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Marguerite GALLORINI
28 Juin – 29 Juillet 2012
Musique pour mémoire de guerre
L'héritage musical de l'Irlande sur
son passé mouvementé
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
I) Les périodes importantes de l'histoire d'Irlande
– Les trois chants phares de l'Irlande
– Contexte jusqu'au XX° siècle
– Les événements du XX° siècle en chanson
II) La musique actuelle
– Les artistes contemporains perpétuant la tradition
– La perception de la musique en Irlande
– En Amérique: les groupes ''trop'' républicains
– En Irlande du Nord: les ''marching bands''
Conclusion
Bibliographie
Sites internet
JUSQU'À NOS JOURS, LA MUSIQUE CONNUE COMME LA
plus ancienne en Irlande est celle des harpistes des clans gaëliques
du IX° siècle. La harpe celtique, symbole national, est présente aux
quatre coins du pays: en tant que sceau royal, sur les portes des
pubs, chez la compagnie aérienne Ryanair, sur le mur d'entrée du
bâtiment du premier ministre, en effigie de la célèbre bière irlandaise
Guinness1
...
Jusqu'au V° siècle, alors que la France, l'Angleterre et le reste de
l'Europe de l'ouest et du sud faisaient partie de l'empire romain,
l'Irlande resta intacte, pays jugé trop froid et pluvieux pour le
colonisateur méditerranéen. De ce fait, les romains n'ont jamais
vraiment influencé ses habitants. Cependant, dans les années 900, les
vikings établirent une forte présence sur l'île, et influencèrent
beaucoup sa vie culturelle et sa langue.
L'Irlande fut également colonisée par les normands (peuple
nordique comme les vikings, ''normands'' signifiant ''hommes du
nord''), puis par l'Angleterre, cette dernière provocant une longue période de troubles sociaux dans le
pays jusqu'à aujourd'hui. Le rayonnement de la langue irlandaise perdura jusqu'au XVI° siècle
néanmoins; après cela, l'anglais remplaça peu à peu la langue nationale, et aujourd'hui l'irlandais n'est
parlé que de façon minoritaire. La musique irlandaise, quant à elle, fut un moyen de résistance contre
l'envahisseur, une manière de garder une part d'identité nationale. À l'époque d'Henri I, l'ecclésiastique
normand-gallois Giraldus Cambrensis reconnaissait que les irlandais lui ''semblent incomparablement
plus talentueux dans ces instruments que n'importe quelle autre personne qu'[il ait] rencontrée''
(1982:103).
Ainsi la musique irlandaise fait partie des traits culturels bien préservés du pays: encore aujourd'hui,
il existe de nombreux festivals où la musique traditionnelle est très présente, tout comme dans les
innombrables pubs du pays, où l'ambiance de convivialité est due en grande partie à cette musique
entraînante. On retrouve aujourd'hui un grand nombre de chansons sur l'esprit de rébellion contre le
colonisateur anglais, la guerre d'Indépendance, la période des Troubles, la guerre civile, et autres
révoltes plus anciennes.
Mais entre ce que les archives nous racontent, et ce que la réalité nous apprend, il y a parfois un
grand écart. Le but de ce voyage était donc de juger de la place que prend la musique traditionnelle
rebelle dans la vie quotidienne et culturelle d'aujourd'hui. La musique irlandaise est-elle laissée pour
compte au profit d'autres styles de musique plus ''tendances''? Est-elle toujours un élément important du
patrimoine culturel du pays? A-t-elle atteint son objectif de transmission de la mémoire collective des
luttes passées?
Mon sujet se focalise principalement sur l'influence de la mémoire des guerres récentes sur la musique
d'aujourd'hui. Ainsi mon étude se basera principalement sur les plus importantes guerres et tensions du
XX° siècle jusqu'à aujourd'hui. Ceci est en Irlande un objet de vives discussions et de controverses: je
n'ai eu ainsi aucun mal à en parler avec les gens.
Note: tous les contenus que j'ai trouvés en anglais ont été ici traduits par mes soins.
1 Pour l'anecdote, la harpe celtique de Guinness est représentée dans le sens inverse de celle du sceau royal, pour éviter le
plagiat.
Harpe celtique dans le château de
Dublin
I) Les périodes importantes de l'histoire de l'Irlande
Les trois chants phares de l'Irlande
A Soldier's Song
De son nom original gaélique Amhrán na bhFiann, ceci est l'hymne national irlandais (de République
d'Irlande). En anglais, l’hymne est connu sous le nom de A Solider's Song (La chanson d'un soldat). Il fut
écrit par Peadar Kearney en 1907, et est devenu l’hymne national officiel irlandais en 1926. L’hymne est
toujours chanté en gaélique aujourd'hui, et est constitué du refrain du chant original, beaucoup plus long.
L'hymne, ainsi que l'Ireland's Call (voir plus bas), est joué lors des matches entre les 5 provinces de
l'Irlande (Irlande du Nord incluse), et lorsque l'équipe d'Irlande joue à Dublin. Pour ce qui est des
matches internationaux, seul l'Ireland's Call est chanté.
Gaélique Anglais Français
Sinne Fianna Fáil
A tá fé gheall ag Éirinn,
buion dár slua
Thar toinn do ráinig chugainn,
Fé mhóid bheith saor
Sean tír ár sinsir feasta
Ní fhagfar fé'n tiorán ná fé'n tráil
Anocht a théam sa bhearna
bhaoil,
Le gean ar Ghaeil chun báis nó
saoil
Le guna screach fé lámhach na
bpiléar
Seo libh canaídh Amhrán na
bhFiann.
Destiny soldiers are we,
Whose lives are pledged to
Ireland;
Some have come
from a land beyond the wave,
Sworn to be free;
No more our ancient sire land
Shall shelter the despot or the
slave.
Tonight we man the gap of
danger
In Erin's cause, come woe or
weal
'Mid cannons' roar and rifles peal,
We'll chant a soldier's song.
Nous sommes les soldats du
destin,
Dont la vie est offerte à l'Irlande;
Certains viennent de par-delà les
mers,
Jurés d'être libres;
Jamais plus notre patrie antique
Ne subira le tyran ou l'esclave.
Ce soir nous bravons le danger
Pour l'Irlande, à la vie, à la mort,
C'est parmi le tonnerre des canons
Que nous chanterons la chanson
d'un soldat.
Ireland's Call
C'est une chanson irlandaise utilisée comme hymne lors des matches internationaux de l'Équipe
d'Irlande de rugby à XV. La chanson a été écrite par Phil Coulter en 1995 suite à une commande de la
Fédération Irlandaise de Rugby : l'équipe de rugby irlandaise regroupant des joueurs venant de part et
d'autre de la frontière, cette chanson fut écrite pour aider à effacer les divisions sectaires et nationales.
C'est pourquoi on y voit l'idée d'une unité entre toute l'Irlande, entre les 4 provinces la constituant2
(Munster, Ulster, Leinster, Connacht). Les irlandais sont tous égaux, tous citoyens du même pays,
quelque soit l'endroit leur origine.
Ireland's Call
Come the day and come the hour
Come the power and the glory
Traduction française
Vienne le jour et sonne l'heure
Vienne la puissance et la gloire
2 Anecdote: le mot ''comté'' en gaélique est ''cúige'', signifiant aussi ''cinquième''. Ainsi, on suppose que dans un temps
révolu, il n'y avait pas 4, mais 5 provinces en Irlande.
We have come to answer
Our Country's call
From the four proud provinces of Ireland
Chorus
Ireland, Ireland,
Together standing tall
Shoulder to shoulder
We'll answer Ireland's call
From the mighty Glens of Antrim
From the rugged hills of Galway
From the walls of Limerick
To Dublin town
From the four proud provinces of Ireland
(Chorus)
Hearts of steel
And heads unbowing
Vowing never to be broken
We will fight, until
We can fight no more
From the four proud provinces of Ireland
(Chorus)
Nous sommes venus pour répondre
A l'appel de notre pays
Des quatre fières provinces d'Irlande
(refrain)
Irlande, Irlande
Ensemble nous faisons face
Épaule contre épaule
Nous répondrons à l'appel de notre pays
Depuis les redoutables Glens d'Antrim
Jusqu'aux falaises escarpées de Galway
Depuis les murs de Limerick
Et la baie de Dublin
Des quatre fières provinces d'Irlande
(refrain)
Avec un cœur d'acier
En ne se soumettant jamais
Jurant de ne jamais être séparés
Nous combattrons jusqu'à ce que
Nous ne puissions plus combattre
(refrain) »
On voit dans ces deux chants patriotiques que le combat, ou plutôt la lutte, est omniprésente. Le chant
véhicule l'idée de ne plus jamais se soumettre à la tyrannie et l'esclavage – référence évidente au
colonialisme anglais, mais aussi peut-être à d'autres invasions plus anciennes, comme celle des vikings.
L'égalité des hommes est une idée phare de l'hymne irlandais: « Certains viennent de par-delà les mers /
Jurés d'être libres »: le peuple celtique est un mélange de plusieurs horizons, et c'est bien de là qu'il tire sa
force; tant que tous restent égaux, et qu'aucun d'eux ne cherche à asservir ses camarades comme l'on fait
les anglais, le pays restera uni.
Par ailleurs, l'hymne national est toujours chanté en gaélique: ceci traduit une certaine volonté de
garder une identité celtique. Malheureusement aujourd'hui, le gaélique en lui-même est une langue parlée
de façon minoritaire, dans quelques régions seulement (notamment sur la côte Ouest du pays) appelées
Gaeltachtaí.
The Fields of Athenry
Cette chanson est un autre hymne officieux, qui est chanté aux débuts de match de football, par
exemple. Cette chanson de prisonniers fut écrite par Pete St John, un musicien folklorique de Dublin.
Très belle et triste chanson, elle parle d'un homme d'Athenry (une ville du comté de Galway)
condamné à être envoyé à Botany Bay pour avoir volé du maïs à Trevelyan pour ses enfants. Ici il est fait
référence à Sir Charles Trevelyan, administrateur colonial anglais qui était en charge de limiter la famine.
Mais son manque d'action et sa basse opinion des irlandais a encore plus exacerbé les fatalités causées par
la Grande Famine.
L'homme dit ensuite à sa femme que ce n'est pas grave, qu'elle doit élèver leurs enfants avec dignité,
car lui, en voulant se rebeller contre la famine et la couronne anglaise, s'est fait prendre et a perdu sa
liberté. La chanson se termine sur la jeune femme regardant le bateau de prisonniers partir pour Botany
Bay.
Botany Bay était une colonie en Australie utilisée pour isoler les prisonniers du reste de la population
britannique. Ainsi il existe un lien fort entre ces deux pays aujourd'hui. La chanson Back Home in Derry
de Christy Moore fait aussi référence à cette colonie.
Événements importants du XXII° au XX° siècle, alimentant la mémoire
collective irlandaise:
1169: Arrivée des barons normands en Irlande.
1798: Rébellion des Irlandais unis
1800: L'Acte d'Union réunit l'Irlande au royaume de Grande Bretagne
1845-1852: La Grande Famine
8 Avril 1886: Présentation de la ''Home Rule Bill''
Arrivée des barons normands en Irlande
Initialement, le roi d'Angleterre Henri II ne voulait pas contrôler
l'Irlande, seulement ses barons afin qu'ils ne deviennent pas
autonomes. Mais ensuite il fit établir une seigneurie en Irlande, et
en 1199, cette seigneurie d'Irlande fut annexée au royaume
d'Angleterre. Ceci initia la longue histoire de tensions entre
irlandais catholiques et anglo-irlandais protestants.
Rébellion des Irlandais unis
La Société des Irlandais Unis était une organisation politique
libérale, qui a évolué en une société républicaine révolutionnaire,
alliée à la révolution française contemporaine, et inspirée de la
révolution américaine de 1776. La France soutenait d'ailleurs la
révolte irlandaise; tandis que Daniel O'Connell, éminent politicien
irlandais en faveur d'un nationalisme pacifique, appelé
''l'Émancipateur'', était contre. Mais les opérations prévues à Dublin,
qui devaient être le cœur de la révolte, échouèrent, et la rébellion
manquait cruellement de direction: elle fut réprimée dans le sang.
Theobald Wolfe Tone, une fois reconnu, fut condamné à mort par
les anglais.
En septembre 1791, Theobald Wolfe Tone publia un "Argument avancé au nom des catholiques
d'Irlande". Ce dernier maintenait que « les divisions religieuses étaient un outil de l'élite pour [...]
(monter) une partie de la population contre l'autre et pour rire de la défaite des deux », et prônait
l'unité entre catholiques, protestants et presbytériens. Wolfe Tone était extrêmement influent, et est vu
aujourd'hui comme le père fondateur du nationalisme républicain irlandais.
Un poème, ''Who Fears to Speak of 98?'' (''Qui a peur de parler de 1798?'') fut mis en chanson
plusieurs fois. Le groupe The Wolfe Tones, par exemple, l'a repris dans son album Child of Destiny. Une
autre chanson, General Munroe, relate une bataille de cette même rébellion, la bataille de Ballynahinch,
dans le comté de Down.
L'Acte d'Union réunit l'Irlande au Royaume de Grande Bretagne
Cet acte avait pour but d'éviter une nouvelle révolte irlandaise, et d'apaiser toute peur d'une
émancipation catholique, en donnant la majorité aux protestants dans le gouvernement. Ainsi le parlement
irlandais fut intégré au gouvernement anglais, ce qui fit de cette union un échec, puisque cela a polarisé
encore plus la société irlandaise.
Statue de Daniel O'Connell, dans
O'Connell Street à Dublin
La Grande Famine
Le mildiou frappa les terres d'Irlande, et toutes les récoltes de pommes de terre, aliment de base des
irlandais modestes, furent ruinées. La population d'Irlande chuta de 8 à 5 millions de personnes. Déjà
auparavant, les irlandais fuyaient la persécution religieuse en s'exilant au Nouveau Monde, mais la
Grande Famine fut une période décisive dans la diaspora irlandaise, avec plus d'un million d'émigrés.
Mais l'accueil en Amérique était aussi froid que celui des anglais, puisque la population voyait d'un
mauvais œil ces nouveaux arrivants. Il était fréquent de voir des panneaux ''No dogs, no Irish'' – ''Pas de
chiens, pas d'irlandais'' à l'entrée des commerces (finalement, l'histoire se répète sans cesse, il n'y a que
les protagonistes qui changent...).
Présentation de la ''Home Rule Bill''
C'était un projet de loi visant à donner une autonomie à l'Irlande sous tutelle anglaise. Ce projet fut
présenté en premier par le Premier ministre libéral William E. Gladstone, mais il fut refusé trois fois de
suite, chaque refus attisant un peu plus la colère des nationalistes, eux-mêmes étant de plus en plus
divisés: ceci mena finalement à l'insurrection de Pâques de 1916.
Les chansons relatant les événements du XX° siècle à nos jours:
Depuis longtemps déjà en Irlande, catholiques et protestants cohabitaient difficilement. Les barons
normands s'étant installés au XIX° siècle ont attiré la convoitise du roi d'Angleterre pour cette île. Dès
lors, l’Église catholique d'Irlande, qui existait depuis l'époque de Saint Patrick, soit depuis le V° siècle,
fut peu à peu remplacée par l’Église protestante, décrétée Église d’État par la couronne anglaise. S'en
suivirent des injustices parlementaires et sociales envers les catholiques, qui étaient pourtant majoritaires
dans leur pays.
Avec la partition de l'Irlande en deux, les catholiques restant en Irlande du Nord, appartenant au
Royaume-Uni, devinrent minoritaires; la discrimination s'accrut, avec de nombreux pogroms contre eux,
les poussant à fuir de leurs maisons et à se réfugier dans le sud. De là naquirent les manifestations pour
l'égalité des droits civiques entre catholiques et protestants en Irlande du Nord dans les années 1960, et
ainsi nationalistes, républicains et forces de l'ordre s'affrontèrent plus que jamais.
1916: Insurrection de Pâques
1919-21: Guerre d'Indépendance
21 novembre 1920: Dimanche Sanglant à Dublin.
1922-1923: Guerre civile entre royalistes et républicains
1949: L'État Libre d'Irlande devient la République d'Irlande
1960's-1970's: Manifestations pour les droits civiques en Irlande du Nord (début des Troubles)
12 - 14 août 1969: Bataille du Bogside à Derry (Irlande du Nord)
30 janvier 1972: Dimanche Sanglant à Derry
21 juillet 1972: Vendredi Sanglant à Belfast
10 avril 1998: Accord du Vendredi Saint (ou Accord de Belfast)
Insurrection de Pâques
Les faits de cette rébellion se sont cantonnés à Dublin. Néanmoins, c'est une date importante pour
toute l'Irlande, car les pro-indépendantistes étaient divisés. « L'opposition entre les nationalistes et le Sinn
Féin était intense et amère. En tant que composant de l'UIL3
, les nationalistes étaient amèrement anti-
3 La Ligue des Irlandais Unis, parti politique nationaliste fondé en 1898.
républicains. Joe Devlin, leur chef officieux, avait foi en l'empire britannique, et voulait se joindre aux
britanniques lorsque la première Guerre Mondiale éclata. »4
. C'était également le cas d'un autre politicien
nationaliste, John Redmond, qui pensait que combattre en France au côté de l'Angleterre donnerait une
bonne image de l'Irlande et accélérerait le processus de son indépendance.
Ces tensions, ainsi que les refus répétés de la
''Home Rule Bill'', menèrent à l'Insurrection de
Pâques du 24 Avril 1916, où l'ICA (l'Armée
Citoyenne Irlandaise), l'IRB (la Fratrie Républicaine
Irlandaise), et une jeune génération de ''Volontaires
Irlandais''5
, désespérés de gagner l'indépendance en
restant pacifique et prêts à tout pour arracher
l'autonomie à l'Angleterre (quitte à demander l'aide
allemande) défilèrent dans la rue principale de
Dublin, O'Connell Street, puis occupèrent plusieurs
endroits stratégiques, dont la Poste Centrale. Ils
affrontèrent ensuite l'armée de terre britannique, la
police métropolitaine de Dublin et la police royale
irlandaise. Pádraig Pearse, l'un des principaux chefs
de cette expédition, proclama la République
irlandaise, et devint le président du gouvernement
provisoire.
Mais au bout de 5 jours de massacre, les insurgés durent capituler, le 29 avril 1916. 13 rebelles, dont
les principaux leaders de l'insurrection Pádraig Pearse, James Connolly et Joseph Plunkett, furent fusillés
à la célèbre prison de Kilmainham, connue pour ses conditions insalubres6
.
James Connolly, dont la jambe avait été détruite lors de la bataille à la Poste Centrale, recevait ses
soins au château de Dublin, où une aile était occupée par la Croix Rouge. Il était donc soigné pour être
fusillé à la prison par la suite, comme les autres, même s'il était déjà mourant: c'était ''pour l'exemple''.
Pour continuer dans l'absurdité, il fut emmené en ambulance à la prison, et n'a même pas été fusillé au
même endroit que les autres, tellement il était faible pour marcher jusqu'à l'autre côté de la cour.
Juste avant de descendre de l'ambulance, il s'adressa calmement à sa femme:
''N'était-ce pas une vie remplie, Lillie, et n'est-ce pas là une bonne fin?''
La répression britannique de cette insurrection fut si sanglante aux yeux du monde entier que ceci joua
finalement en faveur de la cause indépendantiste irlandaise, 5 ans plus tard.
→ Chanson sur l'insurrection de Pâques:
The Foggy Dew est une chanson populaire irlandaise à propos de cet épisode qui fut reprise, comme
beaucoup d'autres chansons traditionnelles, dans différentes versions. Elle fait partie du folklore irlandais,
mais aurait une origine anglaise, et elle aurait été publiée aux alentours de 1815. Cette version initiale est
une ballade qui parle d'un jeune homme amoureux.
Mais en 1919, une autre chanson appelée The Foggy Dew (parfois connue sous le nom Down the Glen)
4 May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in
Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.94.
5 Organisation fondée en 1913 pour assurer le vote de la ''Home Rule Bill''. Elle fut dissoute à la fin de la Première Guerre
mondiale, et les plus radicaux d'entre eux formèrent l'IRA.
6 Lors de ma visite de cette prison, j'ai appris qu'il y avait par exemple, en haut des murs des couloirs, des fenêtres sans
vitres car la croyance commune était que l'air qui rentrait et brassait l'intérieur de la prison minimisait les risques de maladie;
seulement la constitution des murs en calcaire faisait que le froid et l'humidité qui rentraient amenaient, au contraire, beaucoup
de maladies et infections... Cette prison accueillait beaucoup de prisonniers politiques, mais aussi des familles et enfants
pauvres pris en flagrant délit de vol de nourriture. Aujourd'hui, cette prison n'est plus en service et organise des visites guidées.
Mural à Belfast commémorant l'Insurrection de Pâques
fut écrite par un membre du clergé dans le comté de Down, en mémoire aux soldats irlandais tombés
durant l'insurrection: voici ce que dit la dernière strophe de la chanson.
As back through the glen I rode again and my
heart with grief was sore
For I parted then with valiant men whom I never
shall see more
But to and fro in my dreams I go and I kneel and
pray for you,
For slavery fled, O glorious dead, when you fell in
the foggy dew.
Je revins dans la vallée, et mon cœur se remplit de
chagrin,
Car ce jour-là, j'ai dû me séparer d'avec de braves
hommes, que je ne reverrai plus;
Mais je vais et viens dans mes rêves, et je
m'agenouille et prie pour vous,
Car l'esclavage a disparu, O glorieux défunts,
lorsque vous êtes tombés dans la rosée brumeuse.
Cette chanson, en parlant d'abolition de l'esclavage, prend clairement le parti du côté républicain.
Cette dernière version de The Foggy Dew fut la plus interprétée, par plusieurs artistes et groupes
irlandais et anglais: The Dubliners, The Chieftains et la chanteuse Sinéad O'Connor, Shane MacGowan
(chanteur du groupe anglais The Pogues, populaire en 1980), et The Wolfe Tones. Les artistes bretons
Alan Stivell et Gilles Servat l'ont également reprise, ainsi que le groupe de rock celtique new-yorkais The
Black 47 (dont nous parlerons à la fin), avec leur chanson Livin' in America jouée sur l'air de The Foggy
Dew.
Par ailleurs, la version de Sinéad O'Connor avec The Chieftains est quelquefois utilisée comme
musique d'entrée de The Dropkick Murphys sur scène lors de leurs concerts.
Par ailleurs, les chansons de révolte étaient souvent, voire toujours, écrites bien après la rébellion en
elle-même, et ce depuis des siècles:
« Les chansons de la Rébellion de 1798 et de l'insurrection d'Emmet de 1803 ont été écrites, pour la
plupart, à la fin du XIX° et au début du XX° siècle en commémoration des précédents événements. »
( May McCann, ''Introduction: Les habitants d'Irlande du Nord vivent dans le passé'', Le passé dans le
présent: une étude de quelques aspects des politiques de la musique à Belfast, Belfast, 1985).
Guerre d'Indépendance
Après la fin de la Première Guerre mondiale, toutes les colonies du monde ayant participé à la guerre
aspiraient à leur autonomie. De plus, en Irlande, la ''Home Rule'' n'est toujours pas adoptée, et le massacre
de l'insurrection de Pâques est encore vif dans les esprits. C'est pourquoi les membres du 'Sinn Féin',
parti indépendantiste qui avait remporté la majorité des votes irlandais lors des élections parlementaires,
décidèrent de proclamer l'indépendance de la République d'Irlande. La guerre d'indépendance éclata, se
déroulant de janvier 1919 à juillet 1921, opposant l'IRA (l'Armée Républicaine Irlandaise) aux forces
britanniques (c'est-à-dire l'IRC, la Police Royale Irlandaise créée par la Grande Bretagne en 1822, et
d'autres troupes paramilitaires comme les Black and Tans7
, anciens combattants britanniques engagés par
la Grande Bretagne en 1920, et les Auxiliaires).
Finalement, un cessez-le-feu est décidé, donnant naissance au Traité anglo-irlandais du 6
décembre 1921, donnant l'autonomie à la majeure partie du pays, appelé État Libre Irlandais. Cependant
six comtés dans le Nord choisirent de rester au sein du Royaume-Uni.
Dimanche Sanglant à Dublin
En pleine guerre d'indépendance, cette journée fit 30 victimes. L'IRB (Fratrie Républicaine Irlandaise)
avait pour mission d'exécuter des agents britanniques, dont certains envoyés en Irlande pour infiltrer les
organisations nationalistes. Au total, 14 personnes furent tuées et 6 blessées, dont 2 Auxiliaires, ceci
provocant un important handicap dans les services secrets britanniques en Irlande.
Le même jour, un jeu de football gaélique se déroulait à Croke Park à Dublin. Les Auxiliaires
7 D'où l'autre appellation de la guerre d'indépendance: la ''Tan War''.
envahirent alors le stade peu avant le début, et tirèrent dans la foule pour représailles, tandis que ces
actions n'étaient pas officiellement autorisées. 14 personnes furent tuées, dont deux enfants de 10 et 11
ans, et 65 blessées. Ce massacre fut une raison non négligeable du soulèvement du peuple contre la
royauté anglaise. Les autorités britanniques ont présenté leurs regrets sur cette journée, sans en porter la
responsabilité. Deux officiers de l'IRA ayant aidé à la mission du matin même contre les forces
britanniques furent, quant à eux, arrêtés, torturés puis tués.
Guerre civile entre royalistes et républicains
La signature du Traité anglo-irlandais, ou Traité de Londres, ne mis malheureusement pas fin aux
violences, puisque les tensions religieuses et politiques ressurgirent dans la jeune Irlande du Nord, tandis
que le reste du pays, nouvellement indépendant, sombra dans la guerre civile. Les indépendantistes
s'affrontèrent donc entre pro-traité et anti-traité, après la victoire des pro-traité aux élections de 1922.
Pour ces derniers, c'est le premier pas vers une indépendance complète; pour les opposants, c'est au
contraire la fin de tout espoir d'une République irlandaise complète.
L'IRA se divise en une nouvelle IRA anti-traité, menée par Éamon De Valera et Rory O'Connor, et
l'INA (l'Armée Nationale d'Irlande) pro-traité.
L'État Libre Irlandais devient la République d'Irlande
Bien que l'Irlande fut autonome, celle-ci faisait encore partie du Commonwealth, et était donc encore
sous l'égide de la couronne anglaise. Ainsi en 1937, une nouvelle Constitution de l'Irlande fut adoptée,
remplaçant celle de l'État Libre Irlandais et appelant le pays ''Irlande'', ''Éire'' en irlandais. Mais l'Acte de
le République d'Irlande ne fut adopté qu'en 1949 par l'Angleterre, déclarant que l'État était désormais une
République.
Éamon De Valera, qui avait contribué à introduire la nouvelle Constitution, fut président de l'Irlande de
1959 à 1973.
Les Troubles
C'est une partie très instable politiquement et socialement de l'histoire de l'Irlande du Nord, s'étalant
sur plusieurs périodes en Angleterre, en République d'Irlande, et dans le reste de l'Europe.
La durée des Troubles est généralement datée de la fin des années 1960, période des premières
marches pour les droits civiques (que nous allons voir ensuite), et est considérée par beaucoup comme
s'achevant avec l'Accord de Belfast en 1998. Cependant, quelques violences sporadiques ont subsisté
jusqu'à aujourd'hui.
Le principal enjeu des Troubles était le statut constitutionnel de
l'Irlande du Nord et la relation qu'il y avait entre les protestants
unionistes majoritaires, et les catholiques nationalistes minoritaires.
Ainsi le plus dur de cette période s'est déroulée en Irlande du Nord, où
la constante discrimination envers les catholiques était, d'un point de
vue nationaliste, une preuve que l'Irlande du Nord était un état
corrompu et imposé par les anglais.
Cette période sombre avait autant une dimension politique que
paramilitaire, comme les divers incidents tels les Dimanches Sanglants
et émeutes à Derry en témoignent.
Il y avait, pendant cette période, une forte censure (et auto-censure)
des chansons républicaines: ne serait-ce que siffler l'air d'une chanson
rebelle pouvait conduire à 2 ans d'emprisonnement8
. Joan, de l'Irish Traditional Music Archives de
Dublin, me disait que dans le Sud de l'Irlande aussi, les chansons loyalistes ne pouvaient être ni jouées ni
chantées. Ainsi, la censure existait de part et d'autre de la frontière, et pas seulement dans le Nord.
Mais ce qui est intéressant est que les acteurs, eux, pouvaient dire et chanter des choses habituellement
défendues, puisque c'était mis sur le compte du personnage, et non de la personnalité elle-même. Une fois
en interviews par contre, ils se devaient de faire attention, car c'était de nouveau leur propre personne qui
était mise en jeu.
Certains musiciens organisaient aussi des concerts à caractère politique, mais sans chansons
compromettantes dedans: le fait de se rassembler, ce qui comptait le plus, ne pouvait être interdit.
Patricia est une dame qui habite dans un village près de Dublin et chez qui j'ai séjourné. Elle a vécu
durant cette période, et, bien qu'originaire d’Écosse, elle s'est mariée avec un irlandais et vit depuis
longtemps en Irlande. J'ai pu avoir des récits précieux de sa part.
Elle m'a informée que c'est surtout le nord de l'Irlande qui a souffert durant les Troubles. Les
conversations que j'ai eues avec d'autres personnes, et mes propres visites du pays, ont d'ailleurs
confirmer ceci.
Et ainsi, dans le nord, les catholiques et protestants se comprenaient mieux, car ils étaient tous dans la
même situation miséreuse; alors que le sud du pays regardait plus à distance, et ne voulait pas trop se
mêler au problème. L'IRA recrutait aussi dans le sud, et certains plans pouvaient y être élaborés, mais le
plus dur de la guerre civile se déroulait néanmoins dans le nord. Il y avait notamment de nombreux
pogroms contre les catholiques, dont nous avons déjà parlé, pour les pousser à fuir. D'ailleurs, Patricia m'a
raconté que son mari, lorsqu'il était petit, vivait en Irlande du Nord. Un jour, des soldats britanniques ont
débarqué dans sa maison, et y ont mit le feu, parce que son père était un activiste – et pour cela, ils s'en
sont pris à la famille toute entière. Ils se sont donc réfugiés dans le sud, c'est-à-dire vers Dublin.
Belfast a bien évolué depuis, mais il y a encore une trentaine d'années, il y avait des soldats qui
patrouillaient partout, il y avait un couvre-feu, et si l'on décidait malgré tout de sortir le soir, on ne savait
pas si l'on allait rentrer vivant. Martin Dowling a fait l'expérience de cette période tendue à Belfast,
lorsqu'il y était en visite en 1982 en compagnie du poète Michael Donaghy et du flûtiste Noël Lenaghan;
période où ''la phrase de la nuit est ponctuée ça et là par des tournées de bière, des coups de feu, des
applaudissements''; période où il y avait, dans les bars en eux-mêmes, une ''place du mort'' parce qu'elle
était placée de telle sorte que celui qui s'y asseyait voyait qui
allait entrer dans le bar pour lui tirer dessus; période où il
fallait savoir naviguer entre certains quartiers et certaines rues
plus ou moins sûrs de la ville, et d'autres à absolument éviter.
Mais, alors que l'heure en est plus à la reconstruction et à
l'espoir à Belfast (c'est du moins l'impression que j'en ai eue),
Derry est encore une ville lourde de mémoire, très oppressée
par son passé, comme si son deuil n'était pas achevé, et
l'empêchait d'avancer.
Le Musée du Free Derry, qui se situe dans le Bogside, relate
l'histoire de l'indépendance irlandaise, et surtout du Dimanche
Sanglant de Derry. Encore aujourd'hui dans ce quartier, il est
impossible d'ignorer cette histoire tragique, tant les muraux çà
et là dans le quartier sont biens faits et imposants, et surtout
impossibles à éviter (muraux situés dans le Free Derry Corner,
là où le Dimanche Sanglant a débuté).
8May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in
Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.42.
À Belfast: ''Souvenir - Respect -
Résolution''
→ Chansons sur la période des Troubles:
The Town I Love So Well, de Phil Coulter
Ici le chanteur raconte sa joyeuse enfance simple à Derry, où il est né; mais dans les 2 dernières
strophes, il exprime son désarroi en voyant la situation désespérée de la ville, et d'autres villes d'Irlande
du Nord, durant la période des Troubles. Cette chanson fut également reprise par The Dubliners.
Whatever You Say, Say Nothing, de Colum Sands
C'est une chanson qui traite avec humour des tensions entre catholiques et protestants, et de tous les
interdits absurdes, que ce soit des chansons, des mots, ou des sujets à ne jamais aborder. Donc tout au
long de la chanson, les paroles ne sont que des phrases comme ''je vais vous parler de vous savez quoi,
mais vous ne devez le dire à personne''. C'était une riche idée, et une chose non aisée, de traiter d'un sujet
sensible comme celui-ci d'une manière humoristique et très fine.
There were roses, de Tommy Sands
Dans cette chanson, l'auteur relate la façon dont Allan Bell (son nom étant changé dans les paroles par
celui de Isaac Scott), un ami protestant de Sands, fut assassiné à Newry par des paramilitaires
républicains. Après cela, des paramilitaires loyalistes sont allés dans Ryan Road (la rue où habitait la
famille Sands, d'ailleurs) chercher un catholique à tuer sur le principe de ''œil pour œil, dent pour dent''.
Ironiquement, l'homme qu'ils ont choisi était Sean O'Malley (son nommé étant changé par celui de Sean
McDonald), un bon ami de la victime protestante, et de Sands.
Une fois de plus, ce passé houleux revient toujours hanter le présent. Ces diverses guerres et conflits
récents sont encore une source de profond chagrin, mais aussi d'inspiration pour les artistes irlandais, qui
utilisent leur art pour exprimer leur peine au monde entier, et ne jamais laisser le passé se faire oublier.
La présence des roses dans le refrain peut nous faire penser à la chanson d'Elton John (que nous
verrons plus tard), qui parle aussi de roses (mais de roses noires). La rose, associée au Moyen-Age avec
la chrétienté (les cinq pétales de la rose identifiées aux cinq blessures du Christ), est petit à petit devenue
associée à la Vierge Marie (à l'origine de la dévotion catholique du Rosaire). Puis, par extension, la rose
rouge est devenue le symbole du sang des martyrs chrétiens.
Mais c'est également la fleur symbolique de l'Angleterre: la guerre des deux roses (Wars of the Roses)
opposa les deux grandes familles anglaises d'York (rose blanche) et
de Lancaster (rose rouge) au XV° siècle, au temps des Tudors;
ensuite Henri VII épousa Élisabeth d'York, d'où l'emblème de la
rose des Tudor, rouge à cœur blanc, réunissant les deux familles.
Ainsi on peut associer cette guerre de familles à la guerre opposant
les deux familles catholiques et protestantes en Irlande.
Arising From the Troubles, titre on ne peut plus d'actualité dans
ce sujet, est le nouvel album de Tommy Sands et de ses enfants,
sorti en 2011.
Les marches pour les droits civiques
A la fin des années 1960, de nombreuses mesures répressives
envers les catholiques furent adoptées, et cette communauté était
largement sous-représentée au gouvernement. C'est alors que
commencèrent les marches pour les droits civiques, avec une
symbolique et un langage inspirés des mêmes marches de Martin
Luther King aux États-Unis.
Mural à Derry représentant les
marches pour les droits civiques en
Irlande du Nord
Ce fut véritablement un mouvement international, et la chanson (de façon générale), dans ces années
60 et 70, eut « un rôle significatif dans la production et la transmission de l'idéologie républicaine – ainsi
que l'histoire républicaine »9
. Ainsi, la chanson irlandaise connut un grand regain d'intérêt:
« Le renouveau de la chanson folk est apparu en Irlande à la fin des années 1950 et 1960, et n'était pas
[…] un phénomène national […]; cela faisait partie d'un mouvement plus étendu, de jeunes gens
protestataires, qui opérait en Angleterre et aux États-Unis. […] Les chansons rebelles fonctionnaient
comme des ''chansons folk'' »10
.
Suite à une montée de la violence à travers l'Irlande du Nord lors de nombreuses marches (pourtant
pacifiques mais attaquées à répétition par des loyalistes), l'internement sans procès fut introduit le 9 août
1971, ce qui ne fit qu'empirer les situations inégalitaires existantes.
→ Chansons sur les marches des droits civiques:
Ce sont des titres que j'ai récupérés lors de ma visite au
musée de Free Derry, sur une pochette d'un disque exposé
(voir à droite), vieux titres dont je n'ai pas toujours pu
récupérer beaucoup d'informations:
The Long March, Burntollet Ambush, We Shall
Overcome, Friends of Civil Rights, Civil Rights Anthem,
Fifth of October, We Shall Not Be Moved!, Bogside
Volunteers, Free Belfast, Boys of Belfast Town, Rights of
Man.
We Shall Overcome
Elle est connue car elle était en premier lieu utilisée pour les marches des droits civiques aux États-
Unis. Elle fut chantée par Pete Seeger (artiste New Yorkais folklorique), Joan Baez, Bruce Springsteen et
d'autres artistes dans les années 60 (d'ailleurs, Joan Baez l'a rechanté encore récemment en 2010 à la
Maison Blanche, devant le président Barack Obama). Cette chanson, inspirée d'un gospel chrétien, a ainsi
été reprise pour les mêmes marches en Irlande, mouvement qui était international à l'époque (l'un pour les
afro-américains, les autres pour les catholiques). Ce titre a d'ailleurs été utilisé par l'Association pour les
Droits Civiques en Irlande du Nord en tant que slogan, ainsi qu'en titre de leur autobiographie
rétrospective.
Fifth of October
Cette chanson fait référence à une marche pour les droits civiques ayant eu lieu à Derry, le 5 Octobre
1968, lorsque les manifestants furent attaqués par la police, armée de bâtons, de canons à eau et de gaz
lacrymogènes. La chanson termine sur une note défiante, en appelant les hommes de Derry à résister, et
''lorsque la lutte sera finie et que l'on aura gagné, alors on pourra relever nos têtes avec fierté''.
We Shall Not Be Moved
Elle est également assez connue. Là aussi, cette chanson est au départ américaine, remontant
probablement jusqu'aux années d'esclavagisme, reprise par les activistes dans les années 1930. C'est
devenu un thème connu de protestation, tout comme We Shall Overcome. Elle a été chantée, elle aussi,
par Pete Seeger.
9 May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in
Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.42.
10 May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in
Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.275.
Comme beaucoup de chansons folkloriques, les paroles ont été modifiées avec le temps, pour s'adapter
aux diverses circonstances; ceci étant rendu d'autant plus possible que cette chanson a une structure
simple, les vers étant beaucoup répétés et changeant peu.
Boys of Belfast Town
C'est une chanson qui a été interprétée par le fameux groupe canado-irlandais The Irish Rovers, dans
leur album Down by the Lagan Side en 2000. Le nom de ce groupe vient d'une chanson traditionnelle
irlandaise très connue, The Irish Rover, relatant le voyage d'un magnifique voilier partant de Cork jusqu'à
New York.
La chanson The Boys of Belfast Town, aussi appelée The Boys of Belfast, est une joyeuse chanson
républicaine parlant des garçons de Belfast, valeureux irlandais de ''haute renommée'', fiers d'être de vrais
irlandais. Plus tard dans la chanson, ceux-ci se vantent de pouvoir combattre autant avec l'épée que le
crayon (donc contester la couronne autant par la lutte armée qu'en utilisant les arts tels que des chansons
ou autre pamphlet). Il est également fait référence à ''Paddy's shore'' (voir explication ci-après).
Cette expression signifie littéralement ''le rivage de Paddy''. Paddy est un diminutif commun pour
Patrick, c'est-à-dire Saint Patrick. C'est une appellation de l'Irlande couramment utilisée, comme la
chanson traditionnelle ''Paddy's Green Shamrock Shore'' (le rivage de trèfles verts de Paddy) en
témoigne. Cette dernière chanson traite d'un sujet plus triste, celui de l'exil d'un jeune homme en
Amérique (les paroles de cette chanson varient d'une version à l'autre, mais toujours sur le même
thème principal).
Saint Patrick est vu comme un héros n'ayant jamais eu recours à la violence, et est réputé pour son
courage héroïque, son humilité et sa bonté. Il commença à évangéliser l'Irlande en 432, en prêchant,
en construisant des écoles et des monastères. Ainsi l'Irlande est devenue chrétienne, supplantant
l'antique religion druidique, sans un martyr. Il montrera un jour la feuille de Trèfle comme symbole de
la sainte Trinité, qui deviendra le symbole de l'Irlande.
La bataille du Bogside
En 1969, le ''Free Derry'', quartier regroupant le
Bogside et le Creggan, en dehors des murailles de la
ville, s'autoproclama enclave nationaliste autonome
tant que leurs demandes ne seraient pas satisfaites
(notamment en matière de droits civiques).
Le 12 Août, des Garçons Apprenti-loyalistes
paradaient le long des murailles pour célébrer la
victoire protestante sur Derry en 1689, ce qui fut perçu
comme hautement provocant pour les catholiques.
Une confrontation entre loyalistes et RUC
(Gendarmerie Royale d'Ulster) d'un côté, et résidents
du Bogside de l'autre, commença alors. La RUC était
très mal préparée à cette bataille, et des Auxiliaires
furent demandés en renfort, ce qui inquiéta beaucoup
les habitants du Bogside, au vu des événements des années 1920 dont ils avaient été les auteurs. La
confrontation continua pendant encore deux jours avant que les forces armées britanniques ne viennent
restaurer l'ordre, ce dont les habitants du Bogside étaient plutôt contents au début, puisque les troupes
anglaises étaient un peu plus neutres que la RUC ou les Auxiliaires.
Ce fut une sévère confrontation, impliquant missiles et gaz lacrymogènes, et elle est considérée
comme la première importante émeute ayant fait escalader l'intensité de la période des Troubles; en effet,
cela a initié une série d'émeutes à travers toute l'Irlande du Nord, faisant 5 victimes, dont un garçon de 9
ans à Belfast.
''Vous entrez maintenant dans le Derry Libre'',
slogan peint la première fois en Janvier 1969, par
John Casey. A l'époque, ce mur faisait partie d'un
bâtiment, maintenant détruit
Le Dimanche Sanglant de Derry
En 1971, toutes les marches et défilés étaient interdits. De nombreuses personnes furent tuées lors des
fréquentes émeutes opposant la population aux forces de l'ordre; de nombreux officiers furent aussi tués
par l'IRA provisoire (s'étant séparée de l'IRA officielle l'année précédente). La même année toujours, les
deux branches de l'IRA établirent à Derry une "zone de non-droit" pour l'armée britannique et la Police
Royale à l'aide de barricades. Les affrontements entre jeunes nationalistes et l'armée britannique se
multiplièrent.
Le 30 janvier 1972, une marche pacifique fut annoncée contre
l'internement sans procès. Cette marche était permise dans la
partie nationaliste de la ville, mais les gens avaient prévu de
marcher vers le Guildhall (hôtel de ville), donc hors des
barricades de l'armée conçues pour modifier le parcours. Un
groupe d'adolescents se sépara du défilé et persista à pousser la
barricade, à coup de pierres, pour marcher vers le Guildhall. À
ce stade, un canon à eau, des gaz lacrymogènes et des balles en
caoutchouc furent utilisés pour disperser les émeutiers, blessant
deux civils. Mais jusqu'ici, ce genre d'affrontements était assez
commun.
Des rapports auraient indiqué qu'un sniper de l'IRA opérait
dans la zone, ainsi la brigade donna la permission au régiment
parachutiste britannique d'aller dans le Bogside. L'ordre de tirer
à balles réelles fut donné et un jeune homme fut abattu dans le
dos, Jackie Duddy, parmi la foule qui s'enfuyait. La poursuite
des violences par les troupes britanniques s'intensifia et,
finalement, l'ordre fut donné de mobiliser les troupes dans une
opération d'arrestation.
Malgré un ordre de cessez-le-feu du quartier général de
l'armée, plus d'une centaine de cartouches furent tirées directement dans la foule, blessant quatorze
personnes. Il y eut au total 14 morts, tous des civils non armés qui fuyaient les tirs, aidaient des autres
blessés, ou étaient déjà touchés et à terre.
→ Chansons sur le Dimanche Sanglant:
Sunday Bloody Sunday, de U2
La chanson fait partie de leur album War, qui fut leur consécration, et leur premier album très engagé
politiquement. Cette chanson particulièrement est devenue leur ''hymne'', et est interprétée par le groupe
lors de toutes ses tournées.
Sur des harmonies toniques, elle relate le massacre de ce dimanche: les ''bouteilles brisées sous les
pieds des enfants, les corps répandus tout le long de l'impasse'', les ''mères, enfants, frères et sœurs
déchirés''... Cette chanson a cependant un message d'espérance, celui qu'un tel massacre ne doit plus se
reproduire, et qu'il ne faut pas céder à la haine (''je ne céderai pas à l'appel de la guerre'', dit la chanson).
Running Up Hill, de Declan McLaughlin
J'ai récupéré le titre de cette chanson au musée du Free Derry également. Declan McLaughlin est un
artiste qui fut d'autant plus touché par l'événement qu'il est originaire de Derry lui-même. En allant
écouter d'autres de ses chansons sur un site de musique, j'ai pu le contacter par messagerie privée, et il
m'a gentiment donné les paroles de sa chanson, que je ne trouvais nulle part.
L'artiste, évidemment attristé par ce massacre (mot qu'il emploie lui-même dans sa chanson:
''murder''), évoque dans sa chanson les cicatrices que cela a laissé sur les habitants (comme, dans la
Mural dans le Bogside, avec les visages
des 14 victimes du Dimanche Sanglant
troisième strophe, une mère qui va régulièrement pleurer son fils sur sa tombe).
Un vers de la chanson, dans la deuxième strophe, résume parfaitement l'impression que j'ai eu de cette
ville: ''It's hard to build a future when your hunted by the past'': ''il est difficile de construire un futur
lorsqu'on est pourchassé par le passé''. Derry est une ville hantée par son passé, qui l'empêche de regarder
devant elle. L'idée des muraux dans le Bogside, bien qu'étant une bonne initiative, rappellent
quotidiennement aux passants ce qu'il s'est passé, d'une façon passive mais répétée, et donc presque
malsaine.
Il fait également référence, dans sa chanson, à We Shall Overcome, qui ici est appelée We Will
Overcome, une nuance de titre comme l'on retrouve dans tant d'autres chansons populaires:
As the bodies hit the pavement
The world seen all you done,
As the bodies hit the pavement
Someone was singing We Will Overcome
Tandis que les corps heurtaient les trottoirs
Le monde entier a vu ce que vous avez fait,
Tandis que les corps heurtaient les trottoirs
Quelqu'un chantait ''We will overcome''
Minds Locked Shut, de Christy Moore
La chanson démarre tranquillement sur un air serein, avec des paroles simples, ''ça s'est passé un
Dimanche après-midi, un joli après-midi d'hiver, une journée idéale pour se promener'', puis le deuxième
couplet attaque sans préavis en parlant des coups de feu, des pierres et des balles, puis du chaos, de la
panique et de la mort, mais toujours sur fond de musique douce qui contraste avec le sens des paroles...
La particularité de cette chanson est que les noms des 14 martyrs y figurent.
Bloody Sunday, chanté par Eileen Webster
La chanson, qui fut aussi reprise par The Men of No Property, offre une ambiance calme et triste, en
relatant tout le déroulement de ce dimanche, en décrivant les manifestants pacifiques, l'arrivée des
militaires dans leurs fourgons blindés, les bannières tachées de sang, et les ridicules procès suivant la
tragédie qui déclarèrent que les forces armées ne faisaient que leur travail.
La chanson finit sur cet amer reproche, qui hélas fait sentir que certaines personnes ne peuvent encore
pas tourner la page: ''On England's proud history a crime added yet / How can we forgive them, how can
we forget?'': ''Un autre crime est ajouté à la fière histoire d'Angleterre, comment pouvons-nous leur
pardonner, comment pouvons-nous l'oublier?''.
Heureusement, les résultats de l'Enquête du Dimanche Sanglant, initié en 1998 par le premier
ministre anglais Tony Blair, ont été publiés le 15 Juin 2010, démontrant que les militaires avaient
ouvert le feu les premiers, sur des manifestants non armés et tous innocents, dont un qui était déjà
blessé. Le premier ministre David Cameron s'est par la suite excusé au nom du gouvernement
britannique.
Le vendredi sanglant de Belfast
Cette journée fut une série d'attentats à la bombe par l'IRA, en réponse au massacre à Derry en janvier,
mais surtout à l'issue de négociations infructueuses entre l'IRA provisoire et le gouvernement britannique.
En un peu plus d'une heure ce jour-là, commençant vers 14h, 22 bombes ont explosé à Belfast, tuant 9
civils. L'IRA déclara que les forces britanniques avaient été à chaque fois prévenues de l'attentat suivant
pour pouvoir évacuer les personnes; seulement, avec le grand nombre de bombes dans le centre-ville et
certaines fausses alertes, la situation était telle que lorsque les personnes étaient évacuées ailleurs, c'était
pour aller dans une autre zone piégée. En 2002 sur la BBC, l'IRA a présenté ses excuses aux civils
touchés et aux familles des victimes.
L'opération ''Motorman'' suivit cet attentat: ce fut une lourde opération militaire ayant pour but de
reprendre contrôle des zones de ''non-droit'' comme le Free Derry, qui existaient également à Belfast et
ailleurs en Irlande du Nord. C'est depuis cette opération que le Free Derry cessa d'exister, bien que le mur
''You are now entering Free Derry'' (''Vous entrez maintenant dans le Derry Libre'') dans ce qui était le
''Free Derry corner'', fut laissé pour commémorer cette période, tous comme les muraux du Bogside et le
musée du Free Derry.
→ Chanson sur l'état de l'Irlande dans les années 1970:
Only Our Rivers Run Free
Cette chanson, même si elle ne parle pas du Vendredi Sanglant particulièrement, fut tout de même
écrite par Michael McConnell en 1973, soit seulement un an après ce drame. Elle donne donc une bonne
impression de l'état d'esprit des nationalistes à cette période-là.
Elle fut beaucoup reprise, notamment par The Wolfe Tones et Christy Moore. Elle parle du statut de
l'Irlande du Nord à la fin des Troubles. C'est une lamentation sur le sort de l'Irlande, qui, selon la chanson,
ne sera jamais libre (seules ses rivières coulent libres), car il n'y a plus personne pour la défendre. C'est
une sorte de reproche à cette attitude ambiante qui existe maintenant en Irlande, celle de vouloir rester
neutre et arrangeant, plutôt que résistant et rebelle comme avant:
Oh where are you now when we need you
What burns where the flame used to be
Are you gone like the snows of last winter
And will only our rivers run free?
Ah, où êtes-vous maintenant que l'on a besoin de vous,
Qu'est-ce qui brûle à la place de votre flamme rebelle,
Êtes-vous partis comme les neiges du dernier hiver,
Et est-ce que seules nos rivières seront jamais libres?
L'accord du Vendredi Saint, ou accord de Belfast
Cet accord fut signé le vendredi précédent Pâques (d'où son nom), le 10 avril 1998, entre le premier
ministre britannique, le premier ministre de la République d'Irlande, les nationalistes (dont le Sinn Féin),
et les unionistes. Il réunit ainsi plusieurs partis de toute l'Irlande.
Globalement, sa visée est de définir:
– le statut et le mode de gouvernement en Irlande du Nord,
– les relations entre celle-ci, le Royaume-Uni et la République d'Irlande,
– les Droits de l'Homme
– le respect de toutes les communautés et ethnies et de leurs traditions
– la mise en hors-service des armes appartenant à tout groupe paramilitaire
– la remise en liberté des paramilitaires en prison
– la mise en service des mesures de sécurité britanniques à travers l'Irlande du Nord
Cet accord fut accepté par les votants de part et d'autre de la frontière en Irlande, le même jour (le 23
mai). Avec ce vote, la République d'Irlande a renoncé à sa revendication aux 6 comtés de l'Irlande du
Nord.
→ Chanson relatant l'état de Belfast quelques années avant le traité:
Belfast:
Elton John, artiste anglais très connu, a écrit une chanson sobrement appelée Belfast en 1995, dans son
album Made in England. Dans cette chanson il décrit l'ambiance triste laissée par la guerre et les tensions
religieuses dans cette ville, et pourtant il aime cette ville car il n'en a jamais vue de plus courageuse. Dans
cette chanson il dit qu'il ''essaie de regarder à travers des yeux irlandais''. C'est une de ces chansons, dans
la lignée de celles de Tommy Sands par exemple, qui préfèrent tirer des solutions pacifiques de ces
périodes noires, et essaient d'apaiser les esprits.
''smoking black roses'': les roses noires représentent la vengeance et la mort (sachant que la rose est la
fleur symbolique de l'Angleterre, mais la rose rouge étant aussi le symbole des martyrs chrétiens), tandis
que le fait qu'elles soient fumantes fait référence à la fumée des canons de pistolets.
No bloody boots or crucifix
Can ever hope to split this emerald island
Aucune botte sanglante ou crucifix
Ne peut espérer séparer cette île d'émeraude
And so say your lovers from under the flowers
Every foot of this world needs an inch of Belfast
Et ainsi le disent vos amants depuis leur tombe
Chaque mètre de ce monde a besoin d'un centimètre de
Belfast
Les deux premiers vers signifient que l'Irlande ne pourra jamais être divisée par des soldats ou par un
désaccord religieux seulement; les deux derniers vers quant à eux signifient que lorsque l'on pense à tous
ceux qui ont perdu des proches dans cette histoire, et donc lorsqu'on se rappelle les massacres et
oppressions dont l'homme a été capable à Belfast, il faut absolument ne jamais oublier cela pour ne pas
répéter nos erreurs à l'avenir.
Ballade irlandaise relatant brièvement trois grandes étapes de l'histoire d'Irlande:
Four Green Fields
Cette chanson fut écrite en 1967 par le célèbre artiste folklorique irlandais Tommy Makem (mort en
2007). Il fut de nombreuses tournées avec le groupe The Clancy Brothers, avec qui il connut un grand
succès, notamment en Amérique, dans les années 50 et 60.
Dans la première strophe, une vielle femme explique qu'autrefois elle avait quatre terres chéries, que
des étrangers sont venus piller, et ses enfants ont péri en voulant les défendre.
Dans la deuxième strophe, la vieille femme dit qu'il y a de ça longtemps, il y avait la guerre et des
pillages, ses enfants sont morts de faim, et le sang coula sur ses quatre précieuses terres.
Et enfin, la vieille femme dit que maintenant, elle a toujours quatre terres chéries, mais l'une d'elle est
encore aux mains des étrangers. Mais ses fils ont eu des fils aussi courageux que leurs pères, et ses quatre
terres fleuriront de nouveau.
''this proud old woman'': ''cette vieille femme fière'', est clairement une personnification de l'Irlande,
qui voit siècle après siècle ses enfants, donc ses habitants, périr sous le joug anglais. Ses quatre précieuses
terres ne sont autres que les quatre provinces d'Irlande (Connacht, Leinster, Munster, Ulster).
La première strophe relate donc l'arrivée des premiers anglais, et comment ils se sont appropriés les
terres irlandaises. Ensuite, c'est la persécution et la privation qu'ont connus les irlandais, notamment
durant l'épisode douloureux de la Grande Famine, qui sont relatés. Et enfin, il reste une province, l'Ulster,
donc l'Irlande du Nord, encore aux mains ennemies. Mais un jour, l'Irlande sera unifiée à nouveau: c'est le
dernier message, le dernier espoir de la chanson.
Ce problème du statut de l'Irlande du Nord est d'ailleurs on ne peut plus au cœur de la vie politique
britannique contemporaine: en effet, dans mon cours de civilisation britannique de cette année, consacré à
la vie politique anglaise, le dernier chapitre est: ''Key political issues: Northern Ireland [...]'' →
''Questions politiques clés: l'Irlande du Nord […]''.
Pour conclure, voici ce que dit Martin Dowling dans son essai Folk & Traditional Music, and the
Conflict in Northern Ireland, A Troubles Archive Essay, p. 9:
Certaines chansons sont adoucies, d'autres écoutées seulement en petits comités, beaucoup sont
oubliées. Ce sont de vieilles et résistantes habitudes […] Seul le temps nous dira combien de ces
chansons inventées en réponse aux Troubles survivront dans la tradition, et quelle forme elles
prendront aux mains des futures chanteurs.
II) La musique actuelle
Les artistes contemporains perpétuant la tradition:
Dans une boutique de musique à Dublin, j'ai relevé des noms de groupes sur un grand présentoir
consacré à des CD de groupes traditionnels contemporains; je ne vais parler que des plus populaires
d'entre eux:
✗ The Dubliners11
est un groupe de musique
folklorique irlandais très connu, fondé en 1962. En allant aux
Archives de Dublin, je suis passée devant un bar appelé
Paddy O'Donoghue's; j'ai lu ensuite que c'est là que les
membres du groupe s'étaient rencontrés pour la première
fois12
. A l'époque, tous les musiciens et chanteurs folkloriques
y allaient (aujourd'hui ce n'est plus pareil, c'est devenu très
touristique). A l'intérieur, un mur leur est consacré, avec le
portrait de chaque membre. Ce groupe renommé a de
nombreux amis artistes, dont Bono du groupe U2, et Sinéad
O'Connor.
Ils jouent beaucoup de chansons traditionnelles, sans toujours suivre la version originale – en ajoutant
ou enlevant certains vers et certains mots – dont des chansons rebelles, comme The Foggy Dew,
interprétée dans les années 60. A l'époque, ceci faisait parfois l'objet de controverses, ce qui leur a valu
d'être banni, entre 1967 et 1971, par la chaîne nationale RTÉ.
Cette année 2012, le groupe a donc célébré son 50ème anniversaire. Le groupe s'est également vu
attribué un ''Lifetime Achievement Award'' par la BBC Radio 2 Folk Awards, en cette année 2012.
✗ The Chieftains est un groupe traditionnel renommé ayant collaboré avec de nombreux artistes
internationaux, tels Sinéad O'Connor, Sting, The Rolling Stones, Bob Dylan, Mick Jagger, The Corrs, Art
Garfunkel, Ziggy Marley, et Madonna, pour ne donner qu'une liste non exhaustive. Ils sont connus pour
avoir popularisé la musique folklorique irlandaise, en jouant autant dans des pubs qu'en réalisant des
chansons symphoniques pour le grand écran. Ils furent aussi le premier groupe à jouer dans le Capitole de
Washington, et le premier groupe occidental à jouer sur la Grande Muraille de Chine!
On voit leur influence jusque dans les publicités: lorsque j'étais à la Guinness Storehouse de Dublin,
on pouvait regarder des publicités pour la Guinness qui avaient été réalisées entre les années 50 et
aujourd'hui, et dans l'une d'elle, ce sont The Chieftains qui font la promotion de la fameuse bière noire!
J'ai vu un programme, le lundi 2 juillet au soir, sur RTÉ One (chaîne de télévision nationale irlandaise)
sur leur nouveau CD, Voice of Ages, sorti en 2012 pour leur 50ème anniversaire (comme The Dubliners).
L'émission était une succession d'extraits des chansons enregistrées en studio avec les différents artistes
collaborateurs, et des explications du leader du groupe, Paddy Moloney13
. De nombreux jeunes artistes de
plusieurs pays ont participé à cet album: pas moins de 7 groupes folk et de jazz américains, ainsi que les
fameuses chanteuses irlandaises Imelda May et Lisa Hannigan; et enfin le chanteur écossais Paolo Nutini.
11 A noter que Dubliners est également le nom du livre, publié en 1914, du célèbre écrivain irlandais James Joyce, dans lequel
il décrivait la ville de Dublin comme un personnage à part entière, usant d'une palette de couleurs d'ambiances de la capitale à
cette époque. Si le groupe The Dubliners s'est nommé ainsi, c'est qu'à leurs débuts, un de leur membre était en pleine lecture de
ce livre.
12 Eric Winter, in Dubliners Song Book, 1974.
13 Qui habite, pour l'anecdote, près des Wicklow Mountains de Dublin, donc pas loin de chez Patricia, c'est elle qui me l'a dit!
✗ The Planxty était un groupe irlandais folklorique
créé en 1971, Christy Moore faisant partie des membres
fondateurs du groupe. Ils se sont séparés en 1975 puis 1983,
puis réunis en 2003 en faisant un dernier concert en 2005.
Leur répertoire était très influencé par le talentueux – et
aveugle – harpiste classique Turlough O'Carolan (ayant vécu
au XVII°/XVIII° siècle). Leur nom aussi en est inspiré,
puisque le mot ''Planxty'' était souvent utilisé par ce
musicien dans ses chansons (quant à son origine, il y a
plusieurs explications dont on ne sait pas laquelle est la
vraie).
✗ Christy Moore est un chanteur folklorique irlandais.
Il a mis en musique des poèmes de Bobby Sands, dont
Back Home in Derry. La mélodie de cette chanson est celle
de The Wreck of the Edmund Fitzgerald, chanson du
musicien canadien Gordon Lightfoot. Christie Moore a
enregistré cette chanson sur son album Ride On, de 1984,
considéré comme l'un de ses meilleurs. Dans cet album, il y
chante d'ailleurs de nombreuses chansons évoquant et
célébrant diverses luttes politiques dans le monde, ou leurs
conséquences.
Christy Moore est un artiste très connu en Irlande, et qui se donne en concert encore aujourd'hui. Il
était d'ailleurs au Galway Arts Festival lorsque j'y étais cet été, mais je n'ai pas eu l'occasion de le voir.
Bobby Sands était un membre de l'IRA provisoire et un député à la Chambre des Communes du
Royaume-Uni. Il est mort après une grève de la faim de 66 jours, à la prison de Maze en Irlande du
Nord. Il est vu comme un héros de la cause républicaine et de la défense de la dignité des prisonniers
politiques. Mais pour d'autres, il est vu comme un terroriste, tout comme l'IRA.
✗ Clannad est un groupe familial dont les membres sont des frères, sœurs et oncles (comme
beaucoup de groupes folkloriques, tels The Clancy Borthers ou The Fureys). Ils se sont formés en 1970
dans le comté de Donegal, en Irlande du Nord.
Ils se sont plus amplement fait connaître avec leur chanson écrite pour le thème de la série britannique
Harry's Game en Octobre 1982, une série relatant la période des Troubles. Cette chanson reste
aujourd'hui la seule chanson chantée entièrement en irlandais à atteindre le n°5 dans les charts anglais et
irlandais à la fois. Cette chanson fut reprise dans des films et des publicités américaines, ce qui a lancé
leur carrière internationale. Après 10 ans de séparation, les membres du groupe (une sœur en moins,
partie en carrière solo) se sont réunis en 2007. Ils ont réalisé une tournée au Royaume-Uni en Mars 2008,
et en 2012, ils préparent un nouvel album ainsi qu'une tournée en Amérique du Nord et au Canada.
Pour l'anecdote, lorsque j'étais à la Guinness Storehouse, en plus de la publicité avec la participation
de The Chieftains, j'en ai aussi vu une autre avec celle de Clannad!
✗ Un autre groupe, jouant des chansons principalement rebelles, est The Wolfe Tones (tirant son
nom de Theoblad Wolfe Tone). Ce groupe est né dans la banlieue de Dublin en 1963, dont deux des
quatre membres sont les frères Brian et Derek Warfield. Le groupe a fait de nombreuses tournées en
Irlande, à Londres, puis aux États-Unis et au Canada après avoir acquis une plus grande renommée.
Aujourd'hui, le groupe ne se produit plus qu'en trio, puisque Derek Warfield a quitté le groupe en 2001.
Stèle dans la Cathédrale Saint Patrick à
Dublin, représentant Turlough O'Carolan
✗ Derek Warfield s'est produit en solo pendant
quelques temps, puis se donne maintenant en concert avec un
autre groupe qu'il a fondé, appelé Derek Warfield & The Young
Wolfe Tones, groupe folklorique reconnu. Ils ont, entre autres,
interprété la chanson Óró, Sé do Bheatha 'Bhaile, chanson
faisant originellement référence à une insurrection jacobite du
XVIII° siècle (le titre signifiant: ''Bienvenue chez vous'').
Elle fut reprise au XX° siècle comme chanson rebelle, ses
paroles étant retravaillées par le nationaliste Pádraig Pearse, l'un
des leaders de l'insurrection de Pâques. Cette chanson fut
beaucoup chantée à cette période, notamment par les
Volontaires Irlandais, et aussi lors de la guerre d'indépendance.
Elle fut connue sous d'autres noms, comme Dord na
bhFiann (L'appel des Soldats) ou An Dord Féinne. Les paroles
remaniées par Pearse font référence à Gráinne O'Malley, une
fameuse cheftaine tribale et reine pirate, connue pour sa
résistance (et plus tard sa capitulation) contre la reine Élisabeth
I. Elle reste, dans la mémoire collective, une héroïne irlandaise
de l'indépendance.
✗ On peut aussi attirer l'attention sur des musiciens
folkloriques dans la même vague que Christy Moore: Tommy Sands, et, bien que moins connu, son frère
Colum Sands. Ils sont d'Irlande du Nord, du comté de Down, nés de parents eux-mêmes musiciens qui
ont élevé leurs sept enfants dans l'amour de la culture irlandaise. La maison de la famille Sands était
connue en Irlande du Nord, autant chez les catholiques que les protestants, pour être l'endroit où se
retrouver pour profiter de la musique et passer un bon moment.
Tommy Sands est un artiste connu internationalement (il a joué à Carnegie Hall à New York ainsi
qu'au Stade Olympique de Moscou), ami proche du chanteur américain Pete Seeger, et fait désormais des
tournées avec son fils Fionan et sa fille Moya. Sa chanson There Were Roses est par ailleurs très connue.
Dans son essai, le Martin Dowling parle de cette chanson, page 7:
La chanson se réfère également à une tradition irlandaise bien plus ancienne, ''an caoineadh'', la
lamentation. Dans le simple refrain, qui commence avec ''There were roses, roses, there were roses'',
la mélodie monte et se stabilise sur la première syllabe de ''roses'', et on entend là un léger
''melisma''14
d'émotion, un secouement de douleur, qui résonne avec le ''ochóne is ochóne ó'' du plus
ancien gaélique ''amhrain caointe''. Le refrain a une ancienne fonction, qui est de permettre à
l'audience du chanteur d'effectuer un acte de deuil public en unisson oral.
✗ Declan McLaughlin est également un artiste actuel ayant à son répertoire de nombreuses
chansons en rapport avec la situation en Irlande du Nord. Comme je l'ai déjà mentionné, j'ai pu être en
contact avec cet artiste, et c'est en échangeant avec lui que j'ai découvert l'horrible pratique du ''knee-
capping'', traduit en français par ''jambisme''. C'est un acte qui a pour but de punir ou de menacer, sans
tuer, en tirant dans le joint du genou. Cette pratique était courante en Italie et en Irlande du Nord, par les
paramilitaires notamment, mais aussi par des membres de l'IRA provisoire. Aujourd'hui, on a vent de
telles pratiques à Gaza (encore un lien entre la Palestine et l'Irlande du Nord...).
Il a joué avec deux groupes pendant quelques années: The Screaming Bin Lids et The Whole Tribe
Sings, groupes punk folkloriques, dont les chansons évoquent la vie en Irlande du Nord.
14 Fait de chanter une seule syllabe tout en utilisant plusieurs notes à la suite, contrairement au fait de chanter une syllabe par
note.
Affiche de Derek Warfield & The Young
Wolfe Tones dans une rue à Dublin
Declan McLaughlin est connu dans cette région, et il a également
fait de nombreuses tournées aux États-Unis. Il est très engagé dans
la cause pour Gaza, comme d'autres artistes irlandais identifiant
beaucoup cette situation à celle en Irlande il y a quelques années – et
pour cause. Par ailleurs, sur le mur extérieur du musée du Free
Derry, il y a une reproduction de Guernica, ainsi qu'une peinture en
soutien à la Palestine (voir à droite).
✗ Gary Óg est un musicien de musique folklorique irlandaise
rebelle, originaire du sud de Glasgow, ville qui connut par un temps
une forte communauté irlandaise. Il a fait partie du groupe Éire Óg
(Jeune Irlande), également de Glasgow, fameux groupe de musique
rebelle des années 90 dans la même lignée que The Wolfe Tones, par
exemple.
Aujourd'hui, il fait carrière solo, et a fait des tournées jusqu'en
Australie. Il interprète surtout des chansons folkloriques irlandaises
rebelles, comme celle pour laquelle il est le plus connu: Go On Home British Soldiers, chanson
provocatrice souhaitant une Irlande libre, dont les paroles font par ailleurs référence aux 14 victimes du
Bloody Sunday de Derry. Il a également interprété The Fields of Athenry, Irish Soldier Laddie, et Willie
and Danny, cette dernière chanson faisant référence à deux victimes républicaines qui furent prises dans
une embuscade de l'armée britannique, en 1984 à Derry.
✗ Terry ''Cruncher'' O'Neill est un artiste folklorique chantant beaucoup de chansons rebelles, et
il est donc populaire en Irlande du Nord, surtout à Derry et Donegal, deux villes fortement républicaines.
Il joue également au week-end annuel de commémoration des volontaires de l'IRA de Derry15
. Il a
interprété par exemple la chanson républicaine ''James Connolly'' (tout comme The Wolfe Tones, la
dernière strophe en moins), une chanson parlant de la fusillade des 13 rebelles à la prison de Kilmainham,
dont nous avons déjà parlé.
There was many a sad heart, in Dublin that
morning,
When they murdered James Connelly, the Irish
rebel
Il y avait plus d'un cœur morose à Dublin,ce matin-là,
Lorsqu'ils ont assassiné James Connolly, le rebelle
irlandais
The spirit they tried hard to quell,
But above all the dim came the cry 'no
surrender',
Was the voice of James Connelly, the Irish rebel.
Ils ont bien tenté de réprimer l'esprit de résistance,
Mais à travers l'obscurité on entendit le cri de
ralliement ''On ne se rendra pas''
C'était la voix de James Connolly, le rebelle irlandais.
✗ Sinéad O'Connor est une chanteuse irlandaise, qui s'est fait connaître internationalement avec sa
reprise d'une chanson de Prince en 1990. Elle a aussi, durant sa carrière, réalisé des chansons pour des
films, et encore en 2012, elle a sorti l'album How About I Be Me (And You Be You)?. Elle a collaboré avec
de nombreux artistes tels que U2, The Chieftains, ou Damien Dempsey (musicien irlandais du nord de
Dublin).
En 2002, elle a réalisé un album dont le titre est en gaélique, Sean-Nós Nua, et qui est un recueil de
chansons traditionnelles irlandaises. Le nom ''Sean-Nós'' fait référence au style de musique traditionnelle
du même nom, qui est un style de chant non-accompagné, ayant souvent pour sujet des lamentations, de
la poésie, ou des événements politiques, mais aussi parfois des sujets comiques, notamment pour les
chansons à boire. Dans cet album, il y a par exemple la chanson traditionnelle Óró, Sé do Bheatha
'Bhaile, chanson que l'on a déjà vue reprise par Derek Warfield & The Young Wolfe Tones, mais qui fut
aussi reprise par The Dubliners et The Clancy Brothers.
15 Cette année, cela se passait fin juin (mais j'étais encore à Dublin); c'était le 25ème anniversaire de la mort des deux
membres de l'IRA Edward McSheffrey et Paddy Deery.
On constate finalement que beaucoup d'artistes ayant émergé dans la période des Troubles restent
encore très actifs dans le paysage musical folklorique contemporain. Ils tiennent un rôle important dans
l'exportation de la musique irlandaise à travers le monde, ainsi que dans la perpétuation de la tradition
remise au goût du jour dans le pays-même. Heureusement, la relève est assurée par quelques jeunes
artistes aspirant à chanter, eux aussi, la fierté de leur pays.
La perception de l'histoire et de la musique folklorique en Irlande:
La politisation systématique des chansons
Selon Gerry Smith16
, l'Irlande est un pays musical depuis toujours. Zimmerman, lui, dans Songs of
Irish Rebellion, explique que le fait d'utiliser la musique comme moyen de révolte, de description du sort
des petites gens lors de bouleversements sociaux, de célébration des martyrs, ou pour inspirer quelque
changement politique, n'est pas une pratique propre à l'Irlande seule; cependant, dans un tel pays où les
tensions sont récurrentes et violentes, et où la musique et l'éloquence sont bien développés, cette pratique
pouvait prendre de grandes proportions et des formes originales, et devenir tellement pénétrante que
pratiquement n'importe quelle chanson en devenait politique.
Joan, de l'Irish Traditional Music Archives de Dublin, est elle-même chanteuse traditionnelle, et a reçu
un Life Achievement Award (comme The Dubliners) lors du Tommy Makem Festival à Armagh, en
Irlande du Nord. Elle m'a parlé de ce phénomène de politisation des chansons: les chanteurs traditionnels
d'aujourd'hui chantent souvent des chansons à caractère politique sans trop le savoir, car toute chanson
dite traditionnelle contient quasiment obligatoirement un élément politique, la période de conflit avec le
royaume britannique ayant duré très longtemps. Elle-même n'a pris conscience de toutes ces
significations ''entre les lignes'' que depuis peu.
Exemple: la chanson The Little Drummer
Chantée par Christy Moore avec The Planxty en 1974, cette chanson parle d'un tambourineur dans
l'armée qui tombe amoureux d'une aristocrate, qui bien sûr le rejette; désespéré, il lui dit alors qu'il va
mettre fin à sa vie, donc la jeune femme finit par accepter de se marier avec lui, malgré leur différence de
caste qui leur interdit d'être ensemble. A première vue, on se dit que ce n'est qu'une chanson d'amour,
mais il y a des éléments politiques qui y sont liés, puisque la seule armée existante en Irlande, à l'époque,
était l'armée britannique; de plus, la jeune fille étant de bonne famille, son père est très certainement un
lord anglais possédant une grande propriété dans le comté de Tipperary (la mention du lieu de Bansha en
atteste): les seules familles possédant des terres en ce temps étaient de riches familles aristocrates
anglaises, employant les irlandais locaux pour les cultiver.
Autre exemple: la chanson Down By The Liffey17
Side:
J'ai lu dans mon recueil de chansons populaires irlandaises que cette chanson fut écrite par Peadar
Kearney, l'auteur de A Soldier's Song (il y est d'ailleurs fait référence dans cette chanson).
L'air est le même que Down by the Tanyard Side, et The Slaney Side, chansons de Herbert Hughes – un
compositeur, critique musical et collecteur de chansons folkloriques irlandais originaire de Belfast,
contemporain de William B. Yeats. Une autre chanson écrite sur la même mélodie est The Piper of
Crossbarry, célébrant les exploits de la troisième brigade de West Cork (une unité de l'IRA) en 1921 (ils
ont échappé à l'encerclement de 1200 soldats britanniques lors de l'embuscade de Crossbarry).
Down By The Liffey Side fut notamment reprise par The Dubliners et The Wolfe Tones.
16 Gerry Smith, Chapitre I: ''Listening to the Future: Music & irish Studies'', in Music in Irish Cultural History, Irish
Academic Press, Dublin.
17 Le Liffey est le fleuve qui passe à travers le centre de Dublin.
Cette chanson possède des éléments politiques, puisque Mary, dans la chanson, chante ce qui va
devenir l'hymne national irlandais, et il est aussi fait allusion au parti nationaliste Sinn Féin. Mais le plus
intéressant, c'est que dans mon recueil de chansons populaires, il n'y avait pas la totalité de la chanson: il
manquait la dernière strophe, que j'ai retrouvée dans une autre version (qui, je pense, est l'originale); or
cette strophe est la plus clairement républicaine, c'est donc pourquoi ils l'ont supprimée dans le recueil,
dans le fameux but de ''neutralité''. Voici la dernière strophe:
And we'll have little children, and rear them
neat and clean
To shout up the Republic and to sing about Sinn
Fein,
They'll do what their old fellas did, who
England's power divide,
Send them off with guns against the free state
huns,
Down by the Liffey side.
Et nous aurons beaucoup d'enfants, et les éduquerons
bien comme il faut
À soutenir la République haut et fort et à chanter le
Sinn Féin,
Ils feront ce que leurs ancêtres ont fait, ceux que le
pouvoir de l'Angleterre a divisés,
Nous les enverrons prendre les armes contre les
ennemis de l'État libre,
Du côté de la rivière Liffey.
Les tensions qui perdurent
Regardant l'impact de l'histoire de l'Irlande sur ses habitants, j'ai regardé, avec Patricia, une émission
sur la chaîne RTÉ One (le Saturday Night with Miriam, du 30 juin 2012), où la journaliste aimée de la
population Miriam O'Callaghan invitait l'ex-leader de l'IRA – devenu maintenant vice-premier ministre
d'Irlande du Nord – Martin McGuinness, aussi numéro 2 du Sinn Féin. Récemment, lors de sa visite en
Irlande fin juin 2012, la reine d'Angleterre a serré la main à cet homme, et ce geste symbolique a
beaucoup fait parlé dans les médias. Jusqu'ici, ce parti nationaliste avait toujours boycotté les visites de la
Reine.
Il disait dans l'émission que, bien que beaucoup de gens pensent que le processus de paix est terminé,
il est au contraire encore en cours et fragile. Il reste des étapes à franchir et des réconciliations à faire
entre les habitants d'Irlande du Sud et du Nord, et entre l'Irlande et l'Angleterre. C'est pourquoi cette
poignée de main était un moyen, pour Martin McGuinness, de tendre la main à tous les unionistes du
Nord.
Il a également dit que le processus de réconciliation est long, comme c'est le cas de tous les processus
de paix, et il ne faut pas oublier que cette guerre n'a encore même pas un siècle d'existence. La plupart
des habitants d'Irlande aujourd'hui, les ''seniors'', sont des gens qui ont vécu cette guerre civile, qui ont
connu la souffrance des autres et de leurs proches, et vu des innocents se faire tuer.
Par rapport à cela, Miriam a été droit au but en demandant à Martin McGuinness s'il avait des remords,
si toutes ces victimes en valaient la peine; car un autre point délicat en Irlande est le statut de l'IRA.
Beaucoup aujourd'hui, comme Miriam, n'en veulent pas qu'à l'Angleterre mais aussi à l'IRA et ses
bombardements qui affectaient aussi la population civile, comme par exemple lors du Vendredi Sanglant
de Belfast mal organisé. Beaucoup de familles ont souffert à cause des deux camps, en fin de compte, et
aujourd'hui l'IRA est considérée comme une organisation terroriste par beaucoup d'irlandais.
Il y a donc visiblement toujours des tensions au sein du pays quant à cette période de Troubles. J'en ai
parlé avec Patricia après cette émission, et elle m'a dit qu'il n'y avait plus les mêmes tensions qu'avant,
entre le Nord et le Sud, cependant c'est encore un grand sujet de conversation. Même si les tensions sont
beaucoup moins fortes qu'avant, le souvenir de ce passé commun et proche dans le temps est encore vif,
et c'est une chose qui ne peut pas partir en seulement quelques décennies – j'en ai fait la constatation lors
de mon passage à Derry, où la ville elle-même rendait une impression de deuil généralisé par rapport à
son Dimanche Sanglant, 40 ans plus tôt.
De cette période qui divisaient même les familles en leur sein, un livre en témoigne assez fidèlement:
The Railway Station Man, de Jennifer Johnston, une écrivaine irlandaise (je l'avais emmené en Irlande
pour le lire là-bas, sans savoir de quoi ça allait parler ou qui était vraiment l'auteur... Quelle belle
coïncidence!). Ce livre relate une histoire d'amour entre une mère irlandaise veuve et un ancien héros de
guerre anglais, sur fond de lutte pour l'indépendance de l'Irlande, dans lequel son fils est impliqué. À cette
période les jeunes s'engageaient dans l'IRA pour défendre le pays de l'oppresseur, d'autres s'engageaient
en n'ayant qu'une image glorieuse de leur action, sans trop savoir ce qui les attendaient... et les parents
bien souvent étaient impuissants face à ce phénomène, et n'avaient, comme on dit ''plus que leurs yeux
pour pleurer''. Jennifer Johnston a également écrit The Old Jest, roman sur la Guerre d'Indépendance
irlandaise, qui fut adapté au cinéma en 1988.
Patricia m'a aussi fait part du fait que certaines familles ne se parlaient toujours pas à cause de ce qu'il
s'était passé entre leurs parents (notamment entre ceux qui étaient du côté des exécuteurs des
rebelles/prisonniers politiques, donc côté britannique, et ceux qui ont été exécutés). L'Irlande est un petit
pays où il n'est pas très caricatural de dire que tout le monde connaît tout le monde. Ainsi, on repère
encore facilement les marques laissées par la guerre civile car les familles et leur descendance restent
proches et pas très éparpillées dans l'espace.
On peut donner en exemple l'article qui est paru dans le Derry Journal à propos du week-end de
commémoration annuel des volontaires de l'IRA (ayant eu lieu le 23/24 Juin 2012), où l'on peut constater
qu'étaient présents, lors de cet événement, des frères et enfants de volontaires morts durant les
affrontements. Il y a d'ailleurs, à Derry, de nombreuses commémorations de ce genre, comme la
commémoration du Dimanche Sanglant, ou bien encore la commémoration de l'Insurrection de Pâques.
Tous ces ''événements'' ne font que confirmer mon impression que Derry vit dans le passé, et ne permet
pas aux gens d'avancer en paix (même si je ne serais pas d'accord pour oublier ce passé).
Là encore, ce passé étant très proche, on peut espérer que, comme partout, avec le temps les gens
finiront par faire leur deuil et par aspirer à un avenir plus pacifique.
Le statut de la musique traditionnelle aujourd'hui
Par rapport à la vision que les jeunes aujourd'hui ont de la musique folklorique, c'est Ronan, 26 ans18
,
qui m'a expliqué que les groupes traditionnels n'étaient pas si populaires que cela. Comme partout, ils
sont un peu dans l'ombre des groupes et chanteurs internationaux, comme Lady Gaga et d'autres; les
groupes traditionnels ne seront jamais dans le top 10 des chansons de radio par exemple. C'est
sympathique pour l'ambiance des pubs, mais ça ne va pas plus loin selon lui. En ça on peut donc dire que
Clannad avait bien réussi son coup, en écrivant leur chanson pour Harry's Game devenue n°5 des charts
anglais. Mais, 40 ans plus tôt, il n'y avait pas les mêmes conditions socio-historiques.
Il me semble que la pacification des deux camps joue aussi beaucoup dans ce manque d'intérêt des
jeunes pour la musique folklorique: ils ont peut-être moins besoin de ressentir leur ''identité irlandaise'' –
si tant est qu'un tel concept existe – car il n'y a plus l' ''ennemi anglais'' commun. Les jeunes de
maintenant n'ont pas vécu les atrocités des Troubles comme leurs anciens, pour qui c'est encore très ancré
dans leur mémoire. Il y a bien sûr le passage d'une mémoire collective, et chaque famille transmet une
certaine idéologie à leurs enfants, mais même cela devient de plus en plus modéré. Les pensées semblent
moins polarisées qu'avant, et maintenant on veut apprendre aux descendances à savoir faire la paix et à
vivre dans un monde plus harmonieux. Les gens ne veulent plus de cet extrémisme qui a mené à des
pertes humaines des deux côtés.
J'en ai parlé avec Martin Dowling, qui m'a dit que ceci est un aspect important de la musique en
Irlande: toujours à cause de ce but de pacifisme, il existe un effet de rejet de la chanson traditionnelle
irlandaise (surtout chez les jeunes, comme on l'a vu), au profit de chansons irlandaises ayant un côté
''ballade country'' américaine revisité (qui ressemble beaucoup à la vraie country américaine – on observe
d'ailleurs des instruments traditionnels, comme le banjo, autant utilisés en Irlande qu'en Amérique).
En dehors des musiques sans paroles dans les pubs (musiques à boire, finalement), on n'entend pas
beaucoup de chansons traditionnelles, et pour cause: la plupart de ces chansons sont tristes et/ou
politiques, ce qui n'est pas très bon pour le commerce, tout simplement! En soirée, les gens consomment
18 J'ai connu Ronan grâce au couch-surfing: c'était le seul qui m'ait répondu, et même s'il n'avait pas de place pour me faire
dormir, on a pu discuter de mon sujet. Ronan est originaire de Cork, et vit et travaille à Dublin aujourd'hui.
plus avec une musique de fond joyeuse. D'autant plus qu'en Irlande, chose qui n'existe pas ailleurs (du
moins pas en France), lorsqu'une personne commence à chanter dans un pub (et la moitié du temps, ces
chansons sont des lamentations), tout le monde se tait et écoute en signe de respect: ce n'est donc pas bon
pour pousser à la consommation. Le paysage musical des pubs a ainsi évolué lui aussi.
Il existe aussi certains groupes ayant une connotation négative: entre écouter The Chieftains, au
répertoire traditionnel plutôt ''gentil'', et écouter The Wolfe Tones, au répertoire bien républicain, il y a
une différence. Ces derniers étant très pro-IRA, et l'IRA étant mal vue par les irlandais aujourd'hui, The
Wolfe Tones passent pour être un groupe assez extrémiste (par contre il me semble que Derek Warfield &
The Young Wolfe Tones n'a pas la même réputation). Ronan me disait donc que si une personne disait
ouvertement qu'elle aimait bien ce groupe, elle pourrait passer pour quasiment pro-terroriste.
Après ce que m'a dit Ronan, il est vrai que les groupes traditionnels ne sont pas ce qui est écouté le
plus par les jeunes; cependant, de par de ce que j'ai vu lors de mon tour de l'Irlande, je trouve que la
musique folklorique en elle-même représente une dimension beaucoup plus importante que la musique
folklorique en France, par exemple. Ne serait-ce qu'en se baladant dans les villes on voit que la musique
est très présente, quand on voit ici ou là un trio de rue jouant des airs traditionnels, ou un musicien seul
jouant de l'uilleann pipe, de la guitare, de
la mandoline, de la concertina ou autre
instrument traditionnel. Où qu'on se
balade, dans les rues, dans les pubs, ou
devant les hauts-parleurs de magasins de
musique, on entend beaucoup de musique
traditionnelle (et lors du festival de
musique traditionnelle à Miltown Malbay,
j'ai tout de même entendu quelques trios
chanter des chansons républicaines). À
Dublin, j'ai pensé que c'était pour attirer
les touristes; mais lorsque j'ai vu que
c'était pareil ailleurs, je crois que cela est
inhérent au pays, et c'est une chose très
agréable. De ce côté-là, l'Irlande est un
pays du Sud, le beau temps en moins!
Je dirais en fait qu'il existe tout
simplement trois grands courants de musique traditionnelle en Irlande: il y a les groupes qui ne parlent
pas de la guerre, et que l'on entend facilement, puisqu'accessible à toute la population sans risque de
controverse; les groupes et chanteurs comme Tommy Sands et Christy Moore qui sont tout de même
politiques, mais pour une pacification de l'Irlande; et pour ceux qui le souhaitent, il est également
possible de trouver des groupes ou chanteurs (plus qu'on ne le pense) républicains, chantant
principalement des chansons rebelles traditionnelles (ils sont toutefois moins connus par le grand public
que par les ''connaisseurs'', dans cet éternel but de modération). Dans une boutique de souvenirs j'ai
d'ailleurs vu un présentoir où il y avait deux types de CD, un exclusivement de ballades traditionnelles,
l'autre de chansons de rébellion.
Entre compréhension et haine mal placée
Joan m'a aussi dit qu'avant, le patriotisme était un sentiment très populaire en Irlande, sans être une
haine aveugle des anglais. La population se comprenait mieux, car les gens étaient tous dans le ''même
panier'', la même misère: il y avait autant de pertes des deux côtés, et voyaient bien que la guerre était
vaine, donc ils se serraient plus les coudes. Tandis qu'aujourd'hui, ce qui est un peu un paradoxe est que
les gens qui pour la plupart n'ont pas connu les temps d'intenses problèmes, sont ceux qui entretiennent
cette haine aveugle (attention, il y a une différence entre haine aveugle et résistance contre l'oppresseur).
Groupe improvisé d'une douzaine de musiciens dans un pub à
Miltown Malbay
Comme souvent, lorsque l'on ne connaît pas quelque chose personnellement, on a tendance à aller plus
dans l'extrême car on n'a moins d'informations sur lesquels se faire notre opinion, et celle-ci en devient
donc faussée, et nous pousser à nous engager dans des causes qu'on ne connaît finalement pas vraiment.
Les amalgames sont donc faciles à faire.
Les gens ont perdu des proches, des parents, des amis, et c'est quelque chose qui ne peut pas se
comprendre rationnellement. Évidemment, c'est comme ça que la guerre se passe toujours; mais lorsque
ça nous arrive, on se rend alors vraiment compte que rien ne devrait justifier la mort d'innocents.
Selon Joan, on peut voir ces changements dans les paroles des chansons rebelles: dans les chansons de
1798, les paroles étaient beaucoup plus patriotiques et compréhensives; maintenant ce n'est que sur les
ennemis anglais et à quel point il faut les détester.
Me concernant personnellement, je ne sais pas de quel avis je suis; tout de même, l'Angleterre a bel et
bien envahi le pays et c'est à cause d'eux qu'il est maintenant divisé, ça n'est pas une invention, donc je
comprends le point de vue des républicains qui réclament une Irlande unifiée, comme elle devrait l'être.
C'est une sorte de colonisation pacifique que représente l'Irlande du Nord aujourd'hui, finalement,
seulement personne, si ce n'est les républicains, ne semble s'en préoccuper. L'Angleterre aurait dû
renoncer à l'Irlande toute entière lors du traité de Belfast, et ne pas chercher à négocier le terrain.
Cependant, d'un autre côté je comprends aussi que les gens ne veulent plus de guerre ou de tension, et
préfèrent oublier tout ça. Tellement de familles ont perdu leurs proches dans cet affrontement, et au final,
aujourd'hui tout le monde vit normalement, donc à quoi bon continuer de se battre? Il est préférable
maintenant de régler ces questions de façon pacifique et diplomatique, plutôt que par la force. Le
problème reste que l'Irlande a moins de poids par rapport au Royaume-Uni, donc les voies diplomatiques
profitent souvent plus au pays le plus influent. Mais au final, peut-être que si la terre entière devait
remettre en question quelle terre appartient à qui, on n'en aurait jamais fini...
Pour les irlandais fortement républicains, cette
attitude se compare à de la soumission, et là
encore je comprends leur point de vue. J'avoue
que moi-même cette situation me déplaît un peu,
et j'aimerais voir une Irlande unie; après tout
cette situation de la période des Troubles est très
comparable à celle d'Israël/Palestine (ce n'est pas
pour rien que de nombreux artistes irlandais
soutiennent la Palestine).
Quelle tristesse qu'un si beau pays n'aie pas
plus de pouvoir et d’aplomb aujourd'hui, tout ça
parce qu'il n'a jamais eu la chance de pouvoir se
développer de façon indépendante et non
soumise. Donc moi-même je suis hésitante quant
à ma position, et je pense que je tendrais tout de
même plus du côté républicain.
En Amérique: les groupes 'trop' républicains
La musique irlandaise s'est beaucoup répandue aux États-Unis, suite aux émigrations massive d'Irlande
au XIX° siècle (pour cause de famine et de persécution religieuse comme on l'a vu), ainsi que dans tout le
Royaume-Uni. Depuis les années 70, il y a un regain d'intérêt pour cette musique dans le monde entier
(appelé ''folk revival''). La musique irlandaise est devenue un champ spécialisé qui s'est développé en un
domaine reconnu et populaire (d'après le Music in Irish Cultural History, de Gerry Smith, Irish Academic
Press, Dublin), notamment aux États-Unis, où est concentrée une forte communauté irlandaise (surtout à
Boston, où « en 1900, la moitié de la population de la ville est d'origine irlandaise, dont les Kennedy »).
Mural à Belfast pour la cause palestinienne
Grâce à cela, la musique irlandaise connaît un succès international.
C'est un phénomène de grande ampleur, dont j'ai aussi parlé avec Martin Dowling (c'est lui qui m'a
informé du groupe The Flogging Molly, dont je vais parler): de nombreux groupes américains reprennent
des chansons irlandaises, telles quelles ou en les retravaillant, et bien souvent ces chansons sont très
républicaines, dans la lignée de celles de The Wolfe Tones. La différence entre les deux pays et que dans
l'un, ce style est populaire, dans l'autre, c'est plutôt mal vu, comme on l'a vu plus tôt. Quelque chose qui
m'avait d'ailleurs étonnée est que, déjà en France, lorsque j'avais parlé de The Dropkick Murphys à mon
ami irlandais, celui-ci ne les connaissait pas. Et une fois sur place, j'ai eu la surprise de voir qu'en effet
ces groupes américano-irlandais n'étaient que très peu connus. En revanche, en causant avec des
australiens dans différentes auberges de jeunesse, j'ai constaté qu'en Australie ils étaient plus populaires
qu'en Irlande. C'est là que je me suis dit qu'il devait y avoir une sorte de légère censure sur les ondes.
Ces groupes républicains sont cependant vraiment populaires en Amérique, et je trouve cela
intéressant de voir comment, dans toutes ces histoires de migrations forcées, les générations évoluent. On
en a récemment parlé en cours de ''Migrations forcées'', à l'université de Macédoine de Grèce où je suis
actuellement: la première génération de migrants, ceux qui font le voyage, reste relativement
communautaire dans le nouvel environnement plutôt hostile (dans le cas des irlandais, on peut dire que
l'environnement était vraiment hostile, lorsqu'on sait que sur les vitrines des pubs américains il y avait des
pancartes ''No dogs, No Irish'', déjà mentionné plus tôt). La seconde génération de migrants sont les
enfants, qui apprennent le langage et la culture de nouveau pays, et tentent tant bien que mal de s'intégrer,
en rejetant leur propre culture. Puis vient la troisième génération, donc celle d'aujourd'hui en Amérique,
où les descendants de migrants souhaitent renouer avec leurs origines et leur culture initiale: il y a une
''émergence d'ethnicité'', selon les termes de Frederik Barth (dans Ethnic Groups and Boundaries, 1969).
En Amérique, on brandit volontiers la fierté d'être irlandais, et de soutenir l'IRA; lorsqu'on a été séparé
par un océan de toute la période des Troubles, il est aussi difficile de parler en connaissance de cause
(cela rejoint le point dont j'ai parlé plus tôt). Beaucoup d'américano-irlandais, ''plus irlandais que les
irlandais eux-mêmes'', ne sont guidés que par une image idéalisée de l'Irlande et de la lutte pour sa liberté,
et parfois ''en font trop''. Toutefois, qui peut leur enlever cette envie de renouer avec leurs origines, et qui
peut les blâmer de souhaiter une Irlande réunifiée?
The Dropkick Murphys
Ce groupe punk rock celtique, que j'ai connu par mon frère, s'est fondé en 1996 à Quincy près de
South Boston. Dans toutes leurs chansons, la cornemuse, l'accordéon, la mandoline et la flûte,
instruments traditionnels, sont très présents. J'ai aussi entendu parler récemment que chaque année, pour
la St Patrick, ils jouent une semaine d'affilée à Boston: preuve qu'ils sont très appréciés sur leur continent,
encore plus dans leur ville d'origine, qui compte une forte communauté de descendants irlandais. Voici
deux chansons populaires qu'ils ont interprétées:
Johnny, I Hardly Knew Ya:
Elle est aussi connue sous le nom de Johnny We Hardly Knew Ye ou Johnny I Hardly Knew Ye. Ils l'ont
reprise dans leur album The Meanest of Times, en 2007. L'air de la chanson fut reprise, il y a longtemps,
pour la chanson When Johnny Comes Marching Home Again, durant la Guerre de Sécession.
Cette chanson du XIX° siècle raconte la grande tristesse d'une femme du Comté de Kildare lorsqu'elle
retrouve le père de son enfant revenant de la guerre, mutilé. Cette technique de montrer les horreurs de la
guerre pour en dissuader le plus possible les jeunes, et de montrer que rien de bon n'en sort, était souvent
employée dans les poèmes et chansons anti-guerre.
Des troupes irlandaises avaient été envoyées en renfort des troupes britanniques en Inde, et pour ce
faire les campagnes de recrutement donnaient souvent une image de la guerre idéalisée, sans parler des
morts et des mutilations bien entendu, mais du courage, du patriotisme: des beaux concepts, donc –
encore aujourd'hui, on voit des publicités pour le recrutement dans l'armée française parlant de la
''confiance'', ''d'être soi-même'', de ''se surpasser'', sans montrer les morts, les rescapés, les traumatisés, les
handicapés.
Cette chanson anti-guerre, avec ses images assez grotesques mais non moins horrifiantes, fut ainsi un
moyen de dissuader les jeunes irlandais de se battre pour la cause anglaise. De plus, les soldats irlandais
rescapés n'ont pas été pris en charge par l'armée par la suite, ils furent véritablement abandonnés à leur
sort, comme le dit cette chanson: ''Ye'll have to be put with a bowl out to beg'', ce qui donne à peu près
''Tu n'auras plus que ton bol pour mendier''.
Lors de ma visite au musée de Galway, j'ai vu deux affiches de la Première Guerre mondiale, appelant
les jeunes à s'engager dans l'armée. Elles utilisaient des représentations de harpes et de cornemuses,
instruments traditionnels d'Irlande, les deux parlant de l' ''appel de la guerre'', comme si c'était un instinct
naturel:
The Green Fields of France:
C'est une chanson anti-guerre écrite par Eric Bogle (né en Septembre 1944), un chanteur australien né
en Écosse. La chanson est initialement intitulée No Man's Land, mais est aussi connue populairement
sous le titre de William McBride. The Dropkick Murphys l'ont reprise en 2005 dans leur album The
Warrior's Code.
Dans la chanson, l'auteur visite un cimetière du Front Occidental de la première Guerre Mondiale, et
s'assoit à côté d'une tombe d'un soldat irlandais ou écossais du nom de William McBride, visiblement
mort à 19 ans en service, et à qui il pose toutes sortes de questions sur la guerre, son but, ses
conséquences...
Dans les paroles, l'auteur fait référence aux musiques militaires The Last Post (l'air final de salut pour
les soldats de l'ex-empire britannique et ses alliés morts au combat, joué par les clairons) et The Flowers
of the Forest (antique air folklorique écossais, pleurant la mort de Jean IV et ses nobles durant la bataille
de Flodden Field dans le nord de l'Angleterre, en 1513). Ce dernier air est d'ailleurs connu dans tout le
Commonwealth comme ''La Lamentation'' (The Lament), joué le Jour du Souvenir (Remembrance Day),
c'est-à-dire le 11 novembre, en commémoration des soldats tombés lors de la Première Guerre mondiale.
On peut faire un parallèle entre The Green Fields of France et le poème de John MacCrae In Flanders
Fields, écrit durant la bataille des Flandres (aussi connue sous le nom de première bataille d'Ypres19
) en
19 Il existe également un musée du nom de ''In Flanders Fields'' en Belgique à Ypres.
Musique pour mémoire de guerre: l'Irlande
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Musique pour mémoire de guerre: l'Irlande

  • 1. Marguerite GALLORINI 28 Juin – 29 Juillet 2012 Musique pour mémoire de guerre L'héritage musical de l'Irlande sur son passé mouvementé
  • 2. TABLE DES MATIÈRES Introduction I) Les périodes importantes de l'histoire d'Irlande – Les trois chants phares de l'Irlande – Contexte jusqu'au XX° siècle – Les événements du XX° siècle en chanson II) La musique actuelle – Les artistes contemporains perpétuant la tradition – La perception de la musique en Irlande – En Amérique: les groupes ''trop'' républicains – En Irlande du Nord: les ''marching bands'' Conclusion Bibliographie Sites internet
  • 3. JUSQU'À NOS JOURS, LA MUSIQUE CONNUE COMME LA plus ancienne en Irlande est celle des harpistes des clans gaëliques du IX° siècle. La harpe celtique, symbole national, est présente aux quatre coins du pays: en tant que sceau royal, sur les portes des pubs, chez la compagnie aérienne Ryanair, sur le mur d'entrée du bâtiment du premier ministre, en effigie de la célèbre bière irlandaise Guinness1 ... Jusqu'au V° siècle, alors que la France, l'Angleterre et le reste de l'Europe de l'ouest et du sud faisaient partie de l'empire romain, l'Irlande resta intacte, pays jugé trop froid et pluvieux pour le colonisateur méditerranéen. De ce fait, les romains n'ont jamais vraiment influencé ses habitants. Cependant, dans les années 900, les vikings établirent une forte présence sur l'île, et influencèrent beaucoup sa vie culturelle et sa langue. L'Irlande fut également colonisée par les normands (peuple nordique comme les vikings, ''normands'' signifiant ''hommes du nord''), puis par l'Angleterre, cette dernière provocant une longue période de troubles sociaux dans le pays jusqu'à aujourd'hui. Le rayonnement de la langue irlandaise perdura jusqu'au XVI° siècle néanmoins; après cela, l'anglais remplaça peu à peu la langue nationale, et aujourd'hui l'irlandais n'est parlé que de façon minoritaire. La musique irlandaise, quant à elle, fut un moyen de résistance contre l'envahisseur, une manière de garder une part d'identité nationale. À l'époque d'Henri I, l'ecclésiastique normand-gallois Giraldus Cambrensis reconnaissait que les irlandais lui ''semblent incomparablement plus talentueux dans ces instruments que n'importe quelle autre personne qu'[il ait] rencontrée'' (1982:103). Ainsi la musique irlandaise fait partie des traits culturels bien préservés du pays: encore aujourd'hui, il existe de nombreux festivals où la musique traditionnelle est très présente, tout comme dans les innombrables pubs du pays, où l'ambiance de convivialité est due en grande partie à cette musique entraînante. On retrouve aujourd'hui un grand nombre de chansons sur l'esprit de rébellion contre le colonisateur anglais, la guerre d'Indépendance, la période des Troubles, la guerre civile, et autres révoltes plus anciennes. Mais entre ce que les archives nous racontent, et ce que la réalité nous apprend, il y a parfois un grand écart. Le but de ce voyage était donc de juger de la place que prend la musique traditionnelle rebelle dans la vie quotidienne et culturelle d'aujourd'hui. La musique irlandaise est-elle laissée pour compte au profit d'autres styles de musique plus ''tendances''? Est-elle toujours un élément important du patrimoine culturel du pays? A-t-elle atteint son objectif de transmission de la mémoire collective des luttes passées? Mon sujet se focalise principalement sur l'influence de la mémoire des guerres récentes sur la musique d'aujourd'hui. Ainsi mon étude se basera principalement sur les plus importantes guerres et tensions du XX° siècle jusqu'à aujourd'hui. Ceci est en Irlande un objet de vives discussions et de controverses: je n'ai eu ainsi aucun mal à en parler avec les gens. Note: tous les contenus que j'ai trouvés en anglais ont été ici traduits par mes soins. 1 Pour l'anecdote, la harpe celtique de Guinness est représentée dans le sens inverse de celle du sceau royal, pour éviter le plagiat. Harpe celtique dans le château de Dublin
  • 4. I) Les périodes importantes de l'histoire de l'Irlande Les trois chants phares de l'Irlande A Soldier's Song De son nom original gaélique Amhrán na bhFiann, ceci est l'hymne national irlandais (de République d'Irlande). En anglais, l’hymne est connu sous le nom de A Solider's Song (La chanson d'un soldat). Il fut écrit par Peadar Kearney en 1907, et est devenu l’hymne national officiel irlandais en 1926. L’hymne est toujours chanté en gaélique aujourd'hui, et est constitué du refrain du chant original, beaucoup plus long. L'hymne, ainsi que l'Ireland's Call (voir plus bas), est joué lors des matches entre les 5 provinces de l'Irlande (Irlande du Nord incluse), et lorsque l'équipe d'Irlande joue à Dublin. Pour ce qui est des matches internationaux, seul l'Ireland's Call est chanté. Gaélique Anglais Français Sinne Fianna Fáil A tá fé gheall ag Éirinn, buion dár slua Thar toinn do ráinig chugainn, Fé mhóid bheith saor Sean tír ár sinsir feasta Ní fhagfar fé'n tiorán ná fé'n tráil Anocht a théam sa bhearna bhaoil, Le gean ar Ghaeil chun báis nó saoil Le guna screach fé lámhach na bpiléar Seo libh canaídh Amhrán na bhFiann. Destiny soldiers are we, Whose lives are pledged to Ireland; Some have come from a land beyond the wave, Sworn to be free; No more our ancient sire land Shall shelter the despot or the slave. Tonight we man the gap of danger In Erin's cause, come woe or weal 'Mid cannons' roar and rifles peal, We'll chant a soldier's song. Nous sommes les soldats du destin, Dont la vie est offerte à l'Irlande; Certains viennent de par-delà les mers, Jurés d'être libres; Jamais plus notre patrie antique Ne subira le tyran ou l'esclave. Ce soir nous bravons le danger Pour l'Irlande, à la vie, à la mort, C'est parmi le tonnerre des canons Que nous chanterons la chanson d'un soldat. Ireland's Call C'est une chanson irlandaise utilisée comme hymne lors des matches internationaux de l'Équipe d'Irlande de rugby à XV. La chanson a été écrite par Phil Coulter en 1995 suite à une commande de la Fédération Irlandaise de Rugby : l'équipe de rugby irlandaise regroupant des joueurs venant de part et d'autre de la frontière, cette chanson fut écrite pour aider à effacer les divisions sectaires et nationales. C'est pourquoi on y voit l'idée d'une unité entre toute l'Irlande, entre les 4 provinces la constituant2 (Munster, Ulster, Leinster, Connacht). Les irlandais sont tous égaux, tous citoyens du même pays, quelque soit l'endroit leur origine. Ireland's Call Come the day and come the hour Come the power and the glory Traduction française Vienne le jour et sonne l'heure Vienne la puissance et la gloire 2 Anecdote: le mot ''comté'' en gaélique est ''cúige'', signifiant aussi ''cinquième''. Ainsi, on suppose que dans un temps révolu, il n'y avait pas 4, mais 5 provinces en Irlande.
  • 5. We have come to answer Our Country's call From the four proud provinces of Ireland Chorus Ireland, Ireland, Together standing tall Shoulder to shoulder We'll answer Ireland's call From the mighty Glens of Antrim From the rugged hills of Galway From the walls of Limerick To Dublin town From the four proud provinces of Ireland (Chorus) Hearts of steel And heads unbowing Vowing never to be broken We will fight, until We can fight no more From the four proud provinces of Ireland (Chorus) Nous sommes venus pour répondre A l'appel de notre pays Des quatre fières provinces d'Irlande (refrain) Irlande, Irlande Ensemble nous faisons face Épaule contre épaule Nous répondrons à l'appel de notre pays Depuis les redoutables Glens d'Antrim Jusqu'aux falaises escarpées de Galway Depuis les murs de Limerick Et la baie de Dublin Des quatre fières provinces d'Irlande (refrain) Avec un cœur d'acier En ne se soumettant jamais Jurant de ne jamais être séparés Nous combattrons jusqu'à ce que Nous ne puissions plus combattre (refrain) » On voit dans ces deux chants patriotiques que le combat, ou plutôt la lutte, est omniprésente. Le chant véhicule l'idée de ne plus jamais se soumettre à la tyrannie et l'esclavage – référence évidente au colonialisme anglais, mais aussi peut-être à d'autres invasions plus anciennes, comme celle des vikings. L'égalité des hommes est une idée phare de l'hymne irlandais: « Certains viennent de par-delà les mers / Jurés d'être libres »: le peuple celtique est un mélange de plusieurs horizons, et c'est bien de là qu'il tire sa force; tant que tous restent égaux, et qu'aucun d'eux ne cherche à asservir ses camarades comme l'on fait les anglais, le pays restera uni. Par ailleurs, l'hymne national est toujours chanté en gaélique: ceci traduit une certaine volonté de garder une identité celtique. Malheureusement aujourd'hui, le gaélique en lui-même est une langue parlée de façon minoritaire, dans quelques régions seulement (notamment sur la côte Ouest du pays) appelées Gaeltachtaí. The Fields of Athenry Cette chanson est un autre hymne officieux, qui est chanté aux débuts de match de football, par exemple. Cette chanson de prisonniers fut écrite par Pete St John, un musicien folklorique de Dublin. Très belle et triste chanson, elle parle d'un homme d'Athenry (une ville du comté de Galway) condamné à être envoyé à Botany Bay pour avoir volé du maïs à Trevelyan pour ses enfants. Ici il est fait référence à Sir Charles Trevelyan, administrateur colonial anglais qui était en charge de limiter la famine. Mais son manque d'action et sa basse opinion des irlandais a encore plus exacerbé les fatalités causées par la Grande Famine. L'homme dit ensuite à sa femme que ce n'est pas grave, qu'elle doit élèver leurs enfants avec dignité, car lui, en voulant se rebeller contre la famine et la couronne anglaise, s'est fait prendre et a perdu sa liberté. La chanson se termine sur la jeune femme regardant le bateau de prisonniers partir pour Botany Bay. Botany Bay était une colonie en Australie utilisée pour isoler les prisonniers du reste de la population britannique. Ainsi il existe un lien fort entre ces deux pays aujourd'hui. La chanson Back Home in Derry de Christy Moore fait aussi référence à cette colonie.
  • 6. Événements importants du XXII° au XX° siècle, alimentant la mémoire collective irlandaise: 1169: Arrivée des barons normands en Irlande. 1798: Rébellion des Irlandais unis 1800: L'Acte d'Union réunit l'Irlande au royaume de Grande Bretagne 1845-1852: La Grande Famine 8 Avril 1886: Présentation de la ''Home Rule Bill'' Arrivée des barons normands en Irlande Initialement, le roi d'Angleterre Henri II ne voulait pas contrôler l'Irlande, seulement ses barons afin qu'ils ne deviennent pas autonomes. Mais ensuite il fit établir une seigneurie en Irlande, et en 1199, cette seigneurie d'Irlande fut annexée au royaume d'Angleterre. Ceci initia la longue histoire de tensions entre irlandais catholiques et anglo-irlandais protestants. Rébellion des Irlandais unis La Société des Irlandais Unis était une organisation politique libérale, qui a évolué en une société républicaine révolutionnaire, alliée à la révolution française contemporaine, et inspirée de la révolution américaine de 1776. La France soutenait d'ailleurs la révolte irlandaise; tandis que Daniel O'Connell, éminent politicien irlandais en faveur d'un nationalisme pacifique, appelé ''l'Émancipateur'', était contre. Mais les opérations prévues à Dublin, qui devaient être le cœur de la révolte, échouèrent, et la rébellion manquait cruellement de direction: elle fut réprimée dans le sang. Theobald Wolfe Tone, une fois reconnu, fut condamné à mort par les anglais. En septembre 1791, Theobald Wolfe Tone publia un "Argument avancé au nom des catholiques d'Irlande". Ce dernier maintenait que « les divisions religieuses étaient un outil de l'élite pour [...] (monter) une partie de la population contre l'autre et pour rire de la défaite des deux », et prônait l'unité entre catholiques, protestants et presbytériens. Wolfe Tone était extrêmement influent, et est vu aujourd'hui comme le père fondateur du nationalisme républicain irlandais. Un poème, ''Who Fears to Speak of 98?'' (''Qui a peur de parler de 1798?'') fut mis en chanson plusieurs fois. Le groupe The Wolfe Tones, par exemple, l'a repris dans son album Child of Destiny. Une autre chanson, General Munroe, relate une bataille de cette même rébellion, la bataille de Ballynahinch, dans le comté de Down. L'Acte d'Union réunit l'Irlande au Royaume de Grande Bretagne Cet acte avait pour but d'éviter une nouvelle révolte irlandaise, et d'apaiser toute peur d'une émancipation catholique, en donnant la majorité aux protestants dans le gouvernement. Ainsi le parlement irlandais fut intégré au gouvernement anglais, ce qui fit de cette union un échec, puisque cela a polarisé encore plus la société irlandaise. Statue de Daniel O'Connell, dans O'Connell Street à Dublin
  • 7. La Grande Famine Le mildiou frappa les terres d'Irlande, et toutes les récoltes de pommes de terre, aliment de base des irlandais modestes, furent ruinées. La population d'Irlande chuta de 8 à 5 millions de personnes. Déjà auparavant, les irlandais fuyaient la persécution religieuse en s'exilant au Nouveau Monde, mais la Grande Famine fut une période décisive dans la diaspora irlandaise, avec plus d'un million d'émigrés. Mais l'accueil en Amérique était aussi froid que celui des anglais, puisque la population voyait d'un mauvais œil ces nouveaux arrivants. Il était fréquent de voir des panneaux ''No dogs, no Irish'' – ''Pas de chiens, pas d'irlandais'' à l'entrée des commerces (finalement, l'histoire se répète sans cesse, il n'y a que les protagonistes qui changent...). Présentation de la ''Home Rule Bill'' C'était un projet de loi visant à donner une autonomie à l'Irlande sous tutelle anglaise. Ce projet fut présenté en premier par le Premier ministre libéral William E. Gladstone, mais il fut refusé trois fois de suite, chaque refus attisant un peu plus la colère des nationalistes, eux-mêmes étant de plus en plus divisés: ceci mena finalement à l'insurrection de Pâques de 1916. Les chansons relatant les événements du XX° siècle à nos jours: Depuis longtemps déjà en Irlande, catholiques et protestants cohabitaient difficilement. Les barons normands s'étant installés au XIX° siècle ont attiré la convoitise du roi d'Angleterre pour cette île. Dès lors, l’Église catholique d'Irlande, qui existait depuis l'époque de Saint Patrick, soit depuis le V° siècle, fut peu à peu remplacée par l’Église protestante, décrétée Église d’État par la couronne anglaise. S'en suivirent des injustices parlementaires et sociales envers les catholiques, qui étaient pourtant majoritaires dans leur pays. Avec la partition de l'Irlande en deux, les catholiques restant en Irlande du Nord, appartenant au Royaume-Uni, devinrent minoritaires; la discrimination s'accrut, avec de nombreux pogroms contre eux, les poussant à fuir de leurs maisons et à se réfugier dans le sud. De là naquirent les manifestations pour l'égalité des droits civiques entre catholiques et protestants en Irlande du Nord dans les années 1960, et ainsi nationalistes, républicains et forces de l'ordre s'affrontèrent plus que jamais. 1916: Insurrection de Pâques 1919-21: Guerre d'Indépendance 21 novembre 1920: Dimanche Sanglant à Dublin. 1922-1923: Guerre civile entre royalistes et républicains 1949: L'État Libre d'Irlande devient la République d'Irlande 1960's-1970's: Manifestations pour les droits civiques en Irlande du Nord (début des Troubles) 12 - 14 août 1969: Bataille du Bogside à Derry (Irlande du Nord) 30 janvier 1972: Dimanche Sanglant à Derry 21 juillet 1972: Vendredi Sanglant à Belfast 10 avril 1998: Accord du Vendredi Saint (ou Accord de Belfast) Insurrection de Pâques Les faits de cette rébellion se sont cantonnés à Dublin. Néanmoins, c'est une date importante pour toute l'Irlande, car les pro-indépendantistes étaient divisés. « L'opposition entre les nationalistes et le Sinn Féin était intense et amère. En tant que composant de l'UIL3 , les nationalistes étaient amèrement anti- 3 La Ligue des Irlandais Unis, parti politique nationaliste fondé en 1898.
  • 8. républicains. Joe Devlin, leur chef officieux, avait foi en l'empire britannique, et voulait se joindre aux britanniques lorsque la première Guerre Mondiale éclata. »4 . C'était également le cas d'un autre politicien nationaliste, John Redmond, qui pensait que combattre en France au côté de l'Angleterre donnerait une bonne image de l'Irlande et accélérerait le processus de son indépendance. Ces tensions, ainsi que les refus répétés de la ''Home Rule Bill'', menèrent à l'Insurrection de Pâques du 24 Avril 1916, où l'ICA (l'Armée Citoyenne Irlandaise), l'IRB (la Fratrie Républicaine Irlandaise), et une jeune génération de ''Volontaires Irlandais''5 , désespérés de gagner l'indépendance en restant pacifique et prêts à tout pour arracher l'autonomie à l'Angleterre (quitte à demander l'aide allemande) défilèrent dans la rue principale de Dublin, O'Connell Street, puis occupèrent plusieurs endroits stratégiques, dont la Poste Centrale. Ils affrontèrent ensuite l'armée de terre britannique, la police métropolitaine de Dublin et la police royale irlandaise. Pádraig Pearse, l'un des principaux chefs de cette expédition, proclama la République irlandaise, et devint le président du gouvernement provisoire. Mais au bout de 5 jours de massacre, les insurgés durent capituler, le 29 avril 1916. 13 rebelles, dont les principaux leaders de l'insurrection Pádraig Pearse, James Connolly et Joseph Plunkett, furent fusillés à la célèbre prison de Kilmainham, connue pour ses conditions insalubres6 . James Connolly, dont la jambe avait été détruite lors de la bataille à la Poste Centrale, recevait ses soins au château de Dublin, où une aile était occupée par la Croix Rouge. Il était donc soigné pour être fusillé à la prison par la suite, comme les autres, même s'il était déjà mourant: c'était ''pour l'exemple''. Pour continuer dans l'absurdité, il fut emmené en ambulance à la prison, et n'a même pas été fusillé au même endroit que les autres, tellement il était faible pour marcher jusqu'à l'autre côté de la cour. Juste avant de descendre de l'ambulance, il s'adressa calmement à sa femme: ''N'était-ce pas une vie remplie, Lillie, et n'est-ce pas là une bonne fin?'' La répression britannique de cette insurrection fut si sanglante aux yeux du monde entier que ceci joua finalement en faveur de la cause indépendantiste irlandaise, 5 ans plus tard. → Chanson sur l'insurrection de Pâques: The Foggy Dew est une chanson populaire irlandaise à propos de cet épisode qui fut reprise, comme beaucoup d'autres chansons traditionnelles, dans différentes versions. Elle fait partie du folklore irlandais, mais aurait une origine anglaise, et elle aurait été publiée aux alentours de 1815. Cette version initiale est une ballade qui parle d'un jeune homme amoureux. Mais en 1919, une autre chanson appelée The Foggy Dew (parfois connue sous le nom Down the Glen) 4 May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.94. 5 Organisation fondée en 1913 pour assurer le vote de la ''Home Rule Bill''. Elle fut dissoute à la fin de la Première Guerre mondiale, et les plus radicaux d'entre eux formèrent l'IRA. 6 Lors de ma visite de cette prison, j'ai appris qu'il y avait par exemple, en haut des murs des couloirs, des fenêtres sans vitres car la croyance commune était que l'air qui rentrait et brassait l'intérieur de la prison minimisait les risques de maladie; seulement la constitution des murs en calcaire faisait que le froid et l'humidité qui rentraient amenaient, au contraire, beaucoup de maladies et infections... Cette prison accueillait beaucoup de prisonniers politiques, mais aussi des familles et enfants pauvres pris en flagrant délit de vol de nourriture. Aujourd'hui, cette prison n'est plus en service et organise des visites guidées. Mural à Belfast commémorant l'Insurrection de Pâques
  • 9. fut écrite par un membre du clergé dans le comté de Down, en mémoire aux soldats irlandais tombés durant l'insurrection: voici ce que dit la dernière strophe de la chanson. As back through the glen I rode again and my heart with grief was sore For I parted then with valiant men whom I never shall see more But to and fro in my dreams I go and I kneel and pray for you, For slavery fled, O glorious dead, when you fell in the foggy dew. Je revins dans la vallée, et mon cœur se remplit de chagrin, Car ce jour-là, j'ai dû me séparer d'avec de braves hommes, que je ne reverrai plus; Mais je vais et viens dans mes rêves, et je m'agenouille et prie pour vous, Car l'esclavage a disparu, O glorieux défunts, lorsque vous êtes tombés dans la rosée brumeuse. Cette chanson, en parlant d'abolition de l'esclavage, prend clairement le parti du côté républicain. Cette dernière version de The Foggy Dew fut la plus interprétée, par plusieurs artistes et groupes irlandais et anglais: The Dubliners, The Chieftains et la chanteuse Sinéad O'Connor, Shane MacGowan (chanteur du groupe anglais The Pogues, populaire en 1980), et The Wolfe Tones. Les artistes bretons Alan Stivell et Gilles Servat l'ont également reprise, ainsi que le groupe de rock celtique new-yorkais The Black 47 (dont nous parlerons à la fin), avec leur chanson Livin' in America jouée sur l'air de The Foggy Dew. Par ailleurs, la version de Sinéad O'Connor avec The Chieftains est quelquefois utilisée comme musique d'entrée de The Dropkick Murphys sur scène lors de leurs concerts. Par ailleurs, les chansons de révolte étaient souvent, voire toujours, écrites bien après la rébellion en elle-même, et ce depuis des siècles: « Les chansons de la Rébellion de 1798 et de l'insurrection d'Emmet de 1803 ont été écrites, pour la plupart, à la fin du XIX° et au début du XX° siècle en commémoration des précédents événements. » ( May McCann, ''Introduction: Les habitants d'Irlande du Nord vivent dans le passé'', Le passé dans le présent: une étude de quelques aspects des politiques de la musique à Belfast, Belfast, 1985). Guerre d'Indépendance Après la fin de la Première Guerre mondiale, toutes les colonies du monde ayant participé à la guerre aspiraient à leur autonomie. De plus, en Irlande, la ''Home Rule'' n'est toujours pas adoptée, et le massacre de l'insurrection de Pâques est encore vif dans les esprits. C'est pourquoi les membres du 'Sinn Féin', parti indépendantiste qui avait remporté la majorité des votes irlandais lors des élections parlementaires, décidèrent de proclamer l'indépendance de la République d'Irlande. La guerre d'indépendance éclata, se déroulant de janvier 1919 à juillet 1921, opposant l'IRA (l'Armée Républicaine Irlandaise) aux forces britanniques (c'est-à-dire l'IRC, la Police Royale Irlandaise créée par la Grande Bretagne en 1822, et d'autres troupes paramilitaires comme les Black and Tans7 , anciens combattants britanniques engagés par la Grande Bretagne en 1920, et les Auxiliaires). Finalement, un cessez-le-feu est décidé, donnant naissance au Traité anglo-irlandais du 6 décembre 1921, donnant l'autonomie à la majeure partie du pays, appelé État Libre Irlandais. Cependant six comtés dans le Nord choisirent de rester au sein du Royaume-Uni. Dimanche Sanglant à Dublin En pleine guerre d'indépendance, cette journée fit 30 victimes. L'IRB (Fratrie Républicaine Irlandaise) avait pour mission d'exécuter des agents britanniques, dont certains envoyés en Irlande pour infiltrer les organisations nationalistes. Au total, 14 personnes furent tuées et 6 blessées, dont 2 Auxiliaires, ceci provocant un important handicap dans les services secrets britanniques en Irlande. Le même jour, un jeu de football gaélique se déroulait à Croke Park à Dublin. Les Auxiliaires 7 D'où l'autre appellation de la guerre d'indépendance: la ''Tan War''.
  • 10. envahirent alors le stade peu avant le début, et tirèrent dans la foule pour représailles, tandis que ces actions n'étaient pas officiellement autorisées. 14 personnes furent tuées, dont deux enfants de 10 et 11 ans, et 65 blessées. Ce massacre fut une raison non négligeable du soulèvement du peuple contre la royauté anglaise. Les autorités britanniques ont présenté leurs regrets sur cette journée, sans en porter la responsabilité. Deux officiers de l'IRA ayant aidé à la mission du matin même contre les forces britanniques furent, quant à eux, arrêtés, torturés puis tués. Guerre civile entre royalistes et républicains La signature du Traité anglo-irlandais, ou Traité de Londres, ne mis malheureusement pas fin aux violences, puisque les tensions religieuses et politiques ressurgirent dans la jeune Irlande du Nord, tandis que le reste du pays, nouvellement indépendant, sombra dans la guerre civile. Les indépendantistes s'affrontèrent donc entre pro-traité et anti-traité, après la victoire des pro-traité aux élections de 1922. Pour ces derniers, c'est le premier pas vers une indépendance complète; pour les opposants, c'est au contraire la fin de tout espoir d'une République irlandaise complète. L'IRA se divise en une nouvelle IRA anti-traité, menée par Éamon De Valera et Rory O'Connor, et l'INA (l'Armée Nationale d'Irlande) pro-traité. L'État Libre Irlandais devient la République d'Irlande Bien que l'Irlande fut autonome, celle-ci faisait encore partie du Commonwealth, et était donc encore sous l'égide de la couronne anglaise. Ainsi en 1937, une nouvelle Constitution de l'Irlande fut adoptée, remplaçant celle de l'État Libre Irlandais et appelant le pays ''Irlande'', ''Éire'' en irlandais. Mais l'Acte de le République d'Irlande ne fut adopté qu'en 1949 par l'Angleterre, déclarant que l'État était désormais une République. Éamon De Valera, qui avait contribué à introduire la nouvelle Constitution, fut président de l'Irlande de 1959 à 1973. Les Troubles C'est une partie très instable politiquement et socialement de l'histoire de l'Irlande du Nord, s'étalant sur plusieurs périodes en Angleterre, en République d'Irlande, et dans le reste de l'Europe. La durée des Troubles est généralement datée de la fin des années 1960, période des premières marches pour les droits civiques (que nous allons voir ensuite), et est considérée par beaucoup comme s'achevant avec l'Accord de Belfast en 1998. Cependant, quelques violences sporadiques ont subsisté jusqu'à aujourd'hui. Le principal enjeu des Troubles était le statut constitutionnel de l'Irlande du Nord et la relation qu'il y avait entre les protestants unionistes majoritaires, et les catholiques nationalistes minoritaires. Ainsi le plus dur de cette période s'est déroulée en Irlande du Nord, où la constante discrimination envers les catholiques était, d'un point de vue nationaliste, une preuve que l'Irlande du Nord était un état corrompu et imposé par les anglais. Cette période sombre avait autant une dimension politique que paramilitaire, comme les divers incidents tels les Dimanches Sanglants et émeutes à Derry en témoignent. Il y avait, pendant cette période, une forte censure (et auto-censure) des chansons républicaines: ne serait-ce que siffler l'air d'une chanson
  • 11. rebelle pouvait conduire à 2 ans d'emprisonnement8 . Joan, de l'Irish Traditional Music Archives de Dublin, me disait que dans le Sud de l'Irlande aussi, les chansons loyalistes ne pouvaient être ni jouées ni chantées. Ainsi, la censure existait de part et d'autre de la frontière, et pas seulement dans le Nord. Mais ce qui est intéressant est que les acteurs, eux, pouvaient dire et chanter des choses habituellement défendues, puisque c'était mis sur le compte du personnage, et non de la personnalité elle-même. Une fois en interviews par contre, ils se devaient de faire attention, car c'était de nouveau leur propre personne qui était mise en jeu. Certains musiciens organisaient aussi des concerts à caractère politique, mais sans chansons compromettantes dedans: le fait de se rassembler, ce qui comptait le plus, ne pouvait être interdit. Patricia est une dame qui habite dans un village près de Dublin et chez qui j'ai séjourné. Elle a vécu durant cette période, et, bien qu'originaire d’Écosse, elle s'est mariée avec un irlandais et vit depuis longtemps en Irlande. J'ai pu avoir des récits précieux de sa part. Elle m'a informée que c'est surtout le nord de l'Irlande qui a souffert durant les Troubles. Les conversations que j'ai eues avec d'autres personnes, et mes propres visites du pays, ont d'ailleurs confirmer ceci. Et ainsi, dans le nord, les catholiques et protestants se comprenaient mieux, car ils étaient tous dans la même situation miséreuse; alors que le sud du pays regardait plus à distance, et ne voulait pas trop se mêler au problème. L'IRA recrutait aussi dans le sud, et certains plans pouvaient y être élaborés, mais le plus dur de la guerre civile se déroulait néanmoins dans le nord. Il y avait notamment de nombreux pogroms contre les catholiques, dont nous avons déjà parlé, pour les pousser à fuir. D'ailleurs, Patricia m'a raconté que son mari, lorsqu'il était petit, vivait en Irlande du Nord. Un jour, des soldats britanniques ont débarqué dans sa maison, et y ont mit le feu, parce que son père était un activiste – et pour cela, ils s'en sont pris à la famille toute entière. Ils se sont donc réfugiés dans le sud, c'est-à-dire vers Dublin. Belfast a bien évolué depuis, mais il y a encore une trentaine d'années, il y avait des soldats qui patrouillaient partout, il y avait un couvre-feu, et si l'on décidait malgré tout de sortir le soir, on ne savait pas si l'on allait rentrer vivant. Martin Dowling a fait l'expérience de cette période tendue à Belfast, lorsqu'il y était en visite en 1982 en compagnie du poète Michael Donaghy et du flûtiste Noël Lenaghan; période où ''la phrase de la nuit est ponctuée ça et là par des tournées de bière, des coups de feu, des applaudissements''; période où il y avait, dans les bars en eux-mêmes, une ''place du mort'' parce qu'elle était placée de telle sorte que celui qui s'y asseyait voyait qui allait entrer dans le bar pour lui tirer dessus; période où il fallait savoir naviguer entre certains quartiers et certaines rues plus ou moins sûrs de la ville, et d'autres à absolument éviter. Mais, alors que l'heure en est plus à la reconstruction et à l'espoir à Belfast (c'est du moins l'impression que j'en ai eue), Derry est encore une ville lourde de mémoire, très oppressée par son passé, comme si son deuil n'était pas achevé, et l'empêchait d'avancer. Le Musée du Free Derry, qui se situe dans le Bogside, relate l'histoire de l'indépendance irlandaise, et surtout du Dimanche Sanglant de Derry. Encore aujourd'hui dans ce quartier, il est impossible d'ignorer cette histoire tragique, tant les muraux çà et là dans le quartier sont biens faits et imposants, et surtout impossibles à éviter (muraux situés dans le Free Derry Corner, là où le Dimanche Sanglant a débuté). 8May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.42. À Belfast: ''Souvenir - Respect - Résolution''
  • 12. → Chansons sur la période des Troubles: The Town I Love So Well, de Phil Coulter Ici le chanteur raconte sa joyeuse enfance simple à Derry, où il est né; mais dans les 2 dernières strophes, il exprime son désarroi en voyant la situation désespérée de la ville, et d'autres villes d'Irlande du Nord, durant la période des Troubles. Cette chanson fut également reprise par The Dubliners. Whatever You Say, Say Nothing, de Colum Sands C'est une chanson qui traite avec humour des tensions entre catholiques et protestants, et de tous les interdits absurdes, que ce soit des chansons, des mots, ou des sujets à ne jamais aborder. Donc tout au long de la chanson, les paroles ne sont que des phrases comme ''je vais vous parler de vous savez quoi, mais vous ne devez le dire à personne''. C'était une riche idée, et une chose non aisée, de traiter d'un sujet sensible comme celui-ci d'une manière humoristique et très fine. There were roses, de Tommy Sands Dans cette chanson, l'auteur relate la façon dont Allan Bell (son nom étant changé dans les paroles par celui de Isaac Scott), un ami protestant de Sands, fut assassiné à Newry par des paramilitaires républicains. Après cela, des paramilitaires loyalistes sont allés dans Ryan Road (la rue où habitait la famille Sands, d'ailleurs) chercher un catholique à tuer sur le principe de ''œil pour œil, dent pour dent''. Ironiquement, l'homme qu'ils ont choisi était Sean O'Malley (son nommé étant changé par celui de Sean McDonald), un bon ami de la victime protestante, et de Sands. Une fois de plus, ce passé houleux revient toujours hanter le présent. Ces diverses guerres et conflits récents sont encore une source de profond chagrin, mais aussi d'inspiration pour les artistes irlandais, qui utilisent leur art pour exprimer leur peine au monde entier, et ne jamais laisser le passé se faire oublier. La présence des roses dans le refrain peut nous faire penser à la chanson d'Elton John (que nous verrons plus tard), qui parle aussi de roses (mais de roses noires). La rose, associée au Moyen-Age avec la chrétienté (les cinq pétales de la rose identifiées aux cinq blessures du Christ), est petit à petit devenue associée à la Vierge Marie (à l'origine de la dévotion catholique du Rosaire). Puis, par extension, la rose rouge est devenue le symbole du sang des martyrs chrétiens. Mais c'est également la fleur symbolique de l'Angleterre: la guerre des deux roses (Wars of the Roses) opposa les deux grandes familles anglaises d'York (rose blanche) et de Lancaster (rose rouge) au XV° siècle, au temps des Tudors; ensuite Henri VII épousa Élisabeth d'York, d'où l'emblème de la rose des Tudor, rouge à cœur blanc, réunissant les deux familles. Ainsi on peut associer cette guerre de familles à la guerre opposant les deux familles catholiques et protestantes en Irlande. Arising From the Troubles, titre on ne peut plus d'actualité dans ce sujet, est le nouvel album de Tommy Sands et de ses enfants, sorti en 2011. Les marches pour les droits civiques A la fin des années 1960, de nombreuses mesures répressives envers les catholiques furent adoptées, et cette communauté était largement sous-représentée au gouvernement. C'est alors que commencèrent les marches pour les droits civiques, avec une symbolique et un langage inspirés des mêmes marches de Martin Luther King aux États-Unis. Mural à Derry représentant les marches pour les droits civiques en Irlande du Nord
  • 13. Ce fut véritablement un mouvement international, et la chanson (de façon générale), dans ces années 60 et 70, eut « un rôle significatif dans la production et la transmission de l'idéologie républicaine – ainsi que l'histoire républicaine »9 . Ainsi, la chanson irlandaise connut un grand regain d'intérêt: « Le renouveau de la chanson folk est apparu en Irlande à la fin des années 1950 et 1960, et n'était pas […] un phénomène national […]; cela faisait partie d'un mouvement plus étendu, de jeunes gens protestataires, qui opérait en Angleterre et aux États-Unis. […] Les chansons rebelles fonctionnaient comme des ''chansons folk'' »10 . Suite à une montée de la violence à travers l'Irlande du Nord lors de nombreuses marches (pourtant pacifiques mais attaquées à répétition par des loyalistes), l'internement sans procès fut introduit le 9 août 1971, ce qui ne fit qu'empirer les situations inégalitaires existantes. → Chansons sur les marches des droits civiques: Ce sont des titres que j'ai récupérés lors de ma visite au musée de Free Derry, sur une pochette d'un disque exposé (voir à droite), vieux titres dont je n'ai pas toujours pu récupérer beaucoup d'informations: The Long March, Burntollet Ambush, We Shall Overcome, Friends of Civil Rights, Civil Rights Anthem, Fifth of October, We Shall Not Be Moved!, Bogside Volunteers, Free Belfast, Boys of Belfast Town, Rights of Man. We Shall Overcome Elle est connue car elle était en premier lieu utilisée pour les marches des droits civiques aux États- Unis. Elle fut chantée par Pete Seeger (artiste New Yorkais folklorique), Joan Baez, Bruce Springsteen et d'autres artistes dans les années 60 (d'ailleurs, Joan Baez l'a rechanté encore récemment en 2010 à la Maison Blanche, devant le président Barack Obama). Cette chanson, inspirée d'un gospel chrétien, a ainsi été reprise pour les mêmes marches en Irlande, mouvement qui était international à l'époque (l'un pour les afro-américains, les autres pour les catholiques). Ce titre a d'ailleurs été utilisé par l'Association pour les Droits Civiques en Irlande du Nord en tant que slogan, ainsi qu'en titre de leur autobiographie rétrospective. Fifth of October Cette chanson fait référence à une marche pour les droits civiques ayant eu lieu à Derry, le 5 Octobre 1968, lorsque les manifestants furent attaqués par la police, armée de bâtons, de canons à eau et de gaz lacrymogènes. La chanson termine sur une note défiante, en appelant les hommes de Derry à résister, et ''lorsque la lutte sera finie et que l'on aura gagné, alors on pourra relever nos têtes avec fierté''. We Shall Not Be Moved Elle est également assez connue. Là aussi, cette chanson est au départ américaine, remontant probablement jusqu'aux années d'esclavagisme, reprise par les activistes dans les années 1930. C'est devenu un thème connu de protestation, tout comme We Shall Overcome. Elle a été chantée, elle aussi, par Pete Seeger. 9 May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.42. 10 May McCann, in The Past in the Present: A Study of Some Aspects of the Politics of Music in Belfast, Thesis in Philosophy, Queen's University of Belfast, July 1985, p.275.
  • 14. Comme beaucoup de chansons folkloriques, les paroles ont été modifiées avec le temps, pour s'adapter aux diverses circonstances; ceci étant rendu d'autant plus possible que cette chanson a une structure simple, les vers étant beaucoup répétés et changeant peu. Boys of Belfast Town C'est une chanson qui a été interprétée par le fameux groupe canado-irlandais The Irish Rovers, dans leur album Down by the Lagan Side en 2000. Le nom de ce groupe vient d'une chanson traditionnelle irlandaise très connue, The Irish Rover, relatant le voyage d'un magnifique voilier partant de Cork jusqu'à New York. La chanson The Boys of Belfast Town, aussi appelée The Boys of Belfast, est une joyeuse chanson républicaine parlant des garçons de Belfast, valeureux irlandais de ''haute renommée'', fiers d'être de vrais irlandais. Plus tard dans la chanson, ceux-ci se vantent de pouvoir combattre autant avec l'épée que le crayon (donc contester la couronne autant par la lutte armée qu'en utilisant les arts tels que des chansons ou autre pamphlet). Il est également fait référence à ''Paddy's shore'' (voir explication ci-après). Cette expression signifie littéralement ''le rivage de Paddy''. Paddy est un diminutif commun pour Patrick, c'est-à-dire Saint Patrick. C'est une appellation de l'Irlande couramment utilisée, comme la chanson traditionnelle ''Paddy's Green Shamrock Shore'' (le rivage de trèfles verts de Paddy) en témoigne. Cette dernière chanson traite d'un sujet plus triste, celui de l'exil d'un jeune homme en Amérique (les paroles de cette chanson varient d'une version à l'autre, mais toujours sur le même thème principal). Saint Patrick est vu comme un héros n'ayant jamais eu recours à la violence, et est réputé pour son courage héroïque, son humilité et sa bonté. Il commença à évangéliser l'Irlande en 432, en prêchant, en construisant des écoles et des monastères. Ainsi l'Irlande est devenue chrétienne, supplantant l'antique religion druidique, sans un martyr. Il montrera un jour la feuille de Trèfle comme symbole de la sainte Trinité, qui deviendra le symbole de l'Irlande. La bataille du Bogside En 1969, le ''Free Derry'', quartier regroupant le Bogside et le Creggan, en dehors des murailles de la ville, s'autoproclama enclave nationaliste autonome tant que leurs demandes ne seraient pas satisfaites (notamment en matière de droits civiques). Le 12 Août, des Garçons Apprenti-loyalistes paradaient le long des murailles pour célébrer la victoire protestante sur Derry en 1689, ce qui fut perçu comme hautement provocant pour les catholiques. Une confrontation entre loyalistes et RUC (Gendarmerie Royale d'Ulster) d'un côté, et résidents du Bogside de l'autre, commença alors. La RUC était très mal préparée à cette bataille, et des Auxiliaires furent demandés en renfort, ce qui inquiéta beaucoup les habitants du Bogside, au vu des événements des années 1920 dont ils avaient été les auteurs. La confrontation continua pendant encore deux jours avant que les forces armées britanniques ne viennent restaurer l'ordre, ce dont les habitants du Bogside étaient plutôt contents au début, puisque les troupes anglaises étaient un peu plus neutres que la RUC ou les Auxiliaires. Ce fut une sévère confrontation, impliquant missiles et gaz lacrymogènes, et elle est considérée comme la première importante émeute ayant fait escalader l'intensité de la période des Troubles; en effet, cela a initié une série d'émeutes à travers toute l'Irlande du Nord, faisant 5 victimes, dont un garçon de 9 ans à Belfast. ''Vous entrez maintenant dans le Derry Libre'', slogan peint la première fois en Janvier 1969, par John Casey. A l'époque, ce mur faisait partie d'un bâtiment, maintenant détruit
  • 15. Le Dimanche Sanglant de Derry En 1971, toutes les marches et défilés étaient interdits. De nombreuses personnes furent tuées lors des fréquentes émeutes opposant la population aux forces de l'ordre; de nombreux officiers furent aussi tués par l'IRA provisoire (s'étant séparée de l'IRA officielle l'année précédente). La même année toujours, les deux branches de l'IRA établirent à Derry une "zone de non-droit" pour l'armée britannique et la Police Royale à l'aide de barricades. Les affrontements entre jeunes nationalistes et l'armée britannique se multiplièrent. Le 30 janvier 1972, une marche pacifique fut annoncée contre l'internement sans procès. Cette marche était permise dans la partie nationaliste de la ville, mais les gens avaient prévu de marcher vers le Guildhall (hôtel de ville), donc hors des barricades de l'armée conçues pour modifier le parcours. Un groupe d'adolescents se sépara du défilé et persista à pousser la barricade, à coup de pierres, pour marcher vers le Guildhall. À ce stade, un canon à eau, des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc furent utilisés pour disperser les émeutiers, blessant deux civils. Mais jusqu'ici, ce genre d'affrontements était assez commun. Des rapports auraient indiqué qu'un sniper de l'IRA opérait dans la zone, ainsi la brigade donna la permission au régiment parachutiste britannique d'aller dans le Bogside. L'ordre de tirer à balles réelles fut donné et un jeune homme fut abattu dans le dos, Jackie Duddy, parmi la foule qui s'enfuyait. La poursuite des violences par les troupes britanniques s'intensifia et, finalement, l'ordre fut donné de mobiliser les troupes dans une opération d'arrestation. Malgré un ordre de cessez-le-feu du quartier général de l'armée, plus d'une centaine de cartouches furent tirées directement dans la foule, blessant quatorze personnes. Il y eut au total 14 morts, tous des civils non armés qui fuyaient les tirs, aidaient des autres blessés, ou étaient déjà touchés et à terre. → Chansons sur le Dimanche Sanglant: Sunday Bloody Sunday, de U2 La chanson fait partie de leur album War, qui fut leur consécration, et leur premier album très engagé politiquement. Cette chanson particulièrement est devenue leur ''hymne'', et est interprétée par le groupe lors de toutes ses tournées. Sur des harmonies toniques, elle relate le massacre de ce dimanche: les ''bouteilles brisées sous les pieds des enfants, les corps répandus tout le long de l'impasse'', les ''mères, enfants, frères et sœurs déchirés''... Cette chanson a cependant un message d'espérance, celui qu'un tel massacre ne doit plus se reproduire, et qu'il ne faut pas céder à la haine (''je ne céderai pas à l'appel de la guerre'', dit la chanson). Running Up Hill, de Declan McLaughlin J'ai récupéré le titre de cette chanson au musée du Free Derry également. Declan McLaughlin est un artiste qui fut d'autant plus touché par l'événement qu'il est originaire de Derry lui-même. En allant écouter d'autres de ses chansons sur un site de musique, j'ai pu le contacter par messagerie privée, et il m'a gentiment donné les paroles de sa chanson, que je ne trouvais nulle part. L'artiste, évidemment attristé par ce massacre (mot qu'il emploie lui-même dans sa chanson: ''murder''), évoque dans sa chanson les cicatrices que cela a laissé sur les habitants (comme, dans la Mural dans le Bogside, avec les visages des 14 victimes du Dimanche Sanglant
  • 16. troisième strophe, une mère qui va régulièrement pleurer son fils sur sa tombe). Un vers de la chanson, dans la deuxième strophe, résume parfaitement l'impression que j'ai eu de cette ville: ''It's hard to build a future when your hunted by the past'': ''il est difficile de construire un futur lorsqu'on est pourchassé par le passé''. Derry est une ville hantée par son passé, qui l'empêche de regarder devant elle. L'idée des muraux dans le Bogside, bien qu'étant une bonne initiative, rappellent quotidiennement aux passants ce qu'il s'est passé, d'une façon passive mais répétée, et donc presque malsaine. Il fait également référence, dans sa chanson, à We Shall Overcome, qui ici est appelée We Will Overcome, une nuance de titre comme l'on retrouve dans tant d'autres chansons populaires: As the bodies hit the pavement The world seen all you done, As the bodies hit the pavement Someone was singing We Will Overcome Tandis que les corps heurtaient les trottoirs Le monde entier a vu ce que vous avez fait, Tandis que les corps heurtaient les trottoirs Quelqu'un chantait ''We will overcome'' Minds Locked Shut, de Christy Moore La chanson démarre tranquillement sur un air serein, avec des paroles simples, ''ça s'est passé un Dimanche après-midi, un joli après-midi d'hiver, une journée idéale pour se promener'', puis le deuxième couplet attaque sans préavis en parlant des coups de feu, des pierres et des balles, puis du chaos, de la panique et de la mort, mais toujours sur fond de musique douce qui contraste avec le sens des paroles... La particularité de cette chanson est que les noms des 14 martyrs y figurent. Bloody Sunday, chanté par Eileen Webster La chanson, qui fut aussi reprise par The Men of No Property, offre une ambiance calme et triste, en relatant tout le déroulement de ce dimanche, en décrivant les manifestants pacifiques, l'arrivée des militaires dans leurs fourgons blindés, les bannières tachées de sang, et les ridicules procès suivant la tragédie qui déclarèrent que les forces armées ne faisaient que leur travail. La chanson finit sur cet amer reproche, qui hélas fait sentir que certaines personnes ne peuvent encore pas tourner la page: ''On England's proud history a crime added yet / How can we forgive them, how can we forget?'': ''Un autre crime est ajouté à la fière histoire d'Angleterre, comment pouvons-nous leur pardonner, comment pouvons-nous l'oublier?''. Heureusement, les résultats de l'Enquête du Dimanche Sanglant, initié en 1998 par le premier ministre anglais Tony Blair, ont été publiés le 15 Juin 2010, démontrant que les militaires avaient ouvert le feu les premiers, sur des manifestants non armés et tous innocents, dont un qui était déjà blessé. Le premier ministre David Cameron s'est par la suite excusé au nom du gouvernement britannique. Le vendredi sanglant de Belfast Cette journée fut une série d'attentats à la bombe par l'IRA, en réponse au massacre à Derry en janvier, mais surtout à l'issue de négociations infructueuses entre l'IRA provisoire et le gouvernement britannique. En un peu plus d'une heure ce jour-là, commençant vers 14h, 22 bombes ont explosé à Belfast, tuant 9 civils. L'IRA déclara que les forces britanniques avaient été à chaque fois prévenues de l'attentat suivant pour pouvoir évacuer les personnes; seulement, avec le grand nombre de bombes dans le centre-ville et certaines fausses alertes, la situation était telle que lorsque les personnes étaient évacuées ailleurs, c'était pour aller dans une autre zone piégée. En 2002 sur la BBC, l'IRA a présenté ses excuses aux civils touchés et aux familles des victimes. L'opération ''Motorman'' suivit cet attentat: ce fut une lourde opération militaire ayant pour but de reprendre contrôle des zones de ''non-droit'' comme le Free Derry, qui existaient également à Belfast et
  • 17. ailleurs en Irlande du Nord. C'est depuis cette opération que le Free Derry cessa d'exister, bien que le mur ''You are now entering Free Derry'' (''Vous entrez maintenant dans le Derry Libre'') dans ce qui était le ''Free Derry corner'', fut laissé pour commémorer cette période, tous comme les muraux du Bogside et le musée du Free Derry. → Chanson sur l'état de l'Irlande dans les années 1970: Only Our Rivers Run Free Cette chanson, même si elle ne parle pas du Vendredi Sanglant particulièrement, fut tout de même écrite par Michael McConnell en 1973, soit seulement un an après ce drame. Elle donne donc une bonne impression de l'état d'esprit des nationalistes à cette période-là. Elle fut beaucoup reprise, notamment par The Wolfe Tones et Christy Moore. Elle parle du statut de l'Irlande du Nord à la fin des Troubles. C'est une lamentation sur le sort de l'Irlande, qui, selon la chanson, ne sera jamais libre (seules ses rivières coulent libres), car il n'y a plus personne pour la défendre. C'est une sorte de reproche à cette attitude ambiante qui existe maintenant en Irlande, celle de vouloir rester neutre et arrangeant, plutôt que résistant et rebelle comme avant: Oh where are you now when we need you What burns where the flame used to be Are you gone like the snows of last winter And will only our rivers run free? Ah, où êtes-vous maintenant que l'on a besoin de vous, Qu'est-ce qui brûle à la place de votre flamme rebelle, Êtes-vous partis comme les neiges du dernier hiver, Et est-ce que seules nos rivières seront jamais libres? L'accord du Vendredi Saint, ou accord de Belfast Cet accord fut signé le vendredi précédent Pâques (d'où son nom), le 10 avril 1998, entre le premier ministre britannique, le premier ministre de la République d'Irlande, les nationalistes (dont le Sinn Féin), et les unionistes. Il réunit ainsi plusieurs partis de toute l'Irlande. Globalement, sa visée est de définir: – le statut et le mode de gouvernement en Irlande du Nord, – les relations entre celle-ci, le Royaume-Uni et la République d'Irlande, – les Droits de l'Homme – le respect de toutes les communautés et ethnies et de leurs traditions – la mise en hors-service des armes appartenant à tout groupe paramilitaire – la remise en liberté des paramilitaires en prison – la mise en service des mesures de sécurité britanniques à travers l'Irlande du Nord Cet accord fut accepté par les votants de part et d'autre de la frontière en Irlande, le même jour (le 23 mai). Avec ce vote, la République d'Irlande a renoncé à sa revendication aux 6 comtés de l'Irlande du Nord. → Chanson relatant l'état de Belfast quelques années avant le traité: Belfast: Elton John, artiste anglais très connu, a écrit une chanson sobrement appelée Belfast en 1995, dans son album Made in England. Dans cette chanson il décrit l'ambiance triste laissée par la guerre et les tensions religieuses dans cette ville, et pourtant il aime cette ville car il n'en a jamais vue de plus courageuse. Dans cette chanson il dit qu'il ''essaie de regarder à travers des yeux irlandais''. C'est une de ces chansons, dans la lignée de celles de Tommy Sands par exemple, qui préfèrent tirer des solutions pacifiques de ces périodes noires, et essaient d'apaiser les esprits. ''smoking black roses'': les roses noires représentent la vengeance et la mort (sachant que la rose est la
  • 18. fleur symbolique de l'Angleterre, mais la rose rouge étant aussi le symbole des martyrs chrétiens), tandis que le fait qu'elles soient fumantes fait référence à la fumée des canons de pistolets. No bloody boots or crucifix Can ever hope to split this emerald island Aucune botte sanglante ou crucifix Ne peut espérer séparer cette île d'émeraude And so say your lovers from under the flowers Every foot of this world needs an inch of Belfast Et ainsi le disent vos amants depuis leur tombe Chaque mètre de ce monde a besoin d'un centimètre de Belfast Les deux premiers vers signifient que l'Irlande ne pourra jamais être divisée par des soldats ou par un désaccord religieux seulement; les deux derniers vers quant à eux signifient que lorsque l'on pense à tous ceux qui ont perdu des proches dans cette histoire, et donc lorsqu'on se rappelle les massacres et oppressions dont l'homme a été capable à Belfast, il faut absolument ne jamais oublier cela pour ne pas répéter nos erreurs à l'avenir. Ballade irlandaise relatant brièvement trois grandes étapes de l'histoire d'Irlande: Four Green Fields Cette chanson fut écrite en 1967 par le célèbre artiste folklorique irlandais Tommy Makem (mort en 2007). Il fut de nombreuses tournées avec le groupe The Clancy Brothers, avec qui il connut un grand succès, notamment en Amérique, dans les années 50 et 60. Dans la première strophe, une vielle femme explique qu'autrefois elle avait quatre terres chéries, que des étrangers sont venus piller, et ses enfants ont péri en voulant les défendre. Dans la deuxième strophe, la vieille femme dit qu'il y a de ça longtemps, il y avait la guerre et des pillages, ses enfants sont morts de faim, et le sang coula sur ses quatre précieuses terres. Et enfin, la vieille femme dit que maintenant, elle a toujours quatre terres chéries, mais l'une d'elle est encore aux mains des étrangers. Mais ses fils ont eu des fils aussi courageux que leurs pères, et ses quatre terres fleuriront de nouveau. ''this proud old woman'': ''cette vieille femme fière'', est clairement une personnification de l'Irlande, qui voit siècle après siècle ses enfants, donc ses habitants, périr sous le joug anglais. Ses quatre précieuses terres ne sont autres que les quatre provinces d'Irlande (Connacht, Leinster, Munster, Ulster). La première strophe relate donc l'arrivée des premiers anglais, et comment ils se sont appropriés les terres irlandaises. Ensuite, c'est la persécution et la privation qu'ont connus les irlandais, notamment durant l'épisode douloureux de la Grande Famine, qui sont relatés. Et enfin, il reste une province, l'Ulster, donc l'Irlande du Nord, encore aux mains ennemies. Mais un jour, l'Irlande sera unifiée à nouveau: c'est le dernier message, le dernier espoir de la chanson. Ce problème du statut de l'Irlande du Nord est d'ailleurs on ne peut plus au cœur de la vie politique britannique contemporaine: en effet, dans mon cours de civilisation britannique de cette année, consacré à la vie politique anglaise, le dernier chapitre est: ''Key political issues: Northern Ireland [...]'' → ''Questions politiques clés: l'Irlande du Nord […]''. Pour conclure, voici ce que dit Martin Dowling dans son essai Folk & Traditional Music, and the Conflict in Northern Ireland, A Troubles Archive Essay, p. 9: Certaines chansons sont adoucies, d'autres écoutées seulement en petits comités, beaucoup sont oubliées. Ce sont de vieilles et résistantes habitudes […] Seul le temps nous dira combien de ces chansons inventées en réponse aux Troubles survivront dans la tradition, et quelle forme elles prendront aux mains des futures chanteurs.
  • 19. II) La musique actuelle Les artistes contemporains perpétuant la tradition: Dans une boutique de musique à Dublin, j'ai relevé des noms de groupes sur un grand présentoir consacré à des CD de groupes traditionnels contemporains; je ne vais parler que des plus populaires d'entre eux: ✗ The Dubliners11 est un groupe de musique folklorique irlandais très connu, fondé en 1962. En allant aux Archives de Dublin, je suis passée devant un bar appelé Paddy O'Donoghue's; j'ai lu ensuite que c'est là que les membres du groupe s'étaient rencontrés pour la première fois12 . A l'époque, tous les musiciens et chanteurs folkloriques y allaient (aujourd'hui ce n'est plus pareil, c'est devenu très touristique). A l'intérieur, un mur leur est consacré, avec le portrait de chaque membre. Ce groupe renommé a de nombreux amis artistes, dont Bono du groupe U2, et Sinéad O'Connor. Ils jouent beaucoup de chansons traditionnelles, sans toujours suivre la version originale – en ajoutant ou enlevant certains vers et certains mots – dont des chansons rebelles, comme The Foggy Dew, interprétée dans les années 60. A l'époque, ceci faisait parfois l'objet de controverses, ce qui leur a valu d'être banni, entre 1967 et 1971, par la chaîne nationale RTÉ. Cette année 2012, le groupe a donc célébré son 50ème anniversaire. Le groupe s'est également vu attribué un ''Lifetime Achievement Award'' par la BBC Radio 2 Folk Awards, en cette année 2012. ✗ The Chieftains est un groupe traditionnel renommé ayant collaboré avec de nombreux artistes internationaux, tels Sinéad O'Connor, Sting, The Rolling Stones, Bob Dylan, Mick Jagger, The Corrs, Art Garfunkel, Ziggy Marley, et Madonna, pour ne donner qu'une liste non exhaustive. Ils sont connus pour avoir popularisé la musique folklorique irlandaise, en jouant autant dans des pubs qu'en réalisant des chansons symphoniques pour le grand écran. Ils furent aussi le premier groupe à jouer dans le Capitole de Washington, et le premier groupe occidental à jouer sur la Grande Muraille de Chine! On voit leur influence jusque dans les publicités: lorsque j'étais à la Guinness Storehouse de Dublin, on pouvait regarder des publicités pour la Guinness qui avaient été réalisées entre les années 50 et aujourd'hui, et dans l'une d'elle, ce sont The Chieftains qui font la promotion de la fameuse bière noire! J'ai vu un programme, le lundi 2 juillet au soir, sur RTÉ One (chaîne de télévision nationale irlandaise) sur leur nouveau CD, Voice of Ages, sorti en 2012 pour leur 50ème anniversaire (comme The Dubliners). L'émission était une succession d'extraits des chansons enregistrées en studio avec les différents artistes collaborateurs, et des explications du leader du groupe, Paddy Moloney13 . De nombreux jeunes artistes de plusieurs pays ont participé à cet album: pas moins de 7 groupes folk et de jazz américains, ainsi que les fameuses chanteuses irlandaises Imelda May et Lisa Hannigan; et enfin le chanteur écossais Paolo Nutini. 11 A noter que Dubliners est également le nom du livre, publié en 1914, du célèbre écrivain irlandais James Joyce, dans lequel il décrivait la ville de Dublin comme un personnage à part entière, usant d'une palette de couleurs d'ambiances de la capitale à cette époque. Si le groupe The Dubliners s'est nommé ainsi, c'est qu'à leurs débuts, un de leur membre était en pleine lecture de ce livre. 12 Eric Winter, in Dubliners Song Book, 1974. 13 Qui habite, pour l'anecdote, près des Wicklow Mountains de Dublin, donc pas loin de chez Patricia, c'est elle qui me l'a dit!
  • 20. ✗ The Planxty était un groupe irlandais folklorique créé en 1971, Christy Moore faisant partie des membres fondateurs du groupe. Ils se sont séparés en 1975 puis 1983, puis réunis en 2003 en faisant un dernier concert en 2005. Leur répertoire était très influencé par le talentueux – et aveugle – harpiste classique Turlough O'Carolan (ayant vécu au XVII°/XVIII° siècle). Leur nom aussi en est inspiré, puisque le mot ''Planxty'' était souvent utilisé par ce musicien dans ses chansons (quant à son origine, il y a plusieurs explications dont on ne sait pas laquelle est la vraie). ✗ Christy Moore est un chanteur folklorique irlandais. Il a mis en musique des poèmes de Bobby Sands, dont Back Home in Derry. La mélodie de cette chanson est celle de The Wreck of the Edmund Fitzgerald, chanson du musicien canadien Gordon Lightfoot. Christie Moore a enregistré cette chanson sur son album Ride On, de 1984, considéré comme l'un de ses meilleurs. Dans cet album, il y chante d'ailleurs de nombreuses chansons évoquant et célébrant diverses luttes politiques dans le monde, ou leurs conséquences. Christy Moore est un artiste très connu en Irlande, et qui se donne en concert encore aujourd'hui. Il était d'ailleurs au Galway Arts Festival lorsque j'y étais cet été, mais je n'ai pas eu l'occasion de le voir. Bobby Sands était un membre de l'IRA provisoire et un député à la Chambre des Communes du Royaume-Uni. Il est mort après une grève de la faim de 66 jours, à la prison de Maze en Irlande du Nord. Il est vu comme un héros de la cause républicaine et de la défense de la dignité des prisonniers politiques. Mais pour d'autres, il est vu comme un terroriste, tout comme l'IRA. ✗ Clannad est un groupe familial dont les membres sont des frères, sœurs et oncles (comme beaucoup de groupes folkloriques, tels The Clancy Borthers ou The Fureys). Ils se sont formés en 1970 dans le comté de Donegal, en Irlande du Nord. Ils se sont plus amplement fait connaître avec leur chanson écrite pour le thème de la série britannique Harry's Game en Octobre 1982, une série relatant la période des Troubles. Cette chanson reste aujourd'hui la seule chanson chantée entièrement en irlandais à atteindre le n°5 dans les charts anglais et irlandais à la fois. Cette chanson fut reprise dans des films et des publicités américaines, ce qui a lancé leur carrière internationale. Après 10 ans de séparation, les membres du groupe (une sœur en moins, partie en carrière solo) se sont réunis en 2007. Ils ont réalisé une tournée au Royaume-Uni en Mars 2008, et en 2012, ils préparent un nouvel album ainsi qu'une tournée en Amérique du Nord et au Canada. Pour l'anecdote, lorsque j'étais à la Guinness Storehouse, en plus de la publicité avec la participation de The Chieftains, j'en ai aussi vu une autre avec celle de Clannad! ✗ Un autre groupe, jouant des chansons principalement rebelles, est The Wolfe Tones (tirant son nom de Theoblad Wolfe Tone). Ce groupe est né dans la banlieue de Dublin en 1963, dont deux des quatre membres sont les frères Brian et Derek Warfield. Le groupe a fait de nombreuses tournées en Irlande, à Londres, puis aux États-Unis et au Canada après avoir acquis une plus grande renommée. Aujourd'hui, le groupe ne se produit plus qu'en trio, puisque Derek Warfield a quitté le groupe en 2001. Stèle dans la Cathédrale Saint Patrick à Dublin, représentant Turlough O'Carolan
  • 21. ✗ Derek Warfield s'est produit en solo pendant quelques temps, puis se donne maintenant en concert avec un autre groupe qu'il a fondé, appelé Derek Warfield & The Young Wolfe Tones, groupe folklorique reconnu. Ils ont, entre autres, interprété la chanson Óró, Sé do Bheatha 'Bhaile, chanson faisant originellement référence à une insurrection jacobite du XVIII° siècle (le titre signifiant: ''Bienvenue chez vous''). Elle fut reprise au XX° siècle comme chanson rebelle, ses paroles étant retravaillées par le nationaliste Pádraig Pearse, l'un des leaders de l'insurrection de Pâques. Cette chanson fut beaucoup chantée à cette période, notamment par les Volontaires Irlandais, et aussi lors de la guerre d'indépendance. Elle fut connue sous d'autres noms, comme Dord na bhFiann (L'appel des Soldats) ou An Dord Féinne. Les paroles remaniées par Pearse font référence à Gráinne O'Malley, une fameuse cheftaine tribale et reine pirate, connue pour sa résistance (et plus tard sa capitulation) contre la reine Élisabeth I. Elle reste, dans la mémoire collective, une héroïne irlandaise de l'indépendance. ✗ On peut aussi attirer l'attention sur des musiciens folkloriques dans la même vague que Christy Moore: Tommy Sands, et, bien que moins connu, son frère Colum Sands. Ils sont d'Irlande du Nord, du comté de Down, nés de parents eux-mêmes musiciens qui ont élevé leurs sept enfants dans l'amour de la culture irlandaise. La maison de la famille Sands était connue en Irlande du Nord, autant chez les catholiques que les protestants, pour être l'endroit où se retrouver pour profiter de la musique et passer un bon moment. Tommy Sands est un artiste connu internationalement (il a joué à Carnegie Hall à New York ainsi qu'au Stade Olympique de Moscou), ami proche du chanteur américain Pete Seeger, et fait désormais des tournées avec son fils Fionan et sa fille Moya. Sa chanson There Were Roses est par ailleurs très connue. Dans son essai, le Martin Dowling parle de cette chanson, page 7: La chanson se réfère également à une tradition irlandaise bien plus ancienne, ''an caoineadh'', la lamentation. Dans le simple refrain, qui commence avec ''There were roses, roses, there were roses'', la mélodie monte et se stabilise sur la première syllabe de ''roses'', et on entend là un léger ''melisma''14 d'émotion, un secouement de douleur, qui résonne avec le ''ochóne is ochóne ó'' du plus ancien gaélique ''amhrain caointe''. Le refrain a une ancienne fonction, qui est de permettre à l'audience du chanteur d'effectuer un acte de deuil public en unisson oral. ✗ Declan McLaughlin est également un artiste actuel ayant à son répertoire de nombreuses chansons en rapport avec la situation en Irlande du Nord. Comme je l'ai déjà mentionné, j'ai pu être en contact avec cet artiste, et c'est en échangeant avec lui que j'ai découvert l'horrible pratique du ''knee- capping'', traduit en français par ''jambisme''. C'est un acte qui a pour but de punir ou de menacer, sans tuer, en tirant dans le joint du genou. Cette pratique était courante en Italie et en Irlande du Nord, par les paramilitaires notamment, mais aussi par des membres de l'IRA provisoire. Aujourd'hui, on a vent de telles pratiques à Gaza (encore un lien entre la Palestine et l'Irlande du Nord...). Il a joué avec deux groupes pendant quelques années: The Screaming Bin Lids et The Whole Tribe Sings, groupes punk folkloriques, dont les chansons évoquent la vie en Irlande du Nord. 14 Fait de chanter une seule syllabe tout en utilisant plusieurs notes à la suite, contrairement au fait de chanter une syllabe par note. Affiche de Derek Warfield & The Young Wolfe Tones dans une rue à Dublin
  • 22. Declan McLaughlin est connu dans cette région, et il a également fait de nombreuses tournées aux États-Unis. Il est très engagé dans la cause pour Gaza, comme d'autres artistes irlandais identifiant beaucoup cette situation à celle en Irlande il y a quelques années – et pour cause. Par ailleurs, sur le mur extérieur du musée du Free Derry, il y a une reproduction de Guernica, ainsi qu'une peinture en soutien à la Palestine (voir à droite). ✗ Gary Óg est un musicien de musique folklorique irlandaise rebelle, originaire du sud de Glasgow, ville qui connut par un temps une forte communauté irlandaise. Il a fait partie du groupe Éire Óg (Jeune Irlande), également de Glasgow, fameux groupe de musique rebelle des années 90 dans la même lignée que The Wolfe Tones, par exemple. Aujourd'hui, il fait carrière solo, et a fait des tournées jusqu'en Australie. Il interprète surtout des chansons folkloriques irlandaises rebelles, comme celle pour laquelle il est le plus connu: Go On Home British Soldiers, chanson provocatrice souhaitant une Irlande libre, dont les paroles font par ailleurs référence aux 14 victimes du Bloody Sunday de Derry. Il a également interprété The Fields of Athenry, Irish Soldier Laddie, et Willie and Danny, cette dernière chanson faisant référence à deux victimes républicaines qui furent prises dans une embuscade de l'armée britannique, en 1984 à Derry. ✗ Terry ''Cruncher'' O'Neill est un artiste folklorique chantant beaucoup de chansons rebelles, et il est donc populaire en Irlande du Nord, surtout à Derry et Donegal, deux villes fortement républicaines. Il joue également au week-end annuel de commémoration des volontaires de l'IRA de Derry15 . Il a interprété par exemple la chanson républicaine ''James Connolly'' (tout comme The Wolfe Tones, la dernière strophe en moins), une chanson parlant de la fusillade des 13 rebelles à la prison de Kilmainham, dont nous avons déjà parlé. There was many a sad heart, in Dublin that morning, When they murdered James Connelly, the Irish rebel Il y avait plus d'un cœur morose à Dublin,ce matin-là, Lorsqu'ils ont assassiné James Connolly, le rebelle irlandais The spirit they tried hard to quell, But above all the dim came the cry 'no surrender', Was the voice of James Connelly, the Irish rebel. Ils ont bien tenté de réprimer l'esprit de résistance, Mais à travers l'obscurité on entendit le cri de ralliement ''On ne se rendra pas'' C'était la voix de James Connolly, le rebelle irlandais. ✗ Sinéad O'Connor est une chanteuse irlandaise, qui s'est fait connaître internationalement avec sa reprise d'une chanson de Prince en 1990. Elle a aussi, durant sa carrière, réalisé des chansons pour des films, et encore en 2012, elle a sorti l'album How About I Be Me (And You Be You)?. Elle a collaboré avec de nombreux artistes tels que U2, The Chieftains, ou Damien Dempsey (musicien irlandais du nord de Dublin). En 2002, elle a réalisé un album dont le titre est en gaélique, Sean-Nós Nua, et qui est un recueil de chansons traditionnelles irlandaises. Le nom ''Sean-Nós'' fait référence au style de musique traditionnelle du même nom, qui est un style de chant non-accompagné, ayant souvent pour sujet des lamentations, de la poésie, ou des événements politiques, mais aussi parfois des sujets comiques, notamment pour les chansons à boire. Dans cet album, il y a par exemple la chanson traditionnelle Óró, Sé do Bheatha 'Bhaile, chanson que l'on a déjà vue reprise par Derek Warfield & The Young Wolfe Tones, mais qui fut aussi reprise par The Dubliners et The Clancy Brothers. 15 Cette année, cela se passait fin juin (mais j'étais encore à Dublin); c'était le 25ème anniversaire de la mort des deux membres de l'IRA Edward McSheffrey et Paddy Deery.
  • 23. On constate finalement que beaucoup d'artistes ayant émergé dans la période des Troubles restent encore très actifs dans le paysage musical folklorique contemporain. Ils tiennent un rôle important dans l'exportation de la musique irlandaise à travers le monde, ainsi que dans la perpétuation de la tradition remise au goût du jour dans le pays-même. Heureusement, la relève est assurée par quelques jeunes artistes aspirant à chanter, eux aussi, la fierté de leur pays. La perception de l'histoire et de la musique folklorique en Irlande: La politisation systématique des chansons Selon Gerry Smith16 , l'Irlande est un pays musical depuis toujours. Zimmerman, lui, dans Songs of Irish Rebellion, explique que le fait d'utiliser la musique comme moyen de révolte, de description du sort des petites gens lors de bouleversements sociaux, de célébration des martyrs, ou pour inspirer quelque changement politique, n'est pas une pratique propre à l'Irlande seule; cependant, dans un tel pays où les tensions sont récurrentes et violentes, et où la musique et l'éloquence sont bien développés, cette pratique pouvait prendre de grandes proportions et des formes originales, et devenir tellement pénétrante que pratiquement n'importe quelle chanson en devenait politique. Joan, de l'Irish Traditional Music Archives de Dublin, est elle-même chanteuse traditionnelle, et a reçu un Life Achievement Award (comme The Dubliners) lors du Tommy Makem Festival à Armagh, en Irlande du Nord. Elle m'a parlé de ce phénomène de politisation des chansons: les chanteurs traditionnels d'aujourd'hui chantent souvent des chansons à caractère politique sans trop le savoir, car toute chanson dite traditionnelle contient quasiment obligatoirement un élément politique, la période de conflit avec le royaume britannique ayant duré très longtemps. Elle-même n'a pris conscience de toutes ces significations ''entre les lignes'' que depuis peu. Exemple: la chanson The Little Drummer Chantée par Christy Moore avec The Planxty en 1974, cette chanson parle d'un tambourineur dans l'armée qui tombe amoureux d'une aristocrate, qui bien sûr le rejette; désespéré, il lui dit alors qu'il va mettre fin à sa vie, donc la jeune femme finit par accepter de se marier avec lui, malgré leur différence de caste qui leur interdit d'être ensemble. A première vue, on se dit que ce n'est qu'une chanson d'amour, mais il y a des éléments politiques qui y sont liés, puisque la seule armée existante en Irlande, à l'époque, était l'armée britannique; de plus, la jeune fille étant de bonne famille, son père est très certainement un lord anglais possédant une grande propriété dans le comté de Tipperary (la mention du lieu de Bansha en atteste): les seules familles possédant des terres en ce temps étaient de riches familles aristocrates anglaises, employant les irlandais locaux pour les cultiver. Autre exemple: la chanson Down By The Liffey17 Side: J'ai lu dans mon recueil de chansons populaires irlandaises que cette chanson fut écrite par Peadar Kearney, l'auteur de A Soldier's Song (il y est d'ailleurs fait référence dans cette chanson). L'air est le même que Down by the Tanyard Side, et The Slaney Side, chansons de Herbert Hughes – un compositeur, critique musical et collecteur de chansons folkloriques irlandais originaire de Belfast, contemporain de William B. Yeats. Une autre chanson écrite sur la même mélodie est The Piper of Crossbarry, célébrant les exploits de la troisième brigade de West Cork (une unité de l'IRA) en 1921 (ils ont échappé à l'encerclement de 1200 soldats britanniques lors de l'embuscade de Crossbarry). Down By The Liffey Side fut notamment reprise par The Dubliners et The Wolfe Tones. 16 Gerry Smith, Chapitre I: ''Listening to the Future: Music & irish Studies'', in Music in Irish Cultural History, Irish Academic Press, Dublin. 17 Le Liffey est le fleuve qui passe à travers le centre de Dublin.
  • 24. Cette chanson possède des éléments politiques, puisque Mary, dans la chanson, chante ce qui va devenir l'hymne national irlandais, et il est aussi fait allusion au parti nationaliste Sinn Féin. Mais le plus intéressant, c'est que dans mon recueil de chansons populaires, il n'y avait pas la totalité de la chanson: il manquait la dernière strophe, que j'ai retrouvée dans une autre version (qui, je pense, est l'originale); or cette strophe est la plus clairement républicaine, c'est donc pourquoi ils l'ont supprimée dans le recueil, dans le fameux but de ''neutralité''. Voici la dernière strophe: And we'll have little children, and rear them neat and clean To shout up the Republic and to sing about Sinn Fein, They'll do what their old fellas did, who England's power divide, Send them off with guns against the free state huns, Down by the Liffey side. Et nous aurons beaucoup d'enfants, et les éduquerons bien comme il faut À soutenir la République haut et fort et à chanter le Sinn Féin, Ils feront ce que leurs ancêtres ont fait, ceux que le pouvoir de l'Angleterre a divisés, Nous les enverrons prendre les armes contre les ennemis de l'État libre, Du côté de la rivière Liffey. Les tensions qui perdurent Regardant l'impact de l'histoire de l'Irlande sur ses habitants, j'ai regardé, avec Patricia, une émission sur la chaîne RTÉ One (le Saturday Night with Miriam, du 30 juin 2012), où la journaliste aimée de la population Miriam O'Callaghan invitait l'ex-leader de l'IRA – devenu maintenant vice-premier ministre d'Irlande du Nord – Martin McGuinness, aussi numéro 2 du Sinn Féin. Récemment, lors de sa visite en Irlande fin juin 2012, la reine d'Angleterre a serré la main à cet homme, et ce geste symbolique a beaucoup fait parlé dans les médias. Jusqu'ici, ce parti nationaliste avait toujours boycotté les visites de la Reine. Il disait dans l'émission que, bien que beaucoup de gens pensent que le processus de paix est terminé, il est au contraire encore en cours et fragile. Il reste des étapes à franchir et des réconciliations à faire entre les habitants d'Irlande du Sud et du Nord, et entre l'Irlande et l'Angleterre. C'est pourquoi cette poignée de main était un moyen, pour Martin McGuinness, de tendre la main à tous les unionistes du Nord. Il a également dit que le processus de réconciliation est long, comme c'est le cas de tous les processus de paix, et il ne faut pas oublier que cette guerre n'a encore même pas un siècle d'existence. La plupart des habitants d'Irlande aujourd'hui, les ''seniors'', sont des gens qui ont vécu cette guerre civile, qui ont connu la souffrance des autres et de leurs proches, et vu des innocents se faire tuer. Par rapport à cela, Miriam a été droit au but en demandant à Martin McGuinness s'il avait des remords, si toutes ces victimes en valaient la peine; car un autre point délicat en Irlande est le statut de l'IRA. Beaucoup aujourd'hui, comme Miriam, n'en veulent pas qu'à l'Angleterre mais aussi à l'IRA et ses bombardements qui affectaient aussi la population civile, comme par exemple lors du Vendredi Sanglant de Belfast mal organisé. Beaucoup de familles ont souffert à cause des deux camps, en fin de compte, et aujourd'hui l'IRA est considérée comme une organisation terroriste par beaucoup d'irlandais. Il y a donc visiblement toujours des tensions au sein du pays quant à cette période de Troubles. J'en ai parlé avec Patricia après cette émission, et elle m'a dit qu'il n'y avait plus les mêmes tensions qu'avant, entre le Nord et le Sud, cependant c'est encore un grand sujet de conversation. Même si les tensions sont beaucoup moins fortes qu'avant, le souvenir de ce passé commun et proche dans le temps est encore vif, et c'est une chose qui ne peut pas partir en seulement quelques décennies – j'en ai fait la constatation lors de mon passage à Derry, où la ville elle-même rendait une impression de deuil généralisé par rapport à son Dimanche Sanglant, 40 ans plus tôt. De cette période qui divisaient même les familles en leur sein, un livre en témoigne assez fidèlement: The Railway Station Man, de Jennifer Johnston, une écrivaine irlandaise (je l'avais emmené en Irlande pour le lire là-bas, sans savoir de quoi ça allait parler ou qui était vraiment l'auteur... Quelle belle
  • 25. coïncidence!). Ce livre relate une histoire d'amour entre une mère irlandaise veuve et un ancien héros de guerre anglais, sur fond de lutte pour l'indépendance de l'Irlande, dans lequel son fils est impliqué. À cette période les jeunes s'engageaient dans l'IRA pour défendre le pays de l'oppresseur, d'autres s'engageaient en n'ayant qu'une image glorieuse de leur action, sans trop savoir ce qui les attendaient... et les parents bien souvent étaient impuissants face à ce phénomène, et n'avaient, comme on dit ''plus que leurs yeux pour pleurer''. Jennifer Johnston a également écrit The Old Jest, roman sur la Guerre d'Indépendance irlandaise, qui fut adapté au cinéma en 1988. Patricia m'a aussi fait part du fait que certaines familles ne se parlaient toujours pas à cause de ce qu'il s'était passé entre leurs parents (notamment entre ceux qui étaient du côté des exécuteurs des rebelles/prisonniers politiques, donc côté britannique, et ceux qui ont été exécutés). L'Irlande est un petit pays où il n'est pas très caricatural de dire que tout le monde connaît tout le monde. Ainsi, on repère encore facilement les marques laissées par la guerre civile car les familles et leur descendance restent proches et pas très éparpillées dans l'espace. On peut donner en exemple l'article qui est paru dans le Derry Journal à propos du week-end de commémoration annuel des volontaires de l'IRA (ayant eu lieu le 23/24 Juin 2012), où l'on peut constater qu'étaient présents, lors de cet événement, des frères et enfants de volontaires morts durant les affrontements. Il y a d'ailleurs, à Derry, de nombreuses commémorations de ce genre, comme la commémoration du Dimanche Sanglant, ou bien encore la commémoration de l'Insurrection de Pâques. Tous ces ''événements'' ne font que confirmer mon impression que Derry vit dans le passé, et ne permet pas aux gens d'avancer en paix (même si je ne serais pas d'accord pour oublier ce passé). Là encore, ce passé étant très proche, on peut espérer que, comme partout, avec le temps les gens finiront par faire leur deuil et par aspirer à un avenir plus pacifique. Le statut de la musique traditionnelle aujourd'hui Par rapport à la vision que les jeunes aujourd'hui ont de la musique folklorique, c'est Ronan, 26 ans18 , qui m'a expliqué que les groupes traditionnels n'étaient pas si populaires que cela. Comme partout, ils sont un peu dans l'ombre des groupes et chanteurs internationaux, comme Lady Gaga et d'autres; les groupes traditionnels ne seront jamais dans le top 10 des chansons de radio par exemple. C'est sympathique pour l'ambiance des pubs, mais ça ne va pas plus loin selon lui. En ça on peut donc dire que Clannad avait bien réussi son coup, en écrivant leur chanson pour Harry's Game devenue n°5 des charts anglais. Mais, 40 ans plus tôt, il n'y avait pas les mêmes conditions socio-historiques. Il me semble que la pacification des deux camps joue aussi beaucoup dans ce manque d'intérêt des jeunes pour la musique folklorique: ils ont peut-être moins besoin de ressentir leur ''identité irlandaise'' – si tant est qu'un tel concept existe – car il n'y a plus l' ''ennemi anglais'' commun. Les jeunes de maintenant n'ont pas vécu les atrocités des Troubles comme leurs anciens, pour qui c'est encore très ancré dans leur mémoire. Il y a bien sûr le passage d'une mémoire collective, et chaque famille transmet une certaine idéologie à leurs enfants, mais même cela devient de plus en plus modéré. Les pensées semblent moins polarisées qu'avant, et maintenant on veut apprendre aux descendances à savoir faire la paix et à vivre dans un monde plus harmonieux. Les gens ne veulent plus de cet extrémisme qui a mené à des pertes humaines des deux côtés. J'en ai parlé avec Martin Dowling, qui m'a dit que ceci est un aspect important de la musique en Irlande: toujours à cause de ce but de pacifisme, il existe un effet de rejet de la chanson traditionnelle irlandaise (surtout chez les jeunes, comme on l'a vu), au profit de chansons irlandaises ayant un côté ''ballade country'' américaine revisité (qui ressemble beaucoup à la vraie country américaine – on observe d'ailleurs des instruments traditionnels, comme le banjo, autant utilisés en Irlande qu'en Amérique). En dehors des musiques sans paroles dans les pubs (musiques à boire, finalement), on n'entend pas beaucoup de chansons traditionnelles, et pour cause: la plupart de ces chansons sont tristes et/ou politiques, ce qui n'est pas très bon pour le commerce, tout simplement! En soirée, les gens consomment 18 J'ai connu Ronan grâce au couch-surfing: c'était le seul qui m'ait répondu, et même s'il n'avait pas de place pour me faire dormir, on a pu discuter de mon sujet. Ronan est originaire de Cork, et vit et travaille à Dublin aujourd'hui.
  • 26. plus avec une musique de fond joyeuse. D'autant plus qu'en Irlande, chose qui n'existe pas ailleurs (du moins pas en France), lorsqu'une personne commence à chanter dans un pub (et la moitié du temps, ces chansons sont des lamentations), tout le monde se tait et écoute en signe de respect: ce n'est donc pas bon pour pousser à la consommation. Le paysage musical des pubs a ainsi évolué lui aussi. Il existe aussi certains groupes ayant une connotation négative: entre écouter The Chieftains, au répertoire traditionnel plutôt ''gentil'', et écouter The Wolfe Tones, au répertoire bien républicain, il y a une différence. Ces derniers étant très pro-IRA, et l'IRA étant mal vue par les irlandais aujourd'hui, The Wolfe Tones passent pour être un groupe assez extrémiste (par contre il me semble que Derek Warfield & The Young Wolfe Tones n'a pas la même réputation). Ronan me disait donc que si une personne disait ouvertement qu'elle aimait bien ce groupe, elle pourrait passer pour quasiment pro-terroriste. Après ce que m'a dit Ronan, il est vrai que les groupes traditionnels ne sont pas ce qui est écouté le plus par les jeunes; cependant, de par de ce que j'ai vu lors de mon tour de l'Irlande, je trouve que la musique folklorique en elle-même représente une dimension beaucoup plus importante que la musique folklorique en France, par exemple. Ne serait-ce qu'en se baladant dans les villes on voit que la musique est très présente, quand on voit ici ou là un trio de rue jouant des airs traditionnels, ou un musicien seul jouant de l'uilleann pipe, de la guitare, de la mandoline, de la concertina ou autre instrument traditionnel. Où qu'on se balade, dans les rues, dans les pubs, ou devant les hauts-parleurs de magasins de musique, on entend beaucoup de musique traditionnelle (et lors du festival de musique traditionnelle à Miltown Malbay, j'ai tout de même entendu quelques trios chanter des chansons républicaines). À Dublin, j'ai pensé que c'était pour attirer les touristes; mais lorsque j'ai vu que c'était pareil ailleurs, je crois que cela est inhérent au pays, et c'est une chose très agréable. De ce côté-là, l'Irlande est un pays du Sud, le beau temps en moins! Je dirais en fait qu'il existe tout simplement trois grands courants de musique traditionnelle en Irlande: il y a les groupes qui ne parlent pas de la guerre, et que l'on entend facilement, puisqu'accessible à toute la population sans risque de controverse; les groupes et chanteurs comme Tommy Sands et Christy Moore qui sont tout de même politiques, mais pour une pacification de l'Irlande; et pour ceux qui le souhaitent, il est également possible de trouver des groupes ou chanteurs (plus qu'on ne le pense) républicains, chantant principalement des chansons rebelles traditionnelles (ils sont toutefois moins connus par le grand public que par les ''connaisseurs'', dans cet éternel but de modération). Dans une boutique de souvenirs j'ai d'ailleurs vu un présentoir où il y avait deux types de CD, un exclusivement de ballades traditionnelles, l'autre de chansons de rébellion. Entre compréhension et haine mal placée Joan m'a aussi dit qu'avant, le patriotisme était un sentiment très populaire en Irlande, sans être une haine aveugle des anglais. La population se comprenait mieux, car les gens étaient tous dans le ''même panier'', la même misère: il y avait autant de pertes des deux côtés, et voyaient bien que la guerre était vaine, donc ils se serraient plus les coudes. Tandis qu'aujourd'hui, ce qui est un peu un paradoxe est que les gens qui pour la plupart n'ont pas connu les temps d'intenses problèmes, sont ceux qui entretiennent cette haine aveugle (attention, il y a une différence entre haine aveugle et résistance contre l'oppresseur). Groupe improvisé d'une douzaine de musiciens dans un pub à Miltown Malbay
  • 27. Comme souvent, lorsque l'on ne connaît pas quelque chose personnellement, on a tendance à aller plus dans l'extrême car on n'a moins d'informations sur lesquels se faire notre opinion, et celle-ci en devient donc faussée, et nous pousser à nous engager dans des causes qu'on ne connaît finalement pas vraiment. Les amalgames sont donc faciles à faire. Les gens ont perdu des proches, des parents, des amis, et c'est quelque chose qui ne peut pas se comprendre rationnellement. Évidemment, c'est comme ça que la guerre se passe toujours; mais lorsque ça nous arrive, on se rend alors vraiment compte que rien ne devrait justifier la mort d'innocents. Selon Joan, on peut voir ces changements dans les paroles des chansons rebelles: dans les chansons de 1798, les paroles étaient beaucoup plus patriotiques et compréhensives; maintenant ce n'est que sur les ennemis anglais et à quel point il faut les détester. Me concernant personnellement, je ne sais pas de quel avis je suis; tout de même, l'Angleterre a bel et bien envahi le pays et c'est à cause d'eux qu'il est maintenant divisé, ça n'est pas une invention, donc je comprends le point de vue des républicains qui réclament une Irlande unifiée, comme elle devrait l'être. C'est une sorte de colonisation pacifique que représente l'Irlande du Nord aujourd'hui, finalement, seulement personne, si ce n'est les républicains, ne semble s'en préoccuper. L'Angleterre aurait dû renoncer à l'Irlande toute entière lors du traité de Belfast, et ne pas chercher à négocier le terrain. Cependant, d'un autre côté je comprends aussi que les gens ne veulent plus de guerre ou de tension, et préfèrent oublier tout ça. Tellement de familles ont perdu leurs proches dans cet affrontement, et au final, aujourd'hui tout le monde vit normalement, donc à quoi bon continuer de se battre? Il est préférable maintenant de régler ces questions de façon pacifique et diplomatique, plutôt que par la force. Le problème reste que l'Irlande a moins de poids par rapport au Royaume-Uni, donc les voies diplomatiques profitent souvent plus au pays le plus influent. Mais au final, peut-être que si la terre entière devait remettre en question quelle terre appartient à qui, on n'en aurait jamais fini... Pour les irlandais fortement républicains, cette attitude se compare à de la soumission, et là encore je comprends leur point de vue. J'avoue que moi-même cette situation me déplaît un peu, et j'aimerais voir une Irlande unie; après tout cette situation de la période des Troubles est très comparable à celle d'Israël/Palestine (ce n'est pas pour rien que de nombreux artistes irlandais soutiennent la Palestine). Quelle tristesse qu'un si beau pays n'aie pas plus de pouvoir et d’aplomb aujourd'hui, tout ça parce qu'il n'a jamais eu la chance de pouvoir se développer de façon indépendante et non soumise. Donc moi-même je suis hésitante quant à ma position, et je pense que je tendrais tout de même plus du côté républicain. En Amérique: les groupes 'trop' républicains La musique irlandaise s'est beaucoup répandue aux États-Unis, suite aux émigrations massive d'Irlande au XIX° siècle (pour cause de famine et de persécution religieuse comme on l'a vu), ainsi que dans tout le Royaume-Uni. Depuis les années 70, il y a un regain d'intérêt pour cette musique dans le monde entier (appelé ''folk revival''). La musique irlandaise est devenue un champ spécialisé qui s'est développé en un domaine reconnu et populaire (d'après le Music in Irish Cultural History, de Gerry Smith, Irish Academic Press, Dublin), notamment aux États-Unis, où est concentrée une forte communauté irlandaise (surtout à Boston, où « en 1900, la moitié de la population de la ville est d'origine irlandaise, dont les Kennedy »). Mural à Belfast pour la cause palestinienne
  • 28. Grâce à cela, la musique irlandaise connaît un succès international. C'est un phénomène de grande ampleur, dont j'ai aussi parlé avec Martin Dowling (c'est lui qui m'a informé du groupe The Flogging Molly, dont je vais parler): de nombreux groupes américains reprennent des chansons irlandaises, telles quelles ou en les retravaillant, et bien souvent ces chansons sont très républicaines, dans la lignée de celles de The Wolfe Tones. La différence entre les deux pays et que dans l'un, ce style est populaire, dans l'autre, c'est plutôt mal vu, comme on l'a vu plus tôt. Quelque chose qui m'avait d'ailleurs étonnée est que, déjà en France, lorsque j'avais parlé de The Dropkick Murphys à mon ami irlandais, celui-ci ne les connaissait pas. Et une fois sur place, j'ai eu la surprise de voir qu'en effet ces groupes américano-irlandais n'étaient que très peu connus. En revanche, en causant avec des australiens dans différentes auberges de jeunesse, j'ai constaté qu'en Australie ils étaient plus populaires qu'en Irlande. C'est là que je me suis dit qu'il devait y avoir une sorte de légère censure sur les ondes. Ces groupes républicains sont cependant vraiment populaires en Amérique, et je trouve cela intéressant de voir comment, dans toutes ces histoires de migrations forcées, les générations évoluent. On en a récemment parlé en cours de ''Migrations forcées'', à l'université de Macédoine de Grèce où je suis actuellement: la première génération de migrants, ceux qui font le voyage, reste relativement communautaire dans le nouvel environnement plutôt hostile (dans le cas des irlandais, on peut dire que l'environnement était vraiment hostile, lorsqu'on sait que sur les vitrines des pubs américains il y avait des pancartes ''No dogs, No Irish'', déjà mentionné plus tôt). La seconde génération de migrants sont les enfants, qui apprennent le langage et la culture de nouveau pays, et tentent tant bien que mal de s'intégrer, en rejetant leur propre culture. Puis vient la troisième génération, donc celle d'aujourd'hui en Amérique, où les descendants de migrants souhaitent renouer avec leurs origines et leur culture initiale: il y a une ''émergence d'ethnicité'', selon les termes de Frederik Barth (dans Ethnic Groups and Boundaries, 1969). En Amérique, on brandit volontiers la fierté d'être irlandais, et de soutenir l'IRA; lorsqu'on a été séparé par un océan de toute la période des Troubles, il est aussi difficile de parler en connaissance de cause (cela rejoint le point dont j'ai parlé plus tôt). Beaucoup d'américano-irlandais, ''plus irlandais que les irlandais eux-mêmes'', ne sont guidés que par une image idéalisée de l'Irlande et de la lutte pour sa liberté, et parfois ''en font trop''. Toutefois, qui peut leur enlever cette envie de renouer avec leurs origines, et qui peut les blâmer de souhaiter une Irlande réunifiée? The Dropkick Murphys Ce groupe punk rock celtique, que j'ai connu par mon frère, s'est fondé en 1996 à Quincy près de South Boston. Dans toutes leurs chansons, la cornemuse, l'accordéon, la mandoline et la flûte, instruments traditionnels, sont très présents. J'ai aussi entendu parler récemment que chaque année, pour la St Patrick, ils jouent une semaine d'affilée à Boston: preuve qu'ils sont très appréciés sur leur continent, encore plus dans leur ville d'origine, qui compte une forte communauté de descendants irlandais. Voici deux chansons populaires qu'ils ont interprétées: Johnny, I Hardly Knew Ya: Elle est aussi connue sous le nom de Johnny We Hardly Knew Ye ou Johnny I Hardly Knew Ye. Ils l'ont reprise dans leur album The Meanest of Times, en 2007. L'air de la chanson fut reprise, il y a longtemps, pour la chanson When Johnny Comes Marching Home Again, durant la Guerre de Sécession. Cette chanson du XIX° siècle raconte la grande tristesse d'une femme du Comté de Kildare lorsqu'elle retrouve le père de son enfant revenant de la guerre, mutilé. Cette technique de montrer les horreurs de la guerre pour en dissuader le plus possible les jeunes, et de montrer que rien de bon n'en sort, était souvent employée dans les poèmes et chansons anti-guerre. Des troupes irlandaises avaient été envoyées en renfort des troupes britanniques en Inde, et pour ce faire les campagnes de recrutement donnaient souvent une image de la guerre idéalisée, sans parler des morts et des mutilations bien entendu, mais du courage, du patriotisme: des beaux concepts, donc –
  • 29. encore aujourd'hui, on voit des publicités pour le recrutement dans l'armée française parlant de la ''confiance'', ''d'être soi-même'', de ''se surpasser'', sans montrer les morts, les rescapés, les traumatisés, les handicapés. Cette chanson anti-guerre, avec ses images assez grotesques mais non moins horrifiantes, fut ainsi un moyen de dissuader les jeunes irlandais de se battre pour la cause anglaise. De plus, les soldats irlandais rescapés n'ont pas été pris en charge par l'armée par la suite, ils furent véritablement abandonnés à leur sort, comme le dit cette chanson: ''Ye'll have to be put with a bowl out to beg'', ce qui donne à peu près ''Tu n'auras plus que ton bol pour mendier''. Lors de ma visite au musée de Galway, j'ai vu deux affiches de la Première Guerre mondiale, appelant les jeunes à s'engager dans l'armée. Elles utilisaient des représentations de harpes et de cornemuses, instruments traditionnels d'Irlande, les deux parlant de l' ''appel de la guerre'', comme si c'était un instinct naturel: The Green Fields of France: C'est une chanson anti-guerre écrite par Eric Bogle (né en Septembre 1944), un chanteur australien né en Écosse. La chanson est initialement intitulée No Man's Land, mais est aussi connue populairement sous le titre de William McBride. The Dropkick Murphys l'ont reprise en 2005 dans leur album The Warrior's Code. Dans la chanson, l'auteur visite un cimetière du Front Occidental de la première Guerre Mondiale, et s'assoit à côté d'une tombe d'un soldat irlandais ou écossais du nom de William McBride, visiblement mort à 19 ans en service, et à qui il pose toutes sortes de questions sur la guerre, son but, ses conséquences... Dans les paroles, l'auteur fait référence aux musiques militaires The Last Post (l'air final de salut pour les soldats de l'ex-empire britannique et ses alliés morts au combat, joué par les clairons) et The Flowers of the Forest (antique air folklorique écossais, pleurant la mort de Jean IV et ses nobles durant la bataille de Flodden Field dans le nord de l'Angleterre, en 1513). Ce dernier air est d'ailleurs connu dans tout le Commonwealth comme ''La Lamentation'' (The Lament), joué le Jour du Souvenir (Remembrance Day), c'est-à-dire le 11 novembre, en commémoration des soldats tombés lors de la Première Guerre mondiale. On peut faire un parallèle entre The Green Fields of France et le poème de John MacCrae In Flanders Fields, écrit durant la bataille des Flandres (aussi connue sous le nom de première bataille d'Ypres19 ) en 19 Il existe également un musée du nom de ''In Flanders Fields'' en Belgique à Ypres.