Dans un cours d’épistémologie du design, nous avons dessiné des cartes pour créer des relations entre des livres issus de domaines très différents, jusqu’à ce que que nous croisions le texte “Les intelligences multiples” de Howard Gardner.
Chacune des 8 intelligences qu’il décrit rencontre à merveille l’un des champs du design contemporain, c’est ce qu’a mis en évidence un atelier d’écritures collectives destiné à unir nos connaissances sur le sujet.
De là, deux questions sont nées : comment ? pourquoi ?
NB : le slideshare en ligne ne permet pas de lire le texte de la conférence, pour cela, vous devez télécharger le fichier de la présentation, l'ouvrir sous PowerPoint ou OpenOffice puis accéder aux "notes" de chaque diapositive.
Luc Dall'Armellina - MCF arts-design - Université de Cergy-Pontoise - ESPE de Versailles
journée d'études
ENSEIGNER/DESIGNER
L'ENSEIGNEMENT DU DESIGN GRAPHIQUE AUX FRONTIÈRES DU NUMÉRIQUE
7 MAI 2015 - ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES
2. Il n'y a cependant aucune incompatibilité entre l'action et la
pensée dans une intelligence complète ;
l'action est fille de la pensée.
Lamartine. Voyage en Orient, Athènes.
11. Howard Gardner
Les intelligences multiples : La théorie qui bouleverse nos idées reçues
éditons RETZ (ISBN 978-2725627878)
1993 (VO), 1996 (VF), 2001, 2008
16. intelligence ?
vision mathématique
« …est la capacité à compresser l'information » selon Andrei Kolmogorov
visions psycho-cognitives
« …ne débute ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses comme
telles, mais par celle de leur interaction.
Elle organise le monde en s’organisant elle-même » selon Jean Piaget
« …la faculté de résoudre des problèmes et de produire des biens qui ont de la
valeur dans une ou plusieurs cultures ou collectivités » selon Howard Gardner
vision anthropologique
« …est une capacité à gérer la complexité qui opère dans la triade
Aristotélicienne :
praxis (activité transformatrice et productrice),
techné (activité productrice d'artefacts), et
theoria (connaissance contemplative/spéculative)» selon Edgar Morin
31. 1 - comment formes d'intelligences et formes de design se rencontrent ?
2 - pourquoi ces formes se rencontrent ?
32. Question : Quelles sont les frontières du design ?
Réponse : Quelles sont les frontières des problèmes ?
Charles et Ray Eames
33. Gabriel Ariyanayagam
Ionna Barré
Claire Blondel Dargent
Malika Boisnard
Fanny Curtet Luque
Lucile Hamon
Anna Jordanova
Stéphanie Lacoste
Murielle Le Guennec
Emilie Mangion
Ly Monisokha
Agathe Moulanier
Laurence Perrin
Sophie Poncet
Pauline Toiron
Siham Troudi
Ludivine Turquais
Avec la participation de :
Mathilde Adorno
Sophie Brizin
Igor Ducourneau
Gabriel Gatineaud
Sarah Gaubert
Carole Meyer
Mehdi Moui
Pierre Mourey
Sylvie Noé-Senechal
Mathilde Penelet
Solange Portes
Flora Reymond
Claire Squarcioni
Françoise Trottin
et
Luc Dall'Armellina
Notes de l'éditeur
Bonjour et merci à Anthony Masure, Anne-Lyse Renon et Thiago Máximo de m'avoir invité à cette table ronde « Design en recherche »,
de nous avoir invités car c'est avec un groupe d'étudiants, en formation d'enseignants en design, que je suis venu.
L'ESPE, Ecole Supérieure du Professorat et de l'Education de Versailles d'où nous venons, forme des enseignants dans toutes les disciplines,
dont le Design, dans un master spécialisé, entre approches disciplinaires et sciences de l'éducation.
Ce diplôme, avec le concours idoine, permet d'enseigner les « arts appliqués et le Design » en lycée technique ou lycée professionnel de l'éducation nationale.
Nous souhaitons aujourd'hui vous présenter ce qui n'est pas encore une proposition théorique mais a plutôt la forme d'un questionnement,
né dans mon cours d'épistémologie du design depuis 2013.
Pourquoi une épistémologie du design ?
Est-ce pour répondre aux exigences de scientificité qui lui sont demandées par ses partenaires scientifiques, académiques, artistiques, industriels ?
Est-ce pour le doter d'une autonomie d’outils permettant de mettre à distance ses pratiques, ses actions, ses processus, ses enjeux ?
Mais n’y a-t-il pas un piège à faire du design une science comme les autres ?
Celui d’entamer sa spécificité : sa praxis singulière, sa poïétique particulière ?
On aurait envie de dire ici : Attention fragile !
Nous avons commencé en 2013 dans mon cours d'épistémologie du design à réfléchir à partir d'un ensemble de ressources, de livres, pas seulement de design, mais d’autres disciplines lui laissant une place, accueillant ses questions.
Notre démarche se situe ici entre les 3 catégories de recherche qu'Alain Findeli appelle, «1- pour le design » « 2 - sur le design » « 3 – par le design ».
[source : Symposium de recherche sur le design tenu à la HGK de Bâle sous les auspices du Swiss Design Network les 13-14 mai 2004 ]
Note : La recherche « 2 - sur le design » consiste à éclairer l'activité du design dans son contact à d'autres discipline sans pour autant poursuivre l’idée de créer des objets, des projets.
(Il propose que seule, la recherche« 3 – par le design », engagée dans le projet (grounded project research) permet de conjuguer recherche-action, théorie ancrée (grounded theory) et recherche participative (co-design), gages pour faire du Design un champ social et scientifique pertinent.)
Ce nouveau cours d’épistémologie représentait pour moi un défi, une énigme, et c'est sous la forme de l'enquête plus que du cours que nous l'avons abordé.
Parmi ces ressources nous trouvions un paysage déjà fort divers :
- arts
- anthropologie
- esthétique
- histoire du design
- phénoménologie
- philosophie (arts, sciences, techniques, éducation)
- psychosociologie
- sémiologie / iconologie
- sociologie des sciences et techniques
- sciences de l'information et communication
Cette collection constituait un premier socle, elle a été complétée en cours de travail par d'autres apports.
L'essentiel pour nous était de repérer des champs disciplinaires intéressant, d'une manière ou d'une autre, le champ réflexif et pratique du design, sa praxis.
Chacun a dessiné sa carte, son paysage des théories accompagnatrices (comme le dit Anne Cauquelin à propos des théories en arts).
Ici Ionna Barré spatialise et qualifie des catégories : Quotidien, Modernité, Perception, Complexité, Cognition…
Monishoka Ly et Laurence Perrin ont entrepris à travers leur bibliothèque, de ranger notre une collection d’ouvrages en états instables, glissant d'une catégorie l'autre…
Pour Emilie Mangion, sa carte est à la fois un réseau montrant les relations entre les livres du corpus et une qualification des catégories regroupant des livres en particulier…
Lucile Hamon tente un labyrinthe dans lequel on entre par un livre en particulier : Théorie de l'art moderne de Paul Klee,
Il mène aux autres par le chemin que le lecteur voudra bien faire, se frayant un passage singulier entre les livres…
En 2014-2015, dans le même cours, j'ai prolongé avec d'autres étudiants une investigation sur les Intelligences multiples de Howard Gardner.
H. Gardner est Professeur de Sciences Cognitives et Education à la Harvard Graduate School of Education et professeur associé en Psychologie à Harvard University.
Dans ce livre il fait la synthèse d'une vie de recherche consacrée à l'étude de l'intelligence mêlant enquêtes, entretiens, observations, expérimentations, théories cognitives.
Ce livre me paraissait important en formation d'enseignants car il donne de l'intelligence une vision infiniment plus riche et complexe que celle qui prévaut à l'école.
Qu'elle soit vue à travers les programmes ou les évaluations, elle y est en effet trop souvent réduite à deux formes :
verbo-linguistique et logico-mathématique, alors même que les disciplines enseignées sont bien plus nombreuses.
On voit ici une une carte parmi les nombreuses que l'on peut trouver en ligne, elle a le mérite d'une relative clarté.
Ce qui frappe d'emblée, c'est la dimension interdisciplinaire des Intelligences Multiples, peut-être parce qu'elles relèvent d'une conception de l'humain qui n'est pas considéré comme un seul cerveau mais comme un être complexe : pensant, parlant, dansant, écoutant, dessinant, voyant, ressentant (lui-même, ses semblables, ses relations avec eux ainsi que son environnement).
Ici dans une autre représentation, on voit apparaître mieux que des compétences (pour le pédagogue) : des aptitudes, des appétences (ce que Ken Robinson appelle « l'élément » de chacun de nous), constituant un terrain favorable pour que telle ou telle intelligence s'épanouisse.
C'est à partir de cette lecture, que nous avons commencé à établir des liens entre ces formes d'intelligences (IM) et l'intelligence des formes qu'est le Design.
On devait pouvoir trouver une correspondance entre une pratique de design et une forme d'intelligence, ou tout au moins,
un projet de design répondant particulièrement à l'une de ces intelligences.
Voici à peu près quelle était notre intuition à ce moment là.
Mais qu’est-ce que l’intelligence ? Question difficile, il n’en existe pas de définition univoque,
en voici de 3 sortes, vues depuis les mathématiques, les sciences cognitives, l’anthropologie.
L'intelligence comme aptitude à relier des éléments jusqu'alors séparés,
à gérer et synthétiser des informations complexes,
à organiser des interrelations entre objets du monde et personnes humaines,
à produire des biens et services de valeur pour la communauté
rencontre en effet de près une définition possible du design.
Que pouvions tirer de ces rapprochements ?
Rien de hâtif, car il est vite apparu que dans chaque projet de design, plusieurs formes d'intelligences sont mobilisées, souvent même plusieurs.
Chaque design peut tout au plus rencontrer une dominante d'intelligence, mais certainement pas une exclusive.
Restait le trouble d'une correspondance presque parfaite entre pratiques de design contemporain et formes d'intelligences, toutes les deux multiples…
De là, 2 questions s’imposaient :
1- comment formes d'intelligences et formes de design se rencontrent-elles ?
2 - pourquoi ces formes se rencontrent ?
Nous n'y répondrons pas aujourd'hui, il y aurait là un projet de recherche, mais nous allons explorer quelques pistes…
Nous avons alors commencé à écrire à plusieurs mains sur un FramaPad, à partir de la liste des intelligences multiples,
à documenter pour chacune d'elles, des exemples de projets de Design puisés aussi bien en :
design d'information
design d'espace
design de dynamiques sociales
design d'objet
design graphique
design sonore
éco-design
Les schémas qui suivent ont été pensés collectivement et dessinés par Mathilde Pennelet qui a proposé la vision qui nous a parue la plus pertinente pour montrer :
- 3 projets dans chaque intelligence, dont un au moins, relevant du design graphique puisque c’est le thème de notre journée
- chaque intelligence en relation avec d'autres
Intrapersonnelle :
c'est la forme d'intelligence en regard de soi, de l'introspection mais aussi de soi face aux autres.
C'est la forme qui unit histoire, mémoire, imagination, désir, singularité personnelle.
Projets :
- Cloning, 5x5 designers (chaise fabriquée selon les données corporelles de l’utilisateur)
- Objets thérapeutiques, Mathieu Le Hanneur (pensés comme des accompagnements personnalisés à la maladie)
- Cape d'invisibilité de Camille Angibaud, permettant à celui la porte de se soustraire aux caméras de surveillance dans le paysage urbain pour préserver l'image de soi.
Logico-mathématique : cette forme fait appel aux capacités de calcul, de symbolisation, d'abstraction.
La programmation est une activité qui la rencontre bien.
Projets :
chaise Sketch Chair du Studio front design (matérialisation d'un geste et sa traduction en coordonnées spatiales)
chaise Cloning des 5x5 designers (à partir de données physiques prélevées sur votre corps, modélisant l’esthétique des objets de cette collection)
Vase #44 de Francois Brument utilise le spectre vocal et le transpose en volumes pour créer des objets
interface de We feel fine de Jonathan Harris qui transforme des marqueurs linguistiques prélevés par des agents logiciels dans de vastes corpus de blogs afin de les faire jouer dans une sorte de météo des sentiments
Corporelle-kinesthésique :
Cette forme d'intelligence fait appel au corps et à toutes ses sensations mais peut-être centralement au toucher, au contact physique et à la perception de son corps dans l'espace.
Projets :
- I pre libri, Bruno Munari
- Sketch Chair (déjà présentée)
- Pieza de Curro Claret (déjà présentée)
- doHitChair, Marijn van der Poll dans laquelle le geste de l'usager vient donner la forme du siège au cube de métal proposé par le designer.
Interpersonnelle :
cette forme fait appel à l'empathie, à la capacité à entrer en relation avec ses semblables et à tisser des liens avec eux sous différentes formes.
Projets :
- Le bruit du frigo, Le Bistrot du porche, Atelier d’urbanisme utopique, Nantes, (2008)
- La pieza (taburete 300) de Curro_Claret
- La 27è région, laboratoire interdisciplinaire de transformation des politiques publiques à travers des recherches actions.
Musicale – rythmique :
C'est la forme des musiques et des rythmes, ritournelle et galop (selon Deleuze et Guattari), celle du langage musical, du son, de l'écoute.
Projets :
- Vases 44, Francois Brument
- Nuits sonores, SuperScript
- Reactable de l'Université Pompeu Fabra (2006) dans lequel une table numérique circulaire reconnaît les formes graphiques présentes sur des cubes, ainsi que la distance qui les séparent et devient un nouveau type d'instrument de musique.
Visuelle-spatiale :
c'est l'intelligence des formes et des couleurs, des proportions et de la spatialisation, centrale notamment dans le design graphique.
Projets :
- L'air de rien de David Poullard
Logo IBM de Paul Rand
Reactable de Pompeu Fabra
- Signalétique l'aéroport de Kolhn, de Rudi Bauer. Dans ce projet le visuel est envisagé du micro (des pictogrames) au macro (architecture et ses déambulations).
Verbo-Linguistique :
on trouve ici assez naturellement les formes de design qui font appel au texte, aux mots et à leurs jeux compositionnels et sémantiques, littéraire et poétiques.
Projets :
- L'air de rien, David Poullard, Fontenay sous Bois (déjà présenté)
- Stephan Sagmeister, écritures diverses (corps, végétaux)
- Le Basnoda, Pierre di Sciullo, est un caractère réversible qui permet la lecture des palindromes
Naturaliste – écologiste
Cette forme d'intelligence est celle de la conscience d'être un élément dans le grand tout du monde.
C'est penser globalement en termes d'environnement et d'équilibres, et localement en termes d'interactions.
Projets :
- Terra, de Nucléo (structure de siège emplie d eterre avant que celle-ci ne se couvre d'herbe)
- Good, de Stefan Sagmeister
- Cradle to Cradle de William Mc Donough et Michale Braungart propose de repenser la façon que nous avons de concevoir les objets, il ne s'agi pas tant d'un projet que d'une méthodologie écologique à impact zéro pour l'environnement.
Et la carte montrant l’ensemble des formes d’intelligence se recouvrant partiellement à l’endroit de certains projets
Pourquoi ces formes se rencontrent ?
Peut-être parce que le design a toujours été une activité relevant de l'adaptation aux changements comme à l’invention de notre milieu social, technique, cognitif ?
Peut-être parce qu'il a toujours eu pour objectifs de rendre simple la complexité ?
Peut-être parce qu'il cherche depuis ses débuts l’efficience et la singularité dans un geste pensé pour l'autre ?
Et quand les designers Charles et Ray Eames posent la question des frontières du design,
on voit bien à travers leur réponse :
qu'il est pour eux, tout à fait en mesure d'affronter tous les types de problèmes,
qu’il se présente comme une intelligence des formes, ou comme une synthèse des formes d’intelligence ?
Merci pour votre attention, et merci à tous les étudiants avec qui nous avons partagé ces questions et qui ont contribué à cette réflexion en cours…