1. Directeur de la publication : Edwy Plenel
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de l’UMP sur les voix du FN ou de l’irrésistible percée
du Front de gauche, qui fut démenti au soir du 22
Alarme, citoyens !
PAR EDWY PLENEL
avril ?
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 24 AVRIL 2012
Surtout, aussi probable soit-elle, une victoire de
Après l’alerte du 21 avril 2002, voici donc l’alarme François Hollande surviendra dans un paysage
du 22 avril 2012. Loin de la réduire, l’indolence de électoral dont les tendances lourdes ne sont pas
Jacques Chirac puis la virulence de Nicolas Sarkozy favorables à la gauche, notamment socialiste, qui
ont alourdi l’hypothèque de l’extrême droite sur la vie profite d’un rejet plutôt qu’elle ne bénéficie d’une
publique française. Que la progression des idées et des adhésion. Jamais l’extrême droite n’a obtenu autant
voix du Front national soit à porter au débit des dix de voix à un scrutin national (près de 6,5 millions) et
années de pouvoir sans partage de la droite à l’Elysée, jamais elle n’a été aussi forte dans l’électorat ouvrier
au gouvernement et au Parlement, c’est l’évidence. (autour de 30 % selon certaines enquêtes). De plus,
Mais que la gauche ne saurait s’en satisfaire en survenue alors que la droite s’est extrémisée, reprenant
est une autre. Car le défi qui l’attend est d’autant ses thématiques xénophobes et islamophobes, la
plus immense : relever la France d’une déchéance progression de Marine Le Pen n’a pas empêché
politique annoncée, en refondant une République Nicolas Sarkozy de se maintenir à un score honorable
authentiquement démocratique et sociale. de premier tour (27,18 %), à seulement 1,45 point
d’écart, soit 500 000 voix, de son concurrent socialiste
Tel est l’enjeu du second tour de cette élection
(28,63 %).
présidentielle, de son résultat comme de l’exigence
François Hollande est certes en tête du premier tour, ce
qu’il portera : ne plus seulement battre Nicolas
qui est inédit pour l’adversaire d’un président sortant
Sarkozy par l’automatisme du rejet, mais l’emporter
– qu’il soit de gauche (Mitterrand contre de Gaulle en
par une dynamique d’adhésion. Autrement dit lier
1965 et contre Giscard en 1981) ou de droite (Chirac
indissolublement l’alternance nécessaire à l’exigence
contre Mitterrand en 1988) –, mais il ne profite pas
d’une alternative aux politiques qui, depuis trente ans,
d’une mobilisation supplémentaire des électeurs face à
ont échoué à enrayer la dérive de la France vers
la mutation extrémiste de l’UMP durant la campagne.
l’aggravation des inégalités et des injustices, doublée
De surcroît, il ne réussit pas à mobiliser les gros
des diversions réactionnaires que sont la politique de
bataillons des classes populaires en sa faveur. Quant au
la peur (du monde et de l’étranger) et la chasse aux
score de Jean-Luc Mélenchon, succès indéniablement
boucs émissaires (immigrés et musulmans).
prometteur pour le jeune Front de gauche, il reste
L’espoir d’un échec du président sortant au cependant conforme au total des voix de la gauche peu
soir du 6 mai par K.O. technique, fondé sur ou prou radicale aux deux présidentielles précédentes
l’évaluation des reports de voix du premier tour, est (11,11 % contre 9 % en 2007 et 13,34 % en 2002)
assurément rationnel. Derrière la diversité des choix et échoue à s’imposer d’emblée en leader national du
électoraux, les résultats du premier tour portent un vote ouvrier.
référendum anti-Sarkozy dont témoignent aussi bien
Ces réalités sorties des urnes annoncent peut-
les motivations des électeurs frontistes que les calculs
être d’autres surprises électorales, lors des scrutins
de l’état-major lepéniste qui rêve d’une implosion de
législatifs de juin prochain. Les projections prévoient
l’UMP à son profit. Mais, politiquement, transformer
la possibilité de 345 triangulaires imposées par le
cette probabilité en certitude relève de l’insouciance
FN (dont 14 quadrangulaires possibles avec le Front
tant l’histoire à venir n’est jamais totalement écrite,
de gauche). Que les premières aient été, dans le
entre aléas électoraux et volatilité des suffrages. Que
passé, tactiquement favorables à la gauche ne saurait
n’a-t-on dit, ces dernières semaines, à propos de l’OPA
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faire oublier qu’elles accentueront le basculement, d’une présidence qui peut s’imposer à tous les autres
déjà largement engagé, du débat politique sur les pouvoirs, qui les dévitalise, les décrédibilise et les
thématiques de l’extrême droite. démoralise, la gauche peut un temps gouverner, mais
Quant aux secondes, leur possibilité souligne les elle ne peut durablement réussir. Le présidentialisme
divisions d’une gauche qui affiche sa diversité plutôt l’éloigne de ses bases, l’entraîne sur le terrain de
que son unité, voire ses divergences profondes plutôt l’adversaire, l’érode et la corrompt. En témoigne
que ses discussions fécondes. Pis, d'une gauche qui de façon flagrante l’évolution ces trente dernières
ne se parle ni ne se rencontre, le candidat socialiste années de son personnel politique, à tous niveaux,
accueillant les soutiens sans descendre de son Aventin bien éloigné dans sa composition sociale des classes
présidentiel. populaires majoritaires.
L'avertissement et l'accident L’alarme du 22 avril, dix ans après l’alerte du
21 avril, nous avertit qu’un accident électoral est
Ce premier tour de l’élection présidentielle résonne toujours possible. Qu’en sera-t-il en 2017, après
donc comme un avertissement pour François cinq années de présidence socialiste, de l’état des
Hollande : une victoire à la Pyrrhus le guette s’il ne crises européennes ou mondiales qui nous accablent,
prend pas suffisamment la mesure du sursaut politique tandis que la perdition d’une droite extrémisée et
qu’appelle la crise française. La spécificité de celle- « pétainisée » aura peut-être fait, jusqu’au dernier
ci est sa dimension démocratique qui conditionne la barreau, la courte échelle à Marine Le Pen ? Qu’en
crédibilité et l’efficacité des réponses à ses autres sera-t-il alors que, depuis trente années, le débat
dimensions, financières, économiques et sociales. De politique français, non seulement dans son expression
scrutin en scrutin, un système politique épuisé ne cesse médiatique dominante mais aussi dans son animation
de mettre en scène le fossé qui se creuse entre le peuple intellectuelle et éditoriale, n’a cessé de basculer à
et ses représentants professionnels, entre la masse des droite, cédant le pas aux obsessions de toujours de
citoyens et les politiques de métier, entre le pays et ses l’extrême droite ?
élites. Et s’il n’est pas comblé d’urgence, la gauche le
paiera au prix fort. Nous avons suffisamment de mémoire pour contredire
ceux qui relativisent en mettant le poids du Front
Car ce paysage est le décor favori des politiques national sur le compte d’une tendance européenne
réactionnaires qui détournent cette colère en adhésion momentanée, où l’expression de la crise, de ses
à des aventures virulentes et autoritaires, fondées sur souffrances et de ses colères, passerait par un vote
l’essentialisme d’une nation, de son peuple et de son protestataire d’extrême droite. Ces raisonnements
chef. Or, pour s’installer à demeure, ces passions oublient l’antériorité française en la matière, cette
politiquement néfastes n’ont pas besoin, en France, persistance du Front national depuis son premier
de rupture violente avec le système institutionnel en succès national aux élections européennes de 1984
place caractérisé par sa faible intensité démocratique. où sa liste avait obtenu plus de 2 millions de
Exception française, le bonapartisme césariste qui voix (10,95 % des suffrages exprimés). A l’époque,
inspire notre présidentialisme est d’une dangerosité déjà, alors que, depuis un an, des élections locales
foncière que la gauche oublie trop souvent à force de témoignaient de la renaissance de l’extrême droite
s’être résignée à le subir dans l’espoir d’en être parfois française, la classe politique se rassurait à bon compte.
bénéficiaire. C’était donc il y aura bientôt… trente ans.
« Dangereuses avant moi, elles le seront toujours La logique du bouc émissaire, qui a aujourd’hui droit
après » : cette formule prêtée à François Mitterrand sur de cité officiel sous un pouvoir de droite – « identité
nos institutions est une mise en garde à l’adresse de ses nationale », « civilisation supérieure », « musulman
successeurs de gauche, doublée d’un aveu d’échec ou d’apparence », « étrangers trop nombreux »,
d’impuissance. Dans le cadre constitutionnel actuel,
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etc. –, prenait ses marques et, déjà, marquait des
points. En septembre 1983, après une première
percée municipale du Front national à Dreux, les
commentaires dominants s’accordaient tous à mettre
cet événement sur le compte d’une immigration
« incontrôlée », « anarchique », « criminogène »,
« clandestine », « sauvage », « proliférante », au choix
des expressions qui s’installaient alors dans le langage
commun.
L’extrême droite ne serait qu’un effet dont les
immigrés seraient la cause, répétaient-ils en boucle.
Et bien peu nombreux étaient alors ceux qui
s’inquiétaient de cette première victoire lepéniste
– non pas provisoirement dans les urnes, mais
durablement dans les têtes.
Trente ans en arrière
« Les moins nobles, en l’assimilant à une exaspération
Si, depuis trente ans, les républicains n’ont pas
locale et circonscrite dont la “cause” aurait été la
su enrayer la progression de l’extrême droite, c’est
“surpopulation” immigrée de quelques villes. Les
parce qu’ils n’ont pas pris la juste mesure des
plus opportunistes, en le réduisant à un conjoncturel
réponses qu’elle appelait, des réponses radicalement
et classique mouvement de balancier, selon lequel
démocratiques et sociales plutôt que des surenchères
la gauche héritait d’une extrême droite dynamique,
sécuritaires et xénophobes. En 1984, dans ce qui fut
comme hier, la droite d’une extrême gauche vivace.
le premier livre consacré à ce que nous avions nommé
Les plus subtiles, enfin, en le renvoyant au passé, n’y
L’Effet Le Pen, nous avions été deux journalistes
voyant qu’une répétition du feu de paille poujadiste
du Monde de l’époque à tenter de bousculer, en
des années cinquante. Faisant insidieusement des
vain hélas, les certitudes rassurantes d’un monde
boucs émissaires désignés par le Front national
politique qui, à gauche tout autant qu’à droite,
les fautifs mêmes de sa réussite, ou contemplant
minimisait la signification de la renaissance d’un
avec impuissance une fatalité politique, ou encore se
courant de pensée que la déchéance nationale de
persuadant que la vague s’épuiserait d’elle-même, ces
Vichy et la perdition coloniale d’Algérie auraient dû
explications étaient toutes trois une façon de se donner
définitivement discréditer.
bonne conscience.
Voici ce que nous écrivions, sous le titre « Un certain
« Contribuant accessoirement à banaliser M. Le
état de la France », à propos de « toutes ces analyses
Pen, à le ramener à l’ordre des choses, aucune ne
(qui) s’empressaient de relativiser le phénomène » :
s’interrogeait sur sa modernité, son actualité et sa
spécificité. Car si l’on s’accorde à juger dangereuse,
pour une démocratie, l’ascension d’un mouvement
xénophobe et autoritaire, la question pertinente est
bien celle-là ; au-delà de son passé, de ses convictions
et de ses projets, que révèle M. Le Pen de l’état de la
France, de l’ampleur de sa crise, du délitement de son
corps social ? Envisagé sous cet angle, le diagnostic
est raisonnablement pessimiste : produit tout à la
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fois d’une réelle dynamique sociale, d’une mythologie les Français avec eux-mêmes en plaçant tout en
politique et d’une tradition française, l’effet Le Pen a haut de l’agenda politique l’urgence démocratique et
encore de l’avenir devant lui. » l’exigence sociale.
Le citoyen concerné que reste l’observateur journaliste Le défi de la gauche
aurait grandement préféré se tromper de pronostic. La Relever cet immense défi démocratique et social
citation n’est donc pas là pour témoigner vainement de incombe à la gauche, dans sa pluralité. Et, de fait,
sa pertinence, mais pour inviter à revenir à l’essentiel, à elle seule. C’est sa responsabilité, son devoir, son
plutôt que de disserter sur la supposée modernité obligation. On aurait pu espérer qu’elle soit rejointe
« mariniste » du Front national alors que, du père à sa par d’autres bonnes volontés républicaines, venues
fille, le sillon creusé est invariable comme l’a montré, d’autres horizons, tant le sarkozysme fut l’acte de
après Anne Tristan et son exceptionnel Au Front, naissance, sous les décombres du gaullisme et de
paru en 1987, le courageux Bienvenue au Front de son avatar chiraquien, d’une droite extrême ainsi que
Claire Checcaglini, publié au début de cette année. Mediapart l’a définitivement qualifié (lire ici et là
L’essentiel, c’est-à-dire le terreau sur lequel prospère notre dossier). Mais, à part quelques ralliements
l’idéologie diffusée par l’extrême droite, dont la peur individuels sans portée politique, entre un Jean-
et la haine sont les deux ingrédients de base. Jacques Aillagon et une Brigitte Girardin, il faut
Le rappel de cette longue durée de trente années suffit bien constater que les prétendus gaullistes d’hier ont
à démontrer que ce terreau n’est pas l’immigration et consenti au reniement de leurs valeurs fondatrices.
l’insécurité comme l’ont cru toutes les politiques qui, Quand les engagements du Conseil national de
à droite et à gauche, ont épousé l’agenda imposé par la Résistance sont piétinés et que la Constitution
l’extrême droite. Depuis un gros quart de siècle, et républicaine elle-même est bafouée, on aurait pu
de façon systématique depuis dix ans, les politiques s’attendre à ce que quelques voix fortes s’élèvent dans
publiques ne sont-elles pas foncièrement sécuritaires cette droite dont le bonapartisme foncier a toujours
et obstinément anti-migratoires, de contrôle et de flatté l’esprit grognard. Or, entre approbation soumise
surveillance des populations et des territoires, des et silence embarrassé, rien, rien ou presque si l’on
lieux et des flux ? Tant de lois, tant de moyens, tant compte les réserves exprimées par la seule ex-
de discours, et il faudrait, encore et toujours, remettre ministre des sports, Chantal Jouanno. En liant son
sur l’établi des politiques qui n’ont cessé d’échouer sort à celui d’un Nicolas Sarkozy barricadé derrière
à panser les plaies sociales et à apaiser notre vie des frontières qu’il dresse comme autant de murs
démocratique ? qui divisent, isolent et blessent, l’ancienne droite
La vérité, c’est que ce tonneau est percé : il républicaine acquiesce à sa défaite idéologique par
alimente ce qu’il prétend combattre, exacerbe ce l’extrême droite.
qu’il prétend soigner, excite ce qu’il prétend calmer. Quant au centre qu’entend incarner à lui seul François
Dérèglement idéologique des nécessités objectives de Bayrou, il ne pourra pas indéfiniment faire comme
souveraineté et de sûreté qui fondent une nation, les s’il était toujours ailleurs et au-dessus. Placer, au
obsessions sécuritaires et migratoires alimentent ce lendemain du premier tour, à même distance le
qui divise le peuple, montent des populations les candidat de droite et celui de gauche, celui qui épouse
unes contre les autres, dressent les Français contre l’agenda de l’extrême droite, voire surenchérit sur
d’autres Français comme l’a amplement démontré son contenu, et celui dont les forces politiques qui le
la dérive du sarkozysme vers la stigmatisation de soutiennent s’en démarquent toutes avec clarté, sinon
l’origine étrangère ou de la croyance musulmane. fermeté, est mauvais signe. En prétendant attendre,
Il est bien temps d’inverser les priorités, autrement pour se déterminer d’ici le second tour, les réponses
dit de réconcilier la France avec son peuple et de Nicolas Sarkozy et de François Hollande à ses
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interpellations, le chef du Modem est à mille lieues Il s’agit, tout simplement, de remettre la politique au
de la posture principielle qu’il avait affichée dans sa poste de commande. La politique comme invention
critique constante de la présidence sortante, et plus permanente, volonté collective et bien commun.
près du marchandage politicien. Car la politique ne se réduit pas à l’expertise
Il reste à espérer, mais cet espoir s'amoindrit, que ou à la compétence, comme l’ont trop longtemps
le leader centriste, tout comme d'autres personnalités imposé les vulgates économiques et financières afin
issues de la droite et ayant gouverné aux noms de de l’éloigner du contrôle populaire. Au croisement
ses diverses variantes, gaullistes, démo-chrétiennes, des expériences et des convictions, elle suppose
libérales, etc., entendent l'adresse que vient de leur une délibération publique autour d’enjeux partagés
lancer notre confrère Jean-François Kahn qui fit et compris, expliqués et validés. Ce n’est pas
campagne pour François Bayrou : « Pour la première seulement une pédagogie, des élus au peuple, mais
fois depuis des lustres, on entend un discours une conversation, entre le peuple et ses représentants.
ouvertement pétainiste sortir de la bouche d’un C’est cet imaginaire démocratique qu’il nous faut
président de la République encore en place. Quoi retrouver, le seul à même de restaurer la confiance, ce
qu’on pense de son challenger social-démocrate, climat aussi précieux que mystérieux sans l’avènement
l’hésitation n’est plus possible, plus tolérable : tous duquel il n’y aura jamais de sortie de crise.
les républicains, tous les démocrates qui refusent, Un imaginaire d'égalité
par patriotisme, le discours de guerre civile et Cet imaginaire démocratique a un nom, et c’est
de lacération de notre nation commune, qu’ils se l’égalité. L’égalité, ce mot qui est au centre et au nœud
réclament de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, de de la devise républicaine. Qui, tout à la fois, l’équilibre
Mendes France ou de Robert Schuman, doivent voter et la met en tension. Après tout, la liberté est aussi celle
de façon à barrer la route à l’apprenti sorcier et à de s’enrichir, donc de créer des inégalités autour de
permettre qu’on tourne cette page ». soi. Et la fraternité peut recouvrir la tentation de choisir
L’élection présidentielle est un moyen, et non pas ses frères, au détriment d’autres hommes. L’égalité
une fin. Aucun chèque en blanc, aucun état de grâce est donc au ressort de ce qui caractérise la promesse
n’attend François Hollande s’il l’emporte. Voter pour républicaine entendue comme celle d’une République
lui, utiliser massivement le bulletin de vote à son indissociablement démocratique et sociale.
nom, est le moyen aujourd’hui à notre portée pour Cette République-là n’est évidemment pas
rendre possible l’avènement des fins démocratiques celle qu’invoquent aujourd’hui conservateurs et
et sociales qu’exige la crise française. Et ces fins- réactionnaires après en avoir longtemps rejeté non
là dépendront de nous autant que de lui : de nos seulement l’idée mais le mot. La droite maurrassienne,
exigences, de nos vigilances, de nos mobilisations. qui a retrouvé ses aises sous le sarkozysme et dont
Après la présidentielle, l’enjeu des élections l’idéologue Patrick Buisson s’est fait le passeur,
législatives sera la pluralité d’une majorité fut monarchiste de naissance, avant de devoir se
parlementaire qui n’aura plus aucune excuse à son convertir aux apparences républicaines, sous le poids
impuissance ou à son immobilisme puisque, pour monstrueux des crimes des droites extrêmes d’Europe.
la première fois sous la Cinquième République, Mais sa foi profonde reste anti-républicaine par refus
la gauche peut devenir majoritaire dans les deux du principe d’égalité et par défense de l’impératif de
assemblées, imposer ainsi des réformes décisives réalité.
jusqu’à la Constitution elle-même, susciter des Comme le rappelle le philosophe Emmanuel Terray
majorités d’idées en s’émancipant de la soumission à dans un récent essai (Penser à droite, Galilée), « la
la seule volonté élyséenne. pensée de droite est d’abord un réalisme ». Mais le
réel dont se réclame cette droite n’est pas la réalité,
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forcément évolutive et instable ; c’est plutôt l’existant : finirait pas d’énumérer les potentialités libératrices de
la force des choses, le fait acquis, l’ordre établi, et par l’exigence d’égalité pour rassembler et renforcer une
conséquent ses injustices, ses inégalités, ses désordres. société, la nôtre, dont l’expression politique a délaissé
plusieurs parties de son peuple qui ne se sentent ni
représentées ni écoutées.
C’est sur cet abandon que prolifèrent xénophobie,
racisme et autoritarisme, diffusés comme un poison
par les forces politiques du fait établi et de l’ordre
existant afin de protéger les inégalités et les injustices
dont les intérêts minoritaires qu’elles défendent
font profit. Pédagogie toujours utile et nécessaire,
contrairement à ce que ne cesse de répéter le candidat
Nicolas Sarkozy qui les légitime et les cautionne,
faire la morale républicaine à celles et ceux qui y
succombent ne suffira pas à renverser la tendance, tant
la République a pris du retard – malmenée, abîmée,
discréditée, défigurée.
Son imaginaire est un immobilisme, entre fatalité
et résignation, quand celui de l’égalité est un
mouvement : un possible qui met en branle, un
horizon qu’on cherche à atteindre, la possibilité
d’un déplacement et l’espoir d’un changement.
Ainsi entendue, l’égalité, ce n’est évidemment pas
l’uniformisation ou le nivellement qui, pour le
coup, serait une fixité aussi rétrograde que l’ordre
conservateur – ce qu’ont démontré les désastres et
les crimes des régimes autoritaires s’en réclamant.
L’égalité est au principe d’une politique démocratique
qui fait droit à l’exigence sociale, d’une politique qui
fait confiance à la liberté pour résoudre les tensions
inévitables d’une société d’individus, d’aspirations « On ne naît pas raciste, on le devient », rappelle Lilian
diverses et de conditions différentes. Thuram dans son Manifeste pour l’égalité (Autrement)
Egalité des droits, égalité des possibles, égalité qui est sans doute le meilleur texte politique paru
devant la loi, égalité devant la santé, égalité devant à l’orée de cette campagne présidentielle, le plus
l’éducation, égalité dans le travail, égalité des riche et le plus fécond. Combattre droite extrême et
territoires, égalité de l’accès aux services publics, extrême droite, les marginaliser et les réduire, suppose
égalité dans l’accès à la culture, égalité dans la d’opposer à leurs passions destructrices, où l’on
représentation politique, égalité des origines, des races s’aime de détester ensemble, un imaginaire supérieur.
et des religions, égalité des cultures et des civilisations, Un imaginaire qui rassemble et rassure, renforce et
égalité des hommes et des femmes, égalité des genres, conforte, ouvre l’horizon et mobilise le changement.
égalité des sexes et des sexualités, etc. On n’en Illustré par une vingtaine de contributions de toutes
disciplines et porté par sa Fondation Education contre
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le racisme, le Manifeste de Thuram indique ce chemin « Elever ce pays en élevant son langage. » L’exact
de hauteur où se gagne la justice en nous appelant, opposé du « Casse toi, pauv’ con », cette insulte
écrit-il, à « changer nos imaginaires ». qui résume la présidence sortante, son style et son
Le lisant, comme un réconfort après l’alarme du 22 projet. Et si la politique est un langage, conversation
avril, on s’est souvenu de l’idéal proclamé par Albert d’un peuple avec lui-même, alors c’est bien là ce qui
Camus, alors journaliste, dans Combat en 1944 : incombe à la gauche tout entière de réussir : relever la
France en refondant sa République.
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