1. e
N°128 – 2 trimestre 2010
Confirmation de la reprise et maintien des incertitudes
ne sont en rien contradictoires
Le diagnostic sur l’état du monde semble se stabiliser. Dans les pays développés, on assiste à une reprise incomplète : reprise car
les indicateurs pointent clairement sur un retour à la croissance, et ce probablement pour un certain temps ; incomplète car, tandis que le
crédit n’augmente pas, les dépenses des ménages et les investissements restent ternes. Dans les pays émergents, les perspectives sont
plus flatteuses. La croissance prévue du PIB est d’environ 6 % pour cette année comme pour la prochaine. La consolidation des grands
équilibres macroéconomiques dans la plupart des pays concernés (avec une inflation sous contrôle, un désir de gestion orthodoxe de la
politique monétaire et une situation plutôt solide des comptes publics) renvoie une image à la fois rassurante et attirante.
Ce diagnostic assez favorable n’empêchera pas une certaine prudence de la part des entrepreneurs et des investisseurs et le sentiment
de manque de clarté ne disparaîtra pas si facilement. Il y a trois raisons principales à cela. Tout d’abord, la crise nous a appris que le
marché ne savait pas tout mieux que tout le monde. Ce qui signifie qu’une forte augmentation du prix des actifs n’impliquera pas
forcément une plus grande préférence des agents économiques pour la consommation aux dépens de l’épargne. Toutefois, il est à
craindre que de façon asymétrique une chute des prix de certains actifs ne s’accompagne d’une perte nette de confiance ainsi que d’une
révision à la baisse des intentions d’achats.
Ensuite, l’incertitude concernant les évolutions de la régulation atténuerait les esprits « animaux » souvent à l’origine des décisions
d’investissement. Par exemple, le secteur financier ne sait toujours pas ce qui se prépare en terme de nouvelles réglementation ni
comment cela impactera sa profitabilité. D’autres secteurs sont confrontés également à ce genre d’incertitudes. Ainsi aux Etats-Unis, les
entreprises ne savent pas combien leur coûtera la réforme de l’assurance-santé pour leurs salariés.
Enfin, la période post-crise sera très contraignante pour les politiques économiques. Dans les pays développés, le but est de
normaliser les politiques très accommodatives imposées par la crise, tout en soutenant une croissance économique prévue faible, au
moins au début. Dans les pays émergents, le but est d’empêcher un dangereux emballement des marchés et de renforcer la culture de
stabilité progressivement instaurée pendant la dernière décennie. L’enjeu est énorme et les questions nombreuses. Quand agir ? Quels
outils utiliser ? A quel degré ? Dans tous les cas, les marchés seront très attentifs à la crédibilité et à l’efficacité attendue des mesures
adoptées.
Sommaire
Spécial - Les anticipations de marché porteront moins sur la Espagne - La trappe à austérité 25
croissance que sur la politique économique 2 Scandinavie - La croissance pâtit des incertitudes à l’étranger 26
Politique monétaire - Une nouvelle politique en « règles » 4 Royaume-Uni - Promesse de croissance 27
Taux d'intérêt - Face aux retraits de liquidité 6 Australie - Le retour de la confiance 28
Taux de change - Déclin de l'euro 7 Nouvelle-Zélande - En passe de relever les taux 28
Energie - Une reprise à deux vitesses 8 Canada - Reprise plus dynamique qu’attendue 29
Métaux - Les platinoïdes présentent plus d’attrait que les autres Pays émergents - Qui va monter ou non les taux ? 30
métaux précieux 8 Europe centrale - Retour du politique 32
Ressources agricoles - La demande de biocarburants dopera Afrique du Sud - Dans le brouillard 33
les prix au second semestre 9 Egypte - 2010 est une année à risque pour le budget 33
Etats-Unis - D’une croissance soutenue à auto-entretenue 10 Russie - Encourageant, mais 34
Focus Etats-Unis - Le taux de chômage va-t-il baisser aussi Turquie - Un redressement encore hésitant 34
vite qu’il est monté ? 12 Inde - Vers des politiques plus restrictives 35
Japon - Une croissance plus équilibrée en vue 15 Chine - Le raffermissement du yuan remis à plus tard 35
UEM - Une reprise à deux vitesses :le centre versus Mexique - Laborieux 36
la périphérie 16 Brésil - Bientôt les hausses de taux 36
Focus UEM - Retournement conjoncturel et chômage 18 GCC - Les économies de la région se redressent à des rythmes
France - Lendemains de fête 21 différents 37
Allemagne - Vices et vertus 22
Italie - Retour vers la réalité 23 Prévisions 39
Grèce - Le chemin sera long et difficile 24
2. Spécial
Les anticipations de marché porteront moins sur la croissance
que sur la politique économique
Le diagnostic conjoncturel paraît se stabiliser. Pour ce qui est des pays développés, une
reprise incomplète se poursuit. Il s’agit bien d’une reprise dans la mesure où les indicateurs
montrent clairement que la croissance est de retour et sans doute de façon pérenne. Il en est ainsi
des chiffres du PIB les plus récents (pour les troisième et/ou quatrième trimestres de 2009) ; il en est
de même des résultats des enquêtes auprès des entreprises, sensés baliser la trajectoire de
l’activité au cours des prochains mois. Le caractère incomplet se perçoit de différentes manières.
Premièrement, si les données relatives au secteur manufacturier envoient des signaux
encourageants, aidées par un arrêt du processus de déstockage et par une normalisation du
commerce mondial, celles concernant les consommateurs et l’investissement en construction sont
beaucoup plus ternes. Deuxièmement, le crédit n’est pas vraiment reparti et les incertitudes sur le
nouveau cadre réglementaire, qui s’imposera au secteur bancaire, ne participeront sans doute pas
d’un redémarrage spectaculaire. De plus, la spectaculaire montée des dettes publiques fragilise
l’image d’une croissance saine et durable, assise sur une attention forte portée au respect des
grands équilibres macroéconomiques.
Du côté des pays émergents, les perspectives sont plus flatteuses. La croissance du PIB
avoisinerait les 6 % tant cette année que l’an prochain (d’abord un peu moins, puis un peu plus). Si
l’Asie continue de faire la « course en tête » avec des projections supérieures à 7 %, c’est ailleurs
que l’inflexion est la plus impressionnante avec le passage d’une sévère récession en 2009 à des
rythmes de croissance au moins honorables en 2010. Ainsi, pour les pays de l’Europe émergente, la
performance passerait de -5,5 % à +2,4 %. Bien sûr, ce tempo renforcé ou retrouvé, selon les
régions, doit encore trop à la demande extérieure et pas assez aux dépenses domestiques. Mais la
consolidation des grands équilibres macroéconomiques de l’essentiel des pays concernés (inflation
sous contrôle, volonté de resserrer les réglages monétaires en fonction de l’évolution des prix et
situation des comptes publics plutôt flatteuse) envoie une image à la fois rassurante et attractive.
Cette divergence entre les régimes de croissance des pays développés et émergents pourrait
même être accentuée en termes d’attractivité relative des marchés de capitaux par des
réglages de politique économique opposés. Dans le monde émergent, la force de la croissance,
le faible niveau de la dette publique et la volonté de contenir les pressions inflationnistes participent
de l’option de combiner resserrement de la politique monétaire avec maintien en l’état du réglage
budgétaire. Ce qui se traduirait plutôt par des pressions haussières sur les taux d’intérêt réels. Au
final, l’espérance de rendements anticipés élevés pour les actifs émergents devrait se traduire par
davantage d’entrées de capitaux vers ces régions.
Pour ce qui est des pays avancés, la crise grecque apparaît comme un catalyseur de la prise de
conscience de la nécessité de prendre sans tarder des mesures de rééquilibrage des comptes
publics. Ce qui ne manquera de peser sur une reprise déjà anticipée comme faible relativement aux
expériences passées. Les banques centrales devront intégrer cette composante dans leur
processus de décision. Il y là de quoi confirmer que la remontée des taux directeurs, tant aux Etats-
Unis qu’en Europe sera tardive et lente.
Cette opposition entre les réglages de Policy Mix des pays émergents par rapport aux pays
développés renforce l’idée d’un plus fort attrait en termes d’Expected Return pour cette
première zone comparée à la seconde. De façon sans doute encore plus fondamentale, ce
contraste est quelque chose de perçu comme potentiellement durable. La conjonction d’une
croissance potentielle assez forte (peut-être autour de 6 % ; même si l’approche est
vraisemblablement à « manier avec des pincettes ») et de l’apprentissage d’une culture de la
stabilité macroéconomique (inflation contrôlée, finances publiques équilibrées et comptes extérieurs
en bon état) participent évidemment à la fois d’une espérance de rendements élevés et de l’idée que
la perception du risque lié à ce type d’investissement est peut-être appelée à se corriger à la baisse
le temps passant. En sachant que même en maintenant une approche un peu conservatrice de
stabilisation du risque émergent, l’expression du ratio rendement/risque reste très favorable. C’est
pourquoi il faut sans doute se préparer à des allocations de portefeuille accordant des pondérations
plus élevées aux actifs émergents. D’où l’insistance particulière sur l’idée que les flux de capitaux
vers les marchés émergents devraient augmenter d’une façon marquée.
Cet environnement nouveau, tant en termes de perspectives de croissance (en insistant sur la
médiocrité de celles concernant les pays développés) que de volume des flux de capitaux (avant
tout en direction des marchés émergents), pose de lourdes questions de politique économique.
Deux d’entre elles sont particulièrement importantes. La première concerne avant tout les Etats-
Unis, l’Europe de l’ouest et sans doute aussi le Japon. Comment à la fois recréer les conditions de
davantage de croissance économique (repositionner la croissance potentielle sur une trajectoire
plus élevée) et revenir à un réglage plus neutre de la politique économique ; c'est-à-dire retrouver
les moyens d’un interventionnisme public efficace lorsque pour une raison ou une autre l’activité
s’affaiblira à nouveau dans le futur ? Pour nombre de pays européens (de l’Espagne au Royaume-
Uni en passant par l’Irlande, pour ne retenir que ceux-là) et aussi pour les Etats-Unis, le moteur de
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3. Spécial
la demande à l’horizon des prochaines années devra être moins la consommation des ménages ou
l’investissement logement que les exportations et l’investissement des entreprises. Et ceci avant tout
parce que les ménages doivent consolider leur bilan (moins de dettes et plus d’épargne accumulée).
Il n’empêche que la capacité de compenser est limitée. Le seul poids de la consommation dans le
PIB est ainsi aux Etats-Unis le triple de celui du couple formé par les exportations et l’investissement
des entreprises. Tout ralentissement de 1 % du premier doit être équilibré par une accélération de
3 % du second. L’objectif n’est en rien facile à atteindre et il est à craindre que le régime de
croissance soit durablement affecté par ce rééquilibrage sans doute incomplet par nature. N’est-ce
pas le message envoyé par les expériences allemande ou japonaise ? Il reste à espérer un nouveau
choc technologique et l’arrivée d’une nouvelle offre qui trouvera d’elle-même sa propre demande.
Mais peut-on affirmer hic et nunc que cela arrivera vite ? Sans doute pas. Dans ces conditions,
comment réussir à stabiliser puis à réduire le ratio dette publique sur PIB tout en revenant à des
taux d’intérêt à court terme plus en harmonie avec l’expression de la neutralité monétaire et en
maintenant un niveau de croissance socialement acceptable ? La question est redoutable et il ne
sera pas facile d’y répondre. La lisibilité de la politique économique sera faible à l’horizon des
prochains trimestres et le risque d’erreur, vraisemblablement supérieur à ce qui a pu être
observé par le passé.
Du côté des pays émergents, la perspective d’un afflux potentiellement important de capitaux
en provenance de l’Ouest n’est pas sans poser de difficultés. Il ne faut pas oublier que la
capitalisation de l’essentiel des marchés de la zone émergente est de taille réduite relativement à
celle observée dans les pays avancés. Pour ce qui est des marchés d’actions, les pays développés
« pèsent » 70 % de la capitalisation mondiale ; la proportion étant encore plus élevée si on ne
s’intéresse, comme il faut le faire, qu’au « flottant ». Le risque d’apparition de phénomènes de bulles
est donc réel. Les conséquences seraient dommageables : durant la formation de celle-ci, d’une
perte de compétitivité-prix à cause de la surévaluation de la devise à un développement excessif du
crédit ; lorsqu’elle éclate, des effets-richesse négatifs à la nécessité de consolider les bilans des
agents économiques. Il faut donc comprendre la préoccupation des responsables de politique
économique et leur souhait de prendre des mesures pour éviter l’enclenchement de ce type de
mécanisme. Des initiatives de contrôle des capitaux ont déjà été prises au Brésil et sont discutées
dans certains pays asiatiques (Corée, Indonésie ou Taïwan). Bien sûr, l’efficacité de ces restrictions
est sujette à discussion et il apparaît souvent que celles-ci impactent davantage la composition des
entrées de capitaux que le montant total. De plus, d’autres moyens existent pour réduire le flux
entrant de capitaux comme la stérilisation des réserves de change, le réglage de la politique
monétaire ou les mesures prudentielles. On le voit, la « boite à outils » de la gestion du volume des
capitaux en direction des marchés émergents est bien fournie. Mais on sait moins dans quelle
mesure elle devra être utilisée et si la palette des remèdes choisis sera efficace. Une fois encore, la
politique économique se retrouve en première ligne pour baliser des perspectives potentiellement
déstabilisatrices ; sans que pour autant l’investisseur puisse être pleinement confiant sur l’efficacité
des solutions mises en œuvre.
La crise nous a appris que le marché ne savait pas toujours mieux que les autres (les opérateurs
prix individuellement, les responsables de la politique économique, les régulateurs ou les analystes).
L’après-crise va beaucoup solliciter les politiques économiques. Dans les pays développés, l’objectif
est à la fois de normaliser les réglages très accommodants que la crise a forcé à prendre et de
favoriser le renforcement d’une croissance sans doute faible au moins dans un premier temps. Dans
les pays émergents, le but est d’éviter les emballements de marchés et de consolider cette culture
de la stabilité apparue progressivement au cours de la décennie passée. L’enjeu est de taille et de
lourdes questions de calendrier (quand faut-il bouger ?) d’outils à privilégier et du degré d’utilisation
de ceux-ci vont se poser. Les marchés, pour leur part, vont être attentifs à la crédibilité et à
l’efficacité attendue des mesures décidées. Gageons que la lisibilité va manquer et que le regard
des investisseurs sera prudent, voire sceptique. Avoir été déçu par le marché ne veut pas dire
revenir à une confiance absolue dans la politique économique.
Hervé GOULLETQUER
herve.goulletquer@ca-cib.com
Etats-Unis et zone euro : PMI Etats-Unis et UEM :
a/a crédit au secteur privé
60
55
15% (Mds €)
50 10%
45 5%
40
0%
35
-5%
30
Jan-07 Jan-08 Jan-09 Jan-10 -10%
Zone euro PMI manuf. janv-07 janv-08 janv-09 janv-10
Source : Bloomberg Etats-Unis PMI manuf. Source : Bloomberg Etats-Unis UEM
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4. Politique monétaire
Une nouvelle politique en « règles »
Les banques centrales ont durement gagné la bataille contre l’inflation, elles doivent maintenant s’armer contre
un nouvel ennemi : l’instabilité financière.
Depuis les années 70, la lutte contre l’inflation a été au cœur des stratégies des banques
centrales qui ont vu là le moyen le plus efficace d’assurer simultanément stabilité
économique et financière. Cibler l’inflation revenait à lutter contre le principal stigmate des excès
cycliques dans la sphère réelle lorsque phases de surchauffe et de récession se succèdent par à
coups. Le cycle financier et ses effets d’accélérateurs étaient seulement considérés comme
révélateur de ces tensions. En effet, les marchés étant efficients, tout mouvement de prix d’actifs se
devait de refléter l’évolution des fondamentaux sous-jacents. Autrement dit, stabiliser les prix
devait permettre de lisser les cycles d’activité et, par suite logique, le cycle financier. Cette
stratégie s’est avérée payante puisque comme espéré la croissance et les prix ont fait preuve d’une
plus grande régularité au point de caractériser la période des quinze dernières années comme celle
de la « grande modération ». « Grande modération » dont les banquiers centraux ont revendiqué la
paternité.
Pourtant, les épisodes d’instabilité financière se sont multipliés1 venant à rebours de
l’hypothèse de complémentarité entre stabilité macroéconomique et financière. A l’origine de
toutes ces crises se trouve l’accumulation d’un lourd passif sur fond de hausse rapide des prix
d’actifs venant le plus souvent en garantie de ces excès d’endettement, avec l’enclenchement de
boucles auto-renforçantes. Les banques centrales pilotant le prix de la liquidité et donc la
disponibilité et le coût de la ressource financière, elles sont souvent incriminées pour avoir suivi des
politiques monétaires trop accommodantes, pendant trop longtemps, ce qui aurait nourri les bulles
de prix des actifs en stimulant le levier d’endettement qui les sous-tend. Pire on leur reproche
d’intervenir pour éteindre l’incendie quitte à recréer des conditions propices à la formation de
nouveaux excès financiers.
Les banques centrales ne sont pas les seules responsables, mais l’asymétrie de
comportement qu’on leur reproche - laxisme en phase de montée des déséquilibres
financiers, puis activisme n’est plus tenable. L’idée d’actions préventives rend également
caduque le principe de séparation entre une politique monétaire dédiée à la gestion du cycle
et une politique prudentielle, souvent conçue à un niveau microéconomique, pour garantir la
stabilité financière. Il faut une politique globale servie par des instruments plus spécifiques
et adaptés au double objectif de stabilité économique et financière.
Il est vrai qu’en théorie, les taux apparaissent comme un outil de prédilection pour combattre la
spéculation et les bulles de prix d’actifs, puisque la recherche effrénée de rendement se fait la
plupart de temps à effet de levier croissant. Mais des conflits d’objectifs risquent d’apparaître, cet
instrument servant également à gérer les fluctuations cycliques. Il existe en économie une règle de
bon sens, celle de Tinbergen, qui démontre la nécessité de disposer d'autant d'instruments qu'il y a
d'objectifs à atteindre pour réussir une politique économique. En fait, il en faut au moins autant et
peut être plus an cas de crise. Si les taux d’intérêt ne sont pas l’outil adéquat, il convient alors de
réfléchir à d’autres voies plus praticables.
US : Fluctuations des prix d'actifs
US : encours de dette
% du PIB
Indice 260
110 110 100=1995 240
650
90 90 220
200
70 70 450 180
160
50 50 250 140
zone grisée : récession
120
30 30
50 100
1972 1981 1990 1999 2008
96 00 04 08
sociétés non financières ménages Pétrole ($)
Source : SP 500 (éch. dr.)
Sources : Réserve fédérale, Crédit Agricole S.A. Crédit Agricole S.A. prix immobilier US (éch. dr.)
1
Japon (1990), Asie 1997, Russie 1998, USA 2001, jusqu’au paroxysme de la crise 2007-2009…
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5. Politique monétaire
Le débat se concentre aujourd’hui sur les aspects réglementaires avec la nécessité de
repenser les outils de régulation prudentielle à un niveau plus macro-économique et à
contre-courant des cycles, afin de contrarier, autant que faire se peut, le caractère pro-
cyclique de la finance.
En réponse à la crise financière de 2007, le Comité de Bâle propose de renforcer les fonds propres
des banques afin d’améliorer leur capacité de résilience en cas de choc. La question du curseur est
ici primordiale. Le capital est cher, ce qui pourrait finalement se traduire par un renchérissement du
coût de refinancement des banques et réduire le niveau d’intermédiation avec des effets
potentiellement indésirables sur la croissance, notamment en pénalisant les PME-PMI qui recourent
exclusivement au crédit pour financer leur développement. La rigidité de cette règle rentre aussi en
contradiction avec la volonté d’aller à contre-courant des cycles qui nécessite une approche plus
dynamique. Une autre proposition serait d’appliquer une surcharge en capital qui pourrait varier en
fonction de la position dans le cycle, du profil de risque et du degré d’importance systémique des
institutions financières. Mais, jusqu’à quel point les marchés seront prêts à accepter une baisse du
ratio Tier one en phase de crise constitue la principale limite à cette idée de capital contra-cyclique.
On pourrait également envisager une politique de provisionnement dynamique à rebours des cycles
(souvent sur la base des défauts historiques) afin d’inciter les banques à se constituer un matelas de
2
sécurité durant les périodes de prospérité à utiliser en phase de basses eaux . Il est aussi question
de cibler plus spécifiquement les marchés d’actifs les plus propices à la formation de bulle ou de
viser les acteurs de la finance soumis à des règles moins contraignantes. Une réduction des ratios
« Loan To Value » en phase montante du cycle pourrait être un outil utile pour stopper les
dynamiques cumulatives sur le marché immobilier. Faire varier les appels de marges ou les décotes
(haircuts) appliquées sur les prêts sécurisés (notamment octroyés aux acteurs non bancaires)
pourrait permettre de freiner les excès de leviers qui alimentent les bulles de prix d’actifs. Cette liste
non exhaustive montre que l’approche ne peut être unidimensionnelle mais à l’inverse
l’empilement de mesures, sans compter leur difficile calibrage, pourrait s’avérer dangereux
en inhibant toute prise de risque. Les questions de la surveillance des acteurs non bancaires, du
degré coordination de ce type de politique à l’échelle mondiale et les mesures de sauvegarde de la
liquidité sont des sujets connexes qui ne sont pas abordés ici mais revêtent également une
importance particulière pour faire aboutir la réforme du système monétaire international.
Si réformer le système financier pour lui conférer plus de stabilité est essentiel il ne s’agit
pas pour autant de corseter l’ensemble à grands coups de mesures réglementaires. L’activité
de crédit, intermédiée ou non, est par essence risquée mais indispensable pour poser les
bases d’une croissance future. La boîte à outils doit donc être suffisamment flexible pour ne
pas inhiber ce moteur mais suffisamment contraignante pour éviter de verser dans de
nouveaux excès.
Isabelle JOB
isabelle.job@credit-agricole-sa.fr
2
Cette pratique qui existe en Espagne depuis le début des années 2000 n’a pas empêché la formation d’une bulle majeure de crédit sur
un tandem immobilier-ménages mais a néanmoins amorti le choc de la purge sur les bilans bancaires.
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6. Taux d’intérêt
Face aux retraits de liquidité
Les injections de liquidité ont atteint leur point haut. Ce sont les marchés obligataires de la zone euro qui
devraient être les plus concernés au cours des prochains mois. Pourtant les rendements à dix ans se situent
aux mêmes points bas que durant la Grande Récession. Nous recommandons la prudence, notamment en
Europe.
La liquidité ne peut que diminuer désormais. Depuis deux ans, les banques centrales
injectent des liquidités dans le système financier dans le but de permettre coûte que coûte aux
marchés monétaires de recommencer à fonctionner normalement, de soutenir les banques et de
relancer l’économie mondiale. En 2010, elles commenceront à éponger ces liquidités. On ne peut
que spéculer sur l’impact de ce changement de politique, car les banques centrales n’ont jamais
jusqu’à présent procédé à des retraits de liquidité à l’échelle mondiale.
En outre, les banques centrales passent cette année d’une situation de liquidité surabondante à
une situation de liquidité seulement abondante. On peut se demander si elles relèveront les
taux d’intérêt cette année mais, à supposer qu’elles le fassent, elles ne les porteront pas à un
niveau restrictif.
Certaines bulles financières donnent l’impression d’apparaître. Les indices boursiers sont élevés et
les rendements obligataires très bas. De fait, la moyenne des taux dix ans de référence de chaque
pays de la zone euro, pondéré par le PIB du pays concerné, est très proche de son plancher
historique. Les rendements sont aussi bas qu’au pire de la Grande Dépression. Cela étant, les
reprises économiques auxquelles on assiste de par le monde ont lieu à un rythme de plus en plus
rapide et, à notre avis, les investisseurs obligataires ne pourront qu’en pâtir.
Les investisseurs obligataires européens nous semblent encourir les risques les plus
élevés. L’économie américaine devrait connaître une croissance plus vigoureuse que la zone euro,
mais la BCE est beaucoup plus susceptible d’éponger une partie des liquidités dont est
actuellement inondé le système financier européen. En fait, le remboursement de 442 Mds € le
er
1 juillet lui force plutôt la main et les banques n’ont acheté en 2009 qu’un peu moins de la moitié
des obligations d’Etat émises par les pays de la zone euro. Une rapide comparaison entre ce que
les banques ont acheté en 2009 et ce qu’elles auraient normalement acheté compte tenu de la
pente de la courbe des taux permet de conclure qu’elles ont probablement acheté quelque
200 Mds € de plus qu’à l’ordinaire. Ces achats « excédentaires » d’obligations ont pu être effectués
parce que la BCE a donné à ces établissements les moyens de le faire. Néanmoins au cours des
prochains mois, par ses retraits de liquidité la BCE forcera d’une certaine façon les banques à
revendre une bonne partie de ces obligations.
Autrement dit, en zone euro l’offre obligataire augmentera de 200 Mds € au troisième trimestre.
Certaines banques tenteront peut-être de conserver leurs positions en utilisant d’autres sources de
financement. D’autres solderont les leurs, mais à qui précisément ? Telle est bien la question
actuellement. Les investisseurs étrangers du secteur privé procèdent à des achats plus importants
depuis quelque temps, certes, mais on ne peut pas compter uniquement sur eux. Selon nous, une
fois que la Fed aura cessé ses achats de titres et que le marché américain commencera à se
méfier des opérations de repo tripartites et des autres techniques de retrait de liquidités, les taux
dix ans augmenteront rapidement.
La BCE devrait également commencer à relever ses taux au quatrième trimestre ou, plus
précisément, à mettre un terme aux mesures de relance d’urgence qu’elle a mises en œuvre.
Comme à l’accoutumée, elle évaluera l’impact de sa politique monétaire à un horizon d’un à deux
ans, mais le marché se préoccupera de savoir si la BCE n’est pas trop en avance Dans ces
conditions, la courbe des taux européens devrait, à notre avis, fortement s’aplatir au deuxième
semestre 2010 à mesure que la BCE donnera de plus en plus l’impression de vouloir relever
ses taux. Les taux dix ans devraient alors augmenter à un rythme plus lent et ceux à trente ans
pourraient même légèrement baisser. C’est généralement ainsi que la courbe de taux évolue
lorsqu’une banque centrale est en avance. Pour la même raison, la prochaine hausse de taux
décrétée par la BCE suscitera vraisemblablement une dépréciation de l’euro.
David KEEBLE
david.keeble@ca-cib.com
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7. Taux de change
Déclin de l’euro
Les tensions entre les Etats-Unis et la Chine à propos du taux de change de leurs monnaies respectives
risquent d’aller en s’intensifiant, mais les Etats-Unis auraient le plus à perdre. Les craintes concernant l’Europe
se sont apaisées, mais les perspectives de l’euro par rapport à la plupart des autres devises se sont
assombries. Nous avons maintenu nos prévisions de baisse du JPY en 2010 et de hausse de l’AUD et du NZD.
L’appréciation de l’USD devrait s’accentuer au deuxième semestre 2010.
Les tensions entre les Etats-Unis et la Chine à propos des taux de change vont susciter une plus
grande attention des marchés. Alors que la Chine continue de faire la sourde oreille aux appels à une
réévaluation du CNY, les spéculations grandissantes selon lesquelles les Etats-Unis pourraient
officiellement désigner la Chine comme « manipulant sa monnaie », prouvent que cette question va rester
au centre des préoccupations. Il devient de plus en plus difficile pour le gouvernement américain d’ignorer
les appels du Congrès à une politique plus ferme en la matière. De plus, la promesse de Barack Obama
de doubler les exportations américaines au cours des cinq prochaines années requiert une baisse du
dollar vis-à-vis des devises asiatiques, yuan en tête, et pas seulement contre les boucs émissaires
habituels tels que l’euro. Il n’y a guère de signes aujourd’hui qu’une telle baisse est près de se produire.
Nous nous attendons néanmoins à ce que la Chine finisse par réévaluer sa monnaie au cours du
deuxième trimestre 2010, ce qui poussera les autres banques centrales asiatiques à tolérer un change
plus fort.
Les craintes concernant l’Europe devraient rester au centre de l’actualité mais à un degré moindre qu’au
cours de ces derniers mois. L’annonce par la Grèce de nouvelles mesures d’austérité budgétaire suivie de
l’accord tacite de l’UE a contribué à rassurer les marchés. Le fait même que la baisse de l’USD et son
corollaire, la hausse de l’EUR, soient restées limitées montre toutefois que les inquiétudes demeurent, pas
seulement au sujet de la Grèce mais aussi des problèmes budgétaires et de la faiblesse de la croissance
dans d’autres pays européens. Par conséquent, nous avons révisé à la baisse nos prévisions sur
l’EUR/USD. En dépit d’une possible hausse de l’EUR/USD à court terme, surtout si les écarts des CDS
continuent de se réduire, nous pensons que celle-ci restera limitée. Nous prévoyons désormais
l’EUR/USD à 1,25 d’ici la fin 2010.
Nous avons également révisé, pour les mêmes raisons, nos prévisions de taux de change de l’EUR vis-à-
vis d’autres devises. Les performances du CHF et de la SEK ont été supérieures à nos anticipations. La
position plus ferme que prévu de la Riksbank a soutenu la forte hausse de la SEK mais nous nous
attendons à ce que son appréciation se poursuive à un rythme plus graduel. Quant au CHF, la BNS
semble avoir adopté une position plus souple vis-à-vis de la parité EUR/CHF et s’être faite à l’idée
d’un CHF plus fort à mesure de la reprise de l’activité. Nous continuons d’anticiper une appréciation
progressive de la parité EUR/CHF au cours des prochains mois, mais depuis un point de départ plus bas.
La révision à la baisse de nos prévisions sur l’EUR/USD combinée au maintien de nos prévisions de
baisse du JPY se traduit par une appréciation de l’EUR/JPY bien moins importante.
La GBP, qui a plus baissé que l’EUR au cours des dernières semaines pour différentes raisons, est
actuellement le « maillon faible » du marché. Elle devrait rester vulnérable à court terme, au moins
jusqu’aux élections législatives de début mai. Cependant, le cours de la livre intègre déjà tant de
mauvaises nouvelles et la GBP étant très sous-évaluée que tout nouvel accès de faiblesse sera l’occasion
de prendre des positions longues en vue d’une hausse à moyen terme. Ainsi, malgré une révision en
hausse de nos prévisions sur l’EUR/GBP pour les six prochains mois, nous nous attendons ensuite à ce
que la GBP reprenne plus vite des couleurs vis-à-vis de l’EUR que prévu précédemment. La hausse de la
GBP vis-à-vis de l’USD serait en revanche plus modeste, pour partie du fait de la révision à la baisse de
nos prévisions sur l’EUR/USD. Nous prévoyons désormais un pic de la parité GBP/USD à 1,55 environ en
juin 2011 alors que nous tablions jusque-là sur un plus haut de 1,63 en décembre 2010.
A long terme, l’USD devrait s’apprécier au fur et à mesure que le rythme de la croissance
américaine va s’affermir et dépasser celui de la plupart des autres grandes puissances économiques, et
de la zone euro en particulier. L’AUD et le NZD devraient une nouvelle fois faire figure d’exceptions et
s’apprécier grâce à des taux d’intérêt plus élevés, une croissance plus soutenue et un appétit croissant
pour le risque. Ces deux devises pourraient selon nous atteindre un pic respectivement à 0,95 et 0,76
contre l’USD au deuxième trimestre 2010, des niveaux élevés qui devraient devenir dissuasifs en
deuxième partie d’année. Les investisseurs prêts à prendre davantage de risques parieront sur une
hausse du NZD et de l’AUD et sur une baisse du CHF et du JPY, le cas des autres devises se situant
quelque part entre les deux. L’EUR malheureusement devrait se situer plutôt en bas de l’échelle à
l’horizon de notre prévision.
Mitul KOTECHA
mitul.kotecha@ca-cib.com
e
Perspectives Macro - N°128 – 2 trimestre 2010 7
8. Energie - Métaux
Une reprise à deux vitesses
La demande de pétrole est repartie à la hausse sur les marchés émergents, mais elle reste faible dans les pays de
l’OCDE. Or, le deuxième trimestre est ordinairement marqué par un déclin saisonnier de la demande de pétrole et une
certaine pression devrait s’exercer sur les prix. De fait, nous tablons sur une chute du prix du baril de pétrole brut léger
américain WTI à 68 USD/bl au deuxième trimestre 2010, suivie par un rebond à 72-76 USD/bl au second semestre
2010, soutenu par des prélèvements sur les stocks à partir du troisième trimestre.
Les dynamiques régionales conditionnent l’évolution des marchés mondiaux de produits
pétroliers. La demande de pétrole est plus vigoureuse en Asie qu’en Europe ou aux Etats-Unis, les pays
asiatiques ayant bénéficié d’un rebond plus rapide de l’activité économique et peut-être également d’un
certain phénomène de transfert de l’activité industrielle vers les économies en développement. Toutefois,
la demande des pays asiatiques ne contribuera guère à la résorption des excédents de stocks sur les
deux rives de l’Atlantique, ni au soutien de l’activité de raffinage en Europe et aux Etats-Unis. Au contraire,
plusieurs grands pays ont mis en place de nouvelles raffineries l’année dernière et sont devenus
d’importants exportateurs nets de produits pétroliers. Tel est le cas de la Chine et de l’Inde où de
nouvelles capacités de raffinage ont commencé à être exploitées en 2009. En 2010, les exportations de
produits pétroliers en provenance d’Asie continueront à influencer les équilibres sur les marchés
mondiaux.
A la fin de la période de demande élevée qui caractérise la saison hivernale, la dynamique du marché
des produits pétroliers reste caractérisée par l’héritage de la Grande Récession. Au cours des
derniers mois, la demande de gasoil a été plus durement pénalisée par le recul de l’activité industrielle et
des échanges commerciaux que la demande d’essence, et d’importants excédents de stocks de gasoil se
sont constitués au cours de l’été. De fait, la demande d’essence a mieux résisté à la récession que la
demande de gasoil. A cause du manque de flexibilité qui caractérise cette activité, les raffineries – qui
devaient satisfaire la demande d’essence – ont produit des excédents de gasoil qui ont dû être stockés.
Au début de l’hiver, les stocks de gasoil aux Etats-Unis et en Europe (stockés en grande partie sur des
navires de transport) se situaient à des niveaux historiquement élevés. Depuis lors, la rigueur des
températures a favorisé une diminution de ces excédents de stocks en soutenant la consommation de
fioul domestique. Toutefois, celui-ci représente encore une partie limitée de la demande totale de gasoil et,
à moins d’une reprise significative de la demande de diesel, les stocks de gasoil devraient rester élevés
jusqu'à la fin de l’année en Europe et aux Etats-Unis.
Christophe BARRET
christophe.barret@ca-cib.com
Les platinoïdes présentent plus d’attrait que les autres métaux précieux
Les métaux devraient enregistrer une bonne performance cette année. L’accélération de la croissance mondiale
soutenant la demande ; nous préférons toujours les métaux industriels aux métaux précieux. Toutefois, la performance
boursière des acteurs du secteur dépendra du niveau de couverture des stocks et favorisera les métaux soumis à des
contraintes en termes de production. Les platinoïdes bénéficient d’une exposition plus élevée au cycle industriel et
nous semblent présenter plus d’attrait que les autres métaux précieux.
Le platine et le palladium (désignés collectivement sous le vocable platinoïdes ou PGM) devraient enregistrer
une meilleure performance cette année. De fait, le raffermissement de la croissance mondiale devrait soutenir
l’utilisation dans l’industrie et la joaillerie, deux domaines qui avaient été durement touchés par la récession
l’année dernière. Ces deux métaux sont utilisés dans les catalyseurs auto, dont la demande devrait croître
avec la reprise des ventes mondiales de véhicules. L’accélération attendue de la croissance des ventes de
voitures à essence, qui dominent les marchés américain et chinois (tandis que les voitures diesel dominent en
Europe), favorisent le palladium davantage que le platine, car les catalyseurs auto utilisent plus de palladium
que de platine.
Aux Etats-Unis, le lancement de « trackers » suivant l’évolution du platine et du palladium physiques
pourrait encore accentuer le resserrement du marché des platinoïdes. Si l’on en juge par l’intérêt très vif observé
pour des produits similaires sur le marché de l’or et de l’argent, cette évolution devrait susciter un fort
engouement de la part des investisseurs, et donc fortement doper les prix.
Le potentiel d’augmentation des capacités de production sur ces deux métaux est limité ; l’offre de
platine est dominée par l’Afrique du Sud et celle de palladium par la Russie. L’augmentation du coût de
l’électricité en Afrique du Sud se traduira par une augmentation relativement forte du coût marginal de
production en vue de satisfaire la demande. Les ventes des stocks de l’Etat russe ont entretenu un niveau
assez élevé d’approvisionnement sur le marché du palladium, mais le niveau exact de ces stocks
demeure à présent une incertitude majeure. Même si les prix ont déjà progressé de manière assez
sensible par rapport aux points bas atteints l’année dernière, le marché nous semble encore receler un
potentiel de hausse et nous recommandons d’acheter sur repli.
Robin BHAR
robin.bhar@ca-cib.com
e
Perspectives Macro - N°128 – 2 trimestre 2010 8
9. Ressources agricoles
La demande de biocarburants dopera les prix au second
semestre
Bien que les prix des ressources agricoles soient confrontés à une dégradation des fondamentaux, ils devraient
continuer d’être soutenus par le redémarrage de l’activité économique à l’échelle mondiale et la vigueur de la
demande, tout particulièrement celle de biocarburants produits à partir de sucre ou de maïs.
La demande de biocarburants dopera les prix du sucre et du maïs. Les prix des denrées
alimentaires devraient à nouveau augmenter cette année, la reprise de l’économie mondiale
préfigurant une augmentation de la demande. La FAO craint une flambée des prix des denrées
alimentaires. Elle considère par ailleurs que les pays les plus pauvres de la planète pourraient
devenir de plus en plus tributaires de leurs importations de denrées alimentaires et les pays
exportateurs de denrées alimentaires de moins en moins nombreux.
Compte tenu de la dégradation des fondamentaux, les prix des ressources agricoles devraient
toutefois rester orientés à la baisse au cours des 4 à 5 prochains mois.
La baisse du prix des céréales et du soja est essentiellement imputable à une offre mondiale
excédentaire : la production mondiale de blé a atteint un record historique de 678 Mt et s’est
stabilisée depuis, tandis que l’abondance des récoltes aux États-Unis et en Amérique du Sud pèse
sur les cours du maïs et du soja. Une fois que le marché aura absorbé ces récoltes, les prix
devraient bénéficier de la vigueur de la demande et de la reprise économique, dans la mesure où
les acheteurs potentiels se laisseront probablement tenter par le niveau attractif des prix.
En dépit de l’insuffisance de l’offre mondiale – estimée à 9,4 Mt cette année par l’ISO –, les prix du
sucre ont baissé récemment, car les clients potentiels les trouvent trop élevés. Ils devraient
continuer de baisser au cours des quatre à cinq prochains mois, mais à un rythme plus lent : au
Brésil, le rendement des récoltes est déjà supérieur de 10 % à celui de l’an dernier en glissement
annuel et en Inde, la récolte de sucre devrait augmenter de 16 à 17 Mt cette année à 25 Mt l’an
prochain, selon l’association Simbhaoli. D’ici cinq mois, les prix du sucre devraient néanmoins
se redresser, l’Inde étant susceptible d’importer jusqu’à 3Mt de sucre à l’approche des fêtes
d’automne – en effet, la reprise économique soutiendra alors la demande mondiale.
La production de biocarburants sera l’un des principaux moteurs de la hausse de la
demande de maïs et de sucre. Les deux principaux producteurs d’éthanol sont les États-Unis
(éthanol à base de maïs) et le Brésil (éthanol à base de sucre).
Les exportations brésiliennes d’éthanol ont baissé ces deux dernières années ; au Brésil, la
production d’éthanol a baissé de 7,3 % en glissement annuel en 2009/2010, à 23,1 milliards de
litres (source : Unica), ce carburant étant devenu moins rentable en raison de la flambée des prix
du sucre. Aux États-Unis en revanche, la production d’éthanol a augmenté de près de 20 % en
2009, à 40,96 milliards de litres (source : RFA).
Les États-Unis ont décidé de tirer parti de la moindre rentabilité de l’éthanol produit à partir
de sucre et du niveau record de la récolte américaine de maïs pour accroître leurs capacités
de production d’éthanol. 109,23 Mt de maïs devraient être utilisées aux Etats-Unis pour produire
de l’éthanol cette année, ce qui correspond à 33 % du maïs récolté dans ce pays et à une
augmentation de 16,2 % par rapport à l’an dernier. En outre, la production brésilienne d’éthanol
devrait repartir à la hausse en 2010/2011, à 29,8 milliards de litres (source : Datagro), à la faveur
d’une récolte de canne à sucre plus abondante.
La production de biocarburants devrait donc soutenir la demande et les prix du sucre et du maïs
des deux principaux pays producteurs. Elle devrait également soutenir le cours des contrats à
terme sur le blé et sur le soja négociés au CBOT, le blé et le soja pouvant également servir
d’aliments pour bétail et être utilisés pour produire des biocarburants.
Christophe BARRET
christophe.barret@ca-cib.com
e
Perspectives Macro - N°128 – 2 trimestre 2010 9
10. États-Unis
D’une croissance soutenue à auto-entretenue
L’économie américaine semble sur la voie d’une croissance durable. Son rythme devrait toutefois être
atypiquement faible pour une reprise et le taux de chômage mettra du temps à refluer. L’inflation devrait rester
modérée, militant pour un statu quo sur les Fed funds cette année. Nous tablons sur une accélération de la
croissance en 2011.
Le passage à une croissance autonome de la demande privée sera une transition cruciale en
2010-2011, alors que d’expansionniste, la politique budgétaire deviendra restrictive et que le
caractère exceptionnellement accommodant de la politique monétaire sera normalisé. Les
mesures budgétaires et monétaires volontaristes mises en œuvre l’année dernière pour faire face à la
pire récession depuis la crise de 1929 continueront de soutenir la croissance en 2010, mais leur impact
ira en s’estompant et s’inversera en 2011. Les principaux obstacles que la reprise doit passer cette
année sont : l’effet richesse négatif résiduel découlant de la destruction de plus de 11 000 milliards de
dollars de richesse des ménages, un accès restreint au crédit et les incertitudes autour du paysage
économique et politique.
L’effet richesse négatif devrait inciter les ménages à épargner une partie de l’augmentation de revenu
induite par le redressement de l’emploi, afin de reconstituer leur patrimoine, ce qui pèsera sur la
consommation. Simultanément, les ménages se désendettent comme l’indique la diminution des
encours de crédit à la consommation et immobilier. Par conséquent, la consommation sera
essentiellement alimentée par le revenu courant, plutôt que par la richesse et le crédit.
L’accès restreint au crédit est un autre frein à une reprise vigoureuse de la demande des
ménages et des entreprises. Si les banques ont en grande partie stoppé le resserrement des
conditions de crédit, elles n’en sont pas encore à les assouplir. Ces restrictions sur l’offre de crédit sont
le résultat de l’impact sur leur bilan des pertes antérieures, dont toutes n’ont pas été provisionnées. Les
grandes entreprises ont accès aux marchés de capitaux mais ce n’est pas le cas des petites entreprises,
qui se tournent vers des banques également de petite taille (moins de 10 milliards de dollars d’actifs). Or
ces dernières supportent une large part des prêts à l’immobilier commercial. Et les risques associés à
ces créances nous font craindre que les banques ne restreignent longtemps leur distribution de prêts,
freinant le développement des petites entreprises et la création d’emplois. Ce dernier point est
préoccupant, les petites entreprises générant près de la moitié des emplois.
Après la destruction nette de près de 8,2 millions d’emplois salariés pendant la récession, le
marché du travail semble stabilisé. Les destructions d’emplois ont fortement diminué et nous
anticipons une augmentation des créations nettes d’emplois salariés non agricoles au fil de l’année.
Toutefois, la baisse du taux de chômage, actuellement très élevé, prendra du temps, car l’amélioration
du marché de l’emploi incitera un certain nombre de personnes à rejoindre le rang des actifs.
L’investissement des entreprises devrait continuer de se redresser, mais bien plus lentement qu’au
rythme de 19 % enregistré au quatrième trimestre 2009. L’économie compte d’importantes ressources
inemployées : taux d’utilisation des capacités 8 points de pourcentage en deçà de sa norme historique,
écart négatif de production estimé par le CBO à près de 5 points de PIB. Il ne semble donc pas vraiment
nécessaire d’accroître les capacités à ce stade. L’investissement devrait cependant être alimenté
dans une certaine mesure par la nécessité de remplacer certains équipements obsolètes. Et à
mesure que l’économie se redressera, les entreprises voudront moderniser leur stock de capital,
pour maintenir leurs marges bénéficiaires, d’autant que le coût d’usage du capital est plutôt bas
actuellement. Les entreprises ont préservé leurs marges durant la crise en réduisant leurs coûts,
salariaux en particulier. À mesure que l’emploi se redressera avec la reprise, les entreprises devront
chercher ailleurs leurs gains de productivité.
US : diminution de la dette US : stabilisation du marché du
milliards de $ milliards de $ milliers %
1700 2600 400 travail 11
200 10
1600 2550
0 9
1500 8
2500 -200
1400 7
-400 6
2450
1300 -600 5
1200 2400 -800 4
janv- janv- janv- janv- janv- janv-
1100 2350
05 06 07 08 09 10
janv-07 janv-08 janv-09 janv-10
variation mensuelle emploi salarié non agricole
encours prêts industriels et commerciaux taux de chômage (dr.)
encours crédit conso. (dr.)
Source : Réserve fédérale Source : BLS
e
Perspectives Macro - N°128 – 2 trimestre 2010 10
11. États-Unis
Les incertitudes autour du paysage politique et réglementaire tempèrent les « esprits animaux »
propices à la prise de décision et de risque. L’industrie financière ne connaît toujours pas l’impact
qu’aura la réforme de la réglementation sur sa rentabilité. Les entreprises ne savent pas combien elles
devront payer au titre de la couverture sociale de leurs salariés dans le cadre de la réforme du système
de santé. Une incertitude pèse aussi sur la consommation des ménages aux revenus élevés confrontés
à la perspective d’une augmentation de leurs impôts en 2011.
Les stocks, après avoir été massivement réduits pendant la crise, sont devenus un moteur de
croissance. Le moindre déstockage a été ainsi responsable de 3,8 points de pourcentage de la
progression de 5,6 % du PIB au quatrième trimestre 2009. Leur contribution devrait rester positive sur
l’ensemble de 2010, mais dans une moindre mesure.
La situation sur le marché immobilier résidentiel reste fragile, mais s’améliore. Au-delà du soutien
temporaire apporté par le crédit d’impôt, ce secteur mettra néanmoins du temps à se redresser. Près
d’un quart des emprunteurs doivent davantage à leur banque que la valeur de leur logement. Ces
situations de « negative equity » vont continuer de faire monter le niveau des saisies immobilières en
2010. Cette « offre cachée » finira par être mise sur le marché, ce qui nous incite à penser qu’il faudra
attendre quelque temps encore la stabilisation des prix.
La croissance modérée de 3 % que nous prévoyons cette année ne permettra d’absorber les
ressources inemployées que lentement. L’inflation sous-jacente devrait donc poursuivre sa
décélération, cette année, jusqu’en deçà de 1 % en glissement annuel. Les anticipations d’inflation
devaient rester ancrées. C’est un point important, la recherche économique ayant mis en évidence leur
influence accrue sur l’inflation, tandis que l’influence des ressources inemployées sur le marché du
3
travail aurait diminué . Nous voyons dans cet ancrage des anticipations d’inflation une crédibilité
renforcée de la Fed dans sa capacité à gérer l’inflation. Les anticipations d’inflation pourraient être
affectées par l’incertitude croissante autour de la politique monétaire en l’absence d’une
expérience similaire pour appréhender les effets retardés de la politique non-standard
d’assouplissement du crédit sur la demande globale ou l’inflation. C’est ce qui explique les efforts
déployés par la Fed pour expliquer qu’elle dispose d’outils (reverse repo, dépôts à terme et hausse de la
rémunération versée sur les réserves excédentaires des banques) pour drainer l’excès de liquidité
injecté pendant la crise financière. Préserver l’ancrage des anticipations d’inflation revêt pour la Fed une
importance cruciale. Certains intervenants craignent par ailleurs que l’explosion du déficit budgétaire
fédéral et l’augmentation de la dette publique n’incitent les autorités à orchestrer un affaiblissement de la
devise et une monétisation de la dette. Ce scénario exigerait la complicité de la Fed et serait contraire à
son mandat. En outre, M. Bernanke a explicitement rejeté, avec raison, la monétisation des emprunts
d’État, qui annihilerait la crédibilité gagnée par la Fed. D’après nous, les perspectives d’inflation
modérée, associées à un taux de chômage obstinément élevé, inciteront la Fed à maintenir les Fed
funds dans leur fourchette actuelle de 0 % à 0,25 % jusqu’au printemps 2011.
L’explosion du déficit budgétaire soulève des inquiétudes sur la qualité de la signature
souveraine et les investisseurs sont attentifs à ce que le déficit retrouve une trajectoire
soutenable. Le déficit budgétaire fédéral a gonflé à 10 % du PIB l’année dernière, et dans le cadre du
dispositif budgétaire actuel, le Congressional Budget Office (CBO) prévoit qu’il sera ramené à environ
2,75 % du PIB vers le milieu de la décennie, avant de se creuser de nouveau. Ce scénario ne tient pas
compte des modifications que le gouvernement souhaite apporter. Selon les estimations de la Maison
blanche, ses propositions permettraient au déficit de revenir à environ 4 % du PIB au milieu de la
décennie. La dette publique augmenterait jusqu’à avoisiner 73 % du PIB en 2015, contre 40 % en 2008.
Tout le monde connaît la solution au problème du déficit. Il faut augmenter les impôts et réduire
les dépenses, en particulier les transferts sociaux, comme le programme Medicare. Il revient à la
commission bipartite créée par le Président de faire des propositions.
Mike CAREY
michael.carey@ca-cib.com
Etats-Unis (a) 2009 2010 2011 2009 2010 2011
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4
PIB -2,4 3,0 3,1 -6,4 -0,7 2,2 5,6 2,7 2,9 2,5 3,0 3,4 3,4 3,4 2,6
Consommation privée -0,6 2,0 2,7 0,6 -0,9 2,8 1,6 2,6 1,8 2,3 2,7 3,1 2,9 2,4 2,6
Investiss., équip. & logiciels -16,6 8,6 11,6 -36,4 -4,9 1,5 19,0 9,8 7,0 8,0 9,2 12,0 13,0 16,0 15,0
Investissement résidentiel -20,5 2,7 18,6 -38,2 -23,2 18,9 3,7 -9,0 7,8 13,0 14,7 22,0 28,0 15,0 17,9
Variation des stocks (b) -0,9 0,5 0,1 -2,4 -1,4 0,7 3,8 0,4 0,4 0,1 0,3 0,3 0,1 0,2 0,1
Exportations nettes (b) -0,2 -0,7 -0,5 2,6 1,7 -0,8 0,3 -0,7 -0,1 0,2 -0,3 -0,4 -0,2 0,0 -0,6
Taux d'épargne 4,3 4,8 4,8 3,7 5,4 3,9 3,9 4,2 5,1 5,1 5,0 4,8 4,7 4,8 4,7
Taux de chômage 9,3 9,6 8,9 8,2 9,3 9,7 10,0 9,7 9,7 9,6 9,5 9,3 9,1 8,8 8,5
Inflation (t/t, %) -0,3 2,1 2,1 -2,2 1,9 3,7 2,6 1,7 1,2 1,8 2,5 1,9 2,4 1,8 2,4
Balance courante (% PIB) -2,9 -3,5 -3,6 -2,9 -2,8 -2,9 -3,2 -3,3 -3,6 -3,7 -3,5 -3,6 -3,6 -3,6 -3,7
(a) données annualisées (b) contribution à la croissance du PIB (en %)
3
Inflation, Inflation Expectations, Money and Monetary policy. Joel Prakken. Macroeconomic advisors presentation, mars 2010.
e
Perspectives Macro - N°128 – 2 trimestre 2010 11
12. États-Unis
Le taux de chômage va-t-il baisser aussi vite qu’il est monté ?
Une baisse lente du taux de chômage devrait suivre sa montée en flèche pendant la récession. La reprise
attendue ne serait pas sans emplois « à la 2001 », mais les emplois créés le seraient en quantités bien
moindres que lors d’une phase de reprise cyclique habituelle et, surtout, en quantités insuffisantes pour faire
baisser sensiblement le taux de chômage en 2010.
Pendant la récession, le taux de chômage est monté vite (+5,7 points de pourcentage entre son
creux de 4,4 % en mars 2007 et octobre 2009) et haut (jusque 10,1 % en octobre 2009, ce qui
devrait être son point haut si nos prévisions sont correctes). A quel point cette hausse s’est-elle
écartée de la loi d’Okun ? Les entreprises américaines ont-elles licencié plus que nécessaire par
rapport à la contraction de leur activité ? Sur quel rythme de croissance faut-il tabler pour, a
minima, stabiliser, le taux de chômage ? Quel risque que la croissance de l’emploi soit insuffisante
pour absorber l’augmentation de la population active ? Chacune de ces questions fait l’objet d’un
débat, rendant d’autant plus difficile la réponse à l’ultime question : de combien et à quelle vitesse
le taux de chômage va-t-il baisser à l’horizon des prochains trimestres.
Un marché du travail durement éprouvé par la récession
La récession traversée par les Etats-Unis de la fin 2007 à la mi-20094 et la détérioration du marché
du travail qui l’a accompagnée sont les plus sévères depuis la Grande Dépression : 8,4 millions
d’emplois salariés non agricoles détruits, un pic du taux de chômage à 10,1 % (seulement un point
plus bas que le pic atteint au début des années 1980) et un taux de sous-emploi de 17 %, un plus
haut historique5. La montée du taux de chômage aurait pu être plus sévère encore n’eût été la
baisse d’un peu plus d’un point du taux d’activité, qui s’inscrit en rupture par rapport à sa lente
décrue depuis un pic à 67 % début 2000. A 64,8 % début 2010, il se retrouve à un plus bas depuis
le milieu des années 1980. Une part disproportionnée de cette baisse s’expliquerait par le retrait
des plus jeunes et des moins éduqués, un ajustement de nature conjoncturelle et donc temporaire :
dès lors que le marché du travail donnera des signes de reprise, ces personnes reviendront gonfler
les rangs de la population active et la baisse attendue du taux de chômage s’en trouvera freinée.
Une application stricte de la loi originale d’Okun aboutit à la conclusion que le taux de
chômage a beaucoup plus augmenté durant le second semestre de 2009 que ce que le profil
de croissance laissait attendre. La formulation la plus connue de cette loi est la suivante : chaque
point de croissance en dessous du rythme tendanciel entraîne une augmentation instantanée du
taux de chômage d’un demi-point6. Or, la croissance a été positive aux troisième et quatrième
trimestres 2009, et significativement supérieure à sa tendance au quatrième trimestre (de près de
3 points de pourcentage avec une croissance tendancielle estimée à 3 %). Pourtant, le taux de
chômage a poursuivi sa hausse (alors qu’il aurait « dû » baisser d’environ 1,5 point). Autre mode
de calcul, même conclusion : le PIB était quasiment au même niveau fin 2009 que fin 2008, une
stagnation compatible avec une hausse du taux de chômage d’environ 1,5 point, qui, en réalité, a
atteint le double. Ces écarts ne sont pas totalement anormaux compte tenu des délais probables
d’ajustement. De plus, si le taux de chômage continue bien de monter, il monte malgré tout de
moins en moins : quand on met simplement en parallèle la croissance du PIB en glissement annuel
et la variation sur un an du chômage, les deux grandeurs ont visiblement évolué en ligne.
US : Taux de chômage US : emploi salarié non agricole
%
avant, pendant, après la récession
11 11 116
10 10 112
T = 100 = pic d'activité
9 9 108
8 8 104
7 7 100
6 6 96
5 5 92
4 4
T-6 T+6 T+18 T+30 T+42 T+54 T+66
3 3
déc. 2007 mars 2001 juil. 1990
1965 1972 1979 1986 1993 2000 2007 juil 1981 nov. 1973 déc. 1969
zones grisées : avril 1960 août 1957
Sources : BLS, Crédit Agricole S.A. récessions Sources : BLS, Crédit Agricole S.A.
4
La date du creux d’activité n’a pas encore été officialisée par le NBER mais la récession a probablement pris fin vers la mi-2009.
5
Définition U6 du BLS qui compte également comme chômeurs les personnes ayant abandonné toute recherche active d’un emploi et les travailleurs à
temps partiel involontaires.
6
Et cette relation est proportionnelle et symétrique.
e
Perspectives Macro - N°128 – 2 trimestre 2010 12
13. États-Unis
L’écart entre le taux de chômage observé et celui déduit de la loi d’Okun s’explique par la
réalisation de gains de productivité inhabituellement élevés au cours du second semestre
de 2009, c’est-à-dire durant les premiers mois de la reprise7. L’analyse des entrées et sorties
du chômage permet d’apporter un éclairage supplémentaire sur ce qui a alimenté ces gains de
productivité. Sont-ils venus d’une augmentation inhabituelle des licenciements (composante des
flux dits entrants8), d’une baisse inhabituelle des embauches (composante des flux sortants9), ou
d’une combinaison des deux ? D’après les travaux d’Elsby et alii (2010), la récession de 2008-2009
se distingue des précédentes essentiellement par la baisse continue et très importante des flux
sortants10. L’évolution des flux entrants, plus précisément des licenciements, est, elle, similaire aux
précédentes grosses récessions et caractéristique justement de leur sévérité : forte progression au
début, ralentissement ensuite.
Un lent rétablissement en perspective
Quelles conclusions tirer de ces résultats pour le futur ? Le taux de chômage semble bien avoir
monté plus que ce que justifiait la contraction de l’activité. La logique voudrait qu’un tel sur-
ajustement à la hausse soit rapidement corrigé : tout comme, historiquement, plus sévère est la
récession, plus vigoureuse est la reprise, on peut en effet penser que plus la hausse du taux de
chômage est excessive pendant la récession, plus son déclin est rapide pendant la reprise. La
réalité est néanmoins plus complexe dans la mesure où la nature de la récession importe autant, si
ce n’est plus, que son ampleur. Il en va de même pour le taux de chômage dont la baisse dépend
de ce qui l’a poussé à la hausse. Et, en l’occurrence, les perspectives sont mitigées.
En effet, la réalisation d’importants gains de productivité, la facilité d’un ajustement de la quantité
de travail par une hausse de la durée, la part importante du travail temporaire involontaire, et le
manque même de vigueur de la reprise économique anticipée sont autant d’arguments en faveur
d’une reprise sans emplois. D’ailleurs, si on considère que le creux d’activité a été atteint en juin
2009 et vu que l’emploi continue de baisser (et le taux de chômage de monter), une telle reprise
sans emplois serait d’ores et déjà une réalité. Cette situation ne devrait toutefois pas perdurer : un
véritable redémarrage de l’emploi semble en bonne voie. C’est sa vigueur qui pose question, plus
exactement celle de la reprise des embauches. A ce jour, on observe bien un ralentissement
significatif des licenciements, qui contribue au ralentissement des destructions nettes d’emplois
salariés non agricoles, mais les entreprises restent prudentes en matière de recrutements. Elles
vont cependant avoir du mal à pousser beaucoup plus loin les gains de productivité déjà réalisés :
pour continuer d’accroître leur production, elles vont devoir embaucher de plus en plus. La bonne
nouvelle, c’est qu’elles en ont les moyens ; la mauvaise, c’est le dynamisme incertain de la
croissance. Et il y a un autre point noir au tableau. La très forte montée du chômage de longue
durée fait en effet peser un risque nouveau pour les Etats-Unis, mais bien connu des Européens :
le risque d’hystérèse.
Notre scénario coupe la poire en deux entre une vraie reprise sans emplois « à la 2001 » et une
vraie reprise cyclique « à l’ancienne » : d’après nous, la croissance va créer des emplois mais
en quantités moindres que lors d’une phase de reprise cyclique habituelle et surtout
insuffisantes pour faire baisser sensiblement le taux de chômage en 2010.
US : Croissance du PIB a-a, US : gains de productivité horaire
t/t % moyen, r.a
a/a, % et taux de chômage point de % 8
10 4
7
8 3 6
6 2 5
4
4 1 3
2 0 2
1
0 -1 0
-2 -2 -1
zones grisées : récessions 61-69 82-90 91-01 01-07 09-…
-4 -3
1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004 2007 2010 années 1 et 2 du cycle années 3 et 4
années 5 et 6 années 7 et +
croissance taux de chômage (dr.) récession
Sources : BEA, Census bureau, Crédit Agricole S.A. Sources : BLS, Crédit Agricole S.A.
7
M. Daly et B. Hobijn, 2010, “Okun’s Law and Unemployement Surprise of 2009”, FRBSF Economic Letter n°2010-07, mars.
8
Ceux qui ont perdu leur emploi, ceux qui l’ont quitté, les nouveaux entrants et les ré-entrants sur le marché du travail viennent gonfler les rangs des
chômeurs.
9
Ceux qui quittent la population active (parce qu’ils sont découragés ou pour toute autre raison) et ceux qui trouvent un emploi sortent (des statistiques) du
chômage.
10
Cf. M. Elsby, B. Hobijn, et A. Sahin, « The Labor Market in the Great Recession », papier présenté pour le Brookings Panel on Economic Activity, 18-19
mars 2010.
e
Perspectives Macro - N°128 – 2 trimestre 2010 13
14. États-Unis
Si l’on suit ce que nous dit la loi d’Okun en prévision, avec nos chiffres de croissance
marginalement supérieurs au rythme tendanciel, la baisse du taux de chômage ne peut en effet
qu’être lente. Un taux de croissance du PIB de 3 % permet de stabiliser le taux de chômage avec
environ 150 000 emplois créés par mois (sous l’hypothèse d’une progression tendancielle de la
population active de 0,1 % par mois).
Pour obtenir une baisse plus rapide du taux de chômage, le seuil critique des créations nettes
mensuelles d’emplois passe à environ 250 000, un chiffre atteignable avec une croissance de 4 %
environ ou une croissance moindre mais des gains de productivité plus faibles. C’est tout à fait du
domaine du possible (c’est d’ailleurs ce sur quoi nous tablons en 2011). Mais cela n’enlève rien au
caractère problématique de la lenteur annoncée de la baisse du taux de chômage. On se souvient
que la valeur du cœfficient d’Okun implique qu’à chaque point de croissance au-dessus de la
croissance tendancielle est associée une baisse du taux de chômage de 0,5 point. Compte tenu
de son niveau actuel, proche de 10 %, et sous l’hypothèse raisonnable d’une croissance
réelle moyenne de 3,5 % et d’une croissance potentielle de 3 %, le délai pour revenir au
niveau de 5 % jugé normal pour les Etats-Unis serait de dix ans ! Ce délai tombe en revanche
à environ deux ans si la cible de taux de chômage est remontée à 7 % et sous l’hypothèse d’une
croissance réelle observée de 5 % et d’une croissance potentielle réduite à 2 %.
Hélène BAUDCHON
helene.baudchon@credit-agricole-sa.fr
US : créations et destructions US : Croissance du PIB et emploi
milliers, cvs d'emplois privés a/a, % variation mensuelle, mm12, milliers
9000 9000 7 500
8500 8500 400
5 300
8000 8000 200
3 100
7500 7500
1 0
7000 7000 -100
6500 6500 -1 -200
6000 6000 -300
zones grisées : récessions -400
-3
5500 5500 zones grisées : récessions -500
92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 -5 -600
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
créations destructions
croissance emploi (dr.)
Sources : BLS (enquête BED), Crédit Agricole S.A.
Source : BEA, BLS, Crédit Agricole S.A.
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