3. Introduction
J'ai eu l'occasion de partir en mai 2008 pour l'Ouzbékistan avec un petit groupe de 4 personnes.
Nous voulions découvrir les villes mythiques de la route de la soie mais surtout, voir la Mer d’Aral qui, nous le savions,
agonise à petit feu : un drame écologique, humain et social provoqué par les grands travaux d’irrigation nécessaires
à la culture intensive du coton, instaurée par le régime soviétique dans les années ‘60.
Malgré l’abondante documentation consultée avant le départ, j'abordais ce voyage très naïvement, mais, dès ma
sortie d’avion, mes a priori se sont envolés.
La plupart des touristes arrivent à Tachkent (capitale du pays), prennent un avion pour Nukus (200km avant la mer
d'Aral) et redescendent vers la capitale en visitant Khiva, Boukhara et Samarkand en car.
Nous avons bien compris que cet itinéraire était le voyage « type » suggéré par les autorités.
Nous, nous avons fait le voyage à l'envers parce que nous désirions nous imprégner du pays et apprendre à le
connaître un peu avant d’aborder la mer d’Aral.
5 touristes accompagnés par une guide uzbek et un chauffeur tatar ont parcouru le pays sur 2500km d’est en ouest...
Nous avons bien senti que nous bousculions notre guide qui comprenait mal notre désir de surtout rencontrer des gens,
voir la vie des uzbeks sans trop s'attarder sur les monuments historiques. D’ailleurs, plus nous avancions dans notre
périple, plus les sites ressemblaient à des décors de théâtre.
Comme c'était propre et net. L’effort pour le développement du tourisme dans le pays est manifeste.
Où étions-nous? Cette tour ? Elle datait de quand exactement? 13ieme ou 20ieme siècle?
Des sentiments étranges nous envahissaient et peu à peu, un certain malaise nous poussait à fausser compagnie à
notre guide pour nous perdre dans les ruelles foisonnantes de vie et riches en possibilités de rencontres.
Étonnamment, la communication passait bien malgré l’absence de langue commune.
Finalement, beaucoup de détails sont restés flous, en dépit des explications savantes fournies par notre guide.
Et la mer d'Aral?
Les touristes n’y viennent qu’exceptionnellement et c’était la première fois que notre guide s’y rendait. Elle était assez
fataliste par rapport à la situation.
Mais peut-on réagir autrement ?
Plus tard, de retour à Nukus, nous avons eu l’occasion de visiter un centre dédié à la préservation de la mer.
Nous espérions y trouver des réponses à nos questions mais nous avons surtout eu l’impression de provoquer un certain
malaise comme si nos interlocuteurs ne voulaient pas avouer qu’un point de non-retour avait été atteint et que tous les
efforts étaient vains.
Une politique agricole favorisant les cultures moins gourmandes en eau est mise en place mais est difficilement
applicable car elle dessert les paysans.
Ceux-ci qui doivent verser une grosse partie de leurs revenus à l'État ne peuvent y parvenir qu’en cultivant le coton. Ils
trouvent donc souvent un arrangement avec les contrôleurs.
Paradoxe? Là bas il y en a beaucoup!
A Nukus, nous avons visité la Fondation Savitsky et nous y avons rencontré sa conservatrice Madame Babanazarova,
qui, à la suite du travail de sauvetage du peintre Savitsky, s'occupe de préserver les innombrables œuvres d'artistes
déclarés décadents par le régime soviétique et déportés au goulag.
Cette dame est une personnalité extraordinaire qui se bat comme un beau diable, seule, pour sauvegarder ce
patrimoine. Elle est soutenue moralement par des personnalités internationales. Elle n’a pas peur de défendre sa
cause face au régime.
Exposé du projet
• Réaliser une grande exposition de photographies couleur avec des tirages dont la taille varierait entre
60x40cm et 80x60cm. Il y aurait différentes sections commentées par nos impressions subjectives au moment
de la prise de vue.
La partie la plus importante de l'exposition serait consacrée à la mer d'Aral.
• Présenter le musée de Nukus en exposant des photos d’oeuvres emblématiques de la collection Savitsky.
Enfin, inviter Mme Babanazarova pour qu'elle donne une conférence (en anglais).
Mes compagnons de voyage et moi-même pourrions sans problème l'accueillir chez nous.
Eux-mêmes sont très impliqués dans le projet et m'aideraient à le réaliser.
4. L'impression des images se fera sur un support « Personnal-Strat-ajv » qui est un support rigide pouvant être mis à
l'extérieur (résistant donc aux intempéries).
Cela signifie qu'une exposition en extérieur est possible.
Présentation nette et soignée, pouvant être accrochée directement sur n'importe quel type de support (mur, grille,
cimaise, dans une salle ou dans un parc…)
Lieu
Je suis en contact avec différentes galeries et centres culturels (notamment celui d'Uccle).
Rien n’est encore finalisé mais cette exposition sera montée quoiqu’il advienne.
Mon souci principal n'est pas de trouver un lieu (il existe de nombreuses possibilités) mais bien de rassembler les fonds
nécessaires pour le tirage et le montage des photographies à exposer.
Les photos existent, il ne reste qu'à les mettre en scène.
Intérêt du projet
Je ressens le profond désir de partager l'expérience extraordinaire que fût ce voyage.
Monter une telle exposition est un moyen de faire connaître la situation dramatique de la mer d'Aral mais aussi
donner une voix au peuple uzbek qui n'a guère l'occasion de parler ou voyager librement.
Ce peuple nous a fait cadeau d' une telle générosité, que cette exposition le mettrait modestement (mais sûrement )
en lumière..
« Le taureau » de
Lysenko. Une
Rencontre avec œ u v r e
M a r i n i k a emblématique de
Babanazarova, la collection
conservatrice du Savitsky.
musée Savitsky.
5. Présentation des « aventuriers »
Françoise, 75 ans
Eve, 33 ans Plasticienne Claude, 55 ans
Photographe Médecin
Mer
d’Aral
Axel, 61 ans Ariane, 24 ans
Brocantiquaire Physicienne
« Autoportrait» de groupe au bord et au fond de la mer d’Aral
Les 5 membres du groupe participent activement à ce projet d’exposition.
Chacun à sa manière.
La cohésion de ce groupe était extraordinaire. On ne se connaissait pas tous au départ mais aujourd’hui,
une sincère amitié et un profond respect nous unissent.
Mais nous sommes où là?
C’est la question que l’on se pose quand nous marchons sur le fond de ce
qui fût la mer d’Aral.
Une terre lunaire, spongieuse, souple, brune, jaune, complètement
craquelée, qui ploie sous le pied, suscite un léger sentiment d’insécurité.
C’est mouvant.
Parce qu’il y a de quoi ne pas se sentir bien.
Á cet endroit où, il y a 60 ans, il y avait la mer, il n’y a plus rien à perte
de vue sur des centaines de kilomètres!
Des coquillages échoués attestent du passé.
C’est un lieu oppressant où le silence s’impose et la tristesse l’emporte
devant cet endroit unique au monde où l’irresponsabilité humaine a
profondément modifié notre planète.
On reste hébété et stupéfait devant l’ampleur d’un tel désastre écologique.
Les enjeux économiques et politiques ont été presque jusqu’à rayer une mer de la carte.
Hallucinant !
26 juin 2008
Axel Quackels
6. Ariane a voulu voir la Mer d’Aral.
Elle connaissait son sort et savait que même si elle comprenait ce qui
s’y passait, elle devait y aller.
On s’est donc tous laissé emporter par ce voyage insufflé par Ariane.
Avant de partir, je m’étais demandé pourquoi je voulais aller à
la Mer d’Aral, et ce que je comptais y faire.
Comme d’autres voyages m’avaient appris qu’il est important
pour les gens (même pour des gens très simples) que leur
situation ne soit pas ignorée, j’avais envie de faire savoir aux
personnes rencontrées que le monde entier savait ce qui s’était
passé chez eux, et que c’est pour cela que j’étais là.
Mais dans la ville sinistrée de Moynaq, le choc était trop fort.
Nous nous sentions voyeurs, et nous n’avons pas pu passer là les
deux nuits prévues. Nous avons fui…
Je le regrette un peu, évidemment. Mais il me reste la possibilité
de faire mieux connaître autour de moi leur réalité même s’il n’en
sauront probablement rien.
27 juin 2008
Claude Descamps
La ville de Moynaq. Voici
un des nombreux lieu
complètement sinistré qui
à directement subi les
conséquences de la
disparition de la mer. Il y
a 50 ans, les bateaux de
pêche rentraient au port,
leur cale pleine à craquer
de poisson. A l’époque, on
allait jusqu’à dire qu’il y
en avait trop du poisson!
Cette ville est aujourd’hui
livrée à elle-même, ses
habitants errent dans les
rues, discrètement. Cela
ressemble à une ville
fantôme, les gens
chuchotent et les bruits
sont rares.
On s’y sent mal...
7. ARAL
"Elle est où la mer?" C'est la question que posent de temps en temps les
voyageurs qui sont chahutés pendant des heures et des heures sur des
pistes improbables, dans une voiture 4 fois 4, au milieu de la steppe... Un
horizon toujours le même, pas de village, un soleil de plomb, une
végétation avare et du vent. Le chauffeur est muet, (et pour cause, ils n'ont
pas le même langage!) ses yeux bridés braqués sur le chemin à prendre
au milieu de mille chemins qui se croisent, il roule vite en évitant les trous et
les ornières trop difficiles, un tangage incessant. De temps à autre il a pitié
et il s'arrête, ses passagers s'extirpent de l'engin et, les jambes
flageolantes, avancent un peu hagards sur cette terre ingrate. Ils s'en vont
Rencontre avec Orsta à Boukhara chacun de leur côté, très contents de goûter un peu cette grande solitude,
se penchent pour ramasser des cailloux très blancs qui s'avèrent être des
bouts d'os d'animaux on ne sait lesquels, ou pour observer une plante qui, par extraordinaire, porte une petite fleur.
C'est comme s' ils avaient quitté le monde, le leur, et même si c'est une grosse voiture qui les a amenés ici, c'est bien
d'un autre monde dont il s'agit. Personne n'ose s'imaginer tout seul dans ce dénuement que certains appellent désert!...
Ils sont venus pourquoi? ils étaient d'accord pour s'aventurer très au nord, se rendre compte de ce qu'était le
phénomène de cette mer en train de disparaître. Mais au fur et à mesure, une espèce de stupeur les gagne, on leur
dit qu'il n'y a pas longtemps encore, elle était à leurs pieds la mer. A leurs pieds car maintenant ils se trouvent au
bord d'une falaise, et devant eux des collines, des ravins, encore des collines, tout cela verdâtre, jaune, bleu, ils
comprennent que tout cela était des fonds marins, maintenant c'est un paysage lunaire.
Leur chauffeur toujours silencieux se soulage derrière la voiture, leur guide, une jolie femme à la longue chevelure
noire, s'est avancée un peu pour accompagner la petite troupe, mais pas trop loin, elle semble un peu réticente, en
fait elle n'est jamais venue jusqu'ici, alors comme pour se rassurer avec des gestes familiers, elle sort un petit miroir de
son sac qui ne la quitte pas, et envisage de se refaire une beauté. Elle non plus ne dit rien. Ses discours habituels et
historiques sur les monuments fastueux des villes n'ont plus cours ici.
Les autres qui sont venus pour tout cela s'habituent à cette terre, ils éprouvent comme une empathie pour elle, se
prosterneraient volontiers pour prier Allah, les dieux de la pluie et de l'orage pour que l'eau revienne avec ses
poissons rutilants qui étaient la richesse des villageois autrefois.
Plus tard, la voiture est descendue de cette falaise et a parcouru ce paysage étrange, accidenté, magnifique,
jusqu'à un plateau où elle s'est arrêtée. De là, ils peuvent la voir, la mer ou ce qu'il en reste. Ils ont marché
longuement, pour s'en approcher, se sont enfoncés dans une vase nauséabonde et sont arrivés à une plage ocre et
blanche de coquillages minuscules et éblouissants. De petites vagues dérisoires viennent mourir sur cette grève putride.
Et comme une suprême ironie, le coucher du soleil qui répand sa lumière somptueuse sur cette eau comme il le fait
partout, au cap Sounion ou à la pointe du Finistère!
Bien des heures plus tard, le lendemain, et des cahots encore, ils sont arrivés à un village très loin de la mer, les
pêcheurs sans poissons sont là, cachés dans leurs maisons misérables, leurs bateaux rouillés abandonnés sur le sable
sont là, leur désespoir et leur résignation. Presque personne à voir, - que faire dehors quand des voyageurs arrivent,
s'arrêtent un moment avec l'idée folle de leur venir en aide?
Il vaut mieux repartir qu'ajouter des sourires et des bonjours à leur honte de n'avoir rien, rien à montrer que leur
dénuement, rien à offrir aux étrangers alors que partout dans ce pays on est heureux de les faire entrer et de leur
préparer un bol de thé.
On a beau savoir que cette mer diminue depuis un siècle, que l'eau des deux fleuves qui l'alimentaient a été
détournée pour irriguer les champs de coton, qu'elle s'évapore joyeusement de tous les fossés, il reste que:
"Si tu comprends, les choses sont comme elles sont, si tu ne comprends pas, les choses sont comme elles sont."
Proverbe zen
19 mai 2008
Françoise Gerard Heymans