Présentation de Stéphane BOULANGER, Febecoop, "Fondamentaux et enjeux actuels de l’entrepreneuriat coopératif", dans l'Atelier 15 "Entrepreneuriat social et coopératif-Scop" de la XVe Conférence Annuelle Internationale INTI « Économie Sociale et Solidaire dans les territoires », 22-25 novembre 2016, Charleroi et Liège, Belgique.
6. IV. Restructurations et renouveau? (1986 – 2016)
III. Recul et stabilisation (1961 – 1985)
II. Développement et apogée (1919-1960)
I. Les origines (1844 – 1918)
Un (tout petit) peu d’histoire
On m’a demandé de reposer les fondamentaux de l’EC, ainsi que ses enjeux actuels
Important de clarifier l’endroit d’où on parle :
Febecoop : plateforme de promotion soutien à l’entrepreneuriat coopératif
portée par des acteurs historiques et majeurs de l’histoire coopérative belge (principalement P&V / Multipharma)
Ma réalité est donc faite de beaucoup d’interactions, de rencontre des projets coopératifs pour comprendre leurs besoins et essayer d’y répondre, que ça soit à travers l’accompagnement individualisé de projets ou des dispositifs plus collectifs.
Parler de la coopération sur le plan économique, c’est avant tout se rappeler une évidence que l’organisation de marché a parfois tendance à nous faire oublier : l’espèce humaine est viscéralement, férocement coopérative.
Nous disposons en effet d’aptitudes cognitives et affectives qui nous permettent de fonctionner avec l’autre, et d’atteindre ensemble des objectifs qui nous demeurent interdits en tant qu’individu isolé.
Nous interagissons partout, tout le temps, sans souvent nous en rendre compte:
Que faisons-nous à l’instant même, dans ce colloque ? Nous mettons nos cerveaux ensemble pour appréhender des questions complexes liées à l’économie sociale et à l’intelligence territoriale, et les réponses sont des assemblages de points de vue.
Les premiers à avoir transposé cette posture de coopération dans le champ de l’entreprise sont ces messieurs, des tisserands, qui, au milieu du 19ème siècle, en Angleterre, à Rochdale, ont créé la première coopérative de consommateurs : un magasin de produits de première nécessité à prix modique, géré par ses clients.
Important de comprendre le contexte : à cette époque, l’industrialisation en est à ses prémices, et le rapport de force est nettement à l’avantage de ceux qui détiennent le capital, quelques-uns, et au désavantage de ceux, nettement très nombreux, qui sont venus peupler les villes et cherchent à valoriser leur force de travail pour se ménager des revenus.
La raison qui fait bouger ces messieurs à la mise quelque peu amidonnée de ces fiers pionniers, se cache un pouvoir d’achat fragilisé, combinaison de bas salaires proposés par les manufacturiers et des prix pratiqués par les commerçants.
Le fondement de la coopération économique est posé : s’allier et assembler du capital pour prioritairement satisfaire des besoins communs, et non pas rechercher avant tout la rémunération du capital.
Et cet ajustement de priorité est « capital » dans la logique de l’entrepreneuriat coopératif : on bascule dans des stratégies de croissance et de financement plus raisonnés, plus raisonnables, davantage tournés vers la permanence de l’entreprise, et de la satisfaction des besoins communs évoqués.
Entre hier et aujourd’hui, il y a 175 ans d’histoire coopérative, faite de hauts et de bas, que je résumerais de la façon suivante :
Les coopératives vont se multiplier un peu partout dans le monde et dans notre pays, tant dans les villes, autour des besoins de l’ouvrier, que dans les campagnes, pour sécuriser l’existence de ceux qui vivent de la terre.
Assez vite, une convergence et des synergies vont s’installer entre ce principe de rationalité économique et des mouvements idéologiques, politiques, qui voient dans ce type d’entrepreneuriat l’opportunité de combler des lacunes criantes sur le plan alimentaire, ou encore en matière de soins de santé et plus largement de l’assurance sociale, de l’accès au crédit.
Il y a eu plus récemment, deux courants forts :
de l’accès au marché du travail : Caroline en parlera abondamment dans un instant
de la réappropriation de l’entreprise par les travailleurs : ça, c’est le dada de Didier.
Cette convergence va conférer à l’entrepreneuriat une dimension de mouvement. Il s’agit d’entreprendre, certes, mais différemment, en incluant dans cette démarche du sens et des préoccupations d’ordre social au sens large. C’est une alternative, qui a aussi pour vocation à interpeller l’entrepreneuriat plus classique.
Et nous voilà, moyennant quelques raccourcis, en 2016, dans une société qui s’est complexifiée, technologisée, dépiliarisée, mais qui, fondamentalement, présente toujours la même équation économique :
L’offre de travail est toujours inférieure à la demande
L’accès au capital demeure toujours aussi difficile.
La pertinence de s’allier et de s’auto-organiser pour satisfaire des besoins communs perdure donc.
Et cette alliance continue à se construit essentiellement sur des liens communautaires, au niveau local.
J’épinglerai trois grandes différences dans le contexte, qui emportent autant d’enjeux :
I. Le capitalisme est entré dans une nouvelle ère, moins industrielle, (post-industrielle - 3ème révolution), plus numérique, ce qui amène son lot d’opportunités mais aussi de risques.
Une des principales données qui émerge est la facilitation de la mise en contact entre individus. Si l’activité économique continue à intégrer une forte composante physique, la rencontre entre offreur et demandeur s’opère de plus en plus souvent via des plateformes internet ou des applications mobiles.
D’où la montée en puissance de plateformes collaboratives telles que Uber, AirBnB, Deliveroo.. Dans lesquelles la valeur continue par être captée par ceux qui ont eu le capital nécessaire pour investir.
Il est donc impératif de ne pas laisser le champ libre aux acteurs classiques, et de développer une alternative dans le champ numérique. Un nouveau mouvement est en cours d’émergence, visant à faciliter l’émergence de plateformes coopératives, à partir d’expériences réussies, comme une plateforme post-uber de 800 taximen à Denver. On ne devrait pas tarder à en entendre davantage parler en BE.
A la clef, il y a au minimum des meilleures conditions de travail pour tous ceux qui n’ont pas d’autres choix que de passer par ces plateformes pour valoriser leur main d’œuvre.
Deuxième élément de contexte : Besoin de sens grandissant du grand public : contribuer à une économie prenant davantage en compte la durabilité sur le plan environnemental et social, combiné à un essoufflement des produits d’épargne classique.
Enjeu :
Le modèle coopératif doit pouvoir s’expliquer pour ne pas être perçu comme une simple voie de durabilisation de son épargne, sans impact pour le rendement.
Investir dans des projets coopératifs, c’est investir d’abord pour la solution qu’apporte l’entreprise,
Il faut aussi aider à décrypter, car forme juridique coopérative ne veut pas nécessairement dire projet coopératif.
A la clef :
Ne pas se laisser guider par le rendement dans les stratégies de développement
Des coopérateurs engagés : dans les coopératives à base élargie, « citoyennes », on estime de 10 à 15% le nombre de coopérateurs prêts à s’investir en temps et en compétences dans le projet.
Elément de contexte 3 : La progression des savoirs et des techniques rend les projets entrepreneuriaux plus complexes et augmente le nombre de parties prenantes potentielles (ex : NRJ renouvelables) => les projets coopératifs sont de plus en plus souvent multi-acteurs > multi-parties prenantes. NRJ renew : promoteurs, commune, agriculteurs, écoles, riverains, citoyens sympathisants, environnementalistes, gestionnaire de réseau, etc.
Enjeu 3 : Gérer la participation au sein de projets entrepreneuriaux multi-acteurs, avec des catégories de coopérateurs qui viennent satisfaire, à travers un projet commun, des besoins différenciés.
A la clef : une intelligence collective, fruit d’expériences, de points de vues différents, pour trouver des solutions adaptées à des problématiques complexes, notamment sur le plan de la durabilité.
A cet égard, beaucoup d’innovation dans les projets en émergence en Wallonie et à Bruxelles.
Oulà, allez-vous me dire, ça n’a pas l’air simple, votre histoire…
Heureusement, on peut s’appuyer sur 175 ans d’histoire coopérative, pour comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas.
Cette expérience, agrégée par l’ACI, se présente sous la forme de 7 principes (cfr schéma), que nous n’allons pas parcourir ici dans le détail.
L’important est, nous semble-t-il, de bien considérer que ce sont ces principes qui font de l’entrepreneuriat coopératif un « modèle » reposant sur une théorie.
Leur implémentation dans l’entreprise conditionne le maintien de l’implication de la communauté de coopérateurs dans le projet.
En conclusion, l’attention mise sur la satisfaction des besoins communs, ainsi que l’implication continuée des coopérateurs explique sans doute en grande partie un phénomène qui s’est révélé en 2008, à l’occasion de la crise financière : les entreprises profondément coopératives résistent mieux que les autres aux chocs exogènes, et donc participent clairement à la résilience des territoires.
Je dirai pour finir une phrase entendue un peu plus tôt dans la semaine : seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin.