chimiques.

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Le problème de la reforestation est la durée du           Aujourd’hui, les sols et la végétation contiennent
stockage du carbone dans les arbres : c’est               environ 2200 Gt de carbone (600 dans la
pourquoi cette solution est peu prise en compte           végétation, 1600 dans les sols)44. Il faut y inclure
aujourd’hui. En effet, il faut pouvoir vérifier           le carbone stocké dans les biomatériaux
chaque année que le carbone stocké dans une               comme le bois, que l’on peut estimer à 10 Gt45.
forêt ou un sol y reste. Pour pallier cette difficulté,
il est possible d’envisager une troisième                 En pratique, il y a encore peu de données
stratégie : le stockage de carbone dans les               scientifiques     permettant    de      quantifier
biomatériaux, comme le bois (environ 10 GtC au            précisément la quantité de carbone stocké par
niveau      mondial       aujourd’hui).     Chaque        différents types de sols et de végétation. Les
construction en bois devient ainsi une                    chiffres du tableau 3 ne représentent que des
opportunité de stockage de carbone pendant                moyennes susceptibles de fortes variations. Ainsi,
toute sa durée de vie – le matériau pouvant               les résultats d’expérience disponibles fournissent
ensuite être réutilisé, ou brûlé en substitution de       des données très variables selon les sites, les
carburants fossiles.                                      techniques et les espèces employées, etc. Il est
                                                          urgent de travailler sur cette thématique,
                                                          compte-tenu de son potentiel pour contribuer à
                                                          la restauration du climat.
Zoom n°6 Les stocks de carbone
                                                          Il est possible néanmoins de fournir une
Toutes les surfaces végétales ne pompent pas du           évaluation du « scénario manquant » : restaurer
carbone : une forêt « mature » en équilibre rejette       el climat en ramenant le taux de CO2 dans
autant de carbone qu’elle en prélève. En                  l’atmosphère à son taux pré-industriel de 280
revanche, une forêt en croissance absorbe du              ppm.
carbone (le bois en contient environ 50%). Dans les
régions tropicales, le carbone est surtout stocké         Pour atteindre ce résultat, il faut combiner trois
dans les arbres. Ainsi, la déforestation est une cause    types de mesures :
importante d’émissions de carbone, compte tenu            !   les réductions d’émissions envisagées dans le
du fait que plus de la moitié du bois abattu est              tableau 2
brûlé ou décomposé.
                                                          !   ralentir la déforestation et la dégradation
Dans les régions plus froides, la matière végétale se         des sols
décompose plus lentement dans les sols, qui
contiennent ainsi plus de carbone. Mais les sols
                                                          !   stocker du carbone par la reforestation et la
agricoles de ces régions subissent un                         restauration des sols.
appauvrissement, du fait de l’utilisation d’engrais
chimiques – dont l’urée, issue de la pétrochimie, qui     Ainsi par exemple, il est possible d’atteindre 280
remplace l’azote organique fourni autrefois par les       ppm dans 40 ans – et revenir à 340 ppm d’ici 20
engrais animaux. Ces sols contiennent moins de
                                                          ans – en combinant les mesures suivantes :
matière vivante, et donc moins de carbone que les
sols de culture à base d’engrais organiques.              !   réduction de 5% par an des émissions de
                                                              carburants fossiles

Tab3. Stockage de carbone                                 !   diminution de 50% par an du taux de
dans les sols et la végétation (t/ha)                         déforestation et de dégradation des sols
                                                          !   augmentation de 0,1% par an de la quantité
 En tonnes /         Végé-        Sol   Tot   Sol/tot
                                                              de carbone stocké dans les sols et la
 hectare             tation
                                                              végétation mondiale. Cela correspond à
 Terres cultivées    2            80    82    98%
                                                              une absorption de 2,2 Gt de carbone par
 Forêts tropicales   120          123   243   51%
                                                              an, ou encore une augmentation de 10%
 Forêts tempérées    57           96    153   63%
                                                              par an sur 1% des surfaces.
 Forêts nordiques    64           344   408   84%
 Savanes             29           117   146   80%
                                                          Tous les moyens nécessaires sont déjà
 Prairies            7            236   243   97%
                                                          disponibles pour freiner le réchauffement
 tempérées
 Toundra             6            128   134   95%
                                                          climatique et restaurer le climat. Il reste 20 ans
 Zones désertiques 2              42    44    96%
                                                          pour agir : dans 20 ans, les seuils d’emballement
 Zones humides       43           643   686   84%         seront peut-être atteints dans le cadre de
Sources : GIEC, rapport 2001                              l’économie actuelle. En construisant une
                                                          économie positive, il est encore possible de
                                                          choisir un autre destin.




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Livre Blanc Economie Positive

  • 1. 20 ans pour restaurer le climat Le livre blanc de l’économie positive Anne Gouyon et Maximilien Rouer, mars 2007 livreblanc@becitizen.com
  • 2. Les auteurs Ingénieur agronome et Biologiste cellulaire et Docteur en Sciences ingénieur agronome, Economiques et Sociales, Maximilien Rouer est Anne Gouyon a démarré sa Président et co-fondateur de carrière en Asie et Afrique BeCitizen depuis 2000. En tant comme chercheuse en agro- que conférencier ou au cours foresterie au CIRAD, de missions de conseil, il s’est organisme français de adressé à des centaines de coopération scientifique. Elle décideurs locaux et de chefs est ensuite devenue consultante pour des d’entreprise, de la PME aux multinationales, pour entreprises du secteur agricole et environnemental, les aider à faire évoluer leur activité vers la et pour des organismes internationaux. Expert restauration de l’environnement. Infatigable auprès de la Banque Mondiale, puis du côté des avocat de l’Economie Positive, il est aussi membre ONGs (WWF, Rainforest Alliance), elle a créé la du Conseil National du Développement Durable, Fondation Bumi Kita (« Notre Terre à Tous »), enseignant à HEC, et chroniqueur au quotidien La spécialisée en développement rural et en Tribune. À la TV, sur FR2, il a été à l’origine du écotourisme. Elle est co-fondatrice et associée de Climaction et a réalisé les commentaires d’Objectif BeCitizen depuis 2000. Terre pour Yann Arthus-Bertrand. BeCitizen est un acteur de référence en matière de conseil stratégique auprès des entreprises et des collectivités sur les enjeux clés de l’avenir : changement climatique, renchérissement de l’énergie et des matières premières, gestion des déchets, santé et toxicité, préservation des ressources en eau et du vivant, accès à l’emploi et revitalisation des territoires. BeCitizen propose des solutions innovantes, fondées sur le concept d’Economie PositiveTM, intégrant les technologies environnementales les plus performantes et des solutions de financement adaptées. Créateur du concept d’Economie Positive, BeCitizen souhaite en assurer la plus grande diffusion dans le respect de son sens original. Ont contribué à ce document : Philippe Freund, Ingénieur agronome, associé Rodolphe Deborre, Ingénieur agronome, cofondateur de BeCitizen, Directeur scientifique Directeur offre construction positive, expert et Directeur offre finance carbone. carbone. Walid Malouf, Master en Sciences Economiques Vincent Bovet, Ingénieur des Mines, spécialiste et Politiques, Univ. de Berkeley et MBA HEC, nouveaux matériaux et construction positive associé de BeCitizen, Directeur général et Directeur offre Cleantech. Marion Huet, École supérieure de commerce de Paris, spécialiste de l’éco-conception. Flora Bernard, MSc. London School of Economics, Directeur offre ressources, déchets Marion Bonnet, Ingénieur agronome, spécialiste et revalorisation des sols. risques toxicités. Capucine Laurent, Ingénieur agronome, Jean-Baptiste Brochier, Ingénieur UTC Directeur offre biomasse / agro-ressources, Compiègne et Univ. de Saragosse. expert carbone. Léna Spinazzé, École supérieure de commerce de Lyon, Directeur offre nouveaux marchés. Merci à Sarah Kefi pour son appui administratif. Le livre blanc de l’Economie Positive v 1.0 1
  • 3. Préambule Les conditions de vie de la société, des territoires et de l’entreprise changent sous l’action conjointe de défis sans précédents. Des défis qui s’apparentent à une déclaration de guerre : la guerre pour la survie de notre civilisation, dans un climat qui se réchauffe. Le climat régit les conditions de la vie. À la déstabilisation du climat, s’ajoutent l’insécurité énergétique, la raréfaction des ressources, la destruction des sols, des réserves d’eau et de la biodiversité… tout cela dans un monde qui s’apprête à intégrer 3 milliards de nouveaux consommateurs, engagés dans une course effrénée pour accéder aux mêmes ressources limitées. Face à ces défis, certains parlent de décroissance, ou d’ajustement de la consommation. Est-il acceptable de parler de décroissance quand 4 milliards d’humains n’ont pas accès à une alimentation, une santé, une sécurité, une éducation de qualité ? Quand les habitants du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine sont déjà engagés dans une croissance à 7% par an ? Est-il suffisant de penser que des réductions marginales des consommations permettront de retrouver un climat stable, des sols fertiles, des stocks de ressources et d’eau propre ? C’est dans ce contexte que BeCitizen a choisi de s’engager pour une autre croissance. Nous accompagnons les entreprises, les territoires, vers une nouvelle révolution économique. Nous les aidons à identifier les technologies, les business models, les financements qui leur permettent de créer plus de valeur en stockant du carbone, en produisant des énergies et des ressources renouvelables et non toxiques, en reconstituant des sols fertiles, en dépolluant les nappes phréatiques. Cette nouvelle économie, nous lui avons donné un nom : l’économie positive, une économie qui crée plus de ressources qu’elle n’en détruit. Une économie qui stocke du carbone grâce à la production massive de biomasse, au service de la croissance. Une économie où la croissance est tirée par les chantiers de la restauration du climat, de l’environnement, du capital écologique de l’humanité. Depuis la création de BeCitizen il y a 7 ans, j’ai senti monter le besoin d’un espoir, loin du catastrophisme. C’est de ce besoin qu’est née l’économie positive. Depuis plus de 2 ans, je débats de ses principes et de sa faisabilité avec des chefs d’entreprise, des politiques, des dirigeants d’ONGs et des scientifiques, afin que BeCitizen puisse concevoir avec ses clients des solutions innovantes à la hauteur des nouveaux défis. Ce livre blanc est le fruit de ces échanges. Il clarifie les enjeux, propose des principes d’action concrets, dessine les contours d’un monde positif. Il s’inspire des innovations et du succès de centaines de pionniers. Certains ont été sélectionnés lors de la préparation des Trophées de l’économie positive, d’autres proviennent de nos rencontres, de nos expériences de terrain. Ils sont les gagnants de la nouvelle économie, les gagnants de l’économie positive. Rendez-vous dans quelques mois pour une version 2 de ce livre blanc, que nous vous invitons à enrichir de vos critiques, de vos suggestions, et de vos expériences, en déposant vos commentaires sur livreblanc@becitizen.com. Nous ne sommes qu’au début de l’économie positive. Retenez le cadre de lecture proposé, observez le monde en marche avec cette nouvelle vision, participez avec nous au changement : pour restaurer le climat, le temps nous est compté. Maximilien Rouer, Président de BeCitizen Le livre blanc de l’Economie Positive 2
  • 4. Crédits photographiques et illustrations Couverture (d’en haut à gauche à en bas à droite) : Sécheresse au Brésil, Bernard Osès @ IRD. Palmeraie en Egypte, Yann Arthus-Bertrand. Destruction d’HLM à Mantes, Paris-Skycrapers. Bâtiment positif à Bedzed, Bill Dunster. Introduction Rendu artistique de l’éco-ville de Dongtan,© Arup Zoom n°1, rizières à Bali, Ulung Wicaksono Zoom n°2, Pervenche de Madagascar, Claudine Campa © IRD Idée reçue n°1, graphique d’après Redefining Progress Idée reçue n°2, Savane à Imperata, Ken Langeland, Institute of Food and Agricultural Sciences, University of Florida. Première partie : Sécheresse au Brésil , Bernard Osès @ IRD. Palmeraie en Egypte, Yann Arthus-Bertrand, Plate forme pétrolière, Shell Éoliennes au Danemark, Yann Arthus-Bertrand Évolution du climat, Pierre Thomas Zoom n°5, Nodules photosynthétiques, Université de Koblenz Seconde partie Décharge publique en Indonésie, Anne Gouyon Compostage et taillis de bois-énergie : Ademe. Solution n°26, graine de jatropha, Daimler Chrysler Zoom n°9, Culture de Lactobacillus sakei, A. Marceau @ INRA 20 ans pour restaurer le climat, le livre blanc de l’économie positive, par Anne Gouyon et Maximilien Rouer © BeCitizen Editions. Version 1.0, mise en ligne sur www.becitizen.com le 22 mars 2007. Directeur de la publication : Anne Gouyon, Contacts et commentaires : livreblanc@becitizen.com ISBN en cours Le livre blanc de l’Economie Positive 3
  • 5. Table des matières Introduction : une révolution positive Réinventer la croissance Les origines Du développement durable à l’économie positive Echapper à l’entropie Vers une éco-intelligence Première partie : 3 objectifs Restaurer le climat La crise climatique Eviter l’emballement Arrêter la fuite en avant Des scénarios pour 20 ans Renouveler les ressources Sécuriser les énergies Renouveler les matériaux Restaurer l’eau et les sols Recréer de la diversité L'érosion de la diversité La valeur de la diversité Revitaliser les territoires Intégrer 6,5 milliards de personnes Deuxième partie : 6 principes Plus avec moins Finalité Circularité Complémentarité Plus avec la biosphère Substitution Valorisation Diversité Conclusion : un monde positif Le livre blanc de l’Economie Positive 4
  • 6. Introduction : une révolution positive Réinventer la croissance ! !!!!!!!!!!!!!!! Depuis le début de l’ère industrielle, la popu- Aujourd’hui, l’humanité dispose du plus puissant lation mondiale et la production individuelle1 réseau d’innovation et d’échanges qui ait ont cru d’un facteur 8. En 250 ans, l’espérance jamais existé : 3 millions de chercheurs5, de vie a doublé dans les pays pauvres, et plusieurs dizaines de millions d’entreprises, et 1 quadruplé dans les pays riches. Un ouvrier milliard d’individus connectés par le biais français payé au SMIC jouit d’un niveau de d’Internet. Il reste à chacun de décider dans confort, de sécurité, d’accès à l’information et quel sens utiliser cette capacité créative. de possibilités de déplacements qui feraient rêver un aristocrate de la Renaissance. Déjà, des pionniers ont fait le choix. Ils mettent en place une nouvelle économie, qui produit de Cette croissance est menacée par la l’énergie et des matériaux renouvelables, qui raréfaction des ressources naturelles (pétrole, stocke du carbone, qui restitue des sols fertiles et minerais, eau, sols, biodiversité) et leur corollaire, des stocks d’eau propre : une économie la hausse du prix de l’énergie et des matières positive, qui crée de la croissance pour tous, premières. Le réchauffement du climat en restaurant le capital écologique de bouleverse déjà la production agricole et les l’humanité. Une économie fondée sur l’éco- modèles de prévision du risque. D’ici 20 ans, en intelligence, qui se nourrit de diversité, et inclut 6,5 cas d’accélération du changement milliards d’humains pour créer plus de prospérité climatique, ce sont les conditions mêmes de de manière pérenne. la vie sur terre qui pourraient être remises en cause – ou, tout au moins, la survie de notre Ce livre blanc vous invite sur les traces de ces civilisation. pionniers, qui sont les gagnants du monde de demain. Il définit les nouveaux enjeux Alors, faut-il stopper la croissance ? Impensable, économiques : restaurer le climat et renouveler alors que 4 milliards d’êtres humains vivent les ressources, en recréant de la diversité. À 2 avec moins de 1,5 ! par jour . Impossible, travers 27 exemples, il révèle les principes lorsque le Brésil, la Russie, l’Inde, et la Chine d’action des pionniers de l’économie positive : représentent 3 milliards de personnes et 7% de fonctionnalité, circularité, complémentarité, sub- croissance économique annuelle. Inaccep- stitution, valorisation, diversité. Il dessine les table, alors que même dans les pays riches, contours d’un monde positif. l’anxiété croît face à l’érosion des revenus des classes moyennes, à la montée du chômage et Il nous reste 20 ans pour construire l’économie de la précarité3. Dans ce contexte, la positive, 20 ans pour restaurer le climat et globalisation des échanges, qui est pourtant l’un l’environnement. Vingt ans pour décider du sort des moteurs de l’économie, devient une source de l’humanité. Le défi est immense, les de menaces : compétition entre les individus au opportunités sont là. Le chantier est passionnant. niveau mondial4, flux migratoires, terrorisme, etc. Plus que jamais, la croissance est donc néces- saire. Une croissance qui, au lieu de puiser dans Dongtan, Chine : l’environnement, devra aussi en restaurer la une éco-ville pour capacité à remplir les besoins de l’humanité. 500 000 personnes Impossible ? Et pourquoi ? L’histoire de l’humanité est ponctuée de crises, surmontées par des innovations qui ont abouti à des changements systémiques. Il y a 10 000 ans, des chasseurs-cueilleurs affamés ont semé des céréales sauvages. En devenant agriculteurs, ils se sont sédentarisés, ont pu créer un surplus, puis développer l’artisanat et le commerce. Il y a 400 ans, c’est grâce à la crise du bois en Angleterre que des compagnies minières se sont lancées dans l’extraction du charbon, qui a mis en mouvement la première Révolution industrielle. Le livre blanc de l’Economie Positive 5
  • 7. Les origines ! !!!!!!!!!!!!!!! Sols fertilisés par la fumure, oasis, rizières irriguées : Toutes les sociétés ont exploité, à des degrés autant d’écosystèmes artificialisés qui peuvent divers, les ressources de leur environnement. Les nourrir de 50 à 500 habitants par km2, contre à premiers chasseurs-cueilleurs exploitaient les peine 5 pour la forêt naturelle. Le surplus dégagé ressources naturelles de manière marginale, et la main d’œuvre libérée alimentent le globalement compatibles avec leur renouvel- commerce et l’industrie. Toutes les sociétés lement. Cette période de l’humanité cor- n’ont pas su entretenir leur capital écologique. respond à une vision animiste de la Nature, Les habitants de l’île de Pâques ont abattu tous perçue comme toute-puissante et infinie. L’idée les arbres de leur territoire pour transporter les 8 d’un impact de l’Homme sur la Nature, dont il célèbres statues . On sait moins que la chute de fait partie, n’est même pas concevable6. Rome est liée à la surexploitation de son environnement. Au début de l’histoire romaine, Avec l’agriculture, l’Homme transforme son l’Italie était riche en forêts. Pour financer les environnement : il crée de nouvelles variétés de dépenses croissantes de l’Empire, il fallut céréales, domestique des animaux, défriche des déboiser, puis réduire les jachères, jusqu’à 9 forêts. Il est désormais capable d’augmenter son appauvrir les sols et les transformer en désert . capital écologique, c’est-à-dire la capacité de son environnement à fournir les biens et les Les premières sociétés agricoles restent incons- services dont il a besoin (zooms n°1 et 2). cientes de leur impact sur l’environnement. Les changements s’étalent sur des périodes trop longues pour leurs moyens d’observation. Par Zoom n°1 L’île-jardin ailleurs, en l’absence de pensée systémique, Comment les habitants de Bali – et d’autres régions comment faire le lien entre l’épuisement des sols rizicoles d’Indonésie, de Chine, ou du Viêt-Nam7 – de Rome, et sa décadence économique et arrivent-ils à nourrir plus de 500 habitants/km2, soit 5 politique ? Ainsi, l’Homme croit encore la Nature fois plus qu’en France, avec peu de dépenses en toute-puissante. Il est vrai que l’effondrement énergie ? Grâce au capital écologique accumulé des sociétés agricoles reste de portée limitée : sur leur territoire. Ce capital est en partie naturel : aucune civilisation n’a encore les moyens les rizières se nourrissent des cendres des volcans et d’avoir un impact global sur l’environnement. d’une forte pluviométrie. Il a été enrichi par des générations de cultivateurs qui ont construit des La révolution industrielle induit un changement terrasses et des canaux d’irrigation, sélectionné des d’échelle. En exploitant les énergies fossiles, variétés de riz adaptées aux conditions locales, et l’Homme se dote d’une puissance sans mis en place des associations entre élevage, précédent : la consommation d’énergie d’un pêche et cultures, complétées par des jardins agro- Européen d’aujourd’hui correspond au labeur forestiers qui abritent des dizaines d’espèces utiles. 10 de 100 esclaves, 8 heures par jour . Désormais, l’économie exploite le capital écologique global à des taux supérieurs à son renouvellement. Dans le même temps, le rapport à la nature change. Les grands monothéismes, suivis par Descartes et Bacon, puis Marx, placent l’Homme au-dessus d’une nature instru- mentalisée11 – dont il ne perçoit toujours pas les limites. C’est l’ère de la toute-puissance. Le réveil sera brutal. Dans les années 1970, après Cette richesse est le fruit d’une interaction positive une nouvelle accélération de la croissance, les entre le travail et l’intelligence collectifs d’une premières conséquences globales se font sentir : société, et son écosystème. Grâce à ce capital, mort des océans, pluies acides, chocs pétroliers. l’économie locale dégage un surplus de ressources Ainsi émerge la notion d’un écosystème et de main d’œuvre, qui ont permis une planétaire à préserver. En 1972, le rapport abondante production artistique, inspirée par la Meadows12, commandé par le Club de Rome, beauté des paysages. À son tour, cette culture s’interroge sur les limites de la croissance. La devient un capital, exploité par un tourisme qui même année, les Nations Unies s’emparent du attire 1 million de visiteurs par an sur une superficie sujet avec la conférence de Stockholm, suivie égale à 1% de celle de la France. en 1992 du Sommet de la Terre de Rio. Deux courants commencent à s’opposer : le courant radical et le courant néoclassique. Le Les sociétés qui ont connu une croissance premier considère que le capitalisme est soutenue sur une longue période sont celles incompatible avec la préservation de l’environ- qui ont su nourrir ce capital écologique. C’est nement. Mêlant politique, économie et philo- le cas de l’Europe depuis le Moyen-Âge, ou des sophie, il prône un changement de société13, sur grandes civilisations rizicoles d’Asie. fond de sacralisation de la Nature. Le livre blanc de l’Economie Positive 6
  • 8. Du développement durable à l’économie positive ! !!!!!!!!!!!!!!! Le second courant, dans lequel s’inscrit ce livre Le mouvement de la RSE trouve ses limites pour blanc, cherche à résoudre les défis environ- avoir tenté de faire oublier la réalité du marché. nementaux dans le cadre de l’économie de Les entreprises n’ont bien qu’une seule bottom- marché, sans exclure bien sûr l’intervention de line, celle qui détermine leur croissance et leur l’Etat. La discipline qui en découle, l’économie survie : leur profit. Or le concept de de l’environnement ou économie des « responsabilité », avec sa connotation de ressources, est très présente aux Etats-Unis, avec charge, entretient l’idée que le développement notamment Pearce, Freeman, Oates, durable est un coût pour l’entreprise. Un coût qu’il Markandya ou Stiglitz. Elle repose sur la prise en faut donc limiter au maximum, en appliquant des compte du capital naturel, formé par les mesures marginales. Ainsi, la RSE ne permet pas ressources naturelles et les services environ- de proposer des stratégies motivantes pour nementaux (zoom n°2). Préserver ce capital l’entreprise, à la hauteur des nouveaux enjeux. suppose d’ « internaliser les externalités », c’est-à- dire faire en sorte que chacun prenne en Pourtant, dès les années 1990, certaines charge les coûts de ses atteintes à entreprises commencent à percevoir les l’environnement – jusque-là supportés par la opportunités liées aux mesures sociales et société, en hypothéquant le futur. environnementales : réduction de coûts, anticipation des risques, création de nouveaux En 1972, dans cette lignée, l’OCDE introduit le business models, confiance accrue des marchés principe « pollueur payeur » dans ses principes financiers. Ainsi, entre 1990 et 2005, le leader directeurs en matière d’économie. Les Etats mondial de la chimie, DuPont, a réduit ses commencent à légiférer dans ce sens. émissions de gaz à effet de serre de 70% – plus L’environnement perd son statut de ressource que son objectif de 65% fixé pour 201017 ! Il a infinie et gratuite, et devient un facteur de ainsi baissé sa consommation d’énergie de 9%, coût. Ainsi, dans les années 1970, les entreprises et économisé plus de 2 milliards de dollars. commencent à mettre en place des mesures de DuPont a aussi développé de nouveaux protection de l’environnement, qui cor- matériaux pour panneaux solaires. L’idée respondent en général à ce que Hart appelle les émerge d’une convergence possible entre les mesures « end of pipe » (« au bout du tuyau »)14. intérêts de l’entreprise et l’environnement, qui Il ne s’agit pas de remettre en cause les devient ainsi un levier de rentabilité. procédés de production, mais de « faire moins mal », par exemple en plaçant des filtres au bout des cheminées d’usine. En 1987, le rapport Bruntdland introduit la notion de développement durable, qui doit « répondre aux besoins de tous, en préservant la capacité des générations futures à remplir leurs besoins ». Dans la décennie suivante, ce concept débouche sur la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et sur l’idée de « triple bottom-line » : les entreprises doivent prendre en compte les intérêts de leurs parties prenantes à travers un triple bilan économique, social et environnemental15. Sous la pression de la société DuPont Photovoltaic Solutions : l’environnement civile et des gouvernements, un nombre comme facteur de gains croissant de sociétés mettent en place des programmes de RSE et publient des rapports de Une nouvelle génération d’économistes propose développement durable16. alors de réconcilier économie et environnement. Aux Etats-Unis, Hawken et Lovins18 ont Vingt ans après le rapport Bruntdland, force est développé la notion de capitalisme naturel, de constater que le développement durable fondée sur 4 principes : maximiser la productivité semble dans l’impasse. Si certaines entreprises des ressources, s’inspirer des écosystèmes, jouent le jeu et tentent de redéfinir leur stratégie vendre des services plutôt que des biens, et dans le sens de la « durabilité », d’autres se investir dans le capital naturel et humain. Ce contentent de créer des postes de RSE sans réel courant débouche sur des concepts pouvoir, et mettent en place des mesures sans opérationnels inspirés du fonctionnement des impact réel. Et tandis que s’empilent les rapports écosystèmes: écoconception19, biomimétisme20, de développement durable, les émissions de écologie industrielle21 (développée sous le nom gaz à effet de serre continuent d’augmenter et d’économie circulaire en Allemagne, puis au les déserts d’avancer. Japon et en Chine22). Le terme de capital « naturel », cependant, Le livre blanc de l’Economie Positive 7
  • 9. donne à penser qu’il existe d’un côté est donc remplacée par celle de capital l’économie, et de l’autre des écosystèmes écologique, qui comprend l’ensemble des naturels dans lequel l’Homme puise, et qu’il ressources et des services fournis par les peut, au mieux, protéger de son influence. écosystèmes, que ceux-ci soient naturels ou Pourtant, l’Humanité aurait-elle inventé artificiels (zoom n°2). Toute entreprise, tout l’agriculture, puis construit des cathédrales en se système économique croît en développant son contentant de « protéger la planète »? Depuis capital. Le projet de l’économie positive est de plus de 10 000 ans, l’Homme n’a eu de cesse restaurer, puis développer ce capital que d’améliorer un environnement qui n’est plus écologique, comme moteur de la croissance. « naturel ». Dans ce livre blanc, la notion de capital naturel Zoom n°2 Qu’est-ce que le capital écologique? L’écosystème planétaire correspond à l’ensemble des êtres vivants, y compris l’Homme, et de leur milieu physique. Il est caractérisé par les relations entre ses composantes : compétitions pour l’énergie, la matière et l’espace, mais aussi complémentarités, voire symbioses. Les organismes les plus évolués, les plus complexes, les plus autonomes par rapport à leur environnement – comme l’Homme – sont aussi, paradoxalement, ceux qui ont tissé le plus grand réseau d’interdépendance avec d’autres d’espèces23. L’économie tire de multiples ressources matérielles de l’écosystème : ! des matériaux issus de processus physiques (métaux, roches), ou de processus biologiques. Ces processus biologiques peuvent être anciens (roches calcaires provenant de la sédimentation du squelette d’organismes marins), ou contemporains (biomatériaux : bois, latex, coton...) ! des carburants fossiles, issus de processus biologiques anciens (charbon, pétrole, gaz) ! des biocarburants, issus de processus biologiques contemporains (bois, biogaz, biodiesel, bioéthanol…) ! des flux d’énergie sous forme de rayonnement calorifique et lumineux (géothermie, énergie solaire). Ces flux créent des différentiels de température qui à leur tour créent de l’énergie sous forme de fluides en mouvement (énergie hydraulique, éolienne, houlomotrice…). ! des sols fertiles, issus de la dégradation de roches et de matières organiques par les éléments et les organismes vivants, et ainsi rendus aptes à l‘agriculture et la foresterie ! des eaux terrestres ou marines aptes à la pêche et à la pisciculture, et de l’eau douce (0,3% du total) apte à la consommation humaine ou aux besoins de l’industrie. L’écosystème fournit aussi des services : ! régulation du climat au niveau global (stockage du carbone dans l’océan, l’atmosphère, les sols, et les végétaux) et local (les arbres dissipent les vents, et augmentent la pluviométrie et l’humidité). ! régulation des flux hydriques dans les sols par le couvert végétal : à l’inverse, la déforestation et le bétonnage de larges surfaces augmentent l’incidence des sécheresses et des inondations. ! information issue de la diversité du vivant, utilisée pour la création de nouveaux produits et procédés industriels : création de nouveaux médicaments à partir de molécules issues de plantes sauvages, amélioration des variétés de blé cultivées à partir des variétés sauvages ou traditionnelles. ! valeur récréative, esthétique et spirituelle des formes du vivant, valorisées par le tourisme et par la création artistique et culturelle : que serait le Club Med sans la beauté des plages tropicales, que serait Disney sans l’émotion suscitée La pervenche de Madagascar, exploitée pour ses alcaloïdes anti-leucémiques par les animaux de la jungle ? Ainsi, le capital écologique représente la capacité des écosystèmes à fournir à l’économie les biens et services dont elle a besoin. L’économie actuelle fonctionne de manière Les conséquences se font sentir pour les linéaire, selon le modèle « extraire, transformer, entreprises, pour les territoires, qui voient jeter ». Elle puise dans les ressources des augmenter à la fois de prix de l’énergie, des écosystèmes, et diminue leur capacité à fournir matières premières, de l’eau, de la gestion des plus de ressources et de services : elle épuise son déchets, des émissions de CO2. Et qui, dans le capital écologique – un peu comme une même temps, font face à des risques nouveaux : entreprise qui aurait hérité d’un stock, et se catastrophes naturelles, crises sanitaires, contenterait de le vendre sans le renouveler. De interdiction d’utilisation de molécules jusqu’alors fait, et malgré une hausse du PIB mondial de courantes, et identifiées comme toxiques. près de 5% en 2006, l’économie est probablement en décroissance, si l’on comptabilise la valeur du capital écologique détruit et non remplacé (idée reçue n°1). Le livre blanc de l’Economie Positive 8
  • 10. Les acteurs économiques – entreprises, Idée reçue n°1 L’économie mondiale a collectivités territoriales – qui contribuent à cette crû de 5% en 2006 nouvelle croissance rentrent dans une stratégie Les calculs de croissance des pays se basent sur le doublement gagnante. PIB, un indicateur qui ne prend en compte que la production de biens et services. Le PIB ne dit rien de D’une part, ils réduisent les coûts et les risques l’état des stocks de ressources du pays : un peu liés à la dépendance à des ressources en voie comme une entreprise qui présenterait un compte de raréfaction. D’autre part, ils créent de de résultats sans bilan. La vente de bois de forêts nouvelles opportunités : nouveaux services, centenaires est comptabilisée comme une nouveaux produits, dont la valeur est appelée à « production ». La Banque Mondiale estime ainsi que augmenter sur le marché au fur et à mesure que 2/3 de la croissance chinoise récente ont été les ressources qu’elles remplacent se raréfient. réalisés sur un « découvert écologique » : une destruction de capital non compensée24. Par ailleurs, le PIB ne prend en compte que les flux monétaires, en l’absence de toute réflexion sur la fonctionnalité de l’économie. Ainsi, les biens et Idée reçue n°2 Il suffirait d’arrêter la services non marchands ne sont pas comptabilisés, croissance pour restaurer l’environnement mais les accidents de la route contribuent à la Il ne suffirait pas de ralentir notre économie pour croissance du PIB. restaurer un climat stable, des eaux propres, des Un Institut californien, Redefining Progress, a défini territoires riches en biodiversité. Et ce, en raison des l’IPV, ou Indice de Progrès Véritable, qui prend en phénomènes d’inertie et d’irréversibilité. compte la valeur des ressources naturelles, ainsi que L’effet d’inertie est à l’œuvre dans le changement la valeur des services non marchands et des coûts climatique. Dans les conditions actuelles de sociaux de la croissance. L’IPV de nombreux pays végétation, le gaz carbonique reste plus de 100 ans est en fait négatif ou nul. De même, bien des dans l’atmosphère, avant d’être capturé par un entreprises seraient déficitaires si elles devaient puits naturel : forêt, océan…. Même si nous arrêtions payer à leur valeur réelle, c’est-à-dire à leur valeur nos émissions, sa présence suffirait à maintenir l’effet de remplacement, les éléments du capital de serre à un niveau tel, que l’océan et écologique qu’elles utilisent. l’atmosphère continueraient de se réchauffer. Il est donc indispensable d’investir pour augmenter le stockage de carbone dans la biosphère, et réduire le CO2 atmosphérique. D’autres changements sont irréversibles, à notre échelle, par les seuls mécanismes naturels. En Asie, 350 000 km2 de terres déforestées sont envahies par l’Imperata, une herbe riche en silice, incomestible pour les vaches et propice aux incendies. Cette végétation est un climax, une forme écologique stable. La forêt ne peut pas la recoloniser naturellement à notre échelle de temps. En revanche, il est possible de reboiser ces zones, en investissant de l’énergie pour retourner Fig 1. PIB et IPV aux USA, 1950-2000 les sols, et du travail intelligent pour choisir des variétés d’arbres adaptées25. Face à cette dégradation, une simple réduction des dégâts, selon le modèle de la « décroissance », ne suffirait pas à restaurer la stabilité du climat et le capital écologique de l’humanité – en tout cas, pas à notre échelle de temps. Et ce, en raison des effets d’inertie et d’irréversibilité à l’œuvre dans les écosystèmes (idée reçue n°2). Une intervention humaine adaptée est au contraire nécessaire pour recréer, au sein des écosystèmes, une dynamique favorable à l’Homme. Il s’agit bien Savane à Imperata d’une logique de croissance, puisque ces interventions nécessiteront des investissements en énergie, en travail et en savoir. Le livre blanc de l’Economie Positive 9
  • 11. Échapper à l’entropie ! !!!!!!!!!!!!!!! Comment restaurer le capital écologique ? En Heureusement, la loi de l’entropie croissante ne agissant différemment sur les deux types de s’applique qu’aux systèmes clos, qui ne ressources fournies par les écosystèmes : les reçoivent pas d’énergie. Or, l’écosystème est ressources d’origine ancienne, et les ressources alimenté en permanence par deux sources renouvelables. d’énergie : le soleil (rayonnement calorifique et lumineux) et la terre (géothermie). Exploiter ces Tout d’abord, les ressources d’origine ancienne : deux sources d’énergie permet de fonctionner c’est le cas des minerais métallifères, des en néguentropie, c’est-à-dire en entropie carburants fossiles, de la biodiversité des forêts décroissante. primaires, etc. Il est impossible de les reconstituer à notre échelle de temps. En revanche, il est Tous les écosystèmes naturels, et tous les possible de prolonger leur usage en améliorant écosystèmes artificialisés durables, fonctionnent la productivité de ces ressources, et en les en néguentropie. À la base, des végétaux et des utilisant de manière circulaire. bactéries exploitent l’énergie du soleil, et la transforment en matière structurée – donc, C’est la première partie des principes de créent de l’ordre. Au « sommet », des animaux l’économie positive : faire plus avec moins. exploitent cette énergie stockée dans les Cette seule stratégie, à terme, se heurte toutefois plantes pour produire encore plus de matière aux principes de la thermodynamique. Le premier structurée. Et partout, des champignons et des principe postule que l’énergie d’un système fermé micro-organismes transforment les restes reste constante : rien ne se perd, rien ne se crée, d’organismes vivants en ressources prêtes à être tout se transforme. Le second correspond à la réutilisées dans un autre cycle. notion d’entropie croissante : dans un système fermé, l’entropie augmente à chaque L’économie positive fonctionne en transformation. Or, plus il y a d’entropie dans un néguentropie. Elle utilise la biosphère – l’énergie système, moins il y a d’ordre, de structure, et moins du soleil et les mécanismes du vivant – pour les ressources sont utilisables par l’économie (zoom renouveler les ressources dont elle a besoin. n° 3). Une économie ou un écosystème qui Ainsi, progressivement, elle remplace des fonctionnerait de manière fermée, sans apport ressources d’origine ancienne par des ressources d’énergie extérieur, serait condamné à voir baisser fournies en temps réel par la biosphère. Elle crée la qualité des ressources à sa disposition. C’est ce de nouveaux écosystèmes, qui fournissent des qui se passe aujourd’hui, par exemple dans le énergies renouvelables, des biomatériaux, qui domaine des métaux ou des carburants fossiles : les stockent du carbone, qui dépolluent les eaux, meilleurs gisements, les plus faciles à utiliser sont en qui recréent des sols fertiles et de la biodiversité. voie d’épuisement. Il reste des ressources moins concentrées, plus difficiles à exploiter. C’est la deuxième partie des principes de l’économie positive : faire plus avec la biosphère. Zoom n°3 Condamnés par l’entropie ? La circulation de la chaleur entre deux bacs d’eau illustre le problème de l’entropie croissante. Au départ, un système composé de deux bacs d’eau de 1 litre chacun, dont l’un à 0°C et l’autre à Vers une éco-intelligence 60°C. Laissé à lui-même, il va évoluer vers plus ! !!!!!!!!!!!!!!! d’entropie : les deux bacs échangent de la chaleur Ces principes – faire plus avec moins, faire plus et au bout de quelques jours, ils sont tous les deux à avec la biosphère – ne sont rien d’autre que les 30°C. La quantité de chaleur totale est la même. principes de base des économies agricoles mais elle est moins utile. Ainsi, une pompe à chaleur d’autrefois. Alors, quoi de nouveau dans permet d’exploiter la différence de température l’économie positive ? entre deux bacs d’eau pour produire de l’énergie. C’est impossible si toute l’eau est à la même La nouveauté, c’est la connaissance acquise température. par l’humanité, principalement au cours des 50 dernières années, sur le fonctionnement des Ainsi, certains économistes26 ont théorisé que la décroissance économique est inéluctable : tôt ou organismes vivants et des écosystèmes. Ce sont tard, l’économie se heurte à la hausse de l’entropie les progrès réalisés en matières d’utilisation des et son corollaire, la dégradation de l’ « utilisabilité » flux d’énergie renouvelables. Pendant des des ressources. Par exemple, à chaque cycle de millénaires, la connaissance du vivant s’est recyclage d’un métal, il y a nécessairement des limitée à l’échelle de la vie quotidienne : les pertes. Au bout d’un grand nombre de cycles, tout organismes vivants visibles à l’œil nu, le champ le métal sera transformé en poussière répartie sur cultivé. Les progrès systémiques des sciences de tout le globe, et très difficile à utiliser. la vie ont commencé lorsqu’elle a abordé l’échelle microscopique (biologie cellulaire et Ce raisonnement ignore pourtant un fait essentiel : moléculaire) et l’échelle macroscopique la Terre n’est pas un système clos. La vie sur Terre a toujours fonctionné en entropie décroissante, grâce (écologie scientifique). Ces développements à l’énergie apportée par le soleil. Ainsi, elle produit datent de moins de 50 ans. de l’ordre, de la structure : de la néguentropie. Le livre blanc de l’Economie Positive 10
  • 12. Ainsi, la génétique moderne est née avec la Dans ce monde positif, la réussite économique découverte de l’ADN en 1953, et s’est ensuite ne reposera plus principalement sur la développée avec les travaux de Jacob, Monod mobilisation de capital financier27. La réussite ne et Lwoff sur la biologie moléculaire. La science dépendra pas de la capacité à accéder à des des écosystèmes, née au XIXè siècle, ne s’est ressources rares, mais de la capacité à les réellement développée qu’à partir des années valoriser au mieux, et à en produire de nouvelles, 1960. L’analyse chimique de la photosynthèse, de manière renouvelable. La réussite reposera, source de toute l’énergie utile de la biosphère, de plus en plus, sur la capacité des acteurs – date de 1950. Ces progrès scientifiques ont été Nations, territoires, entreprises – à mobiliser les possibles grâce à de nouveaux outils : pour savoirs nécessaires pour développer leur capital l’échelle micro, des microscopes électroniques écologique. Les gagnants du monde de demain de plus en plus puissants, pour l’échelle macro, sont ceux qui investissent dans l’éco- des ordinateurs permettant des modélisations de intelligence : en développant des programmes plus en plus complexes. de recherche-développement, de formation de spécialistes opérationnels (ingénieurs, agents de De même, les premières cellules maîtrise) et en favorisant l’emploi de personnels photovoltaïques ne datent que des années 1950. qualifiés par les entreprises et les collectivités. Leur développement a suivi les progrès des L’économie positive crée les emplois de demain. connaissances sur les semi-conducteurs, et celui des satellites, premiers utilisateurs de cette technologie. L’économie positive exploite l’éco-intelligence issue des progrès scientifiques et techniques des 50 dernières années : - compréhension accrue des mécanismes de la biosphère au niveau de l’infiniment petit ; - intelligence systémique, c’est-à-dire compréhension accrue du fonctionnement des systèmes au niveau global, macroscopique. Cette éco-intelligence équivaut à une meilleure compréhension des mécanismes à l’œuvre dans la biosphère, qui permet d’en exploiter les ressources sans les détruire et, au contraire, en les restaurant et en les enrichissant. Grâce à l’éco-intelligence, l’économie positive s’inspire du modèle de l’arbre : sa croissance est continue, mais, loin d’affaiblir son environnement, il le nourrit en allant chercher l’énergie de la lumière et en puisant dans la Terre les minéraux et l’eau dont il a besoin. Ce faisant, il fournit à des milliers d’autres êtres vivants un substrat de croissance, un abri, des aliments, un microclimat favorable. Ainsi se dessinent les contours d’un monde positif, où la restauration du capital écologique alimente la croissance économique. Le livre blanc de l’Economie Positive 11
  • 13. Première partie 3 objectifs Sécheresse au Brésil Oasis en Egypte Plate-forme pétrolière après Katrina Eoliennes au Danemark Restaurer le climat Renouveler les ressources Recréer de la diversité Le livre blanc de l’Economie Positive 12
  • 14. Restaurer le climat La crise climatique ! !!!!!!!!!!!!!!! Le climat régit les conditions de la vie. Il ne Depuis que la Terre existe, la concentration de servira à rien de vouloir restaurer les eaux, la forêt gaz carbonique dans l’atmosphère a ou la croissance économique si le changement globalement diminué, grâce à la photosynthèse climatique assèche les cours d’eau et remet en (fig n°2, en bas). Cette réaction chimique, qui cause les conditions de survie de milliers est à la base de la vie, permet aux végétaux et d’espèces vivantes. Le premier chantier de à certaines bactéries d’absorber du carbone, l’économie positive, qui conditionne tous les de le transformer en sucres (glucose, amidon, autres, est donc bien la restauration de la cellulose…) et de le stocker dans leurs tissus stabilité du climat. (zoom n°5, p.19). Ce carbone s’est ensuite accumulé dans les roches calcaires, formées à Le climat globalement tempéré et stable que partir de squelettes sédimentés d’organismes nous connaissons aujourd’hui est dû à un marins, et, depuis 500 millions d’années, dans le équilibre fragile entre des stocks de carbone charbon, le pétrole et le gaz, issus de la naturels. Ces réservoirs – l’océan, l’atmosphère, décomposition d’êtres vivants. la végétation, les sols, les roches calcaires, les carburants fossiles – échangent en permanence du carbone, sous forme de gaz carbonique (CO2) et du méthane (CH4). Ces deux gaz sont les principaux responsables de l’effet de serre d’origine anthropique (tableau n°1). Ils piègent les rayons de chaleur émis par la terre sous l’effet du rayonnement solaire, et renforcent l’effet de serre naturel. Leur concentration dans l’atmosphère est un des déterminants de la température terrestre. Tab n°1 Les gaz à effet de serre (GES)28 %* Prg** Durée** Sources 68 1 > 100 Énergies Gaz ans fossiles, carbonique cimenteries, (CO2) déforestation. 18 23 > 10 Agriculture, Méthane ans déchets, (CH4) exploitation pétrolière 9 140 à Jusqu’à Réfrigérants, Gaz fluorés 11700 50000 aérosols, (CFC, HFCs, ans industrie PFCs, SF6 ) électronique Protoxyde 5 300 120 ans Engrais d’azote azotés, (N2O) chimie. * Pourcentage de contribution à l’effet de serre ** Pouvoir de réchauffement global, par rapport au gaz carbonique. *** Durée de séjour dans l’atmosphère. Pour le gaz carbonique, sa durée de séjour dépend du niveau de Fig. n°2 Variations historiques des taux de l’activité photosynthétique des plantes : plus il y a de gaz carbonique dans l’atmosphère29. plantes en croissance, plus elles absorbent du Le trait rouge correspond à la concentration carbone, moins celui-ci reste longtemps dans mesurée en juin 2005, soit 380 ppm (parties l’atmosphère. pour millions). Le livre blanc de l’Economie Positive 13
  • 15. En absorbant du carbone pendant des milliards Les perturbations climatiques coûtent chaque d’années, la vie a permis à la température année des centaines de milliards d’euros, tant terrestre de descendre à des niveaux pour les territoires que pour les entreprises gérant compatibles avec l’existence de l’Homme. Ainsi, des infrastructures lourdes. L’agriculture depuis plus de 400 000 ans et semble-t-il, sur le commence à souffrir : par manque d’eau, le dernier million d’années, la concentration de sud-ouest de la France pourrait être amené à gaz carbonique est restée comprise entre 190 et renoncer à la culture du maïs, base de son 300 ppm (fig n°2, milieu) – avec des variations économie agricole. Les modèles de prédiction liées à la position du soleil par rapport à la Terre. du risque des assurances sont remis en cause (zoom n°4). La révolution industrielle est venue bouleverser cet équilibre : en brûlant des carburants fossiles, l’activité économique a commencé à rejeter Zoom n°4 Un monde sans assurances ? dans l’atmosphère le carbone stocké par les végétaux de la préhistoire. Ainsi, en 250 ans, la En Floride, l’ensemble des cyclones de 2004 et 2005, les 2 années les plus touchées de mémoire concentration de CO2 dans l’atmosphère est d’homme, ont coûté 345 milliards de dollars, dont passée de 280 ppm à 380 ppm. Ce niveau est 135 pour Katrina. Les climatologues du GIEC, parmi 35% supérieur à son niveau le plus élevé depuis les plus prudents, estiment probable31 que de tels plus de 400 000 ans (fig. n°2, en haut). évènements vont continuer d’augmenter en fréquence, mais sans pouvoir quantifier ce Le CO2 rejeté par les carburants fossiles et les changement. Ces évolutions remettent en cause le cimenteries n’est pas le seul produit de la modèle économique des compagnies révolution industrielle à causer problème. Il s’y d’assurance, qui ont besoin d’asseoir leurs calculs ajoute celui issu de la calcination du calcaire de primes sur des probabilités de risques connues. dans les cimenteries (5% des émissions), et Les compagnies d’assurance pourraient se révéler surtout celui de la déforestation et de incapables de prendre en charge des événements l’appauvrissement des sols. Par ailleurs, échappant aux prévisions, ou augmenter tellement l’agriculture et l’industrie chimique rejettent les primes que de plus en plus d’individus et d’autres gaz à effet de serre (GES), qui d’entreprises, renonceront à s’assurer32. C’est déjà contribuent à plus de 30% de l’effet de serre le cas aux Etats-Unis, où l’Etat a dû se substituer aux anthropique (tableau n°1), voire 40% si l’on y compagnies d’assurance pour indemniser les ajoute l’ozone. victimes d’ouragans. L’accumulation de ces gaz déstabilise le système climatique. En effet, le climat est un système complexe, instable, régi par des équations non linéaires de la théorie du chaos. Ces systèmes montrent une forte dépendance aux conditions initiales : un changement très faible peut suffire à les faire basculer brutalement d’un état à l’autre. Depuis le début de la révolution industrielle, la Vallée de la Somme, 2001 température terrestre moyenne s’est réchauffée de 1°C en moyenne. L’océan, lui ne s’est réchauffé que d’à peine 0,5°C en surface. Ces différences encore faibles sont inégalement réparties, et, suffisent déjà à provoquer des perturbations importantes. Ainsi, aux pôles, la hausse atteint 6°C, assez pour provoquer le dégel des glaces polaires et la montée des eaux. La hausse de température de 0,5°C de l’océan a suffi pour augmenter l’intensité des ouragans en Floride, et doubler la fréquence des plus violents d’entre eux sur les 30 dernières années30. On assiste ainsi à une augmentation des événements extrêmes, souvent catastrophiques : canicules, sécheresses, inondations, cyclones. Onze des années les plus chaudes depuis 1880 se situent dans les douze dernières années, et la fréquence des ouragans a doublé en 30 ans. Ces perturbations détruisent des milliers de vies humaines : 35 000 morts en Europe pour la canicule de 2005. Le livre blanc de l’Economie Positive 14
  • 16. Eviter l’emballement ! !!!!!!!!!!!!!!! Alors, que se passera-t-il si les températures Vingt ans ont suffi pour moderniser l’agriculture continuent d’augmenter ? Le risque d’une française et passer du cheval (1950) au tracteur déstabilisation complète du climat, in- (1970). Vingt ans ont suffi pour sortir l’Asie de la compatible avec le maintien de notre économie famine (1955) et la mettre sur la voie de la et de notre civilisation, est proche. C’est ce que croissance (1975). Certains assimilent cette rappelle par exemple Hansen, un climatologue volonté à celle du plan Marshall , par lequel les de la NASA : « En poursuivant la tendance Américains ont fourni à l’Europe les moyens de actuelle, on arrive à une augmentation de la se reconstruire après 1945. Les enjeux du climat température de 2 ou 3°C. On verrait alors des appellent un plan Marshall planétaire. changements qui feraient de la Terre une tout autre planète que celle que l’on connaît aujourd’hui. La dernière fois dans l’Histoire que la Idée reçue n°3 Les coûts du changement Terre a été aussi chaude, c’était il y a environ 3 climatique peuvent être chiffrés millions d’années – et le niveau des mers était 25 m plus élevé qu’aujourd’hui.33 » Le rapport Stern36 chiffre le coût global sur les 10 ans à venir du changement climatique : 5.500 milliards Le dernier rapport du GIEC (février 2007) d’euros, soit 15% du PIB mondial annuel ou 18 fois le envisage des hausses de 1,1 à 6,4°C pour le budget de l’Etat français. De tels calculs prochain siècle. Ces prévisions sont modérées : entretiennent l’illusion qu’il est possible de le GIEC est un groupe intergouvernemental, dont modéliser les conséquences du changement climatique sur l’économie. Ils reposent sur une vision les conclusions résultent de compromis entre des obsolète de la physique et de l’économie, qui positions très diverses. Or, un nombre croissant obéiraient à des lois linéaires, comme la physique d’experts refusent de cautionner cette de Newton. En réalité, l’atmosphère et le climat, fourchette : au-delà d’une hausse de 2°C, la tout comme les marchés financiers, sont régis par la modélisation devient impossible34. En effet, à théorie du chaos. Ils peuvent changer brutalement partir de certains seuils, la hausse de la d’état suite à une faible perturbation. C’est ainsi température est un phénomène auto-renforcé : que sur une place boursière, le retrait d’un seul les réservoirs de carbone naturels que sont les agent financier peut entraîner tous les autres à sa sols, les permafrosts, la végétation et les océans suite et provoquer un krach. se mettent à vider leurs stocks. Un emballement Le climat est proche du krach. La hausse des du réchauffement climatique, aux effets par températures est telle, que le comportement des nature imprévisibles, est alors probable (Idée océans, des sols et de la végétation menace de reçue n°3). s’inverser. Au lieu d’absorber du carbone, ils commencent à en rejeter. Ainsi, pendant les Sur les 30 dernières années, le taux de CO2 dans canicules, les végétaux freinent leur croissance l’atmosphère s’est accru en moyenne de 1,5 pour éviter les pertes en eau : ils émettent alors du ppm par an, soit un flux net de 3 GtC/an (3 carbone au lieu d’en stocker. Dans le Grand Nord, milliards de tonnes d’équivalent carbone). Mais le dégel des permafrosts a commencé. Ces sols les émissions ont augmenté, et la capacité de gelés représentent 20% des terres émergées, et stockage des puits naturels diminue. Ainsi, entre atteignent jusqu’à 440 m d’épaisseur... Ils 1995 et 2005, l’accroissement moyen a été de contiennent des milliards de tonnes de carbone, 1,9 ppm/an35 - et 2,5 pendant les années les plus piégés sous formes d’hydrates de méthane, que la chaudes, du fait du ralentissement de la fonte transforme en CO2 et en CH4. Selon croissance des végétaux pendant les canicules. l’expression d’Hubert Reeves, l’Homme s’apprête Par ailleurs, il faut tenir compte de ainsi à « libérer les dragons » . l’accroissement des émissions des pays Plus inquiétant encore est le rôle des océans. Le émergents. Ainsi, en l’absence de mesures carbone qu’ils ont absorbé depuis 250 ans correctrices, la concentration de CO2 dépassera provoque une acidification des eaux, qui limite la 450 ppm dans environ 20 ans, ce qui correspond capacité du plancton à fixer du carbone. En cas à une hausse de température de 2°C, de réchauffement continu, les océans pourraient rapprochant sérieusement le risque d’un même libérer les hydrates de méthane stockés en emballement (cf. tab n°2, scénario 1). profondeur. En raison de leur inertie thermique, les océans se sont encore peu réchauffés : ils Bonne nouvelle : cela signifie qu’il nous reste 20 représentent une véritable bombe à retardement. ans pour mettre en place une économie Aucun modèle physique ne permet de prédire les positive, qui stocke du carbone et restaure la effets d’un emballement du réchauffement stabilité du climat. Vingt ans, C’est suffisant pour climatique. Une chose est sûre : les conséquences transformer les bases de l’économie, à condition économiques – catastrophes naturelles, famines, de démarrer vite. Vingt ans ont suffi pour épidémies, déplacements de population – reconstruire les économies d’Europe après la dépasseront elles aussi toute capacité de calcul. seconde guerre mondiale, et transformer un champ de ruines (1945) en une économie en plein boom (1965). Le livre blanc de l’Economie Positive 15
  • 17. Arrêter la fuite en avant ! !!!!!!!!!!!!!!! D’ores et déjà, un nombre croissant de consommateurs, d’entreprises et de territoires Idée reçue n°4 Le changement ont pris acte du réchauffement et mettent en climatique ? Il faut s’adapter ! place des solutions visant à s’adapter à ce qui Une stratégie classique, face au réchauffement paraît inéluctable. Les stratégies d’adaptation au climatique, consiste à investir dans la climatisation : changement climatique relèvent le plus souvent un bel exemple de renforcement du changement de la fuite en avant : en s’adaptant, les acteurs climatique dû à l’Homme. Les climatisations économiques renforcent le problème. C’est le automobiles, par exemple, engendrent une cas par exemple de la climatisation des surconsommation de 15%, soit autant de rejets de automobiles et des bâtiments, lorsqu’elle est CO2. Quant aux entreprises qui investissent dans la alimentée par des énergies fossiles, ce qui est vente de climatiseurs en croyant y déceler le majoritairement le cas à l’échelle planétaire marché de demain, elles risquent des déceptions (Idée reçue n°4). lorsque le prix du carburant et des quotas de carbone rendra leur utilisation prohibitive… à moins De la même manière, les réponses à la hausse d’investir dans des climatisations solaires. des prix de l’énergie relèvent de la fuite en Comment relancer l’économie de la Mongolie ou avant. Pour remplacer le pétrole, la tentation est du Maroc, pays frappés par des sécheresses sans grande d’utiliser le charbon, moins cher mais précédent, dues au changement climatique ? Dans plus fortement émetteur de carbone, ou de faire ces deux pays, la même solution est avancée : le appel aux gisements de sables bitumineux, dont développement du tourisme, et de préférence en l’exploitation est fortement consommatrice provenance des pays riches, donc reposant sur d’énergie. Il est ainsi illusoire d’espérer que l’avion... le mode de transport qui contribue le plus l’épuisement des réserves de pétrole sauvera au réchauffement climatique, par kilomètre- l’économie de l’emballement climatique. passager. Et en effet, les compagnies aériennes « low-cost » se multiplient, baissant leur niveau de service pour conserver des clients malgré la hausse Comment se fait-il qu’autant de « réponses » aux du prix du pétrole. Jusqu’à quand ce modèle nouveaux enjeux de l’économie aggravent le d’investissement sera-t-il rentable ? problème ? Parce que les acteurs économiques qui les mettent en œuvre sont prisonniers d’un modèle linéaire, dépendant des énergies fossiles, qui ne sait intervenir sur un problème Oasis, première compagnie low-cost longue qu’en dépensant plus d’énergie, et en rejetant distance : adaptation ou fuite en avant ? plus de carbone. Les entreprises et les territoires qui s’adaptent de cette manière s’enferment dans un modèle qui, demain, deviendra impossible à maintenir en raison du coût croissant de l’énergie et de la tonne de carbone émise. C’est à la racine du problème qu’il faut agir : en mettant en place des stratégies de croissance qui réduisent les émissions et absorbent du carbone. Le livre blanc de l’Economie Positive 16
  • 18. Des scénarios pour 20 ans ! !!!!!!!!!!!!!!! Les solutions avancées pour le changement climatique visent à limiter l’augmentation de carbone dans l’atmosphère, et à stabiliser sa concentration en dessous de 450 à 550 ppm d’ici à 2050. Cela correspond à une division par 2 des émissions globales, soit une division par 4 dans les pays industrialisés, en considérant que les pays pauvres et émergents ne seront pas en mesure de réduire leurs émissions. Cet objectif correspond au « facteur 4 » de réduction défini pour la première fois dans un rapport au Club de Rom en 199737, et repris dans la plupart des Fig n°3 Stocks et flux de carbone en Gt40 politiques de lutte contre le changement Emissions en rouge, absorptions en vert. Les chiffres climatique, notamment en France38. dans chaque case représentent les stocks. Pour chaque flux, l’incertitude est de +/- 1 Gt. Rappelons Cet objectif est-il suffisant ? Sans doute pas : que 1 t de CO2 contient 0,27 t de carbone, donc 1 compte tenu de l’inertie des océans, même en GTC correspond à 3,27 t de CO2. cas de stabilisation de la concentration de CO2 à des valeurs égales ou supérieures aux valeurs actuelles, la température continuerait d’augmenter, jusqu’à l’emballement. La seule Réduire les émissions fossiles solution permettant de stabiliser le climat de Les émissions proviennent essentiellement de la manière durable est de revenir aux niveaux de combustion des carburants fossiles, et, pour 5%, concentrations de gaz carbonique antérieurs à la à la calcination du calcaire pour les cimenteries. révolution industrielles, et qui ont permis à En effet, l’économie actuelle repose à 77% sur l’humanité de jouir un climat relativement stable les énergies fossiles : pétrole (32%), charbon sur les 10 000 dernières années39. (26%), gaz (19%). Mais compte-tenu de sa teneur en carbone, c’est le charbon qui contribue le plus aux rejets de CO2 (42%), suivi du pétrole L’objectif à atteindre est donc bien la restauration (40%) et du gaz (18%). du climat. Cela suppose de travailler sur le « scénario manquant » qui suppose de ramener Tab n°2 Emissions de carbone dues à la le taux de CO2 atmosphérique au niveau combustion des carburants fossiles (kg/tep) antérieur à l’ère industrielle : 280 ppm. Pour cela, il faut mettre en place une économie qui stocke Kg éq. C/tep Index plus de carbone qu’elle n’en émet. Gaz naturel 650 1 GPL 730 1,12 (+12%) Essence 830 1,28 (+28%) Il s’agit bien d’un « scénario manquant », absent Kérosène 850 1,31 (+31%) de tous les scénarios officiels. Pourquoi cette Diesel, fioul 860 1,32 (+32%) absence ? Pour réduire la quantité de CO2 Charbon 1120 1,72 (+72%) atmosphérique, il faudra réduire les émissions, Sources : ADEME et EDF41. 1 tep = 12MWh = 43 GJ. mais aussi utiliser les sols et la végétation pour capter et stocker durablement du carbone. Or les connaissances dans ce domaine sont encore Chaque année, l’économie mondiale balbutiantes, et les spécialistes qui rédigent les consomme 10 milliards de tep (tonnes scénarios officiels sont rarement formés à la équivalent pétrole) d’énergie, qui rejettent ainsi gestion des sols et de la forêt. Une lacune qu’il 7 Gt d’équivalent carbone42. Pour réduire ces est temps de combler. Explications. émissions, il est possible d’ agir sur deux facteurs : l’intensité énergétique de la croissance Pour ramener le taux de carbone (quantité d’énergie par Euro produit), et atmosphérique à ses concentrations pré- l’intensité carbone (quantité de carbone par industrielles, il faut agir sur les différents flux de unité d’énergie, ou par Euro produit). carbone : ! 8 à 9 GtC rejetés par l’économie, dont 7 par Ainsi, entre 1970 et 1985, les mesures d’efficience les carburants fossiles et la combustion de énergétiques et le développement d’énergies calcaire, et 1 à 2 par la déforestation et les alternatives au pétrole ont permis une baisse de changements d’utilisation des sols. La première 2 à 3% par an de l’intensité carbone de étape est de réduire ces émissions. l’économie aux Etats-Unis et en Europe43. En Europe, ces mesures ont été maintenues dans ! 3 GtC absorbés par les puits de carbone, dont les années 1990, grâce aux politiques de 2 par les océans et 1 par les sols et la taxation de l’énergie fossile. Aux Etats-Unis, par végétation. Cette capacité d’absorption contre, la baisse du pétrole, pendant la même diminue avec la température. Il est donc période, a été répercutée aux entreprises et aux urgent de restaurer, puis d’augmenter le particuliers, qui ont alors réduit leurs efforts. stockage de carbone dans la biosphère. Le livre blanc de l’Economie Positive 17
  • 19. L’industrie dispose aujourd’hui d’une panoplie d’efficience énergétique (scénario 4). Il est aussi de techniques beaucoup plus large que dans possible d’imaginer un scénario dans lequel les années 1970, en particulier dans le domaine l’effort de réduction des émissions est plus fort de l’efficience énergétique. Dès aujourd’hui, les dans les pays industrialisés, qui ont le plus de technologies permettant de diviser par 5 la moyens d’investissements. Le résultat est une consommation d’énergie d’un bâtiment, et de parité des niveaux d’émissions en 2025, qui diviser par 4 celle des véhicules, sont disponibles. permet elle aussi de stabiliser les émissions en- Il ne manque que la volonté de les appliquer de dessous de 415 ppm (scénario 5). manière générale. Ces réductions d’émissions peuvent aussi être Une baisse de 5% par an, sur les vingt ans à obtenues par le stockage géologique du venir, de l’intensité énergétique de l’économie, carbone. Ce procédé consiste à capter du CO2 serait suffisante pour compenser la hausse du PIB et à l’injecter dans des mines de sels ou des mondial et stabiliser les émissions de CO2 gisements de pétrole désaffectés. La limite mondiales à leur niveau actuel. Cela principale de cette technique est qu’elle ne correspond au scénario 3 du tableau ci-dessous. permet pas de repomper le carbone émis dans C’est une première étape, indispensable mais l’atmosphère depuis la révolution industrielle. Elle insuffisante. Elle doit absolument mobiliser les présente cependant un potentiel de réduction pays émergents, sans quoi la hausse de leurs des rejets de CO2 sur des sites à émissions émissions suffira à provoquer un emballement du concentrées, comme les centrales thermiques climat (scénario 1 et 2). Cela signifie qu’il est ou les sites industriels, soit environ 25% des nécessaire d’investir pour améliorer l’efficience émissions mondiales annuelles (usines énergétique, non seulement dans les pays principalement). industrialisés, mais dans les pays émergents. Il est donc possible de se donner pour objectif, L’économie dispose aussi d’une panoplie plus en 20 ans, de réduire les émissions de carbone à large de technologies de production d’énergie. un niveau permettant une stabilisation des En substituant chaque année 5% des carburants concentrations de CO2. Cela suppose toutefois fossiles par des énergies non émettrices de un engagement, dès maintenant, de tous les carbone – énergies renouvelables et nucléaires acteurs économiques pour modifier – il est possible de stabiliser à 415 ppm la radicalement la base de l’économie – le pétrole concentration de carbone dans l’atmosphère à et les énergies fossiles – et passer à une l’horizon de vingt ans, et ce même avec une économie efficace en énergie et reposant sur croissance de 5% par an du PIB mondial – mais à des énergies n’émettant pas de carbone : condition d’avoir réalisé la première étape nucléaire et énergies renouvelables. Tab 3. Quelques scénarios d’évolution des émissions de carbone par les carburants fossiles Scénario 1 Scénario 2 Scénario 3 Scénario 4 Scénario 5 Pays riches (OCDE, 1,25 milliards d’habitants) Evolution des 0% (stables) -7% 0% -5% -9% émissions par habitant, 2007- 2027 (%/par an) Emissions par 2,8 0,66 (4 fois 2,8 1 0,33 (8 fois habitant, 2027 (t) moins qu’en moins qu’en 2007) 2007) Emissions totales 3,5 0,82 3,5 1,25 0,43 2027 (Gt) Pays pauvres (hors OCDE, 5,25 milliards d’habitants) Evolution des +5% +5% 0% -5% -3,5% émissions par habitant, 2007- 2027 (%/par an) Emissions par 1,77 1,77 0,67 0,24 0,33 (2 fois habitant, 2027 (t) moins qu’en 2007) Emissions totales 11,11 11,11 4,38 1,5 2,05 2027 (Gt) CO2 465 450 455 412 408 atmosphérique, 2027, ppm Idem, 2050 (793)* (740)* (523)* 415 412 * Les chiffres entre parenthèses correspondent à des concentrations de carbone au-delà lesquels les risques d’emballement sont tels que les prévisions deviennent impossibles. Le livre blanc de l’Economie Positive 18
  • 20. Inverser la pompe à carbone : les sols et les végétaux En réduisant de manière significative les Aujourd’hui, la végétation et les sols en place émissions de carbone fossile, il est possible de rejettent environ 60 Gt de carbone par an (fig stabiliser la concentration de carbone autour de n°3) : ces rejets sont dûs à l’activité normale des 415 ppm. Cet effort n’est pas suffisant, à lui seul, plantes et des micro-organismes du sol, qui pour stabiliser le climat, en raison de l’inertie du consomment des réserves de sucre. Dans le réchauffement. Il est donc nécessaire de faire même temps, pendant les périodes où la redescendre le taux de carbone dans photosynthèse est active (la journée, en dehors l’atmosphère, ce qui suppose des méthodes de des périodes de canicule), les végétaux et les captage et stockage durable du carbone. bactéries absorbent du carbone. On estime à environ 61 Gt cette absorption annuelle. Ainsi, la Or, le seul moyen disponible aujourd’hui pour pompe à carbone des végétaux (zoom n°5) capter du carbone diffus dans l’atmosphère et le absorbe en net 1 Gt de carbone par an. Mais stocker de manière durable réside dans la par ailleurs, la déforestation et biosphère : stockage dans les sols, dans la l’appauvrissement des sols agricoles aboutissent végétation en croissance, dans les biomatériaux. à rejeter chaque année environ 1,6 Gt de La restauration du climat passe donc par une carbone dans l’atmosphère. combinaison de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de stockage de carbone Ainsi, l’ensemble « sols-végétaux » rejette plus de dans la biosphère. CO2 qu’il n’en absorbe. Cette situation est l’inverse de ce qu’a connu la Terre dans le passé. Pendant toute la préhistoire, au contraire ; les sols et les végétaux ont permis Zoom n°5 La pompe à carbone d’absorber du carbone (cf. ci-dessus). Il est Les végétaux et les bactéries sont le plus ancien temps de relancer la pompe à carbone moyen d’absorber du carbone. En présence de constituée par les sols et la végétation. chlorophylle, la photosynthèse permet aux végétaux de capter l’énergie lumineuse pour La première stratégie, la plus urgente, consiste à agréger des atomes de carbone et d’hydrogène, stopper la destruction des forêts dans le monde prélevés dans l’atmosphère et dans le sol, selon la entier, et de remplacer l’abattage des forêts par réaction : 6 x (CO2 + H2O) " C6H12O6+ 6 O2 l’exploitation de ressources en bois renouvelables, par exemples issues de plantations ou de forêts gérées de façon durable, selon les normes définies par le Forest Stewardship Council (FSC). La deuxième stratégie consiste à inverser la dégradation des sols agricoles. L’agriculture motorisée et chimisée, à base de labours profonds et d’engrais chimiques, a abouti à une baisse des taux de matière organique, et donc de carbone, dans les sols. Cette baisse peut atteindre 70% par endroits. Il est possible Chlorophylle dans les cellules végétales : la plus d’augmenter le stockage de carbone dans les efficace des pompes à carbone sols en mettant en place des techniques agricoles qui améliorent les taux de matière organique des sols – avec pour corollaire une meilleure fertilité, et moins de besoins en Les chaînes hydrocarbonées ainsi constituées sont la irrigation. Plusieurs techniques ont été mises au base des sucres : glucose, amidon, cellulose, etc. point pour parvenir à ces objectifs, comme par (CnH2n), réserves d’énergie de la plante. En exemple les pratiques de zero tillage ou présence de chaleur et d’oxygène, les chaînes conservation tillage (suppression du labour, ou hydrocarbonées se cassent : c’est la combustion, labours peu profonds). Toutes les techniques qui qui restitue l’énergie… et le carbone stocké (tab reposent sur des engrais organiques et non n°1). Le pétrole est lui-même une longue chaîne hydrocarbonée issue de la transformation, sous chimiques permettent aussi de restaurer le taux pression, de déchets animaux et végétaux au cours de carbone dans les sols. de la préhistoire. Le charbon a une origine semblable, avec une durée et une pression telles Il faut citer également l’utilisation du bois raméal que la plupart de l’hydrogène a été expulsé. Le fragmenté (BRF) une technique issue du calcaire (CaCO3), quant à lui, est constitué des Canada, qui permet d’accélérer le stockage de restes de coquilles et squelettes de milliards carbone dans les sols en épandant du bois de d’organismes marins. jeunes branches finement broyées. Elle permet de reconstituer des sols fertiles, riches en carbone, sur des régions désertifiées, et d’enrichir les sols appauvris en matière organique par l’utilisation des engrais chimiques. Le livre blanc de l’Economie Positive 19
  • 21. Le problème de la reforestation est la durée du Aujourd’hui, les sols et la végétation contiennent stockage du carbone dans les arbres : c’est environ 2200 Gt de carbone (600 dans la pourquoi cette solution est peu prise en compte végétation, 1600 dans les sols)44. Il faut y inclure aujourd’hui. En effet, il faut pouvoir vérifier le carbone stocké dans les biomatériaux chaque année que le carbone stocké dans une comme le bois, que l’on peut estimer à 10 Gt45. forêt ou un sol y reste. Pour pallier cette difficulté, il est possible d’envisager une troisième En pratique, il y a encore peu de données stratégie : le stockage de carbone dans les scientifiques permettant de quantifier biomatériaux, comme le bois (environ 10 GtC au précisément la quantité de carbone stocké par niveau mondial aujourd’hui). Chaque différents types de sols et de végétation. Les construction en bois devient ainsi une chiffres du tableau 3 ne représentent que des opportunité de stockage de carbone pendant moyennes susceptibles de fortes variations. Ainsi, toute sa durée de vie – le matériau pouvant les résultats d’expérience disponibles fournissent ensuite être réutilisé, ou brûlé en substitution de des données très variables selon les sites, les carburants fossiles. techniques et les espèces employées, etc. Il est urgent de travailler sur cette thématique, compte-tenu de son potentiel pour contribuer à la restauration du climat. Zoom n°6 Les stocks de carbone Il est possible néanmoins de fournir une Toutes les surfaces végétales ne pompent pas du évaluation du « scénario manquant » : restaurer carbone : une forêt « mature » en équilibre rejette el climat en ramenant le taux de CO2 dans autant de carbone qu’elle en prélève. En l’atmosphère à son taux pré-industriel de 280 revanche, une forêt en croissance absorbe du ppm. carbone (le bois en contient environ 50%). Dans les régions tropicales, le carbone est surtout stocké Pour atteindre ce résultat, il faut combiner trois dans les arbres. Ainsi, la déforestation est une cause types de mesures : importante d’émissions de carbone, compte tenu ! les réductions d’émissions envisagées dans le du fait que plus de la moitié du bois abattu est tableau 2 brûlé ou décomposé. ! ralentir la déforestation et la dégradation Dans les régions plus froides, la matière végétale se des sols décompose plus lentement dans les sols, qui contiennent ainsi plus de carbone. Mais les sols ! stocker du carbone par la reforestation et la agricoles de ces régions subissent un restauration des sols. appauvrissement, du fait de l’utilisation d’engrais chimiques – dont l’urée, issue de la pétrochimie, qui Ainsi par exemple, il est possible d’atteindre 280 remplace l’azote organique fourni autrefois par les ppm dans 40 ans – et revenir à 340 ppm d’ici 20 engrais animaux. Ces sols contiennent moins de ans – en combinant les mesures suivantes : matière vivante, et donc moins de carbone que les sols de culture à base d’engrais organiques. ! réduction de 5% par an des émissions de carburants fossiles Tab3. Stockage de carbone ! diminution de 50% par an du taux de dans les sols et la végétation (t/ha) déforestation et de dégradation des sols ! augmentation de 0,1% par an de la quantité En tonnes / Végé- Sol Tot Sol/tot de carbone stocké dans les sols et la hectare tation végétation mondiale. Cela correspond à Terres cultivées 2 80 82 98% une absorption de 2,2 Gt de carbone par Forêts tropicales 120 123 243 51% an, ou encore une augmentation de 10% Forêts tempérées 57 96 153 63% par an sur 1% des surfaces. Forêts nordiques 64 344 408 84% Savanes 29 117 146 80% Tous les moyens nécessaires sont déjà Prairies 7 236 243 97% disponibles pour freiner le réchauffement tempérées Toundra 6 128 134 95% climatique et restaurer le climat. Il reste 20 ans Zones désertiques 2 42 44 96% pour agir : dans 20 ans, les seuils d’emballement Zones humides 43 643 686 84% seront peut-être atteints dans le cadre de Sources : GIEC, rapport 2001 l’économie actuelle. En construisant une économie positive, il est encore possible de choisir un autre destin. Le livre blanc de l’Economie Positive 20