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ADRIEN COLOMBIÉ
LES VIEUX
DANS LA PUB
Un mémoire gérontologique
Un grand merci à O.H, S.L, E.B et S.D
2
Introduction
Présentation
Ce 11 Mars 2013 vient d’être remis au premier minis-
tre un rapport sur «L’adaptation de la société au vieillisse-
ment : année zéro»1 rédigé par Luc Broussy. Ce titre en dit
long sur l’état de notre relation aux populations vieillissantes.
Cette problématique est devenue un véritable enjeu sociétal
puisque d’ici à 2050 la proportion de personnes âgées de plus
de 60 ans devrait passer dans les pays développés de 20 à
30% de  la population.2.
Il est évident que notre société a souffert de grandes
mutations durant ces dernières décades, par exemple l’explo-
sion et la diversification des modèles familiaux est un fait.
Si la «famille traditionnelle» existe toujours elle n’a plus au-
jourd’hui le monopole et chacun doit trouver sa place dans
les systèmes recomposés, monoparentaux ou homosexuels. Il
est abordé en permanence la problématique de l’adaptation
des jeunes et des enfants autour de ces mutations, il est pour-
tant admis que les nouvelles générations sont les plus sou-
ples, les plus aptes à vivre ces changements dont ils sont is-
sus. Mais qu’en est-il des générations précédentes ?
3
1 Rédigé par par Luc Broussy, conseiller général (PS) du Val-d'Oise et
anciennement conseiller "personnes âgées" dans l'équipe du candidat-
François Hollande
2
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/03/11/vieillissement-au-dela
-du-defi-financier-l-enjeu-de-societe_1846131_3224.html?xtmc=retraite
s&xtcr=9 consulté le 20/03/2013
Ces générations qui ont bâti une vie sur ces modèles, ces
générations qui ont grandies et se sont construites sur des
schémas qui aujourd’hui se transforment, et même parfois
disparaissent. Il est évident que cette évolution de notre so-
ciété a engendré une mutation du statut des «vieux».
Aussi, j’utiliserais au long de ce mémoire le terme
«vieux» vidé de toutes connotations péjoratives tout simple-
ment par opposition à «jeunes».
Si leurs statuts ont changé ces dernières années,
quand est-il de leurs représentations au sein de cette société ?
Cette société dont les mœurs évoluent (Légalisation du ma-
riage pour tous par exemple), marquée par les évolutions
technologiques, l’évolution des systèmes de communications
(réseaux sociaux), mais aussi de l’organisation au sein même
des familles.3.
Comment les représentons-nous et comment les voyons-
nous ? Que peut-on en apprendre sur l’état actuel de nos rela-
tions ?
Guidé par la conviction personnelle qu’une des solu-
tions aux troubles sociétaux modernes est le rétablissement
de figures modèles dotées d’une forte expérience : sophos en
grec, ou autrement dit des sages. Nous nous sommes engagés
dans cette étude sémiologique de différents corpus publici-
taires. Sémiologiques puisqu’il s’agit bien de «[...] l’étude de la
vie des signes au sein de la vie sociale»4, comme le définit si
bien Saussure. En effet, toute la mission est de dénaturaliser
4
3 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=ip1435
4 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, p. 33
le langage utilisé pour  dépeindre les vieux dans la publicité.
Définir et décrire «le système de signification»5 utilisé pour
mieux l'interpréter par la suite. Et pour ce faire nous procé-
derons à une analyse systémique immanente, une méthode
développée par A.-M Houdebine qui est une technique de
stratification permettant d’étudier les différents éléments ico-
niques et linguistiques de façon indépendante. Grâce à l’in-
ventaire de ces traits descriptifs, récurrents, ou pas, à l’inté-
rieur de différentes strates.
Par nécessité, ma première approche a été empirico-
déductive, cette démarche m’a permit de «tailler dans la
masse» des nombreuses images constituant mon premier
corpus. Cependant une fois plusieurs grands axes dégagés,
c’est bien la poursuite d’hypothèses variées qui a guidée ma
démarche : celle de l’exclusion des vieux de notre société, de
la caricature de leur représentation et aussi de l’évidente déri-
sion dont souffre la vieillesse. Certaines ont été vérifiées et
d’autres sont apparues.
Cette étude dite synchronique est basée essentielle-
ment sur le corpus principal cependant certains éléments ont
été mis en lumière par l’analyse diachronique du corpus dit
rétro ainsi que par inter-iconisité avec le corpus dit illustratif.
5
5 R. Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Élém. de sémiologie, 1968
[1964], p. 79
Composition des corpus
! La première difficulté qui s’est dressée face à moi est
la sélection de mots-clefs pertinents pour constituer le
corpus. En effet si le terme «vieux» ne donne que très peu de
résultats, sûrement à cause de l’ensemble des connotations
péjoratives l’entourant, d’autres termes, eux, beaucoup plus
politiquement corrects sont prolifiques : «seniors» et «retrai-
tés» par exemple.
La seconde problématique fût celle de la sélection ou
non d’un visuel représentant un vieux, ce choix est de nature
personnel et subjectif, mais il a été fait en conscience de la
carte forcée culturelle commune, cet ensemble de convention
de nature sociale qui s’impose à nous : les rides, la couleur de
cheveux etc.
Une fois un ensemble d’images conséquent rassemblé
(env. 100), un ensemble d’images qui nous semble représen-
tatif de l’objet social étudié et permettant une véritable simu-
lation in vitro, il a fallut en garantir son homogénéité en le
divisant en 4 catégories :
- Corpus principal : ce corpus est constitué d’images datant
des dernières 15 années.
- Corpus rétro : constitué d’images datant de 1965 à 2000.
- Corpus illustratif : ce corpus est constitué de visuels prove-
nant de banques d’images.
Description des corpus
Ces trois corpus ont été évidemment décrits grâce à
une même stratification. L’ensemble des strates a été créé en
fonction de la globalité des documents et non pas seulement
6
en fonction du corpus principal, pour assurer la pertinence
de la description.
	

 De nombreuses strates sont connotées, par exemple
si la strate /joyeux/ a été créée ce n’est que dans un deuxième
temps et après une première description contenant : /sourire
bouche fermée/, /sourire bouche ouverte/.
Après analyse de l’ensemble des documents suivant ces stra-
tes, j’ai donc créé, en plus, celle-ci : /joyeux/ et par opposition
/fermé/ pour mieux pouvoir analyser globalement la repré-
sentation de l’humeur dans mes corpus tout en gardant le
détail de sa construction.
De la même manière ont été regroupés tout les accessoires
féminins présents : montres, colliers, bracelets, boucles
d’oreilles, etc. En une seule strate : «accessoires». Ce regrou-
pement permet par exemple de passer de caractères diver-
gents à convergents, et ainsi de nous proposer un nouvel
éclairage sur la signification de l’ornementation des corps
âgés dans la publicité.
Nous avons donc procédé en plusieurs temps, tout
d’abord un tableau global comprenant l’ensemble exhaustif
des caractères descriptifs puis la scission en trois tableaux
différents, un par corpus. Après avoir méticuleusement rem-
pli tous nos tableaux nous avons pu optimiser comme décrit
précédemment les strates aux vues des différentes conver-
gences et divergences de ces dernières.
Ainsi une quarantaine de traits descriptifs ont été re-
tenus et synthétisés ; l’ensemble a été conduit au moyen de
tableaux descriptifs présents en annexe, et a donné un ta-
bleau récapitulatif (cf/comparatif_corpus.xls) ce qui m’a
permis à la fois de pouvoir dessiner scrupuleusement les ar-
chétypes issus de chacun des corpus mais aussi d’en effectuer
une analyse comparative et diachronique.
7
Enfin toutes ces analyses sont appuyées par un der-
nier document stratifiant le linguistique à travers les trois
corpus aux vues des marques énonciatives, de la casse, de la
spécialisation du temps et du champ lexical.
8
Explication
Corpus principal
! Parmi les signes convergents les plus récurrents dans
ce corpus principal on découvre l’utilisation du /gros-plan/
et du /plan-américain/ de manière récurrente à un peu plus
de 60%, tous deux des plans rapprochés qui «permet[tent]
d'isoler les personnages les uns par rapport aux autres»6 .Ce
qui est d’autant plus frappant que 60% du corpus nous offre
des personnages décontextualisés, soustrait de tout décor,
temps et lieu. Et si l’utilisation de la photographie est systé-
matique, on note que dans 70% des cas ce sont les tons ocre
et gris qui dominent l’image.
Nous étudions ici un langage et il est évident que la
pilosité est un outil pertinent pour dire la vieillesse, d’ailleurs
80% des personnages abordent une calvitie, des cheveux
blancs ou très gris. Du côté des Femmes les cheveux courts
sont à l’honneur sur plus de 90% du corpus. Mais il y n’y pas
que les signes apparent qui convergent, en effet : 0% de bar-
bes dans ce corpus, un rasage parfait pour chacun des prota-
gonistes masculins.
	

 En matière de communication, les mains sont des
organes essentiels chez l’homme, et il est évident que si la
moitié de ces visuels offre des mains visibles ce n’est pas un
hasard, d’ailleurs la moitié d’entre elles sont en train de tenir
quelque chose ou de se tenir.
9
6 BERTHOMIEU, Essai de gramm. cin., 1946, p.39
Le visage aussi est forcément un indicateur puissant,
à fortiori, quand on sait que 60% des plans sont rapprochés.
On remarque d’ailleurs que 55% des personnes présentent
paraissent «joyeux»7 au sens «/sourire/+/ bouche ouverte/+/
sourcils relevés/». Et enfin, ces publicités sont une véritable
ode au trio /chemise/+/gilet/+/pull/ puisque au moins un de
ces habits est présent dans 60% des cas.
«Aucun métis n’est présent dans ce
corpus et dans les autres non plus»
Après avoir étudié le corps et le comportement des
vieux dans ce corpus, nous nous sommes penchés sur leur
environnement. Nous avons déjà précisés que 60% des fonds
étaient decontextualisés cependant ce qui est encore plus fla-
grant c’est la solitude des personnages. En effet, 80% des per-
sonnes âgées présentes sont seules, dans 70% des cas ce sont
des femmes contre 30% d’hommes.
	

 Quelques signes divergents et périphériques sont
aussi intéressants au regard des autres corpus et seront dé-
taillés dans l’étude comparative, comme 50% de femmes por-
tant des /accessoires/ par exemple. Nous n’oublierons pas
non plus les 30% d’/auto contact/, ou les 20% de décor /sa-
lon/.
! Deux points importants clôtureront cet archétype, les
/regards caméras/ ainsi que le linguistique. 50% des person-
nages dirigent leur regard vers la caméra, c’est à dire vers le
spectateur ou le lecteur, ils nous regardent en face. Un point
particulièrement intéressant est que ce regard direct coïncide
10
7 «/sourire/+/ bouche-ouverte/+/sourcils relevés/»
parfaitement avec l’absence de marques énonciatives, très
peu de «Je, Vous, Il,...» présent tout au long de ce corpus.
Mais l’abondance d’infinitifs et de majuscules pour les élé-
ments rédigés.
11
Corpus illustratif
! Il me paraît important de souligner l’origine des ima-
ges de ce corpus dit «illustratif», en effet si l’on ne se préoc-
cupe pas dans notre démarche de la volonté du créateur, il
n’en est pas moins intéressant d'être conscient des particula-
rités de ce dernier. Les visuels photographiques de ces publi-
cités proviennent de banques d’images, plus précisément de
banques de photos. Or les photographes qui créent ces vi-
suels par anticipation sont des professionnels de l’image, qui
sont pleinement conscients de la force sémantique du ca-
drage, des couleurs, de la composition, des objets, etc... Et à
la différence des prises de vues commandé es pour la publici-
té, ces visuels sont réalisés en amont, c’est de leur dimension
illustrative qu’est tirée l’intitulé de ce corpus.
On retrouve dans ce corpus une amplification de la
présence de certaines strates du corpus principal. On obtient,
par exemple, 100% de /plan serré/, qui regroupe /Plan amé-
ricain/, /Portrait/ et /Gros plan/. L’image est systématique-
ment centrée sur le personnage, nous ne voyons que lui,
d’autant plus qu’il est cette fois décontextualisé dans plus de
80% du corpus. Il n’est nulle part, si ce n’est en face de nous,
grossi, baignant dans un environnement /gris-ocre/.
«Les /Hommes seuls/ rejoignent les
/Métis/ dans le groupe des invisibles
de ce corpus»
12
Les /Femmes seules/ font aussi parties des strates di-
vergentes puisqu’elles ne sont présentes qu’à 30% dans ce
corpus. C’est en effet   la mixité qui est à l’honneur dans
l’ensemble de ces documents, hommes et femmes se retrou-
vent présents dans plus de 70% des visuels, cependant cela
n’entraîne pas la présence supplémentaire de groupes, ces
derniers sont rarissimes et composés de vieux à chaque fois
accompagnés de très jeunes.
	

 On retrouve bien sur la capillarité comme signe pri-
mordial à analyser dans ce corpus, et une fois de plus on
constate ici l’accentuation d’un trait descriptif déjà fortement
présent dans le premier corpus, puisque 90% des cheveux
sont /gris/. Cette coloration de cheveux va de pair avec la
/calvitie/ dans 80% des cas.
	

 Dans la catégorie pilosité, on remarquera aussi,
qu’une fois de plus la totalité des hommes présents dans ce
corpus sont parfaitement rasés, aucune longue barbe, mous-
tache ou barbe de quelques jours.
	

 On retrouve aussi notre désormais fameux trio /Gilet
chemise veste/ dans 85% du corpus, si les couleurs sont très
variées on peut quand même identifier deux groupes, celui
du /gris-ocre/ tout comme les fonds servant la décontextuali-
sation ou bien presque diamétralement opposé les couleurs
clinquantes et chaudes : rouge écarlate, orange vif et roses.
D’autres signes sont parfaitement convergents, par
exemple, la totalité des personnages de ce corpus paraissent
«joyeux»8. Non seulement joyeux mais joyeux avec /bouche
ouverte/ dans 85% des cas. Cependant, seulement un quart
paraît réellement rire.
13
8 ibid. p.7
Si les mains font toujours parties des signes conver-
gents dans ce corpus dit illustratif puisqu’elles sont visibles
dans trois quarts des visuels, leurs répartitions dans les diffé-
rentes strates sont plus éparses, on retrouve de /l’auto-con-
tact/ dans 40% des annonces, 40% aussi de contact avec une
autre personne et les derniers 20% de mains visibles sont
«reposées» sur un tiers.
	

 Pour conclure la description de cet archétype, nous
reviendrons sur deux points. Le premier c’est l’activité des
personnages, il est surprenant de découvrir que plus de la
moitié sont absolument inactifs si ce n’est en train d'effectuer
un /regard-caméra/ dans plus de 70% des cas.
Corpus rétro
Nous allons à présent tacher de dessiner l’archétype
du corpus dit «rétro». Pour rappel, ce corpus est composé
d’images datant de 1960 à 2000. Une majorité d’entre elles
sont en noir et blanc, il n’est donc nullement pertinent de
parler ici de tonalités dominantes.
Une fois de plus on retrouve l’écrasante majorité de plans
/serrés/ composés de plans américains et de portraits, avec
70% des cas. Ils sont tout aussi présent que dans le corpus
principal, contre 30% de /plans généraux/.
	

 Il y a une différence notable sur la répartition de la
présence des sexes dans ce corpus, en effet, 60% des visuels
nous donnent à voir des hommes seuls ou exclusivement des
hommes. Nous avons donc trois cinquièmes des visuels mo-
nopolisés par les hommes.
14
Les 40% restant se partagent équitablement entre les
groupes mixtes et féminins. Autrement dit nous ne retrou-
vons que 20% de présences exclusivement féminines dans ces
visuels.
	

 Nous avons évoqué longuement la pilosité dans les
deux corpus précédents, une fois encore ce corpus rétro se
détache puisque contrairement aux deux autres nous retrou-
vons des hommes dotés de barbes ou de moustaches, et dans
des proportions plutôt importantes puisque il s’agît de près
de 40% contre 0% dans les corpus illustratifs et principaux.
On peut constater aussi la nette diminution du pourcentage
de calvitie parmi les vieux présents dans ce corpus, nous des-
cendons à 55% des personnes, et toutes vont de pair avec des
cheveux blancs ou gris.
‘‘ Si c’est bien le corpus principal
qui nous offre l’analyse synchronique la
plus intéressante, prendre en considéra-
tion l’évolution de certaines strates nous
apportent des informations réellement
pertinentes.’’
15
Un proportion intéressante ici encore est la décontextualisa-
tion qui devient un paramètre divergent puisque présent
cette fois dans 35% des cas. Les 65% restant se partagent en-
tre des intérieurs : lit, salon ou restaurant, et de grands exté-
rieurs : champs et bords de mers.
Ils ne sont pas, pour beaucoup, ancrés dans un contexte ou
un environnement sans aucun but, ils y sont actifs, en action.
	

 Une fois de plus nous retrouvons notre /regard camé-
ra/ dans plus de 75% des visuels. Enfin, un ensemble de si-
gnes divergents font paraître les vieux de ce corpus plus
«fermés», en effet, le cumul des /bouches fermées/, de l’ab-
sences de /sourires/, de /bouches ouvertes/ ou de /rires/
pourraient créer une strate convergente nous indiquant un
proportion importante de vieux non «joyeux» dans ce
corpus.
16
Étude comparative
Parmi les traits descriptifs qui ont permis de décryp-
ter ces archétypes, certains ont évolué grandement au cours
du temps, et ceux qui ont le plus évolué correspondent
étrangement aux strates les plus significatives de cette étude.
	

 On retrouve par exemple la présence de /plans serrés/
dans la totalité des visuels pour le corpus illustratif, dans 70%
des visuels pour le corpus principal et 60% dans le corpus
rétro. La décontextualisation aussi est un paramètre qui a
évolué puisque si elle varie de 70 à 80% des cas pour nos
deux corpus contemporains, ce n’est vrai que pour 35% des
images du corpus rétro.
	

 On retrouve aussi cette opposition entre nos deux
corpus, illustratif et principal, sur le thème de la pilosité,
dans ces deux derniers 100% des hommes sont bien rasés
tandis que dans le corpus rétro ce rapport descend à 60%.
La solitude que nous avons évoquée pour  le corpus principal
puisqu’elle était présente dans 70% des cas est beaucoup
moins remarquable dans les deux autres corpus puisqu’elle
n’y varie de 40 à 50 %.
	

 Une certaine inversion de la répartition des sexes est
aussi remarquable entre le corpus principal et le corpus rétro.
Ce dernier nous présentait plus de la moitié d’hommes seuls,
et aujourd’hui dans le corpus principal, c’est 50% de femmes
seules que nous observons.
	

 En revanche s’il y a bien une absence d’évolution qui
est notable c’est celle de la présence des minorités dans
l’ensemble de ces corpus. Aucun métis n’est visible dans cette
centaine de documents.
17
Enfin une autre évolution est notable, celles de l’hu-
meur, puisque si l’ensemble de signifiants regroupé sous la
strate «joyeux» est présent dans 85% des visuels dans le
corpus illustratif, ce n’est le cas que pour 30 et 15% dans le
corpus principal et 15% dans celui dit rétro.
	

 Cette chute notable est similaire à celle liée à l’activité
des personnages puisque dans le corpus principal, ils ne font
rien dans 85% des visuels contrairement aux deux autres
corpus ou ce pourcentage descend à 50 et 45%.
Étude linguistique
L'interprétation ne scindera pas le linguistique et les
traits descriptifs les plus révélateurs mais dans le soucis de
définir des archétypes précis et clair nous revenons ici dé-
tailler les différentes caractéristiques définissant les éléments
textuels dans ces corpus.
Dans le corpus principal c’est la présence d’infinitifs
en majorité qui est marquante. En effet, la quasi-totalité des
verbes ne sont pas conjugués et cette particularité coïncide
presque systématiquement avec la présence de majuscules et
l’absence de marques énonciatives. On remarquera aussi la
redondance de la dérision : «Ne vieillissez pas trop vite» pour
Virgin ou encore «Tout le monde peut jouer aux courses»
dixit “les vieux” pour le PMU.
Dans le corpus illustratif, c’est l’infinitif et le vou-
voiement qui sont les plus présents et qui offrent une grande
convergence, à l’inverse du corpus rétro qui est dominé par
l’emploi des 3ème personnes («ils», «elles»). Notons que cette
désignation au tiers est totalement absente des autres corpus.
18
Interprétation
Corpus principal
La représentation de la pilosité dans ce corpus nous révèle
beaucoup d’informations. Tout d’abord chez les hommes
puisque 80% des personnages abordent une calvitie, or la
capillarité porte un ensemble conséquent de connotations.
Rappelons-nous de l’histoire de Samson l’Israélite9 qui révéla
à Dalila que sa force lui venait de ses cheveux, cette force
qu’il perdit une fois que Dalila l’eu trahit et lui coupa ses 7
tresses.
De la même manière ici, les vieux, dévitalisés, se re-
trouvent la plupart sans cheveux. Cette représentation quasi
systématique est d’autant plus violente qu’elle est encore au-
jourd’hui liée à la santé physique et émotive, puisque la chute
de cheveux peut être engendrée par des périodes de stress, de
maladie (chimiothérapie) et de grandes anxiétés comme la
trichotillomanie. Chez les hommes on constate l’absence to-
tale de barbe ou de moustache. Cet élément était pourtant
très présent ces dernières années comme véritable accessoire
de mode masculin10, un symbole de virilité et de force que
l’on retrouve sur la majorité des dieux grecs, dieux puissants
et sages, dont le plus mythique et dominant, Zeus, voit sa
représentation indubitablement liée à une forte pilosité, de
par sa barbe et ses cheveux.
19
9 http://fr.wikipedia.org/wiki/Dalila_(Bible)
10 http://www.lexpress.fr/tendances/soin-homme/le-triomphe-de-la-
barbe_1216050.html
Or dans notre corpus tout ces «seniors» sont parfaitement
apprêtés, rasés de près, d’une part n’affichant ainsi aucun lais-
sez-aller, aucune faiblesse, mais aussi aucune vitalité puisque
cette préparation quasi chirurgicale n’est pas sans nous laisser
penser aux préparations mortuaires, une véritable thanato-
praxie visuelle. C’est la combinaison de ces deux représenta-
tions, le crâne chauve et l’absence de pilosité faciale, qui con-
fèrent cet aspect mortifère à la plupart des représentations
masculines de ce corpus.
Interprétant externe - Le crâne
Francois Berton - Une autre représentation possible
20
On notera aussi que cette absence totale de longues barbes,
ou de grandes moustaches s’accompagne de la disparition de
la symbolique du savant, de l’érudit, de ces personnages
chargés de connaissances et d'expériences.
Il y a une véritable réduction à l’image pré-mortelle du corps
et plus aucune représentation d’autres attributs liés à l’âge,
ceux des connaissances, du vécu et de la sagesse.
Chez les femmes, cette représentation n’en est pas
moins chargée de sens. La chevelure est indéniablement as-
sociée à l’attrait sexuel. Dans la Grèce antique, les jeunes filles
portaient les cheveux longs en signe de leur virginité et de
leur vigueur sexuelle11. D’ailleurs aujourd'hui encore les ca-
tholiques pratiquantes devraient se couvrir la tête pour ne
pas donner “envie aux anges” ou pour les musulmanes, ca-
cher leur chevelure est une règle. Or nous remarquons que la
plupart des femmes portent des cheveux courts, une vérita-
ble masculinisation de leur identité sexuelle, donc une perte
même de la connotation de sensualité. Les femmes perdent
alors leur féminité et donc inévitablement leur sexualité.
L’image de la sexualité féminine ou masculine est absente de
ce corpus, une fois de plus la représentation du corps est
mortuaire, vidé de son expérience, de sa sexualité, un corps
marqué et prêt à trépasser. Mais en aucun cas un corps char-
nel soumis comme les autres au désir et la sexualité. Les rares
personnes affichant encore une pilosité capillaire consé-
quente sont dotées de teintes artificielles, criardes, en totale
opposition aux couleurs naturelles de cet âge. C’est encore
une fois, un rappel de la thanatopraxie qui se pointe à l’hori-
zon, une ultime préparation mortuaire.
21
11 Les Cheveux, Françoise A. Cloutier, psychanalyste Jungienne -
http://www.alchymed.com/articles_impr.asp?id_article=1249
Les mains sont sûrement l’organe du corps qui dis-
pose de la palette d’action la plus large. Elles témoignent
aussi d’une manière immédiate du «avoir-fait» et du savoir
faire. La langue française nous offre d’ailleurs un nombre in-
calculable d’expressions contenant le mot «main» et souvent
pour parler d’un comportement beaucoup plus général :
«Avoir la main lourde, malheureuse, sûre, verte, libres ou
liées» c’est une liste sans fin. La main est considérée comme
un outils primordiale : «préférer se couper une main que de
[...]». Tout au long de notre corpus la main est utilisée
comme une véritable métonymie de la vieillesse. Une méto-
nymie euphémisante, nous incitant à oublier les autres signes
de la vieillesse, ne les représentant pas et ainsi hiérarchisant
leurs noblesses. Cependant il est très intéressant d’analyser
plus en profondeur cette métonymie, puisque par définition
elle représente ainsi une partie par le tout. Nous avons donc
dans cette représentation des mains, une représentation du
corps tout entier.
22
Les mains sont sûrement l’organe du corps qui dis-
pose de la palette d’action la plus large. Elles témoignent
aussi d’une manière immédiate du «avoir-fait» et du savoir
faire. La langue française nous offre d’ailleurs un nombre in-
calculable d’expressions contenant le mot «main» et souvent
pour parler d’un comportement beaucoup plus général :
«Avoir la main lourde, malheureuse, sûre, verte, libres ou
liées» c’est une liste sans fin. La main est considérée comme
un outils primordiale : «préférer se couper une main que de
[...]». Tout au long de notre corpus la main est utilisée
comme une véritable métonymie de la vieillesse. Une méto-
nymie euphémisante, nous incitant à oublier les autres signes
de la vieillesse, ne les représentant pas et ainsi hiérarchisant
leurs noblesses. Cependant il est très intéressant d’analyser
plus en profondeur cette métonymie, puisque par définition
elle représente ainsi une partie par le tout. Nous avons donc
23
dans cette représentation des mains, une représentation du
corps tout entier.«Il déclara que chacun arriverait à la Val-
halle avec les richesses qui avaient été placées à ses côtés sur le
bûcher, [..]»12. Tout au long de ce corpus les femmes sont af-
fublées d’ornements extrêmement visibles comme déjà pré-
parées pour leur dernier voyage. Un des bijoux particulière-
ment redondant est la fameuse perle , or la présence de per-
les en contexte funéraire était déjà attestée dans la région du
Golfe Persique et de l’océan indien après le Ve millénaire
avant J.-C13. Les perles sont des attributs blancs, nacrés, une
fois de plus pâles comme le teint de leurs propriétaires, des
éléments minéraux qui vont se confondre avec l’état du corps
après des années de décomposition, c’est à dire des os.
Les attributs présents, la position des mains, la méto-
nymie euphémisante et leur inactivité sont autant d’indices,
de signes à décrypter pour appréhender ces représentions
des vieux presque systématiquement, non pas, à une marche
de la mort, mais déjà trépassés.
Dans cette partie je reviendrai sur la représentation
des personnages dans leurs contextes, plusieurs éléments
sont intéressants à analyser.
Tout d’abord un fait scientifique qui est représenté avec une
étonnante justesse dans l’ensemble de notre corpus : la longé-
vité des femmes. En effet, en France comme dans la majorité
des pays, les femmes ont une espérance de vie bien supé-
rieure à celle des hommes : 78,1 pour les hommes contre
24
12 Saga des Ynglingar, chapitre 86 - Snorri Sturluson, Histoire des rois de
Norvège,
13 V. Charpentier, C. S. Phillips and S. Méry, "Pearl Fishing in the Ancient
world: 7500 BP", in Arabian archaeology and Epigraphy 23, 2012, p. 1-6.
84,8 chez les femmes14. Cette vérité présente dans la publicité
est d’autant plus intéressante qu’elle n’a pas toujours été véri-
fiée (Cf. étude comparative). On notera avec un certain amu-
sement la capacité à dépasser plus rapidement les tendances
machistes quand elle est liée à une potentielle efficacité mer-
cantile. L’analyse du contexte dans lequel sont représentés
nos «seniors» nous donnent énormément d’informations
quand à leurs places dans notre société. 70% des visuels sont
decontextualisés, extirpés de tout ancrage réaliste. Les vieux
sont représentés hors de notre réalité, ils n’appartiennent ap-
paremment plus au même monde que nous. Cette vision est
appuyée par les éléments linguistiques. En effet pour chacun
des visuels decontextualisés, on remarque l’absence automa-
tique de marques d’énonciations. On se s’adresse pas à eux et
eux ne s’adressent pas à nous, cela renforce cette décontex-
tualisation, cet éloignement entre leur monde et le nôtre. Il
est réellement surprenant que la décontextualisation et l’ab-
sence de marque énonciative coïncide aussi parfaitement
avec la présence de lettres capitales. Les majuscules par op-
position aux minuscules sont beaucoup plus impersonnelles,
ce ne sont pas les lettres du prénom, ni de l’écriture courante.
On utilise les majuscules pour un nom de lieu, une institu-
tion, ou dans notre ère numérique pour simuler l’élévation de
voix. C’est à dire un ton de voix éloigné par opposition au
chuchotement qui se fait de près. On n’utilise donc pas de
pronom, tout en parlant ou faisant parler de loin dans l’ab-
sence de contexte et de décor ancré s dans notre réalité. Cette
représentation participe à la marginalisation du troisième
âge, une véritable distanciation est créée.
25
14 Chiffres Organisation mondiale de la santé (OMS), 2003
«Même si ces visuels ne sont que des illu-
sions du réel, ils placent les signes iconi-
ques dans un contexte, or son absence,
cette décontexualisation, participe à
pervertir notre vision et donc notre rela-
tion aux seniors dans la société.»
D’ailleurs outre l’absence de marque d'énonciation,
on remarque l'utilisation de nombreuses phrases descripti-
ves. Ce sont de véritables légendes parfois réduites au simple
mot : «grisonnante» vs «séduisante» ou au simple pronom
réducteur et moqueur : «les enfants méritent mieux que ça»,
«ça» désignant les grand-parents... Cette dérision est souvent
présente, soit en appuyant sur la sénilité des personnes âgées
: «Tout le monde peut jouer aux courses», “même” désignant
le personnage que l’on vous donne à voir : un vieux. Ou, sans
aucun détour, sur l’insupportabilité de leur présence : «Les
frites de Mamie sans aller voir Mamie» sans oublier la réduc-
tion terrible de la grand-mère à une machine de cuisine, un
robot à nourritures mais dont on ne supporterai pas même la
présence.
C’est Dove qui nous assène le coup de grâce en révé-
lant le secret de polichinelle de la représentation des vieux
dans la pub. En effet, en inscrivant : «Trop vieille pour une
publicité anti-âge» elle définie, en jouant avec, une limite à la
tolérance de l’image du vieux. Cette personne est «encore»
affichable, mais elle pourrait ne plus l’être. Elle ne deviendrait
plus montrable pour une publicité, une publicité anti-âge
certes, mais alors pour quelle type de communication ?
26
Pourtant, il est réellement possible d’utiliser les
même codes, la métonymie de la vieillesse par les mains, la
décontexualisation et même le linguistique impersonnel
pour parler d’une manière diamétralement opposée du troi-
sième âge.
Par exemple la RATP qui utilise avec finesse ces codes en re-
layant habilement l’iconographie avec le nom d’une station
de la ligne de métro «Arts et Métiers», elle même présente
sur sa “ligne de vie” qui se situe littéralement dans la paume
de la main de cet homme, ouverte vers nous, tendue vers le
haut, prête à saisir notre propre main pour parcourir «Un
bout de chemin ensemble», la baseline de la RATP. On re-
marquera ici l’utilisation d’un trait descriptif rare dans ce
corpus : l’utilisation de minuscules, plus personnelles, plus
chaleureuses, d’ailleurs en gras pour une fois de plus relayer
cette proximité. Cette image nous présente un autre ensem-
ble de traits descriptifs convergents : les plans serrés, qui re-
27
groupent les /Gros plans/ et les /Plans américains/ présents
dans 70% des visuels de ce corpus. Si ici ils renforcent la mé-
tonymie de la vieillisse, ils accentuent souvent, dans les au-
tres visuels, la transformation du personnage en objet
d’étude, un cliché descriptif, dans lequel le spectateur peut
créer une identification mais aussi un rejet face aux codes
mortifères décryptés plus haut.
Par exemple la RATP qui utilise avec finesse ces codes
en relayant habilement l’iconographie avec le nom d’une sta-
tion de la ligne de métro «Arts et Métiers», elle même pré-
sente sur sa “ligne de vie” qui se situe littéralement dans la
paume de la main de cet homme, ouverte vers nous, tendue
vers le haut, prête à saisir notre propre main pour parcourir
«Un bout de chemin ensemble», la baseline de la RATP. On
remarquera ici l’utilisation d’un trait descriptif rare dans ce
corpus : l’utilisation de minuscules, plus personnelles, plus
chaleureuses, d’ailleurs en gras pour une fois de plus relayer
cette proximité. Cette image nous présente un autre ensem-
ble de traits descriptifs convergents : les plans serrés, qui re-
Gros plan dans Old Boy de Park Chan Wook
28
groupent les /Gros plans/ et les /Plans américains/ présents
dans 70% des visuels de ce corpus. Si ici ils renforcent la mé-
tonymie de la vieillisse, ils accentuent souvent, dans les au-
tres visuels, la transformation du personnage en objet
d’étude, un cliché descriptif, dans lequel le spectateur peut
créer une identification mais aussi un rejet face aux codes
mortifères décryptés plus haut.
En effet, les traits, les émotions, les rides sont visibles
dans leurs moindres détails. C’est la vision au travers d’une
loupe, une vision d’autopsie qui crée un véritable dénie
d’humanité puisqu’on en perd la majorité des caractéristi-
ques particulières qui définissent l’appartenance à cet en-
semble. Une réification d’autant plus dangereuse qu’elle est
parfois plus que douteuse comme dans le visuel qui nous of-
fre le gros plan d’une grand-mère maquillée à outrance15 (i-
bid), un vrai bonbon synthétique préparé pour son dernier
voyage, léchée par un chien, une vision cadavérique (une fois
de plus les perles) et scatophile de cette pauvre vieille mamie.
Les codes vestimentaires accentuent cet effet de dé-
guisement que l’on le peut retrouver assez majoritairement
chez les femmes avec leur maquillage et accessoires. Chez les
hommes aussi on constate que la plupart d’entre eux sont en-
core en habits de travail, le trio Chemise, Veste, Gilet est re-
dondant et contradictoire, il est clair que ces personnes ne
sont plus dans la vie active, et en sont complètement décon-
textualisées. Alors que signifie ce déguisement ? On peut re-
penser à cette préparation mortuaire, ces habits de cérémo-
nie, mais aussi à l’impossibilité de les lier au monde actuel et
donc la tentative de se raccrocher aux accessoires de modes
et aux vêtements. Ils sont finalement d’autant plus coupés de
29
15 ibid. p.7
la l’époque contemporaine par un affublage décalé de leur
statut réel. La publicité met en visibilité et de ce fait créé les
invisibles, les marginaux. Si la publicité se pose comme imi-
tation du réel, un miroir de notre société, c’est donc elle aussi
qui définit ce qui est hors du miroir, hors de la société.
Et beaucoup d’invisibles sont créés dans ce corpus.
Tout d’abord les métis sont complètement absents de ce
corpus, (un seul visuel) et c’est ici une véritable question de
société. Quand on s’interroge encore et encore sur l’insécuri-
té et l’intégration, n’est il pas problématique de le faire seule-
ment par les nouvelles générations ? Ne serait-il pas juste,
plus pertinent d’afficher cette intégration déjà présente par le
haut, par les générations ancrées dans n’importe quel quoti-
dien de n’importe quel citoyen sur le sol français ? Ou sont
les citoyens intégrés depuis des décades et pourtant absents
des publicités ? N'achètent-ils pas de lunettes ? Ne souscri-
vent-il pas d’assurances familiales ? Ne souffrent-ils pas
d’Alzheimer comme tout le monde ? Mettre en lumières des
générations qui doivent faire leurs preuves, et cela est vrai
quelque soit leurs origines, nourrit un cercle vicieux inépui-
sable. Il paraît pourtant logique de chercher des preuves de
notre actuel mixité dans les groupes sociaux déjà établis.
Parmi les invisibles on retrouve aussi les homosexuels qui ne
sont absolument pas représentés et pourtant qui constituent
une fois de plus une vérité sociétale comme en témoigne par
exemple Les Invisibles16, un film documentaire de Sébastien
Lifshitz.
Enfin dans les invisibles se cachent aussi des con-
cepts, comme celui de la famille, des liens de filiation et
30
16 Les Invisibles est un film documentaire français écrit et réalisé par Sé-
bastien Lifshitz en 2012.
même du couple. Dans 70% des visuels, les personnages sont
seuls, isolés. Une double solitude, celle du décor, mais aussi
de la vie, l’absence d’enfants, de partenaires, de familles ou
d’amis est le point d’orgue de l’ensemble des interprétations
précédentes, c’est ce trait descriptif qui affirme et appuie l’in-
terprétation en objet mortuaire, un objet d’étude, légendé par
quelques mots impersonnels, des lettre capitales greffés à des
visuels cadavériques dans lesquelles les personnages sont in-
animés, sans vie et étiquetés.
Des personnes pour lesquelles d’ailleurs on nous demande
notre avis, quasi divin, un droit de vie ou de mort qui ne leur
appartient plus, puisque on nous interroge sans détours :
«Qu’en pensez-vous ?»
31
Interprétation
Corpus Illustratif
La représentation des vieux dans le corpus illustratif est en
grande partie une accentuation des traits descriptifs conver-
gents du corpus principal. On retrouve cette fois dans la tota-
lité des visuels des plans serrés et dans 80% des visuels une
décontextualisation des personnages comme en témoigne
cette image par exemple.
On retrouve aussi d’une manière accentuée la pré-
sence de chauves et de calvities dominantes dans tout le
corpus. C’est aussi frappant de voir de quelle manière, dans
l’ensemble de ces visuels, le code vestimentaire reste lié à
celui du monde du travail, les chemises et les vestes parais-
sent obligatoires pour les retraités, comme pour créer un lien
32
avec une vie active fictive. D’ailleurs une fois de plus, la «lé-
gende» de cet objet d’étude qu’est «Michel», le définit comme
un retraité actif, une oxymore puisque par définition la re-
traite, est l’extraction de la vie active non pas pour la mort
comme on pourrait le croire mais simplement pour un autre
style de vie.
C’est d’ailleurs tout l’attrait de ce corpus, la négation
permanente de la mort et de la perte. Cependant c’est en
voulant s’éloigner d’une manière diamétralement opposée de
la mort, que sa représentation apparaît souvent maladroite et
parfois particulièrement perverse. Un des traits descriptifs
qui en souffre est la /bouche ouverte/. En effet, dans 85% des
visuels, les personnages ont la bouche ouverte. Si l’on peut,
en première intention, apparenter cette représentation à celle
du bonheur, d’autant qu’elle est souvent accompagnée de ri-
res, il est alors intéressant de faire intervenir le premier
corpus, et c’est d’ailleurs ici que l’analyse comparative révèle
toute sa pertinence. L’analogie entre les deux images précé-
dentes est assez stupéfiante puisque la seule chose qui les dif-
férencie est l’horizontalité pour l’un et la verticalité pour l’au-
tre. Nous retrouvons tous les traits descriptifs dans une par-
faite symétrie : /bouche ouverte/, /main tenant le menton/,
/yeux fermés/. La bouche ouverte est donc un signe qui peut
, de prime abord, évoquer la joie, le bonheur mais en étu-
diant sa représentation au cours des siècles, c’est assez sur-
prenant de voir qu’il est finalement associé d’avantage plus à
l’angoisse qu’à la mort. Par exemple, chez les égyptiens, l’ou-
verture de la bouche des morts lors de leur cérémonial funé-
raire était censée permettre aux défunts de respirer et man-
ger dans le monde des morts mais aussi protéger le défunt
33
durant son trépas. Beaucoup plus récemment on peut se re-
mémorer Le crie de Munch ou encore Figure with Meat de
Francis Bacon qui sont surement deux représentations ulti-
mes de l’angoisses et de la mort, ou même le fameux masque
de la suite Scream.
Parmi les éléments participants à cette négation totale
de la mort, on retrouve l’absence systématique de solitude
par complète opposition au corpus principal. Dans la plupart
des visuels, sont présents des enfants, des couples, de la fa-
mille ou du personnel médical. D’ailleurs toujours en se dif-
férenciant du premier corpus étudié, on retrouve une grande
mixité dans la plupart des visuels, puisque sont toujours pré-
sentes plusieurs personnes. Cependant cette négation de la
mort n’empêche pas de retrouver, une fois de plus, l’inaction
totale des personnages. Ils ne font rien, si ce n’est sourire, ou-
Figure with Meat - Francis Bacon - 1954
34
vrir la bouche et être visité par leurs familles. La seul image
qui nous donne à voir des «seniors» actifs pour reprendre
son titre est celle de ce salon, qui tombe directement dans la
caricature en déguisant les seniors, les rendant multitâches,
changeant d’activités à chaque heure, on notera d’ailleurs la
mise en page en «horloge», des seniors sur-actifs à défaut
d’être encore dans la vie active. La caricature est un procédé
souvent utilisé quand ces visuels servent de matière pour
communiquer sur des obsèques. Par négation de la mort, on
met en scène les personnages à l’adolescence, comme dans la
publicité de Mutex qui illustre son offre Mutobsèques, avec
un couple de sexagénaire qui écoute et joue avec un ipod
dans un bonheur total (/bouche ouverte/) ou encore Muto
qui va encore plus loin en évoquant la sexualité des seniors
au travers d’un visuel significatif puisqu’il a perdu toute am-
biguité : une femme à la /bouche ouverte/ une fois de plus,
une bouche ornée de /rouge à lèvres écarlate/ formant un
35
triangle avec d’une part les yeux d’un homme (sûrement son
mari étant donné l’alliance) cachés par sa main (la gêne, voir
la honte) et une télécommande tenue par ce monsieur. La
télécommande, symbole phallique si l’en est, d’autant plus
qu’elle est pointée en avant par l’homme. On a une composi-
tion assez pittoresque d’une proposition clairement sexuelle
et apparemment choquante pour cette dame, que celle ci
porte sur ce qu’elle regarde ou sur ce qui lui est soumis.
Comme évoqué plus haut, malgré un effort portant
sur une de représentation de groupes, ainsi que sur une mixi-
té affichée, ce corpus n’échappe pas à un trait descriptif déjà
fortement présent dans le premier : /la solitude/. Cette fois,
d’une manière plus si l’on peut dire, puisque malgré la pré-
sence de groupes dans 55% des cas, cela n’en demeure pas
moins des groupes isolés, des groupes de vieux, ou de per-
sonnes à qui l’on vient rendre visite. Aucun d’eux n’est intégré
dans un contexte social actif, dans une famille, dans une
36
37
maison vivante ou entouré de différentes générations. Ainsi
on retrouve d’une certaine manière l’effet de décontextualisa-
tion du premier corpus, d’ailleurs cette fois 100% des visuels
sont composés de /plans serrés/ et dans 80% des cas /décon-
textualisés/.
Un autre effet pervers de cette illustration des vieux
dans notre société, est l’alimentation du mythe de la «guerre
des générations». En effet, la répétition systématique du trait
/isolé/ et /heureux/, profitant d’une retraite interminable, en
opposition à cette fameuse génération Y, présentée au travers
d’une production pléthorique de blogs et de reportages plus
clichés et douteux les uns que les autres. Ne sommes-nous
pas en train de nourrir l’opposition naissante entre une géné-
ration majoritaire (papy boomers), financée par une généra-
tion minoritaire et surtout dans un contexte économique
bien éloigné de celui des années d’après guerres ?
38
«Un seul regard venu de l'écran et posé
sur moi, tout le film serait perdu»
Roland Barthes, L'obvie de l'obtus
39
Nous allons revenir dans cette partie sur un trait des-
criptif extrêmement présent dans tout nos corpus : /le regard
caméra/. Ce que Denis Diderot appelle le quatrième mur17,
cette convention visant à préserver le réalisme de la narra-
tion est brisée dans la plupart des visuels des corpus.
C’est sûrement l’interpellation la plus intéressante de tous les
visuels puisque en brisant ce réalisme, il nous fait prendre
conscience d’une part de sa seule simulation et d’autre part
de l'intermédiaire qui existe entre nous et le sujet photogra-
phié. Ce procédé nous fait prendre conscience de la fiction,
nous empêche de nous identifier et donc nous révèle tout e
l’artificialité de cette représentation. C’est une véritable invi-
tation à la réflexion. D’ailleurs ce regard caméra qui, la plu-
part du temps, va de paire avec le /Gros plan/, appuie l’inter-
prétation de la représentation des vieux en «objet d’étude»,
puisque c’est bien au travers d’une loupe, d’un miroir en
quelque sorte, que nous regardons, tels des voyeurs, cette
40
17 Simon Dronet, « Le Regard Caméra [archive] » sur Arte, 2010
vieillesse qui nous prend à témoin, nous forçant à constater,
à prendre fait. Une seconde interprétation est très intéres-
sante puisqu’elle s’appuie sur les éléments constituant une
relation à la mort très particulière des personnages dans no-
tre premier corpus. C’est celle de la redondance de regards
caméra dans le cinéma pour marquer un étonnement tragi-
que face à une situation ou a une une folie criminelle. Une
dimension tragique de rébellion ou d’acceptation face à la
mort :
«Le regard à la caméra est un regard ambigu parce qu'il est un
compromis entre la bonne et la mauvaise rencontre. Aussi
trouvera-t-on, dans le film classique, le regard à la caméra
dans deux types de situations opposées : la rencontre amou-
reuse, et le rendez-vous avec la mort » Marc Vernet18.
En regardant la caméra le personnage s’adresse à nous, inter-
pelle une instance plus haute que lui, une instance presque
divine qu’il convoque, et qui est susceptible de régir son des-
tin. C’est finalement à la mort qu’il s’adresse.
41
18 professeur d'Histoire du Cinéma à l’université de Paris 7 et ancien di-
recteur de la Bibliothèque du Film (BIFI)
42
Interprétation
Corpus rétro
Les deux corpus précédents laissaient paraître de nombreu-
ses différences. Cependant le corpus illustratif nous offrait
surtout une accentuation de la présence des traits descriptifs
du premier corpus. Le corpus rétro quand à lui marque de
réelles différences de composition, et de représentation des
vieux dans la société. Se pencher dessus nous révèle à la fois
des informations sur la vision des «seniors» dans notre socié-
té par les générations précédentes mais aussi, par comparai-
son, sur l’évolution qui s’est produite.
43
Le sexisme est présent dans tout le corpus. En effet
60% des hommes sont seuls et les 20 autres pour cent sont
des groupes mixtes. Il n’y a donc, dans tout ce corpus, que
20% de femmes absolument seules. Si l’on remonte assez
loin dans le temps, comme le prouve cette publicité pour les
pantalons Legg il restait encore beaucoup d’efforts à faire
dans les années 90. Mais cette vision de la publicité mascu-
line est dérangeante, elle soulève une vraie question. La pu-
blicité, autrefois faîte par les hommes pour les hommes, n’a-
t-elle pas conserver ses tendances machistes dans sa com-
munication aux seniors ? La publicité engendrée par des jeu-
nes est-elle la plus adaptée pour communiquer aux seniors ?
Envisager de réintégrer l'expérience de ces fameux seniors
dans le processus de création publicitaire serait déjà une
avancée pour sortir de ces représentations inadaptées des
retraités.
44
Parmi les grandes différences qui opposent ce corpus
aux deux précédents, on retrouve l’approche de la pilosité.
On se rappelle que 80% des crânes supportés une calvitie et
que la totalité des hommes étaient parfaitement rasés. Dans
ce corpus dit rétro on retrouve cette fois 40% de barbes, et
seulement 60% d’hommes parfaitement rasés, une différence
énorme qui correspond tout simplement à la présence cette
fois d’une représentation savante des vieux.
Dans plusieurs éléments de ce corpus, c’est leur expé-
rience, leur sagesse qui est mise en avant, que cela soit pour
Eugène Poubelle comme inventeur, ou encore Victor Hugo
comme «légende» présente dans le métro. Et sans s’étendre
sur les personnages historiques, plusieurs moustaches sont
visibles dans les visuels, où le linguistique relaye cette expé-
rience, ce savoir-faire. En effet, on retrouve pour la première
fois dans l’ensemble de tous les documents, le retour des troi-
sièmes personnes, souvent au travers de groupes nominaux
et adjectivaux précis. Dans le premier corpus les pronoms
«vous, nous et eux» étaient dominants et participaient à la
fracture entre le spectateur «nous, vous» et les vieux «eux».
45
«Un pointage du doigt linguistique»
Que l’on perd totalement ici puisque, dans la plupart des vi-
suels, les personnages sont clairement identifiés et définis :
«Cette famille sicilienne» ou «ces vignerons, héritiers de 10
siècles d'expérience». Le décor ou l’on retrouve nos person-
nages à grandement changé une nouvelle fois dans ce corpus
à la différence des décors décontextualisés de nos premiers
corpus. Ici très peu de fonds photos, de textures abstraites ou
de détourages de sites e-commerce. On retrouve nos prota-
gonistes en pleine nature, ou au bord de la mer.
A Au final c’est une représentation assez réaliste de ces per-
sonnes dans leur milieu tout simplement, que cela soit dans
un restaurant, à la campagne, en croisière ou à la pêche. On
retrouve cette douce vision de l’après vie active, une retraite
paisible bercée par les loisirs, le repos et les flâneries.
Nous l’avons qu’une grande évolution s’est produite
pour la représentation des vieux dans la publicité. Et les traits
46
descriptifs les plus significatifs dans le corpus principal et le
corpus illustratif sont sûrement ceux qui ont le plus évolué et
qui témoignent le mieux, par leurs évolutions, de celle de
notre société. Il est flagrant de voir la décontextualisation qui
était minoritaire, presque absente, dans notre corpus rétro,
prendre le total contrôle des corpus contemporains. Au fil du
temps, le cadrage s’est resserré, les gros plans se sont démo-
cratisés. Puisque les plans serrés sont devenus la règle, le
contexte est très certainement devenu inutile, une économie
d’image, de frais, mais aussi de sens, puisque cela contribue à
couper ce «troisième âge» de la société moderne, active et
jeune représentée majoritairement dans la publicité. Cette
société même qui créée cette publicité. La représentation du
vieux s’est aseptisée, est devenue clinique, bien rasée, isolée.
Mais elle s’est aussi diversifiée, pour suivre rigoureusement
une vérité scientifique, en affichant seulement des femmes
seules, jamais d’hommes, et des couples et groupes parfaite-
ment mixtes.
Cependant nous avons perdu au fil du temps le dynamisme
et l'expérience de cette génération. Alors que cette notion
dominaient autrefois, c’est aujourd’hui c’est la passivité et l’at-
tentisme qui sont maîtres face à cette caméra que l’on re-
garde, en nous prenant à témoin de cette légumification des
vieux quand ils sortent, ou sont expulsés de cette “vie active”.
Et si la féminisation de cette génération et de sa représenta-
tion est une vérité, sa diversification est encore complète-
ment invisible, c’est un silence inquiétant quand à la repré-
sentation de notre société et de sa véritable diversité.
«Une diversité qui paraît disparaître
avec l’apparition de ses premières rides.»
47
Conclusion
L’analyse de ces corpus démontre clairement une re-
présentation de la vieillesse liée avec force à celle de la mort.
Si cela suit une certaine logique, c’est aussi une caricature de
cette période représentant près de 25% de la durée de vie
moyenne des français. Apparemment la retraite, fin de cette
période dite de “vie-active”, est un pléonasme tautologique
définissant par opposition la sortie comme étant la “vie-non
active” c’est à dire : la mort. Cette définition sémantique est
renforcée par l’utilisation de représentations physiques direc-
tement liées à celle de la mort : la perte des cheveux, la pâ-
leur, les positions de mains, la bouche ouverte... Autant de
signes qui se cumulent et nous offrent de véritables représen-
tations cadavériques.
Cette représentation est d’autant plus dérangeante
qu’elle est unique. En effet on a pu observer une représenta-
tion tout à fait différente dans le corpus rétro, une présenta-
tion connotant plus l'expérience, la sagesse, le vécu. Cette
représentation à totalement disparue, ce qui est d’autant plus
étonnant que la communauté des seniors est désormais ma-
joritaire et ne cesse de grandir. On nourrit alors un mythe
des guerres de générations en dévalorisant la vieillesse, en la
minimisant à un simple état pré-mortuaire, végétatif, bai-
gnant dans un confort matériel évident mais surtout dans
une solitude certaine.
C’est d’autant plus maladroitement que se crée une
représentation de la vieillesse qui se voudrait plus “dynami-
que”. Maladroitement puisque elle n’utilise pas les représenta-
tions du paradigme de la sagesse ou de l'expérience mais une
48
simple opposition symétrique à celle de la “vie-non-active”
qui domine les corpus. Une opposition par imitation de la
jeunesse, c’est la solution la plus redondante dans le corpus
principal et illustratif. Des vieux en tenue de travail, ou hy-
per-actifs, cumulant les activités d’une manière irréaliste ou
encore jouant avec des ipods dernière génération. On a donc
une représentation omniprésente de la mort qui parfois tente
de s’échapper de ce stéréotype en tentant une imitation de la
jeunesse. Ce glissement est d’autant plus dangereux qu’il
tourne parfois en dérision les seniors puisque pour imiter
cette jeunesse, il déguise, parodie et caricature. L’exemple le
plus criant est d’ailleurs la publicité Virgin qui pousse cette
représentation à son paroxysme en vieillissant de véritables
jeunes tout en gardant leurs habits, et accessoires (skate,
shorty, etc...). Ce véritable Guignol de la vieillesse est souvent
renforcé par le linguistique qui point du doigt, singularise et
participe à la satire en désignant par de simples pronoms, ou
même en se distinguant par absence totale de marque énon-
ciative, cette génération. C’est souvent une simple légende,
une étiquette impersonnelle collée à cet objet d’étude souvent
déjà rigidifié par la mort.
« Représenter l’ensemble des vieux
français, de toutes origines, participerait
à enrichir le paradigme de la francité.»
Outre la perte totale de la représentation de la sagesse
et de l'expérience, l’absence totale de visibilité des minorités
est d’une part une négation inquiétante de la réalité mais
d’autre part un véritable enjeux d’intégration. En effet si l’on
49
ne cesse de communiquer sur l’intégration des jeunes depuis
des années, cette génération qui a tout à prouver pourquoi ne
nous ne participerions pas à l’intégration en montrant celle
qui est effective. Les seniors représentant les minorités sont
présents et prouvent l’intégration, les sortir de l’invisibilité
participerait donc à leur naturalisation tout simplement.
50
51
CORPUS
PRINCIPAL
52
53
54
55
56
CORPUS
ILLUSTRATIF
57
58
59
60
CORPUS
RETRO
61
62
63
64

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  • 1. ADRIEN COLOMBIÉ LES VIEUX DANS LA PUB Un mémoire gérontologique
  • 2. Un grand merci à O.H, S.L, E.B et S.D 2
  • 3. Introduction Présentation Ce 11 Mars 2013 vient d’être remis au premier minis- tre un rapport sur «L’adaptation de la société au vieillisse- ment : année zéro»1 rédigé par Luc Broussy. Ce titre en dit long sur l’état de notre relation aux populations vieillissantes. Cette problématique est devenue un véritable enjeu sociétal puisque d’ici à 2050 la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans devrait passer dans les pays développés de 20 à 30% de  la population.2. Il est évident que notre société a souffert de grandes mutations durant ces dernières décades, par exemple l’explo- sion et la diversification des modèles familiaux est un fait. Si la «famille traditionnelle» existe toujours elle n’a plus au- jourd’hui le monopole et chacun doit trouver sa place dans les systèmes recomposés, monoparentaux ou homosexuels. Il est abordé en permanence la problématique de l’adaptation des jeunes et des enfants autour de ces mutations, il est pour- tant admis que les nouvelles générations sont les plus sou- ples, les plus aptes à vivre ces changements dont ils sont is- sus. Mais qu’en est-il des générations précédentes ? 3 1 Rédigé par par Luc Broussy, conseiller général (PS) du Val-d'Oise et anciennement conseiller "personnes âgées" dans l'équipe du candidat- François Hollande 2 http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/03/11/vieillissement-au-dela -du-defi-financier-l-enjeu-de-societe_1846131_3224.html?xtmc=retraite s&xtcr=9 consulté le 20/03/2013
  • 4. Ces générations qui ont bâti une vie sur ces modèles, ces générations qui ont grandies et se sont construites sur des schémas qui aujourd’hui se transforment, et même parfois disparaissent. Il est évident que cette évolution de notre so- ciété a engendré une mutation du statut des «vieux». Aussi, j’utiliserais au long de ce mémoire le terme «vieux» vidé de toutes connotations péjoratives tout simple- ment par opposition à «jeunes». Si leurs statuts ont changé ces dernières années, quand est-il de leurs représentations au sein de cette société ? Cette société dont les mœurs évoluent (Légalisation du ma- riage pour tous par exemple), marquée par les évolutions technologiques, l’évolution des systèmes de communications (réseaux sociaux), mais aussi de l’organisation au sein même des familles.3. Comment les représentons-nous et comment les voyons- nous ? Que peut-on en apprendre sur l’état actuel de nos rela- tions ? Guidé par la conviction personnelle qu’une des solu- tions aux troubles sociétaux modernes est le rétablissement de figures modèles dotées d’une forte expérience : sophos en grec, ou autrement dit des sages. Nous nous sommes engagés dans cette étude sémiologique de différents corpus publici- taires. Sémiologiques puisqu’il s’agit bien de «[...] l’étude de la vie des signes au sein de la vie sociale»4, comme le définit si bien Saussure. En effet, toute la mission est de dénaturaliser 4 3 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=ip1435 4 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, p. 33
  • 5. le langage utilisé pour  dépeindre les vieux dans la publicité. Définir et décrire «le système de signification»5 utilisé pour mieux l'interpréter par la suite. Et pour ce faire nous procé- derons à une analyse systémique immanente, une méthode développée par A.-M Houdebine qui est une technique de stratification permettant d’étudier les différents éléments ico- niques et linguistiques de façon indépendante. Grâce à l’in- ventaire de ces traits descriptifs, récurrents, ou pas, à l’inté- rieur de différentes strates. Par nécessité, ma première approche a été empirico- déductive, cette démarche m’a permit de «tailler dans la masse» des nombreuses images constituant mon premier corpus. Cependant une fois plusieurs grands axes dégagés, c’est bien la poursuite d’hypothèses variées qui a guidée ma démarche : celle de l’exclusion des vieux de notre société, de la caricature de leur représentation et aussi de l’évidente déri- sion dont souffre la vieillesse. Certaines ont été vérifiées et d’autres sont apparues. Cette étude dite synchronique est basée essentielle- ment sur le corpus principal cependant certains éléments ont été mis en lumière par l’analyse diachronique du corpus dit rétro ainsi que par inter-iconisité avec le corpus dit illustratif. 5 5 R. Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Élém. de sémiologie, 1968 [1964], p. 79
  • 6. Composition des corpus ! La première difficulté qui s’est dressée face à moi est la sélection de mots-clefs pertinents pour constituer le corpus. En effet si le terme «vieux» ne donne que très peu de résultats, sûrement à cause de l’ensemble des connotations péjoratives l’entourant, d’autres termes, eux, beaucoup plus politiquement corrects sont prolifiques : «seniors» et «retrai- tés» par exemple. La seconde problématique fût celle de la sélection ou non d’un visuel représentant un vieux, ce choix est de nature personnel et subjectif, mais il a été fait en conscience de la carte forcée culturelle commune, cet ensemble de convention de nature sociale qui s’impose à nous : les rides, la couleur de cheveux etc. Une fois un ensemble d’images conséquent rassemblé (env. 100), un ensemble d’images qui nous semble représen- tatif de l’objet social étudié et permettant une véritable simu- lation in vitro, il a fallut en garantir son homogénéité en le divisant en 4 catégories : - Corpus principal : ce corpus est constitué d’images datant des dernières 15 années. - Corpus rétro : constitué d’images datant de 1965 à 2000. - Corpus illustratif : ce corpus est constitué de visuels prove- nant de banques d’images. Description des corpus Ces trois corpus ont été évidemment décrits grâce à une même stratification. L’ensemble des strates a été créé en fonction de la globalité des documents et non pas seulement 6
  • 7. en fonction du corpus principal, pour assurer la pertinence de la description. De nombreuses strates sont connotées, par exemple si la strate /joyeux/ a été créée ce n’est que dans un deuxième temps et après une première description contenant : /sourire bouche fermée/, /sourire bouche ouverte/. Après analyse de l’ensemble des documents suivant ces stra- tes, j’ai donc créé, en plus, celle-ci : /joyeux/ et par opposition /fermé/ pour mieux pouvoir analyser globalement la repré- sentation de l’humeur dans mes corpus tout en gardant le détail de sa construction. De la même manière ont été regroupés tout les accessoires féminins présents : montres, colliers, bracelets, boucles d’oreilles, etc. En une seule strate : «accessoires». Ce regrou- pement permet par exemple de passer de caractères diver- gents à convergents, et ainsi de nous proposer un nouvel éclairage sur la signification de l’ornementation des corps âgés dans la publicité. Nous avons donc procédé en plusieurs temps, tout d’abord un tableau global comprenant l’ensemble exhaustif des caractères descriptifs puis la scission en trois tableaux différents, un par corpus. Après avoir méticuleusement rem- pli tous nos tableaux nous avons pu optimiser comme décrit précédemment les strates aux vues des différentes conver- gences et divergences de ces dernières. Ainsi une quarantaine de traits descriptifs ont été re- tenus et synthétisés ; l’ensemble a été conduit au moyen de tableaux descriptifs présents en annexe, et a donné un ta- bleau récapitulatif (cf/comparatif_corpus.xls) ce qui m’a permis à la fois de pouvoir dessiner scrupuleusement les ar- chétypes issus de chacun des corpus mais aussi d’en effectuer une analyse comparative et diachronique. 7
  • 8. Enfin toutes ces analyses sont appuyées par un der- nier document stratifiant le linguistique à travers les trois corpus aux vues des marques énonciatives, de la casse, de la spécialisation du temps et du champ lexical. 8
  • 9. Explication Corpus principal ! Parmi les signes convergents les plus récurrents dans ce corpus principal on découvre l’utilisation du /gros-plan/ et du /plan-américain/ de manière récurrente à un peu plus de 60%, tous deux des plans rapprochés qui «permet[tent] d'isoler les personnages les uns par rapport aux autres»6 .Ce qui est d’autant plus frappant que 60% du corpus nous offre des personnages décontextualisés, soustrait de tout décor, temps et lieu. Et si l’utilisation de la photographie est systé- matique, on note que dans 70% des cas ce sont les tons ocre et gris qui dominent l’image. Nous étudions ici un langage et il est évident que la pilosité est un outil pertinent pour dire la vieillesse, d’ailleurs 80% des personnages abordent une calvitie, des cheveux blancs ou très gris. Du côté des Femmes les cheveux courts sont à l’honneur sur plus de 90% du corpus. Mais il y n’y pas que les signes apparent qui convergent, en effet : 0% de bar- bes dans ce corpus, un rasage parfait pour chacun des prota- gonistes masculins. En matière de communication, les mains sont des organes essentiels chez l’homme, et il est évident que si la moitié de ces visuels offre des mains visibles ce n’est pas un hasard, d’ailleurs la moitié d’entre elles sont en train de tenir quelque chose ou de se tenir. 9 6 BERTHOMIEU, Essai de gramm. cin., 1946, p.39
  • 10. Le visage aussi est forcément un indicateur puissant, à fortiori, quand on sait que 60% des plans sont rapprochés. On remarque d’ailleurs que 55% des personnes présentent paraissent «joyeux»7 au sens «/sourire/+/ bouche ouverte/+/ sourcils relevés/». Et enfin, ces publicités sont une véritable ode au trio /chemise/+/gilet/+/pull/ puisque au moins un de ces habits est présent dans 60% des cas. «Aucun métis n’est présent dans ce corpus et dans les autres non plus» Après avoir étudié le corps et le comportement des vieux dans ce corpus, nous nous sommes penchés sur leur environnement. Nous avons déjà précisés que 60% des fonds étaient decontextualisés cependant ce qui est encore plus fla- grant c’est la solitude des personnages. En effet, 80% des per- sonnes âgées présentes sont seules, dans 70% des cas ce sont des femmes contre 30% d’hommes. Quelques signes divergents et périphériques sont aussi intéressants au regard des autres corpus et seront dé- taillés dans l’étude comparative, comme 50% de femmes por- tant des /accessoires/ par exemple. Nous n’oublierons pas non plus les 30% d’/auto contact/, ou les 20% de décor /sa- lon/. ! Deux points importants clôtureront cet archétype, les /regards caméras/ ainsi que le linguistique. 50% des person- nages dirigent leur regard vers la caméra, c’est à dire vers le spectateur ou le lecteur, ils nous regardent en face. Un point particulièrement intéressant est que ce regard direct coïncide 10 7 «/sourire/+/ bouche-ouverte/+/sourcils relevés/»
  • 11. parfaitement avec l’absence de marques énonciatives, très peu de «Je, Vous, Il,...» présent tout au long de ce corpus. Mais l’abondance d’infinitifs et de majuscules pour les élé- ments rédigés. 11
  • 12. Corpus illustratif ! Il me paraît important de souligner l’origine des ima- ges de ce corpus dit «illustratif», en effet si l’on ne se préoc- cupe pas dans notre démarche de la volonté du créateur, il n’en est pas moins intéressant d'être conscient des particula- rités de ce dernier. Les visuels photographiques de ces publi- cités proviennent de banques d’images, plus précisément de banques de photos. Or les photographes qui créent ces vi- suels par anticipation sont des professionnels de l’image, qui sont pleinement conscients de la force sémantique du ca- drage, des couleurs, de la composition, des objets, etc... Et à la différence des prises de vues commandé es pour la publici- té, ces visuels sont réalisés en amont, c’est de leur dimension illustrative qu’est tirée l’intitulé de ce corpus. On retrouve dans ce corpus une amplification de la présence de certaines strates du corpus principal. On obtient, par exemple, 100% de /plan serré/, qui regroupe /Plan amé- ricain/, /Portrait/ et /Gros plan/. L’image est systématique- ment centrée sur le personnage, nous ne voyons que lui, d’autant plus qu’il est cette fois décontextualisé dans plus de 80% du corpus. Il n’est nulle part, si ce n’est en face de nous, grossi, baignant dans un environnement /gris-ocre/. «Les /Hommes seuls/ rejoignent les /Métis/ dans le groupe des invisibles de ce corpus» 12
  • 13. Les /Femmes seules/ font aussi parties des strates di- vergentes puisqu’elles ne sont présentes qu’à 30% dans ce corpus. C’est en effet   la mixité qui est à l’honneur dans l’ensemble de ces documents, hommes et femmes se retrou- vent présents dans plus de 70% des visuels, cependant cela n’entraîne pas la présence supplémentaire de groupes, ces derniers sont rarissimes et composés de vieux à chaque fois accompagnés de très jeunes. On retrouve bien sur la capillarité comme signe pri- mordial à analyser dans ce corpus, et une fois de plus on constate ici l’accentuation d’un trait descriptif déjà fortement présent dans le premier corpus, puisque 90% des cheveux sont /gris/. Cette coloration de cheveux va de pair avec la /calvitie/ dans 80% des cas. Dans la catégorie pilosité, on remarquera aussi, qu’une fois de plus la totalité des hommes présents dans ce corpus sont parfaitement rasés, aucune longue barbe, mous- tache ou barbe de quelques jours. On retrouve aussi notre désormais fameux trio /Gilet chemise veste/ dans 85% du corpus, si les couleurs sont très variées on peut quand même identifier deux groupes, celui du /gris-ocre/ tout comme les fonds servant la décontextuali- sation ou bien presque diamétralement opposé les couleurs clinquantes et chaudes : rouge écarlate, orange vif et roses. D’autres signes sont parfaitement convergents, par exemple, la totalité des personnages de ce corpus paraissent «joyeux»8. Non seulement joyeux mais joyeux avec /bouche ouverte/ dans 85% des cas. Cependant, seulement un quart paraît réellement rire. 13 8 ibid. p.7
  • 14. Si les mains font toujours parties des signes conver- gents dans ce corpus dit illustratif puisqu’elles sont visibles dans trois quarts des visuels, leurs répartitions dans les diffé- rentes strates sont plus éparses, on retrouve de /l’auto-con- tact/ dans 40% des annonces, 40% aussi de contact avec une autre personne et les derniers 20% de mains visibles sont «reposées» sur un tiers. Pour conclure la description de cet archétype, nous reviendrons sur deux points. Le premier c’est l’activité des personnages, il est surprenant de découvrir que plus de la moitié sont absolument inactifs si ce n’est en train d'effectuer un /regard-caméra/ dans plus de 70% des cas. Corpus rétro Nous allons à présent tacher de dessiner l’archétype du corpus dit «rétro». Pour rappel, ce corpus est composé d’images datant de 1960 à 2000. Une majorité d’entre elles sont en noir et blanc, il n’est donc nullement pertinent de parler ici de tonalités dominantes. Une fois de plus on retrouve l’écrasante majorité de plans /serrés/ composés de plans américains et de portraits, avec 70% des cas. Ils sont tout aussi présent que dans le corpus principal, contre 30% de /plans généraux/. Il y a une différence notable sur la répartition de la présence des sexes dans ce corpus, en effet, 60% des visuels nous donnent à voir des hommes seuls ou exclusivement des hommes. Nous avons donc trois cinquièmes des visuels mo- nopolisés par les hommes. 14
  • 15. Les 40% restant se partagent équitablement entre les groupes mixtes et féminins. Autrement dit nous ne retrou- vons que 20% de présences exclusivement féminines dans ces visuels. Nous avons évoqué longuement la pilosité dans les deux corpus précédents, une fois encore ce corpus rétro se détache puisque contrairement aux deux autres nous retrou- vons des hommes dotés de barbes ou de moustaches, et dans des proportions plutôt importantes puisque il s’agît de près de 40% contre 0% dans les corpus illustratifs et principaux. On peut constater aussi la nette diminution du pourcentage de calvitie parmi les vieux présents dans ce corpus, nous des- cendons à 55% des personnes, et toutes vont de pair avec des cheveux blancs ou gris. ‘‘ Si c’est bien le corpus principal qui nous offre l’analyse synchronique la plus intéressante, prendre en considéra- tion l’évolution de certaines strates nous apportent des informations réellement pertinentes.’’ 15
  • 16. Un proportion intéressante ici encore est la décontextualisa- tion qui devient un paramètre divergent puisque présent cette fois dans 35% des cas. Les 65% restant se partagent en- tre des intérieurs : lit, salon ou restaurant, et de grands exté- rieurs : champs et bords de mers. Ils ne sont pas, pour beaucoup, ancrés dans un contexte ou un environnement sans aucun but, ils y sont actifs, en action. Une fois de plus nous retrouvons notre /regard camé- ra/ dans plus de 75% des visuels. Enfin, un ensemble de si- gnes divergents font paraître les vieux de ce corpus plus «fermés», en effet, le cumul des /bouches fermées/, de l’ab- sences de /sourires/, de /bouches ouvertes/ ou de /rires/ pourraient créer une strate convergente nous indiquant un proportion importante de vieux non «joyeux» dans ce corpus. 16
  • 17. Étude comparative Parmi les traits descriptifs qui ont permis de décryp- ter ces archétypes, certains ont évolué grandement au cours du temps, et ceux qui ont le plus évolué correspondent étrangement aux strates les plus significatives de cette étude. On retrouve par exemple la présence de /plans serrés/ dans la totalité des visuels pour le corpus illustratif, dans 70% des visuels pour le corpus principal et 60% dans le corpus rétro. La décontextualisation aussi est un paramètre qui a évolué puisque si elle varie de 70 à 80% des cas pour nos deux corpus contemporains, ce n’est vrai que pour 35% des images du corpus rétro. On retrouve aussi cette opposition entre nos deux corpus, illustratif et principal, sur le thème de la pilosité, dans ces deux derniers 100% des hommes sont bien rasés tandis que dans le corpus rétro ce rapport descend à 60%. La solitude que nous avons évoquée pour  le corpus principal puisqu’elle était présente dans 70% des cas est beaucoup moins remarquable dans les deux autres corpus puisqu’elle n’y varie de 40 à 50 %. Une certaine inversion de la répartition des sexes est aussi remarquable entre le corpus principal et le corpus rétro. Ce dernier nous présentait plus de la moitié d’hommes seuls, et aujourd’hui dans le corpus principal, c’est 50% de femmes seules que nous observons. En revanche s’il y a bien une absence d’évolution qui est notable c’est celle de la présence des minorités dans l’ensemble de ces corpus. Aucun métis n’est visible dans cette centaine de documents. 17
  • 18. Enfin une autre évolution est notable, celles de l’hu- meur, puisque si l’ensemble de signifiants regroupé sous la strate «joyeux» est présent dans 85% des visuels dans le corpus illustratif, ce n’est le cas que pour 30 et 15% dans le corpus principal et 15% dans celui dit rétro. Cette chute notable est similaire à celle liée à l’activité des personnages puisque dans le corpus principal, ils ne font rien dans 85% des visuels contrairement aux deux autres corpus ou ce pourcentage descend à 50 et 45%. Étude linguistique L'interprétation ne scindera pas le linguistique et les traits descriptifs les plus révélateurs mais dans le soucis de définir des archétypes précis et clair nous revenons ici dé- tailler les différentes caractéristiques définissant les éléments textuels dans ces corpus. Dans le corpus principal c’est la présence d’infinitifs en majorité qui est marquante. En effet, la quasi-totalité des verbes ne sont pas conjugués et cette particularité coïncide presque systématiquement avec la présence de majuscules et l’absence de marques énonciatives. On remarquera aussi la redondance de la dérision : «Ne vieillissez pas trop vite» pour Virgin ou encore «Tout le monde peut jouer aux courses» dixit “les vieux” pour le PMU. Dans le corpus illustratif, c’est l’infinitif et le vou- voiement qui sont les plus présents et qui offrent une grande convergence, à l’inverse du corpus rétro qui est dominé par l’emploi des 3ème personnes («ils», «elles»). Notons que cette désignation au tiers est totalement absente des autres corpus. 18
  • 19. Interprétation Corpus principal La représentation de la pilosité dans ce corpus nous révèle beaucoup d’informations. Tout d’abord chez les hommes puisque 80% des personnages abordent une calvitie, or la capillarité porte un ensemble conséquent de connotations. Rappelons-nous de l’histoire de Samson l’Israélite9 qui révéla à Dalila que sa force lui venait de ses cheveux, cette force qu’il perdit une fois que Dalila l’eu trahit et lui coupa ses 7 tresses. De la même manière ici, les vieux, dévitalisés, se re- trouvent la plupart sans cheveux. Cette représentation quasi systématique est d’autant plus violente qu’elle est encore au- jourd’hui liée à la santé physique et émotive, puisque la chute de cheveux peut être engendrée par des périodes de stress, de maladie (chimiothérapie) et de grandes anxiétés comme la trichotillomanie. Chez les hommes on constate l’absence to- tale de barbe ou de moustache. Cet élément était pourtant très présent ces dernières années comme véritable accessoire de mode masculin10, un symbole de virilité et de force que l’on retrouve sur la majorité des dieux grecs, dieux puissants et sages, dont le plus mythique et dominant, Zeus, voit sa représentation indubitablement liée à une forte pilosité, de par sa barbe et ses cheveux. 19 9 http://fr.wikipedia.org/wiki/Dalila_(Bible) 10 http://www.lexpress.fr/tendances/soin-homme/le-triomphe-de-la- barbe_1216050.html
  • 20. Or dans notre corpus tout ces «seniors» sont parfaitement apprêtés, rasés de près, d’une part n’affichant ainsi aucun lais- sez-aller, aucune faiblesse, mais aussi aucune vitalité puisque cette préparation quasi chirurgicale n’est pas sans nous laisser penser aux préparations mortuaires, une véritable thanato- praxie visuelle. C’est la combinaison de ces deux représenta- tions, le crâne chauve et l’absence de pilosité faciale, qui con- fèrent cet aspect mortifère à la plupart des représentations masculines de ce corpus. Interprétant externe - Le crâne Francois Berton - Une autre représentation possible 20
  • 21. On notera aussi que cette absence totale de longues barbes, ou de grandes moustaches s’accompagne de la disparition de la symbolique du savant, de l’érudit, de ces personnages chargés de connaissances et d'expériences. Il y a une véritable réduction à l’image pré-mortelle du corps et plus aucune représentation d’autres attributs liés à l’âge, ceux des connaissances, du vécu et de la sagesse. Chez les femmes, cette représentation n’en est pas moins chargée de sens. La chevelure est indéniablement as- sociée à l’attrait sexuel. Dans la Grèce antique, les jeunes filles portaient les cheveux longs en signe de leur virginité et de leur vigueur sexuelle11. D’ailleurs aujourd'hui encore les ca- tholiques pratiquantes devraient se couvrir la tête pour ne pas donner “envie aux anges” ou pour les musulmanes, ca- cher leur chevelure est une règle. Or nous remarquons que la plupart des femmes portent des cheveux courts, une vérita- ble masculinisation de leur identité sexuelle, donc une perte même de la connotation de sensualité. Les femmes perdent alors leur féminité et donc inévitablement leur sexualité. L’image de la sexualité féminine ou masculine est absente de ce corpus, une fois de plus la représentation du corps est mortuaire, vidé de son expérience, de sa sexualité, un corps marqué et prêt à trépasser. Mais en aucun cas un corps char- nel soumis comme les autres au désir et la sexualité. Les rares personnes affichant encore une pilosité capillaire consé- quente sont dotées de teintes artificielles, criardes, en totale opposition aux couleurs naturelles de cet âge. C’est encore une fois, un rappel de la thanatopraxie qui se pointe à l’hori- zon, une ultime préparation mortuaire. 21 11 Les Cheveux, Françoise A. Cloutier, psychanalyste Jungienne - http://www.alchymed.com/articles_impr.asp?id_article=1249
  • 22. Les mains sont sûrement l’organe du corps qui dis- pose de la palette d’action la plus large. Elles témoignent aussi d’une manière immédiate du «avoir-fait» et du savoir faire. La langue française nous offre d’ailleurs un nombre in- calculable d’expressions contenant le mot «main» et souvent pour parler d’un comportement beaucoup plus général : «Avoir la main lourde, malheureuse, sûre, verte, libres ou liées» c’est une liste sans fin. La main est considérée comme un outils primordiale : «préférer se couper une main que de [...]». Tout au long de notre corpus la main est utilisée comme une véritable métonymie de la vieillesse. Une méto- nymie euphémisante, nous incitant à oublier les autres signes de la vieillesse, ne les représentant pas et ainsi hiérarchisant leurs noblesses. Cependant il est très intéressant d’analyser plus en profondeur cette métonymie, puisque par définition elle représente ainsi une partie par le tout. Nous avons donc dans cette représentation des mains, une représentation du corps tout entier. 22
  • 23. Les mains sont sûrement l’organe du corps qui dis- pose de la palette d’action la plus large. Elles témoignent aussi d’une manière immédiate du «avoir-fait» et du savoir faire. La langue française nous offre d’ailleurs un nombre in- calculable d’expressions contenant le mot «main» et souvent pour parler d’un comportement beaucoup plus général : «Avoir la main lourde, malheureuse, sûre, verte, libres ou liées» c’est une liste sans fin. La main est considérée comme un outils primordiale : «préférer se couper une main que de [...]». Tout au long de notre corpus la main est utilisée comme une véritable métonymie de la vieillesse. Une méto- nymie euphémisante, nous incitant à oublier les autres signes de la vieillesse, ne les représentant pas et ainsi hiérarchisant leurs noblesses. Cependant il est très intéressant d’analyser plus en profondeur cette métonymie, puisque par définition elle représente ainsi une partie par le tout. Nous avons donc 23
  • 24. dans cette représentation des mains, une représentation du corps tout entier.«Il déclara que chacun arriverait à la Val- halle avec les richesses qui avaient été placées à ses côtés sur le bûcher, [..]»12. Tout au long de ce corpus les femmes sont af- fublées d’ornements extrêmement visibles comme déjà pré- parées pour leur dernier voyage. Un des bijoux particulière- ment redondant est la fameuse perle , or la présence de per- les en contexte funéraire était déjà attestée dans la région du Golfe Persique et de l’océan indien après le Ve millénaire avant J.-C13. Les perles sont des attributs blancs, nacrés, une fois de plus pâles comme le teint de leurs propriétaires, des éléments minéraux qui vont se confondre avec l’état du corps après des années de décomposition, c’est à dire des os. Les attributs présents, la position des mains, la méto- nymie euphémisante et leur inactivité sont autant d’indices, de signes à décrypter pour appréhender ces représentions des vieux presque systématiquement, non pas, à une marche de la mort, mais déjà trépassés. Dans cette partie je reviendrai sur la représentation des personnages dans leurs contextes, plusieurs éléments sont intéressants à analyser. Tout d’abord un fait scientifique qui est représenté avec une étonnante justesse dans l’ensemble de notre corpus : la longé- vité des femmes. En effet, en France comme dans la majorité des pays, les femmes ont une espérance de vie bien supé- rieure à celle des hommes : 78,1 pour les hommes contre 24 12 Saga des Ynglingar, chapitre 86 - Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège, 13 V. Charpentier, C. S. Phillips and S. Méry, "Pearl Fishing in the Ancient world: 7500 BP", in Arabian archaeology and Epigraphy 23, 2012, p. 1-6.
  • 25. 84,8 chez les femmes14. Cette vérité présente dans la publicité est d’autant plus intéressante qu’elle n’a pas toujours été véri- fiée (Cf. étude comparative). On notera avec un certain amu- sement la capacité à dépasser plus rapidement les tendances machistes quand elle est liée à une potentielle efficacité mer- cantile. L’analyse du contexte dans lequel sont représentés nos «seniors» nous donnent énormément d’informations quand à leurs places dans notre société. 70% des visuels sont decontextualisés, extirpés de tout ancrage réaliste. Les vieux sont représentés hors de notre réalité, ils n’appartiennent ap- paremment plus au même monde que nous. Cette vision est appuyée par les éléments linguistiques. En effet pour chacun des visuels decontextualisés, on remarque l’absence automa- tique de marques d’énonciations. On se s’adresse pas à eux et eux ne s’adressent pas à nous, cela renforce cette décontex- tualisation, cet éloignement entre leur monde et le nôtre. Il est réellement surprenant que la décontextualisation et l’ab- sence de marque énonciative coïncide aussi parfaitement avec la présence de lettres capitales. Les majuscules par op- position aux minuscules sont beaucoup plus impersonnelles, ce ne sont pas les lettres du prénom, ni de l’écriture courante. On utilise les majuscules pour un nom de lieu, une institu- tion, ou dans notre ère numérique pour simuler l’élévation de voix. C’est à dire un ton de voix éloigné par opposition au chuchotement qui se fait de près. On n’utilise donc pas de pronom, tout en parlant ou faisant parler de loin dans l’ab- sence de contexte et de décor ancré s dans notre réalité. Cette représentation participe à la marginalisation du troisième âge, une véritable distanciation est créée. 25 14 Chiffres Organisation mondiale de la santé (OMS), 2003
  • 26. «Même si ces visuels ne sont que des illu- sions du réel, ils placent les signes iconi- ques dans un contexte, or son absence, cette décontexualisation, participe à pervertir notre vision et donc notre rela- tion aux seniors dans la société.» D’ailleurs outre l’absence de marque d'énonciation, on remarque l'utilisation de nombreuses phrases descripti- ves. Ce sont de véritables légendes parfois réduites au simple mot : «grisonnante» vs «séduisante» ou au simple pronom réducteur et moqueur : «les enfants méritent mieux que ça», «ça» désignant les grand-parents... Cette dérision est souvent présente, soit en appuyant sur la sénilité des personnes âgées : «Tout le monde peut jouer aux courses», “même” désignant le personnage que l’on vous donne à voir : un vieux. Ou, sans aucun détour, sur l’insupportabilité de leur présence : «Les frites de Mamie sans aller voir Mamie» sans oublier la réduc- tion terrible de la grand-mère à une machine de cuisine, un robot à nourritures mais dont on ne supporterai pas même la présence. C’est Dove qui nous assène le coup de grâce en révé- lant le secret de polichinelle de la représentation des vieux dans la pub. En effet, en inscrivant : «Trop vieille pour une publicité anti-âge» elle définie, en jouant avec, une limite à la tolérance de l’image du vieux. Cette personne est «encore» affichable, mais elle pourrait ne plus l’être. Elle ne deviendrait plus montrable pour une publicité, une publicité anti-âge certes, mais alors pour quelle type de communication ? 26
  • 27. Pourtant, il est réellement possible d’utiliser les même codes, la métonymie de la vieillesse par les mains, la décontexualisation et même le linguistique impersonnel pour parler d’une manière diamétralement opposée du troi- sième âge. Par exemple la RATP qui utilise avec finesse ces codes en re- layant habilement l’iconographie avec le nom d’une station de la ligne de métro «Arts et Métiers», elle même présente sur sa “ligne de vie” qui se situe littéralement dans la paume de la main de cet homme, ouverte vers nous, tendue vers le haut, prête à saisir notre propre main pour parcourir «Un bout de chemin ensemble», la baseline de la RATP. On re- marquera ici l’utilisation d’un trait descriptif rare dans ce corpus : l’utilisation de minuscules, plus personnelles, plus chaleureuses, d’ailleurs en gras pour une fois de plus relayer cette proximité. Cette image nous présente un autre ensem- ble de traits descriptifs convergents : les plans serrés, qui re- 27
  • 28. groupent les /Gros plans/ et les /Plans américains/ présents dans 70% des visuels de ce corpus. Si ici ils renforcent la mé- tonymie de la vieillisse, ils accentuent souvent, dans les au- tres visuels, la transformation du personnage en objet d’étude, un cliché descriptif, dans lequel le spectateur peut créer une identification mais aussi un rejet face aux codes mortifères décryptés plus haut. Par exemple la RATP qui utilise avec finesse ces codes en relayant habilement l’iconographie avec le nom d’une sta- tion de la ligne de métro «Arts et Métiers», elle même pré- sente sur sa “ligne de vie” qui se situe littéralement dans la paume de la main de cet homme, ouverte vers nous, tendue vers le haut, prête à saisir notre propre main pour parcourir «Un bout de chemin ensemble», la baseline de la RATP. On remarquera ici l’utilisation d’un trait descriptif rare dans ce corpus : l’utilisation de minuscules, plus personnelles, plus chaleureuses, d’ailleurs en gras pour une fois de plus relayer cette proximité. Cette image nous présente un autre ensem- ble de traits descriptifs convergents : les plans serrés, qui re- Gros plan dans Old Boy de Park Chan Wook 28
  • 29. groupent les /Gros plans/ et les /Plans américains/ présents dans 70% des visuels de ce corpus. Si ici ils renforcent la mé- tonymie de la vieillisse, ils accentuent souvent, dans les au- tres visuels, la transformation du personnage en objet d’étude, un cliché descriptif, dans lequel le spectateur peut créer une identification mais aussi un rejet face aux codes mortifères décryptés plus haut. En effet, les traits, les émotions, les rides sont visibles dans leurs moindres détails. C’est la vision au travers d’une loupe, une vision d’autopsie qui crée un véritable dénie d’humanité puisqu’on en perd la majorité des caractéristi- ques particulières qui définissent l’appartenance à cet en- semble. Une réification d’autant plus dangereuse qu’elle est parfois plus que douteuse comme dans le visuel qui nous of- fre le gros plan d’une grand-mère maquillée à outrance15 (i- bid), un vrai bonbon synthétique préparé pour son dernier voyage, léchée par un chien, une vision cadavérique (une fois de plus les perles) et scatophile de cette pauvre vieille mamie. Les codes vestimentaires accentuent cet effet de dé- guisement que l’on le peut retrouver assez majoritairement chez les femmes avec leur maquillage et accessoires. Chez les hommes aussi on constate que la plupart d’entre eux sont en- core en habits de travail, le trio Chemise, Veste, Gilet est re- dondant et contradictoire, il est clair que ces personnes ne sont plus dans la vie active, et en sont complètement décon- textualisées. Alors que signifie ce déguisement ? On peut re- penser à cette préparation mortuaire, ces habits de cérémo- nie, mais aussi à l’impossibilité de les lier au monde actuel et donc la tentative de se raccrocher aux accessoires de modes et aux vêtements. Ils sont finalement d’autant plus coupés de 29 15 ibid. p.7
  • 30. la l’époque contemporaine par un affublage décalé de leur statut réel. La publicité met en visibilité et de ce fait créé les invisibles, les marginaux. Si la publicité se pose comme imi- tation du réel, un miroir de notre société, c’est donc elle aussi qui définit ce qui est hors du miroir, hors de la société. Et beaucoup d’invisibles sont créés dans ce corpus. Tout d’abord les métis sont complètement absents de ce corpus, (un seul visuel) et c’est ici une véritable question de société. Quand on s’interroge encore et encore sur l’insécuri- té et l’intégration, n’est il pas problématique de le faire seule- ment par les nouvelles générations ? Ne serait-il pas juste, plus pertinent d’afficher cette intégration déjà présente par le haut, par les générations ancrées dans n’importe quel quoti- dien de n’importe quel citoyen sur le sol français ? Ou sont les citoyens intégrés depuis des décades et pourtant absents des publicités ? N'achètent-ils pas de lunettes ? Ne souscri- vent-il pas d’assurances familiales ? Ne souffrent-ils pas d’Alzheimer comme tout le monde ? Mettre en lumières des générations qui doivent faire leurs preuves, et cela est vrai quelque soit leurs origines, nourrit un cercle vicieux inépui- sable. Il paraît pourtant logique de chercher des preuves de notre actuel mixité dans les groupes sociaux déjà établis. Parmi les invisibles on retrouve aussi les homosexuels qui ne sont absolument pas représentés et pourtant qui constituent une fois de plus une vérité sociétale comme en témoigne par exemple Les Invisibles16, un film documentaire de Sébastien Lifshitz. Enfin dans les invisibles se cachent aussi des con- cepts, comme celui de la famille, des liens de filiation et 30 16 Les Invisibles est un film documentaire français écrit et réalisé par Sé- bastien Lifshitz en 2012.
  • 31. même du couple. Dans 70% des visuels, les personnages sont seuls, isolés. Une double solitude, celle du décor, mais aussi de la vie, l’absence d’enfants, de partenaires, de familles ou d’amis est le point d’orgue de l’ensemble des interprétations précédentes, c’est ce trait descriptif qui affirme et appuie l’in- terprétation en objet mortuaire, un objet d’étude, légendé par quelques mots impersonnels, des lettre capitales greffés à des visuels cadavériques dans lesquelles les personnages sont in- animés, sans vie et étiquetés. Des personnes pour lesquelles d’ailleurs on nous demande notre avis, quasi divin, un droit de vie ou de mort qui ne leur appartient plus, puisque on nous interroge sans détours : «Qu’en pensez-vous ?» 31
  • 32. Interprétation Corpus Illustratif La représentation des vieux dans le corpus illustratif est en grande partie une accentuation des traits descriptifs conver- gents du corpus principal. On retrouve cette fois dans la tota- lité des visuels des plans serrés et dans 80% des visuels une décontextualisation des personnages comme en témoigne cette image par exemple. On retrouve aussi d’une manière accentuée la pré- sence de chauves et de calvities dominantes dans tout le corpus. C’est aussi frappant de voir de quelle manière, dans l’ensemble de ces visuels, le code vestimentaire reste lié à celui du monde du travail, les chemises et les vestes parais- sent obligatoires pour les retraités, comme pour créer un lien 32
  • 33. avec une vie active fictive. D’ailleurs une fois de plus, la «lé- gende» de cet objet d’étude qu’est «Michel», le définit comme un retraité actif, une oxymore puisque par définition la re- traite, est l’extraction de la vie active non pas pour la mort comme on pourrait le croire mais simplement pour un autre style de vie. C’est d’ailleurs tout l’attrait de ce corpus, la négation permanente de la mort et de la perte. Cependant c’est en voulant s’éloigner d’une manière diamétralement opposée de la mort, que sa représentation apparaît souvent maladroite et parfois particulièrement perverse. Un des traits descriptifs qui en souffre est la /bouche ouverte/. En effet, dans 85% des visuels, les personnages ont la bouche ouverte. Si l’on peut, en première intention, apparenter cette représentation à celle du bonheur, d’autant qu’elle est souvent accompagnée de ri- res, il est alors intéressant de faire intervenir le premier corpus, et c’est d’ailleurs ici que l’analyse comparative révèle toute sa pertinence. L’analogie entre les deux images précé- dentes est assez stupéfiante puisque la seule chose qui les dif- férencie est l’horizontalité pour l’un et la verticalité pour l’au- tre. Nous retrouvons tous les traits descriptifs dans une par- faite symétrie : /bouche ouverte/, /main tenant le menton/, /yeux fermés/. La bouche ouverte est donc un signe qui peut , de prime abord, évoquer la joie, le bonheur mais en étu- diant sa représentation au cours des siècles, c’est assez sur- prenant de voir qu’il est finalement associé d’avantage plus à l’angoisse qu’à la mort. Par exemple, chez les égyptiens, l’ou- verture de la bouche des morts lors de leur cérémonial funé- raire était censée permettre aux défunts de respirer et man- ger dans le monde des morts mais aussi protéger le défunt 33
  • 34. durant son trépas. Beaucoup plus récemment on peut se re- mémorer Le crie de Munch ou encore Figure with Meat de Francis Bacon qui sont surement deux représentations ulti- mes de l’angoisses et de la mort, ou même le fameux masque de la suite Scream. Parmi les éléments participants à cette négation totale de la mort, on retrouve l’absence systématique de solitude par complète opposition au corpus principal. Dans la plupart des visuels, sont présents des enfants, des couples, de la fa- mille ou du personnel médical. D’ailleurs toujours en se dif- férenciant du premier corpus étudié, on retrouve une grande mixité dans la plupart des visuels, puisque sont toujours pré- sentes plusieurs personnes. Cependant cette négation de la mort n’empêche pas de retrouver, une fois de plus, l’inaction totale des personnages. Ils ne font rien, si ce n’est sourire, ou- Figure with Meat - Francis Bacon - 1954 34
  • 35. vrir la bouche et être visité par leurs familles. La seul image qui nous donne à voir des «seniors» actifs pour reprendre son titre est celle de ce salon, qui tombe directement dans la caricature en déguisant les seniors, les rendant multitâches, changeant d’activités à chaque heure, on notera d’ailleurs la mise en page en «horloge», des seniors sur-actifs à défaut d’être encore dans la vie active. La caricature est un procédé souvent utilisé quand ces visuels servent de matière pour communiquer sur des obsèques. Par négation de la mort, on met en scène les personnages à l’adolescence, comme dans la publicité de Mutex qui illustre son offre Mutobsèques, avec un couple de sexagénaire qui écoute et joue avec un ipod dans un bonheur total (/bouche ouverte/) ou encore Muto qui va encore plus loin en évoquant la sexualité des seniors au travers d’un visuel significatif puisqu’il a perdu toute am- biguité : une femme à la /bouche ouverte/ une fois de plus, une bouche ornée de /rouge à lèvres écarlate/ formant un 35
  • 36. triangle avec d’une part les yeux d’un homme (sûrement son mari étant donné l’alliance) cachés par sa main (la gêne, voir la honte) et une télécommande tenue par ce monsieur. La télécommande, symbole phallique si l’en est, d’autant plus qu’elle est pointée en avant par l’homme. On a une composi- tion assez pittoresque d’une proposition clairement sexuelle et apparemment choquante pour cette dame, que celle ci porte sur ce qu’elle regarde ou sur ce qui lui est soumis. Comme évoqué plus haut, malgré un effort portant sur une de représentation de groupes, ainsi que sur une mixi- té affichée, ce corpus n’échappe pas à un trait descriptif déjà fortement présent dans le premier : /la solitude/. Cette fois, d’une manière plus si l’on peut dire, puisque malgré la pré- sence de groupes dans 55% des cas, cela n’en demeure pas moins des groupes isolés, des groupes de vieux, ou de per- sonnes à qui l’on vient rendre visite. Aucun d’eux n’est intégré dans un contexte social actif, dans une famille, dans une 36
  • 37. 37
  • 38. maison vivante ou entouré de différentes générations. Ainsi on retrouve d’une certaine manière l’effet de décontextualisa- tion du premier corpus, d’ailleurs cette fois 100% des visuels sont composés de /plans serrés/ et dans 80% des cas /décon- textualisés/. Un autre effet pervers de cette illustration des vieux dans notre société, est l’alimentation du mythe de la «guerre des générations». En effet, la répétition systématique du trait /isolé/ et /heureux/, profitant d’une retraite interminable, en opposition à cette fameuse génération Y, présentée au travers d’une production pléthorique de blogs et de reportages plus clichés et douteux les uns que les autres. Ne sommes-nous pas en train de nourrir l’opposition naissante entre une géné- ration majoritaire (papy boomers), financée par une généra- tion minoritaire et surtout dans un contexte économique bien éloigné de celui des années d’après guerres ? 38
  • 39. «Un seul regard venu de l'écran et posé sur moi, tout le film serait perdu» Roland Barthes, L'obvie de l'obtus 39
  • 40. Nous allons revenir dans cette partie sur un trait des- criptif extrêmement présent dans tout nos corpus : /le regard caméra/. Ce que Denis Diderot appelle le quatrième mur17, cette convention visant à préserver le réalisme de la narra- tion est brisée dans la plupart des visuels des corpus. C’est sûrement l’interpellation la plus intéressante de tous les visuels puisque en brisant ce réalisme, il nous fait prendre conscience d’une part de sa seule simulation et d’autre part de l'intermédiaire qui existe entre nous et le sujet photogra- phié. Ce procédé nous fait prendre conscience de la fiction, nous empêche de nous identifier et donc nous révèle tout e l’artificialité de cette représentation. C’est une véritable invi- tation à la réflexion. D’ailleurs ce regard caméra qui, la plu- part du temps, va de paire avec le /Gros plan/, appuie l’inter- prétation de la représentation des vieux en «objet d’étude», puisque c’est bien au travers d’une loupe, d’un miroir en quelque sorte, que nous regardons, tels des voyeurs, cette 40 17 Simon Dronet, « Le Regard Caméra [archive] » sur Arte, 2010
  • 41. vieillesse qui nous prend à témoin, nous forçant à constater, à prendre fait. Une seconde interprétation est très intéres- sante puisqu’elle s’appuie sur les éléments constituant une relation à la mort très particulière des personnages dans no- tre premier corpus. C’est celle de la redondance de regards caméra dans le cinéma pour marquer un étonnement tragi- que face à une situation ou a une une folie criminelle. Une dimension tragique de rébellion ou d’acceptation face à la mort : «Le regard à la caméra est un regard ambigu parce qu'il est un compromis entre la bonne et la mauvaise rencontre. Aussi trouvera-t-on, dans le film classique, le regard à la caméra dans deux types de situations opposées : la rencontre amou- reuse, et le rendez-vous avec la mort » Marc Vernet18. En regardant la caméra le personnage s’adresse à nous, inter- pelle une instance plus haute que lui, une instance presque divine qu’il convoque, et qui est susceptible de régir son des- tin. C’est finalement à la mort qu’il s’adresse. 41 18 professeur d'Histoire du Cinéma à l’université de Paris 7 et ancien di- recteur de la Bibliothèque du Film (BIFI)
  • 42. 42
  • 43. Interprétation Corpus rétro Les deux corpus précédents laissaient paraître de nombreu- ses différences. Cependant le corpus illustratif nous offrait surtout une accentuation de la présence des traits descriptifs du premier corpus. Le corpus rétro quand à lui marque de réelles différences de composition, et de représentation des vieux dans la société. Se pencher dessus nous révèle à la fois des informations sur la vision des «seniors» dans notre socié- té par les générations précédentes mais aussi, par comparai- son, sur l’évolution qui s’est produite. 43
  • 44. Le sexisme est présent dans tout le corpus. En effet 60% des hommes sont seuls et les 20 autres pour cent sont des groupes mixtes. Il n’y a donc, dans tout ce corpus, que 20% de femmes absolument seules. Si l’on remonte assez loin dans le temps, comme le prouve cette publicité pour les pantalons Legg il restait encore beaucoup d’efforts à faire dans les années 90. Mais cette vision de la publicité mascu- line est dérangeante, elle soulève une vraie question. La pu- blicité, autrefois faîte par les hommes pour les hommes, n’a- t-elle pas conserver ses tendances machistes dans sa com- munication aux seniors ? La publicité engendrée par des jeu- nes est-elle la plus adaptée pour communiquer aux seniors ? Envisager de réintégrer l'expérience de ces fameux seniors dans le processus de création publicitaire serait déjà une avancée pour sortir de ces représentations inadaptées des retraités. 44
  • 45. Parmi les grandes différences qui opposent ce corpus aux deux précédents, on retrouve l’approche de la pilosité. On se rappelle que 80% des crânes supportés une calvitie et que la totalité des hommes étaient parfaitement rasés. Dans ce corpus dit rétro on retrouve cette fois 40% de barbes, et seulement 60% d’hommes parfaitement rasés, une différence énorme qui correspond tout simplement à la présence cette fois d’une représentation savante des vieux. Dans plusieurs éléments de ce corpus, c’est leur expé- rience, leur sagesse qui est mise en avant, que cela soit pour Eugène Poubelle comme inventeur, ou encore Victor Hugo comme «légende» présente dans le métro. Et sans s’étendre sur les personnages historiques, plusieurs moustaches sont visibles dans les visuels, où le linguistique relaye cette expé- rience, ce savoir-faire. En effet, on retrouve pour la première fois dans l’ensemble de tous les documents, le retour des troi- sièmes personnes, souvent au travers de groupes nominaux et adjectivaux précis. Dans le premier corpus les pronoms «vous, nous et eux» étaient dominants et participaient à la fracture entre le spectateur «nous, vous» et les vieux «eux». 45
  • 46. «Un pointage du doigt linguistique» Que l’on perd totalement ici puisque, dans la plupart des vi- suels, les personnages sont clairement identifiés et définis : «Cette famille sicilienne» ou «ces vignerons, héritiers de 10 siècles d'expérience». Le décor ou l’on retrouve nos person- nages à grandement changé une nouvelle fois dans ce corpus à la différence des décors décontextualisés de nos premiers corpus. Ici très peu de fonds photos, de textures abstraites ou de détourages de sites e-commerce. On retrouve nos prota- gonistes en pleine nature, ou au bord de la mer. A Au final c’est une représentation assez réaliste de ces per- sonnes dans leur milieu tout simplement, que cela soit dans un restaurant, à la campagne, en croisière ou à la pêche. On retrouve cette douce vision de l’après vie active, une retraite paisible bercée par les loisirs, le repos et les flâneries. Nous l’avons qu’une grande évolution s’est produite pour la représentation des vieux dans la publicité. Et les traits 46
  • 47. descriptifs les plus significatifs dans le corpus principal et le corpus illustratif sont sûrement ceux qui ont le plus évolué et qui témoignent le mieux, par leurs évolutions, de celle de notre société. Il est flagrant de voir la décontextualisation qui était minoritaire, presque absente, dans notre corpus rétro, prendre le total contrôle des corpus contemporains. Au fil du temps, le cadrage s’est resserré, les gros plans se sont démo- cratisés. Puisque les plans serrés sont devenus la règle, le contexte est très certainement devenu inutile, une économie d’image, de frais, mais aussi de sens, puisque cela contribue à couper ce «troisième âge» de la société moderne, active et jeune représentée majoritairement dans la publicité. Cette société même qui créée cette publicité. La représentation du vieux s’est aseptisée, est devenue clinique, bien rasée, isolée. Mais elle s’est aussi diversifiée, pour suivre rigoureusement une vérité scientifique, en affichant seulement des femmes seules, jamais d’hommes, et des couples et groupes parfaite- ment mixtes. Cependant nous avons perdu au fil du temps le dynamisme et l'expérience de cette génération. Alors que cette notion dominaient autrefois, c’est aujourd’hui c’est la passivité et l’at- tentisme qui sont maîtres face à cette caméra que l’on re- garde, en nous prenant à témoin de cette légumification des vieux quand ils sortent, ou sont expulsés de cette “vie active”. Et si la féminisation de cette génération et de sa représenta- tion est une vérité, sa diversification est encore complète- ment invisible, c’est un silence inquiétant quand à la repré- sentation de notre société et de sa véritable diversité. «Une diversité qui paraît disparaître avec l’apparition de ses premières rides.» 47
  • 48. Conclusion L’analyse de ces corpus démontre clairement une re- présentation de la vieillesse liée avec force à celle de la mort. Si cela suit une certaine logique, c’est aussi une caricature de cette période représentant près de 25% de la durée de vie moyenne des français. Apparemment la retraite, fin de cette période dite de “vie-active”, est un pléonasme tautologique définissant par opposition la sortie comme étant la “vie-non active” c’est à dire : la mort. Cette définition sémantique est renforcée par l’utilisation de représentations physiques direc- tement liées à celle de la mort : la perte des cheveux, la pâ- leur, les positions de mains, la bouche ouverte... Autant de signes qui se cumulent et nous offrent de véritables représen- tations cadavériques. Cette représentation est d’autant plus dérangeante qu’elle est unique. En effet on a pu observer une représenta- tion tout à fait différente dans le corpus rétro, une présenta- tion connotant plus l'expérience, la sagesse, le vécu. Cette représentation à totalement disparue, ce qui est d’autant plus étonnant que la communauté des seniors est désormais ma- joritaire et ne cesse de grandir. On nourrit alors un mythe des guerres de générations en dévalorisant la vieillesse, en la minimisant à un simple état pré-mortuaire, végétatif, bai- gnant dans un confort matériel évident mais surtout dans une solitude certaine. C’est d’autant plus maladroitement que se crée une représentation de la vieillesse qui se voudrait plus “dynami- que”. Maladroitement puisque elle n’utilise pas les représenta- tions du paradigme de la sagesse ou de l'expérience mais une 48
  • 49. simple opposition symétrique à celle de la “vie-non-active” qui domine les corpus. Une opposition par imitation de la jeunesse, c’est la solution la plus redondante dans le corpus principal et illustratif. Des vieux en tenue de travail, ou hy- per-actifs, cumulant les activités d’une manière irréaliste ou encore jouant avec des ipods dernière génération. On a donc une représentation omniprésente de la mort qui parfois tente de s’échapper de ce stéréotype en tentant une imitation de la jeunesse. Ce glissement est d’autant plus dangereux qu’il tourne parfois en dérision les seniors puisque pour imiter cette jeunesse, il déguise, parodie et caricature. L’exemple le plus criant est d’ailleurs la publicité Virgin qui pousse cette représentation à son paroxysme en vieillissant de véritables jeunes tout en gardant leurs habits, et accessoires (skate, shorty, etc...). Ce véritable Guignol de la vieillesse est souvent renforcé par le linguistique qui point du doigt, singularise et participe à la satire en désignant par de simples pronoms, ou même en se distinguant par absence totale de marque énon- ciative, cette génération. C’est souvent une simple légende, une étiquette impersonnelle collée à cet objet d’étude souvent déjà rigidifié par la mort. « Représenter l’ensemble des vieux français, de toutes origines, participerait à enrichir le paradigme de la francité.» Outre la perte totale de la représentation de la sagesse et de l'expérience, l’absence totale de visibilité des minorités est d’une part une négation inquiétante de la réalité mais d’autre part un véritable enjeux d’intégration. En effet si l’on 49
  • 50. ne cesse de communiquer sur l’intégration des jeunes depuis des années, cette génération qui a tout à prouver pourquoi ne nous ne participerions pas à l’intégration en montrant celle qui est effective. Les seniors représentant les minorités sont présents et prouvent l’intégration, les sortir de l’invisibilité participerait donc à leur naturalisation tout simplement. 50
  • 51. 51
  • 53. 53
  • 54. 54
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