Lettre Exprimeo : la fonction des sondages est en train de muter (1/3)
1. N°255 - du 15 au 21 mars 2011
Sondomanie :
vers une
gouvernance des
sondages ? (1/3)
2. Sondomanie :
une gouvernance
des sondages ?
Pas une semaine désor-
mais ne se déroule sans
que des sondages ne
soient livrés à l’opinion
publique.
P o u r q u o i c e t t e
«sondomanie» et surtout
quelles sont les consé-
quences pour la structu-
ration de l’opinion publi-
que ? A l’origine, le son-
dage est destiné dans une
démocratie moderne à
permettre d’entendre la
voix du citoyen entre
deux votes officiels. Mais
à ce rythme, de quoi s’a-
git-il ?
A l’exception des USA,
la France est le pays
qui produit le plus de
sondages.
Plusieurs facteurs contri-
buent à cette situation.
Tout d’abord, l’absence
d’un mode de sélection
formalisé à l’élection pré-
sidentielle. Faute de pro-
cessus clair, les sondages
fournissent les éléments
d’information et de clarifi-
cation des forces en pré-
sence.
Ensuite, la généralisation
d‘un scrutin majoritaire
simple qui fait que techni-
quement l’opinion doit fi-
nalement toujours se
structurer de façon binai-
re y compris sur le plan
local. Cette logique porte
en elle une structuration
permanente de l’opinion
sur la base d’une question
simple qui est celle de
l’adhésion ou pas à la po-
litique mise en œuvre par
le pouvoir en place ou au
profil d’un candidat.
Enfin, la Vème République
est construite sur la base
d’une «logique de majori-
té» qui convient parfaite-
ment à la logique des
sondages.
Pour réduire cette influen-
ce des sondages, donc
leur nombre considérable,
il faudrait par exemple :
- renforcer les pouvoirs du
Parlement et que celui-ci
gagne dans la réalité d’in-
fluence sur la vie gouver-
nementale,
- que les élections législa-
tives intègrent une forte
part de proportionnelle
c'est-à-dire permettent de
désigner des représen-
tants et non pas une ma-
jorité simple.
Dans les circonstances
actuelles, assistons-
n o u s à u n e
«gouvernance des son-
dages » ?
La réponse est nuancée.
Tout d’abord, chacun peut
citer des indications de
souhaits de l’opinion pu-
blique non suivies de
conséquences pratiques
par le pouvoir politique.
La profusion de sondages
peut lasser l’opinion mais
présente au moins deux
effets positifs très impor-
tants :
- d’une part, elle réduit
l’écart d’informations en-
tre les détenteurs de
2
3. Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (1/3)
3
Dominique Strauss-
Kahn ou la victoire par
l’absence ...
DSK est en train de totale-
ment inverser l’ordre natu-
rel d’une campagne et ce
par l’effet des sondages. Il
vit l’état de grâce dans les
enquêtes d’opinion avant
même d’avoir présenté le
moindre pacte électoral
(projet + alliances) puisque
ses fonctions au FMI non
seulement l’éloignent du
territoire français mais le
contraignent au silence ...
4. sondages privés et
ceux qui n’ont connais-
sance que des sonda-
ges publics. Plus les son-
dages publics sont nom-
breux et diversifiés,
moins cet écart d’infor-
mations est grand. Ce
qui est un bon point dans
une démocratie,
- d’autre part, la multipli-
cation des sondages
réduit les risques d’intoxi-
cation donc de m a n i -
pulation de l’opinion. Dès
l’instant que les sondages
sont très nombreux, celui
qui ne respecterait pas
une stricte rigueur pro-
fessionnelle serait im-
médiatement corrigé par
un autre sondage et se-
rait ainsi placé en diffi-
culté.
Tous ces arguments vont
donc à l’opposé de bon
nombre d’idées très sou-
vent admises en la matiè-
re.
D’autres questions im-
portantes demeurent
quand même.
D’abord, les précau-
tions nécessaires pour
distinguer l’intention
de vote et le vote. Le
sondage n’enregistre pas
un vote mais une inten-
tion de vote à un moment
donné. L’intention est une
chose. Le passage à l’acte
en est une autre. L’histoi-
re des sondages montre
que la courbe de l’opinion
publique ne présente ja-
mais une grande régulari-
té dans le rapport entre
ces deux notions différen-
tes.
Ensuite, l’élément ma-
jeur réside dans la fer-
meté de l’intention de
vote. Cette notion très
subjective montre vite
l’approximation qui existe
dans la notion même d’in-
tention de vote.
Enfin, les instituts de-
vraient clarifier publique-
ment la notion de
«correction des résul-
tats». Le redressement
des sondages préélecto-
raux est une technique
nécessaire qui a gagné en
qualité mais qui laisse en-
core une part important à
«l’intuition».
Tous ces enjeux vont
connaître des développe-
ments nouveaux avec
l’apparition des sondages
via Internet. La première
expérience de sondages
par Internet a été condui-
te aux USA en 2000 par
l’Institut Louis Harris Gor-
don Black.
La démarche avait été
simple. Cet institut avait
mis en place un site web
pour présélectionner des
dizaines de milliers d’in-
ternautes. Une vraie base
de données avait été
constituée. Ces internau-
tes participaient ensuite
le plus simplement du
monde au jeu classique
des questions / réponses.
Les réponses ainsi obte-
nues ont vite été au cen-
tre de vives polémiques
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (1/3)
4
5. contestant le support uti-
lisé.
Cette polémique orches-
trée par les instituts
concurrents ne résiste pas
longtemps à la réflexion.
En quoi le véhicule tech-
nique d’expression d’un
choix peut-il altérer la
qualité de cette expres-
sion ?
Il est alors question de la
préservation de l’anony-
mat comme assurance de
sincérité. Si l’anonymat
est préservé par le sonda-
ge trottoir, quelle est la
différence entre l’appel
téléphonique et la répon-
se à un mail par rapport à
l’identification du répon-
deur ?
Bien davantage, avec la
démocratisation d’Inter-
net, si la base de données
repose sur des échantil-
lons techniquement sé-
rieux, un plus grand nom-
bre de questionnés pourra
être interrogé dans un
temps très bref. Cet élar-
gissement du nombre des
réponses est une force
non négligeable de garan-
tie de qualité.
Il est certain qu’Internet
va contribuer dans de
brefs délais à mesurer de
façon de plus en plus ré-
currente l’opinion publi-
que en la sondant.
La seule interrogation ré-
side désormais dans le
calendrier de mises en
place fréquentes de telles
consultations.
Ces consultations vont
transformer les coûts
d’exploitation des sonda-
ges en les abaissant
considérablement.
Avec des coûts d’exploita-
tion moindres, les sonda-
ges deviendront plus ac-
cessibles et se multiplie-
ront.
A ce niveau, intervient
l’évolution de la notion de
sondage avec sa connota-
tion d’enquête à la notion
de sondage avec une
connotation de consulta-
tion.
La ligne de frontière est
fragile voire même artifi-
cielle dans la réalité.
Qu’est ce que le sens
même d’un sondage ?
C’est la formalisation de
l’expression de l’opinion.
Quelle serait la démocra-
tie qui se fixerait comme
ligne de conduite de ne
pas connaître, de ne pas
entendre, de ne pas écou-
ter, de ne pas considérer
l’opinion publique ?
Dès que les sondages
électroniques se seront
développés, c’est donc
une nouvelle démocratie
qui va voir le jour.
Cette évolution est enga-
Les nouvelles étapes
par les sondages ...
Le rythme électoral classi-
que reposait sur 4 étapes
successives :
1) le pacte électoral qui
était composé d’un projet et
d’une perspective d’alliances
politiques,
2) le lancement de la cam-
pagne par l’explication au-
tour du pacte électoral. C’é-
tait le temps des débats et
l’enjeu de la conviction,
3) le souffle des adhésions :
le temps du débat débou-
che-t-il sur de bons résul-
tats donc des perspectives
de victoire,
4) l’épilogue de la campa-
gne : la dernière ligne droite
avec les ultimes remises en
question éventuelles.
Maintenant, un nouveau
rythme s’installe :
1) l’épilogue de la campa-
gne qui est devenu le repère
initial : qui va gagner ?
2) le souffle des adhésions
qui devient un réflexe méca-
nique avec une dynamique
pour partie auto-entretenue
par les bons chiffres dans
les sondages,
3) le pacte électoral devient
le temps discret des priori-
tés générales destinées à ne
pas contrarier les bonnes
tendances,
4) le lancement officiel de la
campagne comme «arrivée
en gare» d’une dynamique
déjà constatée.
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (1/3)
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6. gée. Le calendrier de sa
reconnaissance dépend
de la capacité de résistan-
ce des structures classi-
ques.
Mais la tendance est lan-
cée.
Comme hier pour la
«nouvelle économie»,
cette «nouvelle politique»
va faire l’objet d’attaques
violentes.
Les résultats seront tenus
pour inexacts, trompeurs,
peu fiables…
Souvenons-nous hier pour
la «nouvelle économie»,
payer par Internet c’était
la quasi-assurance de dif-
fuser ses codes bancaires
confidentiels et ne pas
avoir la marchandise en
retour.
La fausse monnaie n’a
pas attendu Internet, le
vol de données bancaires
intervient dans tant d’en-
droits traditionnels …:
mais à cette époque In-
ternet rassemblait tous
les risques.
Qui oserait encore au-
jourd’hui défendre cette
présentation vieille d’à
peine … 3 ans à la une
des magazines ou des re-
portages TV ?
Il y a donc fort à parier
que des polémiques spec-
taculaires vont naître sur
les sondages via Internet.
La réponse viendra du lo-
cal. Comme dans d’autres
Etats étrangers, des ex-
périences vont naître,
produire des effets posi-
tifs et ces expériences
pionnières seront copiées,
améliorées et se propage-
ront.
Cette saine contagion
créera une nouvelle don-
ne où le nombre croissant
devenu incontournable
aura écrit une nouvelle
page de la démocratie lo-
cale.
En démocratie, toute ex-
tension de l’information
comme de l’expression
des citoyens peut être re-
tardée mais pas refusée.
Il y a là probablement
l’enjeu majeur des 3 pro-
chaines années.
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (1/3)
6
7. Dans l’attente de cette
nouvelle étape, force est
de constater que l’actuelle
multiplication des sonda-
ges change déjà significa-
tivement la donne.
L’accélération du ryth-
me de la présidentielle
2012 ou la vraie pri-
maire.
Aux USA, une sorte de
petit bréviaire du com-
mentateur politique a
longtemps été remis aux
jeunes journalistes char-
gés de couvrir les dépla-
cements des primaires.
Il donnait les recomman-
dations suivantes :
- tu éviteras de faire des
pronostics définitifs,
- tu ne manqueras jamais
d’indiquer les réactions de
groupes qui pourraient
changer l’issue du scrutin,
- tu choisiras pour analy-
se les indicateurs où les
écarts de voix sont les
plus faibles,
- tu mettras en évidence
des incidents de campa-
gne susceptibles de re-
mettre en cause des
écarts trop importants,
…
La presse se nourrit de ce
suspens qui appelle la
prochaine enquête, donc
du lectorat et ainsi de sui-
te …
Le sondage avait trouvé
l’une de ses vocations :
faire vivre le rythme de
campagne électorale.
Il est en train de trouver
une seconde vocation,
même si la première ne
doit pas être sous-
estimée : remplacer des
primaires, c'est-à-dire de-
venir une forme de sélec-
tion par la démocratie
d’opinion.
Ces deux tendances s’en-
Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (1/3)
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8. qui sont d’abord dans la
course à la victoire et non
pas dans la course à la
représentation directe des
opinions.
Le sondage écrase le pre-
mier tour. Il le transforme
en sélection de la finale
davantage qu’en mar-
queur des différences de
projets.
C’est une évolution qui ne
peut que faire naître des
difficultés dans la repré-
sentativité de l’offre.
tretiennent dangereuse-
ment.
Cette évolution pose deux
difficultés majeures.
D’une part, elle contribue
à figer des positions très
en amont au moment mê-
me où le projet précis
n’est pas encore adopté
donc présenté. Ce calen-
drier installe une démo-
cratie d’émotions. Le jeu
médiatique s’en tient à la
surface des choses et
donne un avantage ma-
jeur aux candidats dont le
style se prête à un tel
exercice.
Dans de telles circonstan-
ces, la virtuosité du can-
didat réside dans sa capa-
cité à «faire comprendre»
par des attitudes qui par-
lent aux émotions.
Il ne faut plus parler mais
être. C’est la campagne
«style de vie».
Il ne faut pas écrire mais
parler aux yeux et aux
sentiments. C’est un
exercice singulier. Cet
exercice fige des rapports
de forces. Ce rapport de
forces crée un nouveau
socle pour la compétition
car, d’autre part, comme
l’opinion vote d’abord
pour un gagnant, elle se
répartit sur les candidats
Editeur :
Newday
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Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (1/3)
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9. Sondomanie : une gouvernance des sondages ? (2/3)
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L’annonce du duel DSK / Mari-
ne le Pen dans les sondages
rouvre la question de leur or-
ganisation pratique.
Mais surtout, c’est désormais
la place même des sondages
dans la structuration de l’opi-
nion qui est posée.
Le droit français applicable en
l’espèce pose des contraintes.
Sont-elles assez fortes ? Celles
qui existent sont-elles
«légitimes» ? Les sondages
s’inscrivent au centre de la
présidentielle 2012 : pourquoi
à ce point ?
Parution le : 22 mars 2011.