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›Alimentation
Entre deux eauxLES NOUVELLES EAUX EMBOUTEILLÉES AFFICHENT DES PRÉTENTIONS SANTÉ.
FONTAINE DE JOUVENCE OU PÉTARD MOUILLÉ?
par Josiane Cyr, Dt. P., nutritionniste
L’
eau embouteillée a la cote. Rarissimes il y a tout juste quelques années, les bou-
teilles en plastique portables et jetables ont maintenant envahi notre quotidien.
Certaines personnes s’en tiennent même exclusivement à l’eau en bouteille pour
s’hydrater.
Au Canada, ce lucratif marché que se partagent principalement quatre mul-
tinationales (Coca-Cola, Pepsico, Danone et Nestlé) a connu une croissance de 6,5 % entre
1996 et 2002. Selon la revue Nutrition Action Healthletter (juin 2008), l’eau embouteillée comp-
tait pour 29 % de toutes les boissons achetées en 2006.
Loin de vouloir s’arrêter, cette industrie développe maintenant de nouveaux créneaux: les
boissons à base d’eau, aromatisées et parfois enrichies de vitamines, de minéraux et d’ingré-
dients naturels (comme la guarana, la taurine, le thé vert, etc.). Et le filon semble prometteur:
les ventes dans cette catégorie ont bondi de 30 % en 2007!
Photos:iStockphoto;RéjeanPoudrette
«Une génération entière est en train
de grandir avec l’idée que l’eau à
boire vient dans de petites bouteilles
en plastique», écrit Elizabeth Royte
dans son livre Bottlemania: How Water
Went on Sale and Why We Bought It
(Bloomsbury, 2008).
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Zéro calorie
À l’instar des boissons gazeuses, on trouve plusieurs
produits en version «diète». Sucrés avec des édulcorants de
synthèse, la plupart affichent la mention «sans sucre» ou
«0 calorie». Mais les édulcorants de synthèse sont-ils sans dan-
ger? L’omniprésence des agents sucrants dans les boissons à
base d’eau mérite qu’on s’y attarde un peu. Surtout que des
études récentes sur des rats ont démontré que les édulcorants
artificiels stimulent certains processus biochimiques dans l’orga-
nisme, notamment dans l’intestin, en lien avec la perception du
goût sucré. On ne connaît pas encore très bien l’impact de cette
découverte, mais ce qui est certain, c’est que ces substances ne
sont pas physiologiquement neutres, comme on l’avait cru.
Aspartame
Controversé depuis des décennies, principalement parce que
sa dégradation dans l’organisme produit d’infimes quantités de
méthanol, l’aspartame a pourtant fait l’objet de nombreuses
études qui certifient son innocuité. Un bémol: une équipe de
chercheurs italiens a publié en 2006 une recherche démontrant
l’effet multicarcinogénique (qui peut induire plusieurs types de
cancers) de l’aspartame. Cependant, selon une nouvelle publiée
le 18 mai 2006 sur le site de PasseportSanté.net, des experts
nord-américains et européens ont relevé certaines faiblesses
dans cette étude et n’endossent donc pas ses conclusions. Santé
Canada estime pour sa part que les résultats de cette recherche
ne justifient pas de revoir le Règlement sur les aliments et dro-
gues concernant la dose journalière acceptable d’aspartame.
Acésulfame-potassium
Certains chercheurs estiment que ce produit a été trop peu
étudié et que les études faites à son endroit comportent plu-
sieurs lacunes.
Sucralose
Dérivé du sucre, le sucralose (commercialisé sous le nom de
Splenda) n’est pas absorbé par l’organisme, ce qui à première
vue le rendrait inoffensif. On le soupçonne cependant de pro-
voquer des migraines chez certains individus, mais il faudrait
faire davantage de recherches sur ce sujet.
À quelques grammes
près, une portion de
ces produits fournit
la même quantité de
sucre qu’une boisson
gazeuse de marque
populaire.
Des boissons gazeuses déguisées
Est-ce pour prendre le relais des boissons gazeuses, dont
les ventes stagnent depuis quelques années, que les fabri-
cants ont créé ces boissons à l’allure vaguement santé? À
bien y regarder, elles ressemblent à s’y méprendre à des
boissons gazeuses: de l’eau, du gaz carbonique, des arômes,
des additifs (acide citrique, citrate, sorbate ou benzoate de
potassium, acide malique) et du sucre. Ainsi, lorsque vous
vous servez un verre d’Eau pétillante à la tangerine et à la
limette Compliments ou que vous ouvrez une bouteille de
Clearly Canadian Original, vous obtenez à quelques
grammes près la même quantité de sucre que
dans une boisson gazeuse de marque popu-
laire. Attention: l’étiquette de Clearly Canadian
Original indique 33 g de sucre par portion
de 355 ml; or, la bouteille contient 414 ml.
Si on suit la «posologie» de deux bouteilles par jour, ce
produit destiné aux enfants leur fera ingérer 42 g de sucre,
soit l’équivalent de 10,5 sachets. Or, comme aucune infor-
mation nutritionnelle n’apparaît sur l’étiquette, les parents
ne peuvent pas prendre de décision éclairée face à ce
produit. De plus, si cette boisson prend la place de verres
d’eau, l’enfant consommera jusqu’à 5000 calories de plus
chaque mois!
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Avec vitamines et minéraux?
Un petit quelque chose de plus
Perrier (maintenant propriété de Nestlé Waters) a été une des premières marques à ajouter
une plus-value à son eau: des arômes naturels. Les Perrier Lime et Perrier Citron sont rapidement
devenues des incontournables. D’autres compagnies ont emboîté le pas, notamment Montclair
et Nestlé Pure Life Pétillante. Sans sucre, ni additifs, ni édulcorants, ces produits sont certaine-
ment les meilleurs choix santé parmi les eaux aromatisées.
Même si elles contiennent un certain pourcentage de jus de fruits, les boissons de ce
type, comme la Frizzante à l’orange Le Choix du Président, ne sont pas très différentes
des autres: elles aussi contiennent du sucre, des additifs, des arômes naturels. La boisson
Silhouette Fiz ne fournit que l’équivalent de 1/8 de fruit (sous forme de jus) par portion de
250 ml. Ces boissons ne peuvent donc remplacer les fruits ou les jus de fruits.
Additionnées de jus?
Tout comme les boissons énergisantes, les nouvelles eaux
enrichies de vitamines et de minéraux s’affichent comme des
produits de santé naturels et sont ainsi soumises au Règlement
sur les produits de santé naturels. Les fabricants ne sont donc
pas tenus d’apposer un tableau de la valeur nutritive indiquant
notamment la teneur en sucre. Or, après vérification auprès des
fabricants, les eaux vitaminées Aqua+ Le Choix du Président et
Aquafina Plus en contiennent respectivement 25 et 26 g par
bouteille de 591 ml, soit l’équivalent de plus de six cuillerées
à thé; c’est presque autant qu’une quantité équivalente de
boisson gazeuse!
Et que dire des ajouts de vitamines? Si on respecte les directi-
ves, les doses supplémentaires de vitamines et de minéraux sont
légèrement au-dessus de la valeur quotidienne recommandée,
sauf pour la vitamine C, qui est nettement dépassée. «Les pro-
duits que j’ai examinés renferment des vitamines du groupe B,
comme les B3, B5, B6 et B12. Ils ne contiennent ni B1 ni B2, des
vitamines qui jouent pourtant des rôles très importants. Par
exemple, l’ajout de B6 sans la présence de B2 peut provoquer
certains déséquilibres», estime Jeanne-Marie Keyser, nutrition-
niste pour De Keyser Nutrition et spécialiste du dépistage des
carences nutritionnelles. Avis aux fabricants: il faudrait revoir le
mélange de vitamines. «J’irais même jusqu’à faire une mise
en garde pour les femmes enceintes et les enfants. Et à cause
de la présence de sucre, je le déconseille aussi aux personnes
diabétiques et à celles qui ont un surplus de poids», ajoute
Mme Keyser.
Par ailleurs, ces boissons contiennent des colorants et des
additifs, ce qui n’a rien de naturel. La présence de colorants
dans les produits la préoccupe particulièrement «à cause de
certaines réactions allergiques à ces substances». Des études
récentes établissent aussi un lien entre la présence de colorants
et d’additifs (notamment les agents de conservation de type
benzoate) et l’hyperactivité chez les enfants. «Bref, conclut
Jeanne-Marie Keyser, une personne en santé peut consommer
sans problème une bouteille à l’occasion, mais il vaudrait mieux
miser sur une alimentation variée plutôt que sur ces eaux vita-
minées pour combler ses besoins quotidiens.»‹
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›Alimentation
Cette boisson à l’eau cen-
sée «accroître la vivacité
d’esprit et la résistance
physique» doit ces pro-
priétés à la guarana, une
plante naturellement riche
en caféine, mais aussi
aux 50 mg de caféine
ajoutés au produit. On
recommande d’ailleurs
sur l’étiquette de «consul-
ter un professionnel de la
santé avant d’utiliser [ce produit] si vous
prenez du lithium ou en cas d’hyperten-
sion artérielle, de glaucome ou de vessie
hyperactive»! Aucune mise en garde n’est
cependant faite pour les enfants.
ter un professionnel de la
Selon une étude de 1999 du Natural
Resources Defence Council des États-Unis,
le coût d’une bouteille d’eau serait de 240
à 10 000 fois celui de l’eau du robinet!
Actuellement, on débourse entre 13 et
38 ¢ pour 250 ml d’eau de source, miné-
rale ou traitée. Les eaux à valeur ajoutée
sont encore plus chères: entre 20 et 85 ¢
par portion de 250 ml. Mieux vaut donc
consommer ces produits avec modération,
pour le plus grand bien de notre
portefeuille, de notre santé
et de celle de la
planète!
Un fléau pour l’environnement
L’
eau embouteillée produit un impact non négligeable sur l’envi-
ronnement et fait face à une opposition grandissante de la part
des consommateurs et des groupes environnementaux. Selon Tony
Clarke, auteur du livre Inside the Bottle: An Exposé of the Bottled Water
Industry*, environ 12 milliards de bouteilles en plastique sont produites
annuellement en Amérique du Nord, et la grande majorité d’entre elles ne
sont pas consignées ni recyclées. Pourtant, certaines grandes compagnies,
comme Pepsico et Coca-Cola, s’étaient engagées au début des années 1990
à utiliser 25 % de plastique recyclé, mais y ont renoncé en raison des coûts
élevés qui y sont liés.
Par ailleurs, la production de ces plastiques entraîne la libération de sub-
stances toxiques, comme le benzène ou l’oxyde d’éthylène, dans l’environne-
ment. En plus de la fabrication du plastique, la mise en bouteille de l’eau et
le transport aux points de vente entraînent l’émission de plusieurs tonnes de
gaz à effet de serre chaque année.
* en français sur Internet à l’adresse www.environnement.umcs.ca/
images/bouteille_t_devp.pdf
Solutions de rechange
L
e goût de l’eau vous ennuie? Voici comment le relever à peu de frais
et sans risque pour l’environnement ou votre santé.
• Laissez reposer l’eau du robinet quelques minutes à la température
ambiante, puis réfrigérez-la ou encore filtrez-la avec un pichet de type Brita.
Ces deux méthodes améliorent le goût de l’eau en éliminant le chlore.
• Ajoutez un filet de jus de citron, de lime, d’orange ou de pamplemousse
à votre verre d’eau.
• Mélangez à de l’eau de source gazéifiée un peu de votre jus préféré.
• Préparez un pichet de thé (noir ou vert), ajoutez-y un
peu de miel et de jus de canneberge (ou un peu de
cocktail aux canneberges) et réfrigérez.
Vous aimez le côté pratique des bouteilles en plasti-
que? Procurez-vous une bouteille ou une tasse en acier
inoxydable ou en verre, remplissez-la et transportez-la
partout où vous allez. Contrairement au plastique
(comme le polyéthylène téréphtalate, ou PET, qui com-
pose la majorité des contenants d’eau embouteillée),
ces matières n’ont pas tendance à libérer des
substances potentiellement nocives
dans l’eau. De plus, votre production
de déchets s’en trouvera fortement
réduite.
• Préparez un pichet de thé (noir ou vert), ajoutez-y un
peu de miel et de jus de canneberge (ou un peu de
cocktail aux canneberges) et réfrigérez.
Vous aimez le côté pratique des bouteilles en plasti-
que? Procurez-vous une bouteille ou une tasse en acier
inoxydable ou en verre, remplissez-la et transportez-la
partout où vous allez. Contrairement au plastique
(comme le polyéthylène téréphtalate, ou PET, qui com-
pose la majorité des contenants d’eau embouteillée),
ces matières n’ont pas tendance à libérer des
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