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Synthèse du mémoire
« Ceux que l’on dit Roms »
au Secours catholique de Paris
Définir et nommer un public,
un enjeu politique et opérationnel de l’intervention sociale
Conservatoire National des Arts et Métiers
MASTER 2 PROFESSIONNEL
Encadrement et ingénierie de l'action sociale et de l'intervention sociale
Synthèse du mémoire
« Ceux que l’on dit Roms » au Secours catholique de Paris
Définir et nommer un public, un enjeu politique et opérationnel de l’intervention sociale
Composition du jury : Jean-Louis LAVILLE : Professeur Titulaire de la chaire
« Économie Solidaire » au Cnam, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie
économique et à l’Institut Francilien Recherche Innovation Société ; Elisabetta BUCOLO : Maître de
conférences Cnam, sociologue ; chercheur au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie
économique et au Centre de Recherche et d'intervention sur la Démocratie et l'Autonomie.
Evangeline MASSON-DIEZ : Coordinatrice Groupe Rom au Secours catholique de Paris.
Mémoire soutenu le 18 novembre 2014 - Note obtenue : 19/20
1
« Qui sont les Roms ? » Cette question autour de laquelle se sont articulés les premiers temps de
cette recherche s’est rapidement confrontée à une multiplicité d’éléments souvent apparemment
instables, contradictoires ou de natures différentes. Cette difficulté à définir le terme Rom, pourtant
indispensable dès qu’il s’agit d’aborder la dite « Question Rom », et les résultats qui en ont émergé,
nous ont amenés à nous réinterroger : « de qui parle-t-on lorsque l’on parle des Roms ? »
A partir d’une cartographie analytique des réponses possibles à cette question, nous tâcherons
d’en présenter les enjeux et les retentissements. Dans une deuxième partie, nous proposerons une
analyse de documents de travail et de documents institutionnels émis entre 1994 et 2014 par le
Secours catholique et de grands acteurs de l’intervention sociale et médico-sociale en direction des
publics dits « Roms ». Nous chercherons à restituer ce que semblent dire, dans le fonds et dans la
forme, au cours du temps, les discours de ces institutions au regard de notre grille d’analyse.
Après avoir identifié les retentissements de cette catégorisation au regard de l’analyse de la
pauvreté, nous tâcherons dans une troisième partie de comprendre en quoi elle peut impacter la
conception et la mise en œuvre de dispositifs sociaux spécifiques dont nous étudierons les apports
et les limites. Nous terminerons ce chapitre par un ensemble de propositions et de pistes de
réflexion susceptibles d’apporter une réponse à ces enjeux.
Méthodologie
L’approche méthodologique mobilisée pour la réalisation de cette recherche a tenté de définir
les éléments de caractéristiques associés aux Roms dans la société globale, et au regard des sciences
humaines. De ce fait, nous nous sommes appuyés sur des ressources de disciplines différentes, telles
que l’histoire, la littérature, l’ethnologie, le droit et la sociologie. Aux apports de ces travaux dont les
hypothèses ont été mises à l’épreuve par leurs auteurs au moyen des méthodes d’analyse
scientifique, nous avons associé l’étude d’un corpus d’articles de presse composé de 33 articles tirés
de la presse française, nationale et régionale, publiés au cours du deuxième semestre 2013 et
portant sur les Roms de manière principale. Nous nous sommes également appuyés sur une période
d’observation participante qui s’est déroulée au sein du Groupe Rom du Secours catholique de Paris
entre octobre 2013 et juillet 20141 et sur la participation à différents temps d’échanges et de
réflexion collective (Réunions d’équipe organisées par l’animatrice salariée, Séminaire « Roms »,
organisé par le Secours catholique à Evry le 4 février 2014, Séminaire « Rencontre nationale »,
organisé par le collectif Romeurope et rassemblant les associations membres, à Toulouse les 17 et 18
mai 2014). Ce mémoire s’appuie également sur différents entretiens formels, menés selon la
méthode semi-directive avec des acteurs de terrain.
2
Rom, un signifiant flottant qui fusionne ethnie et classe sociale
Perçus comme une communauté tsigane homogène, les « Roms » forment aussi le nom
d’une pauvreté spécifique
Endonyme au départ, Rom constitue de fait un terme polysémique, et apparaît comme un
signifiant flottant qui fusionne deux registres de sens, l’un ethno culturel et l’autre socio-
économique. Au sein de chaque registre, le terme renvoie à un sujet réel, souvent méconnu, et à un
objet construit, rattaché à fort réservoir de représentations. De la superposition de ces différents
registres émerge dans le discours public une figure du « Rom », que nous entourons de guillemets,
désignant simultanément une homogénéité linguistique et culturelle tsigane, une origine
géographique supposée commune, une condition sociale problématique caractérisée par la
marginalité et l’exclusion.
« Les problèmes publics ne sont ni des faits purs et durs ni des inventions de l'esprit », écrit
Daniel Cefaï lorsqu'il étudie la relation du sociologue à l'étude des problèmes publics. Identifier les
faits sociaux et représentations rattachés au signifiant Rom nous permet de constater que la
dramaturgie, ou plutôt la « configuration narrative » au sens de Daniel Cefaï, de la « Question Rom »
concentre à la fois sujet réel, objet de méconnaissance et métaphore.
Dans l’équation posée par la « Question Rom », le terme Rom n’est plus employé pour désigner
une appartenance ethno-culturelle définie mais devient le nom d’une pauvreté spécifique. Pour être
désigné comme « Rom », il n’est pas nécessaire d’être (ou de se dire) Rom, il suffit de remplir un
certain nombre de conditions socio-économiques (vie familiale en bidonville ou à la rue, économie
grise, nationalité est-européenne). Tout individu correspondant à ces critères sera identifié à la
figure du « Rom ». Autrement dit, l’appartenance visible à une condition socio-économique
engendrera un processus d’assignation ethnique, quel que soit le discours (ou le silence) de l’individu
concerné sur son appartenance réelle.
Figure centrale d'une Question Rom largement problématisée autour de l’altérité
Qu’elle incrimine la société globale dont le comportement de rejet à l’égard de cette minorité
rendrait toute intégration économique impossible, ou une culture tsigane inadaptée qui
maintiendrait par nature les individus en marge de la société globale, la « Question Rom » semble
se problématiser par l’altérité, et plus particulièrement par l’une ou l’autre des questions suivantes :
l’individu est-il pauvre parce que sa culture le rendrait naturellement déviant et inadapté, ou parce
3
que son altérité est opprimée ? En d’autres termes, l’individu est-il coupable ou victime de cette
altérité ?
Centralité de la « Question Rom », la figure du « Rom » est elle-même déclinée autour de quatre
figures : la figure de l’Autre, la figure du Misérable, la figure de la Victime, et la figure de la Déviance.
L’individu dit « Rom » sera alors associé de façon plus ou moins dominante à chacune de ces figures,
selon l’argumentation choisie pour répondre à la question posée par la « Question Rom ».
Récusation du terme Rom et transformation des paradigmes mobilisés
chez les grands acteurs de terrain
De la défense de l’altérité culturelle à la défense d’ayants-droits
L’analyse des discours émis entre 1994 et 2014 au sein du Secours catholique et d’autres
structures sociales et médico-sociales telles que Médecins du Monde ou Romeurope » permet de
constater une évolution de l’usage du terme Rom, dont finalement la récusation actuelle s’inscrit
dans une vision plus globale que le simple choix terminologique. Au cours de cette période, il est en
effet possible de détacher trois phases durant lesquelles ces acteurs opteront pour des réponses de
natures différentes.
Lors d’une première phase, ceux-ci acceptent de répondre à la problématisation posée par la
« Question Rom ». Le rejet issu de la peur de la méconnaissance de la société globale est alors
invoqué comme le principal obstacle à une bonne intégration socio-économique des populations
dites « Roms ». Sans remettre en question le principe de l’assignation ethnique, cette analyse impose
une stratégie fondée sur la lutte contre les préjugés à partir de la valorisation de la culture tsigane.
Nourrie par des représentations tsiganologiques plus ou moins fortes, cette stratégie de médiation
culturelle a pour effet pervers de confirmer l’altérité et le statut « à part » de ces populations
désignées comme « Roms ».
Après une deuxième phase où domine une volonté de normalisation des représentations
gravitant autour des populations dites « Roms » sans que la désignation ethnicisée ne soit pour
autant remise en cause, le Secours catholique et l’ensemble des acteurs cités condamnent dans une
troisième phase la vision ethniciste de la problématique dont ils récusent le paradigme, et les
termes. Particulièrement attaché à désethniciser le cadre d’analyse, le Secours catholique récuse au
4
cours de cette phase actuelle l’usage du terme Rom, objet construit, et choisit de le remplacer par
« familles vivant en rue et en bidonville ».
Une évolution partagée par d’autres grands acteurs qui réinvestit la société globale de ses
responsabilités dans la prise en charge de la grande pauvreté familiale
L’abandon du paradigme de la « Question Rom » entraîne donc une délégitimation de la figure
du « Rom », récusée au profit de la figure de l’habitant de bidonville. La récusation des termes
provenant du champ lexical ethno-culturel (Rom, campement) mobilisé par le discours public pour
désigner une forme de pauvreté spécifique traduit une volonté de quitter l’approche ethniciste de
la « Question Rom » pour politiser l’analyse de cette forme de pauvreté autour de la « Question des
bidonvilles » et « pousser les pouvoirs publics à réfléchir à une réponse sociale de droit commun à
un problème de grande précarité […], non à une réponse plus ou moins ethnique et/ou culturelle, en
tout cas spécifique à cette population parce que justement elle se dit ou nous la pensons « Roms ». »1
En insistant sur l'altérité et l'extranéité des habitants, le terme Rom invite à trouver les causes
de la « Question Rom » chez les intéressés ; tandis que le terme Bidonville, qui met en avant la
pauvreté et le mal logement, semble les rechercher au sein de la société globale. A partir de cette
approche, la défense des individus ne s’appuie plus sur la valorisation culturelle de cette identité
assignée, mais uniquement sur leur reconnaissance en tant que citoyens ayant-droits bafoués.
Enjeux opérationnels de la désethnicisation de la « Question Rom »
En quoi cette volonté politique désethnicisante et récusant apparemment l’approche spécifique
impacte elle l’action opérationnelle, dans les faits ou potentiellement ? Quels enjeux fait elle naître ?
Quelles difficultés peuvent faire obstacle au fait que les positionnements politiques et opérationnels
s’accordent de façon à former une équation logique et cohérente ? Certains intervenants en accord
avec cette analyse marquent pourtant leur malaise à abandonner le terme Rom : ce changement
terminologique ne serait-il pas une posture politiquement correcte ? Ne rélèverait-t-il pas d’une
assimilation virtuelle ?
1
SECOURS CATHOLIQUE, 2014, « Positionnement du Secours catholique sur nos actions avec ceux que l’on dit « Roms »
habitant en squats ou bidonvilles », 20 p.
5
La désethnicisation comme enjeu premier de l’intervention sociale ?
L’observation participante et les entretiens menés avec des intervenants de dispositifs dédiés
aux populations dites « Roms » montrent que les références à la culture Rom en tant qu’identité,
levier ou frein à l’accompagnement sont totalement absentes. L’accompagnement de ces publics
semble s’élaborer, comme c’est le cas pour tout accompagnement social, à partir d’une prise en
compte de chaque personne, dans sa globalité. Le fait de ne pas présupposer les individus comme
Roms n’empêche pas d’appréhender les spécificités culturelles éventuelles. Cela laisse la liberté à la
personne de les exprimer, ou de ne pas les exprimer, sans l’enfermer dans une identité, ni imposer
une prise en charge supposée adaptée à sa culture. A ce titre, le fait de ne pas désigner a priori les
personnes vivant dans une situation de pauvreté spécifique ne semble pas relever d’une posture
assimilationiste.
Ensuite, si l’abandon du terme Rom est parfois considéré comme une posture politiquement
correcte par certains intervenants, il n’en n’est rien. Cette évolution terminologique n’est pas
destinée à poser un masque nouveau sur une réalité ancienne. Elle traduit une transformation
idéologique profonde qui modifie, non pas l’apparence de cette réalité, mais le prisme d’analyse à
partir duquel nous l’observons, et cherchons à y répondre. L’assignation ethnique d’où procède la
figure du « Rom » fait naître un processus à partir duquel des individus, roms et non roms, se verront
attribuer des caractéristiques culturelles (souvent issues de représentations dépréciatives) qui
seront présentées comme les causes de leur condition socio-économique. Cette réponse implicite
et fréquente à la problématisation posée par la « Question Rom » invite à chercher les causes de
difficultés socio-économiques du côté des intéressés, et dédouane la société globale de toute
responsabilité ou nécessité de prise en charge. Elle participe également à faire de ces populations
un public à part qui nécessiterait une expertise spécifique. Quitter l’approche culturaliste induite par
la « Question Rom » et la terminologie qui la soutient permet de recentrer la problématique autour
de thématiques telles que le mal logement, la grande pauvreté, de repolitiser les modes de pensée,
et de réinscrire la légitimité de ces populations à bénéficier d’une prise en charge sociale au sein du
système global.
Cette transformation terminologique apparait donc fondamentale car elle est
symptomatique et agissante de la façon dont on analyse les choses, et donc de la manière dont on
pense pouvoir y répondre. « Rom » est devenu une catégorie performative pour désigner une forme
de pauvreté spécifique, relativement nouvelle et dont les spécificités socio-économiques sont peu
ou faiblement prises en charge par le système social et associatif actuel. L’absence de réponses
6
sociales adaptées aux spécificités de certains besoins rencontrés par cette catégorie, le rejet de
certains intervenants sociaux fondé par des représentations dépréciatives, le non recours
caractéristique des publics vivant dans la grande exclusion forment autant de facteurs de
marginalisation.
Des dispositifs spécifiques pour pallier aux lacunes du système social
La présence d’enfants et le cumul de facteurs de précarité participeront à générer des besoins
spécifiques pour lesquels les réponses du système social classique apparaissent souvent
insuffisantes ou inadaptées. Parallèlement, certains intervenants sociaux polyvalents semblent
considérer ces familles comme un public indésirable ou nécessitant une expertise hors de leur
champ d’action, ce qui participe à le maintenir éloignés du droit commun. A cela s’ajoutent les effets
de la grande pauvreté qui, imposant une vie au jour le jour, limitent les capacités de projection dans
le futur pour les individus, et contribuent aussi à les tenir à distance des dispositifs.
Ce contexte explique l’émergence de dispositifs spécifiques tels que les villages d’insertion,
la future plateforme d’information et d’accompagnement pour les habitants de bidonvilles, et le
Groupe Rom du Secours catholique. L’étude de ces dispositifs nous invite à rester vigilants sur les
effets pervers des actions dédiées : effet de nasse, concentration de population sur critères
ethnicisés, substitution à des dispositifs existant/au droit commun2.
Adapter les actions de terrain à la désethnicisation : enjeux et pistes de réflexion
Les caractéristiques socio-économiques des publics dits « Roms » continuent de générer des
besoins spécifiques nécessitant une intervention adaptée, notamment en termes d’aller-vers. Si ces
dispositifs existent aujourd’hui (par exemple, le Groupe Rom du Secours catholique de Paris), il
semble indispensable de les associer à des actions inclusives, dans un second temps.
Le projet de délégation du Secours catholique 2014/2017 a prévu d’ouvrir des antennes
d’accueil au public dans différentes zones du territoire parisien. Chaque antenne abriterait
l’ensemble des expertises et services développés par la délégation. Le Groupe Rom est, avec le
2
Ils risquent de favoriser la substitution au droit commun ou aux organismes thématiques, et génèrent un effet de nasse
pour leurs usagers, ainsi marginalisés davantage. Le terme Rom parfois accolé au nom de ces dispositifs (« Mission
Rom », « Groupe Rom »), par métonymie avec le nom de leur public comme c’est souvent le cas dans l’intervention
sociale (dispositifs « migrants », « famille », etc.) consacre, de facto, l’existence de dispositifs où des populations sont
concentrées sur critères, sinon ethniques, au moins ethnicisés.
7
Groupe Accueil de rue, la seule équipe de la délégation à n’avoir pas été inclue dans ce projet de
transformation. Cela signifie que les bénévoles ne nourrissent que peu de contacts avec les autres
équipes du Secours catholique et que les publics ne sont jamais accueillis dans ces antennes.
L’ouverture de ces lieux au public du Groupe Rom lui permettrait d’accéder aux compétences et aux
actions d’aides transversales d’une équipe pluridisciplinaire, tout en le rapprochant d’autres publics,
ce qui participerait à la normalisation des représentations qui l’entourent. Cette évolution
opérationnelle traduirait une mise en cohérence avec le positionnement politique actuellement
défendu par le Secours catholique désethnicisant et « normalisant ».
L’abandon du terme Rom, et de la vision marginalisante qu’il véhicule semble néanmoins
poser une équation complexe. Comment poursuivre une lutte contre les préjugés lorsque que ceux-
ci ciblent un objet spécifique ? Comment lutter contre une forme de rejet sans nommer l’objet qui
en est la cible ? Nous avons proposé plusieurs pistes de réflexion dans la forme complète de ce
travail. Ces pistes invitent toujours au recentrage de l’action du Groupe autour du registre de la
défense des droits sociaux et de l’objet bidonville (sensibilisation déclinée autour du parallèle socio-
historique avec les bidonvilles d’après-guerre, action de création de lien entre le bidonville et la ville
à l’instar de l’association le PEROU, par exemple).
Le recrutement des bénévoles constitue un enjeu apparemment plus difficile à maîtriser.
L’abandon de terme Rom implique de ne plus communiquer autour de la figure du « Rom ». Pourtant,
l’analyse des motivations des bénévoles montre que leur engagement est nourri par le désir d’agir
pour une « cause Rom ». Comment, dès lors, susciter l’engagement de ces personnes sans s’appuyer
sur la figure du « Rom » ? Le grand public est, par définition le creuset de recrutement de futurs
bénévoles, aussi nous pouvons imaginer qu’en restant cohérentes avec la position désethnicisante
défendue par l’association, les actions de sensibilisation réalisées autour de l’objet bidonville sauront
mobiliser ceux qui aujourd’hui s’engagent pour la « cause Rom ».
Cette proposition n’a rien d’une certitude, cependant. Cette limite de notre recherche
appellerait à un travail plus poussé permettant d’identifier des ressorts et des stratégies de
communication différents de ceux qui soutiennent aujourd’hui les modalités d’appel à volontaires
mises en œuvre par les associations. Une réflexion serait d’autant plus nécessaire à cet égard, qu’à
l’instar de toutes les actions mise en œuvre par l’association, l’existence du Groupe Rom est
totalement dépendante des ressources humaines bénévoles.

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  • 2. Conservatoire National des Arts et Métiers MASTER 2 PROFESSIONNEL Encadrement et ingénierie de l'action sociale et de l'intervention sociale Synthèse du mémoire « Ceux que l’on dit Roms » au Secours catholique de Paris Définir et nommer un public, un enjeu politique et opérationnel de l’intervention sociale Composition du jury : Jean-Louis LAVILLE : Professeur Titulaire de la chaire « Économie Solidaire » au Cnam, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique et à l’Institut Francilien Recherche Innovation Société ; Elisabetta BUCOLO : Maître de conférences Cnam, sociologue ; chercheur au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique et au Centre de Recherche et d'intervention sur la Démocratie et l'Autonomie. Evangeline MASSON-DIEZ : Coordinatrice Groupe Rom au Secours catholique de Paris. Mémoire soutenu le 18 novembre 2014 - Note obtenue : 19/20
  • 3. 1 « Qui sont les Roms ? » Cette question autour de laquelle se sont articulés les premiers temps de cette recherche s’est rapidement confrontée à une multiplicité d’éléments souvent apparemment instables, contradictoires ou de natures différentes. Cette difficulté à définir le terme Rom, pourtant indispensable dès qu’il s’agit d’aborder la dite « Question Rom », et les résultats qui en ont émergé, nous ont amenés à nous réinterroger : « de qui parle-t-on lorsque l’on parle des Roms ? » A partir d’une cartographie analytique des réponses possibles à cette question, nous tâcherons d’en présenter les enjeux et les retentissements. Dans une deuxième partie, nous proposerons une analyse de documents de travail et de documents institutionnels émis entre 1994 et 2014 par le Secours catholique et de grands acteurs de l’intervention sociale et médico-sociale en direction des publics dits « Roms ». Nous chercherons à restituer ce que semblent dire, dans le fonds et dans la forme, au cours du temps, les discours de ces institutions au regard de notre grille d’analyse. Après avoir identifié les retentissements de cette catégorisation au regard de l’analyse de la pauvreté, nous tâcherons dans une troisième partie de comprendre en quoi elle peut impacter la conception et la mise en œuvre de dispositifs sociaux spécifiques dont nous étudierons les apports et les limites. Nous terminerons ce chapitre par un ensemble de propositions et de pistes de réflexion susceptibles d’apporter une réponse à ces enjeux. Méthodologie L’approche méthodologique mobilisée pour la réalisation de cette recherche a tenté de définir les éléments de caractéristiques associés aux Roms dans la société globale, et au regard des sciences humaines. De ce fait, nous nous sommes appuyés sur des ressources de disciplines différentes, telles que l’histoire, la littérature, l’ethnologie, le droit et la sociologie. Aux apports de ces travaux dont les hypothèses ont été mises à l’épreuve par leurs auteurs au moyen des méthodes d’analyse scientifique, nous avons associé l’étude d’un corpus d’articles de presse composé de 33 articles tirés de la presse française, nationale et régionale, publiés au cours du deuxième semestre 2013 et portant sur les Roms de manière principale. Nous nous sommes également appuyés sur une période d’observation participante qui s’est déroulée au sein du Groupe Rom du Secours catholique de Paris entre octobre 2013 et juillet 20141 et sur la participation à différents temps d’échanges et de réflexion collective (Réunions d’équipe organisées par l’animatrice salariée, Séminaire « Roms », organisé par le Secours catholique à Evry le 4 février 2014, Séminaire « Rencontre nationale », organisé par le collectif Romeurope et rassemblant les associations membres, à Toulouse les 17 et 18 mai 2014). Ce mémoire s’appuie également sur différents entretiens formels, menés selon la méthode semi-directive avec des acteurs de terrain.
  • 4. 2 Rom, un signifiant flottant qui fusionne ethnie et classe sociale Perçus comme une communauté tsigane homogène, les « Roms » forment aussi le nom d’une pauvreté spécifique Endonyme au départ, Rom constitue de fait un terme polysémique, et apparaît comme un signifiant flottant qui fusionne deux registres de sens, l’un ethno culturel et l’autre socio- économique. Au sein de chaque registre, le terme renvoie à un sujet réel, souvent méconnu, et à un objet construit, rattaché à fort réservoir de représentations. De la superposition de ces différents registres émerge dans le discours public une figure du « Rom », que nous entourons de guillemets, désignant simultanément une homogénéité linguistique et culturelle tsigane, une origine géographique supposée commune, une condition sociale problématique caractérisée par la marginalité et l’exclusion. « Les problèmes publics ne sont ni des faits purs et durs ni des inventions de l'esprit », écrit Daniel Cefaï lorsqu'il étudie la relation du sociologue à l'étude des problèmes publics. Identifier les faits sociaux et représentations rattachés au signifiant Rom nous permet de constater que la dramaturgie, ou plutôt la « configuration narrative » au sens de Daniel Cefaï, de la « Question Rom » concentre à la fois sujet réel, objet de méconnaissance et métaphore. Dans l’équation posée par la « Question Rom », le terme Rom n’est plus employé pour désigner une appartenance ethno-culturelle définie mais devient le nom d’une pauvreté spécifique. Pour être désigné comme « Rom », il n’est pas nécessaire d’être (ou de se dire) Rom, il suffit de remplir un certain nombre de conditions socio-économiques (vie familiale en bidonville ou à la rue, économie grise, nationalité est-européenne). Tout individu correspondant à ces critères sera identifié à la figure du « Rom ». Autrement dit, l’appartenance visible à une condition socio-économique engendrera un processus d’assignation ethnique, quel que soit le discours (ou le silence) de l’individu concerné sur son appartenance réelle. Figure centrale d'une Question Rom largement problématisée autour de l’altérité Qu’elle incrimine la société globale dont le comportement de rejet à l’égard de cette minorité rendrait toute intégration économique impossible, ou une culture tsigane inadaptée qui maintiendrait par nature les individus en marge de la société globale, la « Question Rom » semble se problématiser par l’altérité, et plus particulièrement par l’une ou l’autre des questions suivantes : l’individu est-il pauvre parce que sa culture le rendrait naturellement déviant et inadapté, ou parce
  • 5. 3 que son altérité est opprimée ? En d’autres termes, l’individu est-il coupable ou victime de cette altérité ? Centralité de la « Question Rom », la figure du « Rom » est elle-même déclinée autour de quatre figures : la figure de l’Autre, la figure du Misérable, la figure de la Victime, et la figure de la Déviance. L’individu dit « Rom » sera alors associé de façon plus ou moins dominante à chacune de ces figures, selon l’argumentation choisie pour répondre à la question posée par la « Question Rom ». Récusation du terme Rom et transformation des paradigmes mobilisés chez les grands acteurs de terrain De la défense de l’altérité culturelle à la défense d’ayants-droits L’analyse des discours émis entre 1994 et 2014 au sein du Secours catholique et d’autres structures sociales et médico-sociales telles que Médecins du Monde ou Romeurope » permet de constater une évolution de l’usage du terme Rom, dont finalement la récusation actuelle s’inscrit dans une vision plus globale que le simple choix terminologique. Au cours de cette période, il est en effet possible de détacher trois phases durant lesquelles ces acteurs opteront pour des réponses de natures différentes. Lors d’une première phase, ceux-ci acceptent de répondre à la problématisation posée par la « Question Rom ». Le rejet issu de la peur de la méconnaissance de la société globale est alors invoqué comme le principal obstacle à une bonne intégration socio-économique des populations dites « Roms ». Sans remettre en question le principe de l’assignation ethnique, cette analyse impose une stratégie fondée sur la lutte contre les préjugés à partir de la valorisation de la culture tsigane. Nourrie par des représentations tsiganologiques plus ou moins fortes, cette stratégie de médiation culturelle a pour effet pervers de confirmer l’altérité et le statut « à part » de ces populations désignées comme « Roms ». Après une deuxième phase où domine une volonté de normalisation des représentations gravitant autour des populations dites « Roms » sans que la désignation ethnicisée ne soit pour autant remise en cause, le Secours catholique et l’ensemble des acteurs cités condamnent dans une troisième phase la vision ethniciste de la problématique dont ils récusent le paradigme, et les termes. Particulièrement attaché à désethniciser le cadre d’analyse, le Secours catholique récuse au
  • 6. 4 cours de cette phase actuelle l’usage du terme Rom, objet construit, et choisit de le remplacer par « familles vivant en rue et en bidonville ». Une évolution partagée par d’autres grands acteurs qui réinvestit la société globale de ses responsabilités dans la prise en charge de la grande pauvreté familiale L’abandon du paradigme de la « Question Rom » entraîne donc une délégitimation de la figure du « Rom », récusée au profit de la figure de l’habitant de bidonville. La récusation des termes provenant du champ lexical ethno-culturel (Rom, campement) mobilisé par le discours public pour désigner une forme de pauvreté spécifique traduit une volonté de quitter l’approche ethniciste de la « Question Rom » pour politiser l’analyse de cette forme de pauvreté autour de la « Question des bidonvilles » et « pousser les pouvoirs publics à réfléchir à une réponse sociale de droit commun à un problème de grande précarité […], non à une réponse plus ou moins ethnique et/ou culturelle, en tout cas spécifique à cette population parce que justement elle se dit ou nous la pensons « Roms ». »1 En insistant sur l'altérité et l'extranéité des habitants, le terme Rom invite à trouver les causes de la « Question Rom » chez les intéressés ; tandis que le terme Bidonville, qui met en avant la pauvreté et le mal logement, semble les rechercher au sein de la société globale. A partir de cette approche, la défense des individus ne s’appuie plus sur la valorisation culturelle de cette identité assignée, mais uniquement sur leur reconnaissance en tant que citoyens ayant-droits bafoués. Enjeux opérationnels de la désethnicisation de la « Question Rom » En quoi cette volonté politique désethnicisante et récusant apparemment l’approche spécifique impacte elle l’action opérationnelle, dans les faits ou potentiellement ? Quels enjeux fait elle naître ? Quelles difficultés peuvent faire obstacle au fait que les positionnements politiques et opérationnels s’accordent de façon à former une équation logique et cohérente ? Certains intervenants en accord avec cette analyse marquent pourtant leur malaise à abandonner le terme Rom : ce changement terminologique ne serait-il pas une posture politiquement correcte ? Ne rélèverait-t-il pas d’une assimilation virtuelle ? 1 SECOURS CATHOLIQUE, 2014, « Positionnement du Secours catholique sur nos actions avec ceux que l’on dit « Roms » habitant en squats ou bidonvilles », 20 p.
  • 7. 5 La désethnicisation comme enjeu premier de l’intervention sociale ? L’observation participante et les entretiens menés avec des intervenants de dispositifs dédiés aux populations dites « Roms » montrent que les références à la culture Rom en tant qu’identité, levier ou frein à l’accompagnement sont totalement absentes. L’accompagnement de ces publics semble s’élaborer, comme c’est le cas pour tout accompagnement social, à partir d’une prise en compte de chaque personne, dans sa globalité. Le fait de ne pas présupposer les individus comme Roms n’empêche pas d’appréhender les spécificités culturelles éventuelles. Cela laisse la liberté à la personne de les exprimer, ou de ne pas les exprimer, sans l’enfermer dans une identité, ni imposer une prise en charge supposée adaptée à sa culture. A ce titre, le fait de ne pas désigner a priori les personnes vivant dans une situation de pauvreté spécifique ne semble pas relever d’une posture assimilationiste. Ensuite, si l’abandon du terme Rom est parfois considéré comme une posture politiquement correcte par certains intervenants, il n’en n’est rien. Cette évolution terminologique n’est pas destinée à poser un masque nouveau sur une réalité ancienne. Elle traduit une transformation idéologique profonde qui modifie, non pas l’apparence de cette réalité, mais le prisme d’analyse à partir duquel nous l’observons, et cherchons à y répondre. L’assignation ethnique d’où procède la figure du « Rom » fait naître un processus à partir duquel des individus, roms et non roms, se verront attribuer des caractéristiques culturelles (souvent issues de représentations dépréciatives) qui seront présentées comme les causes de leur condition socio-économique. Cette réponse implicite et fréquente à la problématisation posée par la « Question Rom » invite à chercher les causes de difficultés socio-économiques du côté des intéressés, et dédouane la société globale de toute responsabilité ou nécessité de prise en charge. Elle participe également à faire de ces populations un public à part qui nécessiterait une expertise spécifique. Quitter l’approche culturaliste induite par la « Question Rom » et la terminologie qui la soutient permet de recentrer la problématique autour de thématiques telles que le mal logement, la grande pauvreté, de repolitiser les modes de pensée, et de réinscrire la légitimité de ces populations à bénéficier d’une prise en charge sociale au sein du système global. Cette transformation terminologique apparait donc fondamentale car elle est symptomatique et agissante de la façon dont on analyse les choses, et donc de la manière dont on pense pouvoir y répondre. « Rom » est devenu une catégorie performative pour désigner une forme de pauvreté spécifique, relativement nouvelle et dont les spécificités socio-économiques sont peu ou faiblement prises en charge par le système social et associatif actuel. L’absence de réponses
  • 8. 6 sociales adaptées aux spécificités de certains besoins rencontrés par cette catégorie, le rejet de certains intervenants sociaux fondé par des représentations dépréciatives, le non recours caractéristique des publics vivant dans la grande exclusion forment autant de facteurs de marginalisation. Des dispositifs spécifiques pour pallier aux lacunes du système social La présence d’enfants et le cumul de facteurs de précarité participeront à générer des besoins spécifiques pour lesquels les réponses du système social classique apparaissent souvent insuffisantes ou inadaptées. Parallèlement, certains intervenants sociaux polyvalents semblent considérer ces familles comme un public indésirable ou nécessitant une expertise hors de leur champ d’action, ce qui participe à le maintenir éloignés du droit commun. A cela s’ajoutent les effets de la grande pauvreté qui, imposant une vie au jour le jour, limitent les capacités de projection dans le futur pour les individus, et contribuent aussi à les tenir à distance des dispositifs. Ce contexte explique l’émergence de dispositifs spécifiques tels que les villages d’insertion, la future plateforme d’information et d’accompagnement pour les habitants de bidonvilles, et le Groupe Rom du Secours catholique. L’étude de ces dispositifs nous invite à rester vigilants sur les effets pervers des actions dédiées : effet de nasse, concentration de population sur critères ethnicisés, substitution à des dispositifs existant/au droit commun2. Adapter les actions de terrain à la désethnicisation : enjeux et pistes de réflexion Les caractéristiques socio-économiques des publics dits « Roms » continuent de générer des besoins spécifiques nécessitant une intervention adaptée, notamment en termes d’aller-vers. Si ces dispositifs existent aujourd’hui (par exemple, le Groupe Rom du Secours catholique de Paris), il semble indispensable de les associer à des actions inclusives, dans un second temps. Le projet de délégation du Secours catholique 2014/2017 a prévu d’ouvrir des antennes d’accueil au public dans différentes zones du territoire parisien. Chaque antenne abriterait l’ensemble des expertises et services développés par la délégation. Le Groupe Rom est, avec le 2 Ils risquent de favoriser la substitution au droit commun ou aux organismes thématiques, et génèrent un effet de nasse pour leurs usagers, ainsi marginalisés davantage. Le terme Rom parfois accolé au nom de ces dispositifs (« Mission Rom », « Groupe Rom »), par métonymie avec le nom de leur public comme c’est souvent le cas dans l’intervention sociale (dispositifs « migrants », « famille », etc.) consacre, de facto, l’existence de dispositifs où des populations sont concentrées sur critères, sinon ethniques, au moins ethnicisés.
  • 9. 7 Groupe Accueil de rue, la seule équipe de la délégation à n’avoir pas été inclue dans ce projet de transformation. Cela signifie que les bénévoles ne nourrissent que peu de contacts avec les autres équipes du Secours catholique et que les publics ne sont jamais accueillis dans ces antennes. L’ouverture de ces lieux au public du Groupe Rom lui permettrait d’accéder aux compétences et aux actions d’aides transversales d’une équipe pluridisciplinaire, tout en le rapprochant d’autres publics, ce qui participerait à la normalisation des représentations qui l’entourent. Cette évolution opérationnelle traduirait une mise en cohérence avec le positionnement politique actuellement défendu par le Secours catholique désethnicisant et « normalisant ». L’abandon du terme Rom, et de la vision marginalisante qu’il véhicule semble néanmoins poser une équation complexe. Comment poursuivre une lutte contre les préjugés lorsque que ceux- ci ciblent un objet spécifique ? Comment lutter contre une forme de rejet sans nommer l’objet qui en est la cible ? Nous avons proposé plusieurs pistes de réflexion dans la forme complète de ce travail. Ces pistes invitent toujours au recentrage de l’action du Groupe autour du registre de la défense des droits sociaux et de l’objet bidonville (sensibilisation déclinée autour du parallèle socio- historique avec les bidonvilles d’après-guerre, action de création de lien entre le bidonville et la ville à l’instar de l’association le PEROU, par exemple). Le recrutement des bénévoles constitue un enjeu apparemment plus difficile à maîtriser. L’abandon de terme Rom implique de ne plus communiquer autour de la figure du « Rom ». Pourtant, l’analyse des motivations des bénévoles montre que leur engagement est nourri par le désir d’agir pour une « cause Rom ». Comment, dès lors, susciter l’engagement de ces personnes sans s’appuyer sur la figure du « Rom » ? Le grand public est, par définition le creuset de recrutement de futurs bénévoles, aussi nous pouvons imaginer qu’en restant cohérentes avec la position désethnicisante défendue par l’association, les actions de sensibilisation réalisées autour de l’objet bidonville sauront mobiliser ceux qui aujourd’hui s’engagent pour la « cause Rom ». Cette proposition n’a rien d’une certitude, cependant. Cette limite de notre recherche appellerait à un travail plus poussé permettant d’identifier des ressorts et des stratégies de communication différents de ceux qui soutiennent aujourd’hui les modalités d’appel à volontaires mises en œuvre par les associations. Une réflexion serait d’autant plus nécessaire à cet égard, qu’à l’instar de toutes les actions mise en œuvre par l’association, l’existence du Groupe Rom est totalement dépendante des ressources humaines bénévoles.