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Université de Lyon 
Université lumière Lyon 2 
Institut d'Études Politiques de Lyon 
Les Midnight Movies: une « espèce » 
cinématographique disparue ? 
Mémoire de Séminaire 
Préparé par Camille Durand 
Sous la direction de Jean-Michel Rampon 
Soutenu le : 6 septembre 2010
Table des matières 
Epigraphe . . 5 
Introduction . . 6 
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies . . 13 
A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies . . 13 
1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le surréalisme. 
. . 13 
2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies . . 16 
B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un fourmillement créatif . . 18 
1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes cinématographiques . . 18 
2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin comme haut lieu 
d’épanouissement d’une culture underground . . 20 
Partie 2 : Que sont les midnight movies . . 22 
A. Une tentative de définition par le genre. . . 22 
1/ Le genre expérimental . . 22 
2/ Le genre fantastique . . 26 
3/ Le mélange des genres . . 27 
B. Une convergence thématique : La perversion. . . 29 
C. Un midnight movies est un film culte, produit de son audience. . . 30 
1/ Description d’un public singulier . . 30 
2/ Le film culte : définition et analyse . . 31 
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète? . . 36 
A. Les midnight movies : chronique d'une mort annoncée. . . 36 
1/ Les raisons économiques d’un déclin . . 36 
2/ Les raisons culturelles : Hollywood récupère l’esthétique de minuit . . 38 
B .La télévision : un rôle néfaste pour la culture de minuit. . . 39 
1/ La culture vidéo :l’entrée dans la postmodernité et le non public de la télévision 
. . 39 
2 / Les talks shows : de l’horreur au voyeurisme . . 41 
3/ La série télévisée culte : Twin Peaks , fille de l’esthétique de minuit . . 41 
C. The big LEBOWSKI : La résurection du phénomène des midnight movies. R . . 43 
1/The big Lebowski : un parcours similaire aux midnight movies . . 43 
2/ Analyse de la séquence d’ouverture . . 44 
3/ Conclusion : Une « critique postmoderne du rêve hollywoodien »: . . 48 
4/ L’ adoption du film par une grande communauté de fans . . 49 
D. Une nouvelle approche des fans : une coproduction d'objet de culte. . . 51 
1/Les nouvelles formes de participation des fans , fanfictions :des formes de 
coproduction du sens . . 51 
Conclusion générale . . 57 
Bibliographie . . 60 
Ouvrages . . 60 
Articles . . 60 
Issus de revues . . 61
Issus de la presse . . 61 
Annexes . . 62
Epigraphe 
Epigraphe 
« Cinéma est un nom de l'art dont la signification traverse les frontières de l'art. » 
Jacques Rancière 
DURAND Camille_2010 5
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
Introduction 
A minuit, la dernière heure, heure mystique s'il en est, plusieurs événements très différents 
prennent place: minuit est l'heure de la messe traditionnelle des catholiques la veille du 
vingt-cinq décembre où une grande célébration prend place pour fêter la naissance de 
Jésus. C'est aussi le moment, au réveillon de la Saint Silvestre, où l'on s'embrasse et 
l'on fête le passage à la nouvelle année, dans le calendrier chrétien. Dans la littérature, 
les contes et croyances populaires, minuit est le moment magique de l'irrationnel où les 
sabbats de sorcière, sortes d’assemblées nocturnes, prennent place, où les vampires 
s’éveillent, les loups garous s’animent, où Mr Jekyll laisse place à Mr Hide, et enfin, dans les 
romans policiers, c'est la traditionnelle heure du crime. C'est une heure qui fait fonctionner 
l'imaginaire collectif, qui suggère un affranchissement du domaine du rationnel, et donc du 
réel. 
Cette folie inhérente à l'heure de minuit est le vecteur d'une culture underground, 
choisissant l'obscurité pour satisfaire les attentes d'un public avide de produits marginaux, 
allant à contre courant de la culture dominante ; parmi ceux là, des films à petits budgets, 
parfois dits « peu recommandables » devenus aujourd'hui des films culte grâce à leur 
diffusion à minuit dans les années 1970: les « Midnight Movies ». En France , l'expression 
n'a pas d'équivalent qui puisse désigner aussi bien ce qui est devenu un genre à part entière 
aux Etats Unis, c'est pourquoi j'utiliserai l'expression américaine tout au long de ce mémoire. 
L'idée première de ce mémoire m'est venue par la mise en relation de deux réalisateurs 
que j'admire beaucoup au nom de leur rejet des conventions hollywoodiennes et de 
leur capacité à créer dans leurs films un univers cinématographique très personnel et 
pourvu de ses propres codes esthétiques déviants: il s'agit de Alejandro Jodorowsky_ le 
réalisateur chilien, créateur avec Fernando Arrabal et Roland Topor du mouvement Panique, 
scénariste de bandes dessinées, essayiste et poète_ et de David Lynch , un réalisateur 
américain bien difficile à classer. Le caractère « protéiforme » de son art m'intéressait tout 
particulièrement, car cet artiste passa de peintre à réalisateur de films, puis de séries, à 
designer, photographe et plasticien, musicien, producteur de publicités et inventeur d'une 
méthode de méditation transcendantale destinée à lutter contre la violence dans les écoles. 
Cette sorte d'universalité artistique, le procédé de recyclage qu'il utilise pour utiliser d'un art 
à un autre les mêmes figures et obsessions me plaisaient et m'ont encouragé à approfondir 
mes connaissances. Le pont qu'il construit entre les arts m'intéressait particulièrement, 
la question de la transversalité dans son esthétique a d’abord monopolisé mon attention. 
Ces deux artistes, très influencés par le mouvement surréaliste auquel je me suis toujours 
intéressée, et tout particulièrement en littérature, m'ont guidé vers les Midnight Movies. 
Eraserhead étant le film que j'estime le plus, je me suis tournée vers ses particularités 
esthétiques ; ce premier film de Lynch est quasiment expérimental, fait de manière artisanale 
(Lynch assume durant la durée du tournage, soit 5 ans, tous les rôles, de décorateur à 
chargé de bruitage, tout comme Jodorowsky, dans El topo, est à la fois acteur, réalisateur, 
musicien, décorateur, peintre et costumier) avec un petit budget, et très influencé par 
l'esthétique surréaliste. En 2004, Eraserhead a été « déclaré » culte dans l'histoire du 
film américain, classé comme tel par le National Film Registry , ce qui suggère qu'il a été 
sélectionné pour son « importance culturelle, historique ou esthétique » . 
6 DURAND Camille_2010
Introduction 
Ce film fait figure d’OVNI dans le paysage du film, et j'ai donc étudié, en mettant en 
relation les premiers courts métrages de Lynch « the Alphabet », « The grandmother », 
« six men getting sick » avec ses peintures (que j'ai pu analyser grâce au catalogue de 
l'exposition de la fondation Cartier qui lui était dédiée en 2007), les principales figures, 
obsessions lynchiennes. 
Dès lors il m'a fallu me questionner sur la forme du travail que je souhaitais accomplir 
sur Lynch: était-ce l'esthétique du cinéma de Lynch, ou, d'un point de vue plus externe, 
l'impact de son film le plus culte sur les spectateurs (c’est à dire une analyse plus tournée sur 
la réception). Il m'est apparu évident que l'esthétique n'allait pas être l'objet de ce mémoire, 
mais que l'enjeu se trouvait justement dans le lien entre les films et le contexte culturel 
et social dans lequel ils s’ancraient. J'ai pensé qu'il était intéressant de se focaliser sur le 
contexte de réception d'une telle oeuvre et me suis dirigée ainsi vers les conditions qui ont 
été celles de la sortie du film: j'ai alors découvert que le film Eraserhead, dont le financement 
avait été interrompu en cours par L'American Film Institute en raison de sa singularité, de sa 
« bizarrerie », de son caractère hybride dans le style de l'époque , avait été diffusé à petite 
échelle dans des conditions uniques: à minuit, et sans aucune publicité , tout comme l'avait 
été, six ans auparavant le film de Jodorowsky, El Topo. A ce moment précis, mes intérêts 
premiers se sont donc retrouvés unis dans un même cadre de réception. 
Le documentaire de Stuart Samuels, « Midnight Movies 1 » a véritablement achevé 
de fixer mon sujet, car il m'a aidé à problématiser ce sujet. Sans l'avoir trouvé d'une très 
bonne qualité, il a levé le voile sur la singularité du dispositif de réception du premier long 
métrage de Lynch: Eraserhead fait partie d'un ensemble de films connus sous le nom des 
« midnight movies » qui ont fait date dans l'histoire du cinéma américain, devenus des films 
culte. Ces films au contenu généralement « subversif », ont rassemblé des foules dans les 
cinémas de grandes agglomérations comme à Manhattan dans la ville de New York. Le 
documentaire se limite à l'étude de six des plus marquants de ces midnight movies : The 
night of the living dead, de George Romero, Pink Flamingos, de John Waters, Eraserhead, 
de Lynch The Harder they come, de Perry Henzell, The Rocky Horror Picture Show, de Jim 
Sharman et El Topo , de Jodorowsky. 
Ces six films, restant souvent des mois à l'affiche, vus et revus des dizaines voir des 
centaines de fois pour certains, rapportant aux cinémas des millions de dollars, avaient donc 
un statut unique. Aux Etats Unis, ils ont été l'objet d'étude de plusieurs critiques de cinéma 
et de journalistes qui ont voulu se pencher sur un phénomène étonnant, concomitant d'une 
période de libération des moeurs. 
L' apparition des midnight movies 
L'expression « Midnight Movies », apparaît dans les années 50 aux Etats Unis, 
désignant à l'origine une pratique courante de quelques chaînes de télévision locale : 
diffuser les films de genre à petits budgets, les fameux films de série B, à une heure avancée 
dans la nuit, l'heure où l'audience chute, l'heure où une audience différente de celle de la 
journée allume sa télévision, prête à y voir plus que de simples émissions de divertissement. 
Ainsi en 1954, la télévision locale de Los Angeles (la chaîne KABC) lance la diffusion de 
« The Vampira show », les samedis soir à minuit, un show qui diffuse des films d'horreur ou 
à suspense, à très petits budgets. Avant le film, le présentateur qui introduit le spectateur au 
programme nocturne est caractéristique: souvent adepte de l'humour noir, armé d'une ironie 
fracassante et dans le cas de Vampira, très court vêtu. Ces présentateurs sont devenus très 
appréciés par l'audience, et leurs noms restent aujourd'hui encore, connus, comme ceux 
1 Midnight Movies : from the margin to the mainstream, Stuart Samuels, 2006 
DURAND Camille_2010 7
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
de Vampira, Zacherley, Cassandra Peterson alias Elvira, « mistress of the dark », adulés 
par les jeunes de l'époque. 
Au cinéma, certains films des années 30 sont diffusés à minuit, comme Nosferatu , 
de Murnau,où les films surréalistes à Paris comme Un chien Andalou mais ces projections 
restent encore des événements isolés, et prennent place aux Etats Unis lors de foires ou 
fêtes foraines. Les Midnight Movies au sens donné par Stuart Samuels apparaissent dans 
les années 1970: on situe traditionnellement la première, le film pionnier en la matière à El 
Topoqui sort dans les salles du Elgin en décembre 1970, s'apprêtant à se maintenir 6 mois 
à l'affiche. Comment expliquer ce soudain engouement pour les séances de minuit? 
Après une période d'éveil culturel et de libération des moeurs, propice à la diversité 
dans l'expression artistique, les Américains connaissent dans les années 1970 l'apparition 
de projections à minuit dans certains cinémas de grandes métropoles comme New York, 
Philadelphie, Los Angeles, San Francisco, Chicago. Ces projections ont en fait vu le jour 
dans les années 1960, en lien avec le développement des mouvements underground de 
contre-culture et, dont les avatars, dans le milieu du cinéma sont Andy Warhol, Jonas Mekas 
ou Kenneth Anger. Ces cinémas vont initier les séances à minuit, peut être en vue de 
découvrir une niche dans l'audience et de pouvoir répondre à un public de plus en plus 
réceptif à ces thèmes. Surpris d'observer un accueil aussi favorable pendant ces projections, 
qui sont de véritables événements de foules, ils remarquent de curieuses réactions dans 
l'auditoire : il semble se dérouler un jeu entre les spectateurs, une connivence se crée, 
encouragée par la circulation fréquente de marijuana. Il s'agit alors du commencement 
d'un phénomène d'une grande ampleur car ces films, à la base peu commerciaux et dont 
la distribution s'avérait problématique restaient parfois six mois à l'affiche, rapportant des 
profits insoupçonnés; 
Les réalisateurs du documentaire midnight movies délimitent l'étendue du phénomène 
aux années 70. Ils sont d'autre part très focalisés sur un cinéma de Chelsea à Manhattan, 
le « Elgin theater », qu'ils considèrent, avec son gérant Ben Barenholtz, comme le cinéma 
où le phénomène des midnight movies a éclaté et a été le mieux représenté. 
Dans le documentaire de Stuart Samuels, mon intérêt s'est porté sur les idées de 
cérémonie, de rituel qui sont soulevées, répétées dans les commentaires de la voix off, et 
qui m'ont vraiment intrigué. Je me suis demandée quel était le moteur de cette fascination 
poussant les spectateurs à revenir encore et encore voir le même film. Etait ce pour profiter 
de l'atmosphère festive unique de la salle, qui variait à chaque séance? Il semble que le 
simple fait de projeter ce genre de film a eu pour effet de transformer le cinéma lui-même: ce 
n'est plus un lieu de diffusion industrialisée mais un site urbain d'activités ritualisées. On voit 
donc que la projection dépasse le simple visionnage d'un film et tire vers la représentation 
théâtrale: c'est tout l'enjeu que soulève cette tradition iconoclaste, et c'est ce qui constitue 
le fil directeur de cette étude et mise en perspective des midnight movies des années 1970. 
Ce documentaire traçait une limite temporelle au phénomène, l'orée des années 
1980, années qui marquent l'entrée du Midnight Movie dans le « mainstream », dans la 
norme hollywoodienne, coïncidant avec l'arrivée de la vidéo. La fin des années 1970 serait 
selon eux marquée par la réappropriation des thèmes autrefois subversifs par les grosses 
productions hollywoodiennes. 
A partir de ce constat d'une disparition du phénomène et des maigres conclusions qui 
sont ébauchées dans le documentaire, j'ai décidé d'interroger les raisons de la disparition 
du phénomène des Midnight Movies en tâchant de trouver d'autres témoignages, points de 
vue afin de confronter les discours et de mener une enquête informée. 
8 DURAND Camille_2010
Introduction 
Méthode et sources bibliographiques: 
J'ai donc poursuivi mes recherches, en découvrant que peu avait été écrit en France sur 
ce sujet, même si le phénomène avait dépassé ses frontières: La Cinémathèque de Paris, 
dans les années 60, avait aussi inauguré les séances à minuit, diffusant certains films , l’Age 
d'or de Bunuel, ou l'amour fou de Jacques Rivette, Le roi de coeur de Philippe De Broca et 
d'autres de la Nouvelle Vague. Pourtant, en France, les Midnight Movies n'existent pour ainsi 
dire pas, car il ne s'agit pas comme aux Etats Unis d'un phénomène à part entière, ayant sa 
propre signification. Les projections à minuit, même si elles étaient nombreuses, n'ont pas 
eu le même retentissement dans les médias et la culture urbaine, et n’ont pas contribué à 
la découverte de tels films cultes, car il s’agissait souvent de rediffusion de classiques du 
cinéma ; Ainsi, aucun chercheur ne paraît s'être décidé à étudier le phénomène en France. 
C'est donc via la littérature américaine que j'ai trouvé de quoi alimenter mes questions sur 
les Midnight Movies: ma bibliographie de base se compose d'un ouvrage qui est voué à mon 
sujet, paru en 1983 et réédité dans une version augmentée en 1991, appelé « Midnight 
Movies » dont les auteurs sont Jonathan Rosenbaum, journaliste au Chicago Reader et 
James Hoberman, critique de film pour The village Voice. 
Ce livre m'a été d'une aide précieuse, car peu d'ouvrages se consacrent à l'analyse de 
ce phénomène, qui est somme toute très peu connu. Néanmoins, les difficultés ont été d'une 
nature double: d'une part, la langue anglaise , qui est tout de même un facteur ralentissant 
la compréhension, d 'autre part, le fond même du livre: les détails et la description prennent 
souvent une place trop importante, au détriment de l'analyse, de plus les auteurs digressent 
beaucoup sur l'époque et ses acteurs, et ont aussi tendance à embellir l'époque par un 
ton nostalgique, ce qui m'a poussé à procéder à un tri. A partir de là, j'ai voulu étayer ma 
recherche en puisant dans les archives de la presse nationale, qui sont assez rares, mais 
j'ai tout de même déniché dans les archives du New York Times deux articles traitant de 
l'évènement sous un angle sociologique, c'est à dire de la fréquentation de ces séances de 
minuit, et du regard des journalistes, contemporains de l’époque. Ils m'ont servi, confrontés à 
l'ouvrage, à cerner une des clés du succès des midnight movies: les jeunes de l'époque. J'ai 
obtenu grâce à eux une représentation mentale plus précise de l'audience. Ces articles sont 
fondamentaux: le regard amusé et critique des journalistes, les témoignages des jeunes, 
et la confrontation de plusieurs points de vue rapportés ont orienté mes recherches dans 
le champ de la sociologie. 
Il me manquait tout de même un point de vue plus interne sur le phénomène, même si 
le documentaire de Stuart Samuels contenait des extraits d'interview de David Lynch , John 
Waters et Jodorowsky, ces acteurs n'étaient pas vraiment bien placés pour rendre compte 
de l'ambiance de ces séances de minuit. 
C'est alors que j'ai eu accès à une interview des gérants du Elgin Theatre, ayant pour 
titre « children of the sixties », faite en 1996 par un journaliste et écrivain, Ben Davis. 
Celle ci a été capitale dans mon travail, car elle fournit une description sociologique du 
phénomène, d'un point de vue moins « formel » que celui de l'ouvrage de Hoberman et 
Rosenbaum. Le ton est volontiers empreint d'humour et peu sujet à l'auto censure, c'est une 
chose importante pour comprendre le phénomène. 
Afin de mettre en perspective ce qui se jouait parmi l'audience des midnight movies, j'ai 
aussi puisé dans la littérature du domaine de la sociologie du cinéma , notamment autour 
de la figure du fan , qui a été très peu étudiée jusqu'ici, ne bénéficiant pas d'une véritable 
légitimité académique. Deux auteurs fondamentaux font figures de pionniers : John Fiske 
et Henry Jenkins. 
DURAND Camille_2010 9
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
Philippe Leguern, maître de conférence en sociologie à l' IUT d' Angers et chercheur au 
CNRS à Paris, a publié dans la revue « réseaux » une étude portant sur ces « ex fans des 
seventies » , dans lequel il explique les enjeux de la métaphore religieuse qui est associée 
au comportement de fan. Cette étude a donné de l'ampleur à ma réflexion sur les midnight 
movies, et m'a permis de chercher, dans la culture contemporaine, des équivalents, des 
manifestations voisines, comparables dans leur ferveur dédiée un objet de culte. 
Néanmoins, ma démarche n'en est pas pour autant de nature sociologique, je n'ai 
pas procédé à une enquête sociologique avec des entretiens, il n'y a pas d’enquête, 
mais davantage une mise en perspective du phénomène, une étude de la réception et de 
l'évolution de l'emploi qui est fait des séances de minuit dans les cinémas d'aujourd'hui. 
Cette étude n'est pas dévolue à un descriptif esthétique des films de minuit, nous ne sommes 
pas dans l'hagiographie de films devenus cultes mais dans la recherche d'une signification 
culturelle et sociale de ce phénomène et du retentissement qu'il a connu. 
Le corpus de films étudiés : 
Je n'ai pas l'intention de dresser l'inventaire des films concernés par la diffusion à minuit 
dans les années 1970 aux Etats Unis, ce qui ne dirait rien du sens à dégager du phénomène, 
tant les films sont divers, c'est pourquoi je choisis de me focaliser sur quatre en particulier, 
qui selon moi illustrent chacun des traits forts caractéristiques de l’esthétique des midnight 
movies. 
Au nom de mon attachement à une clarté et une concision essentielles à un travail de 
cette ampleur, je ne parlerai que très peu de films qui pourtant ont connu une trajectoire de 
midnight movies semblable à celle des films étudiés, comme « liquid eye » « showgirls », 
« reefer madness » « harold et maude », « the texas chainsaw massacre », « Mondo 
Trasho », « The harder they come » et autres films cultes découverts par l'audience à minuit. 
Eraserhead, d'abord, a été un déclic initial, car je fais partie des fans de David Lynch, 
et parce que c'est un film pivot dans l'oeuvre de Lynch, contenant tous les thèmes qu 
il développe encore maintenant dans ses films. De tous, c'est incontestablement le plus 
expérimental, réalisé sur 5 ans dans des conditions extrêmes avec un budget minimal, 
le plus hybride, car une légende disait que la bande son était dangereuse et nocive . 
Eraserhead, sorti en 1977, relate la naissance d'un bébé monstrueux et déformé, image 
de l'univers industriel glauque dans lequel il naît, dans un couple peu uni et qui est effrayé 
par son propre rejeton. Après ce film, David Lynch connaît le succès avec Elephant Man, 
film avec lequel il quitte le cinéma dit expérimental et adopte les codes hollywoodiens ; El 
Topo est une oeuvre inclassable se situant entre le western, le film esthétique surréaliste, 
l’épopée, la quête mystique, le film underground et la parodie, retraçant la recherche de la 
sainteté par un homme, un pistolero, qui est mis au défi de tuer les quatre grands maîtres du 
désert. Il est devenu l'emblème de l'idéologie des hippies, se regardant à l'époque volontiers 
sous l'effet de stupéfiants. Il a achevé sa diffusion au Elgin à cause de l'achat de ses droits 
par John Lennon, qui voyait en ce film un chef d'oeuvre, un poème sur la recherche de la 
sainteté et de la sublimation. 
The Rocky Horror Picture Show, de Jim Scharman, sorti en 1975, raconte l'entrée 
d'un couple rangé, Janet et Brad, dans un château habité par les étranges habitants de 
la planète Transexual Transylvania, dont le propriétaire, Frank N Furter, un transsexuel 
travesti, séducteur et créateur d'un objet sexuel, Rocky, va travailler à les pervertir toujours 
plus et leur faire découvrir les plaisirs sexuels. Ce film à petit budget est devenu l'emblème 
suprême du film culte, car il a amassé durant trente ans des foules travesties imitant les 
personnages du film, toutes plus érudites, capables de réciter réplique par réplique le film 
10 DURAND Camille_2010
Introduction 
dans son intégralité. Cette comédie musicale est déjantée, c'est un hymne à la libération 
sexuelle et au vice, à la circulation des genres, un film qui fait exploser la morale chrétienne 
et hétérosexuelle. 
Enfin, Pink Flamingos, de John Waters, datant de 1972, est , si je puis dire, le plus 
trash, celui dont les images figurent au dernier degré de la provocation. Il raconte les 
pérégrinations de Divine, la femme la plus dégoûtante, repoussante du monde, reconnue 
comme telle « the filthiest person alive », luttant pour maintenir son statut face à un 
couple de concurrents, dont l'activité consiste à kidnapper des jeunes femmes qu'il font 
féconder par leur majordome afin ensuite de leur enlever leur bébé, qu'ils revendent à des 
couples lesbiens. Ce film est très important à prendre en compte, car c’est par lui, et donc 
par les séances de minuit, que John Waters s'est fait connaître dans le milieu du cinéma 
underground. 
Ces films, tout en étant très différents les uns des autres, sont tous le reflet à la fois 
d'une évolution des moeurs et sont devenus le miroir d'une expérience sociale inédite : une 
communion des spectateurs autour de l'écran, et les documents d'époque, l’interview des 
propriétaires du Elgin Theatre que j'ai pu rassembler confirment cette vision du midnight 
movie comme un rituel, une tradition et une fête à la fois. 
Afin de mettre en perspective le phénomène des Midnight Movies, je me suis penché 
sur l'héritage , les illustrations plus récentes du pouvoir des cultes médiatiques. Certains 
films ont connu le même sort nocturne, se sont faits connaître par le créneau de minuit; et 
sont aujourd'hui cultes. J'ai choisi d'étudier le cas de The Big Lebowski, un des films des 
frères Coen, sorti en 1998 qui, à défaut d'avoir connu un succès au box office, est le seul 
ayant déferlé un mouvement de fans sans précédent, qui font aujourd'hui des kilomètres 
pour se réunir afin de célébrer le film et la pensée forte qui en émane. Le Duc, « the dude », 
héros du film, est un magistral fainéant, que l’on qualifierait en France de paresseux, passant 
son temps au bowling avec ses amis,et se trouve impliqué soudain dans une affaire d'argent 
et de rançon qui est le fruit d'un quiproquo onomastique. 
Ce film des frères Coen est un véritable pamphlet sur les valeurs diffusées dans la 
culture hollywoodienne, et se plaît à déconstruire un à un les clichés du film hollywoodien. 
Serait-il un descendant direct des midnight movies? J'ai analysé le film pour y répondre. 
Il sera également question, dans une moindre mesure cependant, de la série de 
David Lynch, « Twin Peaks », réalisée en 1986, reprenant les thèmes subversifs , la veine 
transgressive des midnight movies et qui révolutionne les codes du genre de la série. Celle-ci 
offre, en un sens, une adaptation télévisuelle de l'esprit des Midnight Movies. 
Définitions 
Un film culte est un film qui réunit une communauté de fans: 
Un film culte est un concept difficile à définir, cependant sa caractéristique majeure 
reste ses fans. L'esthétique, en effet, ne joue pas le premier rôle, ce sont d'autres éléments 
qui sont capitaux: ce film doit avoir eu une influence sur son temps, il jouit la plupart du 
temps d'un faible succès commercial, est reconnu souvent dans la durée, restant longtemps 
à l'affiche, tirant son effet par la répétition, l'accumulation. Le film culte est donc un film 
qui obsède, se différencie sur ce point des films qui ne se regardent qu’une seule fois et 
se consomment sans plus de réflexion: une certaine fascination, une adoration émanent 
de cette catégorie de films. J'ai voulu approfondir cette thématique, qui est au coeur des 
enjeux soulevés dans mon séminaire « récits, fictions et médias: les clés d'interprétation 
du réel ». Un film culte est un film où l'illusion du cinéma continue à opérer, même une fois 
sorti de la salle. 
DURAND Camille_2010 11
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
La figure du fan: 
Comme nous le savons, le terme « fan » est un anglicisme, une abréviation de fanatique 
à l'origine. L'attitude de dévouement et de vénération d'un fervent croyant et d'un fan serait 
donc pertinente à mettre en parallèle, de même que les séances rituelles des midnight 
movies sont un lointain écho de la célébration de la messe. 
Les films de minuit sont dits cultes, sans exception, et c'est la réalité que cache se 
concept de culte qui focalise mon attention tout au long de ce mémoire. Pourquoi utiliser 
un tel terme, qui emprunte à la religion? Y a t'il d'autres films cultes par la suite qui se sont 
fait connaître à minuit ? Si oui, qu'ont ils en commun avec les midnight movies des années 
1970? 
Mon étude se développera donc en trois temps successifs: 
Dans un premier temps, il sera question d'étudier les conditions d'apparition du 
phénomène des midnight movies, de définir son ancrage spatio-temporel: les films cultes 
des années 70 sont irrigués de toute la contre culture des années 60 et s'inscrivent dans 
un espace urbain propice au mouvements underground. 
Il sera ensuite temps de décrire et expliquer le phénomène des midnight movies en lui 
même, à travers une étude des films et de leurs points de convergence. Nous mobiliserons 
à ce titre plusieurs concepts, outils de taxinomie: une approche thématique qui s'intéresse 
à rechercher des thèmes communs aux films comme la transgression sexuelle, la violence 
comme revanche sur la société, les pulsions de vie et de morts « eros et thanatos »; une 
tentative de définition par le genre, avec le genre du film d'horreur notamment, le genre 
expérimental et le genre fantastique, ou par l'esthétique, avant d'avoir une approche plus 
centrée sur la réception, qui sera l'occasion d’analyser le sens à donner aux rituels qui se 
déroulaient pendant les midnight movies . 
Enfin, nous partirons en quête de possibles résurgences du phénomène et 
d'explications de l'évolution du film culte, qui est déplacé du lieu du cinéma à la maison, 
apprivoisé et du même coup modifié dans son essence. Nous analyserons les objets 
« héritiers » des midnight movies qui témoignent, en même temps d'une parenté, et d'une 
mutation, en nous focalisant sur la série Twin Peaks et sur le film des frères Coen The big 
Lebowski . Nous nous pencherons sur le phénomène de culte chez les fans et tenterons de 
dépasser une lecture bourdieusienne qui tend à dévaloriser la figure du fan. 
Nous tenterons aussi de chercher l'emploi actuel qui est fait du créneau de minuit dans 
les salles, et ce qu'il nous dit sur l'évolution de la figure du fan. 
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Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies 
Partie 1: Origines et contexte 
d'apparition des midnight movies 
Il serait regrettable, pour une étude sur les Midnight Movies, de tenir ces films comme un 
phénomène isolé de son contexte, un phénomène ex-nihilo, alors que leurs problématiques 
ne se comprennent qu'à la lumière des soubassements historiques, idéologiques et sociaux 
de l’époque, ainsi que des lieux qui ont favorisé leur diffusion. 
Les Midnight Movies se révèlent être de véritables encéphalogrammes, mesurant le 
pouls de la contre culture qui se développe à l'époque. 
Parmi ces facteurs nécessaires à l'épanouissement des Midnight Movies, je 
m'attarderai dans cette partie en premier lieu sur les mouvements artistiques qui sont 
propédeutiques à l'avènement des Midnight Movies, à savoir l'expressionnisme allemand et 
le surréalisme, ensuite sur l'oeuvre matrice des Midnight Movies, Freaks, de Tod Browning, 
avant de faire un aperçu nécessaire du paysage culturel et cinématographique américain 
des années 1960-70 , pour enfin effectuer un zoom sur un cinéma , le Elgin, qui est très 
représentatif du brassage social et de l’ampleur inédite du phénomène des Midnight Movies, 
mais aussi d’un esprit hippie et d’un climat favorable à la participation des spectateurs. 
A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies 
1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le 
surréalisme. 
a. L’expressionnisme allemand : définition 
Le film d'horreur d'aujourd'hui s'est développé sur les bases des premiers films cultes des 
années 1920 comme Nosferatu le vampire, de Murnau, Le cabinet du docteur Caligari, 
de Robert Wiene (qui est, selon Hoberman et Rosenbaum le premier film culte, né à 
Paris où il est diffusé durant 7 ans dans le même cinéma ), ou Docteur Mabuse de Fritz 
Lang. Ce cinéma était très marqué par les atrocités , l'horreur au quotidien vécues par l' 
Allemagne pendant la Première Guerre Mondiale, et met en scène le crime et la culpabilité 
pesant sur des personnages denses, pétris de contradictions , le tout étant souligné par 
l'esthétique expressionniste devenue très célèbre. Les personnages de ces films, dont 
le maquillage épais exalte et exagère les traits, sont filmés sous l'angle de la contre-plongée, 
la lumière venant du dessous éclairer le visage de manière effrayante, menaçante. 
Ces personnages grimaçants sont, selon le critique Siegfried Kracauer2, critique de cinéma 
2 Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler, Une histoire psychologique de cinéma allemand 1947 p 32 et 36 
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Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
au journal Frankfurter Zeitung, le reflet des troubles psychologiques profonds du peuple 
allemand, et annoncent les prémisses du régime totalitaire nazi. 
Dans M le Maudit ,3, qui devait originellement s'appeler « Mörder ist unter uns », le 
meurtrier est parmi nous, Fritz Lang met en scène un kidnappeur de petites filles qui sévit 
dans la ville de Dusseldorf, semant la discorde entre la police et la pègre qui se disputent sa 
poursuite. La dernière scène illustrerait , par le procès de la Pègre qui est fait au meurtrier, 
procès acclamé par la foule en délire, la montée du nazisme qui est un mal intérieur 
du peuple allemand. Cette scène est aussi marquée par l'esthétique expressionniste: les 
visages de la foule apparaissent déformés par le peu de lumière qui les distingue de la 
pénombre, et le meurtrier, piégé, avoue alors sa schizophrénie, en pleine lumière des 
projecteurs braqués sur lui: cette scène finale renverse les rôles, et fait du meurtrier une 
victime des bourreaux qui l'entourent, comprenant les bandes criminelles et les familles 
avides de vengeance de la ville. Ainsi, l’expressionnisme se nourrit des malaises profonds 
des individus pour styliser leurs images qui sont, par leur esthétique, l’extériorisation de 
leur psychologie. Le personnage principal du film Eraserhead, Henry Spencer, interprété 
par Jack Nance, pourrait être un personnage influencé de l'expressionnisme allemand, par 
exemple: c'est un personnage dont les traits sont marqués, montrés toujours au travers 
d'une lumière très faible, parcouru par les ombres d'une ville sans vie, parcourue de détritus. 
Son costume noir, terne et élimé est proche de celui de Chaplin, son visage, comme celui 
du Docteur Caligari est très blanc et les cheveux très noirs. C'est un personnage ambigu 
dont on ne connaît pas les désirs, mais qui semble torturé , tout le long du film, par cette 
faute originelle, ce péché de la chair qu'il a commis, donnant naissance à un bébé reptile 
monstrueux. Henry semble travaillé par sa culpabilité vis à vis de son enfant, partagé 
entre son dégoût pour la créature criarde et son sentiment d'humanité, de paternité qui lui 
chuchote de prendre soin de son bébé, et par la culpabilité vis à vis de celle qui est la mère 
de son enfant, qui a fui le foyer mais qui n'est pas l'objet de ses fantasmes, occupés par 
la mystérieuse voisine. 
De même, The Rocky Horror Picture Show, qui est une parodie des films adaptés 
du roman de Mary Shelley « Frankenstein ou le Prométhée moderne», au moins pour les 
deux premières versions de James Whale en 1931, « Frankenstein » et « la Fiancée 
de Frankenstein ». Frank N Furter est un personnage complexe qui doit sa richesse 
et son intensité à son esthétique, elle aussi inspirée des avatars de l'expressionnisme 
allemand, avec son maquillage épais et son jeu très porté dans l’excès. Quant aux 
personnages secondaires du film, inutile de dire qu'ils s'apparentent tous de près ou de loin 
au Docteur Mabuse, à Nosferatu ou à Frankenstein. Le personnage de Riff Raff est d'ailleurs 
directement inspiré par Nosferatu, de Murnau, avec sa figure blême et triste et ses cheveux 
longs filasses jaunes. Magenta, la servante, est aussi un avatar moderne du personnage 
de la fiancée de Frankenstein. 
Les Midnight Movies sont donc nés sur les bases esthétiques de l’expressionnisme 
allemand, puisqu’ils en ont non seulement repris les thèmes, mais aussi l’esthétique, qui 
dessert la dimension fantastique des films. 
b. Le surréalisme au cinéma 
3 Ein Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang , 193 
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Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies 
« L'un des points de départs du surréalisme est l'observation selon laquelle tout ce qui 
jaillit de l'esprit, même dénué de forme logique, révèle inévitablement la singularité de cet 
esprit »4. 
A travers cette citation célèbre, l’on saisit l’importance prise par l’imaginaire individuel 
sur la raison collective et la victoire de l’irrationnel sur le plausible, ce qui permet mieux de 
comprendre pourquoi un surréaliste comme Breton s’est essayé à l’écriture automatique 
et à un style très peu soucieux du cadre spatio-temporel, à l’opposé du roman réaliste, à 
l’oeuvre dans Nadja. 
La source d'inspiration première des Midnight Movies, qui est la plus fréquemment citée, 
reste celle des films surréalistes français, mouvement situé généralement dans l'entre-deux 
guerres qui a inspiré de nombreux cinéastes comme Jodorowsky et Lynch. Aragon définit 
le concept de cette façon : « Le vice appelé surréalisme: emploi déréglé et passionnel du 
stupéfiant image ». 
Ce mouvement, qui refusait pourtant de se revendiquer comme tel, déploie dans ses 
films une logique onirique de métaphores, d'associations libres de figures mythiques et de 
rêves, souvenirs parfois, enchaînés, comme dans Un chien andalou, dont l'histoire est le 
fruit d'une conversation entre Bunuel et Dali portant sur leurs rêves respectifs. 
Les figures maîtresses sont Cocteau (Le sang d'un poète de Cocteau, sorti en 1930, 
la belle et la bête, de 1946, mais surtout Orphée, de 1950.) Bunuel et Dali, dans des films 
comme Un chien Andalou, 1929, l'Age d'Or qui, en 1930 dont la projection fait scandale à 
l’époque. 
Au tout début d’Un chien Andalou, une femme se fait trancher l'oeil à l'aide d'une lame 
de rasoir, scène très choquante, même aujourd'hui où nos moeurs sont plus habitués à la 
violence visuelle. Les allusions à la masturbation dans l'Age d'Or sont claires, d'autant que 
le film s'attaque aux institutions qui sont le fondement de la société: la famille, la patrie et 
la religion. 
Le film crée le scandale à Paris, donnant lieu à des évanouissements, avortements 
et dénonciations au commissariat, et ensuite à un véritable lynchage de la part de ligues 
d'extrême droite qui saccagent le cinéma où avait lieu la projection. Par la suite, elles se 
dérouleront sous contrôle de la police, avant d'être complètement interdites. La censure du 
film ne prend fin qu'en 1981, cinquante ans plus tard. 
Ces films illustrent tous d'une certaine façon le célèbre aphorisme de Breton « la 
beauté sera convulsive », et incarnent un véritable rejet de la tradition française du réalisme 
poétique, incarnée par Renoir, Carné ou Clair, très focalisée sur les dialogues et les 
personnages populaires. Ainsi, Un chien Andalou est un film muet sans personnages, et il 
n'y a pour ainsi dire pas d'intrigue. Maya Deren est celle qui a officiellement importé aux 
Etats Unis le surréalisme et l’avant-garde au cinéma. Son film le plus connu, « Meshes of 
the afternoon », est un film muet qui instaure une poésie basée sur des images suggestives 
et remplies de mystère : une femme rêve et poursuit dans son songe une femme toute 
voilée de noir, sans visage, qui promène une fleur. Puis son mari apparaît, mais le rêve 
ne s’achève que lorsqu’il rentre dans la maison et la découvre morte recouverte d’éclats 
de miroirs. Le court métrage multiplie les gros plans , une caméra nichée dans des angles 
anormaux, des effets de disparitions créés au montage qui réussissent à recréer l’ambiance 
du rêve : une atmosphère instable pour une réalité fuyante et la puissance surréelle des 
objets, symboles oniriques. 
4 Goudal Jean, surréalisme et cinéma, 1925 
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Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
Eraserhead est basé sur cette logique du rêve, qui est en fait un principe qui va guider 
Lynch tout au long de sa filmographie, de ses courts métrages également: le réel est toujours 
contaminé par le rêve, et sa logique irrationnelle. Les scènes dites réalistes sont en vérité 
de véritables pastiches des impératifs de clarté et de réalisme hollywoodiens, comme dans 
Mulholland Drive, son film le plus populaire, où la première partie du film, centrée sur l'arrivée 
du personnage de Naomi Watts à Hollywood est à interpréter au second degré, tandis que 
le rêve des jeunes femmes prend la conduite de la narration. Le rêve, l'aspect illogique sont 
le moteur même de l'intrigue dans Lost Highway . 
Ainsi, le surréalisme et sa volonté de rompre avec les codes du cinéma réalistes, de se 
focaliser sur les mouvements de l’imaginaire, du rêve, d’utiliser la logique de l’association et 
de la métaphore libres plutôt que le rythme canonique de la narration est un état d’esprit qui 
a eu un impact sur l’idéologie des Midnight Movies, autant sur les films que sur la manière 
de les regarder. 
2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies 
A mains égards, l'on peut considérer Freaks comme l'ancêtre, le parent de tous les midnight 
movies réalisés pendant les seventies. Son statut est assez complexe, pourtant, car il a fait 
partie des films diffusés à minuit dans les années 1970, alors même que c'est un film réalisé 
en 1931. Tod Browning, son réalisateur, a été victime d'une censure impitoyable, puisque 
sa diffusion a été interdite au Royaume Uni jusqu'au années 1950. Tourné dans un cirque 
à l'aide d'acteurs non professionnels qui jouent leur propre rôle, il va au plus près de la 
monstruosité, ce qui en fait un film très novateur pour l'époque. Elephant Man, le célèbre film 
de David Lynch, est un hommage à Freaks, tout en retournant le thème de la monstruosité, 
car le film est moins provocateur, et surtout beaucoup plus moral. 
Avant sa sortie définitive, Freaks sera corrigé, car les tests effectués sur les spectateurs 
sont catastrophiques, ces derniers partent avant la fin, et l'on raconte même qu'une femme 
a menacé d'attaquer la production MGM en justice car le film avait déclenché sa fausse 
couche. Ces premiers incidents passés et le public désertant les salles, on décide de couper 
au montage les scènes les plus choquantes, notamment celles de la castration de Hercule 
et de l'attaque de Cleopatra par les monstres, suggérant son viol, suivie de sa mutation 
en poulet. Un nouvel épilogue est tourné, plus gai que l'autre. Mais ces modifications 
n'augmentent guère les entrées en salle, si bien que même à Los Angeles, le film ne reste 
à l'affiche que deux semaines. Comment expliquer qu'un film connaissant un tel échec 
commercial soit considéré culte dans les années 1960, regardé comme une sorte de matrice 
des Midnight Movies ? 
Freaks est un film très violent, une sorte de pamphlet sur les valeurs maîtresses à 
Hollywood: le culte de la beauté alliée à la vertu (cela correspond au célèbre concept grec, 
kalos kagathos, allier le beau et le bon). L'intrigue se noue autour de l'opposition entre deux 
camps au sein du cirque: les normaux, en minorité, composés d'Hercule et Cleopatra, et 
les monstres, les Freaks. Ces groupes entrent en collision lorsque Cleopatra décide de 
séduire le lilliputien Hans afin de réaliser un plan machiavélique avec Hercule, son amant: 
lui dérober sa fortune. Celui ci se sépare de sa promise, Frieda, une autre freaks, séduit par 
la beauté de la trapéziste Cleopatra qu'il décide finalement d'épouser. Néanmoins, celle ci, 
dégoûtée par tous les monstres qui l'entourent durant le repas du mariage, finit par céder à 
son horreur, et les insulte tous. Cette scène constitue le climax de l'intrigue, l'acmé, c'est à 
dire le point où la tension dramatique se fait la plus forte: tous attablés autour du mariage de 
Cleopatra et de Hans, les Freaks entonnent une chanson, un hymne triomphal (We accept 
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Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies 
her, we accept her, one of us, one of us, Nous l'acceptons, elle est des nôtres), qui sous 
l'effet de l'alcool, rompt de calme de Cleo, incapable de se contenir davantage. Celle ci se 
lève et se retourne contre eux, les congédiant et dévoilant par là même son mépris pour eux. 
A ce moment du film, l'équilibre des forces se retourne, et la vengeance des Freaks 
commence, telle une révolution. 
Freaks est un film d'une étrange contemporanéité, doté d'une résonance politique 
indéniable. Le film est basé sur le motif de l'inversion entre la monstruosité physique des 
freaks qui est plus humaine que la monstruosité morale de deux êtres hypocrites comme 
Hercule et Cleo. Ce retournement vient dénoncer les valeurs à la base de l'institution 
hollywoodienne comme le culte de la beauté et du glamour, par une mise en avant de la 
difformité physique. Le message est clair: la machine à rêves d'Hollywood n'est qu'une vaste 
mascarade. 
Dans un pays encore très conservateur, dans les années 1930, certaines organisations 
puritaines, comme la National Association of Women appellent à boycotter le film qui, selon 
eux, véhicule des clichés dégradants. En Grande Bretagne, le film est tout simplement 
interdit pour trente ans. Au moment où la crise de 1929 touche les Américains et les contraint 
à revenir à un niveau de vie archaïque, et pour les plus touchés à faire la queue pour 
les soupes populaires, l'intrigue suggère aux spectateurs de ne pas s'identifier aux stars 
d’Hollywood mais aux « petites gens », à des êtres qui, dans l'ombre, font preuve de plus 
d'humanité que les autres. C'est une morale très singulière et novatrice pour l'époque. 
Après sa sortie des affiches, le film est utilisé à des fins scientifiques, intégré dans des 
publicités pour des remèdes scientifiques. La MGM va jusqu'à re-baptiser le film « Nature's 
mistakes », un titre qui va à contresens de l'argumentation du film, occultant ce qu'il promeut 
vraiment: l'égalité fondamentale entre tous les hommes. 
La réédition du film, après la seconde guerre mondiale, sonne le début de sa re 
légitimation fulgurante: le film est diffusé dans de prestigieux festivals comme Venise ou 
Cannes, reconnu par la critique et le cinéma underground comme une inépuisable source 
d'inspiration du cinéma fantastique. A partir des années 1960, il est diffusé régulièrement 
dans les cinémas new-yorkais, et c’est parmi les cercles intellectuels, une référence 
indiscutable, un film culte qu'il faut avoir vu. 
Ce film va aussi être une référence commune pour Jodorowsky et Lynch, dans El Topo, 
qui présente dans son casting de nombreux êtres difformes, et Eraserhead , qui transpose 
la monstruosité dans la cellule familiale. Au delà de nos Midnight Movies, le film innerve la 
veine fantastique chez des réalisateurs comme David Cronenberg ou Tim Burton. 
Mais la réussite de Tod Browning tient dans son refus de recourir à la science-fiction, 
puisqu'il utilise de vraies personnes handicapées, et s'inscrit dans leur milieu, le cirque. On 
raconte d'ailleurs que le tournage a été parfois douloureux pour certains, qui ne supportaient 
pas de dîner à table avec des êtres difformes. 
C'est tout le réalisme de Freaks qui fait horreur et qui l’a consacré comme culte, et 
c’est pour ces raisons qu’il a été diffusé, redécouvert dans les années 1960. Sa dimension 
subversive vaut par son extrême réalisme. Les films de minuit ont tous plus tard exploité le 
choc, le sens implicite de ce film très dissident pour l’époque . 
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Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un 
fourmillement créatif 
1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes 
cinématographiques 
La société Américaine des années 1960 connaît, comme nous le savons, des 
bouleversements sociaux importants, dont les films des années 1970 sont le reflet. 
Parmi ces mutations, la commercialisation de la pilule contraceptive en 1960, emblème 
de l'éveil d'une sexualité libérée de tout impératif moral, le climat de contestation parmi 
les étudiants qui naît d'un rassemblement autour de l'opposition à la guerre du Vietnam, 
symbole du l'impérialisme américain qui est décrié, relayé par le mouvement Hippie, les 
émeutes de Watts, et la lutte contre la ségrégation entreprise par Martin Luther King. Les 
premiers pas sur la Lune, l'avènement d'une culture rock qui incite à la circulation de 
drogues : tous ces enjeux culturels, sociaux sont en quelque sorte digérés par des films 
emblématiques qui deviennent le miroir des évolutions en cours. 
Psychose, de Hitchcock, sorti en 1960, provoque des réactions houleuses, en partie à 
cause d'une scène, devenue mythique, qui défit la morale puritaine de l'époque, dans un 
pays dont la production cinématographique reste sous contrôle du code Hays. 
Cette scène conjuguait à l'époque deux éléments très subversifs: une violence visuelle 
au premier plan: Janet Leigh, filmée en plan rapproché, meurt poignardée sous les multiples 
coups de couteau de son agresseur, qui est à la place du spectateur, en caméra subjective. 
De surcroît, Janet Leigh est nue, sous la douche : l’alliance entre sexualité suggérée et 
violence est rarement portée à l'écran, condamnée par le code Hays. 
Ce code de censure régissait la production des films, et fut adopté en 1934 par William 
Hays5, un sénateur, et le texte rédigé par deux ecclésiastiques comprenant un prêtre Jésuite, 
Daniel Lord et un éditeur catholique Martin Quigley. 
Imposé à Hollywood suite à des scandales d'acteurs filmés en état d'ébriété, il a pour 
ambition de diffuser une rigueur morale dans le paysage hollywoodien: ainsi, dans les 
scénarios, la représentation du crime, de la sexualité de la patrie et de la religion font l'objet 
d'une attention particulière. Les réalisateurs sont tenus de ne pas tourner en dérision la loi 
et le drapeau américain, de maintenir une certaine décence (le blasphème, l'obscénité et 
la nudité sont interdits) et de promouvoir les institutions sociales traditionnelles comme le 
mariage et la famille. Le crime ne doit jamais être représenté d'une façon élogieuse, tout 
comme le péché de manière générale (« the sympathy of the audience should never be 
thrown to the side of crime, wrongdoing, evil or sin »6). 
De 1934 à 1954, le très conservateur Joseph Breen, alors président de l' administration 
du code de production, fait régner l'austérité, avant que son successeur ne relâche quelque 
peu sa surveillance, jusqu'à la suppression totale du code Hays en 1966. 
Le moment va être propice à la création, à l'exploration de tabous à l'écran, d'autant 
plus que la fameuse règle du happy ending disparaît elle aussi en 1970. 
5 Horwath, King , Elsaesser, Last great american picture show: New Hollywood cinema in the 1970s, p. 67. 
6 The Motion Picture Code of 1930, www.artsreformation.com 
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Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies 
Le Lauréat (the Graduate), sorti en 1967, de Mike Nichols illustre bien la libération des 
tabous à l'écran. Il montre une histoire d'amour entre un jeune homme et une femme mûre, 
et la rivalité entre une femme et sa propre fille, toutes les deux éprises de ce même jeune 
homme. Ce motif quasi incestueux est très provocateur et illustre en outre deux petites 
révolutions: celle du sexe en dehors du mariage et celle du démantèlement de la famille, 
unité qui se désintègre complètement dans le film. 
Robin Wood établit un lien entre ce phénomène de crise de l'unité familiale et le genre 
fantastique. Selon lui, c'est à partir du film Psychose en 1960 que le genre fantastique 
familial se développe, genre dans lequel s'inscrivent Eraserhead et La nuit des morts 
vivants, de George Romero. 
Eraserhead aborde le tabou de la monstruosité qui se développe au sein d'un couple, 
dont la femme met au monde un bébé reptile repoussant. Nous traiterons cependant du 
genre fantastique dans la seconde partie. 
Les films des années 1960 et 70 vont puiser dans la richesse des évolutions sociales 
pour nourrir de nouvelles problématiques cinématographiques. Les genres du fantastique 
et de l'horreur sont en pleine expansion, influencés par un contexte économique et politique 
singulier. Parmi des événements significatifs on trouve la récession, qui est la conséquence 
des deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, portant la peur et l'angoisse économique à 
leur apogée, d'autre part la reconnaissance de la maladie du Sida, qui explose durant cette 
décennie, et enfin le scandale de Watergate qui éclate au grand jour en 1974, instaurant 
une nouvelle forme de méfiance envers les arcanes du pouvoir et le sentiment d'insécurité. 
La violence, la crainte de l'autorité corrompue deviennent des thèmes centraux, et la 
provocation est au menu des avant-gardes au cinéma. 
Andy Warhol et sa factory, Stan Brakhage et Jonas Mekas trouvent à New York 
un terrain fertile pour la production de films expérimentaux, films qui passaient dans 
certains cinémas underground, et qui ouvrent la voie aux Midnight Movies. Eraserhead est 
particulièrement influencé par les expériences cinématographiques menées par les avant-gardes 
des sixties, par des réalisateurs comme Brakhage qui utilisent les techniques de 
superposition dans l’image, comme dans la séquence d’ouverture ou le visage d’ Henry 
Spencer, à l’horizontal, apparaît superposé à ce qui ressemble à une planète, placée juste 
à l’endroit de son cerveau. 
Ce qui réunit cette « nouvelle vague »de réalisateurs expérimentaux, c'est la volonté 
d'instituer un contre cinéma qui bouleverse les habitudes bourgeoises des spectateurs, leur 
style de vie citadin: ils sont influencés par le surréalisme et le situationnisme dont l'avatar 
le plus connu est Guy Debord. La ville est pour eux le lieu du merveilleux, de la licence et 
de la poésie. 
New York est alors le berceau d'une jeunesse qui se délecte de films provocateurs, 
comme le célèbre Chelsea Girls de Andy Warhol, tourné dans un hôtel new-yorkais situé 
dans le quartier de Chelsea. Le film montre, pendant trois heures, un écran séparé en deux, 
filmant des moments de vie, discussions de jeunes hommes et femmes de l'hôtel ou de la 
factory, jouant pour la plupart leur propre rôle. L'expérimentation touche autant à la forme, 
car le dédoublement est une technique nouvelle, que la narration, qui est décousue et très 
minimaliste. 
Un autre film symbolique d' Andy Warhol, représentant l'avant garde new yorkaise 
par excellence est Blow Job, qui, comme son nom l'indique représente en noir et blanc, 
durant trente-cinq minutes un homme recevant une fellation. Tourné en 16 images par 
seconde, c'est à dire à une vitesse un tiers plus lente que la norme, on ne verra dans ce 
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Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
court métrage muet que l'expression de l'homme, sans jamais apercevoir celui ou celle 
qui lui fait. C'est donc une réflexion sur le voyeurisme au cinéma, car l'objectif, immobile, 
frustre le spectateur, toujours désireux d'embrasser par la vue la totalité d'une scène afin 
de la dominer et d'en comprendre l'économie. L'immobilité de l'objectif est accentuée par la 
tension toujours grimpante de la montée vers l'orgasme, qui fait que le spectateur, n'ayant 
rien d'autre à observer dans le plan, attend lui aussi la délivrance de l'acteur, sentiment 
embarrassant pour le spectateur. 
Dans des quartiers comme East village, Greenwich village, le Warehouse district à 
Chicago, le South of market era à San Francisco, Chelsea, à l'ouest de Manhattan7, le 
fameux 'funky chelsea neighborhood8, où les restaurants sont bon marché, où l'on trouve 
des boutiques de nourriture diététique, bar à ambiance, où les artistes ne peinent pas à 
trouver des studios bon marché ; s'épanouit la production de films expérimentaux, car les 
studios y sont souvent très peu onéreux. Certains lieux deviennent des repères de la culture 
underground, comme le Mini Cinema à Unionsdale, à Long Island qui a initié les séances 
de minuit en 1971, ou comme Le Elgin. 
Il est donc capital de saisir les Midnight Movies dans l’univers topographique, 
sociologique et culturel qui a préparé leur émergence. Car ce phénomène était unique aux 
quartiers alternatifs des grandes métropoles américaines, et il me serait impossible de le 
relativiser dans l’espace. 
2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin 
comme haut lieu d’épanouissement d’une culture underground 
Le cinéma Elgin, sur lequel se focalise le documentaire de Stuart Samuels, illustre à lui seul 
cette ambiance typique des « revival movie houses », des sortes de cinémathèques diffusant 
d'anciens classiques hollywoodiens, ou des films d'avant garde européens, endroits qui ont 
souvent été les lieux de tournage des films de Woody Allen, comme dans Manhattan et 
Annie Hall. 
Au sein de ces lieux, le Elgin était un des cinémas les plus connus dans les années 
1970. 
Au départ , dans les années 1950, le Elgin était un cinéma espagnol, détenu par une 
compagnie mexicaine « Azteca films », diffusant des films en version originale espagnole 
car le quartier, à l'époque était habité en majorité par des Espagnols. Le Elgin prit ensuite sa 
forme la plus connue à la fin des années 60, lorsque Ben Barenholtz rachète l'établissement, 
et opère la transition en diffusant un film symbolique, Chelsea Girls dont nous parlions plus 
haut, faisant du lieu un des bastions de la culture underground de New York. Sa devanture 
un peu délabrée, son côté alternatif et la diversité culturelle de ses usagers en faisaient un 
lieu hippie qui correspondait à l'état d'esprit du quartier qui, dans le passé, était un endroit 
de mixité sociale. 
Avec Chelsea Girls, le Elgin se lance finalement dans les séances de minuit avec El 
Topo, le premier succès de ce qui deviendra au fil des années une tradition attirant des 
spectateurs venus de toute la ville, tous avides de l’ambiance qui y règne. Le gérant du 
7 Hawkins Joan “ Midnight sex horror movie and the downtown avant-garde”in Jancovitch Marc, defining cult movies: the cultural 
politics of oppostitional taste, , 
8 Hoberman et Rosenbaum , Midnight Movies, p 193 
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Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies 
Elgin en témoigne lui même: « We had an underground opening...and it was like the entire 
60s was invited to be there »9, c'est toute une culture urbaine qui se rejoignait au Elgin. 
L'article du New York Times interroge un des responsables de la distribution de ces 
films qui parle cependant d'une audience très jeune et désoeuvrée qui n'a rien à faire de 
mieux que de traîner en ville le soir et d'aller voir des films à minuit. Selon lui, les jeunes 
de 18 à 25 ans forment le public privilégié de ces films, qui en soi n'ont rien d'original, mais 
que leur diffusion à minuit rend spéciaux, attirants et mystérieux pour les jeunes citadins en 
recherche de l'esprit de leur génération, de la culture des sixties. 
Le cinéma Elgin était donc un lieu alternatif, et bien intégré dans son quartier, considéré 
depuis déjà de longues années comme un lieu dédié au cinéma et favorable au mixage 
des cultures. Il n’est pas anodin de savoir l’histoire d’un lieu qui a été le théâtre d’un 
tel phénomène, car l’espace urbain est rempli de connotations que la mémoire collective 
entretient comme des légendes, de bouche à oreille, le média même qui a servi les Midnight 
Movies. Dans ce quartier à l’identité forte, la reconnaissance du lieu et de son emploi a 
encouragé une intimité, une connivence entre les commerçants et résidents qui procuraient 
au cinéma son côté familial et réconfortant. C’est dans cette inimité que naissent les cultes. 
Nous avons donc vu, à travers cette première partie, que les Midnight Movies sont 
le produit d’une effervescence culturelle qui se retrouve à la fois dans les avant-gardes 
cinématographiques, le climat socio-politique, le phénomène de baby boomers et le 
développement d’interstices alternatifs au sein des grandes métropoles américaines. 
9 Ben Davis, Children of the sixties : an interview with the owners of the Elgin, , voir annexe 
DURAND Camille_2010 21
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
Partie 2 : Que sont les midnight movies 
« Le réalisme n'est pas en soi une forme d'art10 » 
“ A midnight movie has to be a personal vision, it has to be a total critique of society and it 
has to be discovered by the audience11” 
Qu’est ce qui fait d’un film un film de minuit? Comment le définir et peut-on même le 
définir ? C’est la question que pose le journaliste du New York Times du 7 septembre 1975, 
dans son article intitulé « So what do you do at midnight ? You see a trashy movie », 
à Jim Dudelson, de New Line Cinema, la compagnie de distribution de Pink Flamingos. 
Celui-ci, troublé, lui répond « You can’t really put your finger right on it”, (tu ne peux pas 
vraiment mettre le doigt dessus). Là est toute la problématique des Midnight Movies qui, bien 
qu’unis dans la même catégorie par cette expression, reflètent des diversités stylistiques, 
thématiques indéniables. 
Nous tenterons dans cette partie de capter, en confrontant à la fois ce qui relève de la 
forme et ce qui appartient au fond de ces films, ce qui les réunit et scelle leur appartenance 
au même groupe, justifie leur projection à minuit. 
A. Une tentative de définition par le genre. 
Les Midnight Movies appartiennent ils au même genre ? 
Un genre au cinéma est ce qui permet de catégoriser les films entre eux selon 
leur caractères propres : l’esthétique des images, l’intrigue, le recours ou non aux effets 
spéciaux, au surnaturel, les thèmes abordés et bien d’autres paramètres rentrent en compte 
pour déterminer un genre. 
Selon Stuart Samuels, une des caractéristiques communes des Midnight Movies est 
qu’ils proposent tous une vision très personnelle. Comment comprendre cette expression 
vague ? 
1/ Le genre expérimental 
Ces films sont souvent jugés excentriques, illustrant une déviance thématique ou esthétique, 
donc classés comme expérimentaux et avant-gardistes, car ils utilisent des techniques 
narratives et matérielles nouvelles visant à faire parler la forme même de l’oeuvre. On cite 
souvent parmi leurs sources d’inspiration, leurs précurseurs, Andy Warhol ou Maya Deren. 
La terme avant-garde a été importé de l’armée, où il désigne la première ligne de 
combattants, celle qui affronte en premier l’inconnu. Dans le domaine artistique, on distingue 
10 Carl Theodor Dreyer, Réflexions sur mon métier, cahiers, 1983, p 97. 
11 Stuart Samuels in « a new time for midnight movies », International Herald Tribune,22.06.05, Lewis Beale. 
22 DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies 
selon Paul Young12 le film expérimental de la production commerciale grand public par sa 
dimension esthétique, idéologique et/ou politique, sa capacité à contester la tendance à la 
stabilité, au réalisme et à la clarté qui est à l’oeuvre dans les films et surtout à « contester 
les limites du symbolique ». Ainsi Le Grice13 délimite huit caractéristiques permettant, dans 
un film, d’explorer les différentes possibilités du cinéma, et donc d’entrer dans le genre 
expérimental : le travail sur le dispositif de la caméra, l’invention de nouvelles formes 
narratives, la création de nouvelles formes d’organisation du discours, la diffusion d’images 
occultées par la société, l’engagement politique, la capacité à articuler le cinéma avec 
d’autres arts comme la philosophie ou la peinture, et le fait d’établir, créer par le cinéma un 
autre monde, une altérité qui répond à ses propres codes. 
Les Midnight Movies illustrent-ils la prise en compte, le travail d’une ou plusieurs de 
DURAND Camille_2010 23 
ces perspectives ? 
El Topo joue avec les codes du cinéma et a une vision très poétique du scénario, 
car l’intrigue n’est qu’un prétexte aux images, qui se succèdent les unes aux autres, non 
selon une logique narrative, mais plutôt au gré des métaphores et du visuel, comme dans 
la tradition surréaliste de Dali, Bunuel qui ont révolutionné le genre expérimental. Il s’agit 
pour lui de briser l’idée de rationalité qui conduit l’intrigue en mettant en place une forme 
mythique, poétique de dramaturgie. Le début du film nous introduit bien à la décadence 
narrative du film, car il frise l’absurde. Après avoir tué, de la main de son fils, le dernier 
survivant d’un massacre de sanguinaires dans une ville, el Topo arrive dans une contrée 
désertique où trois bandits vivent. Ces derniers passent leur temps à deux activités très 
loufoques compte tenu du contexte : manger des bananes et caresser avidement des 
chaussures à haut talons, qu’ils collectionnent. Cette caractéristique est complètement 
invraisemblable : le spectateur s’attend, au lieu de trois fétichistes, à trouver en de tels 
bandits des hommes aux moeurs dures et viriles. 
Dépourvu de sens, d’ancrage spatio-temporel, cet incipit fait la belle part au gratuit et 
à l’absurde. La violence visuelle est très présente dans le film, vraiment gore, et surtout 
non légitime : il n’y a pas de morale dans le film, et on nous montre le pire sans aucune 
explication, sans aucune excuse. Le personnage principal ne semble d’ailleurs pas affecté 
par ce qu’il voit, et demande à son fils d’achever le massacre, et ce alors même qu’un 
survivant fait appel à sa pitié. C’est un anti-héros : il abandonne son fils, qu’il a initié 
et éduqué à la violence, pour poursuivre son chemin avec une femme. Le film est dans 
le sillage du surréalisme et de Maya Deren, une des précurseurs aux Etats-Unis du 
surréalisme au cinéma. 
Eraserhead constitue un des- sinon le- films les plus expérimentaux de Lynch, c’est 
pourquoi je m’attarderai plus sur cet exemple. 
Le modèle de narrativité est complètement déviant, car il est sans cesse contaminé par 
le rêve, qui est la seule porte de sortie d’un environnement hostile où le végétal est absent, 
où la couleur, la vie, l’animation paraissent à jamais perdus. Les errances de Henry dans 
son quartier sont marquées par la solitude la plus totale, le passage de longs tunnels dans 
l’ombre. 
Lynch dira dans son interview avec Chris Rodley qu’il a voulu recréer le Philadelphie 
de son enfance, sa banlieue et ses usines, ses fumées industrielles et parvient ainsi à créer 
un univers totalement autre, presque futuriste, où le soleil ne brille jamais, où le vent siffle 
12 Le cinéma expérimental, Paul Young, Taschen 
13 Cinémas d’avant-garde, Nicole Brenez
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
en continu tel un murmure de fin du monde. La scène du songe dans le radiateur montre 
comment la logique du rêve, de l’irrationnel conduit le récit, et occulte les principales normes 
narratives d’un film. La définition des personnages est floue, dès le départ, on ne saura 
jamais qui est Henry Spencer et ce qu’il éprouve pour Mary , la mère de leur enfant qui 
le quitte peu après le début de leur vie commune. De leur histoire commune, rien n’est 
dit, si bien que le spectateur est aussi surpris que l’est Henry d’apprendre que Mary a 
mis au monde un bébé. On devine qu’il éprouve une forte attirance pour sa mystérieuse 
voisine,avec qui il a eu une relation sexuelle, mais celle-ci reste dans l’ombre, comme c’est le 
cas des autres personnages du film, qui sont des ombres fuyantes, des fantômes dans cette 
cité industrielle désaffectée. Puisque Henry essaie de se réfugier dans le rêve, dans le songe 
du radiateur, qui est une sorte d’Eden où Henry est apaisé par la présence d’une femme aux 
joues démesurément grosses, qui chante en souriant « In heaven, everything is fine.. », tout 
le reste, le morne quotidien reste de l’ordre de l’implicite. Le spectateur est invité à faire ses 
propres suppositions, à se servir de son imagination pour comprendre ce qui se passe entre 
la voisine et Henry, lorsque le bain lacté, qui est la transformation fantasmatique des draps 
du lit de Henry les happe sous la surface : le liquide laiteux dans lequel le couple s’enfonce 
suggère l’acte sexuel. Lynch rompt totalement avec le modèle traditionnel de narration. Dès 
le prologue, où nous est montrée une planète qui est la métaphore du cerveau, le film est 
placé sous le signe de l’imagination et du rêve. 
Plus que les personnages, les dialogues et l’action, ce sont les matières et les sons 
qui permettent de mieux comprendre ce qui est en jeu dans Eraserhead. Le film bouleverse 
complètement nos habitudes perceptives. 
Après la sortie du film, une rumeur circulait sur la bande son du film, qui affecterait 
le subconscient du spectateur par un bourdonnement de très basse fréquence, presque 
inaudible, donnant la nausée14. 
Le son donne, il faut bien le reconnaître, un sentiment de malaise continu, car il n’est 
composé que de rumeurs d’usines, sifflements de trains, murmures de machines, sortes de 
leitmotiv sonores qui contribuent à faire ressentir le silence du film, très avare en dialogue, 
et faire par le même coup ressortir les cris assourdis du bébé montres. 
Par exemple, lorsque Henry rentre dans son hôtel, le son n’est composé que du bruit 
de fonctionnement de l’ascenseur et de ses portes s’ouvrant et se refermant, alors qu’en 
arrivant près de sa porte se fait entendre une musique de jazz, suggérant l’univers subversif 
de sa sulfureuse voisine. Le son est comparable à une voix off, expliquant au spectateur ce 
qu’il ne peut deviner par les dialogues, et par sa richesse, le son comble le vide des images. 
Le son qui représente le bébé monstre est un son d’eau qui boue : c’est un son 
ronronnant, qui fait sentir au spectateur la présence du bébé, car il imite en quelque sorte 
sa gêne respiratoire. Eric Dufour15 donne une fonction sensitive au son, qui selon lui donne 
une image de la matière des choses, et, dans cette scène, du bébé : « A l’image du bébé 
couvert de pustules et secoué par des spasmes correspond le bruit de l’eau qui boue, le 
halètement et le bruit du vent. » 
Ainsi, l’expérimentation par le son dans Eraserhead est vouée à suppléer au langage 
du champ visuel, qui est évasif et incomplet. 
Eric Dufour explique ainsi : « à la raréfaction de l’image s’oppose la saturation du son 
qui grouille d’un monde qu’on ne voit pas et dont il ne se contente pas d’indiquer la présence 
14 Zizek Slavoj, Lacrimae rerum p 89 
15 Eric Dufour, David Lynch : matière, temps et image, p 27 
24 DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies 
puisqu’il la représente au ses littéral du mot. Le vide des zones visuelles traversées par 
Henry s’oppose à la plénitude des zones sonores (…) ». 
Le monde que crée David Lynch de toute pièce travaille également la matière, dans 
un monde industriel composé de trous, de tas de terres, de flaques et de boue sans trace 
de verdure, qui est un entre deux. Durant la scène du repas chez les parents de Mary, au 
moment où Henry tente de découper le poulet, un liquide sombre s’échappe du postérieur , 
suggérant , comme un présage le fluide vaginal monstrueux qui symbolise la naissance du 
monstre. Il trace par là un pont entre son cinéma et l’art plastique. 
Mais que penser de Pink Flamingos ou du Rocky Horror Picture show, si l’on considère 
les exigences du cinéma expérimental ? Ces films sont loin d’illustrer une recherche 
esthétique, iconique typique au genre expérimental, même s’ils diffusent des images d’une 
société qui sont traditionnellement occultées. The Rocky Horror Picture Show expose le 
tabou de la transsexualité, et celui de l’adultère, dans une moindre mesure : Frank N Furter 
parvient à séduire Janet autant que Brad, dans deux scènes parallèles avant que Rocky 
soit découvert par toute l’assistance avec Janet, nus, après consommation de l’acte sexuel. 
Mais on ne peut pas pour autant parler d’expérimentation visuelle ou dramaturgique, car 
rien ne sort des canons de la parodie, qui par définition recycle des situations, des clichés, 
un cadre d’une oeuvre pour la tourner en dérision. Naturellement, on pourrait considérer 
la parodie en elle-même comme une forme d’expérimentation, en tant qu’elle pervertit 
un genre établi, mais sur le plan formel, le film ne présente aucune trace de recherche 
cinématographique. 
Mais Pink Flamingos va bien plus loin dans son traitement du tabou, car il le pousse 
jusqu’à la perversion, et met des images sur des travers sexuels encore jamais portés à 
l’écran : la coprophagie, la zoophilie, l’inceste et l’exhibitionnisme. Raymond Marble s’amuse 
à exhiber son sexe devant les jeunes filles qu’il rencontre, tandis que le fils de Divine invite 
une poule et la tue lors d’un rapport sexuel avec une femme espionne, qui se trouve couverte 
du sang de la bête. Ces deux scènes sont encore, quarante ans après , très choquantes 
pour le spectateur. 
Pink Flamingos est une comédie sur le mauvais goût, que John Waters érige en principe 
originel du divertissement « To me bad taste is what entertainment is all about »16, et 
l’explique dan son essai Shock value, publié en 1981 : « if someone vomits watching 
one of my films, it’s like getting a standing ovation ». Plus qu’une recherche d’un nouveau 
langage esthétique au cinéma, le film se singularise par son extrême provocation. Pourtant, 
à sa sortie, le film est très remarqué par les avant-gardes et les critiques de cinéma. 
Le New Yorker va jusqu’à le comparer à Un Chien Andalou, tandis qu’ Andy Warhol l’a 
personnellement recommandé à Fellini, ce qui peut surprendre un peu. Pink Flamingos 
n’est pas un chef d’oeuvre ayant des qualités esthétiques intrinsèques, ne révolutionne pas 
le style de narration. Le film est au contraire, comme l’Urinoir de Duchamp, une insulte 
à l’art bourgeois classique , une provocation , comme une blague qui secoue les grilles 
d’interprétation filmique des spectateurs . Montrer aux spectateurs un acteur ingérer les 
excréments d’un chien, c’est un moyen de faire ce qu’on appellerait aujourd’hui du « buzz 
médiatique », et donc d’avoir un impact sur les consciences individuelles. 
Il est donc difficile, après avoir examiné notre corpus de rassembler les Midnight Movies 
dans le genre expérimental, car si les images de Eraserhead et El Topo dénotent une 
préoccupation formelle, une recherche plastique indéniables, les autres films ne sont pas 
dans le même cas et arborent une esthétique plus canonique. 
16 Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum p 327 
DURAND Camille_2010 25
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
2/ Le genre fantastique 
Pour essayer de comprendre ce qui fait la cohérence des Midnight Movies, nous posons 
maintenant l’hypothèse du genre fantastique qui, selon rené Prédal,17 se définit par 
l’absence d’opposition, « le constant balancement entre le réel et l’imaginaire ». 
Robin Wood18, critique de cinéma, rattache le genre fantastique à des problématiques 
psychanalytiques, car les films fantastiques « reflètent spontanément certaines attitudes 
symptomatiques du malaise collectif ». Il se représente le film d’horreur (compris en anglais 
comme genre fantastique, car « horror movie » se traduit comme film fantastique), comme 
« l’expression dramatisée d’un cauchemar collectif ». Celui si se concrétiserait par la 
présence récurrente de formes d’altérité par rapport à la norme, se manifestant tantôt sous 
forme du monstre, comme dans Eraserhead, tantôt sous forme d’êtres provenant d’un 
monde différent, comme le monde de l’au-delà dans La nuit des morts vivants, la planète 
« transexual transylvania » pour les proches de Frank N Furter dans The Rocky Horror 
Picture Show, le monde du désert, irrationnel, dans EL Topo et, dans une moindre mesure, 
le monde de Divine de Pink Flamingos, situé dans sa caravane. Cette altérité symbolise la 
non-conformité, le rejet des normes sociopolitiques (le refus de l’ordre dominant, patriarcal 
et hétérosexuel) et l’affirmation d’une contestation de leur légitimité. Selon Robin Wood, le 
noyau dur du fantastique dans les films des années 1960 -70 se situerait dans le thème de la 
famille, un espace privilégié pour le développement de l’altérité, du fameux « unheimlich », 
cette inquiétante étrangeté qui rompt avec un sentiment de confort quotidien . Ce concept 
freudien à l’origine est bien illustré dans Eraserhead, puisque l’intrigue se déploie autour 
d’un monstre né d’un couple, né de la chair d’une femme biologiquement normale. 
Une scène importante du film éclaire bien le concept de unheimliche. C’est donc la 
scène du repas, où Henry arrive chez ses beaux parents pour partager le dîner. Cette 
situation est un topos du cinéma : la présentation du futur gendre aux parents est un 
archétype, une sorte de déjà vu au cinéma. Pourtant, la scène est inquiétante : dans le 
foyer sombre, seule une lumière basse nous donne à voir les visages froids et gênés 
des convives, qui se taisent tous excepté le père et la configuration des places donne le 
sentiment qu’ Henry passe un interrogatoire, épaulé à sa gauche par le père, qui préside 
la table, face à la mère et la fille. 
La scène bascule alors à la fois dans le grotesque et l’étrange, lorsque Henry, sur la 
demande pressante du père, qui lui fait subir une sorte de mise à l’épreuve par cet acte, 
commence à découper une des cailles qui sont présentées sur la table. A peine la fourchette 
plantée, un liquide sombre commence à s’échapper de la caille par son derrière, dont le 
flot est activé par les mouvements des cuisses arrières. Henry, stupéfait, seul dans le plan, 
sous une lumière criarde, observe alors la réaction des deux femmes, en contre champ, 
comme si l’événement avait un rapport avec elles, avec la féminité en général. Sa belle 
mère, médusée, est soudain transportée, les yeux révulsés, comme prise de convulsions 
légères , puis graduellement plus marquées, comme si elle était proche de l’orgasme, avant 
finalement de quitter la table, suivie de peu par sa fille qui semble paralysée par la honte. 
Juste après, Henry apprendra que Mary était enceinte de lui, et qu’elle a mis au monde 
un bébé pas très normal (elle prononce cette phrase énigmatique mythique : « They don’t 
know yet if it is a baby »). Cette scène qui passe des topos au grotesque et à l’angoisse 
confirme cette importance du motif de la famille dans le cinéma fantastique qui est le théâtre 
de la monstruosité. 
17 René Prédal, Le cinéma Fantastique, 1970, Seghers 
18 Robin Wood in Cauchemars Américains: le fantastique et l’horreur dans le cinéma moderne, Franck Lafond p. 25. 
26 DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies 
Robin Wood19 rattache cette caractéristique aux phénomènes sociaux qui fragilisent les 
traditions patriarcales, comme l’émergence du féminisme. Il explique que le film fantastique 
est, depuis les années 1960, dominé par cinq motifs, que l’on retrouve dans les Midnight 
Movies : le monstre comme être humain psychotique ou schizophrène, la vengeance de la 
nature, la satanisme, l’enfant comme objet terrifiant, dont eraserhead est l’illustration la plus 
célèbre, et enfin le cannibalisme, qui est à l’oeuvre dans La nuit des morts vivants de George 
Romero. Néanmoins, en dépit de la présence de ces deux dernières caractéristiques , on 
se rend compte que les autres ne sont pas représentées , et par conséquent que le genre 
fantastique ne suffit pas à rendre compte de ce qui fait l’essence des Midnight Movies . 
3/ Le mélange des genres 
Comment classer El Topo dans le genre fantastique ? L’errance du cow-boy est davantage 
une quête métaphysique, qui fait appel à l’horreur autant qu’à l’humour, sans se soucier de 
situer son intrigue au sein de la famille, sans même établir de séparation entre le monde 
normal et l’altérité, qui s’interpénètrent constamment. Il n’y a pas de normalité dans El topo, 
tout y est métaphorique et illogique. 
Quant au Rocky Horror Picture Show, même si son intrigue initiale répond aux codes 
du genre fantastique, par la présence d’un monde parallèle, celui de la planète « transexual 
transylvania », qui est contenu dans le château, qui en est la métonymie, le motif de la 
comédie musicale met en exergue le dispositif ironique du film, et désamorce la portée 
de l’imaginaire et de l’irrationnel du film. L’altérité n’est donc pas physique comme dans 
Eraserhead mais de nature sexuelle car ce sont des êtres transsexuels, et il n’y a pas 
de différence fondamentale entre le couple de normaux que forment Janet et Brad et les 
prétendus extra terrestres de la planète Transylvania. Même la créature crée par Frank, 
Rocky, n’est pas étrange en tant qu’il est très humain, bien que naïf, et cède à la pulsion 
hétérosexuelle avec Janet. Dès lors, ne restent de fantastique que le maquillage, les 
déguisements, le château et leur origine, qui sont davantage les attributs de la comédie 
musicale que ceux du genre fantastique. 
Pink Flamingos, tout en décrivant l’altérité fondamentale d’une famille à travers sa 
perversité, montre combien cette qualité est plus répandue que l’on ne le pense, puisque 
l’intrigue est basée sur la rivalité entre la perversité de Divine et celle du couple qui capture 
des jeunes femmes pour les faire féconder par leur majordome et revendre leur bébé aux 
couples lesbiens. 
Malgré le dégoût que l’on éprouve devant des scènes comme celle où Divine ingère 
les excréments d’un chien, le cinéma nous rend toujours sympathiques les héros qu’il met 
en scène, et Divine, ainsi que sa famille, n’y échappent pas. Les scènes dans la caravane 
nous inspirent un sentiment de « heimlich », de normalité et de familier, malgré tout le 
grotesque et la laideur de la mère de Divine, qui passe son temps dans un parc pour bébé 
à manger des oeufs, elle nous inspire de la sympathie et surtout le sourire. John Waters, 
à partir d’un film trash et très choquant, parvient à rendre humains des êtres déviants et 
psychologiquement déficients, par le détour du grotesque et du rire. Là encore, c’est le 
réalisme qui fait obstacle au fantastique, car la nécessaire altérité sur laquelle repose le 
dispositif fantastique qui, selon la formule de Todorov, est une hésitation entre l’étrange et 
le merveilleux, n’est qu’allégorique : elle n’est pas physique mais morale, car ce sont des 
19 Robin Wood, le retour du refoulé , danscauchemars américains : fantastique et horreur dans le cinéma moderne, Franck 
DURAND Camille_2010 27 
Lafond p 20
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
gens aux moeurs différents. Malgré le maquillage outrancier de Divine, celle-ci n’est pas 
considérée comme un monstre, malgré sa grosseur. 
Dans ces deux derniers films (le Rocky Horror et Pink Flamingos), il y a une autre 
caractéristique, plus évidente, qui vient ajouter à la complexité du genre et ne s’accorde 
pas tout à fait avec le fantastique: c’est la présence soutenue d’une musique Rock ‘n roll, 
du style musical né des sixties, qui accompagne l’action des protagonistes et la commente. 
Dans le Rocky Horror, il s’agit d’une musique qui est dans le champ, car les acteurs 
chantent et dansent à son rythme, le tout aboutissant à un dispositif théâtral. Le maquillage 
exagéré, l’arrière plan sexuel, le jeu avec la circulation des genres et des identités sexuelles, 
l’ambiance festive et encline à la rêverie, toute la philosophie du rock ‘n roll est là. ( « Rocky 
Horror did make a rich connection between movies and rock ‘n roll- so much that it could 
remain meaningful for successive generation of American kids »20) 
Dans Pink Flamingos, la musique est hors champ, elle se fait caution d’un univers 
comique et grotesque, invitant à prendre au second degré des scènes qui seraient 
choquantes. Les chansons commentent même les images, guidant le spectateur dans sa 
recherche de cohérence, comme dans la scène où Divine sort en ville de sa voiture, très 
apprêtée et, d’un pas coquet, gardant la tête haute se dirige vers le centre , accompagnée 
d’une musique pop pour adolescents qui dit : « Girls can’t help it if they are born to 
please » ( les filles ne peuvent rien au fait qu’elles sont nées pour plaire). La musique 
introduit une distance ironique qui adoucit la violence des images. 
On voit donc que la définition d‘un genre d’appartenance aux Midnight Movies est 
sujette à débat car ils sont un mélange, une association de sensibilités et d’éléments 
très divergents. On pourrait tout simplement postuler que les Midnight Movies sont 
essentiellement éclectiques, mélangeant et recyclant les genres de façon ludique pour 
ensuite en dresser la critique : ce sont des films hybrides qui se jouent des conventions 
propres aux genres. 
Par exemple, El topo est un mélange entre western spaghetti, film gore, film 
métaphysique liturgique et film surréaliste. Le dispositif est celui du western, le héros 
est un cow-boy qui enlève une belle femme, mais l’histoire ressemble davantage à une 
quête mystique, et le traitement visuel correspond au genre surréaliste, qui a le souci des 
symboles. 
Eraserhead concentre en lui le genre fantastique, le film d’horreur et le voyage 
métaphysique intérieur, le film ayant souvent été rapproché du célèbre film de Kubrick, 
2001 : A space oddity, en particulier la scène du songe dans le radiateur, selon Olivier 
Smolders21 en ce qu « ’elle inscrit le destin de l’homme dans sa dimension cosmique et 
métaphysique ». 
Pink Flamingos rassemble autour de lui aussi bien les profanes avides d’un spectacle 
comique qui repousse les limites du gore que les érudits se gaussant du mauvais goût et 
de la provocation du spectacle : le film réunit les couches populaires autant que les snobs. 
Néanmoins, il ne présente pas les caractéristiques du film d’horreur. Selon Hoberman, 
« Waters sets out to test te limits of hippie tolerance », c’est donc bien un défi pour les 
spectateurs et non un film crée pour les fasciner. 
20 Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum 
21 Olivier Smolders, Eraserhead, Yellow Now 2005 
28 DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies 
The Rocky horror n’a pas bénéficié de cette caution des avant-gardes mais réunit des 
éléments très divergents de la culture moderne22 : il fait appel à un dispositif de film d’horreur, 
mais par le jeu médiocre des acteurs, l’omniprésence de la musique rock et le décor un 
peu « carton pâte », invite au rire. Selon Hoberman, le film est un concentré de la culture 
anglo-américaine d’après guerre : le goût pour les vieux films de montres, la naissance du 
rock’n roll, Elvis Presley, les Hippies, les drogues et même un soupçon de punk : tous ces 
éléments en ont fait un film indémodable à l’image du rock n’ roll qui ne l’est jamais devenu. 
Nous voyons donc bien, après avoir constaté la pluralité des genres auxquels les 
midnight movies font appel, que le concept stable de genre ne suffit pas entièrement pour 
décrire et rassembler les midnight movies , car ces films sont chacun des « melting pot » 
culturels, des creusets réunissant des genres différents . 
B. Une convergence thématique : La perversion. 
Il serait alors plus pertinent de saisir la cohérence des Midnight Movies par les sujets qui les 
traversent. Selon Stuart Samuels, la deuxième caractéristique qui unit ces films est qu’ils 
constituent tous une critique totale de la société, ce qui signifie qu’ils attaquent tous une 
critique totale de la société. 
Le premier outil de critique est l’utilisation d’un héros marginal, un héros de la contre 
culture, excentrique, qui est vecteur de la critique. C’est le cas du héros d’ El topo, interprété 
par Jodorowsky lui-même qui est l’image de la rébellion face à la morale, puisqu’il est cruel, 
sanguinaire et sans pitié. 
L’héroïne de Pink Flamingos est dès le début singularisée et pointée du doigt comme 
« the filthiest woman alive », elle est donc à l’encontre des normes sociales et brise les 
tabous les plus ancrés dans la société, comme celui de l’inceste, car le film la montre 
procédant à une fellation sur son fils, un fait hautement blâmé dans la plupart des sociétés. 
Tous les tabous de la société sont représentés, exposés afin de faire exploser les limites 
du représentable et la morale bourgeoise. John Waters attaque les normes sociales en 
montrant que la perversion, la déviance sexuelle peuvent être un idéal de vie, celui de 
Divine qui l’assume avec fierté, prête à tout pour défendre son titre de femme la plus 
dégoûtante sur Terre. Gary Edgerton voit à travers les midnight movies23, la cristallisation 
du cas de la perversité féminine. Celle-ci serait une attaque directe à la tradition patriarcale, 
au stéréotype de la femme soumise. 
Dans les Midnight Movies, on remarque en effet une représentation complexe et parfois 
même menaçante de la sexualité féminine. Dans Eraserhead, par exemple, la féminité est 
effrayante, que ce soit celle de la mère, prise de sursauts extatiques lorsque Henry découpe 
le poulet à table, puis essayant d’aguicher Henry un peu plus tard, ou la fille qui accouche 
d’un bébé reptile alors même qu’Henry croyait que leur relation était finie depuis longtemps. 
Dans le Rocky Horror, Janet est celle qui franchit le plus facilement, le plus tôt le pas 
de l’adultère, ne résistant ni aux charmes du transsexuel Frank, ni au charme juvénile de 
sa créature avec qui elle consomme l’acte sexuel.La sexe est un jeu de rôle dans Rocky 
Horror, et Frank est le chef d’orchestre de cet hymne, de cette symphonie. Le personnage de 
22 Aude Weber-Houde, Le Panoptique, 2007 
23 In the eye of the Beholder: Critical perspective in popular film and television, Gary edgerton, Michael Marsden, Jack Nachbar 
DURAND Camille_2010 29
Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 
Frank est profondément paradoxal : il assume et affiche sa féminité mais a un comportement 
entreprenant, viril, ce qui fait de lui un personnage hermaphrodite, androgyne, un héros qui 
transcende les genres. Cet arrière plan sexuel subversif se retrouve même dans El Topo, 
mais dans une moindre mesure. Les bandits rencontrés dans le désert sont fétichistes et 
procèdent à des attouchements sur des chaussures à talons qu’ils collectionnent comme 
autant de métonymies de la féminité. 
Les Midnight Movies sont donc marqués par une problématique culturelle de plus en 
plus visible dans la société, qui est la question de la différence en sexualité, et apparaissent 
révolutionnaires sur ce plan. Marcuse24 montre que la perversion défie le fondement de 
la société capitaliste en faisant de la sexualité un acte autotélique, en ne le soumettant 
pas au principe de performance qui structure et régit la société ». Cet engagement critique 
contre les normes sexuelles, à travers la représentation d’un héros déviant et de son attitude 
excessive est donc un élément clé du succès des Midnight Movies, et une des raisons du 
culte dont ils sont l’objet. 
C. Un midnight movies est un film culte, produit de 
son audience. 
1/ Description d’un public singulier 
La troisième caractéristique des Midnight Movies, citée par Stuart Samuels, n’est pas un 
facteur interne aux films mais une spécificité externe : ce sont les spectateurs qui consacrent 
les films de minuit pour en faire des films cultes. Autrement dit, les Midnight Movies se 
doivent d’être découverts par l’audience pour devenir cultes. 
Il n’y a pas à proprement parler d’études sur l’audience des midnight movies, mais 
certains documents d’archive, comme ceux que j’ai pu retrouver dans les archives du 
New York Times, nous aident à cerner ce qui se déroulait vraiment durant ces projections 
nocturnes. Un article du 7 juillet 1995 revient sur le sujet : « the midnight movies have 
attracted inexplicably large and loyal cult followings that make what happens in the audience 
as interesting as what happens on screen or on stage ; whether it’s water pistols suirted 
into the crowd during the rain scene or fans playing catch and response with the screen, the 
rocky horros picture show is a movie experience ». 
Ainsi, les séances de minuit étaient de véritables shows où la scène était ce qui se 
jouait parmi les spectateurs qui interagissaient, s’arrosaient d’eau avec des pistolets à eau 
pendant la scène de la tempête, jouent à des questions réponses pour se faire deviner les 
répliques. A cet égard, on peut considérer le Rocky Horror comme le film le plus culte de 
tous les midnight movies, car c’est le seul à avoir attiré des foules déguisées , en délire, 
revenant après des dizaines et des dizaines de fois . Ces séances étaient de véritables 
événements sociaux , « like a party », selon les mots d’ Andy Warhol25 ,où les spectateurs 
se lèvent, crient, reprennent à pleine voix les chansons entraînantes du film, une audience 
qui , selon la critique de cinéma Pauline Kael , est « excitée, satisfaite par les images les 
24 Marcuse, Eros et Civilisation 
25 Cutting Edge 
30 DURAND Camille_2010
Partie 2 : Que sont les midnight movies 
plus choquantes et révoltantes », un public qualifié par les journaux de l’époque comme 
le New York Times de « rock’n’roll film type audience », qui prend de la drogue, envoie 
des projectiles et de la nourriture dans la salle, s’esclaffe ouvertement, drague son voisin 
et même parfois vomit. 
Dans The cultural economy of fandom , John Fiske donne une analyse précise du 
phénomène de participation, d’interaction entre les spectateurs et la salle . 
L’objet de culte, le film passe d’un objet d’art à un événement social. Selon lui, le Rocky 
Horror inaugure un spectacle qui se trouve dans la salle, une sorte de carnaval de fans, 
déguisés à l’image de personnages du film, inventant de nouvelles répliques ou changeant 
complètement le texte principal en le pervertissant : à travers cette participation, la distance 
séparant un objet de fiction de l’audience est abolie, et les spectateurs sont immergés dans 
la fiction. 
Par exemple, quand le narrateur du Rocky horror, cette voix off, décrit les nuages de 
l’orage qui sont « lourds, noirs et tombants », le silence précédant cette réplique est remplit 
par la voix des spectateurs qui s’écrient « décrit tes testicules ». Ceci montre ce processus 
d’appropriation du film par les fans qui développent les dialogues, leur donnent un nouveau 
sens plus comique, cette activité contribuait à souder les communautés de fans, émetteurs, 
producteurs d’une culture secondaire et co-constructeurs de l’objet de culte. 
2/ Le film culte : définition et analyse 
Umberto Eco26 explique qu’un film culte doit apporter un monde assez riche pour que ses 
fans puissent en citer les passages, en imiter les personnages et épisodes, créer des quizz 
et jouer à des jeux basés sur lui. C’est un film qui rassemble tous les autres, qui peut être 
divisé en parties, scènes qui sont auto suffisantes et qui résument à elles seules l’esprit de 
la totalité. « to transform a work into a cult object, one must be able to break, dislocate, 
unhinge it so that one can remember only parts of it, irrespective of their original relationship 
with the whole”. Pour transformer un film en un objet de culte, on doit être en mesure de la 
casser, de le disloquer, de le diviser de telle façon qu’on se rappelle seulement des parties, 
sans prendre en compte leur relation avec l’ensemble. 
Ce programme est bien respecté par tous nos Midnight Movies, même dans 
Eraserhead, qui pourtant encourage moins à une participation orale que les autres, la 
narration passe au second plan derrière les images. Les scènes comme celles du songe 
dans le radiateur ou celle du repas de Henry chez les parents de Mary restent plus 
en mémoire , quand on évoque le film, que l’intrigue générale, qui n’a pas une grande 
signification. 
Les séances de minuit apparaissent effectivement comme de véritables rituels dotés 
de leur propres codes : fumer, se lever, crier, protester, rituels qui se répètent, deviennent 
des habitudes de fans et rythment leur soirée. L’historien Adams Sitney27 a même comparé 
l’audience des midnight movies à celle de la messe, pour qui ces films sont des ersatz de 
religion. 
26 Umberto Eco, Casablanca ou la renaissance des dieux (1975) in La guerre du faux 
27 Hoberman et Rosenbaum, Midnight Movies, p 32 
DURAND Camille_2010 31
Les midnights movies
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Les midnights movies

  • 1. Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? Mémoire de Séminaire Préparé par Camille Durand Sous la direction de Jean-Michel Rampon Soutenu le : 6 septembre 2010
  • 2.
  • 3. Table des matières Epigraphe . . 5 Introduction . . 6 Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies . . 13 A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies . . 13 1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le surréalisme. . . 13 2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies . . 16 B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un fourmillement créatif . . 18 1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes cinématographiques . . 18 2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin comme haut lieu d’épanouissement d’une culture underground . . 20 Partie 2 : Que sont les midnight movies . . 22 A. Une tentative de définition par le genre. . . 22 1/ Le genre expérimental . . 22 2/ Le genre fantastique . . 26 3/ Le mélange des genres . . 27 B. Une convergence thématique : La perversion. . . 29 C. Un midnight movies est un film culte, produit de son audience. . . 30 1/ Description d’un public singulier . . 30 2/ Le film culte : définition et analyse . . 31 Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète? . . 36 A. Les midnight movies : chronique d'une mort annoncée. . . 36 1/ Les raisons économiques d’un déclin . . 36 2/ Les raisons culturelles : Hollywood récupère l’esthétique de minuit . . 38 B .La télévision : un rôle néfaste pour la culture de minuit. . . 39 1/ La culture vidéo :l’entrée dans la postmodernité et le non public de la télévision . . 39 2 / Les talks shows : de l’horreur au voyeurisme . . 41 3/ La série télévisée culte : Twin Peaks , fille de l’esthétique de minuit . . 41 C. The big LEBOWSKI : La résurection du phénomène des midnight movies. R . . 43 1/The big Lebowski : un parcours similaire aux midnight movies . . 43 2/ Analyse de la séquence d’ouverture . . 44 3/ Conclusion : Une « critique postmoderne du rêve hollywoodien »: . . 48 4/ L’ adoption du film par une grande communauté de fans . . 49 D. Une nouvelle approche des fans : une coproduction d'objet de culte. . . 51 1/Les nouvelles formes de participation des fans , fanfictions :des formes de coproduction du sens . . 51 Conclusion générale . . 57 Bibliographie . . 60 Ouvrages . . 60 Articles . . 60 Issus de revues . . 61
  • 4. Issus de la presse . . 61 Annexes . . 62
  • 5. Epigraphe Epigraphe « Cinéma est un nom de l'art dont la signification traverse les frontières de l'art. » Jacques Rancière DURAND Camille_2010 5
  • 6. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? Introduction A minuit, la dernière heure, heure mystique s'il en est, plusieurs événements très différents prennent place: minuit est l'heure de la messe traditionnelle des catholiques la veille du vingt-cinq décembre où une grande célébration prend place pour fêter la naissance de Jésus. C'est aussi le moment, au réveillon de la Saint Silvestre, où l'on s'embrasse et l'on fête le passage à la nouvelle année, dans le calendrier chrétien. Dans la littérature, les contes et croyances populaires, minuit est le moment magique de l'irrationnel où les sabbats de sorcière, sortes d’assemblées nocturnes, prennent place, où les vampires s’éveillent, les loups garous s’animent, où Mr Jekyll laisse place à Mr Hide, et enfin, dans les romans policiers, c'est la traditionnelle heure du crime. C'est une heure qui fait fonctionner l'imaginaire collectif, qui suggère un affranchissement du domaine du rationnel, et donc du réel. Cette folie inhérente à l'heure de minuit est le vecteur d'une culture underground, choisissant l'obscurité pour satisfaire les attentes d'un public avide de produits marginaux, allant à contre courant de la culture dominante ; parmi ceux là, des films à petits budgets, parfois dits « peu recommandables » devenus aujourd'hui des films culte grâce à leur diffusion à minuit dans les années 1970: les « Midnight Movies ». En France , l'expression n'a pas d'équivalent qui puisse désigner aussi bien ce qui est devenu un genre à part entière aux Etats Unis, c'est pourquoi j'utiliserai l'expression américaine tout au long de ce mémoire. L'idée première de ce mémoire m'est venue par la mise en relation de deux réalisateurs que j'admire beaucoup au nom de leur rejet des conventions hollywoodiennes et de leur capacité à créer dans leurs films un univers cinématographique très personnel et pourvu de ses propres codes esthétiques déviants: il s'agit de Alejandro Jodorowsky_ le réalisateur chilien, créateur avec Fernando Arrabal et Roland Topor du mouvement Panique, scénariste de bandes dessinées, essayiste et poète_ et de David Lynch , un réalisateur américain bien difficile à classer. Le caractère « protéiforme » de son art m'intéressait tout particulièrement, car cet artiste passa de peintre à réalisateur de films, puis de séries, à designer, photographe et plasticien, musicien, producteur de publicités et inventeur d'une méthode de méditation transcendantale destinée à lutter contre la violence dans les écoles. Cette sorte d'universalité artistique, le procédé de recyclage qu'il utilise pour utiliser d'un art à un autre les mêmes figures et obsessions me plaisaient et m'ont encouragé à approfondir mes connaissances. Le pont qu'il construit entre les arts m'intéressait particulièrement, la question de la transversalité dans son esthétique a d’abord monopolisé mon attention. Ces deux artistes, très influencés par le mouvement surréaliste auquel je me suis toujours intéressée, et tout particulièrement en littérature, m'ont guidé vers les Midnight Movies. Eraserhead étant le film que j'estime le plus, je me suis tournée vers ses particularités esthétiques ; ce premier film de Lynch est quasiment expérimental, fait de manière artisanale (Lynch assume durant la durée du tournage, soit 5 ans, tous les rôles, de décorateur à chargé de bruitage, tout comme Jodorowsky, dans El topo, est à la fois acteur, réalisateur, musicien, décorateur, peintre et costumier) avec un petit budget, et très influencé par l'esthétique surréaliste. En 2004, Eraserhead a été « déclaré » culte dans l'histoire du film américain, classé comme tel par le National Film Registry , ce qui suggère qu'il a été sélectionné pour son « importance culturelle, historique ou esthétique » . 6 DURAND Camille_2010
  • 7. Introduction Ce film fait figure d’OVNI dans le paysage du film, et j'ai donc étudié, en mettant en relation les premiers courts métrages de Lynch « the Alphabet », « The grandmother », « six men getting sick » avec ses peintures (que j'ai pu analyser grâce au catalogue de l'exposition de la fondation Cartier qui lui était dédiée en 2007), les principales figures, obsessions lynchiennes. Dès lors il m'a fallu me questionner sur la forme du travail que je souhaitais accomplir sur Lynch: était-ce l'esthétique du cinéma de Lynch, ou, d'un point de vue plus externe, l'impact de son film le plus culte sur les spectateurs (c’est à dire une analyse plus tournée sur la réception). Il m'est apparu évident que l'esthétique n'allait pas être l'objet de ce mémoire, mais que l'enjeu se trouvait justement dans le lien entre les films et le contexte culturel et social dans lequel ils s’ancraient. J'ai pensé qu'il était intéressant de se focaliser sur le contexte de réception d'une telle oeuvre et me suis dirigée ainsi vers les conditions qui ont été celles de la sortie du film: j'ai alors découvert que le film Eraserhead, dont le financement avait été interrompu en cours par L'American Film Institute en raison de sa singularité, de sa « bizarrerie », de son caractère hybride dans le style de l'époque , avait été diffusé à petite échelle dans des conditions uniques: à minuit, et sans aucune publicité , tout comme l'avait été, six ans auparavant le film de Jodorowsky, El Topo. A ce moment précis, mes intérêts premiers se sont donc retrouvés unis dans un même cadre de réception. Le documentaire de Stuart Samuels, « Midnight Movies 1 » a véritablement achevé de fixer mon sujet, car il m'a aidé à problématiser ce sujet. Sans l'avoir trouvé d'une très bonne qualité, il a levé le voile sur la singularité du dispositif de réception du premier long métrage de Lynch: Eraserhead fait partie d'un ensemble de films connus sous le nom des « midnight movies » qui ont fait date dans l'histoire du cinéma américain, devenus des films culte. Ces films au contenu généralement « subversif », ont rassemblé des foules dans les cinémas de grandes agglomérations comme à Manhattan dans la ville de New York. Le documentaire se limite à l'étude de six des plus marquants de ces midnight movies : The night of the living dead, de George Romero, Pink Flamingos, de John Waters, Eraserhead, de Lynch The Harder they come, de Perry Henzell, The Rocky Horror Picture Show, de Jim Sharman et El Topo , de Jodorowsky. Ces six films, restant souvent des mois à l'affiche, vus et revus des dizaines voir des centaines de fois pour certains, rapportant aux cinémas des millions de dollars, avaient donc un statut unique. Aux Etats Unis, ils ont été l'objet d'étude de plusieurs critiques de cinéma et de journalistes qui ont voulu se pencher sur un phénomène étonnant, concomitant d'une période de libération des moeurs. L' apparition des midnight movies L'expression « Midnight Movies », apparaît dans les années 50 aux Etats Unis, désignant à l'origine une pratique courante de quelques chaînes de télévision locale : diffuser les films de genre à petits budgets, les fameux films de série B, à une heure avancée dans la nuit, l'heure où l'audience chute, l'heure où une audience différente de celle de la journée allume sa télévision, prête à y voir plus que de simples émissions de divertissement. Ainsi en 1954, la télévision locale de Los Angeles (la chaîne KABC) lance la diffusion de « The Vampira show », les samedis soir à minuit, un show qui diffuse des films d'horreur ou à suspense, à très petits budgets. Avant le film, le présentateur qui introduit le spectateur au programme nocturne est caractéristique: souvent adepte de l'humour noir, armé d'une ironie fracassante et dans le cas de Vampira, très court vêtu. Ces présentateurs sont devenus très appréciés par l'audience, et leurs noms restent aujourd'hui encore, connus, comme ceux 1 Midnight Movies : from the margin to the mainstream, Stuart Samuels, 2006 DURAND Camille_2010 7
  • 8. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? de Vampira, Zacherley, Cassandra Peterson alias Elvira, « mistress of the dark », adulés par les jeunes de l'époque. Au cinéma, certains films des années 30 sont diffusés à minuit, comme Nosferatu , de Murnau,où les films surréalistes à Paris comme Un chien Andalou mais ces projections restent encore des événements isolés, et prennent place aux Etats Unis lors de foires ou fêtes foraines. Les Midnight Movies au sens donné par Stuart Samuels apparaissent dans les années 1970: on situe traditionnellement la première, le film pionnier en la matière à El Topoqui sort dans les salles du Elgin en décembre 1970, s'apprêtant à se maintenir 6 mois à l'affiche. Comment expliquer ce soudain engouement pour les séances de minuit? Après une période d'éveil culturel et de libération des moeurs, propice à la diversité dans l'expression artistique, les Américains connaissent dans les années 1970 l'apparition de projections à minuit dans certains cinémas de grandes métropoles comme New York, Philadelphie, Los Angeles, San Francisco, Chicago. Ces projections ont en fait vu le jour dans les années 1960, en lien avec le développement des mouvements underground de contre-culture et, dont les avatars, dans le milieu du cinéma sont Andy Warhol, Jonas Mekas ou Kenneth Anger. Ces cinémas vont initier les séances à minuit, peut être en vue de découvrir une niche dans l'audience et de pouvoir répondre à un public de plus en plus réceptif à ces thèmes. Surpris d'observer un accueil aussi favorable pendant ces projections, qui sont de véritables événements de foules, ils remarquent de curieuses réactions dans l'auditoire : il semble se dérouler un jeu entre les spectateurs, une connivence se crée, encouragée par la circulation fréquente de marijuana. Il s'agit alors du commencement d'un phénomène d'une grande ampleur car ces films, à la base peu commerciaux et dont la distribution s'avérait problématique restaient parfois six mois à l'affiche, rapportant des profits insoupçonnés; Les réalisateurs du documentaire midnight movies délimitent l'étendue du phénomène aux années 70. Ils sont d'autre part très focalisés sur un cinéma de Chelsea à Manhattan, le « Elgin theater », qu'ils considèrent, avec son gérant Ben Barenholtz, comme le cinéma où le phénomène des midnight movies a éclaté et a été le mieux représenté. Dans le documentaire de Stuart Samuels, mon intérêt s'est porté sur les idées de cérémonie, de rituel qui sont soulevées, répétées dans les commentaires de la voix off, et qui m'ont vraiment intrigué. Je me suis demandée quel était le moteur de cette fascination poussant les spectateurs à revenir encore et encore voir le même film. Etait ce pour profiter de l'atmosphère festive unique de la salle, qui variait à chaque séance? Il semble que le simple fait de projeter ce genre de film a eu pour effet de transformer le cinéma lui-même: ce n'est plus un lieu de diffusion industrialisée mais un site urbain d'activités ritualisées. On voit donc que la projection dépasse le simple visionnage d'un film et tire vers la représentation théâtrale: c'est tout l'enjeu que soulève cette tradition iconoclaste, et c'est ce qui constitue le fil directeur de cette étude et mise en perspective des midnight movies des années 1970. Ce documentaire traçait une limite temporelle au phénomène, l'orée des années 1980, années qui marquent l'entrée du Midnight Movie dans le « mainstream », dans la norme hollywoodienne, coïncidant avec l'arrivée de la vidéo. La fin des années 1970 serait selon eux marquée par la réappropriation des thèmes autrefois subversifs par les grosses productions hollywoodiennes. A partir de ce constat d'une disparition du phénomène et des maigres conclusions qui sont ébauchées dans le documentaire, j'ai décidé d'interroger les raisons de la disparition du phénomène des Midnight Movies en tâchant de trouver d'autres témoignages, points de vue afin de confronter les discours et de mener une enquête informée. 8 DURAND Camille_2010
  • 9. Introduction Méthode et sources bibliographiques: J'ai donc poursuivi mes recherches, en découvrant que peu avait été écrit en France sur ce sujet, même si le phénomène avait dépassé ses frontières: La Cinémathèque de Paris, dans les années 60, avait aussi inauguré les séances à minuit, diffusant certains films , l’Age d'or de Bunuel, ou l'amour fou de Jacques Rivette, Le roi de coeur de Philippe De Broca et d'autres de la Nouvelle Vague. Pourtant, en France, les Midnight Movies n'existent pour ainsi dire pas, car il ne s'agit pas comme aux Etats Unis d'un phénomène à part entière, ayant sa propre signification. Les projections à minuit, même si elles étaient nombreuses, n'ont pas eu le même retentissement dans les médias et la culture urbaine, et n’ont pas contribué à la découverte de tels films cultes, car il s’agissait souvent de rediffusion de classiques du cinéma ; Ainsi, aucun chercheur ne paraît s'être décidé à étudier le phénomène en France. C'est donc via la littérature américaine que j'ai trouvé de quoi alimenter mes questions sur les Midnight Movies: ma bibliographie de base se compose d'un ouvrage qui est voué à mon sujet, paru en 1983 et réédité dans une version augmentée en 1991, appelé « Midnight Movies » dont les auteurs sont Jonathan Rosenbaum, journaliste au Chicago Reader et James Hoberman, critique de film pour The village Voice. Ce livre m'a été d'une aide précieuse, car peu d'ouvrages se consacrent à l'analyse de ce phénomène, qui est somme toute très peu connu. Néanmoins, les difficultés ont été d'une nature double: d'une part, la langue anglaise , qui est tout de même un facteur ralentissant la compréhension, d 'autre part, le fond même du livre: les détails et la description prennent souvent une place trop importante, au détriment de l'analyse, de plus les auteurs digressent beaucoup sur l'époque et ses acteurs, et ont aussi tendance à embellir l'époque par un ton nostalgique, ce qui m'a poussé à procéder à un tri. A partir de là, j'ai voulu étayer ma recherche en puisant dans les archives de la presse nationale, qui sont assez rares, mais j'ai tout de même déniché dans les archives du New York Times deux articles traitant de l'évènement sous un angle sociologique, c'est à dire de la fréquentation de ces séances de minuit, et du regard des journalistes, contemporains de l’époque. Ils m'ont servi, confrontés à l'ouvrage, à cerner une des clés du succès des midnight movies: les jeunes de l'époque. J'ai obtenu grâce à eux une représentation mentale plus précise de l'audience. Ces articles sont fondamentaux: le regard amusé et critique des journalistes, les témoignages des jeunes, et la confrontation de plusieurs points de vue rapportés ont orienté mes recherches dans le champ de la sociologie. Il me manquait tout de même un point de vue plus interne sur le phénomène, même si le documentaire de Stuart Samuels contenait des extraits d'interview de David Lynch , John Waters et Jodorowsky, ces acteurs n'étaient pas vraiment bien placés pour rendre compte de l'ambiance de ces séances de minuit. C'est alors que j'ai eu accès à une interview des gérants du Elgin Theatre, ayant pour titre « children of the sixties », faite en 1996 par un journaliste et écrivain, Ben Davis. Celle ci a été capitale dans mon travail, car elle fournit une description sociologique du phénomène, d'un point de vue moins « formel » que celui de l'ouvrage de Hoberman et Rosenbaum. Le ton est volontiers empreint d'humour et peu sujet à l'auto censure, c'est une chose importante pour comprendre le phénomène. Afin de mettre en perspective ce qui se jouait parmi l'audience des midnight movies, j'ai aussi puisé dans la littérature du domaine de la sociologie du cinéma , notamment autour de la figure du fan , qui a été très peu étudiée jusqu'ici, ne bénéficiant pas d'une véritable légitimité académique. Deux auteurs fondamentaux font figures de pionniers : John Fiske et Henry Jenkins. DURAND Camille_2010 9
  • 10. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? Philippe Leguern, maître de conférence en sociologie à l' IUT d' Angers et chercheur au CNRS à Paris, a publié dans la revue « réseaux » une étude portant sur ces « ex fans des seventies » , dans lequel il explique les enjeux de la métaphore religieuse qui est associée au comportement de fan. Cette étude a donné de l'ampleur à ma réflexion sur les midnight movies, et m'a permis de chercher, dans la culture contemporaine, des équivalents, des manifestations voisines, comparables dans leur ferveur dédiée un objet de culte. Néanmoins, ma démarche n'en est pas pour autant de nature sociologique, je n'ai pas procédé à une enquête sociologique avec des entretiens, il n'y a pas d’enquête, mais davantage une mise en perspective du phénomène, une étude de la réception et de l'évolution de l'emploi qui est fait des séances de minuit dans les cinémas d'aujourd'hui. Cette étude n'est pas dévolue à un descriptif esthétique des films de minuit, nous ne sommes pas dans l'hagiographie de films devenus cultes mais dans la recherche d'une signification culturelle et sociale de ce phénomène et du retentissement qu'il a connu. Le corpus de films étudiés : Je n'ai pas l'intention de dresser l'inventaire des films concernés par la diffusion à minuit dans les années 1970 aux Etats Unis, ce qui ne dirait rien du sens à dégager du phénomène, tant les films sont divers, c'est pourquoi je choisis de me focaliser sur quatre en particulier, qui selon moi illustrent chacun des traits forts caractéristiques de l’esthétique des midnight movies. Au nom de mon attachement à une clarté et une concision essentielles à un travail de cette ampleur, je ne parlerai que très peu de films qui pourtant ont connu une trajectoire de midnight movies semblable à celle des films étudiés, comme « liquid eye » « showgirls », « reefer madness » « harold et maude », « the texas chainsaw massacre », « Mondo Trasho », « The harder they come » et autres films cultes découverts par l'audience à minuit. Eraserhead, d'abord, a été un déclic initial, car je fais partie des fans de David Lynch, et parce que c'est un film pivot dans l'oeuvre de Lynch, contenant tous les thèmes qu il développe encore maintenant dans ses films. De tous, c'est incontestablement le plus expérimental, réalisé sur 5 ans dans des conditions extrêmes avec un budget minimal, le plus hybride, car une légende disait que la bande son était dangereuse et nocive . Eraserhead, sorti en 1977, relate la naissance d'un bébé monstrueux et déformé, image de l'univers industriel glauque dans lequel il naît, dans un couple peu uni et qui est effrayé par son propre rejeton. Après ce film, David Lynch connaît le succès avec Elephant Man, film avec lequel il quitte le cinéma dit expérimental et adopte les codes hollywoodiens ; El Topo est une oeuvre inclassable se situant entre le western, le film esthétique surréaliste, l’épopée, la quête mystique, le film underground et la parodie, retraçant la recherche de la sainteté par un homme, un pistolero, qui est mis au défi de tuer les quatre grands maîtres du désert. Il est devenu l'emblème de l'idéologie des hippies, se regardant à l'époque volontiers sous l'effet de stupéfiants. Il a achevé sa diffusion au Elgin à cause de l'achat de ses droits par John Lennon, qui voyait en ce film un chef d'oeuvre, un poème sur la recherche de la sainteté et de la sublimation. The Rocky Horror Picture Show, de Jim Scharman, sorti en 1975, raconte l'entrée d'un couple rangé, Janet et Brad, dans un château habité par les étranges habitants de la planète Transexual Transylvania, dont le propriétaire, Frank N Furter, un transsexuel travesti, séducteur et créateur d'un objet sexuel, Rocky, va travailler à les pervertir toujours plus et leur faire découvrir les plaisirs sexuels. Ce film à petit budget est devenu l'emblème suprême du film culte, car il a amassé durant trente ans des foules travesties imitant les personnages du film, toutes plus érudites, capables de réciter réplique par réplique le film 10 DURAND Camille_2010
  • 11. Introduction dans son intégralité. Cette comédie musicale est déjantée, c'est un hymne à la libération sexuelle et au vice, à la circulation des genres, un film qui fait exploser la morale chrétienne et hétérosexuelle. Enfin, Pink Flamingos, de John Waters, datant de 1972, est , si je puis dire, le plus trash, celui dont les images figurent au dernier degré de la provocation. Il raconte les pérégrinations de Divine, la femme la plus dégoûtante, repoussante du monde, reconnue comme telle « the filthiest person alive », luttant pour maintenir son statut face à un couple de concurrents, dont l'activité consiste à kidnapper des jeunes femmes qu'il font féconder par leur majordome afin ensuite de leur enlever leur bébé, qu'ils revendent à des couples lesbiens. Ce film est très important à prendre en compte, car c’est par lui, et donc par les séances de minuit, que John Waters s'est fait connaître dans le milieu du cinéma underground. Ces films, tout en étant très différents les uns des autres, sont tous le reflet à la fois d'une évolution des moeurs et sont devenus le miroir d'une expérience sociale inédite : une communion des spectateurs autour de l'écran, et les documents d'époque, l’interview des propriétaires du Elgin Theatre que j'ai pu rassembler confirment cette vision du midnight movie comme un rituel, une tradition et une fête à la fois. Afin de mettre en perspective le phénomène des Midnight Movies, je me suis penché sur l'héritage , les illustrations plus récentes du pouvoir des cultes médiatiques. Certains films ont connu le même sort nocturne, se sont faits connaître par le créneau de minuit; et sont aujourd'hui cultes. J'ai choisi d'étudier le cas de The Big Lebowski, un des films des frères Coen, sorti en 1998 qui, à défaut d'avoir connu un succès au box office, est le seul ayant déferlé un mouvement de fans sans précédent, qui font aujourd'hui des kilomètres pour se réunir afin de célébrer le film et la pensée forte qui en émane. Le Duc, « the dude », héros du film, est un magistral fainéant, que l’on qualifierait en France de paresseux, passant son temps au bowling avec ses amis,et se trouve impliqué soudain dans une affaire d'argent et de rançon qui est le fruit d'un quiproquo onomastique. Ce film des frères Coen est un véritable pamphlet sur les valeurs diffusées dans la culture hollywoodienne, et se plaît à déconstruire un à un les clichés du film hollywoodien. Serait-il un descendant direct des midnight movies? J'ai analysé le film pour y répondre. Il sera également question, dans une moindre mesure cependant, de la série de David Lynch, « Twin Peaks », réalisée en 1986, reprenant les thèmes subversifs , la veine transgressive des midnight movies et qui révolutionne les codes du genre de la série. Celle-ci offre, en un sens, une adaptation télévisuelle de l'esprit des Midnight Movies. Définitions Un film culte est un film qui réunit une communauté de fans: Un film culte est un concept difficile à définir, cependant sa caractéristique majeure reste ses fans. L'esthétique, en effet, ne joue pas le premier rôle, ce sont d'autres éléments qui sont capitaux: ce film doit avoir eu une influence sur son temps, il jouit la plupart du temps d'un faible succès commercial, est reconnu souvent dans la durée, restant longtemps à l'affiche, tirant son effet par la répétition, l'accumulation. Le film culte est donc un film qui obsède, se différencie sur ce point des films qui ne se regardent qu’une seule fois et se consomment sans plus de réflexion: une certaine fascination, une adoration émanent de cette catégorie de films. J'ai voulu approfondir cette thématique, qui est au coeur des enjeux soulevés dans mon séminaire « récits, fictions et médias: les clés d'interprétation du réel ». Un film culte est un film où l'illusion du cinéma continue à opérer, même une fois sorti de la salle. DURAND Camille_2010 11
  • 12. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? La figure du fan: Comme nous le savons, le terme « fan » est un anglicisme, une abréviation de fanatique à l'origine. L'attitude de dévouement et de vénération d'un fervent croyant et d'un fan serait donc pertinente à mettre en parallèle, de même que les séances rituelles des midnight movies sont un lointain écho de la célébration de la messe. Les films de minuit sont dits cultes, sans exception, et c'est la réalité que cache se concept de culte qui focalise mon attention tout au long de ce mémoire. Pourquoi utiliser un tel terme, qui emprunte à la religion? Y a t'il d'autres films cultes par la suite qui se sont fait connaître à minuit ? Si oui, qu'ont ils en commun avec les midnight movies des années 1970? Mon étude se développera donc en trois temps successifs: Dans un premier temps, il sera question d'étudier les conditions d'apparition du phénomène des midnight movies, de définir son ancrage spatio-temporel: les films cultes des années 70 sont irrigués de toute la contre culture des années 60 et s'inscrivent dans un espace urbain propice au mouvements underground. Il sera ensuite temps de décrire et expliquer le phénomène des midnight movies en lui même, à travers une étude des films et de leurs points de convergence. Nous mobiliserons à ce titre plusieurs concepts, outils de taxinomie: une approche thématique qui s'intéresse à rechercher des thèmes communs aux films comme la transgression sexuelle, la violence comme revanche sur la société, les pulsions de vie et de morts « eros et thanatos »; une tentative de définition par le genre, avec le genre du film d'horreur notamment, le genre expérimental et le genre fantastique, ou par l'esthétique, avant d'avoir une approche plus centrée sur la réception, qui sera l'occasion d’analyser le sens à donner aux rituels qui se déroulaient pendant les midnight movies . Enfin, nous partirons en quête de possibles résurgences du phénomène et d'explications de l'évolution du film culte, qui est déplacé du lieu du cinéma à la maison, apprivoisé et du même coup modifié dans son essence. Nous analyserons les objets « héritiers » des midnight movies qui témoignent, en même temps d'une parenté, et d'une mutation, en nous focalisant sur la série Twin Peaks et sur le film des frères Coen The big Lebowski . Nous nous pencherons sur le phénomène de culte chez les fans et tenterons de dépasser une lecture bourdieusienne qui tend à dévaloriser la figure du fan. Nous tenterons aussi de chercher l'emploi actuel qui est fait du créneau de minuit dans les salles, et ce qu'il nous dit sur l'évolution de la figure du fan. 12 DURAND Camille_2010
  • 13. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies Il serait regrettable, pour une étude sur les Midnight Movies, de tenir ces films comme un phénomène isolé de son contexte, un phénomène ex-nihilo, alors que leurs problématiques ne se comprennent qu'à la lumière des soubassements historiques, idéologiques et sociaux de l’époque, ainsi que des lieux qui ont favorisé leur diffusion. Les Midnight Movies se révèlent être de véritables encéphalogrammes, mesurant le pouls de la contre culture qui se développe à l'époque. Parmi ces facteurs nécessaires à l'épanouissement des Midnight Movies, je m'attarderai dans cette partie en premier lieu sur les mouvements artistiques qui sont propédeutiques à l'avènement des Midnight Movies, à savoir l'expressionnisme allemand et le surréalisme, ensuite sur l'oeuvre matrice des Midnight Movies, Freaks, de Tod Browning, avant de faire un aperçu nécessaire du paysage culturel et cinématographique américain des années 1960-70 , pour enfin effectuer un zoom sur un cinéma , le Elgin, qui est très représentatif du brassage social et de l’ampleur inédite du phénomène des Midnight Movies, mais aussi d’un esprit hippie et d’un climat favorable à la participation des spectateurs. A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies 1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le surréalisme. a. L’expressionnisme allemand : définition Le film d'horreur d'aujourd'hui s'est développé sur les bases des premiers films cultes des années 1920 comme Nosferatu le vampire, de Murnau, Le cabinet du docteur Caligari, de Robert Wiene (qui est, selon Hoberman et Rosenbaum le premier film culte, né à Paris où il est diffusé durant 7 ans dans le même cinéma ), ou Docteur Mabuse de Fritz Lang. Ce cinéma était très marqué par les atrocités , l'horreur au quotidien vécues par l' Allemagne pendant la Première Guerre Mondiale, et met en scène le crime et la culpabilité pesant sur des personnages denses, pétris de contradictions , le tout étant souligné par l'esthétique expressionniste devenue très célèbre. Les personnages de ces films, dont le maquillage épais exalte et exagère les traits, sont filmés sous l'angle de la contre-plongée, la lumière venant du dessous éclairer le visage de manière effrayante, menaçante. Ces personnages grimaçants sont, selon le critique Siegfried Kracauer2, critique de cinéma 2 Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler, Une histoire psychologique de cinéma allemand 1947 p 32 et 36 DURAND Camille_2010 13
  • 14. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? au journal Frankfurter Zeitung, le reflet des troubles psychologiques profonds du peuple allemand, et annoncent les prémisses du régime totalitaire nazi. Dans M le Maudit ,3, qui devait originellement s'appeler « Mörder ist unter uns », le meurtrier est parmi nous, Fritz Lang met en scène un kidnappeur de petites filles qui sévit dans la ville de Dusseldorf, semant la discorde entre la police et la pègre qui se disputent sa poursuite. La dernière scène illustrerait , par le procès de la Pègre qui est fait au meurtrier, procès acclamé par la foule en délire, la montée du nazisme qui est un mal intérieur du peuple allemand. Cette scène est aussi marquée par l'esthétique expressionniste: les visages de la foule apparaissent déformés par le peu de lumière qui les distingue de la pénombre, et le meurtrier, piégé, avoue alors sa schizophrénie, en pleine lumière des projecteurs braqués sur lui: cette scène finale renverse les rôles, et fait du meurtrier une victime des bourreaux qui l'entourent, comprenant les bandes criminelles et les familles avides de vengeance de la ville. Ainsi, l’expressionnisme se nourrit des malaises profonds des individus pour styliser leurs images qui sont, par leur esthétique, l’extériorisation de leur psychologie. Le personnage principal du film Eraserhead, Henry Spencer, interprété par Jack Nance, pourrait être un personnage influencé de l'expressionnisme allemand, par exemple: c'est un personnage dont les traits sont marqués, montrés toujours au travers d'une lumière très faible, parcouru par les ombres d'une ville sans vie, parcourue de détritus. Son costume noir, terne et élimé est proche de celui de Chaplin, son visage, comme celui du Docteur Caligari est très blanc et les cheveux très noirs. C'est un personnage ambigu dont on ne connaît pas les désirs, mais qui semble torturé , tout le long du film, par cette faute originelle, ce péché de la chair qu'il a commis, donnant naissance à un bébé reptile monstrueux. Henry semble travaillé par sa culpabilité vis à vis de son enfant, partagé entre son dégoût pour la créature criarde et son sentiment d'humanité, de paternité qui lui chuchote de prendre soin de son bébé, et par la culpabilité vis à vis de celle qui est la mère de son enfant, qui a fui le foyer mais qui n'est pas l'objet de ses fantasmes, occupés par la mystérieuse voisine. De même, The Rocky Horror Picture Show, qui est une parodie des films adaptés du roman de Mary Shelley « Frankenstein ou le Prométhée moderne», au moins pour les deux premières versions de James Whale en 1931, « Frankenstein » et « la Fiancée de Frankenstein ». Frank N Furter est un personnage complexe qui doit sa richesse et son intensité à son esthétique, elle aussi inspirée des avatars de l'expressionnisme allemand, avec son maquillage épais et son jeu très porté dans l’excès. Quant aux personnages secondaires du film, inutile de dire qu'ils s'apparentent tous de près ou de loin au Docteur Mabuse, à Nosferatu ou à Frankenstein. Le personnage de Riff Raff est d'ailleurs directement inspiré par Nosferatu, de Murnau, avec sa figure blême et triste et ses cheveux longs filasses jaunes. Magenta, la servante, est aussi un avatar moderne du personnage de la fiancée de Frankenstein. Les Midnight Movies sont donc nés sur les bases esthétiques de l’expressionnisme allemand, puisqu’ils en ont non seulement repris les thèmes, mais aussi l’esthétique, qui dessert la dimension fantastique des films. b. Le surréalisme au cinéma 3 Ein Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang , 193 14 DURAND Camille_2010
  • 15. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies « L'un des points de départs du surréalisme est l'observation selon laquelle tout ce qui jaillit de l'esprit, même dénué de forme logique, révèle inévitablement la singularité de cet esprit »4. A travers cette citation célèbre, l’on saisit l’importance prise par l’imaginaire individuel sur la raison collective et la victoire de l’irrationnel sur le plausible, ce qui permet mieux de comprendre pourquoi un surréaliste comme Breton s’est essayé à l’écriture automatique et à un style très peu soucieux du cadre spatio-temporel, à l’opposé du roman réaliste, à l’oeuvre dans Nadja. La source d'inspiration première des Midnight Movies, qui est la plus fréquemment citée, reste celle des films surréalistes français, mouvement situé généralement dans l'entre-deux guerres qui a inspiré de nombreux cinéastes comme Jodorowsky et Lynch. Aragon définit le concept de cette façon : « Le vice appelé surréalisme: emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image ». Ce mouvement, qui refusait pourtant de se revendiquer comme tel, déploie dans ses films une logique onirique de métaphores, d'associations libres de figures mythiques et de rêves, souvenirs parfois, enchaînés, comme dans Un chien andalou, dont l'histoire est le fruit d'une conversation entre Bunuel et Dali portant sur leurs rêves respectifs. Les figures maîtresses sont Cocteau (Le sang d'un poète de Cocteau, sorti en 1930, la belle et la bête, de 1946, mais surtout Orphée, de 1950.) Bunuel et Dali, dans des films comme Un chien Andalou, 1929, l'Age d'Or qui, en 1930 dont la projection fait scandale à l’époque. Au tout début d’Un chien Andalou, une femme se fait trancher l'oeil à l'aide d'une lame de rasoir, scène très choquante, même aujourd'hui où nos moeurs sont plus habitués à la violence visuelle. Les allusions à la masturbation dans l'Age d'Or sont claires, d'autant que le film s'attaque aux institutions qui sont le fondement de la société: la famille, la patrie et la religion. Le film crée le scandale à Paris, donnant lieu à des évanouissements, avortements et dénonciations au commissariat, et ensuite à un véritable lynchage de la part de ligues d'extrême droite qui saccagent le cinéma où avait lieu la projection. Par la suite, elles se dérouleront sous contrôle de la police, avant d'être complètement interdites. La censure du film ne prend fin qu'en 1981, cinquante ans plus tard. Ces films illustrent tous d'une certaine façon le célèbre aphorisme de Breton « la beauté sera convulsive », et incarnent un véritable rejet de la tradition française du réalisme poétique, incarnée par Renoir, Carné ou Clair, très focalisée sur les dialogues et les personnages populaires. Ainsi, Un chien Andalou est un film muet sans personnages, et il n'y a pour ainsi dire pas d'intrigue. Maya Deren est celle qui a officiellement importé aux Etats Unis le surréalisme et l’avant-garde au cinéma. Son film le plus connu, « Meshes of the afternoon », est un film muet qui instaure une poésie basée sur des images suggestives et remplies de mystère : une femme rêve et poursuit dans son songe une femme toute voilée de noir, sans visage, qui promène une fleur. Puis son mari apparaît, mais le rêve ne s’achève que lorsqu’il rentre dans la maison et la découvre morte recouverte d’éclats de miroirs. Le court métrage multiplie les gros plans , une caméra nichée dans des angles anormaux, des effets de disparitions créés au montage qui réussissent à recréer l’ambiance du rêve : une atmosphère instable pour une réalité fuyante et la puissance surréelle des objets, symboles oniriques. 4 Goudal Jean, surréalisme et cinéma, 1925 DURAND Camille_2010 15
  • 16. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? Eraserhead est basé sur cette logique du rêve, qui est en fait un principe qui va guider Lynch tout au long de sa filmographie, de ses courts métrages également: le réel est toujours contaminé par le rêve, et sa logique irrationnelle. Les scènes dites réalistes sont en vérité de véritables pastiches des impératifs de clarté et de réalisme hollywoodiens, comme dans Mulholland Drive, son film le plus populaire, où la première partie du film, centrée sur l'arrivée du personnage de Naomi Watts à Hollywood est à interpréter au second degré, tandis que le rêve des jeunes femmes prend la conduite de la narration. Le rêve, l'aspect illogique sont le moteur même de l'intrigue dans Lost Highway . Ainsi, le surréalisme et sa volonté de rompre avec les codes du cinéma réalistes, de se focaliser sur les mouvements de l’imaginaire, du rêve, d’utiliser la logique de l’association et de la métaphore libres plutôt que le rythme canonique de la narration est un état d’esprit qui a eu un impact sur l’idéologie des Midnight Movies, autant sur les films que sur la manière de les regarder. 2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies A mains égards, l'on peut considérer Freaks comme l'ancêtre, le parent de tous les midnight movies réalisés pendant les seventies. Son statut est assez complexe, pourtant, car il a fait partie des films diffusés à minuit dans les années 1970, alors même que c'est un film réalisé en 1931. Tod Browning, son réalisateur, a été victime d'une censure impitoyable, puisque sa diffusion a été interdite au Royaume Uni jusqu'au années 1950. Tourné dans un cirque à l'aide d'acteurs non professionnels qui jouent leur propre rôle, il va au plus près de la monstruosité, ce qui en fait un film très novateur pour l'époque. Elephant Man, le célèbre film de David Lynch, est un hommage à Freaks, tout en retournant le thème de la monstruosité, car le film est moins provocateur, et surtout beaucoup plus moral. Avant sa sortie définitive, Freaks sera corrigé, car les tests effectués sur les spectateurs sont catastrophiques, ces derniers partent avant la fin, et l'on raconte même qu'une femme a menacé d'attaquer la production MGM en justice car le film avait déclenché sa fausse couche. Ces premiers incidents passés et le public désertant les salles, on décide de couper au montage les scènes les plus choquantes, notamment celles de la castration de Hercule et de l'attaque de Cleopatra par les monstres, suggérant son viol, suivie de sa mutation en poulet. Un nouvel épilogue est tourné, plus gai que l'autre. Mais ces modifications n'augmentent guère les entrées en salle, si bien que même à Los Angeles, le film ne reste à l'affiche que deux semaines. Comment expliquer qu'un film connaissant un tel échec commercial soit considéré culte dans les années 1960, regardé comme une sorte de matrice des Midnight Movies ? Freaks est un film très violent, une sorte de pamphlet sur les valeurs maîtresses à Hollywood: le culte de la beauté alliée à la vertu (cela correspond au célèbre concept grec, kalos kagathos, allier le beau et le bon). L'intrigue se noue autour de l'opposition entre deux camps au sein du cirque: les normaux, en minorité, composés d'Hercule et Cleopatra, et les monstres, les Freaks. Ces groupes entrent en collision lorsque Cleopatra décide de séduire le lilliputien Hans afin de réaliser un plan machiavélique avec Hercule, son amant: lui dérober sa fortune. Celui ci se sépare de sa promise, Frieda, une autre freaks, séduit par la beauté de la trapéziste Cleopatra qu'il décide finalement d'épouser. Néanmoins, celle ci, dégoûtée par tous les monstres qui l'entourent durant le repas du mariage, finit par céder à son horreur, et les insulte tous. Cette scène constitue le climax de l'intrigue, l'acmé, c'est à dire le point où la tension dramatique se fait la plus forte: tous attablés autour du mariage de Cleopatra et de Hans, les Freaks entonnent une chanson, un hymne triomphal (We accept 16 DURAND Camille_2010
  • 17. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies her, we accept her, one of us, one of us, Nous l'acceptons, elle est des nôtres), qui sous l'effet de l'alcool, rompt de calme de Cleo, incapable de se contenir davantage. Celle ci se lève et se retourne contre eux, les congédiant et dévoilant par là même son mépris pour eux. A ce moment du film, l'équilibre des forces se retourne, et la vengeance des Freaks commence, telle une révolution. Freaks est un film d'une étrange contemporanéité, doté d'une résonance politique indéniable. Le film est basé sur le motif de l'inversion entre la monstruosité physique des freaks qui est plus humaine que la monstruosité morale de deux êtres hypocrites comme Hercule et Cleo. Ce retournement vient dénoncer les valeurs à la base de l'institution hollywoodienne comme le culte de la beauté et du glamour, par une mise en avant de la difformité physique. Le message est clair: la machine à rêves d'Hollywood n'est qu'une vaste mascarade. Dans un pays encore très conservateur, dans les années 1930, certaines organisations puritaines, comme la National Association of Women appellent à boycotter le film qui, selon eux, véhicule des clichés dégradants. En Grande Bretagne, le film est tout simplement interdit pour trente ans. Au moment où la crise de 1929 touche les Américains et les contraint à revenir à un niveau de vie archaïque, et pour les plus touchés à faire la queue pour les soupes populaires, l'intrigue suggère aux spectateurs de ne pas s'identifier aux stars d’Hollywood mais aux « petites gens », à des êtres qui, dans l'ombre, font preuve de plus d'humanité que les autres. C'est une morale très singulière et novatrice pour l'époque. Après sa sortie des affiches, le film est utilisé à des fins scientifiques, intégré dans des publicités pour des remèdes scientifiques. La MGM va jusqu'à re-baptiser le film « Nature's mistakes », un titre qui va à contresens de l'argumentation du film, occultant ce qu'il promeut vraiment: l'égalité fondamentale entre tous les hommes. La réédition du film, après la seconde guerre mondiale, sonne le début de sa re légitimation fulgurante: le film est diffusé dans de prestigieux festivals comme Venise ou Cannes, reconnu par la critique et le cinéma underground comme une inépuisable source d'inspiration du cinéma fantastique. A partir des années 1960, il est diffusé régulièrement dans les cinémas new-yorkais, et c’est parmi les cercles intellectuels, une référence indiscutable, un film culte qu'il faut avoir vu. Ce film va aussi être une référence commune pour Jodorowsky et Lynch, dans El Topo, qui présente dans son casting de nombreux êtres difformes, et Eraserhead , qui transpose la monstruosité dans la cellule familiale. Au delà de nos Midnight Movies, le film innerve la veine fantastique chez des réalisateurs comme David Cronenberg ou Tim Burton. Mais la réussite de Tod Browning tient dans son refus de recourir à la science-fiction, puisqu'il utilise de vraies personnes handicapées, et s'inscrit dans leur milieu, le cirque. On raconte d'ailleurs que le tournage a été parfois douloureux pour certains, qui ne supportaient pas de dîner à table avec des êtres difformes. C'est tout le réalisme de Freaks qui fait horreur et qui l’a consacré comme culte, et c’est pour ces raisons qu’il a été diffusé, redécouvert dans les années 1960. Sa dimension subversive vaut par son extrême réalisme. Les films de minuit ont tous plus tard exploité le choc, le sens implicite de ce film très dissident pour l’époque . DURAND Camille_2010 17
  • 18. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un fourmillement créatif 1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes cinématographiques La société Américaine des années 1960 connaît, comme nous le savons, des bouleversements sociaux importants, dont les films des années 1970 sont le reflet. Parmi ces mutations, la commercialisation de la pilule contraceptive en 1960, emblème de l'éveil d'une sexualité libérée de tout impératif moral, le climat de contestation parmi les étudiants qui naît d'un rassemblement autour de l'opposition à la guerre du Vietnam, symbole du l'impérialisme américain qui est décrié, relayé par le mouvement Hippie, les émeutes de Watts, et la lutte contre la ségrégation entreprise par Martin Luther King. Les premiers pas sur la Lune, l'avènement d'une culture rock qui incite à la circulation de drogues : tous ces enjeux culturels, sociaux sont en quelque sorte digérés par des films emblématiques qui deviennent le miroir des évolutions en cours. Psychose, de Hitchcock, sorti en 1960, provoque des réactions houleuses, en partie à cause d'une scène, devenue mythique, qui défit la morale puritaine de l'époque, dans un pays dont la production cinématographique reste sous contrôle du code Hays. Cette scène conjuguait à l'époque deux éléments très subversifs: une violence visuelle au premier plan: Janet Leigh, filmée en plan rapproché, meurt poignardée sous les multiples coups de couteau de son agresseur, qui est à la place du spectateur, en caméra subjective. De surcroît, Janet Leigh est nue, sous la douche : l’alliance entre sexualité suggérée et violence est rarement portée à l'écran, condamnée par le code Hays. Ce code de censure régissait la production des films, et fut adopté en 1934 par William Hays5, un sénateur, et le texte rédigé par deux ecclésiastiques comprenant un prêtre Jésuite, Daniel Lord et un éditeur catholique Martin Quigley. Imposé à Hollywood suite à des scandales d'acteurs filmés en état d'ébriété, il a pour ambition de diffuser une rigueur morale dans le paysage hollywoodien: ainsi, dans les scénarios, la représentation du crime, de la sexualité de la patrie et de la religion font l'objet d'une attention particulière. Les réalisateurs sont tenus de ne pas tourner en dérision la loi et le drapeau américain, de maintenir une certaine décence (le blasphème, l'obscénité et la nudité sont interdits) et de promouvoir les institutions sociales traditionnelles comme le mariage et la famille. Le crime ne doit jamais être représenté d'une façon élogieuse, tout comme le péché de manière générale (« the sympathy of the audience should never be thrown to the side of crime, wrongdoing, evil or sin »6). De 1934 à 1954, le très conservateur Joseph Breen, alors président de l' administration du code de production, fait régner l'austérité, avant que son successeur ne relâche quelque peu sa surveillance, jusqu'à la suppression totale du code Hays en 1966. Le moment va être propice à la création, à l'exploration de tabous à l'écran, d'autant plus que la fameuse règle du happy ending disparaît elle aussi en 1970. 5 Horwath, King , Elsaesser, Last great american picture show: New Hollywood cinema in the 1970s, p. 67. 6 The Motion Picture Code of 1930, www.artsreformation.com 18 DURAND Camille_2010
  • 19. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies Le Lauréat (the Graduate), sorti en 1967, de Mike Nichols illustre bien la libération des tabous à l'écran. Il montre une histoire d'amour entre un jeune homme et une femme mûre, et la rivalité entre une femme et sa propre fille, toutes les deux éprises de ce même jeune homme. Ce motif quasi incestueux est très provocateur et illustre en outre deux petites révolutions: celle du sexe en dehors du mariage et celle du démantèlement de la famille, unité qui se désintègre complètement dans le film. Robin Wood établit un lien entre ce phénomène de crise de l'unité familiale et le genre fantastique. Selon lui, c'est à partir du film Psychose en 1960 que le genre fantastique familial se développe, genre dans lequel s'inscrivent Eraserhead et La nuit des morts vivants, de George Romero. Eraserhead aborde le tabou de la monstruosité qui se développe au sein d'un couple, dont la femme met au monde un bébé reptile repoussant. Nous traiterons cependant du genre fantastique dans la seconde partie. Les films des années 1960 et 70 vont puiser dans la richesse des évolutions sociales pour nourrir de nouvelles problématiques cinématographiques. Les genres du fantastique et de l'horreur sont en pleine expansion, influencés par un contexte économique et politique singulier. Parmi des événements significatifs on trouve la récession, qui est la conséquence des deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, portant la peur et l'angoisse économique à leur apogée, d'autre part la reconnaissance de la maladie du Sida, qui explose durant cette décennie, et enfin le scandale de Watergate qui éclate au grand jour en 1974, instaurant une nouvelle forme de méfiance envers les arcanes du pouvoir et le sentiment d'insécurité. La violence, la crainte de l'autorité corrompue deviennent des thèmes centraux, et la provocation est au menu des avant-gardes au cinéma. Andy Warhol et sa factory, Stan Brakhage et Jonas Mekas trouvent à New York un terrain fertile pour la production de films expérimentaux, films qui passaient dans certains cinémas underground, et qui ouvrent la voie aux Midnight Movies. Eraserhead est particulièrement influencé par les expériences cinématographiques menées par les avant-gardes des sixties, par des réalisateurs comme Brakhage qui utilisent les techniques de superposition dans l’image, comme dans la séquence d’ouverture ou le visage d’ Henry Spencer, à l’horizontal, apparaît superposé à ce qui ressemble à une planète, placée juste à l’endroit de son cerveau. Ce qui réunit cette « nouvelle vague »de réalisateurs expérimentaux, c'est la volonté d'instituer un contre cinéma qui bouleverse les habitudes bourgeoises des spectateurs, leur style de vie citadin: ils sont influencés par le surréalisme et le situationnisme dont l'avatar le plus connu est Guy Debord. La ville est pour eux le lieu du merveilleux, de la licence et de la poésie. New York est alors le berceau d'une jeunesse qui se délecte de films provocateurs, comme le célèbre Chelsea Girls de Andy Warhol, tourné dans un hôtel new-yorkais situé dans le quartier de Chelsea. Le film montre, pendant trois heures, un écran séparé en deux, filmant des moments de vie, discussions de jeunes hommes et femmes de l'hôtel ou de la factory, jouant pour la plupart leur propre rôle. L'expérimentation touche autant à la forme, car le dédoublement est une technique nouvelle, que la narration, qui est décousue et très minimaliste. Un autre film symbolique d' Andy Warhol, représentant l'avant garde new yorkaise par excellence est Blow Job, qui, comme son nom l'indique représente en noir et blanc, durant trente-cinq minutes un homme recevant une fellation. Tourné en 16 images par seconde, c'est à dire à une vitesse un tiers plus lente que la norme, on ne verra dans ce DURAND Camille_2010 19
  • 20. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? court métrage muet que l'expression de l'homme, sans jamais apercevoir celui ou celle qui lui fait. C'est donc une réflexion sur le voyeurisme au cinéma, car l'objectif, immobile, frustre le spectateur, toujours désireux d'embrasser par la vue la totalité d'une scène afin de la dominer et d'en comprendre l'économie. L'immobilité de l'objectif est accentuée par la tension toujours grimpante de la montée vers l'orgasme, qui fait que le spectateur, n'ayant rien d'autre à observer dans le plan, attend lui aussi la délivrance de l'acteur, sentiment embarrassant pour le spectateur. Dans des quartiers comme East village, Greenwich village, le Warehouse district à Chicago, le South of market era à San Francisco, Chelsea, à l'ouest de Manhattan7, le fameux 'funky chelsea neighborhood8, où les restaurants sont bon marché, où l'on trouve des boutiques de nourriture diététique, bar à ambiance, où les artistes ne peinent pas à trouver des studios bon marché ; s'épanouit la production de films expérimentaux, car les studios y sont souvent très peu onéreux. Certains lieux deviennent des repères de la culture underground, comme le Mini Cinema à Unionsdale, à Long Island qui a initié les séances de minuit en 1971, ou comme Le Elgin. Il est donc capital de saisir les Midnight Movies dans l’univers topographique, sociologique et culturel qui a préparé leur émergence. Car ce phénomène était unique aux quartiers alternatifs des grandes métropoles américaines, et il me serait impossible de le relativiser dans l’espace. 2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin comme haut lieu d’épanouissement d’une culture underground Le cinéma Elgin, sur lequel se focalise le documentaire de Stuart Samuels, illustre à lui seul cette ambiance typique des « revival movie houses », des sortes de cinémathèques diffusant d'anciens classiques hollywoodiens, ou des films d'avant garde européens, endroits qui ont souvent été les lieux de tournage des films de Woody Allen, comme dans Manhattan et Annie Hall. Au sein de ces lieux, le Elgin était un des cinémas les plus connus dans les années 1970. Au départ , dans les années 1950, le Elgin était un cinéma espagnol, détenu par une compagnie mexicaine « Azteca films », diffusant des films en version originale espagnole car le quartier, à l'époque était habité en majorité par des Espagnols. Le Elgin prit ensuite sa forme la plus connue à la fin des années 60, lorsque Ben Barenholtz rachète l'établissement, et opère la transition en diffusant un film symbolique, Chelsea Girls dont nous parlions plus haut, faisant du lieu un des bastions de la culture underground de New York. Sa devanture un peu délabrée, son côté alternatif et la diversité culturelle de ses usagers en faisaient un lieu hippie qui correspondait à l'état d'esprit du quartier qui, dans le passé, était un endroit de mixité sociale. Avec Chelsea Girls, le Elgin se lance finalement dans les séances de minuit avec El Topo, le premier succès de ce qui deviendra au fil des années une tradition attirant des spectateurs venus de toute la ville, tous avides de l’ambiance qui y règne. Le gérant du 7 Hawkins Joan “ Midnight sex horror movie and the downtown avant-garde”in Jancovitch Marc, defining cult movies: the cultural politics of oppostitional taste, , 8 Hoberman et Rosenbaum , Midnight Movies, p 193 20 DURAND Camille_2010
  • 21. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies Elgin en témoigne lui même: « We had an underground opening...and it was like the entire 60s was invited to be there »9, c'est toute une culture urbaine qui se rejoignait au Elgin. L'article du New York Times interroge un des responsables de la distribution de ces films qui parle cependant d'une audience très jeune et désoeuvrée qui n'a rien à faire de mieux que de traîner en ville le soir et d'aller voir des films à minuit. Selon lui, les jeunes de 18 à 25 ans forment le public privilégié de ces films, qui en soi n'ont rien d'original, mais que leur diffusion à minuit rend spéciaux, attirants et mystérieux pour les jeunes citadins en recherche de l'esprit de leur génération, de la culture des sixties. Le cinéma Elgin était donc un lieu alternatif, et bien intégré dans son quartier, considéré depuis déjà de longues années comme un lieu dédié au cinéma et favorable au mixage des cultures. Il n’est pas anodin de savoir l’histoire d’un lieu qui a été le théâtre d’un tel phénomène, car l’espace urbain est rempli de connotations que la mémoire collective entretient comme des légendes, de bouche à oreille, le média même qui a servi les Midnight Movies. Dans ce quartier à l’identité forte, la reconnaissance du lieu et de son emploi a encouragé une intimité, une connivence entre les commerçants et résidents qui procuraient au cinéma son côté familial et réconfortant. C’est dans cette inimité que naissent les cultes. Nous avons donc vu, à travers cette première partie, que les Midnight Movies sont le produit d’une effervescence culturelle qui se retrouve à la fois dans les avant-gardes cinématographiques, le climat socio-politique, le phénomène de baby boomers et le développement d’interstices alternatifs au sein des grandes métropoles américaines. 9 Ben Davis, Children of the sixties : an interview with the owners of the Elgin, , voir annexe DURAND Camille_2010 21
  • 22. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? Partie 2 : Que sont les midnight movies « Le réalisme n'est pas en soi une forme d'art10 » “ A midnight movie has to be a personal vision, it has to be a total critique of society and it has to be discovered by the audience11” Qu’est ce qui fait d’un film un film de minuit? Comment le définir et peut-on même le définir ? C’est la question que pose le journaliste du New York Times du 7 septembre 1975, dans son article intitulé « So what do you do at midnight ? You see a trashy movie », à Jim Dudelson, de New Line Cinema, la compagnie de distribution de Pink Flamingos. Celui-ci, troublé, lui répond « You can’t really put your finger right on it”, (tu ne peux pas vraiment mettre le doigt dessus). Là est toute la problématique des Midnight Movies qui, bien qu’unis dans la même catégorie par cette expression, reflètent des diversités stylistiques, thématiques indéniables. Nous tenterons dans cette partie de capter, en confrontant à la fois ce qui relève de la forme et ce qui appartient au fond de ces films, ce qui les réunit et scelle leur appartenance au même groupe, justifie leur projection à minuit. A. Une tentative de définition par le genre. Les Midnight Movies appartiennent ils au même genre ? Un genre au cinéma est ce qui permet de catégoriser les films entre eux selon leur caractères propres : l’esthétique des images, l’intrigue, le recours ou non aux effets spéciaux, au surnaturel, les thèmes abordés et bien d’autres paramètres rentrent en compte pour déterminer un genre. Selon Stuart Samuels, une des caractéristiques communes des Midnight Movies est qu’ils proposent tous une vision très personnelle. Comment comprendre cette expression vague ? 1/ Le genre expérimental Ces films sont souvent jugés excentriques, illustrant une déviance thématique ou esthétique, donc classés comme expérimentaux et avant-gardistes, car ils utilisent des techniques narratives et matérielles nouvelles visant à faire parler la forme même de l’oeuvre. On cite souvent parmi leurs sources d’inspiration, leurs précurseurs, Andy Warhol ou Maya Deren. La terme avant-garde a été importé de l’armée, où il désigne la première ligne de combattants, celle qui affronte en premier l’inconnu. Dans le domaine artistique, on distingue 10 Carl Theodor Dreyer, Réflexions sur mon métier, cahiers, 1983, p 97. 11 Stuart Samuels in « a new time for midnight movies », International Herald Tribune,22.06.05, Lewis Beale. 22 DURAND Camille_2010
  • 23. Partie 2 : Que sont les midnight movies selon Paul Young12 le film expérimental de la production commerciale grand public par sa dimension esthétique, idéologique et/ou politique, sa capacité à contester la tendance à la stabilité, au réalisme et à la clarté qui est à l’oeuvre dans les films et surtout à « contester les limites du symbolique ». Ainsi Le Grice13 délimite huit caractéristiques permettant, dans un film, d’explorer les différentes possibilités du cinéma, et donc d’entrer dans le genre expérimental : le travail sur le dispositif de la caméra, l’invention de nouvelles formes narratives, la création de nouvelles formes d’organisation du discours, la diffusion d’images occultées par la société, l’engagement politique, la capacité à articuler le cinéma avec d’autres arts comme la philosophie ou la peinture, et le fait d’établir, créer par le cinéma un autre monde, une altérité qui répond à ses propres codes. Les Midnight Movies illustrent-ils la prise en compte, le travail d’une ou plusieurs de DURAND Camille_2010 23 ces perspectives ? El Topo joue avec les codes du cinéma et a une vision très poétique du scénario, car l’intrigue n’est qu’un prétexte aux images, qui se succèdent les unes aux autres, non selon une logique narrative, mais plutôt au gré des métaphores et du visuel, comme dans la tradition surréaliste de Dali, Bunuel qui ont révolutionné le genre expérimental. Il s’agit pour lui de briser l’idée de rationalité qui conduit l’intrigue en mettant en place une forme mythique, poétique de dramaturgie. Le début du film nous introduit bien à la décadence narrative du film, car il frise l’absurde. Après avoir tué, de la main de son fils, le dernier survivant d’un massacre de sanguinaires dans une ville, el Topo arrive dans une contrée désertique où trois bandits vivent. Ces derniers passent leur temps à deux activités très loufoques compte tenu du contexte : manger des bananes et caresser avidement des chaussures à haut talons, qu’ils collectionnent. Cette caractéristique est complètement invraisemblable : le spectateur s’attend, au lieu de trois fétichistes, à trouver en de tels bandits des hommes aux moeurs dures et viriles. Dépourvu de sens, d’ancrage spatio-temporel, cet incipit fait la belle part au gratuit et à l’absurde. La violence visuelle est très présente dans le film, vraiment gore, et surtout non légitime : il n’y a pas de morale dans le film, et on nous montre le pire sans aucune explication, sans aucune excuse. Le personnage principal ne semble d’ailleurs pas affecté par ce qu’il voit, et demande à son fils d’achever le massacre, et ce alors même qu’un survivant fait appel à sa pitié. C’est un anti-héros : il abandonne son fils, qu’il a initié et éduqué à la violence, pour poursuivre son chemin avec une femme. Le film est dans le sillage du surréalisme et de Maya Deren, une des précurseurs aux Etats-Unis du surréalisme au cinéma. Eraserhead constitue un des- sinon le- films les plus expérimentaux de Lynch, c’est pourquoi je m’attarderai plus sur cet exemple. Le modèle de narrativité est complètement déviant, car il est sans cesse contaminé par le rêve, qui est la seule porte de sortie d’un environnement hostile où le végétal est absent, où la couleur, la vie, l’animation paraissent à jamais perdus. Les errances de Henry dans son quartier sont marquées par la solitude la plus totale, le passage de longs tunnels dans l’ombre. Lynch dira dans son interview avec Chris Rodley qu’il a voulu recréer le Philadelphie de son enfance, sa banlieue et ses usines, ses fumées industrielles et parvient ainsi à créer un univers totalement autre, presque futuriste, où le soleil ne brille jamais, où le vent siffle 12 Le cinéma expérimental, Paul Young, Taschen 13 Cinémas d’avant-garde, Nicole Brenez
  • 24. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? en continu tel un murmure de fin du monde. La scène du songe dans le radiateur montre comment la logique du rêve, de l’irrationnel conduit le récit, et occulte les principales normes narratives d’un film. La définition des personnages est floue, dès le départ, on ne saura jamais qui est Henry Spencer et ce qu’il éprouve pour Mary , la mère de leur enfant qui le quitte peu après le début de leur vie commune. De leur histoire commune, rien n’est dit, si bien que le spectateur est aussi surpris que l’est Henry d’apprendre que Mary a mis au monde un bébé. On devine qu’il éprouve une forte attirance pour sa mystérieuse voisine,avec qui il a eu une relation sexuelle, mais celle-ci reste dans l’ombre, comme c’est le cas des autres personnages du film, qui sont des ombres fuyantes, des fantômes dans cette cité industrielle désaffectée. Puisque Henry essaie de se réfugier dans le rêve, dans le songe du radiateur, qui est une sorte d’Eden où Henry est apaisé par la présence d’une femme aux joues démesurément grosses, qui chante en souriant « In heaven, everything is fine.. », tout le reste, le morne quotidien reste de l’ordre de l’implicite. Le spectateur est invité à faire ses propres suppositions, à se servir de son imagination pour comprendre ce qui se passe entre la voisine et Henry, lorsque le bain lacté, qui est la transformation fantasmatique des draps du lit de Henry les happe sous la surface : le liquide laiteux dans lequel le couple s’enfonce suggère l’acte sexuel. Lynch rompt totalement avec le modèle traditionnel de narration. Dès le prologue, où nous est montrée une planète qui est la métaphore du cerveau, le film est placé sous le signe de l’imagination et du rêve. Plus que les personnages, les dialogues et l’action, ce sont les matières et les sons qui permettent de mieux comprendre ce qui est en jeu dans Eraserhead. Le film bouleverse complètement nos habitudes perceptives. Après la sortie du film, une rumeur circulait sur la bande son du film, qui affecterait le subconscient du spectateur par un bourdonnement de très basse fréquence, presque inaudible, donnant la nausée14. Le son donne, il faut bien le reconnaître, un sentiment de malaise continu, car il n’est composé que de rumeurs d’usines, sifflements de trains, murmures de machines, sortes de leitmotiv sonores qui contribuent à faire ressentir le silence du film, très avare en dialogue, et faire par le même coup ressortir les cris assourdis du bébé montres. Par exemple, lorsque Henry rentre dans son hôtel, le son n’est composé que du bruit de fonctionnement de l’ascenseur et de ses portes s’ouvrant et se refermant, alors qu’en arrivant près de sa porte se fait entendre une musique de jazz, suggérant l’univers subversif de sa sulfureuse voisine. Le son est comparable à une voix off, expliquant au spectateur ce qu’il ne peut deviner par les dialogues, et par sa richesse, le son comble le vide des images. Le son qui représente le bébé monstre est un son d’eau qui boue : c’est un son ronronnant, qui fait sentir au spectateur la présence du bébé, car il imite en quelque sorte sa gêne respiratoire. Eric Dufour15 donne une fonction sensitive au son, qui selon lui donne une image de la matière des choses, et, dans cette scène, du bébé : « A l’image du bébé couvert de pustules et secoué par des spasmes correspond le bruit de l’eau qui boue, le halètement et le bruit du vent. » Ainsi, l’expérimentation par le son dans Eraserhead est vouée à suppléer au langage du champ visuel, qui est évasif et incomplet. Eric Dufour explique ainsi : « à la raréfaction de l’image s’oppose la saturation du son qui grouille d’un monde qu’on ne voit pas et dont il ne se contente pas d’indiquer la présence 14 Zizek Slavoj, Lacrimae rerum p 89 15 Eric Dufour, David Lynch : matière, temps et image, p 27 24 DURAND Camille_2010
  • 25. Partie 2 : Que sont les midnight movies puisqu’il la représente au ses littéral du mot. Le vide des zones visuelles traversées par Henry s’oppose à la plénitude des zones sonores (…) ». Le monde que crée David Lynch de toute pièce travaille également la matière, dans un monde industriel composé de trous, de tas de terres, de flaques et de boue sans trace de verdure, qui est un entre deux. Durant la scène du repas chez les parents de Mary, au moment où Henry tente de découper le poulet, un liquide sombre s’échappe du postérieur , suggérant , comme un présage le fluide vaginal monstrueux qui symbolise la naissance du monstre. Il trace par là un pont entre son cinéma et l’art plastique. Mais que penser de Pink Flamingos ou du Rocky Horror Picture show, si l’on considère les exigences du cinéma expérimental ? Ces films sont loin d’illustrer une recherche esthétique, iconique typique au genre expérimental, même s’ils diffusent des images d’une société qui sont traditionnellement occultées. The Rocky Horror Picture Show expose le tabou de la transsexualité, et celui de l’adultère, dans une moindre mesure : Frank N Furter parvient à séduire Janet autant que Brad, dans deux scènes parallèles avant que Rocky soit découvert par toute l’assistance avec Janet, nus, après consommation de l’acte sexuel. Mais on ne peut pas pour autant parler d’expérimentation visuelle ou dramaturgique, car rien ne sort des canons de la parodie, qui par définition recycle des situations, des clichés, un cadre d’une oeuvre pour la tourner en dérision. Naturellement, on pourrait considérer la parodie en elle-même comme une forme d’expérimentation, en tant qu’elle pervertit un genre établi, mais sur le plan formel, le film ne présente aucune trace de recherche cinématographique. Mais Pink Flamingos va bien plus loin dans son traitement du tabou, car il le pousse jusqu’à la perversion, et met des images sur des travers sexuels encore jamais portés à l’écran : la coprophagie, la zoophilie, l’inceste et l’exhibitionnisme. Raymond Marble s’amuse à exhiber son sexe devant les jeunes filles qu’il rencontre, tandis que le fils de Divine invite une poule et la tue lors d’un rapport sexuel avec une femme espionne, qui se trouve couverte du sang de la bête. Ces deux scènes sont encore, quarante ans après , très choquantes pour le spectateur. Pink Flamingos est une comédie sur le mauvais goût, que John Waters érige en principe originel du divertissement « To me bad taste is what entertainment is all about »16, et l’explique dan son essai Shock value, publié en 1981 : « if someone vomits watching one of my films, it’s like getting a standing ovation ». Plus qu’une recherche d’un nouveau langage esthétique au cinéma, le film se singularise par son extrême provocation. Pourtant, à sa sortie, le film est très remarqué par les avant-gardes et les critiques de cinéma. Le New Yorker va jusqu’à le comparer à Un Chien Andalou, tandis qu’ Andy Warhol l’a personnellement recommandé à Fellini, ce qui peut surprendre un peu. Pink Flamingos n’est pas un chef d’oeuvre ayant des qualités esthétiques intrinsèques, ne révolutionne pas le style de narration. Le film est au contraire, comme l’Urinoir de Duchamp, une insulte à l’art bourgeois classique , une provocation , comme une blague qui secoue les grilles d’interprétation filmique des spectateurs . Montrer aux spectateurs un acteur ingérer les excréments d’un chien, c’est un moyen de faire ce qu’on appellerait aujourd’hui du « buzz médiatique », et donc d’avoir un impact sur les consciences individuelles. Il est donc difficile, après avoir examiné notre corpus de rassembler les Midnight Movies dans le genre expérimental, car si les images de Eraserhead et El Topo dénotent une préoccupation formelle, une recherche plastique indéniables, les autres films ne sont pas dans le même cas et arborent une esthétique plus canonique. 16 Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum p 327 DURAND Camille_2010 25
  • 26. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? 2/ Le genre fantastique Pour essayer de comprendre ce qui fait la cohérence des Midnight Movies, nous posons maintenant l’hypothèse du genre fantastique qui, selon rené Prédal,17 se définit par l’absence d’opposition, « le constant balancement entre le réel et l’imaginaire ». Robin Wood18, critique de cinéma, rattache le genre fantastique à des problématiques psychanalytiques, car les films fantastiques « reflètent spontanément certaines attitudes symptomatiques du malaise collectif ». Il se représente le film d’horreur (compris en anglais comme genre fantastique, car « horror movie » se traduit comme film fantastique), comme « l’expression dramatisée d’un cauchemar collectif ». Celui si se concrétiserait par la présence récurrente de formes d’altérité par rapport à la norme, se manifestant tantôt sous forme du monstre, comme dans Eraserhead, tantôt sous forme d’êtres provenant d’un monde différent, comme le monde de l’au-delà dans La nuit des morts vivants, la planète « transexual transylvania » pour les proches de Frank N Furter dans The Rocky Horror Picture Show, le monde du désert, irrationnel, dans EL Topo et, dans une moindre mesure, le monde de Divine de Pink Flamingos, situé dans sa caravane. Cette altérité symbolise la non-conformité, le rejet des normes sociopolitiques (le refus de l’ordre dominant, patriarcal et hétérosexuel) et l’affirmation d’une contestation de leur légitimité. Selon Robin Wood, le noyau dur du fantastique dans les films des années 1960 -70 se situerait dans le thème de la famille, un espace privilégié pour le développement de l’altérité, du fameux « unheimlich », cette inquiétante étrangeté qui rompt avec un sentiment de confort quotidien . Ce concept freudien à l’origine est bien illustré dans Eraserhead, puisque l’intrigue se déploie autour d’un monstre né d’un couple, né de la chair d’une femme biologiquement normale. Une scène importante du film éclaire bien le concept de unheimliche. C’est donc la scène du repas, où Henry arrive chez ses beaux parents pour partager le dîner. Cette situation est un topos du cinéma : la présentation du futur gendre aux parents est un archétype, une sorte de déjà vu au cinéma. Pourtant, la scène est inquiétante : dans le foyer sombre, seule une lumière basse nous donne à voir les visages froids et gênés des convives, qui se taisent tous excepté le père et la configuration des places donne le sentiment qu’ Henry passe un interrogatoire, épaulé à sa gauche par le père, qui préside la table, face à la mère et la fille. La scène bascule alors à la fois dans le grotesque et l’étrange, lorsque Henry, sur la demande pressante du père, qui lui fait subir une sorte de mise à l’épreuve par cet acte, commence à découper une des cailles qui sont présentées sur la table. A peine la fourchette plantée, un liquide sombre commence à s’échapper de la caille par son derrière, dont le flot est activé par les mouvements des cuisses arrières. Henry, stupéfait, seul dans le plan, sous une lumière criarde, observe alors la réaction des deux femmes, en contre champ, comme si l’événement avait un rapport avec elles, avec la féminité en général. Sa belle mère, médusée, est soudain transportée, les yeux révulsés, comme prise de convulsions légères , puis graduellement plus marquées, comme si elle était proche de l’orgasme, avant finalement de quitter la table, suivie de peu par sa fille qui semble paralysée par la honte. Juste après, Henry apprendra que Mary était enceinte de lui, et qu’elle a mis au monde un bébé pas très normal (elle prononce cette phrase énigmatique mythique : « They don’t know yet if it is a baby »). Cette scène qui passe des topos au grotesque et à l’angoisse confirme cette importance du motif de la famille dans le cinéma fantastique qui est le théâtre de la monstruosité. 17 René Prédal, Le cinéma Fantastique, 1970, Seghers 18 Robin Wood in Cauchemars Américains: le fantastique et l’horreur dans le cinéma moderne, Franck Lafond p. 25. 26 DURAND Camille_2010
  • 27. Partie 2 : Que sont les midnight movies Robin Wood19 rattache cette caractéristique aux phénomènes sociaux qui fragilisent les traditions patriarcales, comme l’émergence du féminisme. Il explique que le film fantastique est, depuis les années 1960, dominé par cinq motifs, que l’on retrouve dans les Midnight Movies : le monstre comme être humain psychotique ou schizophrène, la vengeance de la nature, la satanisme, l’enfant comme objet terrifiant, dont eraserhead est l’illustration la plus célèbre, et enfin le cannibalisme, qui est à l’oeuvre dans La nuit des morts vivants de George Romero. Néanmoins, en dépit de la présence de ces deux dernières caractéristiques , on se rend compte que les autres ne sont pas représentées , et par conséquent que le genre fantastique ne suffit pas à rendre compte de ce qui fait l’essence des Midnight Movies . 3/ Le mélange des genres Comment classer El Topo dans le genre fantastique ? L’errance du cow-boy est davantage une quête métaphysique, qui fait appel à l’horreur autant qu’à l’humour, sans se soucier de situer son intrigue au sein de la famille, sans même établir de séparation entre le monde normal et l’altérité, qui s’interpénètrent constamment. Il n’y a pas de normalité dans El topo, tout y est métaphorique et illogique. Quant au Rocky Horror Picture Show, même si son intrigue initiale répond aux codes du genre fantastique, par la présence d’un monde parallèle, celui de la planète « transexual transylvania », qui est contenu dans le château, qui en est la métonymie, le motif de la comédie musicale met en exergue le dispositif ironique du film, et désamorce la portée de l’imaginaire et de l’irrationnel du film. L’altérité n’est donc pas physique comme dans Eraserhead mais de nature sexuelle car ce sont des êtres transsexuels, et il n’y a pas de différence fondamentale entre le couple de normaux que forment Janet et Brad et les prétendus extra terrestres de la planète Transylvania. Même la créature crée par Frank, Rocky, n’est pas étrange en tant qu’il est très humain, bien que naïf, et cède à la pulsion hétérosexuelle avec Janet. Dès lors, ne restent de fantastique que le maquillage, les déguisements, le château et leur origine, qui sont davantage les attributs de la comédie musicale que ceux du genre fantastique. Pink Flamingos, tout en décrivant l’altérité fondamentale d’une famille à travers sa perversité, montre combien cette qualité est plus répandue que l’on ne le pense, puisque l’intrigue est basée sur la rivalité entre la perversité de Divine et celle du couple qui capture des jeunes femmes pour les faire féconder par leur majordome et revendre leur bébé aux couples lesbiens. Malgré le dégoût que l’on éprouve devant des scènes comme celle où Divine ingère les excréments d’un chien, le cinéma nous rend toujours sympathiques les héros qu’il met en scène, et Divine, ainsi que sa famille, n’y échappent pas. Les scènes dans la caravane nous inspirent un sentiment de « heimlich », de normalité et de familier, malgré tout le grotesque et la laideur de la mère de Divine, qui passe son temps dans un parc pour bébé à manger des oeufs, elle nous inspire de la sympathie et surtout le sourire. John Waters, à partir d’un film trash et très choquant, parvient à rendre humains des êtres déviants et psychologiquement déficients, par le détour du grotesque et du rire. Là encore, c’est le réalisme qui fait obstacle au fantastique, car la nécessaire altérité sur laquelle repose le dispositif fantastique qui, selon la formule de Todorov, est une hésitation entre l’étrange et le merveilleux, n’est qu’allégorique : elle n’est pas physique mais morale, car ce sont des 19 Robin Wood, le retour du refoulé , danscauchemars américains : fantastique et horreur dans le cinéma moderne, Franck DURAND Camille_2010 27 Lafond p 20
  • 28. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? gens aux moeurs différents. Malgré le maquillage outrancier de Divine, celle-ci n’est pas considérée comme un monstre, malgré sa grosseur. Dans ces deux derniers films (le Rocky Horror et Pink Flamingos), il y a une autre caractéristique, plus évidente, qui vient ajouter à la complexité du genre et ne s’accorde pas tout à fait avec le fantastique: c’est la présence soutenue d’une musique Rock ‘n roll, du style musical né des sixties, qui accompagne l’action des protagonistes et la commente. Dans le Rocky Horror, il s’agit d’une musique qui est dans le champ, car les acteurs chantent et dansent à son rythme, le tout aboutissant à un dispositif théâtral. Le maquillage exagéré, l’arrière plan sexuel, le jeu avec la circulation des genres et des identités sexuelles, l’ambiance festive et encline à la rêverie, toute la philosophie du rock ‘n roll est là. ( « Rocky Horror did make a rich connection between movies and rock ‘n roll- so much that it could remain meaningful for successive generation of American kids »20) Dans Pink Flamingos, la musique est hors champ, elle se fait caution d’un univers comique et grotesque, invitant à prendre au second degré des scènes qui seraient choquantes. Les chansons commentent même les images, guidant le spectateur dans sa recherche de cohérence, comme dans la scène où Divine sort en ville de sa voiture, très apprêtée et, d’un pas coquet, gardant la tête haute se dirige vers le centre , accompagnée d’une musique pop pour adolescents qui dit : « Girls can’t help it if they are born to please » ( les filles ne peuvent rien au fait qu’elles sont nées pour plaire). La musique introduit une distance ironique qui adoucit la violence des images. On voit donc que la définition d‘un genre d’appartenance aux Midnight Movies est sujette à débat car ils sont un mélange, une association de sensibilités et d’éléments très divergents. On pourrait tout simplement postuler que les Midnight Movies sont essentiellement éclectiques, mélangeant et recyclant les genres de façon ludique pour ensuite en dresser la critique : ce sont des films hybrides qui se jouent des conventions propres aux genres. Par exemple, El topo est un mélange entre western spaghetti, film gore, film métaphysique liturgique et film surréaliste. Le dispositif est celui du western, le héros est un cow-boy qui enlève une belle femme, mais l’histoire ressemble davantage à une quête mystique, et le traitement visuel correspond au genre surréaliste, qui a le souci des symboles. Eraserhead concentre en lui le genre fantastique, le film d’horreur et le voyage métaphysique intérieur, le film ayant souvent été rapproché du célèbre film de Kubrick, 2001 : A space oddity, en particulier la scène du songe dans le radiateur, selon Olivier Smolders21 en ce qu « ’elle inscrit le destin de l’homme dans sa dimension cosmique et métaphysique ». Pink Flamingos rassemble autour de lui aussi bien les profanes avides d’un spectacle comique qui repousse les limites du gore que les érudits se gaussant du mauvais goût et de la provocation du spectacle : le film réunit les couches populaires autant que les snobs. Néanmoins, il ne présente pas les caractéristiques du film d’horreur. Selon Hoberman, « Waters sets out to test te limits of hippie tolerance », c’est donc bien un défi pour les spectateurs et non un film crée pour les fasciner. 20 Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum 21 Olivier Smolders, Eraserhead, Yellow Now 2005 28 DURAND Camille_2010
  • 29. Partie 2 : Que sont les midnight movies The Rocky horror n’a pas bénéficié de cette caution des avant-gardes mais réunit des éléments très divergents de la culture moderne22 : il fait appel à un dispositif de film d’horreur, mais par le jeu médiocre des acteurs, l’omniprésence de la musique rock et le décor un peu « carton pâte », invite au rire. Selon Hoberman, le film est un concentré de la culture anglo-américaine d’après guerre : le goût pour les vieux films de montres, la naissance du rock’n roll, Elvis Presley, les Hippies, les drogues et même un soupçon de punk : tous ces éléments en ont fait un film indémodable à l’image du rock n’ roll qui ne l’est jamais devenu. Nous voyons donc bien, après avoir constaté la pluralité des genres auxquels les midnight movies font appel, que le concept stable de genre ne suffit pas entièrement pour décrire et rassembler les midnight movies , car ces films sont chacun des « melting pot » culturels, des creusets réunissant des genres différents . B. Une convergence thématique : La perversion. Il serait alors plus pertinent de saisir la cohérence des Midnight Movies par les sujets qui les traversent. Selon Stuart Samuels, la deuxième caractéristique qui unit ces films est qu’ils constituent tous une critique totale de la société, ce qui signifie qu’ils attaquent tous une critique totale de la société. Le premier outil de critique est l’utilisation d’un héros marginal, un héros de la contre culture, excentrique, qui est vecteur de la critique. C’est le cas du héros d’ El topo, interprété par Jodorowsky lui-même qui est l’image de la rébellion face à la morale, puisqu’il est cruel, sanguinaire et sans pitié. L’héroïne de Pink Flamingos est dès le début singularisée et pointée du doigt comme « the filthiest woman alive », elle est donc à l’encontre des normes sociales et brise les tabous les plus ancrés dans la société, comme celui de l’inceste, car le film la montre procédant à une fellation sur son fils, un fait hautement blâmé dans la plupart des sociétés. Tous les tabous de la société sont représentés, exposés afin de faire exploser les limites du représentable et la morale bourgeoise. John Waters attaque les normes sociales en montrant que la perversion, la déviance sexuelle peuvent être un idéal de vie, celui de Divine qui l’assume avec fierté, prête à tout pour défendre son titre de femme la plus dégoûtante sur Terre. Gary Edgerton voit à travers les midnight movies23, la cristallisation du cas de la perversité féminine. Celle-ci serait une attaque directe à la tradition patriarcale, au stéréotype de la femme soumise. Dans les Midnight Movies, on remarque en effet une représentation complexe et parfois même menaçante de la sexualité féminine. Dans Eraserhead, par exemple, la féminité est effrayante, que ce soit celle de la mère, prise de sursauts extatiques lorsque Henry découpe le poulet à table, puis essayant d’aguicher Henry un peu plus tard, ou la fille qui accouche d’un bébé reptile alors même qu’Henry croyait que leur relation était finie depuis longtemps. Dans le Rocky Horror, Janet est celle qui franchit le plus facilement, le plus tôt le pas de l’adultère, ne résistant ni aux charmes du transsexuel Frank, ni au charme juvénile de sa créature avec qui elle consomme l’acte sexuel.La sexe est un jeu de rôle dans Rocky Horror, et Frank est le chef d’orchestre de cet hymne, de cette symphonie. Le personnage de 22 Aude Weber-Houde, Le Panoptique, 2007 23 In the eye of the Beholder: Critical perspective in popular film and television, Gary edgerton, Michael Marsden, Jack Nachbar DURAND Camille_2010 29
  • 30. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ? Frank est profondément paradoxal : il assume et affiche sa féminité mais a un comportement entreprenant, viril, ce qui fait de lui un personnage hermaphrodite, androgyne, un héros qui transcende les genres. Cet arrière plan sexuel subversif se retrouve même dans El Topo, mais dans une moindre mesure. Les bandits rencontrés dans le désert sont fétichistes et procèdent à des attouchements sur des chaussures à talons qu’ils collectionnent comme autant de métonymies de la féminité. Les Midnight Movies sont donc marqués par une problématique culturelle de plus en plus visible dans la société, qui est la question de la différence en sexualité, et apparaissent révolutionnaires sur ce plan. Marcuse24 montre que la perversion défie le fondement de la société capitaliste en faisant de la sexualité un acte autotélique, en ne le soumettant pas au principe de performance qui structure et régit la société ». Cet engagement critique contre les normes sexuelles, à travers la représentation d’un héros déviant et de son attitude excessive est donc un élément clé du succès des Midnight Movies, et une des raisons du culte dont ils sont l’objet. C. Un midnight movies est un film culte, produit de son audience. 1/ Description d’un public singulier La troisième caractéristique des Midnight Movies, citée par Stuart Samuels, n’est pas un facteur interne aux films mais une spécificité externe : ce sont les spectateurs qui consacrent les films de minuit pour en faire des films cultes. Autrement dit, les Midnight Movies se doivent d’être découverts par l’audience pour devenir cultes. Il n’y a pas à proprement parler d’études sur l’audience des midnight movies, mais certains documents d’archive, comme ceux que j’ai pu retrouver dans les archives du New York Times, nous aident à cerner ce qui se déroulait vraiment durant ces projections nocturnes. Un article du 7 juillet 1995 revient sur le sujet : « the midnight movies have attracted inexplicably large and loyal cult followings that make what happens in the audience as interesting as what happens on screen or on stage ; whether it’s water pistols suirted into the crowd during the rain scene or fans playing catch and response with the screen, the rocky horros picture show is a movie experience ». Ainsi, les séances de minuit étaient de véritables shows où la scène était ce qui se jouait parmi les spectateurs qui interagissaient, s’arrosaient d’eau avec des pistolets à eau pendant la scène de la tempête, jouent à des questions réponses pour se faire deviner les répliques. A cet égard, on peut considérer le Rocky Horror comme le film le plus culte de tous les midnight movies, car c’est le seul à avoir attiré des foules déguisées , en délire, revenant après des dizaines et des dizaines de fois . Ces séances étaient de véritables événements sociaux , « like a party », selon les mots d’ Andy Warhol25 ,où les spectateurs se lèvent, crient, reprennent à pleine voix les chansons entraînantes du film, une audience qui , selon la critique de cinéma Pauline Kael , est « excitée, satisfaite par les images les 24 Marcuse, Eros et Civilisation 25 Cutting Edge 30 DURAND Camille_2010
  • 31. Partie 2 : Que sont les midnight movies plus choquantes et révoltantes », un public qualifié par les journaux de l’époque comme le New York Times de « rock’n’roll film type audience », qui prend de la drogue, envoie des projectiles et de la nourriture dans la salle, s’esclaffe ouvertement, drague son voisin et même parfois vomit. Dans The cultural economy of fandom , John Fiske donne une analyse précise du phénomène de participation, d’interaction entre les spectateurs et la salle . L’objet de culte, le film passe d’un objet d’art à un événement social. Selon lui, le Rocky Horror inaugure un spectacle qui se trouve dans la salle, une sorte de carnaval de fans, déguisés à l’image de personnages du film, inventant de nouvelles répliques ou changeant complètement le texte principal en le pervertissant : à travers cette participation, la distance séparant un objet de fiction de l’audience est abolie, et les spectateurs sont immergés dans la fiction. Par exemple, quand le narrateur du Rocky horror, cette voix off, décrit les nuages de l’orage qui sont « lourds, noirs et tombants », le silence précédant cette réplique est remplit par la voix des spectateurs qui s’écrient « décrit tes testicules ». Ceci montre ce processus d’appropriation du film par les fans qui développent les dialogues, leur donnent un nouveau sens plus comique, cette activité contribuait à souder les communautés de fans, émetteurs, producteurs d’une culture secondaire et co-constructeurs de l’objet de culte. 2/ Le film culte : définition et analyse Umberto Eco26 explique qu’un film culte doit apporter un monde assez riche pour que ses fans puissent en citer les passages, en imiter les personnages et épisodes, créer des quizz et jouer à des jeux basés sur lui. C’est un film qui rassemble tous les autres, qui peut être divisé en parties, scènes qui sont auto suffisantes et qui résument à elles seules l’esprit de la totalité. « to transform a work into a cult object, one must be able to break, dislocate, unhinge it so that one can remember only parts of it, irrespective of their original relationship with the whole”. Pour transformer un film en un objet de culte, on doit être en mesure de la casser, de le disloquer, de le diviser de telle façon qu’on se rappelle seulement des parties, sans prendre en compte leur relation avec l’ensemble. Ce programme est bien respecté par tous nos Midnight Movies, même dans Eraserhead, qui pourtant encourage moins à une participation orale que les autres, la narration passe au second plan derrière les images. Les scènes comme celles du songe dans le radiateur ou celle du repas de Henry chez les parents de Mary restent plus en mémoire , quand on évoque le film, que l’intrigue générale, qui n’a pas une grande signification. Les séances de minuit apparaissent effectivement comme de véritables rituels dotés de leur propres codes : fumer, se lever, crier, protester, rituels qui se répètent, deviennent des habitudes de fans et rythment leur soirée. L’historien Adams Sitney27 a même comparé l’audience des midnight movies à celle de la messe, pour qui ces films sont des ersatz de religion. 26 Umberto Eco, Casablanca ou la renaissance des dieux (1975) in La guerre du faux 27 Hoberman et Rosenbaum, Midnight Movies, p 32 DURAND Camille_2010 31