Conférence de Sylvain Grisot au salon Digibat (14 juin 2018) à l'invitation de Laval Mayenne Innovation. Détecter les signaux faibles d'une ville en transitions, pour imaginer le futur possible d'un urbanisme devenu circulaire.
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Métropolisation
Evolution 2008-2013 de la population en
emploi 15-64 ans (France Stratégie)dixit.net / 2018
Evolution 2008-2013 de la population en emploi 15-64 ans (France Stratégie)
35. Bonjour, mon nom est Maël, j’ai 32 ans, et
je suis architecte au sein d’un réseau
collaboratif. Dans quelques minutes une
voiture autonome de la Coopérative va
passer pour m’emmener à la réunion de la
Métro que je dois animer, mais j’ai bien un
peu de temps pour vous raconter tout ça.
Bon je commence par où ? Depuis la
Grande Crise Agricole ? C’est à ce moment-
là que les choses ont commencé à changer
radicalement.
C’était au début des 20. Ça a commencé par
un scandale sanitaire comme il y en avait
régulièrement à l’époque : un produit
alimentaire dangereux, une maladie mal
contrôlée, puis la peur, quelques
gesticulations politiques, une nouvelle loi…
et tout était oublié un an après. Il paraît
que même les vaches devenaient folles en
ce temps-là.
Mais cette fois-ci c’était vraiment sérieux.
L’Organisation Mondiale de la Santé a
monté une nouvelle enquête sur un
produit agricole utilisé partout dans le
monde, le Glicoquelquechose. Elle a non
seulement montré qu’on déversait des
saloperies dans nos champs depuis des
années, mais que le problème dépassait
largement un produit isolé, et remettait en
cause toute la chaine de production
alimentaire.
Le choc a été massif : non seulement il a
fallu arrêter d’utiliser des produits qui
étaient devenus indispensables pour le
système productif agricole, mais il a aussi
fallu laisser reposer les terres pendant
plusieurs années avant de reprendre la
production.
Arrêt brutal de la machine agricole dans les
pays développés.
En Europe, la crise alimentaire a finalement
été moins douloureuse que prévue, grâce à
l’Afrique de l’Ouest qui a su valoriser ses
terres non polluées pour produire et
exporter massivement des denrées vers
l’Europe. C’est à ce moment-là que ma
Grand-Mère a découvert les patates douces
et le manioc, depuis elle ne s’en lasse pas.
Mais l’impact a largement dépassé le seul
secteur agricole.
La crise a fait réaliser à chacun l’importance
de ces terres, qu’on pensait juste bonnes à
occuper les ruraux dans l’année et
dépayser les urbains pendant les vacances.
Mais surtout les terres agricoles étaient
vouées à servir de zone d’extension à la
ville.
Or tout à coup ces terres étaient
redevenues vitales, d’autant plus que les
rendements sont devenus plus aléatoires
avec les techniques biologiques et le
changement climatique, et que la
population – elle - n’a pas cessé de grimper.
L’État a trainé à agir (il a surtout organisé
des colloques et réunit des commissions),
mais localement élus et citoyens se sont
mobilisés : de la grosse métropole à la plus
petite commune rurale, tous ont instauré
un moratoire sur la consommation des
terres agricoles, puis marqué
symboliquement par des plantations
d’arbres la fin de la ville, en instaurant une
limite définitive à son extension.
C’était en 2024.
C’était beau et effrayant, on se savait plus
comment faire la ville. Dans la profession
l’impact a été énorme, il a tout fallu
réinventer pour répondre aux besoins
d’habitat, de commerce, de développement
économique… Bref continuer à construire
la ville, mais sans l’étendre.
14 juin 2032, 8h14…
36. Les écoles d’archi se sont autodissoutes en
quelques mois, et ont reconverti leurs
locaux en fermes urbaines. Elles ont
constitué un réseau organisant une
nouvelle formation à la fois en ligne et sur
le terrain, avec des apprentis tournant
pendant plusieurs années pour vivre
successivement la position de chacun des
acteurs de la construction de la ville qu’il
fallait réinventer : Métropoles,
Constructeurs, Investisseurs, Associations
locales, Gestionnaires, Ingénieurs,
Industriels… J’ai fait partie des premières
promotions, c’était passionnant et
essentiel.
L’architecte est devenu à la fois créateur et
facilitateur d’un exercice pas facile : la
reconstruction permanente de la ville sur
elle-même. On a rapidement mobilisé tous
les espaces inutilisés pour répondre à la
demande de la croissance urbaine sans
s’étaler dans les champs : les délaissés
routiers, les pelouses inutiles des parcs
d’activité, les jardins de lotissement, les
toits, les golfs, et même les sous-sols…
Non seulement il a fallu faire à périmètre
constant sans empiéter sur les espaces
agricoles, mais il a fallu aussi répondre à
des changements radicaux de mode de vie.
Par exemple, avec l’explosion des flottes de
taxis autonomes les parkings délaissés sont
devenus autant d’espaces disponibles, les
centres commerciaux de périphérie ont été
abandonnés à cause de la concurrence
radicale du commerce en ligne… mais
surtout la mobilité résidentielle s’est
considérablement intensifiée, accentuée
par l’afflux des réfugiés alimentaires des
années 20, venus des USA très durement
touchés.
Il a fallu inventer de nouveaux outils :
l’industrialisation haute précision de
composants constructifs modulaires,
l’impression 3D d’ouvrages de génie civil,
les bâtiments dynamiques, les structures
ultra-légères en graphène, le stockage
énergétique recyclable, la climatisation
végétale…
Mais c’est surtout la méthode qui a changé
: avant l’archi concevait un bâtiment, et le
dialogue s’établissait avec les autorités au
moment du permis.
C’est fini tout ça. Désormais les bâtiments
se transforment en continu, s’adaptent aux
évolutions des besoins, des marchés, des
saisons. Dans le même bâtiment des
logements viennent s’ajouter pour
répondre aux besoins d’une promo
d’étudiants qui débarque. Ils sont ensuite
remplacés par des bureaux pendant les
vacances. Au même moment le rez-de-
chaussée a servi successivement de salle
de sport, de micro-usine, de boutique de
créateur puis de pôle de logistique urbaine.
Certains bâtiments dynamiques sont même
capables de grandir ou rétrécir en fonction
des besoins, et tous sont conçus pour voir
leurs composants recyclés à la fin de leur
vie, en général 10 à 15 ans. Oui, pas plus.
La réglementation s’est réduite au strict
minimum, remplacée par un dialogue en
continu entre collectivité, investisseur,
gestionnaire, usagers, riverains… Au lieu de
faire des procès et de remplir des
formulaires, on discute en permanence sur
les évolutions du bâtiment ou du quartier.
Chaque version fait l’objet d’un débat
animé par l’archi, et dont l’élu de quartier
doit assurer la transparence.
Là, je vais filer pour animer la discussion de
la version 14.2 de la tour Gamma 3 par
exemple. Ça va être intense puisqu’on doit
ajouter 12 étages de production végétale
pour l’été qui vient, mais on va très
certainement trouver une solution
consensuelle. Ça fait six ans que je suis la
vie de ce bâtiment, depuis que j’ai fini la
construction de sa version 1. Il a encore du
potentiel pour une bonne dizaine d’années
et, comme tout architecte d’aujourd’hui, je
suivrai son évolution jusqu’à sa
déconstruction.
On a appris à construire pour le présent,
sans obérer l’avenir, mais aussi à s’investir
dans le temps long, ça demande une
certaine humilité, et un bon sens du
dialogue.
Bon je dois filer à mon APSP. Ça veut dire
quoi ? “Atelier Participatif de Suivi de
Projet”, ces réunions participatives de suivi
de la vie des bâtiments et des quartiers.
Finalement la seule chose qu’on n’a pas
réussi à transformer, c’est la passion de la
profession pour les acronymes.
Vous allez voir, le futur est passionnant.