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MEMOIRE
DE
RECHERCHE
2012/2013
NOM
et
PRENOM
de
l’auteur
:
PAUFIQUE
Francis
SUJET
DU
MEMOIRE
L’âge de l’accès : repenser la consommation
de musique enregistrée à l’ère digitale
-‐
NOM
DU
DIRECTEUR
DE
RECHERCHE:
DESLANDES
Ghislain
CONFIDENTIEL
Non
X
Oui
La
diffusion
de
ce
recueil
est
strictement
réservée
à
ESCP
Europe.
2. ©
Francis
Paufique
2013
–
Tous
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réservés
2
Mémoire de recherche
PAUFIQUE Francis
Numéro étudiant : e113296
Master in Management Grande Ecole
ESCP Europe
Année universitaire 2012-2013
L’âge de l’accès : repenser la consommation de
musique enregistrée à l’ère digitale
FrAUFIQUE
© Reuters 2011
ESCP
Europe
2013
4. ©
Francis
Paufique
2013
–
Tous
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réservés
4
Remerciements
Mes remerciements s’adressent en premier lieu à Albin Serviant, qui m’a assisté à
maintes reprises dès le début de ce travail, m’apportant ainsi une aide décisive pour la
préparation de ce mémoire.
Je tiens également à remercier Pierre Niboyet, Jérôme Fulcrand et Daniel Findikian
pour leur disponibilité et pour la qualité de leur témoignage.
Mes remerciements vont aussi à Julia, Alice, Cyrille et Xavier pour l’aide et le regard
critique qu’ils ont bien voulu m’apporter.
Durant ma quête d’informations, la participation de Quentin Leullier, Brice
Delourmel, Alix Mouliéras, Isabelle Sergent, Laurent Billion, et Yvan Boudillet a été
précieuse, aussi je tiens à les en remercier tout particulièrement.
Je remercie enfin mon directeur de mémoire Ghislain Deslandes de m’avoir aiguillé
dans la bonne voie aux moments-clés de mes recherches, ainsi que pour m’avoir permis
de travailler sur un sujet qui m’est cher : la musique.
5. ©
Francis
Paufique
2013
–
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réservés
5
Executive summary
Treize ans après l’irruption du format numérique et aux portes de la reprise, l’industrie
de la musique enregistrée se trouve une nouvelle fois à un carrefour, avec de nouveaux
enjeux : pour ses principaux acteurs, il convient de déteminer à la fois ce qui fait la valeur de
la musique aujourd’hui et comment le public souhaite la consommer, et donc parmi les usages
quel est celui ou quels sont ceux qui domineront demain dans l’écoute de musique.
Pour l’heure, la consommation musicale est multiple et changeante : contrastée sous
forme matérielle, entre croissance du vinyle et dégringolade du disque compact, elle s’affirme
chaque jour davantage de façon digitale et mobile, dans un environnement très interactif et
hautement connecté. Pour leur écoute de musique, les consommateurs réclament toujours
davantage d’interactivité, de curation, de contenu inédit et de recommandation. La manière de
consommer la musique importe autant désormais, sinon plus que le contenu musical, parfois
« commoditisé » par des offres pléthoriques, ubiquitaires et illimitées. Chiffres à l’appui, nous
obervons que la structure du marché est l’objet d’une refonte rapide et à grande échelle. Le
segment digital, fer de lance de la reprise inédite de l’industrie en 2012, est le théâtre de
l’affrontement entre les deux modèles d’offre musicale: la propriété et l’accès. L’un n’est que
le transposé au format digital du modèle historique, il propose une expérience musicale payée
à l’acte, encore entravée par un format, statique, figée. L’autre est inédit, il propose une
consommation gratuite ou au forfait, immatérielle, ubiquitaire et plurielle. Malgré leur
croissance respective, le succès de la propriété de la musique est de plus en plus concurrencé
par celui plus rapide encore de l’accès à la musique. Portés par le regain d’intérêt du public
pour ce contenu, par les innovations technologiques et par la disparition progressive de la
barrière économique qui structurait l’offre traditionnelle, les nouveaux modes de
consommation de musique séduisent davantage, surtout parmi les classes d’âge les plus
jeunes, et se propagent dans la société avec l’avancée en âge des populations.
L’analyse approfondie des usages, du marché et de leurs dynamiques respectives nous
permet d’affirmer que la valeur de la musique pour le consommateur aujourd’hui est autant,
sinon plus, une valeur d’expérience musicale qu’une valeur de contenu. Elle nous permet
également d’envisager que demain l’accès sera le modèle dominant de consommation de la
musique enregistrée.
6. ©
Francis
Paufique
2013
–
Tous
droits
réservés
6
Table des matières
Remerciements
...................................................................................................................................
4
Executive summary
...........................................................................................................................
5
Introduction
........................................................................................................................................
8
I.
Question de recherche
...............................................................................................................
8
II.
Hypothèses de recherche
.........................................................................................................
8
III.
Méthodologie
............................................................................................................................
9
1. Cadre conceptuel
........................................................................................................................
10
I.
L’âge de l’accès selon Jeremy Rifkin
..................................................................................
10
II.
Le phénomène numérique
....................................................................................................
10
A.
Processus
............................................................................................................................................
10
B.
Moteurs de déploiement
..................................................................................................................
10
III.
L’adaptation de la musique au phénomène digital
.......................................................
11
A.
Une proie idéale pour le déploiement d’internet
.......................................................................
11
B.
La musique, un bien informationnel
............................................................................................
11
C.
La musique, un bien d’expérience
................................................................................................
12
D.
Numérique et propriété intellectuelle
..........................................................................................
13
IV.
La notion de valeur dans la musique
...............................................................................
13
V.
Modèles économiques actuels
..............................................................................................
14
VI.
Musique et usages
.................................................................................................................
18
A.
Apports de la sociologie des usages
..............................................................................................
18
B.
Web 2.0 et expérience
......................................................................................................................
18
2. Analyse quantitative : l’écosystème de la musique enregistrée
.......................................
20
I.
Marché mondial de la musique enregistrée
.......................................................................
20
A.
état des lieux du marché mondial
.................................................................................................
20
1.
Sources de revenus de l’industrie du disque d’après l’IFPI
.............................................................
20
2.
Evolution annuelle du marché mondial depuis 2011
..........................................................................
22
3.
Les principaux marchés musicaux
............................................................................................................
24
B.
Focus sur le digital
............................................................................................................................
26
1.
Part du digital dans les revenus totaux pour les principaux marchés
............................................
26
2.
Comportements du consommateur digital
..............................................................................................
27
3.
Paysage compétitif de l’offre de streaming
...........................................................................................
30
II.
Le marché français de la musique enregistrée
................................................................
33
A.
état des lieux du marché français
.................................................................................................
33
B.
Pratiques culturelles des Français en matière de musique
......................................................
39
1.
Utilisation d’Internet par la population française
................................................................................
39
2.
Analyse de l’écoute de musique en France
............................................................................................
41
3.
Terminaux mobiles: quelles tendances de fond, quels impacts ?
...................................................
42
III.
Conclusion
..............................................................................................................................
47
3. Analyse qualitative : entretiens avec des professionnels de l’industrie
..........................
48
I.
Contexte
.....................................................................................................................................
48
7. ©
Francis
Paufique
2013
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droits
réservés
7
A.
Entretiens qualitatifs
.......................................................................................................................
48
B.
Présentation des entreprises
...........................................................................................................
48
1.
Deezer
.................................................................................................................................................................
48
2.
EMI Music France
..........................................................................................................................................
49
3.
Believe digital
..................................................................................................................................................
50
4.
Bopler Games
..................................................................................................................................................
50
C.
Présentation des interviewés
..........................................................................................................
51
1.
Pierre Niboyet, responsable de l’artist marketing chez Deezer
......................................................
51
2.
Daniel Findikian, directeur des ventes digitales et du business development chez EMI Music
France
..........................................................................................................................................................................
51
3.
Jérôme Fulcrand, responsable du management de contenus chez Believe digital
....................
51
4.
Albin Serviant, PDG de Bopler Games
...................................................................................................
52
II.
Méthodologie
...........................................................................................................................
52
A.
Fil conducteur
...................................................................................................................................
52
B.
Procédés
..............................................................................................................................................
53
III.
Résultats et discussion
.........................................................................................................
53
A.
L’expérience dans l’écoute/ la consommation de musique
......................................................
54
1.
L’influence centrale du consommateur
...................................................................................................
54
2.
Le digital comme démultiplicateur de la découverte musicale
.......................................................
54
3.
La musique, un marqueur social 2.0
........................................................................................................
56
B.
L’accès à la musique
........................................................................................................................
56
1.
Le basculement du mp3 à l’url
...................................................................................................................
57
2.
La disparition de la barrière économique
...............................................................................................
59
3.
La nouvelle norme ATAWAD: Anytime, Anywhere, Any device
...................................................
60
4.
CD et vinyle : tour d’horizon et perspectives d’avenir
......................................................................
60
5.
Pratiques culturelles : perméabilité et caractère invasif des usages
...............................................
62
C.
La valeur de la musique
..................................................................................................................
63
1.
Valeur marchande et valeur d’usage de la musique
............................................................................
64
2.
Une difficile typologie des modes de consommation
.........................................................................
65
3.
Biens d’équipement et transfert de valeur
..............................................................................................
66
4.
Le retour en force du back catalogue
.......................................................................................................
66
5.
Le défi du renouvellement de l’offre musicale
.....................................................................................
67
IV.
Conclusion
..............................................................................................................................
67
Conclusion générale
.......................................................................................................................
72
Glossaire
..........................................................................................................................................
75
Bibliographie
...................................................................................................................................
77
Table
des
annexes
........................................................................................................................
80
Annexes
.............................................................................................................................................
81
8. ©
Francis
Paufique
2013
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réservés
8
Introduction
I. Question de recherche
À l’ère numérique, toutes les industries créatives qu’on regroupe sous le nom
d’industries de contenu se trouvent ébranlées en profondeur. Au rang desquelles l’industrie
musicale, spectaculairement touchée par le phénomène digital : perte de valeur de près de
60 % du marché de la musique enregistrée depuis une décennie, piratage massif des œuvres
musicales, développement du streaming légal, succès grandissant des terminaux mobiles
d’écoute et de diffusion de la musique… Depuis l’irruption du digital au début du XXIème
siècle, le cycle de vie de la musique enregistrée fait l’objet d’intenses innovations à toutes les
étapes et l’industrie musicale est en proie à des mutations sans précédent. De ce contexte très
dynamique émergent de nouveaux modèles économiques, portés par des usages inédits.
Ce travail de recherche a pour but d’analyser l’impact de la révolution numérique sur les
modes de consommation de la musique enregistrée en France, et d’envisager les perspectives
d’évolution de ces modes de consommation à l’avenir.
II. Hypothèses de recherche
L’effet disruptif du numérique sur le fonctionnement de l’industrie musicale est
indiscutable. Le remplacement du support musical par le format numérique et le déploiement
d’une économie de réseaux impulsé par internet ont radicalement changé à la fois la façon de
concevoir la musique et les façons de la consommer : autrefois bien uniquement culturel
tangible, figé et appropriable pour un prix d’échange stable, la musique est aussi immatérielle,
interactive et accessible pour un prix qui fluctue selon l’usage apporté aujourd’hui.
Streaming, services de stockage dans le cloud, peer-to-peer persistant… Dans un contexte de
valorisation incertain, de nouvelles offres émergent, notamment basées sur l’écoute plus sur
l’achat de musique, pour tenter de capturer ces nouveaux usages et combler le vide laissé par
la chute de la production physique. Mais comment quantifier et qualifier l’influence de la
révolution numérique sur les usages pour la musique enregistrée ? Comment le public
valorise-t-il la musique en France en 2013 ? Qu’achète-t-il désormais et pourquoi ? Quelles
tendances de fond identifions-nous et que nous permettent-elles d’envisager à l’avenir ? Pour
9. ©
Francis
Paufique
2013
–
Tous
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réservés
9
apporter un éclairage à ces multiples interrogations, il convient tout d’abord de poser deux
hypothèses de recherche :
- Avec le digital, l’accès à la musique tend à concurrencer la propriété de la musique ;
- L’expérience musicale un rôle de plus en plus important dans la valorisation de la
musique enregistrée pour le consommateur.
III. Méthodologie
Ce travail de recherche comporte trois parties. Dans un premier temps, nous définirons
le cadre conceptuel et historique de la révolution numérique, afin d’en mesurer la portée sur la
musique enregistrée.
Ensuite, nous effectuerons une analyse d’abord géographique, puis thématique des
modes de consommation de la musique enregistrée, afin de décrypter en profondeur
l’évolution des usages à l’ère digitale, pour en dégager les principales lignes de forces et
tendances de fond qui struturent cette consommation.
Enfin, il s’agit de retrancrire de façon thématique les quatre entretiens réalisés avec
des professionnels et des dirigeants de l’industrie musicale, qui ont pour fil conducteur l’essai
de Jeremy Rifkin, intitulé L’Âge de l’accès. Ces entretiens et leur lecture critique nous
permettront d’analyser de la manière la plus large possible trois aspects fondamentaux de la
musique à l’ère digitale - l’expérience, l’accès et la valeur - pour ensuite déterminer dans
quelle mesure les hypothèses de recherche posées en introduction se vérifient dans la réalité
du terrain et des usages.
10. ©
Francis
Paufique
2013
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10
1. Cadre conceptuel
I. L’âge de l’accès selon Jeremy Rifkin
« Un monde nouveau où la transaction marchande par excellence est la
consommation payante d’expérience vécue » (Rifkin, 2000). Aux portes du digital, c’est en
ces termes que l’économiste et prospectiviste américain Jeremy Rifkin prédisait l’avènement
de l’âge de l’accès, initié avec la dématérialisation progressive de l’économie. Une décennie
plus tard, ces propos ont une résonnance toute particulière, en raison de l’importance prise
par le phénomène numérique.
II. Le phénomène numérique
A. Processus
Cette révolution numérique est le fruit d’un processus complexe, constitué de
plusieurs étapes : depuis les années 1990, le développement de nouveaux services et
d’applications, grâce à la mise en résonance d’une grappe d’innovation technologiques issues
de la seconde moitié du XXème
siècle, a permis l’émergence d’un support d’information
universel, le numérique (Chantepie, 2010). Ce support de codage d’informations s’est ensuite
développé en s’appuyant sur la libéralisation progressive du secteur des télécommunications
impulsée par les pouvoirs publics, dans un contexte de montée en puissance des industries des
techniques numériques. Progressivement, ce nouveau « langage » s’est répandu et a permis
l’interconnexion inédite de toutes les industries de contenus. En s’imposant au niveau global
dans un contexte de multiplication des terminaux utilisateurs, le numérique a profondément
remodelé la chaîne de valeur de ces industries de contenus ; en outre, en stimulant fortement
l’innovation, il a contribué à engendrer des modèles d’affaires inédits (Sonnac, 2009).
B. Moteurs de déploiement
Une caractéristique essentielle de déploiement du numérique réside dans les effets de
réseau qui sont associés aux plateformes numériques, c’est-à-dire les bénéfices que chaque
consommateur retire de la consommation d’un bien ou d’un service par d’autres
consommateurs. Ces bénéfices correspondent à la notion économique d’utilité, c’est-à-dire la
« valeur estimée de l’usage d’un bien ou d’un service pour un consommateur donné »
(Bomsel, 2007), notion qui vient directement se mesurer au prix du bien ou du service. Ainsi
plus un bien ou un service utilisant une plateforme numérique va être consommé, plus il va
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Francis
Paufique
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11
être utile pour ceux qui l’ont adopté, engendrant ensuite une hausse de la demande, ce qui
relèvera alors l’utilité de tous ses utilisateurs, etc. Ces effets conduisent à l’apparition de
modèles dominants à compter d’une certaine masse critique d’utilisateurs, c’est à dire d’un
nombre seuil à partir duquel l’utilité du produit ou du service devient supérieure à son prix
pour tous les utilisateurs. Les travaux de Rohlfs permettent de modéliser ces effets (Rohlfs,
1974). En outre, le numérique est un instrument de codage binaire d’informations sous forme
de 0 et de 1, instrument de codage global et universel: « est information tout ce qui est
codable en bits » (Shapiro & Varian, 1999). Les informations ainsi codées peuvent ensuite
être véhiculées et traitées par le biais de circuits électroniques intégrés. Or, en vertu de la loi
empirique de Gordon Moore le fondateur d’Intel(Moore, 1965), la capacité des composants
électroniques double tous les dix-huit mois : ainsi le numérique, par l’augmentation
exponentielle des capacités de traitement de l’information au fil du temps, génère
intrinsèquemenr des économies d’échelle conséquentes pour les informations qu’il encode : il
constitue donc un langage générateur d’effets de réseau, dont la performance croît avec le
progrès technique. Combinés, les effets de réseau ainsi que les économies d’échelle dérivant
de la loi de Moore conduisent à l’apparition de véritables oligopoles tel iTunes pour la vente
de musique en ligne, ou Google pour la recherche d’information sur internet.
III. L’adaptation de la musique au phénomène digital
A. Une proie idéale pour le déploiement d’internet
La musique a été l’objet central de ces effets de réseau dans le déploiement du
numérique en raison du phénomène du téléchargement illégal ou peer-to-peer : cette
technologie d’échange de fichiers de pair à pair par le biais d’internet (Le Blanc, 2004),
apparue en 1999 avec le site américain Napster a connu un succès immédiat, malgré la
fermeture du site par les autorités américaines en 2000. Ainsi, l’Irdate estime que 150
milliards de fichiers musicaux se sont échangés dans le monde grâce au peer-to-peer en 2003.
Seul contenu véhiculé initialement par le peer-to-peer, la musique constituait le candidat
naturel parmi les biens culturels : « contenu le plus consommé, le moins dense, simple à
compresser (…), la musique est la proie idéale pour le déploiement d’internet » (Bomsel, op.
cit.).
B. La musique, un bien informationnel
La musique appartenant au champ des biens informationnels, la compréhension des
spécificités de l’économie de l’information dans un contexte de mise en réseau s’avère
12. ©
Francis
Paufique
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12
importante. Quatre caractéristiques économiques propres aux biens informationnels se
dégagent (Brousseau, 2001) :
-‐ leur non-excluabilité : de la même manière que les biens dits « publics » en matière
d’économie, il est très coûteux, voire impossible d’empêcher quelqu’un de consommer
ces biens informationnels une fois fournis (Rosen, 2004). De ce fait, le maintien du
bon déroulement des transactions marchandes de ces biens sur internet est délicat : les
producteurs tentent de limiter la diffusion légale par la création de « biens-clubs » aux
format propriétaire (Chantepie, op. cit.), tandis que le législateur essaie de juguler le
téléchargement des contenus en violation de la propriété intellectuelle.
-‐ leur non-rivalité, notion économique également empruntée aux biens publics : une fois
le bien produit, la consommation de ce bien par une personne supplémentaire ne
diminue pas la qualité de l’information qu’il contient. Du fait de ces deux
caractéristiques, même si la consommation du bien est théoriquement excluable, il ne
serait pas économiquement efficient d’empêcher autrui de consommer ce bien, dans la
mesure où cette consommation ne diminue pas l’utilité pour le consommateur initial.
-‐ les biens informationnels engendrent des « externalités positives » : ce sont les effets
de réseaux précédemment abordés, qui font que l’utilité de ces biens augmente avec
leur nombre d’utilisateurs.
-‐ enfin, la particularité de l’économie de l’information réside dans ses conditions de
production : il s’agit d’une économie de coûts fixes, concentrant l’essentiel des coûts
de production dans la fabrication du premier exemplaire. Cette « économie de
prototype » (Chantepie, op. cit.) a pour conséquence que le coût marginal de
fabrication d’une unité supplémentaire tend vers zéro une fois le premier exemplaire
produit.
Hormis la non-excluabilité, ces caractéristiques sont partagées par les services en réseau,
ceux-ci étant non-rivaux tant qu’ils ne sont pas saturés, les réseaux engendrant par nature des
externalités positives et possédant une structure de coûts fixes. Cette forte synergie entre
réseaux et biens informationnels explique le succès de plateformes de streaming comme
Spotify ou Deezer.
C. La musique, un bien d’expérience
La musique est un bien « d’expérience », au sens où on n’en connaît pas les qualités
intrinsèques avant de l’avoir consommée (Brousseau, op. cit.). Cette incertitude engendre
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Francis
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13
pour les acheteurs potentiels un risque antérieur à l’achat du bien qui diminue d’autant leur
disposition à payer. ce qui a pour effet de réduire mécaniquement l’offre de ces biens, le
surplus espéré avec la vente étant moindre pour le producteur. Ainsi une intervention des
pouvoirs publics s’avère nécessaire, par des mécanismes d’attribution de droits de propriété
ou par des subventions, pour assurer le bon fonctionnement du marché.
D. Numérique et propriété intellectuelle
La propriété intellectuelle est un objet central dans la révolution numérique, d’abord parce
que le numérique remet en question les fondements-mêmes du copyright. La propriété
intellectuelle constitue une catégorie assez récente, apparue à la fin des années 1960.
L’économie lui reconnaît dès lors deux fonctions essentielles : une fonction d’internalisation
et une fonction de marché. La première est apparue avec les travaux de Ronald Coase, qui a
vu un outil de substitution aux instruments traditionnels, en permettant la négociation entre
groupes d’intérêt (Coase, 1937). La propriété a également été pensée comme un monopole
temporaire d’exploitation d’une création, pour remplir une fonction d’incitation et d’échange
sur les marchés avalisée par le droit (Arrow, 1962). Or, le problème est que la numérisation
tend à opposer les biens informationnels à la propriété intellectuelle « en insérant les biens
culturels dans des chaînes d’innovation numériques complémentaires » (Bomsel, op. cit).
Ainsi, la dématérialisation actuelle libère l’information de son support et donc de du verrou de
la propriété intellectuelle, en l’absence d’un système numérique de gestion des droits qui soit
réellement adapté.
IV. La notion de valeur dans la musique
Il importe de circonscrire le marché de la musique enregistrée. Centré sur la
production phonographique avant l’arrivée du numérique, ce marché comprend les ventes
physiques, les ventes numériqes, et les droits voisins, soit les droits issus de la diffusion des
œuvres par exemple dans une discothèque. Il a totalisé 590 millions d’euros en France, en
recul de 4.4% par rapport à 2011 (SNEP, 2013).
Ce travail de recherche est en lien étroit avec la notion de valeur qu’à la musique pour le
consommateur. La notion économique de valeur recouvre deux acceptions au sens d’Adam
Smith : la valeur d’usage de la musique, qui est fonction de l’utilité que chacun retire de sa
consommation, et sa valeur d’échange, c’est à dire son prix ou sa valeur de marché déterminé
en majorité par le facteur travail et donc par ses coûts de production (Smith, 1776), le prix
final dépendant aussi d’un encadrement par les pouvoirs publics. Jusqu’à la révolution
numérique, la valeur d’échange de la musique enregistrée pouvait dans une certaine mesure
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Francis
Paufique
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s’analyser à la lumière de la doctrine des coûts, en raison de l’existence de certains coûts
variables comme les coûts de reproduction et les coûts de distribution. A contrario depuis le
déploiement du numérique, la dématérialisation des contenus et le déploiement des réseaux
numériques ont déconnecté la valeur d’échange de ces biens de leurs coûts, le coût marginal
de production d’une unité supplémentaire étant quasi-nul et les frais de distribution
disparaissant avec l’établissement des réseaux numériques subventionnés. Dès lors, en raison
de l’inertie des pouvoirs publics européens quant à la mise en adéquation de la propriété
intellectuelle avec la nouvelle économie, la valeur d’échange s’est effacée au profit de la
valeur d’usage.
V. Modèles économiques actuels
L’industrie musicale présente aujourd’hui une multitude de visages, qui sont autant de
modèles économiques nés de la révolution numérique. Cette myriade d’offres oblige à
catégoriser ces modèles économiques pour mieux comprendre la structuration actuelle de
l’industrie. Ce faisant, le concept de marché biface, ou « two-sided markets », apparaît alors
distinctement: le marché biface désigne « une plate-forme offrant un service d’intermédiation
à deux types distincts de clientèle » (Bomsel, op. cit.) ; ces marchés, courants dans les
industries de contenu, sont le réceptacle d’externalités de réseau entre les deux populations
qui utilisent la plateforme. Aujourd’hui ce modèle est extrêmement populaire dans l’industrie
musicale, notamment pour le streaming et la vente digitale ; nous reviendrons ultérieurement.
D’après Neil Cartwright de l’agence de marketing digital Million, quatre modèles
économiques existent aujourd’hui et trois sont en position de dominer l’industrie musicale à
l’avenir (Cartwright, 2012) :
• le « free to consumer » : ces termes désignent les modèles économiques pour lesquels
l’annonceur paie pour le consommateur. On peut citer en exemple Youtube, ou les
versions gratuites de Deezer ou Grooveshark.
• la « souscription »: le consommateur paie pour avoir accès à des services
supplémentaires, tels une meilleure qualité audio ou un service de recommandation
musicale. Spotify premium, eMusic, ou encore le cloud computing, constituent des
exemples pertinents de ce modèle.
• le « direct to fans » : il s’agit pour les artistes et les labels de vendre leur musique en
ligne directement à leurs fans sans intermédiaire, comme le fait la plateforme
Bandcamp ou le label Clown and Sunsets.
15. ©
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• les plateformes de distribution digitale, telles iTunes ou Amazon : ce modèle
économique est semblable à la distribution physique qui préexistait au numérique,
mais concerne des œuvres musicales digitales.
Concernant le futur, Cartwright met cependant les plateformes de distribution digitale de
côté, ce modèle étant selon lui appelé à disparaître à moyen terme du fait du succès des
trois autres. Il est à noter une dernière catégorie, celle des netlabels, qui sont de petites
structures de production indépendantes distribuant en téléchargement légal les œuvres de
leurs artistes, en général via des systèmes de gestion des droits ouverts du type Creative
Commons ; le but pour ces artistes émergents est en effet de monétiser ultérieurement sur
d’autres sources de revenus, comme les concerts.
Cette classification peut être recoupée par l’utilisation d’un autre angle d’approche,
celui des marchés bifaces, en considérant les deux types de clientèle impliquées pour
chacun des modèles :
16. ©
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CLASSIFICATION EN FONCTION DU TYPE DE CLIENTÈLE
BUSINESS MODEL CLIENTÈLE A CLIENTÈLE B
OFFRELÉGALE
Plateforme de distribution
digitale
(ex : iTunes, Amazon)
Consommateur
Majors,
distributeurs,
labels
indépendants
Streaming par abonnement (ex:
Deezer premium, Qobuz
premium, Soundcloud)
Streaming avec publicité (ex:
Pandora, Youtube) Annonceur
Branded content
(ex : musique de défilé YSL)
Plateforme d’écoute et de
partage de musique
(ex: Soundcloud)
Artiste
autroproduit ou
producteur
Netlabels
(ex: Nowaki, Nostress)
Stockage dans le cloud
(ex : Apple, Soundcloud)
Plateforme de
stockage
OFFRE
ILÉGALE
Peer-to-peer
(ex: BitTorrent, Me.Ga)
Consommateur Annonceur
Il convient de remarquer que le téléchargement illégal ou peer-to-peer, phénomène
toujours d’actualité même s’il est en régression, répond aussi à cette classification des
marchés bifaces, avec des annonceurs qui financent pour la fourniture du service aux
consommateurs, comme le fait BitTorrent ou Me.ga.
Enfin, cette classification peut être encore repensée en utilisant un autre angle
d’approche, celui du type de consommation visé, selon s’il est gratuit ou payant, et s’il offre
soit la propriété de la musique soit un simple accès, pour chaque modèle :
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Francis
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CLASSIFICATION EN FONCTION DU TYPE DE CONSOMMATION
BUSINESS MODEL GRATUIT PAYANT PROPRIÉTÉ ACCÈS
OFFRELÉGALE
Plateforme de
distribution digitale
(ex : iTunes, Amazon)
✓ ✓
Streaming par
abonnement (ex: Deezer
premium, Qobuz
premium, Soundcloud)
✓ ✓
Streaming avec publicité
(ex: Pandora, Youtube,
Deezer)
✓ ✓
Branded content
(ex : musique de défilé
YSL)
✓ ✓
Plateforme d’écoute et de
partage de musique
(ex: Soundcloud)
✓ ✓ ✓
Netlabels
(ex: Nowaki, Nostress)
✓ ✓
Stockage dans le cloud
(ex : Apple, Soundcloud)
✓ ✓ ✓
OFFRE
ILLÉGALE
Peer-to-peer
(ex: BitTorrent, Me.Ga)
✓ ✓
Cette classification appelle deux remarques : premièrement, on remarque que certains
acteurs cités en exemple se retrouvent dans plusieurs catégories, témoignant ainsi de la
richesse de l’offre. L’exemple le plus marquant est Souncloud, qui est le seul à proposer à à la
fois des services gratuits de streaming et de téléchargement légal ainsi que des services de
stockage payants. Enfin, il convient de noter qu’au sein d’une même offre, la propriété et
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l’accès à la musique peuvent être proposés selon les acteurs considérés : l’offre de cloud
d’Apple ou celle de Soundcloud va permettre un accès en ligne à des titres dont on a la
propriété.
VI. Musique et usages
A. Apports de la sociologie des usages
La compréhension des usages de consommation de la musique entre dans le champ de
la sociologie des usages : née dans les années 1980 de l’étude de la télématique avec le succès
du Minitel, cette discipline étudie les technologies de l’information et de la communication
(TIC) dans leurs phases d’adoption, de découverte, d’apprentissage et de banalisation (Jouët,
2000). D’abord limitée aux usages domestiques des TIC, elle s’est rapidement étendue à tous
les objets de communication et aux technologies numériques, aussi bien dans la sphère
professionnelle que domestique.
La sociologie des usages met en lumière le caractère dual de la médiation de la
technique et du social dans l’appropriation des TIC, chacun de ces éléments façonnant l’usage
dans un dialogue continu. Ainsi, la technique « guide » l’usage au sens téléologique du terme,
la matérialité des TIC façonnant les pratiques (Jouët, 1990). Cependant l’usage est d’abord un
construit social, il se fabrique à partir de pratiques antérieures et traduit en même temps une
évolution sociale : la sociologie des usages montre que les utilisateurs de TIC se les
approprient en vue de s’émanciper et de se sociabiliser, quitte à dépasser leur finalité
première, comme dans le cas du détournement du Minitel en outil de rencontres (Charon,
1987).
En raison de l’importance de son caractère social, la musique constitue à l’évidence un
terrain fertile pour l’expression des TIC. Il convient de décrypter les usages nés de cette
dynamique d’innovation au sein de la sphère musicale, pour appréhender pleinement l’impact
du numérique sur la consommation de musique.
B. Web 2.0 et expérience
La notion de sociologie des usages est fortement liée au concept anglo-saxon
d’audience active, la recherche ayant intégré dès les années 1960 l’impact de l’audience sur
les médias, tout autant que celui des médias sur leur audience. Ce changement de paradigme
trouve une illustration pertinente dans le passage au web 2.0.
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L’expression « web 2 .0 » née en 2004 désigne une étape clé dans l’évolution du web :
celui-ci offre désormais de nouveaux services et se caractérise par son interactivité, par
l’importation et la mise à jour de contenus, et par le travail colloboratif (Encyclopédie
Larousse, 2009). En comparaison avec l’étape précdente, le web devient dynamique : il
fonctionne de manière multisupports, facilite l’interaction entre les internautes via des outils
comme les blogs, les réseaux sociaux et le partage de fichiers en tous genres, et permet le
partage d’informations grâce aux flux RSS et aux tags (Grovekar, 2006).
Ces éléments théoriques indispensables à la définition du cadre conceptuel de ce
travail ayant été passés en revue, il convient à présent de quantifier les fondamentaux de
l’industrie musicale et l’ampleur du phénomène digital en matière de musique enregistrée.
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2. Analyse quantitative : l’écosystème de la musique
enregistrée
I. Marché mondial de la musique enregistrée
A. état des lieux du marché mondial
Le marché de la musique enregistrée est un marché sinistré, depuis l’irruption du
digital et le développement endémique du téléchargement illégal initié avec le site Napster au
début des années 2000 aux Etats-Unis. Durant la dernière décennie, l’industrie musicale a vu
sa valeur chuter de plus de moitié pour se stabiliser à 16,5 milliards de dollars US à fin 2012
d’après l’International Federation of the Phonographic Industry (IFPI, 2013), l’organisme
chargé de la protection mondiale des droits d’auteur pour l’industrie du disque. Dans son
dernier rapport annuel qui recense les analyses des 49 principaux marchés, l’IFPI a pourtant
annoncé une nouvelle de taille : l’industrie a en effet retrouvé le chemin de la croissance pour
la première fois depuis 13 ans, reprenant timidement 0,2% sur l’année 2012. La reprise du
marché se traduit par la hausse des revenus de 21 des pays du globe suivis par l’institut, la
hausse incluant 9 des 20 premiers marchés en valeur. Parmi les plus fortes croissances
annuelles, celle des marchés émergents comme l’Inde, le Brésil et le Mexique est
remarquable, avec des niveaux de croissance annuelle de respectivement 42%, 24% et 17%.
1. Sources de revenus de l’industrie du disque d’après l’IFPI
Pour établir les revenus de l’industrie dite « du disque » , l’IFPI consolide quatre
sources de revenus :
-‐ tout d’abord les ventes physiques (physical sales) qui rassemblent les ventes de
vidéos, d’albums ou de singles en CD ou en vinyles. Il convient de noter que, si ces
ventes s’effectuent le plus souvent dans un magasin physique, l’achat d’un support
musical en ligne existe toujours, même s’il est marginal aujourd’hui ;
-‐ ensuite les ventes numériques (digital revenues), qui se subdivisent elles-mêmes en
quatre catégories :
• le téléchargement légal par internet de titres, albums ou vidéos musicales, qui
s’effectue par l’intermédiaire de plateformes de distribution digitale comme
iTunes, Amazon ou Bandcamp, ou bien en BtoC sur les sites de labels
indépendants tels XL Recordings ou Clown & Sunset
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• les revenus tirés de la publicité dans les modèles de streaming gratuit. Le
streaming consiste à consommer un accès à du contenu musical en ligne via
une connexion réseau qui permet le chargement instantané du contenu. Le
streaming musical fonctionne sur un modèle dit freemium, c’est-à-dire
proposant par défaut une offre non payante associée à une exposition
obligatoire à de la publicité pour un accès limité au contenu, et une offre
premium payante illimitée plus complète et dénuée de publicité. Par ailleurs, le
streaming existe à la fois sous forme audio via des plateformes comme Deezer,
Pandora ou Spotify et sous forme vidéo, avec Youtube ou Vimeo
• les revenus tirés des abonnements pour la partie dite « premium » du
streaming. Ces abonnés paient un forfait fixe mensuel à la plateforme pour un
accès illimité aux contenus hébergés sans publicité et en disposant de
fonctionnalités améliorées comme le stockage dans le cache d’un terminal
mobile, pour un accès hors ligne à sa bibliothèque musicale. Ces abonnements
peuvent être jumelés à une offre de forfait mobile, comme pour Deezer avec
Orange, ou bien sont payés directement à la plateforme comme par exemple
pour Spotify premium
• le téléchargement légal sur téléphone mobile, albums, sonneries et vidéos
musicales
-‐ entrent également en ligne de compte les droits voisins (performance rights). Au sens
du code de la propriété intellectuelle, ce sont les droits moraux et patrimoniaux
reconnus en France à la fois aux aux artistes interprètes, aux producteurs de
phonogrammes, aux producteurs de vidéogrammes et aux entreprises de
communication audiovisuelle. Ces droits se matérialisent dès lors qu’il existe une
diffusion de la musique enregistrée hors du cercle familial. Cette diffusion peut se
faire en radio, en discothèque ou dans tout lieu public ; même si elle ne fait pas
l’unanimité au sein de la communauté internationale, cette notion répond à une
définition juridique précise dans chaque pays ; aux Etats-Unis, elle est entendue
comme le passage de musique « dans un endroit ouvert au public ou à tout endroit où
un nombre substantiel de personnes en dehors du cercle familial et de ses relations »
d’après l’American Society of Composers, Artists and Publishers ;
-‐ enfin, les licences de synchronisation : elles désignent les autorisations d’association
d’un contenu non libre de droits avec un média visuel (films, TV, jeux vidéos….).
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2. Evolution annuelle du marché mondial depuis 2011
Observons à présent l’évolution annuelle du marché mondial de la musique enregistrée
par type de revenus, à partir du schéma de la ventilation des revenus mondiaux 2012 de
l’industrie (cf. schéma 1). La première source de revenus pour l’industrie mondiale est celle
des ventes physiques. Elle contribue à hauteur de 57% aux revenus de l’industrie du disque.
Cependant, sous l’effet du désintérêt des consommateurs pour le support physique depuis
l’irruption du numérique, ce marché est en baisse constante depuis les années 2000. De 9,9
milliards de dollars US en 2011, le marché a encore reculé d’environ 5% l’année dernière
pour s’établir à 9,4 milliards de dollars en valeur à fin 2012.
Schéma 1. Ventilation des revenus annuels de l’industrie musicale
mondiale, en milliards de dollars US (source : rapports IFPI - 2013)
Il est important de noter aussi que la catégorie des ventes physiques est la seule
catégorie de revenus qui a accusé un recul sur l’année 2012, celle-ci nous l’avons vu étant
pourtant l’année de stabilisation du marché global. Ce recul dans un tel contexte confirme le
détachement toujours plus important du public à l’égard des supports physiques et notamment
du compact disc (CD), malgré les records de vente du format vinyle : en effet, aux dires du
Nielsen Company and Billboard’s 2012 music industry report (Nielsen, 2013), le marché
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américain, premier marché en valeur de l’industrie musicale, a connu une augmentation
record du nombre de vinyles vendus en 2012. Ce nombre est en augmentation croissante
depuis 2006, et a atteint un nouveau pic en 2012 avec un total d’unités vendues de 4,6
millions aux États-Unis (voir schéma 2), en augmentation annuelle de 17,7% entre 2011 et
2012. Nielsen relativise cependant ces chiffres, rappelant que ces ventes représentent à peine
1,4% des ventes d’albums, et 2,3% des ventes physiques d’albums sur ce marché.
!
Schéma 2. Evolution du nombre de ventes de vinyles aux USA depuis
1993 (source : Nielsen SoundScan - 2012)
La seconde source de revenus provient ensuite du digital. Avec 35% en valeur des
revenus totaux d’après les chiffres de l’IFPI, les ventes digitales ont connu une hausse
importante entre 2011 et 2012, passant de 5,4 millions à 5,8 millions de dollars US. Cette
hausse annuelle est donc d’environ 7% (voir schéma 3), ce qui place le digital au second rang
en terme de croissance annuelle après les droits de diffusion. D’après l’IFPI, cette hausse est
la résultante de la forte croissance à la fois du streaming mais aussi du téléchargement légal.
En effet, le segment du téléchargement légal, première source globale de revenus digitaux est
en augmentation de 11% depuis 2011 pour les ventes unitaires de titres et les téléchargements
d’albums. Quant au segment du streaming, il pèse désormais 20% des revenus du digital en
2012 en augmentation annuelle de 14%. Ce segment est particulièrement fort en Europe, où
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les revenus provenant des services de streaming ont atteint 31% en valeur des revenus
digitaux pour 2012.
Le digital, par son importance et sa croissance confirme donc son dynamisme en 2012,
atteignant ainsi plus du tiers du marché en valeur, 13 ans après l’apparition du digital dans
l’industrie. Même si cette part dans les revenus totaux est encore loin d’égaler celle des ventes
physiques, au vu des dynamiques actuelles de chacune des catégories, il semble plausible qu’à
horizon 2018 la majorité des revenus de l’industrie du disque provienne des ventes digitales et
non plus des ventes physiques.
La troisième source de revenus est celle des droits voisins, qui enregistrent la plus
forte progression annuelle avec 9% de croissance sur un an, pour venir s’établir à environ 940
millions de dollars US en 2012.
Enfin, la dernière catégorie de revenus est celle des droits de synchronisation, qui
progressent de 2% pour atteindre environ 340 millions de dollars US en 2012.
Schéma 3. Variation annuelle des revenus de l’industrie musicale
mondiale à fin 2012, en milliards de dollars US (source : rapports IFPI
2013)
3. Les principaux marchés musicaux
Le marché français est un marché important pour l’industrie musicale. L’Hexagone est
notamment le berceau de certains pionniers parmi les services digitaux, notamment Deezer,
lancé en 2006 dans le streaming ou encore Believe dans la distribution digitale.
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En comparant les 10 premiers marchés en valeur pour l’industrie musicale (voir
schéma 4), nous observons qu’en cumulé, ces 10 territoires rassemblent à eux seuls 85% de la
valeur totale de l’industrie ; de plus, 75% de la valeur totale de l’industrie est réalisée dans les
5 premiers territoires que sont les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la
France. iI s’agit donc d’un marché géographiquement très concentré.
La France s’établit comme le 5ème
marché en valeur de l’industrie du disque à fin 2012
d’après l’IFPI. Devant l’Hexagone figurent en premier le marché US, à égalité avec le marché
Japonais avec chacun 27% de parts de marché, puis le marché britannique avec 8% de parts
de marché tout comme l’Allemagne. Avec 6% de parts de marché en valeur, la France pèse
environ 900 millions de dollars US pour 2012 pour la musique enregistrée.
Schéma 4. Part relative des dix premiers pays dans la valeur globale
de l’industrie du disque en 2012 (source : rapports IFPI - 2013)
En s’intéressant aux évolutions du marché sur les cinq dernières années pour les États-
Unis, le Japon, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, apparaît un premier
phénomène notable : au total, l’ensemble des cinq principaux marché a accusé une perte en
valeur de 23% en moyenne depuis fin 2007 (voir schéma 5). Cependant, il existe une grande
disparité entre ces pays ; les Etats-Unis ont accusé une baisse cumulée record de -35% sur les
cinq dernière années. Le marché Français quant à lui a enregistré la seconde plus forte baisse,
à -24% sur les cinq dernières années, soit légèrement plus que la moyenne cumulée des cinq
premiers pays. Les marchés Japonais comme Britannique ont enregistré une baisse cumulée
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légèrement inférieure à la moyenne du top 5, autour de 20%. En comparaison, l’Allemagne
s’établit comme le moins baissier de ces cinq principaux marchés, avec une baisse cumulée de
15% depuis fin 2007.
Il convient de noter deux variations significatives pour l’année 2012 : il s’agit en effet
de la seule année durant laquelle les deux premiers marchés en valeur ont connu un
rétablissement, le marché US se stabilisant tandis que le marché Japonais à repris 4% sur cette
année. Par ailleurs il est notable qu’en 2012, les trois principaux marchés européens ont
encore reculé, la plus forte baisse étant celle du marché Britannique qui perd 6% sur l’année,
tandis que l’Allemagne perd 5% et la France 3 % d’après les chiffres de l’IFPI.
Schéma 5. Variation des revenus de l’industrie musicale sur les 5
principaux marchés depuis 2007 en base 100 (source : rapports IFPI -
2013)
B. Focus sur le digital
1. Part du digital dans les revenus totaux pour les principaux
marchés
Pour bien comprendre le marché français de la musique numérique, rappelons d’abord
ce qu’on entend par ventes numériques : quatre sources de revenus sont ainsi regroupées sous
cette notion ; d’abord, les services de téléchargement comme iTunes, puis les services dits de
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souscription (abonnement payant pour chaque usager) comme les comptes premium Deezer,
ensuite les services d’écoute de musique financés par la publicité, audio ou vidéo comme
Dailymotion, Spotify freemium ou Rdio, et enfin les téléchargements mobiles comme les
ventes de titres ou les sonneries pour mobile. Il convient d’étudier la part du numérique en
valeur dans les ventes totales pour les principaux marchés (voir schéma 6). On note d’abord
une grande disparité dans ce top 5 au regard de la moyenne mondiale pour cette variable, qui
est à 35% en 2012. L’ordre établi en valeur est bousculé pour ce qui est des ventes
numériques même si le marché US garde aussi la tête de cette comparaison, avec 63% de ses
ventes provenant du numérique ; le Royaume-Uni s’établit à la 2ème
place avec 45% de ventes
digitales. La France, même si elle est en dessous de la moyenne mondiale, est devant
l’Allemagne et le Japon avec 25% de ses ventes issues du digital en 2012 , contre 20% pour le
marché Allemand et 18% pour le Japon.
Schéma 6. Part des ventes numériques en 2012 pour les 5 principaux
marchés par ordre décroissant (source : rapports IFPI - 2013)
2. Comportements du consommateur digital
Dans une étude de l’institut Ipsos mediaCT parue en février 2013 (Ipsos MediaCT,
2013), le comportement du consommateur de musique digitale a été analysé sous divers
angles pour 9 pays-clés, contribuant au total à hauteur de 80% des revenus de l’industrie aux
dires de l’IFPI. Cette étude analyse notamment les taux de pénétration des services légaux sur
ces marchés (voir schéma 7). À la lecture de ces données, ce qui impressionne en premier
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lieu, c’est l’importance des taux d’utilisation chez les 16-64 ans, importance encore accentuée
dans la tranche d’âge la plus connectée, celle des 16-24 ans. Ainsi l’étude révèle qu’en
moyenne 62% des internautes ont utilisé un service légal de téléchargement récemment ; en
France, ce taux monte à 81% pour les 16-24 ans.
Schéma 7. Part d’utilisateurs de services légaux dans les 6 derniers
mois par tranche d’âge sur un ensemble de marchés représentant 80%
de l’industrie en valeur (source : Ipsos Media CT, IFPI - 2013)
Mais quel est le taux de reconnaissance des services reconnus comme les plus
populaires sur ces marchés-clés ? L’étude montre ainsi le taux de reconnaissance pour 6
services-phares (voir schéma 8) : Youtube est le plus connu des services légaux avec 9
personnes interrogées sur 10 déclarant connaître ce service, puis iTunes avec un taux de
reconnaissance de 70% suivi de près par son concurrent Amazon avec 68%. Vient ensuite
Spotify avec 56%, puis Vevo, service HD qui génère 4 milliards de vidéos vues sur Youtube
par mois avec 33% de taux de reconnaissance et enfin Deezer à 31%. Il est à noter que ces
taux sont éminement plus élevés sur les marchés qui ont vu naître ces services: ainsi iTunes
atteint 84% de reconnaissance aux Etats-Unis, Spotify 96% en Suède et Deezer 85% en
France.
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Schéma 8. Taux de reconnaissance des principaux services sur un
ensemble de marchés représentant 80% de l’industrie en valeur
(source : Ipsos Media CT, IFPI - 2013)
Si l’on s’intéresse à la répartition des usages entre les deux services plébiscités que
sont le streaming et le téléchargement, l’étude Ipsos fournit un éclairage intéressant (voir
schéma 9). On constate d’abord une grande disparité sur ces marchés-clés ; ainsi les Suédois
utilisent en moyenne 5 fois plus le streaming que le téléchargement quand les Allemands
téléchargent deux fois plus qu’ils n’écoutent de musique en streaming. La France, pays de
création de Deezer, voit sa part d’utilisateurs de streaming bondir à 36% alors que les services
de téléchargement ne touchent que 10% des internautes interrogés. En moyenne sur ces 9
pays considérés, l’étude révèle un taux d’utilisation équivalent pour ces deux types d’offres, à
19% pour les services d’accès au streaming – dits de souscription – et 22% pour le
téléchargement.
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Schéma 9. Usages du streaming et du téléchargement sur un ensemble
de marchés représentant 80% de l’industrie en valeur (source : Ipsos
Media CT, IFPI - 2013)
3. Paysage compétitif de l’offre de streaming
Qu’en est-il des revenus générés par les offres streaming, et où se situe la France à
l’échelle internationale ? Pour ce type d’offre, nous disposons des données sur un ensemble
de 10 pays, comprenant le Top 5 mentionné plus haut ainsi que la Norvège, la Suède, la Corée
du Sud et le Brésil. Le revenu généré par habitant pour chaque pays considéré en 2012 pour
l’ensemble des offres de streaming (voir schéma 10) fournit des données intéressantes : à la
lecture de ce graphe apparaît une moyenne de 2,98$ par habitant en 2012 sur l’ensemble des
pays considérés.
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Schéma 10. Revenus du streaming par habitant en 2012 pour un
échantillon de pays (source : rapports IFPI - 2013)
Il est clair que les pays européens nordiques ocupent le devant de la scène en termes de
streaming : la Norvège arrive en tête suivie de près par la Suède, pays d’origine de Spotify,
les deux à 10$/habitant/an, puis vient le Danemark, avec 3,45$/habitant/an. La France est
dans un mouchoir de poche autour de 1,30$/habitant/an derrière le Royaume Uni et devant la
Corée du Sud puis les Etats-Unis ; fait remarquable, ces derniers ne génèrent que peu de
revenus avec le streaming relativement à leur position dominante sur la musique,
spécialement sur le segment digital. Enfin l’Allemagne, le Brésil et le Japon complètent ce
tableau avec des revenus entre 0 ,11$ et 0,33$ par an et par habitant.
En ce qui concerne les taux de croissance annuels des revenus du streaming pour les
pays considérés en 2012 (voir schéma 11) , on retrouve cette très forte dynamique des pays
nordiques en Europe, le Danemark, la Suède et la Norvège connaissant des taux de 60-70%,
cependant dépassés par le Japon avec 75% de croissance entre 2011 et 2012. La France est
largement en dessous en matière de croissance annuelle, enregistrant un taux de 31% entre
2011 et 2012 ; à l’inverse l’offre évolue vite aux Etats-Unis, à 60% de croissance annuelle sur
2012.
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Schéma 11. Taux de croissance annuel des revenus du streaming en
2012 pour un échantillon de pays (source : rapports IFPI - 2013)
Enfin, il est possible d’analyser la répartition des revenus issus du streaming entre les
comptes utilisateurs gratuits financés par la publicité et les abonnements payants (schéma 12).
Cette approche souligne également la particularité du Japon, dont le marché du streaming est
exclusivement composé d’abonnements payants. La Suède, le Brésil et le Danemark sont
parmi les principaux pays qui tirent leurs revenus de façon très majoritaire des abonnements,
tandis que la Norvège et les états Unis ont un mix publicité-abonnement plus équilibré. La
France aussi possède un mix relativement équilibré, tout en tirant une majorité de ses revenus
des abonnements, à 68%.
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Schéma 12. Ventilation des revenus du streaming en 2012 pour un
échantillon de pays (source : rapports IFPI - 2013)
II. Le marché français de la musique enregistrée
A. état des lieux du marché français
Le marché français fait l’objet d’une analyse détaillée annuellement par le Syndicat
National de l’Édition Phonographique (SNEP). Les données qui suivent sont extraites des
derniers rapports du SNEP sur le marché français de la musique enregistrée (SNEP, 2013). En
premier lieu, il s’agit d’analyser l’évolution annuelle des revenus du marché français (voir
schéma 13). De 617 millions d’euros fin 2011, le marché français a reculé, perdant 27,5
millions d’euros en 2012 pour venir s’établir à 590 millions d’euros en 2012 en valeur .T.
nette de remis et retours.
Cette valeur ne trouve pas de correspondance exacte avec celles communiquées par
l’IFPI. Ceci peut être attribué soit à l’absence de prise en compte des taxes dans les chiffres
du SNEP, ou bien aux effets de change entre l’euro et le dollar, ou encore à la définition du
périmètre de consolidation des revenus de l’industrie différentes, le SNEP ne prenant pas en
compte les droits de synchronisation par exemple. Pour la suite de ce travail, nous nous
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appuyerons sur les chiffres du SNEP pour le marché français, partant du postulat qu’ils sont
les plus précis.
Schéma 13. Revenus du marché français de la musique enregistrée en
2011 et 2012 (source : rapports SNEP - 2013)
Ainsi d’après les derniers rapports du SNEP, le marché français à reculé de 4,4% en
2012, essentiellement à cause de l’effrondrement continu du marché physique, qui chute de
412 millions d’euros à fin 2011 et 364 millions d’euros fin 2012, baisse qui n’est pas
totalement compensée par les hausse à la fois des ventes numériques et des ventes physiques.
Pour établir les revenus de l’industrie dite « du disque » , le SNEP consolide trois
sources de revenus :
-‐ les ventes physiques, qui comprennent les ventes de singles, d’albums, de vidéos et
autres sur un support matériel ;
-‐ les ventes numériques qui comprennent 4 catégories :
• tout d’abord le téléchargement, à savoir les ventes digitales de titres, albums vidéos
musicales et autres sur les sites internet français :
• ensuite, le segment de la téléphonie mobile, qui comprend la vente de sonneries, de
titres, de vidéos musicales et autres sur les terminaux reliés aux réseaux de
téléphonie mobile français
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• également les revenus des abonnements venant des offes de streaming payantes ;
celles-ci sont à la fois des abonnements internet, et spécificité française, des
abonnements mobiles contenus dans un forfait. Deezer a conclu un partenariat avec
Orange, renouvelé pour trois ans en 2012, qui lui permet de jumeler son offre de
services avec des forfaits de téléphonie ou des forfaits internet.
• Enfin, les revenus du streaming financés par la publicité ;
-‐ les droits voisins, qui sont comme nous l’avons expliqué dans le cas de l’IFPI les
droits moraux et patrimoniaux reconnus en France à la fois aux aux artistes interprètes,
aux producteurs de phonogrammes, aux producteurs de vidéogrammes et aux
entreprises de communication audiovisuelle. Ils se matérialisent dès lors qu’il existe
une diffusion de la musique enregistrée hors du cercle familial.
Si l’on observe ces parts respectives et ces évolutions en pourcentage (cf. schéma 14),
on s’aperçoit tout d’abord que la baisse des ventes physique de 11,9% sur 2012 est quasiment
trois fois plus forte que la baisse globale du marché français. À l’inverse, les ventes
numériques ont extrêmement bien progressé, augmentant de 13% en 2012, les droits voisins
progressant eux de 7,4% pour cette année. En proportions respectives, les ventes physiques
représentent toujours la majorité des revenus de la musique enregistrée, à 62%, les ventes
numériques n’atteignant que 21% du total, et les droits voisins un modeste 17%. Si l’on
compare ces proportions à celles du marché mondial tel que présenté par l’IFPI, on note que
les ventes physiques sont au dessus de la moyenne mondiale, qui se situent à 57%, et de
même pour les droits voisins, à 6% au global. En revanche les ventes numériques sont moins
importantes proportionnellement qu’au global où elles pèsent 35% de l’industrie.
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Schéma 14. Évolution annuelle et parts respectives des sources de
revenus en 2012 pour le marché français de la musique enregistrée
(source : rapports SNEP - 2013)
En répétant l’analyse avec un focus sur la partie numérique du marché (voir schéma
15), on observe différentes dynamiques. En valeur, le téléchargement reste la première source
de revenus digitaux, générant 50% des 125 millions d’euros de revenus numériques, suivi par
le téléchargement qui atteint 42% du total, à 52,5 millions d’euros en 2012, en regroupant
l’offre d’abonnement et l’offre financée par la publicité. Enfin la catégorie du mobile est
largement minoritaire, comptant pour seulement 8% du segment digital en valeur. Il convient
de noter que la forte croissance de ce segment est inégalement répartie : catégorie la plus
dynamique, le streaming a augmenté de 36,7% en un an pour l’abonnement et de 23% pour
l’offre gratuite, portant la hausse annuelle totale du streaming à 32%. En revanche le
téléchargement a moins fortement progressé, enregistrant une hausse anuelle de 12%, et le
mobile a lui fortement reculé, perdant 34% en valeur sur 2012, ce qui semble confirmer le
recul notamment du marché des sonneries.
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Schéma 15. Évolution annuelle et parts respectives des sources de
revenus pour le marché français digital de la musique enregistrée en
2012 (source : rapports SNEP - 2013)
Nous l’avons vu avec l’analyse précédente, le marché français est un marché dans
lequel les dynamiques évoluent à l’avantage du streaming. Cette tendance se confirme par
l’analyse comparée du poids des services de streaming dans le Top 5 des marchés musicaux,
auxquels on adjoint la Suède, marché dans lequel le streaming a toujours été ultra-dominant
(voir schéma 16).
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Schéma 16. Part du streaming dans les revenus digitaux au 1er
semestre
2012 par pays (source : rapports SNEP - 2013)
La constatation est sans appel : sur la base des données du 1er
semestre 2012, avec 39% de
ses revenus digitaux issus des streams la France est en 2012 le deuxième pays du streaming,
après la Suède qui en tire 89% de ses revenus numériques. Suivent loin derrière le Royaume-
Uni, les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon, avec respectivement 15%, 12% , 11% et 1% de
leurs revenus digitaux issus du streaming. La paternité des deux modèles de streaming audio
aujourd’hui leaders du secteur, Deezer et Spotify, semble donc être un facteur-clé pour les
pays sources de ces services : l’éducation des consommateurs n’en est que plus rapide et
facile. Il convient de noter que la proportion 2012 pour la France est même plus forte, avec
42% des revenus digitaux provenant du streaming d’après le SNEP en 2013.
Cet appétit du public français pour les services numériques de musique est même
chiffré par le SNEP à partir de données IPSOS/IFPI, pour trois services phares en France, que
sont Youtube, le service de streaming vidéo, iTunes, le service de téléchargement et Deezer,
le service de streaming audio :
-‐ en France Youtube est le premier service en ligne plébiscité par les internautes avec 29
millions de visites mensuelles en octobre 2012, soit une augmentation annuelle de
34% ;
-‐ suit en valeur iTunes, la plateforme enregistrant 7 millions de visites mensuelles en
octobre 2012, en augmentation annuelle de 7% ;
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-‐ enfin la plateforme Deezer a cumulé 5 millions de visites mensuelles en octobre
dernier, ce qui représente une augmentation de 26% par rapport à octobre 2011.
B. Pratiques culturelles des Français en matière de musique
Les modes de consommation de musique sont l’objet d’une grande variabilité, liée à
l’évolution continue des supports musicaux. L’industrie de la musique enregistrée s’est
développée tout d’abord avec l’apparition de l’enregistrement sur cylindre lu sur un
phonographe à la fin du XIXème
siècle, puis du disque microsillon breveté dans les années
1950, puis de la cassette audio apparue en 1963, avant l’arrivée du Compact Disc (CD) en
1982. La dématérialisation de la musique grâce au format mp3, popularisé dès 1999 avec le
téléchargement illégal, viendra rompre une nouvelle fois avec les usages établis.
Dans le but de suivre l’évolution de ces usages en France, depuis les années 1970 le
Département d’Études, de Prospective et des Statistiques (DEPS) du Ministère de la Culture
publie à un rythme décennal une enquête sur les pratiques culturelles des français. La dernière
en date, parue en 2009 sous la direction d’Olivier Donnat, analyse les pratiques culturelles
entre 1997 et 2008 et inclut pour la première fois la dimension numérique dans son champ de
recherches (Donnat, 2009).
1. Utilisation d’Internet par la population française
En premier lieu, cette enquête inédite prend en compte internet et ses usages pour la
première fois (voir schéma 17). Malgré le caractère déjà ancien de ces données au vu de la
vitesse de pénétration de cette technologie, nous pouvons en tirer certaines conclusions.
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Schéma 17. Utilisation d’internet à des fins personnelles selon l’âge
(source : Pratiques culturelles 2008, DEPS, Ministère de la Culture et de
la Communication - 2009)
À la lecture du graphe, on aperçoit nettement trois phénomènes : d’abord, l’intuitive
corrélation inverse entre l’âge et le pourcentage d’utilisation d’internet se vérifie : 91% des
15-19 ans ont utilisé internet au cours du dernier mois, et cette proportion décroît
systématiquement avec l’âge des sondés, jusqu’aux 75 ans qui ne sont que 7% à en avoir fait
autant ; ensuite, la constance du taux d’utilisation quasi-quotidien qui est autour de 57% dans
trois classes d’âge, de 15 à 34 ans. Sans surprise, le taux d’utilisation quasi-quotidienne
décroît ensuite avec l’âge des sondés. Enfin, les utilisateurs d’internet sont une majorité à
utiliser quotidiennement ou quasi-quotidiennement cet outil, ce toutes classes d’âge
confondues. Ainsi déjà en 2008, nous observons qu’après une décennie internet est donc
massivement utilisé par un public français jeune, et ses utilisateurs en font une utilisation en
majorité quasi-quotidienne, tous âges confondus.
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2. Analyse de l’écoute de musique en France
a) Un volume hebdomadaire d’écoute en augmentation entre
1997 et 2008
D’après Olivier Donnat, davantage de français écoutent de la musique en 2008 qu’11
ans auparavant: en effet cette proportion est passée de 27% en 1997 à 34% en 2008. D’après
l’enquête du Ministère de la Culture et de la Communication, entre 1997 et 2008, les chiffres
de progression d’écoute quotidienne ou quasi-quotidienne de musique hors radio ont
progressé pour toutes les classes d’âge, les hausses les plus fortes se situant chez les 15-35
ans. L’enquête évalue la progression d’écoute quotidienne ou quasi-quotidienne de musique
hors radio de 59% à 70% pour les 15-24 ans, de 42% à 53% pour les 25-34 ans , de 28 à 40%
pour les 35-44 ans, de 15% à 23% pour les 45-54 ans, de 8% à 15% pour les 55-64 ans et de
4% à 10% pour les 65 ans et plus.
Le DPES impute ce regain d’intérêt à la fois au « boom musical », mais aussi au
développement des nouvelles technologies qui démultiplient l’accessibilité et les possibilités
d’écoute de la musique.
Ce boom musical consiste en un regain d’écoute de musique né dans l’effervescence
musicale des années 1970 chez les jeunes générations d’alors et maintenu depuis, les jeunes
générations ayant tendance à conserver leurs niveaux d’écoute avec leur avancée en âge, ce
qui génère des phénomènes de propagation au sein des classes d’âge. Ce phénomène se vérfie
par l’observation de taux d’écoute équivalents entre une classe d’âge en 1997 et la classe qui
suit immédiatement 11 ans après.
Par ailleurs, la génération actuelle de digital natives écoute la musique à des niveaux
encore supérieurs aux générations précédentes à leur âge. L’enquête souligne au passage le
rôle central des innovations technologiques dans ce regain d’écoute :
« En favorisant le développement de nouvelles manières d’écouter de la musique et de
s’informer, les innovations technologiques de la dernière décennie ont donc amplifié les effets
du boom musical à l’œuvre depuis les années 1970, mais ont aussi probablement participé à
une certaine prise de distance à l’égard de la radio, chez les jeunes notamment. »
Pratiques culturelles des français à l’ère numérique – Enquête 2008
b) Importance de la radio dans l’écoute de musique
L’enquête souligne donc aussi que cette augmentation d’écoute de la musique masque
une baisse notable : celle de l’écoute de la radio traditionnelle, qu’elle soit analogique ou en
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ligne, ce toutes classes d’âges confondues hormis chez les 65 ans et plus. Ainsi, même si plus
de deux français sur trois utilisent quasi-quotidiennement la radio, ils l’écoutent environ deux
heures de moins par semaine (cf. schéma 18). Ce phénomène est particulièrement marqué
chez les 15-34 ans et chez les 45-64 ans. Seuls les 35-44 ans subissent une baisse moins
sévère de leur durée d’écoute quotidienne. D’après l’enquête du DEPS, la durée moyenne
d’écoute hebdomadaire de radio est passée de 19h pour les femmes et 16h pour les hommes
en 1997 à 15h pour les hommes et les femmes en 2008.
Schéma 18. Écoute de la radio selon l’âge (source : Pratiques
culturelles 2008, DEPS, Ministère de la Culture et de la Communication
- 2009)
3. Terminaux mobiles: quelles tendances de fond, quels
impacts ?
Les évolutions technologiques, emmenées en premier lieu par Apple, ont changé la
donne en matière de consommation de musique numérique : le succès de la firme de
Cupertino réside en partie dans le fait d’avoir toujours misé sur plus de portabilité, avec son
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baladeur numérique iPod en 2001, son téléphone multifonctions iPhone en 2007, ses tablettes
tactiles en 2010 ; innovations que ses concurrents n’ont eu de cesse d’imiter ou de devancer.
Cette évolution n’est semble-t-il pas différente de l’engouement qu’à rencontré le baladeur
walkman de Sony suite à l’apparition du format cassette, permettant de rendre l’écoute de
musique mobile. Mais quel est l’importance de ce phénomène aujourd’hui, en particulier en
France ? Cet effort de rééquipement se fait-il au détriment de la consomation de contenus, en
particulier de contenus musicaux ? Il convient donc d’analyser les taux d’adoption de ces
outils technologiques aujourd’hui utilisés pour écouter de la musique.
a) Le cas des smartphones, ou téléphones multifonctions
Dans la mesure où l’on s’intéresse à la portabilité, impossible de faire l’impasse sur la
catégorie des smartphones. Apparus dans les années 2000 et popularisés avec l’iPhone, ces
outils permettent d’effectuer en simultané de nombreuses tâches, au rang desquelles écouter
de la musique et la partager sur les réseaux sociaux. Cette écoute peut se faire à la fois via des
fonctions internes au téléphone qui fonctionne alors en mode baladeur, ou par le biais
d’applications de services connectés, notamment le streaming. Mais quelle est l’importance
réelle du phénomène smartphones, à la fois au global et dans l’Hexagone ?
Une étude d’Euromonitor parue en septembre 2012 estime à 700 millions le nombre
d’unités vendues annuellement dans le monde pour 2012, soit environ 42% du nombre de
téléphones vendus dans le monde cette année (Euromonitor, 2012). L’institut prévoit que le
nombre de téléphones mobiles vendus d’ici à 2016 atteindra 1,8 milliards d’unités en 2016,
ces volumes de ventes étant constitués à 80% de smartphones, soit 1,4 milliards d’unités
vendues en 2016 . Cela représente un doublement du nombre de smartphones vendus dans le
monde. Même si la majorité de cette croissance sera captée par l’Asie, ces chiffres augurent
de l’importance de la portabilité de la musique pour le consommateur dans les prochaines
années.
Quant à la situation dans l’Hexagone, d’après l’étude Telecom du cabinet Deloitte
parue en septembre 2012 (Deloitte, 2012), 41% des français en possèdent déjà et 26% des
personnes interrogées projettent d’en acheter un d’ici un an. Cette proportion est
impressionnante, cinq ans apès l’arrivée de ces téléphones sur le marché. Seuls 10% des
interwievés prévoient d’acheter un téléphone mobile classique. En termes d’usage, l’étude
relève que 36% des personnes interrogées se servent de leur portable pour écouter de la
musique, et 22% d’entre eux ont souscrit à des services de musique en ligne. 36% des
propriétaires de téléphone mobile ont choisi une offre « au forfait », c’est à dire à prix fixe
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pour un accès illimité aux services mobiles proposés par les opérateurs plutôt qu’une
facturation à la consommation.
Le taux d’équipement en smartphones varie fortement selon l’âge (voir schéma 19),
selon l’étude de juin 2012 du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation
des conditions de vie) co-réalisée avec l’ARCEP (Autorité de régulation des comunications
électroniques et des postes) sur la diffusion des Technologies de l’Information et de la
Communication en France (CREDOC, 2012). Le détail de ces données montre un fort taux
d’équipement moyen en téléphonie mobile pour la population française, atteignant 88% au
global en juin 2012. L’étude montre également que la détention d’un smartphone est corrélée
aux diplômes et au niveau de revenus des sondés. Il convient de remarquer dans les données
présentées ci-dessous que la proportion de personnes disposant d’un smartphone est
majoritaire parmi les propriétaires de téléphone mobile chez les 12-17 ans et chez les 18-24
ans : la génération dite des « digital natives » est donc bel et bien connectée sur terminal
mobile aujourd’hui.
Schéma 19. Équipement en téléphone mobile selon l’âge
(source CREDOC/ARCEP/CGIET - 2012)
b) Le cas des tablettes tactiles
En termes de taux d’équipement en France, les tablettes constituent le nouvel eldorado
des équipementiers. C’est - nous l’avons souligné au préalable - Apple qui a lancé le marché
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en 2010 ; donnée notable désormais, dans le mix de produits vendus par Apple sur le segment
ordinateur de maison – ordinateur portable – tablette, ce dernier produit est devenu ultra-
majoritaire dès 2011 d’après Euromonitor. Les tablettes constituent donc un moyen de
relancer la consommation d’équipements électroniques, avec l’arrivée à maturité du marché
des ordinateurs, sans pour autant cannibaliser les smartphones ; selon Deloitte, 56% des
français utilisent leur smartphone autant qu’avant l’achat d’une tablette et 19% l’utilisent
encore plus.
D’après le CREDOC, la proportion de détenteurs d’une tablette tactile a été multipliée
par deux en un an pour atteindre 8% (cf. schéma 20). L’analyse de l’accroissement du taux
d’équipement en tablettes tactiles en fonction de l’âge, des revenus, de l’éducation et du lieu
d’habitation montrent un plus fort taux d’adoption chez les jeunes, diplômés du supérieurs et
cadres supérieurs habitant en région parisienne. Élément d’importance, l’accroissement du
taux d’équipement en 2012 a systématiquement au moins doublé selon ces paramètres, hormis
en région parisienne. De plus, l’inondation du marché par les tablettes premier prix et les
première hybridations sous forme de PC doté d’un écran amovible jouant le rôle d’une
tablette tactile augurent de taux de pénétration encore plus élevés à l’avenir.
Schéma 20. Accroissement de l’équipement en tablettes tactiles selon
l’âge et les catégories socio-professionnelles
(source CREDOC/ARCEP/CGIET - 2012)
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c) Accessibilité aux réseaux
Ainsi, la portabilité des outils d’écoute de musique va croissant en France en raison de
l’adoption massive des smartphones et progressive des tablettes tactiles. Cette portablité
signifie un plus grand accès au réseau mobile, pour les terminaux disposant d’une offre
mobile. Mais aussi d’un plus grand accès à internet, élément systématique désormais quelque
soit l’offre de produits. D’après l’étude précitée du CREDOC, désormais 4 français sur 5
utilisent internet. Parmi ces utilisateurs toujours plus nombreux d’internet, 29% utilisent leur
smartphone pour naviguer sur Internet, contre 21% en 2011. Or dans le même temps seuls
20% utilisent leur ordinateur portable ou une tablette pour se connecter en dehors de leur
domicile. Ici apparaît donc une nette prédominance du mobile dans l’accès nomade à internet,
au détriment de l’ordinateur portable ; pour les tablettes, il est difficile de conclure quoi que
ce soit dans la mesure où il s’agit d’un marché en pleine croissance.
Enfin dernier point d’importance, selon le CREDOC 42% des français sont présents
sur les réseaux sociaux, présence semble-t-il renforcée par l’accroissement du taux
d’équipements nomades disposant d’une connectivité en constante amélioration ; ainsi
Deloitte soulogne dans son étude que 57% des frnaçais utilisent leur téléphone portable pour
aller sur les réseaux sociaux lorsqu’ils disposent d’une connexion internet.
d) Arbitrages budgétaires entre équipements et contenus
Nous assistons aujourd’hui à une situation inédite où ce n’est plus tant la musique qui
coûte cher au consommateur que les outils technologiques qui permettent de la lire. C’est ce
que montre l’étude GfK qui fait le bilan des choix de consommateurs en matières d’industries
de contenus en 2012 en France (GfK, 2013). L’institut observe l’apparition d’un phénomène
d’arbitrage budgétaire obligé pour un nombre non négligeable de consommateurs français en
2012, renforcé pour la musique enregistrée par la disponibilité de contenus musicaux et de
vidéos non payantes sur internet : ainsi des arbitrages sont actuellements faits en faveur des
équipements technologiques, au détriment de l’achat de contenus musicaux. L’institut par la
voix de son directeur des marchés entertainment, Laurent Donzel, rapporte les résultats d’une
enquête auprès d’acheteurs de tablettes français en 2012 : interrogés sur la raison de leur
baisse d’achats de contenus. Les sondés sont 23% à pointer du doigt le coût d’achat de leur
tablette ; seuls 28% des personnes interrogées considèrent que l’achat de leur tablette en 2012
n’a eu aucun incidence sur leur consommations de biens de contenu. De même d’après GfK,
37% des français ont déclaré à l’institut que leur tablette leur permettait d’accéder à de plus en
plus de contenus « gratuits »
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III. Conclusion
Pour la première fois depuis treize ans, l’industrie mondiale de la musique enregistrée
vient de se redresser fin 2012 : grâce à la hausse des revenus du digital et à la croissance d’un
nombre de marchés toujours plus grand, elle a repris 0,2% près avoir perdu quasiment les
deux tiers de sa valeur, malgré la baisse continue des ventes physiques. Dans ce contexte, le
marché français a perdu 4% en valeur en 2012. Hormis le segment physique, toutes ses
sources de revenus sont cependant en hausse en 2012, notamment le digital et le streaming
qui connaissent des taux de croissance annuelle à deux chiffres, ce qui permet d’envisager une
amélioration voire une reprise à moyen terme pour l’Hexagone.
Sur le digital, nous obervons de forts taux de pénétration des services légaux au global,
surtout parmi les classes d’âge les plus jeunes ; ceci est associé à une bonne connaissance de
l’existence des principales plateformes d’offre par les consommateurs. Ensuite, la forte
disparité des usages sur le streaming est notable; ce mode de consommation connaît des
niveaux croissance élevés dans les pays initiateurs des services et dans les principaux
marchés. Usages qui peuvent être en concurrence avec l’offre légale de téléchargement,
comme en France où les dynamiques de marché laissent penser que les revenus du streaming
vont bientôt dépasser ceux du téléchargement, inversant le rapport de force sur le segment
numérique de la musique enregistrée.
En matière de pratiques culturelles, les français tous âges confondus écoutent
davantage de musique au fil des années, alors-même que leurs niveaux d’écoute de radio
diminuent. Cet accès à la musique se fait de plus en plus de façon mobile, avec la forte
progression des smartphones et l’arrivée des tablettes tactiles, particulièrement chez les 12-39
ans. Revers de la médaille, la fréquence et l’importance des efforts de rééquipement à
consentir obligent les consommateurs à des arbitrages budgétaires, en général au détriment
des contenus musicaux.
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3. Analyse qualitative : entretiens avec des
professionnels de l’industrie
I. Contexte
A. Entretiens qualitatifs
Dans le but de confronter les données précédemment décrites sur l’industrie musicale,
quatre entretiens semi-directifs avec des professionnels et des dirigeants dans la musique
enregistrée ont été menés. Afin de conserver une cohérence à la fois par rapport à la diversité
de l’industrie ainsi qu’au regard du poids de chacun des usages, le choix des entreprises s’est
porté sur les acteurs suivants :
-‐ Deezer, plateforme française de streaming en pleine expansion internationale et au
cœur des nouveaux enjeux du marché de la musique ;
-‐ EMI, une des quatre majors de l’industrie du disque, acteur majeur de la production
musicale, aujourd’hui sous la houlette d’Universal ;
-‐ Believe Digital, premier acteur européen de distribution et services numériques aux
artistes et labels indépendants ;
-‐ la startup Bopler, une plateforme de développement de jeux mobile et sociaux
associant la musique enregistrée au cœur de l’expérience de jeu ;
B. Présentation des entreprises
1. Deezer
Deezer est une entreprise française de streaming fondée en 2007 par Daniel Marhely,
qui propose un service d’écoute à la demande de musique sur une plateforme accessible
depuis un ordinateur portable, une tablette tactile ou un smartphone, par le biais d’un site web
ou d’une application. 2ème
streamer mondial, la plateforme est utilisée dans 182 pays par 26
millions d’utilisateurs, qui ont accès à un catalogue musical d’environ 20 millions de titres. La
plateforme compte environ 3 millions d’utilisateur payants et 8 à 9 millions d’utilisateurs
actifs début 2013. Deezer n’est pas présent aux Etats-Unis et au Japon pour des raisons
stratégiques, ni dans certains pays comme le Soudan ou l’Iran pour des raisons politiques liées
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à son actionnariat. Son principal concurrent est suédois : Spotify est la première plateforme
du marché avec environ 6 millions d’utilisateurs payants en mars 2013, et une implantation
historique dans les pays du nord de l’Europe et aux Etats-Unis.
Les utilisateurs du service de Deezer ont le choix entre trois types d’offres (voir
annexe 1):
-‐ l’offre free, financée par la publicité. Gratuite pour le consommateur, son utilisation
est également limitée.
-‐ L’offre d’abonnement premium à 4,99€/mois. Fonctionnant sur le principe du forfait,
cette offre permet à l’abonné d’accéder en illimité et sans publicité à tout le catalogue
de Deezer via un ordinateur;
-‐ L’offre premium+ à 9,99€/mois. Cette offre d’abonnement présente les mêmes options
que l’offre premium aggrémentée de quelques fonctions exclusives, comme la
possibilité pour l’utilisateur d’écouter sa playlist sur mobile, ou encore de stocker des
titres dans le cache de l’application mobile, pour un accès hors ligne à ses listes de
lectures.
Aujourd’hui Deezer compte 117000 abonnés sur l’offre à 9,99€ et 80000 sur celle à
4,99€ en France. Son audience sur l’offre free s’élève à 6,2 millions d’utilisateurs mensuels
en 2012, d’après la revue Écran Total (Écran total, 2013). Son concurrent Spotify compte
pour sa part dans l’Hexagone 115000 abonnés à l’offre premium à 9,99€ par mois, et 15000 à
son offre d’abonnement unlimited à 4,99€/mois.
2. EMI Music France
EMI Music France est la branche française d’EMI group, ancienne troisième major de
l’industrie du disque avec environ 12% de parts de marché. Fondée en 1931, la maison de
disque et acteur majeur de la production musicale a été rachetée en 2011 par la banque
américaine Citigroup puis en novembre 2011 par la major et filiale du groupe Vivendi
Universal Music Group, pour 1,4 milliards d’euros. Cette fusion a fait l’objet d’une validation
par la Commission Européenne, afin d’éviter tout risque d’abus de position dominante sur le
marché de la musique. Diverses branches et divers labels d’EMI ont donc été cédés à Warner
Music Group, tandis que Sony rachetait le pôle édition, de façon à ce que cette fusion
n’aboutisse pas à la détention par Universal de plus de 40% du marché. EMI group a signé de
nombreux artistes prestigieux, comme David Guetta ou Coldplay. Ses concurrents directs sont
Sony Music et Warner Musis Group. Ces majors concentrent une part de marché que certains
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observateurs qualifient d’oligopolistique, Philippe Chantepie parlant notamment de « marché
oligopolitique à frange concurrentielle » (Chantepie, op. cit.).
3. Believe digital
Leader européen de la distribution et des services numériques aux artistes et labels
indépendants, Believe digital est en entreprise fondée par Denis Ladegaillerie en 2004.
Moyennant un pourcentage des ventes, la plateforme assure la distribution numérique des
œuvres musicales des producteurs contractants sur environ 350 plateformes numériques,
allant des plateformes de téléchargement comme iTunes ou Amazon aux plateformes de
streaming comme Youtube ou Deezer. L’entreprise, qui comprend entre 150 et 200 salariés,
est implantée dans le monde entier. Fonctionnant en BtoB, l’entreprise emploie notamment
des labels managers, chargés des relations et de la définition de la stratégie commerciale avec
les producteurs, et des content managers, chargés de la préparation des contenus en vue de
leur livraison sur les plateformes d’offres. Enfin l’entreprise offre aussi des services de
promotion à l’attention des artistes et des labels partenaires, et possède son propre label,
Believe recordings, sur lequel figure une vingtaine d’artistes. Son principal concurrent est The
Orchard, plateforme davantage positionnée sur les marchés outre-Atlantique.
4. Bopler Games
Bopler Games est une startup fondée par l’entrepreneur Gilles Babinet, qui développe
des social games musicaux. Basée à Paris et comprenant une quinzaine de salariés,
l’entreprise s’est d’abord spécialisée dans l’édition de jeux musicaux en ligne. D’après Albin
Servient son PDG, Bopler games est une plateforme avec tous les contrats, les systèmes
statistiques et les éléments informatiques pour permettre le développement de jeux musicaux.
Ceux-ci sont développés soit en interne, soit par des développeurs externes, à qui la
plateforme offre un catalogue de titres déjà négociés avec les ayant-droits. Ces jeux sont
intégrables sur les réseaux sociaux tels que Facebook, et fonctionnent gratuitement par défaut,
l’utilisateur pouvant améliorer son expérience de jeu en achetant des éléments additionnels.
Le facteur musical est détermiant dans la conception de ces jeux, puisque l’utilisateur a la
possibilité de jouer avec la musique qu’il choisit au sein du catalogue. Le rythme de la
musique est calqué sur l’expérience de jeu de l’utilisateur, ce qui permet d’introduire une
dimension interactive supplémentaire. Le business modèle de Bopler Games permet ainsi
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d’augmenter l’engagement des utilisateurs, et favorise l’achat de musique sur les plateformes
d’offre associées.
C. Présentation des interviewés
1. Pierre Niboyet, responsable de l’artist marketing chez Deezer
En poste depuis septembre 2012 chez Deezer, plateforme internationale de services d’écoute
de musique à la demande ou streaming, Pierre Niboyet a travaillé 7 ans durant en maison de
disques chez Warner et chez Sony. Il est responsable de l’artist marketing chez Deezer ; la
particularité de cette plateforme de streaming est de disposer d’un éditorialiste dans une
cinquantaine de pays-clés qui est chargé de faire de la recommandation musicale dédiée pour
accompagner la découverte de musique des utilisateurs de la plateforme. M. Niboyet via ses
équipes basées au siège à Paris coordonne donc le travail de ces éditorialistes en lien avec
Laurent Billion, le responsable du développement international. Pierre Niboyet coordonne
également les opérations de promotion et gère le développement de Deezer for artists, un
outil de marketing direct pour les fournisseurs de contenu.
2. Daniel Findikian, directeur des ventes digitales et du business
development chez EMI Music France
En poste depuis 6 ans chez EMI Music France, M. Findikian a consacré sa carrière au
secteur de la musique, chez Universal et chez Sony, assurant des fonctions de direction
marketing, direction de la promotion et direction de label. En charge des aspects lié au
développement depuis son entrée dans l’entreprise, son travail actuel se concentre sur le
digital.
3. Jérôme Fulcrand, responsable du management de contenus
chez Believe digital
Depuis 2008 chez Believe digital, leader européen de la distribution digital et des
service numérique pour les artistes et labels indépendants, Jérôme Fulcrand est responsable du
content management. Ses fonctions s’articulent autour de la mise à disposition des
productions des clients de la plateforme sur les points de vente, ainsi que de la négociation
avec leurs responsables éditoriaux pour la mise en avant de contenus.